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SOMMAIRE

LES CONTES DU PRINTEMPS

1 - Comment Nami apprit les lettres coréennes 9

2 - Comment Nami rencontra l’esprit de la mer 17

3 - La mission secrète des chiens jindo 23

4 - Les petites fées Jindalé 29

LES CONTES D’ÉTÉ

1 - La reine Jangma 33

2 - Concert d’été 41

3 - Les fl eurs de lotus

4 – A la chasse aux coquillages

LES CONTES D’AUTOMNE

1 - Le grand-père pêcheur

2 - En visite chez monsieur Bouddha

3 - L’esprit des montagnes

4 - Les lutins tokkébi

LES CONTES D’HIVER

1 – Le dragon des profondeurs de la terre

2 - Le premier anniversaire

3 - La magie de l’amitié

4 - fi n et renouveau

GLOSSAIRE des mots coréens

LES CONTES DU PRINTEMPS

1 - Comment Nami apprit les lettres coréennes

A Paris, c’était la fi n de l’hiver, dans l’air on sentait déjà un

subtil parfum de printemps. Ce jour-là, la petite Nami jouait avec sa

meilleure amie Hanna dans le jardin de leur pavillon de la banlieue

parisienne. Elles courraient derrière un ballon, sautaient à la corde,

faisaient de la balançoire et se chuchotaient des secrets de petites

fi lles. Elles s’aimaient bien parce que les parents de Hanna étaient

coréens, tout comme la maman de Nami.

— Nami, viens, j’ai une nouvelle pour toi ! entendit la petite

fi lle. C’était son papa qui l’appelait. Puis, à la maison, il annonça :

— J’ai un nouveau poste, on va déménager à Séoul.

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Nami savait que Séoul, la capitale de la Corée, était une ville

gigantesque.

— Et Hanna ? Elle restera en France ? Je ne la verrai plus

jamais, alors ?

Mais ses parents ne voulurent rien entendre de ses lamentations.

—Tu sais, Nami, en Corée, il y a beaucoup de petites fi lles

coréennes, tu trouveras sûrement une bonne amie parmi elles, dit

sa maman. Puis elle ajouta : Et tu pourras aussi revoir ta mamie

Youna !

L’eau vint à la bouche de Nami, elle se souvenait de ces bons

gâteaux de riz que l’an dernier sa grand-mère lui avait apporté de Corée

pour son quatrième anniversaire. Une cascade de questions surgit

aussitôt sur les lèvres de la petite fi lle : Et des balançoires, il y en aura

à Séoul ? Je pourrais prendre tous mes jouets avec moi ? Où allons-

nous habiter ? Il y aura un jardin ? Les parents de Nami répondaient

patiemment à toutes ses questions, puis le soir venu, alors qu’elle

dormait dans son lit, ils se mirent à planifi er leur déménagement.

Quelques semaines plus tard, Nami se retrouva loin, très

loin de Paris et de sa meilleure amie Hanna, dans le vacarme d’une

nouvelle ville pleine de gaz d’échappement. Sa famille aménagea

dans un immeuble à Séoul. C’était déjà le printemps en Corée, mais

il souffl ait encore un vent glacial, celui dont les bourgeons des fl eurs

ont si peur. Nami assise devant la fenêtre regardait tristement les toits

des dernières petites maisons traditionnelles qui se blottissaient au

Les Contes du printemps

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pied de la forêt d’immeubles. Elle avait le cœur gros, se sentait seule,

abandonnée. Si au moins elle pouvait envoyer une lettre à son amie

Hanna mais elle ne savait pas encore écrire.

Soudain, sur l’un de ces toits, elle aperçut un gros matou roux.

Sous le premier soleil du printemps, il s’étirait avec gourmandise et

aiguisait ses griffes sur les tuiles noires en terre cuite.

— Pourquoi es-tu si triste, Nami ? miaula le matou en s’asseyant

sur le sommet du toit pour mieux la regarder.

