les républicains à la recherche du candidat idéal

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Venezuela Chávez est devenu mortel Crise Comment l’Islande s’en est sortie Art Pillez-vous les uns les autres ! Afrique CFA : 2 600 FCFA - Algérie : 450 DA Allemagne : 4,00 € - Autriche : 4,00 € - Canada : 5,95 $CAN DOM : 4,20 € - Espagne : 4,00 € - E-U : 5,95 $US - G-B : 3,50 £ Grèce : 4,00 € - Irlande : 4,00 € - Italie : 4,00 € - Japon : 700 ¥ Maroc : 30 DH - Norvège : 50 NOK - Portugal cont. : 4,00 € Suisse : 5,90 CHF - Tunisie : 4,50 DTU - TOM : 700 CFP www.courrierinternational.com N° 1108 du 26 janvier au 1 er février 2012 Qui peut battre Obama ? Les républicains à la recherche du candidat idéal

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Page 1: Les républicains à la recherche du candidat idéal

VenezuelaChávez est devenu mortel

CriseComment l’Islande s’en est sortie

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www.courrierinternational.comN° 1108 � du 26 janvier au 1er février 2012

Qui peut battreObama ?Les républicains

à la recherche du candidat idéal

Page 2: Les républicains à la recherche du candidat idéal
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Editorial

La tentationdu populisme

Des deux côtés de l’Atlan-tique, les parallèles sontfrap pants. Vous avez deuxprésidents, élus brillammenten 2007 et 2008, qui ont,de puis, perdu une partie deleur aura et qui cherchent àse faire réélire en 2012. Vousavez face à eux deux hommes

politiques, Mitt Romney et François Hollande, quecertains commentateurs n’hésitent pas à comparer.Tous deux, en effet, ne s’efforcent-ils pas de convaincreet de séduire, faute de charisme ? Il y a pourtantquelques différences : l’ancien gouverneur du Massa-chusetts a prouvé ses qualités de gestionnaire, dansle privé comme à la tête de son Etat, mais le députéde la Corrèze a encore tout à prouver ; à l’inverse, lesAméricains reprochent à Romney son “authentiquemanque d’authenticité” et son absence d’humour, alorsqu’on ne peut pas enlever à Hollande ces qualités-là…Mais, au-delà de leurs différences, tous deux combat-tent le même ennemi, et cet ennemi porte un nom :le populisme. Aux Etats-Unis, nombre de candidatsrépublicains ont endossé cette tunique, le dernierétant Newt Gingrich, qui vient de remporter la pri-maire de Caroline du Sud et qui est en tête des son-dages pour celle de Floride le 31 janvier. En France,nous avions deux voix populistes, l’une à gauche(Jean-Luc Mélenchon), l’autre à l’extrême droite(Marine Le Pen). Est venue s’y ajouter, au centre, cellede François Bayrou, qui dans ses discours n’a que lemot “peuple” à la bouche et qui a lancé il y a un moisle “Achetons français”, un slogan démagogique auxantipodes de ses engagements européens.Par leur tempérament et par leur style, Mitt Romneytout comme François Hollande sont incapables dedevenir populistes. C’est leur point faible, car enpériode de crise et d’incertitude les électeurs aimentceux qui les rassurent et qui les flattent. Ces électeursveulent croire que certains candidats ne sont pas,comme les autres, le “produit d’un système” et del’establishment. Newt Gingrich, lui, joue cette carteavec talent, faisant oublier tout à la fois ses frasquesprivées, ses entorses aux règles et surtout son passéparmi l’élite de Washington, quand il était présidentde la Chambre des représentants. Il se veut donc issude la Géorgie profonde, prêt à combattre d’abord cetaffreux produit de Wall Street (Romney), puis cetintellectuel, ce “socialiste radical” qui a fait grossir legouvernement fédéral “contre le peuple américain”(Obama, vous l’aurez reconnu). Oui, les primairesaméricaines sont passionnantes, car il s’y joue unevraie question politique (voir notre dossier pp. 10 à 16).Philippe Thureau-Dangin

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� En couverture : Le bon républicain ?Dessin de Kal paru dans The Economist, Londres.

n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

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Sommaire

4 Planète presse6 A suivre8 Les gens9 Controverse

En couverture10 Qui peut battre Obama ?Il y a peu, Mitt Romney était vu comme le grand favori pour l’investiturerépublicaine, comme celui qui pouvaitbattre Obama en novembre. C’étaitoublier les divisions du Parti républicain.La victoire de Newt Gingrich le 21 janvieren Caroline du Sud relance la bataille au sein de la droite. A la grandesatisfaction du camp démocrate.

D’un continent à l’autre 18 FranceMarchés publics Complots sur les eauxhongroises Pastiche Le journal intime d’Eric The King20 EuropeHongrie “Une étoile jaune collée sur ma boîte aux lettres“Roumanie Les “indignés“ enflammentBucarestUnion européenne Faut-il brûler les agences de notation ?Italie L’Italie brisée, mais l’ItalielibéraliséeRoyaume-Uni Un gratte-ciel qatariplanté au cœur de LondresEspagne Le roi est nu, vive la République !26 AmériquesVenezuela Hugo Chávez, “El Comandante“ est devenu mortelEtats-Unis Mieux que la sécu, les réseaux sociaux !30 Asie Pakistan Le temps des coups d’Etat est révolu

Chine Chinois des champs et Chinoisdes villesJapon Acheter, c’est pour l’entraide...Chine Le luxe made in Italy à prix discount34 Moyen-OrientSyrie Un ordre trompeur règne à Damas Egypte Pourquoi Al-Baradei ne sera pasprésident37 AfriqueTunisie Gaffes, cacophonie et reculades !Maroc Ce n’est pas le royaume des footballeurs africains !République démocratique du CongoL’insécurité a du bon pour les épousesdélaissées41 EconomieReprise L’Islande renaît de ses cendres44 EcologieDéveloppement durable Tout schuss sur les pistes (très) vertes !45 TechnologieCyberguerre Le virus contre-attaque46 SciencesGénétique OGM et santé : la polémiqueéclate à nouveau

Long courrier 48 Création Le pillage érigé en art52 Le livre “Bienvenue dans ce monde”,d’Amanda Svensson53 Tendance L’horizontalité comme mode d’action55 Insolites Give cannabis a chance

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TunisieGaffes, cacophonie et reculades !

Venezuela “El Comandante” est devenu mortel

Union européenneFaut-il brûler les agences de notation ?

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Les sources4 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

AlterNet (alternet.org)Etats-Unis. Créé en 1998

par Don Hazen, ancienrédacteur de Mother Jones,ce magazine en lignealternatif, qui compte1,5 million de visiteurs par mois, offre des articlesde qualité et reproduit à l’occasion les textesd’autres publications de gauche.Dawn 138 000 ex.,Pakistan, quotidien. Dawna été créé en 1947 lors de l’indépendance duPakistan par MuhammadAli Jinnah, père de la nation et premierprésident. Un despremiers journauxpakistanais de langueanglaise, il jouit d’unlectorat d’environ800 000 personnes. Il appartient au groupePakistan HeraldPublications, fondéégalement parM. A. Jinnah.Expressen 305 000 ex.,Suède, quotidien. Créé en 1944, porte-parole de la lutte contre lenazisme, le titre a été le plus grand quotidiensuédois jusqu’aux années1990. Aujourd’hui dépassépar Aftonbladet, il separtage entre des pagespolitiques et culturellessérieuses et des pages plustypiques d’un tabloïd.Gatopardo Colombie et Mexique, mensuel. Créé en 2000, Gatopardoest diffusé dans toutel'Amérique latine et àMiami. Des journalistes de toute la sphèrehispanophone collaborentà ce magazine d'enquêteset de reportages qui publie

aussi des plumes tellesque Carlos Fuentes ouAlma Guillermoprieto.Heti Válasz 25 000 ex.,Hongrie, hebdomadaire.Lancé en 2001 avec le soutien financier du gouvernement de Viktor Orbán, “Réponsehebdomadaire” se veut un journal de réflexionconservateur, modéré et à tendance écologiste.The IrrawaddyMyanmar, trimestriel. En décembre 2010, peu detemps après la libérationde l’opposante historiqueAung San Suu Kyi, lemensuel de la dissidencebirmane fondé en 1993 a dû renoncer à paraîtredans sa version imprimée.L’équipe rédactionnelle,basée à Chiang Mai enThaïlande, a alors annoncéqu’elle se concentrerait sur son site Internet.Néanmoins, fin mars, est réapparue une versionpapier qui aura unepériodicité trimestrielle.Leaders(leaders.com.tn/), Tunisie.Créé en 2008, ce site seveut ouvert aux “opinionset blogs qui favorisent lapluralité des points de vueet suscitent les échanges”.Sa rubrique “successstory” met en valeur desréussites individuelles etcollectives. Leaders publieaussi des analysespolitiques et économiquessur la Tunisie.Newsweek 1 972 000 ex.,Etats-Unis, hebdomadaire.Sans son rachat àl’été 2010 par l’hommed'affaires Sidney Harman,le célèbre titre auraitdisparu du paysagemédiatique outre-Atlantique. Sa fusion avecle webzine The Daily Beasten novembre et la récentenomination de TinaBrown, fondatrice dujournal en ligne, à sa têtelui ont redonné denouvelles ambitions.La Repubblica650 000 ex., Italie,quotidien. Né en 1976, le titre se veut le journalde l’élite intellectuelle et financière du pays.Orienté à gauche, avec unesympathie affichée pour le Parti démocrate, il est

fortement critique vis-à-vis du président duConseil, Silvio Berlusconi.România Libera54 000 ex, Roumanie,quotidien. Journal desintellectuels et de la classemoyenne, “La Roumanielibre” adopte une lignelibérale et indépendante.Créé en 1877, favorable à l’opposition toutestendances confondues et par conséquent critiqueenvers le gouvernement, le titre est l’un des troisquotidiens les plus lus du pays.Sisa Journal 100 000 ex.,Corée du Sud,hebdomadaire. Le “Journalde l’actualité”,indépendant et centriste, a été lancé en 1989. Sonlectorat, surtout citadin et diplômé, apprécie la rigueur de ses analysesdes problèmes sociaux et de la vie politique du pays. Longtemps seulen tête des magazines sud-coréens, il a étérécemment rejoint par ses concurrents,Hankyoreh21 et WeeklyChosun.

The Sunday Telegraph669 750 ex., Royaume-Uni,quotidien. Créé en 1961, le titre est la versiondominicale du grandquotidien conservateurThe Daily Telegraph.Il propose plusieurssuppléments consacrés à la culture, aux voyages, à la vie des entreprises, à l’emploi, au sport et à la maison.TelQuel 20 000 ex.,Maroc, hebdomadaire.Fondé en 2001, ce newsmagazinefrancophone s’estrapidement distingué deses concurrents marocainsen faisant une large placeaux reportages et aux faitsde société. Se méfiant du dogmatisme, il délaissela politique politicienne et s’attaque à des sujetstabous tels que la sexualité.Le Temps, Tunisie,quotidien. Le titrefrancophone est édité par le groupe Dar Assabah.En plus des actualitéstunisiennes, il propose une sélection de la presseétrangère, notammentfrançaise.

The Washington Post700 000 ex., Etats-Unis,quotidien. Recherche de la vérité, indépendance : la publication des rapportssecrets du Pentagone surla guerre du Vietnam oules révélations sur l’affairedu Watergate ontdémontré que le Post vitselon certains principes.Un grand quotidien decentre droit.Webdo (webdo.tn),Tunisie. L’hebdomadaire

Tunis Hebdo, dont unepage est consacrée au web, est à l’origine de ce site. Toutefois,lancé en 2010, iln’appartient pas à TunisHebdo. Il estjuridiquement et financièrementindépendant avecl’autorisation d’utiliser le nom Webdo. Il couvrel’actualité politique,culturelle et économique.Die Welt 202 000 ex.,Allemagne, quotidien. “Le Monde”, porte-drapeau des éditionsSpringer, est une sorte deFigaro à l’allemande. Trèscomplet dans le domaineéconomique, il est aussi lu pour ses pagesconcernant le tourisme et l’immobilier.Yomiuri Shimbun10 300 000 ex. (éd. dumatin) et 4 100 000 ex.(éd. du soir au contenutrès différent), Japon,quotidien. Fondé en 1874,le titre est le premierquotidien japonais – etaussi le premier quotidienau monde. Ce succèss’explique, d’une part, par sa volonté d’être unjournal proche despréoccupations du publicet, d’autre part, par sapolitique commerciale.

Parmi les sourcesde la semaine

El Siglo de EuropaLancé en 1991 en tantqu’hebdo d’informationsgénérales “de qualité,mais vivant et nonélitiste”, El Siglo de Europa s’acquittetoujours de sa mission. Il a survécu dans le paysage dévasté

des hebdomadaires espagnols. Dirigé parJosé García Abad, qui est passé notammentpar le quotidien Diario 16, disparu en 2001,dont il fut l’un des fondateurs, El Siglo de Europa est indépendant et revendique une diffusion de 30 000 exemplaires parsemaine, sans être inscrit à l’OJD espagnol.Clairement situé à gauche, l’hebdomadaireaffiche un républicanisme rare dans le panorama de la presse espagnole. C’est d’ailleurs sur ce thème que nous le reprenons cette semaine. (Lire page 25, “Le roi est nu, vive la République”.)

Planète

presse

www.courrier

international.com

Courrier international n° 1108

Edité par Courrier international SA, société anonyme avecdirectoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €.Actionnaire Le Monde Publications internationales SA.Directoire Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication. Conseil de surveillance Louis Dreyfus, président. Dépôt légal janvier 2012 Commission paritaire n° 0712C82101. ISSN n° 1 154-516 X - Imprimé en France / Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02Site web www.courrierinternational.comCourriel [email protected] de la rédaction Philippe Thureau-DanginAssistante Dalila Bounekta (16 16)Rédacteurs en chef Eric Chol (16 98), Odile Conseil (web, 16 27)Rédacteurs en chef adjoints Isabelle Lauze (16 54), CatherineAndré (16 78), Raymond Clarinard (16 77), Jean-Hébert Armengaud(édition, 16 57). Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)Conception graphique Mark Porter AssociatesEurope Jean-Hébert Armengaud (coordination générale, 16 57), DanièleRenon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,16 22), Chloé Baker (Royaume-Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70),Lucie Geffroy (Italie, 16 86), Daniel Matias (Portugal, 16 34), IwonaOstapkowicz (Pologne, 16 74), Marie Béloeil (chef de rubrique France, 17 32), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer(Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas(Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède),0Mélodine Sommier (Finlande), Alexandre Lévy (Bulgarie, coordinationBalkans), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), MiroMiceski (Macédoine), Martina Bulakova (Rép. tchèque, Slovaquie), KikaCurovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau(Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, Est de l’Europe LaurenceHabay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), LarissaKotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service,Amérique du Nord, 16 14), Marc-Olivier Bherer (Canada, Etats-Unis, 16 95),Anne Proenza (Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie AgnèsGaudu et Franck Renaud (chefs de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39),Naïké Desquesnes (Asie du Sud, 16 51), François Gerles (Asie du Sud-Est),Ysana Takino (Japon, 16 38), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié(chef de service, 16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (16 35),Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), PierreVanrie (Turquie) Afrique Ousmane Ndiaye (chef de rubrique, 16 29),Hoda Saliby (Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Sophie Bouillon(Afrique du Sud) Economie Pascale Boyen (chef de service, 16 47)Sciences Anh Hoà Truong (chef de rubrique, 16 40) Médias MounaEl-Mokhtari (chef de rubrique, 17 36) Long courrier Isabelle Lauze (1654), Roman Schmidt (17 48) Insolites Claire Maupas (chef de rubrique,16 60) Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, 17 33),Mouna El-Mokhtari (rédactrice, 17 36), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Mathilde Melot (marketing), Paul Blondé (rédacteur, 16 65)

Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97)

Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint, 1677), NathalieAmargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon(anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), CarolineLee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), JulieMarcot (anglais, espagnol, portugais), Daniel Matias (portugais), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol),Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol), Leslie TalagaRévision Jean-Luc Majouret (16 42), Marianne Bonneau, PhilippeCzerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Philippe Planche,Emmanuel Tronquart (site Internet)

Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41),Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53)

Maquette Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia,Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet,Alexandre ErrichielloCartographie Thierry Gauthé (16 70)

Infographie Catherine Doutey (16 66)

Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon)

Informatique Denis Scudeller (16 84)

Fabrication Patrice Rochas (directeur), Nathalie Communeau (direc -trice adjointe) et Sarah Tréhin. Impression, brochage Maury, 45191Malesherbes. Routage France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg Ont participé à ce numéro Gilles Berton, Jean-Baptiste Bor,Isabelle Bryskier, Claire Charbit, Darya Clarinard, Sophie Courtois,Geneviève Deschamps, Bernadette Dremière, Audrey Ducher, NicolasFresneau, Nicolas Gallet, Catherine Guichard, Nathalie Kantt, AndréaKhoshkhou, Elodie Leplat, Miriam Manfrini, Ayla Maurel, CélineMerrien, Valentine Morizot, Albane Salzberg, Janine de Waard

Secrétaire général Paul Chaine (17 46). Assistantes : NatachaScheubel (16 52), Sophie Nézet (Partenariats, 16 99), Sophie Jan. GestionJulie Delpech de Frayssinet (responsable, 16 13), Nicolas Guillement.Comptabilité : 01 48 88 45 02. Responsable des droits Dalila Bounekta(16 16). Ventes au numéro Responsable publications : Brigitte Billiard.Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chef de produit :Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40). Diffusion internationale :Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22). Promotion : Christiane MontilletMarketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91).

Publicité M Publicité, 80 boulevard Blanqui, 75013 Paris, tél. : 0140 39 13 13. Directrice générale : Corinne Mrejen. Directrice déléguée :Brune Le Gall. Directeur de la publicité : Alexandre Scher([email protected], 13 97). Directrice de clientèle : SandrineLarairie ([email protected], 13 47), Kenza Merzoug ([email protected], 13 46), Hedwige Thaler ([email protected], 1407).Littérature : Béatrice Truskolaski ([email protected], 13 80).Régions : Eric Langevin ([email protected], 14 09).Annoncesclassées : Cyril Gardère ([email protected], 13 03). Exécution :Géraldine Doyotte (01 57 28 39 93) Site Internet Alexandre deMontmarin ([email protected], 01 53 38 46 58).

Modifications de services ventes au numéro, réassortsParis 0805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146

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Courrier international, USPS number 013-465, is published weekly 49 timesper year (triple issue in Aug, double issue in Dec), by Courrier InternationalSA c/o USACAN Media Dist. Srv. Corp. at 26 Power Dam Way Suite S1-S3,Plattsburgh, NY 12901. Periodicals Postage paid at Plattsburgh, NY and atadditional mailing Offices. POSTMASTER : Send address changes to CourrierInternational c/o Express Mag, P.O. box 2769, Plattsburgh, NY 12901-0239.

Ce numéro comporte un encart Abonnement broché sur lesexemplaires kiosque France métropolitaine, un encart Expolanguesjeté sur les exemplaires abonnés Paris Ile-de-France et un encartBooks jeté sur les exemplaires abonnés France métropolitaine.

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l’ordre du jour officiel (l’emploi). � Grève générale en Belgique contre la politiqued’austérité.

1er février Pour tenter de réduire les bouchons, Hanoi impose des horaires de circulation aux élèves et étudiants, ainsi qu’auxemployés des administrations.� La présidente du Brésil DilmaRousseff en visite à Haïti. Alors que le Brésil a régularisé2 400 Haïtiens sans papiers,l’immigration est au menu.

28 janvier Ouverture du Marché international de lamusique (Midem) à Cannes.

29 janvier Fin du Foruméconomique mondial de Davos, consacré à “la grande transformation”.

30 janvier Sommet informeldes chefs d’Etat et degouvernement de l’Unioneuropéenne à Bruxelles.Le projet de traité visant à renforcer la disciplinebudgétaire devrait éclipser

26 janvier Festivalinternational de BDd’Angoulême, jusqu’au 29. Avec une exposition consacréeau président du jury, Art Spiegelman, le créateur de Maus. � Nicolas Sarkozyreçoit Alassane Ouattara,président ivoirien à l’Elysée ; il accueillera le lendemain ledirigeant afghan Hamid Karzaï.

27 janvier Journée de la mémoire de l’Holocauste, quimarque le jour de la libérationdu camp d’Auschwitz.