— C’est parce que je n’ai pas d’amie dans cette grande ville, et

ma meilleure amie Hanna est restée en France. Je voudrais lui envoyer

une lettre mais je ne sais pas écrire.

— Comment ça ? Tu ne connais pas encore les lettres

coréennes ? Elles sont pourtant si simples, il suffi t de dessiner une

petite ligne verticale, une autre horizontale, un petit carré et un rond.

Si tu veux, tu peux venir dans ma classe, je suis le maitre de l’école

des chats, ronronna le matou pas peu fi er, gonfl ant son gros dos rond

comme pour souligner l’importance de ce qu’il venait de dire.

Nami pensa : « Ce gros matou roux n’est peut-être qu’un vaniteux,

mais qui sait ? Cette école des chats pourrait bien me distraire ». C’est

ainsi que Nami se retrouva assise sur les bancs de l’école des chats.

Quelle cacophonie ! Tous les chatons y miaulaient, en même temps en

langue des chats : « Miaou ! …… ». Tous trempaient le bout de leurs

pattes dans l’encre noir et griffaient de belles lettres coréennes.

Bien avant que le printemps n’installa son règne, Nami savait

Les Saisons de Nami

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déjà écrire son prénom. En coréen cela se dessine comme ça : ㄴ ㅏ

ㅁ ㅣ. Imaginez quelle fut la surprise de ses parents, quand à la fi n du

printemps, Nami écrivit une première lettre à son amie Hanna!

Le papa et la maman de Nami en étaient très heureux parce

que le plus grand souhait des parents en Corée est d’avoir les enfants

instruits.

Les Saisons de Nami

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2 - Comment Nami rencontra l’esprit de la mer

A Séoul, le printemps commençait vraiment. Les magnolias

blancs fl eurissaient et les buissons de forsythias se couvraient de fl eurs

dorées. L’air printanier dégageait mille parfums invitant la petite Nami

à courir dans le parc. Alors quand son papa décida que toute la famille

passerait le weekend au bord de la mer, elle sauta joyeusement à son

cou pour poser sur sa joue un gros bisou. Ils bouclèrent les sacs, son

papa prépara sa canne à pêche et sa maman glissa des kimbab dans la

Les Contes du printemps

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glacière. Des kimbab ? C’est un casse-croûte coréen, c’est rudement

bon, surtout en pique-nique. On les prépare avec du riz rond et tout

un tas de choses enroulées dans une savoureuse feuille d’algue. C’est

délicieux !

— Nami, mets un chapeau sur la tête, les fi lles en Corée doivent

se protéger du soleil pour garder leur teint blanc comme le lait, dit sa

maman.

Le voyage vers la mer ne fut pas trop long. La voiture de papa

fi la sur l’autoroute si vite que les paysages se déroulèrent jusqu’aux

premières vagues. Puis un pont, une baie, et enfi n, une plage immense,

sans fi n et le ciel qui se noyait dans la mer. Nami courut vers l’eau

dessinant sur le sable fi n et humide le chemin de ses souliers.

Les Saisons de Nami

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— Pouah ! La mer est amère ! Et puis bien trop salée, bien plus

que tout ce que j’ai déjà goûté, piaffa la petite fi lle.

Sur la plage, juste là où les vagues avaient lancé leurs langues

mousseuses, se trouvait une bande de coquillages : des grands et des

petits, des lisses et des striés, des blancs, des roses, des ocres et d’autres

violacés.

— D’où viennent-ils et pourquoi sont-ils là, vides et immobiles ?

s’exclama Nami.

Tout à coup, un immense crabe noir émergea des vagues et se dirigea

vers elle toutes pinces dressées.

— Qui demande trop, apprend trop, fi llette ! sermonna le crabe.

Nami sursauta, mais trop curieuse, elle lui répondit du tac au

tac :

— Monsieur le crabe, je vous en prie, dites-moi, d’où viennent

tous ces coquillages ?