28 janvier Première conférencenationale du Parti communiste cubain,annoncée comme “exceptionnelle”. Elle doit plancher sur le “changement de mentalité”, la limitation à deux

mandats de cinq ans des dirigeantsou encore l’adaptation aux

nouvelles technologies. Objectif : l’adaptation du parti à son époque. Des réformes

“cosmétiques”, selon un opposant.

Agenda

Contestation “Marre de l’industrie agroalimentaire, nous voulons des fermes” : plus 23 000 manifestants ont défiléà Berlin le 21 janvier, jour de l’inauguration de la Semaine verte, selon la Süddeutsche Zeitung. Ce salon de l’Agriculture devrait attirer 400 000 visiteurs d’ici au 29 janvier.

déjà adoptée par l’Assemblée nationale.“Il a massacré la démocratie”, lance à la une le quotidien Hürriyet, avec unephoto de Nicolas Sarkozy. Le Premierministre Recep Erdogan a menacé Parisde “perdre un partenaire stratégique”,rapporte le quotidien Zaman, tandisque l’Arménie louait une “initiativehistorique qui contribuera à prévenird’autres crimes contre l’humanité”. Le texte de loi sanctionne d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende la négation de tous les génocidesreconnus par la France.

Inde

Salman Rushdie, éternel indésirableInformé par New Delhi d’une possible menace terroriste, l’écrivainbritannique d’origine indienne Salman Rushdie a dû annuler sa venueau festival indien de littérature deJaipur (Rajasthan), du 20 au 24 janvier.“Une honte nationale” pour le quotidienThe Hindu, qui révèle que la menacea été inventée par les autorités locales,apparemment incapables de faire face à des groupes musulmans hostilesà l’auteur. “Une lâcheté bien pratique”,s’exclame le magazine Open : plutôtque de défendre la liberté d’expression,New Delhi préfère apaiser son électoratmusulman, avant d’importantesélections régionales en février. Au début du mois, l’école coranique

indienne Uloom Deobandavait demandél’annulation du visa del’écrivain, auquel ellereproche ses Versetssataniques, publiéen 1988 et toujours

interdit en Inde.

validées d’office, trois candidats ont dûréunir 2 millions de signatures. Il s’agitde Grigori Iavkinski (parti démocratiqueIabloko), Dmitri Mezentsev (gouverneurde la région d’Irkoutsk) et du milliardaireMikhaïl Prokhorov (opposition). Pour les manifestants de décembre qui contestaient le résultat des électionslégislatives, l’enjeu, selon Moskovskiénovosti, est de définir une consigne de vote pour un candidat susceptibled’obtenir un second tour face à Vladimir Poutine.

Turquie

Haro sur la FranceLa presse turque s’estdéchaînée après le votepar le Sénat français, le 23 janvier, de la proposition de loi pénalisant la négation dugénocide arménien

Plusieurs cinéastes se sont opposés àcette décision, notamment le réalisateurAsghar Farhadi – récompensé aux GoldenGlobes pour son film Une séparation. La polémique s’est amplifiée après la diffusion sur le web d’une vidéo danslaquelle l’actrice iranienne GolshiftehFarahani dévoile sa poitrine. Les autoritésont déclaré que ce geste “montre la facecachée et dégoûtante du cinéma”, selonl’agence de presse Fars, proche du régime. Bannie par la Républiqueislamique, Golshifteh Farahani vit enFrance et ne peut plus retourner en Iran.

Russie

Quels candidats face à Poutine ?La campagne pour la présidentielle du 4 mars a débuté dès la clôture du dépôt des candidatures le 18 janvier.Outre les leaders des quatre partissiégeant à la Douma – Vladimir Poutine,Guennadi Ziouganov, Vladimir Jirinovskiet Sergueï Mironov – aux candidatures

A suivre

Internet

La World Web War est déclaréeLes hackers du collectif Anonymousripostent à la fermeture du sited’hébergement de fichiers Megauploadpar le FBI américain, le 17 janvier.Multipliant les attaques de déni de service, ils rendent momentanémentindisponibles les sites web d’institutions.Les “victimes” se comptent par dizaines,dans plusieurs pays, comme la RecordingIndustry Association of America, le FBI,les ministères américain et français de la Justice, l’Elysée, etc. Le fondateurdu site Megaupload, connu sous le pseudonyme de Kim Dotcom, arrêtéen Nouvelle-Zélande, a nié toute activitéillégale et demandé sa libération souscaution, rapporte le quotidien The Washington Examiner.Anonymous a promis d’intensifier ses attaques si ses revendications, parmilesquelles la remise en ligne de Megaupload, ne sont pas entendues.

Iran

Péril sur le cinémaLes autorités iraniennes sont sur tous les fronts. Elles ont réagi à l’embargopétrolier imposé par l’Europe lundi23 janvier (voir CI n° 1106, du 12 au 18 janvier) en en minimisant la portée.Pendant ce temps, Téhéran cherche à étouffer le cinéma indépendant. Le ministre de la Culture et de l’Orientation islamique, MohammadHosseini, a ordonné à la mi-janvier la fermeture de la Maison du cinéma.

6 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

Allemagne

Cuba

Réformes au programme

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Les gens

Ahn Cheol-soo

Faiseur de roisSisa Journal Séoul

L’homme a une indéniable présence,et cette qualité a suffi pourprovoquer un véritable séisme dans les milieux politiques où aucun politicien ne jouitaujourd’hui de la même popularité

qu’Ahn Cheol-soo alors qu’il n’est même pasissu du sérail. Les Sud-Coréens suivent de prèstout ce qu’Ahn Cheol-soo dit et tout ce qu’ilfait. En l’espace de quelques mois, il est devenule meilleur candidat potentiel à la prochaineprésidentielle [en décembre 2012]. Il est au centre de l’effervescence qui monte au sein de la société sud-coréenne depuis la mi-2011.Aujourd’hui directeur de la faculté des scienceset des technologies de l’université nationale de Séoul, cet ancien médecin et chefd’entreprise âgé de 49 ans a été désigné comme“homme de l’année 2011” par les journalistes et les lecteurs de Sisa Journal. Son influence ne fera probablement que croître au cours de l’année 2012. Le “syndrome Ahn Cheol-soo”traduit avant tout les difficultés de la sociétésud-coréenne : chômage des jeunes, absence de communication, compétition exacerbée,fossé de plus en plus profont entre riches et pauvres, conflit idéologique, méfiance àl’égard des milieux politiques… Ahn a littéralement enflammé la population, qui désespérait de voirapparaître un jour quelqu’un qui prennela situation en main.

L’espoir qu’elle place en lui s’est transformé envéritable ferveur lors de la campagne électoralepour la mairie de Séoul en octobre dernier :alors qu’on lui prédisait plus de 50 %des voix, il a renoncé à se présenter au profit de Park Won-soon – candidatindépendant très engagé dans l’actionsociale mais peu connu du public –, qui nepouvait compter que sur 5 % d’intentions de vote et qui a triomphé grâce à ce soutien. La popularité d’Ahn Cheol-soo ne date pas d’hier. Cela fait déjà longtemps que gouvernement et opposition le courtisentpour diverses raisons, dont la principale est qu’il est très apprécié par les jeunes qui lui témoignent une grande confiance.Ils le considèrent comme leur mentor, le citant comme modèle d’hommed’affaires depuis l’époque où il dirigeait son entreprise[fabriquant des logiciels antivirus]. Ahn Cheol-soo a fait le tour du pays

Ce “PDG gentil”, homme de l’année 2011, reste enretrait de l’arène politique

� Ahn Cheol-soo.Dessin de Bertrams(Amsterdam) pour Courrierinternational.

8 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

Ils et elles ont ditMichal Boni, ministre de l’Administration et de laNumérisationpolonais� Coincé“J’ai commel’impression qu’iln’y a pas eu de consultations. Je le regrette.” Le gouvernementpolonais voulait signer Acta, l’Accord commercialanticontrefaçon, sans en informerl’opinion publique. Pour protester, leshackers d’Anonymous ont détournéle site web du gouvernement polonais en y décrétant un “état de guerre” sur Internet. (TVN24, Varsovie)

Farid Al Dib, avocat de Hosni Moubarak� Poète“Vous êtes un aigle blessé. Le chef des aigles égyptiensdurant la guerre contre Israël.Vous avez affronté la mort et Dieu vous a sauvé pour que vouspoursuiviez votre djihad.” Extrait de son plaidoyer au procès de son client, qui se tient au Caire.“Vous êtes toujours le président de l’Egypte”, a-t-il assuré à l’ancienchef de l’Etat destitué par la révolution de la place Tahrir. (Elaph, Londres)

Vladimir Poutine, Premier ministre de Russie� Fair-play“Moi, je ne vous en veux pas quand vous me couvrez demerde”, a-t-il lancé à AlexeïVenediktov, rédacteur en chef de radio russe indépendante Echo de Moscou, lors d’une rencontreavec les grands médias russes.(RBK Daily, Moscou)

Jimmy Carter, ancien président des Etats-Unis� DécontractéEt si l’Iran avait sa première bombeatomique ? “Bon, d’accord, les leaders religieux iraniens ontjuré sur l’honneur qu’ils n’allaient

pas la fabriquer. S’ils mentent, je ne vois pas celacomme unecatastrophemajeure, parcequ’ils n’auront

que deux ou troisobus. Israël

en a probablementenviron 300.”