Clap !clap !clap ! Claquèrent les pinces du crabe pour toute réponse

et il s’enfonça profondément dans le sable, ne laissant dépasser que ses

yeux au bout de leur antenne.

— Mon papa dit toujours que si je demande poliment, on me

répondra, se fâcha Nami.

Les crabes ont toujours mauvais caractère et avec l’âge ça ne

s’améliore pas. Celui-ci regrettait déjà d’avoir sorti ses pinces de la mer.

Finalement, il répondit :

— Demande à l’esprit de la mer, c’est lui qui règne sur les

Les Contes du printemps

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coquillages et les fonds marins. Il sait tout de leur destin. Le nom du

maître de la mer est Yong Wang. Et sur ces derniers mots, le crustacé

disparut dans les vagues.

Nami ne savait pas où chercher l’esprit de la mer. Elle ramassa

quelques coquillages, les déposa délicatement au fond de sa poche, puis

pensive, laissa ses yeux vagabonder sur la mer toujours en mouvement.

Le ciel était sans nuages, le soleil du printemps brillait joyeusement,

caressait ses joues. Soudain, le vent d’Ouest se leva charriant avec lui

une brume jaunâtre si épaisse que les rayons du soleil s’estompèrent.

L’astre n’était plus qu’un pâle halot délavé sur le ciel. C’est alors que

Nami entendit une voix provenant de la mer :

— Nami ! Tu as voulu savoir pourquoi mes vagues ont déposé

tous ces coquillages sur la plage ? Hum eh bien voilà ! Mon épouse

a enfi lé un collier fait des plus beaux coquillages du fond des mers.

Les Saisons de Nami

Hélas, ce collier s’est déchiré et les vagues ont éparpillé les coquillages

sur les plages de toutes les mers du monde. Ramasse ceux qui te

plaisent, je te les offre en cadeau.

C’était Yong Wang, l’esprit de la mer qui répondait à Nami. A

ses derniers mots, le vent d’Est se leva à son tour, souffl a si fort que le

ciel reprit ses couleurs et le soleil retrouva sa splendeur comme si rien

ne s’était passé. Toute contente, Nami caressait les petits coquillages

blottis au fond de sa poche. Plus haut sur la plage ses parents avaient

installé le pique-nique, il était temps de manger les kimbab. Quand elle

arriva, son papa lui demanda :

— As-tu vu ? Le vent du printemps a apporté les poussières

jaunes du désert du Gobi !

Mais la petite fi lle pensa : « Il y a des choses que les grandes

personnes ne comprendront jamais. »

Les Contes du printemps

3 - La mission secrète des chiens jindo

Nami était assise sous un cerisier en fl eur, sur un banc du

parc derrière leur immeuble. Enivrée par les parfums, elle écoutait le

bourdonnement des abeilles dans la couronne blanche de l’arbre. Ses

branches étaient couvertes de fl eurs et Nami imagina qu’un pâtissier

parisien avait décoré les cerisiers avec de la crème chantilly. De légers

pétales tombaient en tourbillons et quelques-uns élurent domicile

dans ses cheveux noirs. Aux pieds de Nami reposaient une paire de

patins à roulettes toute neuve, cadeau de sa grand-tante Jina. Elle les

chaussa et partit à toute allure pour un tour de parc, quand soudain :

Patatras ! Elle se retrouva les quatre fers en l’air. Quelque chose de

chaud et poilu s’était aplati sur son ventre, remuait la queue et lui

léchait le visage. Un chien aux poils tout blanc.

Les Contes du printemps

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— De quel trou sors-tu, vilaine bête ? s’emporta Nami. Regarde !

Tu m’as fait tomber par terre ! Je n’ai jamais vu un maladroit pareil !

Le chien s’assit en face de Nami, qui se frottait le genou

égratigné. Alors, il lui donna la patte par amitié. Cela la réconcilia tout

de suite.

— Bon, d’accord, je ne me fâche plus. Comment on t’appelle ?