(Time, New York)

Sam Odio, nouveau millionnaire de la Silicon Valley� Gâté“Ils savent s’y prendre avec les geeks.” Goldman Sachs lui a offert des billets pour l’avant-première du dernier Harry Potter, en guise d’incitation à confier la gestion de sa fortune personnelle à la banque.(International Herald Tribune, Paris)

Leonard Cohen, chanteur, compositeur et poète canadien (78 ans)� Novice“Je ne comprends pas à quoicorrespond la réincarnation”,avoue cet ancien moine bouddhiste,“mais si cela existe, j’aimerais meréincarner en chien de ma fille.”(The Guardian, Londres)PH

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en organisant des débats avec la jeunegénération. Il s’est montré attentif à ses griefs et l’a réconfortée par ses conseils. Cette expérience de contact direct le servira s’il se lance un jour en politique. La populationest assoiffée de changements, tant elle est déçuepar le pouvoir qui n’a pas réussi à rendre la société plus juste ni plus compétitive. La majorité des Sud-Coréens pensent que leurvie est loin d’être meilleure qu’avant. “M. Ahn se fait remarquer par sa différence avec le président Lee Myung-bak [conservateur, élu endécembre 2007]”, explique Sin Yul, professeur de l’université Myong-ji [à Séoul]. Tous les deuxincarnent en effet des modèles opposés du chefd’entreprise : le président Lee représente “le PDG méchant” qui ne pense qu’au profit,M. Ahn “un PDG gentil”, préoccupé par le partage. Ce dernier a déclaré faire don à la société sud-coréenne de la moitié de ses actions du centre de recherche qui porteson nom , d’une valeur estimée à quelque250 milliards de wons [environ 170 millionsd’euros]. Quel rôle jouera-t-il à l’approche de l’élection présidentielle ? S’il ne s’est pas prononcé sur son éventuellecandidature, il a catégoriquement exclu les possibilités de créer un parti politique ou de se présenter aux législatives [d’avrilprochain]. Si l’idée persiste qu’il est le seulcapable de battre Park Geun-hye [présidente du Grand Parti national, celui de l’actuelprésident, qui bénéficie de l’aura de son père, l’ancien président Park Chung-hee], il sera probablement sollicité par tous les camps. An Song-mo

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Controverse

NonIl faut croire et encourager l’ancien général, instigateur des réformes.

The Irrawaddy Chiangmai (Thaïlande)

Certes, le président Thein Sein est un ex-général et un desanciens hauts dirigeants de la junte. Certes, son gouverne-ment prétendument civil a été formé à l’issue des électionstruquées de 2010. Beaucoup doutent en conséquence de savolonté à mettre en œuvre de véritables réformes. PourtantAung San Suu Kyi et d’autres le décrivent comme un homme

honnête et sincère, et la libération de prisonniers politiques apporte lapreuve on ne peut plus flagrante que jusqu’ici il a tenu ses promesses. Et cen’est pas une mince affaire quand au sein de son gouvernement figurentdes tenants d’une ligne dure qui, eux, souhaitent freiner des quatre fers.

La libération [de prisonniers politiques] n’est pas le premier gesteaudacieux à mettre au crédit du président Thein Sein. Ko Ko Hlaing, quia servi dans l’armée sous ses ordres et qui est aujourd’hui son principalconseiller politique, nous a confié que, “sous une apparente douceur, TheinSein est un homme d’une grande détermination. Après mûre réflexion, il prendses décisions et s’y tient.”

L’heure est donc venue d’aller de l’avant. Pour la première fois depuisdes décennies, il semble que le peuple ait un dirigeant avec lequel il peutœuvrer dans ce sens et qui est lui-même prêt à œuvrer de concert aveclui. La prochaine grande étape vers la réconciliation nationale sera l’ins-tauration d’une paix durable avec les minorités ethniques en armes. Le12 janvier, le gouvernement a avancé sur cette voie en signant un accordde cessez-le-feu avec l’Union nationale karen (KNU) [en lutte contre lepouvoir central depuis 1948]. Ne cédons pas à la passivité. Au contraire,engageons-nous avec vigueur et encourageons le président et son gou-vernement à aller encore plus loin et à faire en sorte que les réformesdeviennent irréversibles.

Le pays n’a peut-être pas su voir dans la libération d’Aung San Suu Kyi[le 13 novembre 2010, au lendemain des élections] un “moment Mandela”.Pourtant, depuis l’arrivée au pouvoir de Thein Sein, le président et la “damede Rangoon” ont permis au pays de connaître une année exceptionnelle.Souhaitons désormais que 2012 soit marqué par d’autres changements decette envergure et des réformes encore plus profondes en direction de ladémocratie et de l’Etat de droit. N’oublions cependant pas que la détentionde prisonniers politiques et les combats dans les zones ethniques n’auraienttout simplement jamais dû avoir lieu. La libération de tous les prisonnierset la cessation des hostilités ne constituent au bout du compte qu’un retourà la case départ. Mais, pour une fois, le gouvernement birman – tout au moinsune partie – et le peuple se présenteront ensemble sur cette case départ. �

OuiAvec l’ouverture, le gouvernement birman cherche surtout àamadouer l’Occident. Avec pour seul objectif de s’assurerles dividendes des investissements étrangers à venir.

Democratic Voice of Burma (extraits) Oslo

La signature d’un cessez-le-feu avec la rébellion karen et la libé-ration de 300 prisonniers politiques ont mis sérieusement à malle cynisme de nombre d’observateurs qui doutent des réellesintentions du gouvernement birman. Rares sont ceux qui auraientpu prévoir ce qui s’est déroulé le jeudi 12 et le vendredi 13 janvier– peut-être la fin de la guerre civile la plus longue du monde et le

spectacle de centaines d’icônes politiques révérées de retour chez elles aprèsdes années passées derrière les barreaux. C’étaient là deux exigences

essentielles de l’Occident qui, en conséquence, est en passe de réviser sonattitude vis-à-vis du pays.

Pendant des décennies, le régime a semblé faire un pas en avant puisdeux en arrière. Il donne désormais l’impression que son programme deréformes est sincère. Cela dit, le chemin est encore long et il est nécessairede se mettre au travail sans attendre. Le fort battage autour de l’amnistiene doit pas cacher qu’il ne s’agit que d’un acte symbolique qui ne signifiepas grand-chose tant que le gouvernement n’a pas véritablement traduitdans les faits son discours, si séduisant soit-il.

On serait en effet bien avisé de tempérer l’enthousiasme ambiant, enparticulier compte tenu du fait que si le calibre des personnes amnistiéestémoigne d’une apparente audace de la part du gouvernement, moins de300 prisonniers politiques ont été libérés – ce qui en laisse plus d’un mil-lier encore dans les geôles. La prudence s’impose également vis-à-vis ducessez-le-feu signé avec l’Union nationale karen (KNU).

L’Occident est désormais sur le point de se ruer sur le pays. Le pouvoirbirman a, en apparence tout du moins, fait un pas pour satisfaire les exi-gences prioritaires des Etats-Unis et de l’Union européenne. En avril estprévu un réexamen des sanctions économiques imposées par l’Europe. Lorsdes quatre derniers mois, le Fonds monétaire international a, quant à lui,dépêché deux équipes dans le pays pour l’aider à “redresser” son économiemal en point. Gabriele Köhler, économiste spécialiste du développement,avertit toutefois dans The Guardian que ces réformes risquent de faire dela Birmanie le nouveau terrain de chasse des néolibéraux décidés à pousserle pays entre les griffes de l’Occident. “L’Histoire montre encore et encore queles mouvements populaires luttant pour les libertés individuelles, la démocratie etles droits de l’homme sont souvent détournés par une tendance visant à introduirele capitalisme néolibéral ou à ouvrir le pays aux investisseurs étrangers.”

Une mise en garde qui ne manquera pas de rencontrer un certain échodans l’Etat karen, où deux jours après la signature du cessez-le-feu, un satel-lite américain a annoncé la découverte d’un gisement d’or, le plus impor-tant du pays, précisément dans les zones que les combattants karenspourraient quitter dans les mois à venir. Cette découverte éclaire d’unelumière cynique mais instructive le cessez-le-feu ainsi que les guerres encours dans le nord [en particulier dans l’Etat kachin, frontalier de la Chine] :le gouvernement s’ingénie à préparer ces régions riches en ressources pourles investisseurs qui accourront une fois que les réformes “politiques” aurontconvaincu les Etats-Unis et l’Europe de lever leurs sanctions.

Ces facteurs et d’autres – par exemple, Aung San Suu Kyi pourra-t-elleréellement peser dans un Parlement dominé par l’armée ? –, de même quela “course à la Birmanie” qui a lieu, jettent un sérieux doute sur l’avenir dupays. Le paysage birman a certes changé radicalement et un espoir pointe.Mais les défis à venir sont désormais plus complexes et divers. Le mouve-ment pour la démocratie devra s’adapter. Son combat est loin d’être achevé.Il devra le poursuivre pour traquer les violations, par l’Etat, des droits quel’on peut légitimement attendre de toute démocratie et que des liens plusétroits avec l’Occident contribueront à éclipser. Francis Wade

ContexteEn libérant300 prisonnierspolitiques le 13 janvieret en signant, la veille,un cessez-le-feu avecla rébellion karen, le gouvernementbirman a donné un nouveau gage – de taille – de sa détermination àpoursuivre l’ouvertureet les réformes.Conséquence : les Etats-Unis commel’Europe sont à deuxdoigts de leverpartiellement leurssanctions (l’Europes’est ainsi accordée le 23 janvier sur lalevée des restrictionsde visas pour lesdirigeants birmans) et de normaliser leursrelations avec l’Etatparia voilà peu.L’opposante historiqueAung San Suu Kyi,officiellementcandidate auxélections partielles du 1er avril prochain,est la première à louer la sincérité duprésident, l’ex-généralThein Sein. Une position épouséepar les exilés du webzine The Irrawaddy. Son confrère en dissidence,Democratic Voice ofBurma, continue en revanche à douterdes véritables desseinsdu pouvoir.

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 9

La “perestroïka” birmane, simple poudre aux yeux ?

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En couverture 10 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

Electionsaméricaines

� Il y a peu, on tenait Mitt Romney pour le grandfavori à l’investiture républicaine, le seul capablede battre Obama en novembre. � C’étaitoublier les divisions du Parti républicain. Lavictoire de Newt Gingrich le 21 janvier enCaroline du Sud relance la bataille au seinde la droite américaine. A la grandesatisfaction du camp démocrate.

Qui peut battre Obama ?

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La victoire surprise de Newt Gingrichen Caroline du Sud relance la courseà l’investiture républicaine. Son rival, Mitt Romney, devra batailler pour l’emporter.

National Journal (extraits) Washington

En remportant le 21 janvier la pri-maire de Caroline du Sud face aufavori, Mitt Romney, Newt Gin-grich est revenu dans la course àl’investiture républicaine de ma -nière spectaculaire. Cette victoire

surprise plonge le Parti républicain dans une dou-loureuse et potentiellement longue période d’in-trospection : lequel de ces deux hommes est-il enmesure de battre Barack Obama ?