Le chien aboya et pencha la tête du côté droit. Nami gratta l’animal

derrière l’oreille et il se mit à remuer la queue.

— Il s’appelle Jindo et c’est mon chien ! Entendit Nami derrière

son dos.

Quand elle se retourna, elle vit un garçon d’une tête plus haute

qu’elle. Il se tenait debout, les poings plantés sur les hanches, la mine

renfrognée.

Les Saisons de Nami

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— Jindo ? Comme l’île où habite ma mamie Youna ? demanda

Nami.

— Je ne connais pas ta grand-mère, mais tous les chiens d’ici

viennent de l’île de Jindo.

Nami ne se découragea pas :

— Eh ! Est-ce que je peux jouer avec lui ?

— Non ! Mon chien est trop jeune, c’est pour ça qu’il aime

les câlins. Quand il sera grand, il t’aboiera dessus. Les chiens jindo

protègent leur maître et gardent sa maison. Un jour, il sera attaché à

une chaîne devant ma maison et il ne laissera entrer personne.

Nami, pensive, caressait la fourrure blanche et laissait Jindo lui

lécher le bras jusqu’au coude.

— Vous n’allez pas le manger quand même ? s’inquiéta Nami,

car elle avait entendu dire qu’en Corée, on cuisinait de la viande de

chien.

— Non, nous avons besoin de lui pour garder la maison. Chez

nous en Corée, on ne mange que les chiens, qui ne sont pas de bons

gardiens. Mais leur viande est tendre et nous donne de la force. C’est

mon papa qui me l’a dit. Puis, il attrapa le chien par son collier.

— Viens, Jindo, on rentre à la maison !

Pour Nami, plongée dans ses pensées, l’après-midi fi la aussi

vite que ses patins à roulettes. Quand même, ce garçon, il n’était

vraiment pas gentil avec son Jindo !

Le soir venu, juste après le bisou de bonne nuit de sa maman,

Les Contes du printemps

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Nami s’endormit comme une pierre tombe au fond de l’eau. Elle fi t un

drôle de rêve. De nulle part, un grand et vieux chien jindo apparut. Il

montrait ses crocs et grognait de façon menaçante :

— Grrrr, quand un chien jindo vient au monde, ce n’est ni pour

les caresses ni pour les jeux. Il a une mission secrète.

Nami, pétrifi ée de peur, lui demanda :

— Quel est ce secret des chiens jindo ?

Le vieux chien se gratta derrière l’oreille et commença à

raconter :

— Jadis, il y a de cela très, très longtemps, vivait sur l’île de Jindo

la vieille sorcière Moudang. Elle était méchante et elle avait transformé

tous les habitants de l’île en chiens aux poils blancs. Elle en fi t ses

serviteurs, et depuis, leur destin est de garder la maison de leur maître.

Lorsqu’un chien meurt, il libère une âme prisonnière. Elle peut enfi n

retourner sur l’île de Jindo, où le vent salé ne cesse de souffl er sur ces

côtes déchirées.

Le matin, quand Nami se réveilla, elle se leva le cœur lourd pour

tous ces chiens blancs attachés à leur chaîne.

Les Saisons de Nami

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4 - Les petites fées Jindalé

Quand le temps des azalées sauvages arrive en Corée, les forêts

se tâchent de rose et les promeneurs envahissent les montagnes pour

admirer la tendre beauté des fl eurs.

Nami, son papa et sa maman s’apprêtaient, eux aussi, à rejoindre

la foule d’excursionnistes. Ils enfi lèrent leur tenue de sport, vissèrent

sur la tête une casquette et dans leur sac à dos glissèrent pique-nique

et thermos de thé vert. Enfi n, ils étaient prêts pour l’assaut des

montagnes. Impossible de s’y perdre, chemins et sentiers sont tous

dessinés en rubans rouges, verts ou jaunes sur le grand panneau à la

sortie du parking. Parmi toutes ces lignes colorées, le papa désigna la

jaune et annonça :

Les Contes du printemps

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— On va aller par là !