Humilié et fragilisé, Mitt Romney reste lefavori et le candidat a priori le mieux placé pourbattre le président sortant. Il n’a néanmoinsremporté pour l’instant qu’une seule primaire,celle du New Hampshire, et ne fait plus si bellefigure. La polémique autour de sa feuille d’im-pôt et ses commentaires peu inspirés sur safortune jouent en faveur des démocrates, quis’efforcent de le présenter comme un opportu-niste calculateur et sans convictions, prêt à toutpour se faire élire.

De son côté, Newt Gingrich est un égocen-trique invétéré qui n’hésite pas à se comparer àdes personnages historiques comme AbrahamLincoln, Charles de Gaulle, le duc de Welling-ton, Margaret Thatcher ou Ronald Reagan.La liste est longue et pourrait bientôt inclureJésus, vu le nombre de résurrections politiquespar lesquelles il est passé depuis le début dela campagne.

Une campagne incendiaireAbandonné par son équipe au printemps 2011 etécarté par l’establishment républicain dans l’Iowa,Gingrich a un parcours qui témoigne aujourd’huitant de sa résistance que de sa volatilité. Ses plusproches collaborateurs lorsqu’il était présidentde la Chambre des représentants [de 1995 à 1999]se souviennent de lui comme d’un théoricienbrillant, mais aussi comme d’un leader totalementimprévisible. Beaucoup d’entre eux sont aujour-d’hui hostiles à sa candidature. L’ex-sénateur dePennsylvanie, également candidat à l’investiturerépublicaine, Rick Santorum, qui considère Gin-grich comme un de ses mentors, a mis le doigtsur la raison pour laquelle la majorité de l’esta-blishment républicain n’imagine pas Gingrichcandidat, et encore moins président. “Newt est unami et je l’adore”, a-t-il déclaré juste avant la pri-maire de Caroline du Sud. “Mais il donne parfoisl’impression qu’il va tout simplement exploser. On nepeut pas se permettre d’avoir un candidat comme ça.”

Dès lors, comment s’étonner de voir les diri-geants républicains à Washington et dans toutle pays envisager des scénarios auparavantinimaginables ?

La première de ces hypothèses prévoit ledésistement de Rick Santorum et la marginalisa-tion de Ron Paul au profit de Mitt Romney et deNewt Gingrich. Tournant au duel, la course à l’in-vestiture républicaine pourrait se conclure de

deux manières : rapidement, si Romney l’emportelargement lors de la prochaine primaire, qui setiendra en Floride le 31 janvier, ou après unelongue agonie, si Gingrich s’impose (ou s’inclinede justesse) en Floride.

Quel que soit le scénario, c’est Romney quigagne. La plupart des stratèges républicains luidonnent 80 % de chances de l’emporter.

Autre possibilité, bien qu’improbable : Gin-grich décroche l’investiture républicaine aprèsune campagne incendiaire défiant toutes lesconventions. N’oublions pas que le Parti républi-cain, comme la politique américaine en général, ararement été aussi peu soucieux des conventionsqu’aujourd’hui. Si l’ex-candidat Herman Cain apu transformer la tournée promotionnelle de l’unde ses livres en campagne présidentielle depremier plan, si l’homme d’affaires new-yorkaisDonald Trump a pu faire une percée dans les son-dages avant de renoncer à se présenter et siSarah Palin a longtemps fait figure de candidatesérieuse, comment pourrait-on écarter Newt Gin-grich, un homme à l’ambition dévorante ?

Zone de turbulencesEnfin, dernier scénario possible, tout aussiimprobable : les républicains ne désignent niGingrich ni Romney. S’il est vraisemblablementtrop tard pour voir un outsider entrer dans lacourse, les responsables républicains commen-cent à parler de manière informelle d’un accordnégocié pour la désignation de Jeb Bush [anciengouverneur de Floride, frère de George Jr.], deMitch Daniels [gouverneur de l’Indiana depuis2005] ou de tout autre poids lourd du parti quin’aurait pas participé aux primaires.

Interrogés sur cette éventualité, plusieursresponsables républicains ne lui donnent que10 % de chances, même s’ils y seraient plutôtfavorables.

Le retour de Gingrich n’en reste pas moinsremarquable. Il y a deux semaines encore, ilsemblait condamné alors que Romney avait étédéclaré vainqueur du caucus de l’Iowa, avaitremporté la primaire du New Hampshire etavait plus de dix points d’avance dans les son-dages en Caroline du Sud. C’est alors que tout

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 11

Trois scénarios pour une âpre bataille

Cafouillageélectoral dans l’Iowa

C’est finalement RickSantorum, anciensénateur dePennsylvanie, qui aremporté le caucusrépublicain de l’Iowale 3 janvier devant Mitt Romney, pourtantproclamé vainqueur le soir du vote. Le nouveau résultat de l’Iowa, certifié parle Parti républicain,montre que Santoruma devancé Romney de 34 voix, mais les résultats de 8 des1 774 circonscriptionsde l’Etat restentintrouvables. Le dépouillement final, rendu public le 19 janvier, a tout de même accordé la victoire à RickSantorum avec 29 839 voixcontre 29 805 voixpour Mitt Romney.

a commencé à dérailler : après recomptage,Rick  Santorum a été désigné vainqueur del’Iowa ; le gouverneur du Texas, Rick Perry, ajeté l’éponge et s’est désisté en faveur de Gin-grich, et Romney est entré dans une zone deturbulences après que les médias ont révéléqu’il possédait des millions de dollars sur uncompte aux îles Caïmans et considérait que ses300 000 dollars de cachet de conférencier nereprésentaient “pas beaucoup d’argent”.

Au lieu d’être le premier candidat à avoirremporté les trois premiers scrutins, Romneyn’a finalement remporté qu’un Etat sur trois.C’est la première fois dans l’histoire du Partirépublicain que trois candidats à l’investitureremportent chacun un scrutin.

La suite du calendrier des primaires resteplutôt favorable à l’ancien gouverneur du Mas-sachusetts, qui est en bien meilleure positionque Gingrich pour rassembler les 1 144 délé-gués nécessaires pour être désigné candidatdu parti lors de la convention nationale qui setiendra à Tampa Bay, en Floride, du 27 au30 août prochain.

Contrairement à Gingrich, Romney a uneexpérience des responsabilités dans le secteurprivé. Jouissant d’une réputation d’hommemodéré, il a relativement bien réussi tant dansles affaires qu’en tant que gouverneur du Mas-sachusetts. Conclusion, l’équipe de campagnede Barack Obama considère Romney comme lavéritable menace et croise les doigts pour lireprochainement en une des journaux : “Newt Gin-grich, candidat républicain à la présidentielle”.Ron Fournier

Si Barack Obama a annoncédès le mois d’avril 2011 qu’ilbriguait un second mandat,son rival républicain ne seradésigné qu’au terme d’unlong processus. Les électeursdoivent en effet se prononcer Etat par Etat lors d’élections primairesclassiques ou de caucus.Particularité du systèmeaméricain, ces caucus sontdes assemblées populaireslocales où le vote se fait la plupart du temps à mainlevée. C’est le cas du caucusde l’Iowa, qui a ouvert

la saison des primaires le 3 janvier. Les prochainsscrutins prévus au calendrierrépublicain sont la primairede Floride le 31 janvier, les caucus du Maine et duNevada le 2 février, et surtoutle Super Tuesday [SuperMardi] le 6 mars, où desprimaires se déroulerontsimultanément dans 11 Etats.Dans certains Etats, le candidat arrivé en tête duscrutin récolte le vote de tousles délégués ; d’autres Etatsrépartissent leurs délégués à la proportionnelle. Sera

finalement retenu commecandidat du parti celui quirecueillera la majorité desvoix de ces grands électeurs.Ce candidat sera investi au cours de la Conventionnationale républicaine,prévue du 27 au 30 août à Tampa Bay, en Floride.Côté démocrate, le présidentBarack Obama étant seul en lice, des caucus et desprimaires sont tout de mêmeorganisés, ces scrutinsservant de répétition généraleavant la présidentielle du 6 novembre 2012.

Calendrier

Primaires républicaines, mode d’emploi

� Mitt Romney et Newt Gingrichavant un débat le 19 janvier à Charleston, en Caroline du Sud.M

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AFP

Le New York Magazinea choisi de mettre MittRomney, Barack Obama et Newt Gingrich en couverture de sonnuméro du 23 janvier. Pour l’hebdomadaire new-yorkais, la campagne de 2012promet d’être la plus“sanglante”.

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En couverture Qui peut battre Obama ?12 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

Connaissez-vous les super-PAC, ces comités d’action politique d’un nouveau genre ? Ils peuventrecevoir des dons sans limites…

Financial Times (extraits) Londres

P as de doute, Rick Santorum est leplus présidentiable des candidatsrépublicains : “Il est jeune et dyna-mique. Il commence la journée en fai-sant 50  pompes. C’est le genred’énergie dont le parti républicain a

besoin en ce moment”, souligne Foster Friess, mil-liardaire et gestionnaire d’un fonds commun deplacement dans le Wyoming, qui n’hésite pas àjoindre le geste à la parole – M. Friess a d’ores etdéjà signé un énorme chèque pour le Red, Whiteand Blue Fund, le super-PAC [comité d’actionpolitique] qui soutient Rick Santorum, anciensénateur de Pennsylvanie, très conservateur surles questions sociales et farouchement opposé àl’avortement, à la contraception et au mariagehomosexuel. “Mes dons dépasseront certainementle million de dollars”, affirme M. Friess.

Il fait partie de ce petit groupe de milliardairesqui jouent, cette année, un rôle démesuré dans lacourse à l’investiture républicaine en donnantd’importantes sommes d’argent aux super-PAC.Ces comités d’action politique d’un nouveaugenre sont apparus en 2010 à la faveur d’une déci-sion de la Cour suprême. Alors que la participa-tion du citoyen lambda au financement de la viepolitique est plafonnée à 2 500 dollars par candi-dat, elle ne connaît aucune limite en ce quiconcerne les super-PAC, qui ne doivent pas avoirde lien direct avec les candidats.