Puis, ils se mirent en route. Le large chemin se rétrécit bientôt

et une fl èche en bois leur indiqua de prendre un petit sentier qui

bifurquait. La montée était raide, Nami avait du mal à respirer, alors

son père décida de s’arrêter un moment pour se reposer. Enfi n, elle

pouvait décoller son regard des cailloux du sentier. Quelle beauté !

Une mer de fl eurs roses ondulait sous les couronnes vert foncé des

pins, les fl eurs d’azalées penchaient leurs têtes timidement et les

abeilles bourdonnaient de leurs voix mielleuses une douce chanson de

printemps. Nami voulut caresser une fl eur de soie, quand elle entendit

une voix ténue :

— Non, non, ne la touchez pas, s’il vous plait !

Les Saisons de Nami

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Nami, étonnée, regarda autour d’elle, mais elle ne vit personne.

Seul un parfum subtil planait au-dessus des buissons. Il était si doux

que Nami ferma béatement les yeux.

— Je suis là, Nami, regarde bien !

Nami rouvrit les yeux et aperçut une toute petite fi llette dans

une légère robe rose diaphane. Elle était assise dans une fl eur d’azalée

et s’y balançait comme sur une balançoire.

— Oh là là, que tu es petite, encore plus petite que moi, s’écria

Nami. Qui es-tu ?

— Je suis une fée Jindalé. Ici dans la forêt nous sommes

nombreuses, mais jamais assez. Nous avons tellement de travail !

se plaignit la petite fée. Et comme Nami l’observait avec curiosité,

elle continua. D’abord, nous devons chatouiller les fl eurs qui se sont

endormies, il faut qu’elles s’ouvrent bien pour que les abeilles puissent

y récolter le nectar. Ensuite, nous devons vaporiser du parfum et le

soir il nous faut fermer les pétales des fl eurs, pour qu’elles n’attrapent

pas froid.

C’est alors que Nami aperçut dans d’autres fl eurs une myriade

de fées. Elles se balançaient, riaient aux éclats et avec de minuscules

calicules, elles aspergeaient joyeusement les fl eurs d’un parfum

si enivrant que la tête de Nami se mit à tourner. Dans cette ronde

joyeuse, il y avait pourtant une fée qui se tenait à l’écart, la mine toute

déconfi te. Elle était assise dans sa fl eur et de grosses larmes roulaient

sur ses joues.

Les Contes du printemps

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— Pourquoi pleures-tu, alors que les autres fées rient

joyeusement ? lui demanda Nami soucieuse.

— Comment pourrais-je rire ? Mon calicule est tombé dans les

profondeurs sous les buissons, comment vais-je remplir mes devoirs

de fée ?

Nami n’hésita pas une seconde, elle s’accroupit et chercha,

chercha jusqu’à ce qu’elle trouve la minuscule coupe remplie de

quelques goutes de parfum. Elle le rendit à la fée, mais elle n’eut pas

le temps d’entendre ses remerciements car son père la tirait par la

main :

— Nami, nous nous sommes assez reposés. Maintenant, nous

devons continuer notre chemin.

Puis, ils se remirent en marche. Le parfum des azalées les

accompagnait et Nami semblait entendre les voix cristallines des fées

Jindalé et leur rire joyeux.

LES CONTES D’ETE

1 - La reine Jangma

Un jour de juillet, Nami assise sur un banc dans le parc derrière

son immeuble balançait ses jambes et observait un grand scarabée

vert aux longues antennes. Elle l’avait attrapé l’instant d’avant et

l’avait enfermé dans un bocal. Il essayait de se libérer coûte que coûte,

mais toutes ses tentatives étaient vouées à l’échec, ses pattes glissaient

désespérément sur les parois lisses de sa prison.

Soudain, Nami entendit une voix très fi ne qui montait du

bocal :

— Laisse-moi sortir et je te dirai quelque chose de très

important.