Sheldon Adelson, un magnat des casinos deLas Vegas, a donné la semaine dernière 5 millionsde dollars au groupe Winning Our Future, quisoutient la candidature de Newt Gingrinch. Celalui a permis de faire déferler une vague de spots

télévisés critiquant le favori, Mitt Romney, justeavant la primaire de Caroline du Sud du 21 jan-vier. Jon Huntsman Sr, un milliardaire du secteurde la chimie, a quant à lui choisi d’aider l’anciengouverneur de l’Utah qui n’est autre que son fils,Jon Huntsman Jr, lequel a finalement décidé dejeter l’éponge le 16 janvier.

Toute cette activité modifie la course à l’in-vestiture – et pas dans le bon sens, à en croire lesexperts. “On se demande si ces milliardaires ne vontpas chercher à tirer parti de tout cela”, expliqueAnthony Corrado, professeur au Colby College.“Il est certain que si leur candidat favori gagne, cesgénéreux donateurs en bénéficieront par le biais depolitiques qu’ils jugent importantes.”

Par le passé, la défiance concernait les bund-lers, ces super-collecteurs de fonds qui levaientd’importantes sommes d’argent pour les candi-dats, et qui étaient récompensés par des postesd’ambassadeurs ou autres. Mais aujourd’hui, lesbailleurs de fonds n’ont même plus à organiserdes collectes. Ils n’ont qu’à signer un chèque.

“Cela va créer une compétition entre les milliar-daires, qui vont chercher à montrer combien ils sont

Les milliardaires s’invitent dans la campagneimportants, analyse M. Corrado. C’est inquiétantcar ce sont eux qui vont jouer un rôle prépondérantdans la course à la présidentielle.” Pourtant, FosterFriess insiste : il n’attend rien en échange de sescontributions. “Pour moi, il s’agit simplement d’unepreuve d’amour pour mon pays”, affirme le milliar-daire qui depuis un bon moment soutient acti-vement des principes chers au mouvementultraconservateur Tea Party .

“En selle, avec nous, pour défendre les principesdes Pères fondateurs : la libre entreprise, les limitesconstitutionnelles au gouvernement, la responsabilitébudgétaire et les valeurs américaines traditionnelles”,clame son site Internet, qui le présente, le Stet-son sur la tête, monté sur un cheval blanc. Le mil-liardaire se rend régulièrement dans le Coloradoaux réunions privées organisées par les frèresKoch, des magnats de l’industrie, identifiéscomme les principaux bailleurs de fonds du TeaParty. Là, ils élaborent des stratégies pour faireavancer les causes ultraconservatrices. M. Friessaurait donné au moins 1 million de dollars à descauses soutenues par les frères Koch.

Les super-PAC sont également critiqués parcequ’ils font traîner en longueur la course à l’in-vestiture républicaine. De fait, par le passé, NewtGingrich et Rick Santorum auraient probable-ment déjà dû jeter l’éponge par manque de fonds.Mais Foster Friess affirme qu’une bataille pluslongue ne fait qu’aider le candidat gagnant à serenforcer, à l’instar de Barack Obama, qui avaitsubi un examen complet avant de battre sa rivale,Hillary Clinton, lors des primaires démocrates de2008. “Les candidats se bonifient en passant par ceprocessus”, affirme-t-il.

Les électeurs, eux, vont devoir s’habituer àl’implication des super-PAC, souligne MichaelToner, ex-président de la Commission électoralefédérale. “Les super-PAC s’institutionnalisent de plusen plus, et ils sont là pour rester, dit-il. Je frissonnedéjà à l’idée du nombre de spots de campagne finan-cés par les super-PAC que nous allons voir à la télé-vision en septembre et en octobre.” Anna Fifield

A la une

C’est tout en finesseque l’hebdomadaireThe New Yorkera choisi d’illustrer, à la mi-janvier, la guerre fratricide que se livrent lescandidats républicains.

Millionnaires l’un et l’autre, les deux candidats républicainssoignent leur image d’outsiders proches du peuple.

Dans un discours célébrant sa victoiredu 21 janvier à la primaire républicaine de Caroline du Sud, Newt Gingrich s’enest pris violemment aux “élites deWashington et de New York” qui, a-t-ildit, “ne comprennent pas [le peuple], nes’en préoccupent pas, ne sont pas dignesde confiance” et visent à ce que“lesAméricains renoncent à être desAméricains”. Il n’y a rien de nouveau ni de particulièrement original dans le faitde voir un candidat chercher à sedistancier ainsi de l’establishment de la côte Est. Mais il est assez savoureuxde voir Newt Gingrich tenter de sepositionner en outsider.

Newt Gringrich a accompli dix mandatsau Congrès de Washington [il futreprésentant de la Géorgie de 1979 à1999] et été président de la Chambredes représentants de 1995 à 1999, soit à deux doigts de la présidence [le postede président de la Chambre desreprésentants vient en troisième lignedans l’organigramme du gouvernementaméricain]. Autrement dit, il étaitpratiquement au sommet de l’élite deWashington. Quant à ses sarcasmes surl’élite de New York – une allusion auxgrands médias qu’il fustige depuis dessemaines –, il convient de rappeler quelui-même est un écrivain prolifique qui aun jour reçu 4,5 millions de dollarsd’avance sur recettes avant de devoir lesrestituer pour des raisons éthiques. Etpoint n’est besoin de mentionner qu’il afait fortune à Washington (il a par

exemple gagné 1,6 million de dollars en donnant des “avis stratégiques” à Freddie Mac, la société quasigouvernementale de refinancementhypothécaire). En outre, Gingrich aime à se présenter comme un outsider touten s’attribuant le mérite de ses succèsd’initié. Il affirme par exemple avoircontribué à créer des emplois avecRonald Reagan et Bill Clinton. Maiscomment a-t-il pu procéder s’il ne faisaitpas partie de l’“élite” ? La réponse, biensûr, est qu’il en faisait partie. Quelle quesoit leur part de réussite et d’échec, ses actes s’inscrivent au cœur de la viepolitique du pays où il évolue depuis des années. A ce stade de la campagne,les chances semblent encore du côté de Mitt Romney, qui dispose d’uneorganisation et de financessuffisamment solides pour l’emporter

dans les grands Etats. Mais ce qui auraitpu être une simple promenade de santépour l’ancien gouverneur duMassachusetts s’apparente aujourd’huià un défi. En l’espace d’une semaine, il a perdu deux des trois grandes bataillesqu’il semblait en mesure de gagner. Il n’a pas encore réussi à convaincre unemajorité de conservateurs, en particulierles conservateurs religieux, et il n’a pasréussi à battre Gingrich. Un millionnaire,ancien dirigeant d’une société decapital-investissement, va doncaffronter un autre millionnaire, ténor de Washington et friand de pouvoir. Et, chose amusante, chacun d’eux vatenter de convaincre les électeurs qu’ilest, contrairement à son rival, unvéritable outsider proche du peuple.Los Angeles Times (extraits) Los Angeles

Humeur

Romney contre Gingrich : le duel de l’establishment

� Newt Gingrich. Dessinde Bill Day, Etats-Unis.

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Redoutable en affaires, Mitt Romneya fait fortune en restructurant desentreprises. Son équipe de campagnemise sur cette réputation d’efficacité,mais, pour certains, il n’est qu’uncapitaliste sans pitié.

New York Magazine (extraits) New York

En août 2011, Mitt Romney a pro-noncé un discours devant quelquescentaines de personnes dansl’Iowa. Selon plusieurs de ses amis,la répétitivité de la campagne l’en-nuie fortement, et cet ennui est à

l’origine du fossé qui sépare l’homme charisma-tique qu’ils connaissent en privé de la figure mol-lassonne qui apparaît souvent en public. Romney,bien sûr, n’est pas la seule personne lassée parcette campagne, et ce candidat, censé apporterson efficacité d’homme d’affaires à la Maison-Blanche, peine à susciter l’enthousiasme. “Aucours des prochaines décennies, a-t-il déclaré dansl’Iowa, pour équilibrer notre budget, nous devons nousassurer que nous pourrons tenir les promesses enmatière de protection sociale. Il y a plusieurs façonsde le faire. L’une d’entre elles consiste à augmenter lesimpôts des personnes…”

“Des entreprises !” a-t-on alors crié dans l’as-sistance. Romney s’est arrêté net et s’est tournévers les perturbateurs, l’un d’eux étant un ancienprêtre catholique âgé de 71 ans. Bref, l’incarna-tion de la morale. “Des entreprises”, a répété quel-qu’un. Romney a esquissé un sourire. “Lesentreprises sont des personnes, mon cher”, a-t-il rétor-qué, d’un ton sans appel. Soudainement, desobjections ont fusé de toutes parts. “Bien sûr, lesentreprises sont des personnes”, a-t-il insisté, avantde développer sa logique :“Tout ce que gagnent lesentreprises va en fin de compte aux personnes. Alors…”

Cette réponse rapide, lancée avec naturelsemble avoir révélé le véritable Romney. Et bienque la presse ait présenté l’épisode comme une“bévue”, l’équipe de Romney n’a pas cherché àétouffer l’affaire, bien au contraire, ils en ont fait

un argument de campagne.. Rétrospectivement,Romney est certes apparu comme un homme pri-vilégié, mais l’incident a surtout révélé quelquechose de plus profond chez lui : sa propension àidéaliser le monde de l’entreprise. Il a passé unebonne partie de sa vie – d’abord comme consul-tant en stratégie, puis comme PDG de la sociétéde capital-investissement Bain Capital – à per-fectionner l’entreprise, à en supprimer tous lesgrains de sable, pour en faire une machine éco-nomique bien huilée.

250 millions de dollars de fortuneRomney est un homme d’affaires qui a connu uneréussite extraordinaire et qui a accumulé une for-tune personnelle de quelque 250 millions de dol-lars [195 millions d’euros]. Mais, surtout, il arévolutionné l’entreprise. Notre économie aremarquablement évolué au cours des années1980, lorsque Wall Street a repris le contrôle dessociétés américaines. Et Romney a développé undes outils qui ont rendu cette mutation possible :il fait partie des premiers à avoir utilisé la procé-dure d’acquisition d’une société pour en modi-fier le fonctionnement au nom de l’efficacité.

Le système qui a émergé de cette décennieest plus souple et plus efficace que le systèmed’avant ; mais il est en revanche moins égalitaire,

moins stable, et plus brutal. Cette évolutionn’était pas inévitable. Elle résulte en partie d’in-novations développées depuis un quart de sièclepar une poignée d’hommes d’affaires et, aujour-d’hui, l’un d’eux a des chances de devenir prési-dent des Etats-Unis.

En 1975, lorsque Mitt Romney a obtenu sondiplôme à Harvard, il fait partie des meilleursétudiants de sa classe et le conseil était encoreun métier neuf. Les trois plus prestigieux cabi-nets (aujourd’hui comme alors : McKinsey, leBoston Consulting Group et Bain & Company)offraient une nouvelle approche de gestion desentreprises, quantitative et sophistiquée, pouraider l’industrie américaine à se moderniser. Ilsse considéraient comme des intellectuels, et ilspayaient mieux que quiconque. Aussi Romneyfit-il un choix de carrière évident à l’époque : ildevint consultant, d’abord au Boston Consul-ting Group, puis, trois ans plus tard, au sein deBain & Company.

Son père était gouverneurPour les consultants de Bain & Company qui fai-saient la tournée des entreprises américaines àl’orée des années 1980, la période était marquéepar une grande désillusion. Les cabinets de conseilespéraient changer le monde en s’appuyant surune approche quantitative aux antipodes de lamanière de faire des affaires à l’époque qui étaittrès paternaliste. Alors que la théorie voulait quechaque société se concentre sur son cœur demétier, la tendance était plutôt aux projets deconglomérats boiteux.

Ces consultants sont toujours dans lesaffaires. Plusieurs d’entre eux continuent à tra-vailler pour Romney depuis qu’il s’est lancé enpolitique. Ils sont immensément riches et bron-zés, actifs et pleins d’entrain. A leurs débuts, ilsn’étaient pourtant que des jeunes loups. “Dansles années 1960 et 1970, faire carrière dans les affairesn’était pas un métier bien vu, se souvient GeoffreyRehnert, un des premiers associés de Bain. Lesmeilleurs faisaient médecine, les autres faisaient dudroit.” Les hommes de Bain évoluent dans uneculture “où rien n’était acquis. Personne n’était issud’une famille riche, tous venaient du milieu

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 13

Le businessman qui vise la Maison-Blanche

Mitt Romney, 64 ans, ex-gouverneur du

Massachusetts et candidatà l’investiture

républicaine en2008.

Républicain modéré,Mitt Romney s’est droitisédepuis le début de lacampagne, quitte à reniercertaines de ses réalisationspassées comme sa réforme dusystème de santé duMassachusetts. Il estaujourd’hui attaqué pour son

manque de rigueur idéologiqueet sa fortune amassée à la têtede la société de capital-investissement Bain Capital. Le fait qu’il soit mormonreprésente un handicapsupplémentaire.

Newt Gingrich, 68 ans, ancienprésident de la

Chambre desreprésentantsde 1995 à 1999.

Artisan de larévolution

conservatrice de 1994,

au cours de laquelle lesrépublicains ont regagné la majorité au Congrès deWashington, il est connu tantpour son franc-parler et sespositions conservatricesdécomplexées que pour sesaventures extraconjugales.Bien qu’ayant fait toute sacarrière à Washington, il seprésente aujourd’hui commeun candidat anti-establishment afin de s’attirerle soutien des militants dumouvement ultraconservateurTea Party.

Rick Santorum, 53 ans,ancien

sénateur dePennsylvanie.Catholique

intégriste, il a des positions

très conservatrices surles sujets de société – antiavortement,anticontraception, antimariagehomosexuel – et se présentecomme la meilleure alternativeà l’investiture de Mitt Romneyet de Newt Gingrich par le Partirépublicain.

Ron Paul, 76 ans, député du Texas. Ce

libertarien seprésente pourla troisième fois

à une électionprésidentielle.

Sa première tentativeremonte à 1988, en tant quecandidat du Parti libertarien, et sa deuxième à 2008, lorsqu’ila brigué l’investiture du partirépublicain. Isolationniste etantigouvernement fédéral, il est soutenu par une partie du Tea Party.

Bio express

Quatre personnalités, quatre tendances

A la une

Le prochain PDG de l’Amérique ?s’interroge TheEconomist.

� Le programme desrépublicains. Romney :J’adore virer les gens.[Fire signifie aussimettre le feu]. Santorumet Gingrich : “Nousaussi.” Sur le bûcher :Homosexuels,clandestins, protectionsociale, etc. Dessin deTurner paru dans TheIrish Times, Dublin.

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En couverture Qui peut battre Obama ?14 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

collégiale et certains proches le décrivent encoreaujourd’hui comme le PDG idéal.

En 1985, Tom Stemberg, un responsable d’unsupermarché de Boston, eut l’idée de créer undétaillant vendant uniquement des fournituresde bureau. Le capital-risque de Boston était unpetit monde et le jeune entrepreneur tomba rapi-dement sur Romney et ses 37 millions de dollarsà placer. “La plupart des gens trouvaient l’idée stu-pide, explique Stemberg. Mitt était une exception etil prit la peine d’étudier le projet.”

Et l’idée devint Staples [la chaîne disposeaujourd’hui de plus de 2 000 magasins à traversle monde]. Aux premiers jours de Staples, les col-lègues de Romney chez Bain Capital gèraient l’en-treprise en employant des méthodes analytiques– ils passaient en revue le nombre de petitesentreprises autour d’un site potentiel, le traficroutier. Ils s’efforçaient en outre de calculer quelletaille une commande devait atteindre avant qu’unclient puisse exiger sa livraison. Pendant desannées, Romney siégea au conseil d’administra-tion de Staples, et sa société gagna près de septfois ce qu’elle avait investi dans l’entreprise.

Ce genre de coup, Romney et son équipe l’ontrépété à maintes reprises, le plus souvent enrachetant des sociétés. En 1986, Bain Capitalacquit Accuride, une filiale de Firestone en diffi-culté qui produisait des pneus et des jantes decamion. Bain choisit donc de rassembler ungroupe de responsables qui, auparavant, gagnaienten moyenne moins de 100 000 dollars et leur pro-posa des primes à la performance. Novatrice, cetteapproche produisit des résultats étonnants : lesdirigeants s’empressèrent de contribuer à la réor-ganisation de deux usines tout en consolidant lesopérations – avec d’inévitables licenciements. Au

retour des profits, ces dirigeants reçurent 18 mil-lions de dollars sous forme de participation auxbénéfices. En moins de deux ans, Bain Capitalavait obtenu un retour de 121 millions de dollarspour un investissement de départ de 5 millions.

Une couverture santé universelleDes universitaires ont étudié les résultats obte-nus par ces sociétés de financement par capitauxpropres depuis leur avènement. Ces analysesconcluent généralement que les reprises opéréespar ces sociétés améliorent la productivité etréduisent le nombre de salariés. En trois ans, audébut des années 1990, selon l’économiste dePrinceton Henry Farber, environ 10 % des cadressupérieurs masculins blancs ont perdu leuremploi. Ceux qui ont conservé leur poste ont tra-vaillé plus dur, et les avantages financiers, jus-qu’alors distribués à tous les niveaux de lahiérarchie jusqu’aux cadres moyens, l’ont été enpriorité aux échelons supérieurs. En 1980, un PDGgagnait 35 fois le salaire d’un salarié moyen. En2000, il empochait à peu près 300 fois plus.

Elu gouverneur du Massachusetts en 2002,Romney prit Tom Stemberg, le fondateur deStaples, dans son équipe de transition, et luidemanda s’il avait des idées à lui proposer. Al’époque comme aujourd’hui, Stemberg étaitmembre du conseil d’administration du Centrehospitalier du Massachusetts. Il lui parla de “tousces gens sans couverture médicale qui encombraientles urgences”. L’hôpital était obligé de les soigner.“Il y avait une loi qui disait que toutes les compagniesd’assurances devaient financer la gratuité des soins.C’était un système complètement absurde. Je ne croyaispas que Romney se saisirait de l’affaire.” Maisl’équipe du jeune gouverneur, au fil de consulta-tions avec des spécialistes, a élaboré une solutionqui oblige presque chaque citoyen de l’Etat à dis-poser d’une couverture, subventionnant ceux quine peuvent pas se le permettre. Trois ans et demiplus tard, Romney présentait son plan de cou-verture santé universelle.

La chute de l’histoire, c’est que le plan qu’il aconcocté a servi de modèle à Obama, pour faireadopter une réforme fédérale de la santé en 2010.[Cette parenté vaut aujourd’hui à Romney devives critiques venues de la droite de la droite]Mais ce qui distingue le plan de Romney de celuid’Obama, c’est son côté presque accidentel.Romney n’a jamais ambitionné d’améliorer le sys-tème de santé. Il a simplement cherché à réglerun problème.Benjamin Wallace-Wells

Un prophètemoderne

Dès l’âge de 14 ans,Joseph Smith est sujetà des visions. Après la publication du Livredes mormons, récitgravé sur des plaquesen or que des anges lui auraient confiées,le prophèteautoproclamé fonde,en 1930, l’Eglise deJésus-Christ des saintsdes derniers jours.Malgré l’ostracisme,elle fait rapidementdes adeptes. Smith estemprisonné, puis tuéen 1844 par une fouleen colère, dansl’Illinois. Les mormonsquittent alorsmassivement cet Etatpour aller s’installerdans l’Utah. Depuis sa fondation, cettereligion prône uneéthique du travail trèsstricte ainsi qu’ungrand attachement à la famille. Elle resteassociée à lapolygamie, pratiquequi, bienqu’officiellementabandonnée en 1890, a cependant toujourscours dans certainescommunautésmormones radicales.Il y aurait aujourd’hui14 millions de mormons dans le monde.

� Mitt Romney(au centre), à l’époque où il était PDG de Bain Capital.

Mitt Romney est le premiermormon à s’approcher si prèsde la Maison-Blanche. Pourl’emporter, il doit désarmerles préjugés qui persistentcontre cette religion.