Dans le quartier, tout le monde savait que Nami était une petite

Les Saisons de Nami

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parisienne très curieuse. Aussi, elle n’hésita pas une seconde, retourna

le bocal et l’insecte se retrouva sur la planche du banc. Couché sur ses

élytres, le scarabée remuait en vain ses pattes et s’énervait :

— Si tu ne me retournes pas, tu entendras tout mon récit à

l’envers !

Nami poussa donc le scarabée avec une brindille. Et ce dernier

se retrouva sur ses six pattes : « Ouffff ! » souffl a-t-il, soulagé. Nami

s’accroupit pour mieux le voir, glissa son nez entre ses antennes et

l’invita à parler :

— Alors, je t’écoute !

Le scarabée lança :

— La reine Jangma est déjà en route, quand elle arrivera…

L’insecte pressé ne fi nit pas sa phrase mais disparut illico presto

dans une fi ssure entre les planches du vieux banc.

— Attends, où vas-tu, qui est Jangma et que se passera-t-il

quand Jangma…

Nami non plus ne fi nit pas sa phrase, le soleil venait de disparaître

sans prévenir derrière un gros nuage noir et jouffl u. Soudain, le vent

souleva un tourbillon de poussière et en jeta une bonne poignée

dans les yeux de Nami. Quand elle put enfi n les rouvrir, le monde

autour d’elle était transformé : il faisait sombre, les oiseaux s’étaient

tus, on n’entendait que le siffl ement du vent qui agitait la cime des

pins. Tout à coup, un éclair déchira le velours gris foncé du ciel,

puis BRRrrrroooummm, le bruit assourdissant du tonnerre et une

Les Contes d’été

38

première goutte géante s’écrasa tout droit sur le nez de Nami.

— Oh pardon ! s’excusa la grosse goutte, je suis une gaffeuse,

on m’a expédié sur terre et dans ma précipitation, je n’ai pas eu le

temps de choisir mon chemin.

Nami secoua la goutte accrochée à son nez, et la fi t tomber

dans le creux de sa paume.

— Qui t’a envoyé ? tempêta Nami. J’exige une explication !

— La reine Jangma, répondit la goutte avec importance, puis

elle ajouta : Mes sœurs sont déjà en route, il y en aura des millions,

elles ne cesseront de tomber toute la semaine, et peut-être même la

semaine prochaine et celle d’après !

Nami comprit enfi n ce qui se passait et courut à la maison.

Depuis la porte, elle cria :

— Maman, la reine Jangma est arrivée et elle nous envoie sa

première averse de l’été !

La maman rit de tout son cœur, prit Nami dans ses bras et la fi t

tourner joyeusement.

— Alors, on doit préparer nos parapluies, nos imperméables

et nos bottes en caoutchouc. L’été coréen vient de commencer ! dit la

maman à Nami.

Le lendemain, les rues du quartier et le parc derrière la maison

étaient couverts de fl aques, l’eau de pluie ruisselait le long des trottoirs

et disparaissait, bouillonnante, dans les canaux. Nami observait ce

déluge depuis la fenêtre grande ouverte. En regardant la rue, elle vit,

Les Saisons de Nami

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dans le courant, un petit point vert qui ballotait dangereusement vers

une bouche d’égout. « Mais, c’est… » Vite, vite, vite, elle se précipita

sous la pluie. Un grand scarabée vert s’agrippait de toute la force de

ses six pattes à une petite feuille d’azalée, de ses longues antennes

cherchait son équilibre comme un funambule ivre. Une seconde de

plus et l’égout l’aurait avalé.

— Monsieur le scarabée, vous ne deviendrez jamais un bon

marin ! riait Nami ruisselante.

Les Contes d’été

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Et elle alla déposer l’insecte trempé sur le sommet d’une butte

herbeuse du parc.

— Voilà ! Nami, tu sais maintenant qui est la reine Jangma ! dit

l’insecte en remuant ses longues antennes.

.

Les Saisons de Nami