Pour avoir fait œuvred’apostolat mormon enFrance [il fut missionnairedans la région de Bordeaux età Paris de 1966 à 1968], MittRomney connaît bien lescombats difficiles. Pascommode de prêcher dansles bistrots parisiens unereligion exigeant lerenoncement à la cigarette,au café et à l’alcool.Comparativement, laconquête de la Maison-Blanche peut sembler facile.Pourtant, l’appartenance àl’Eglise de Jésus-Christ dessaints des derniers joursdemeure un obstacle.Environ 20 % desrépublicains et 23 % desprotestants déclarent àl’institut de sondage Gallupqu’ils ne soutiendraient pasun candidat mormon à laprésidentielle. Certains

chrétiens conservateursl’excluent catégoriquement,considérant la doctrinemormone commedangereusement sectaire ethermétique.La foi de Romney ne devraitpourtant pas poserproblème. Les présidentssont élus pour leurs idéespolitiques, leurs capacités deleader et leur caractère, nonpour leur religion.Parmi les conservateurs,cette opposition à la religionmormone est cependantplus susceptible des’atténuer que de serenforcer. Aucun opposantde Romney aux primaires nepeut exploiter cessentiments, du moins pasouvertement. L’anciengouverneur de l’ArkansasMike Huckabee a bien tentéde le faire en 2008, mais il arapidement été forcé deprésenter des excusespubliques [les deux hommesétaient alors engagés dans lacourse à l’investiturerépublicaine]. L’Eglise deJésus-Christ des saints des

derniers jours est laquatrième religion aux États-Unis ; les mormonsconstituent l’un desélectorats conservateurs lesplus puissants du pays. Uncandidat républicain sérieuxne peut tout simplement pasmener une campagne contrela religion mormone.Mais, si les objectionsconservatrices auxcroyances mormones deRomney vont probablementdiminuer, les critiques deslibéraux athées vont sansdoute fleurir. En effet, 27 %des démocrates affirmentaujourd’hui qu’ils nevoteraient pas pour unmormon. Alors, la foimormone de Romney aura-t-elle de l’importance ? Celadépend. Pour une bonnepartie de la droite, les idéespolitiques finiront parl’emporter sur la théologie.Mais pour une partie de lagauche, l’athéismel’emportera sur la tolérance.Michael Gerson, TheWashington Post (extraits)Washington

Religion

Le grand méchant mormon

ouvrier ou de la classe moyenne” ; “tous saufMitt Romney”, dis-je. Son père avait été présidentd’American Motors Corporation [un construc-teur automobile aujourd’hui disparu], gouver-neur du Michigan et membre du gouvernementNixon. “Même lui n’était pas si riche, insiste Reh-nert. Ce n’était pas un rentier.” Peut-être veut-ilsimplement dire par là que Romney n’est pas unWasp. A l’époque, il parlait peu de son apparte-nance à l’Eglise de Jésus-Christ des saints des der-niers jours. Aujourd’hui, il plaisante parfois avecses collègues juifs en disant qu’ils ont en commund’être des marginaux sur le plan de la religion.

Une peur bleue de l’échecA leurs débuts, les consultants de Bain étaientsouvent confrontés à un problème persistant :Bain était un cabinet de conseil et “un cabinet deconseil ne peut rien faire directement”, expliqueDavid Dominik, ancien collègue de Romney. Leséconomistes Michael C. Jensen et William H.Meckling apportèrent la solution : trouver lesfonds nécessaires et créer sa propre entreprise,une société performante et efficace. Ce modèleadopté par Bain Capital, Romney fut invité à yparticiper en 1983.

La nouvelle entreprise était à l’image deRomney par son obsession du détail et de la pro-cédure. “Mitt avait toujours peur que quelque chosen’aille de travers, il ne prenait jamais de gros risque,se souvient un de ses collègues. Je pense qu’il avaitune peur bleue de l’échec.” Romney ne se fondejamais sur une théorie. Il se fait toujours l’avocatdu diable et formule, jusqu’à l’épuisement, toutesles objections possibles à un projet jusqu’à cequ’émerge une solution faisant consensus. Tra-vailleur acharné, Romney dirige de manière

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Page 15: Les républicains à la recherche du candidat idéal

qu’elle considère comme un bilan impression-nant. “Il va y avoir des moments stressants”, m’aconfié un vétéran de la campagne 2008.

La bonne nouvelle pour Obama, c’est que lacourse sera peut-être encore plus difficile pour sesadversaires. Tandis que les candidats républicainsont passé la dernière année à se donner en spec-tacle sur la chaîne de télévision ultraconservatriceFox News, l’équipe du président a mis sur pied– avec calme et méthode – une machine électo-rale encore plus monumentale et plus réactive quecelle de 2008, qui était déjà révolutionnaire.

Le principal avantage du président, c’est letemps, m’a expliqué son nouveau directeur decampagne, Jim Messina. Au cours des dix derniersmois, son équipe a pu se consacrer exclusivementaux préparatifs du scrutin de novembre, ce qui adonné au Parti démocrate une longueur d’avancenon seulement par rapport à 2008, mais égale-ment vis-à-vis des candidats républicains tropoccupés à se tirer dans les pattes pour s’intéres-ser à la collecte de fonds et à 0l’organisation deterrain. “Nous avons maintenant des gens aux quatrecoins du pays. Ils font partie du système depuis quatreou cinq ans, ils savent ce qu’ils font, ils ont confianceen Obama et ils sont formés, souligne Jim Messina.Il s’agit d’un élément crucial de notre campagne.”

Examinons les chiffres de plus près. A l’heureactuelle, le QG de Chicago compte plus de200 salariés, soit deux fois l’effectif de GeorgeW. Bush en 2004 et plus du double de celui ducandidat républicain Mitt Romney. M. Messina adéjà recruté une équipe de designers graphiques,une de merchandising et une autre de dévelop-peurs. Ces derniers travaillent sur une applica-tion ultrasecrète qui va permettre d’assurer unsuivi des actions des bénévoles faisant campagnesur le terrain, depuis les opérations de porte-à-porte jusqu’aux conversations engagées avec les

électeurs. “En 2008, nous avions atteint ce degréd’organisation à la fin de la campagne des primaires,pas au début de l’année”, souligne un vétéran de ladernière campagne.

L’homme qui valait un milliardEn l’espace de six mois, soit deux fois plus rapi-dement que lors de la campagne précédente, lecandidat démocrate a franchi le seuil symboliquedu million de donateurs. Près de la moitié de l’ar-gent récolté provient de petits donateurs(200 dollars ou moins), une proportion beaucoupplus élevée qu’en 2008. Fin septembre, Obamaavait récolté 15,6 millions de dollars auprès desemployés du secteur financier, soit plus que l’en-semble des candidats républicains. Au total, lacampagne d’Obama et le Comité national démo-crate ont amassé 242 millions de dollars et lesexperts s’attendent à ce que cette somme atteigne1 milliard de dollars d’ici novembre.

Mais l’argent et les ressources humaines neservent à rien si le message qu’ils contribuent àrelayer n’est pas pertinent. Lorsque j’ai interrogéles principaux conseillers d’Obama au sujet deson problème d’image – le fait qu’il soit carica-turé à la fois comme un radical cryptomarxiste etcomme un intellectuel hautain –, ils m’ont d’abordservi les excuses habituelles : “Vous savez, nousavons hérité d’une économie exsangue et nous avonsquand même promulgué de nombreuses lois.” Maisce n’est pas le genre de cri de ralliement qui per-mettra de mobiliser de nouveau les jeunes et lesélecteurs indépendants, des groupes clés dont lesoutien pour le président a chuté depuis 2008.

C’est pourquoi Chicago est en train de mettreau point un nouveau message, plus combatif.Selon David Axelrod, le principal conseiller poli-tique d’Obama, la stratégie pour 2012 est devanter les réalisations du président tout en recon-naissant que “la population s’intéresse moins à cequi a été fait [qu’à] la façon dont nous et nos adversaires avons l’intention de répondre aux défiséconomiques” auxquels la classe moyenne estconfrontée. En d’autres mots, les électeurs peu-vent s’attendre à des discours axés davantage surl’avenir que sur un passé récent et douloureux.De même, ils assisteront à des attaques sans mercicontre la croyance des républicains en un

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 15

Dans son quartier général de Chicago,l’équipe de campagne du présidentpeaufine une stratégie encore plusambitieuse qu’en 2008. Reportage.

Newsweek (extraits) New York

L’équipe de campagne du présidentObama ne plaisante pas. J’ai récem-ment visité son quartier général à Chicago et je peux vous assurer per-sonnellement qu’elle ne plaisante pas.Il y a bien une table de ping-pong

bleue ornée du logo de la campagne 2012 au beaumilieu de la pièce, une casquette orange du Dakotadu Sud portant l’inscription “Big Cock Country”[pays des gros faisans. Cock signifie également“bite”], une table de air hockey et une banane rastaen peluche, mais ne vous y trompez pas. Pendantma visite, un chaperon me suivait partout et enre-gistrait tout ce que les gens me disaient. BenLaBolt, le porte-parole de la campagne d’Obama,et Stephanie Cutter, sa directrice de campagneadjointe, ont tous deux fermé la porte de leurbureau lorsque je suis passé devant. La seule foisoù mon chaperon a accepté de me laisser seul l’es-pace de quelques millisecondes, j’ai à peine eu letemps de m’approcher d’un tableau couvert degraphiques incompréhensibles qu’elle s’est ins-tantanément matérialisée à mes côtés. “Désolée,vous n’avez pas le droit de regarder ça”, m’a-t-elleannoncé. Le lendemain, le tableau était recouvertd’un tissu.

A Chicago, l’ambiance est tendueBref, on ne rigole pas au QG d’Obama. Le per-sonnel de campagne fait preuve de beaucoup degravité, quitte à afficher çà et là des pancartes inci-tant à être moins sérieux.

Mais on le serait à moins. A dix mois de l’élec-tion présidentielle, la cote de popularité du pré-sident stagne aux alentours de 46 %. DepuisFranklin Roosevelt, en 1936, aucun président n’aété réélu avec un taux de chômage supérieur à7,2 % (le taux actuel est de 8,6 %). De même,depuis 1956, aucun président n’a été réélu quandla croissance du PIB était égale ou inférieure à lacroissance actuelle (2 %). Si aucun de ces obs-tacles n’est insurmontable en lui-même, Obamadoit faire face aux trois simultanément.

Il n’est dès lors pas étonnant que l’ambianceà Chicago soit un peu tendue. L’aura dont jouis-sait Obama lorsqu’il était encore le candidat del’espoir et du changement a été remplacée parune aura d’homme politique beaucoup moinscéleste. Qui plus est, en 2008, Obama partait per-dant. Les membres de son équipe de campagnen’avaient tout simplement pas le temps d’êtreanxieux ; il y avait toujours un combat à mener,une autre victoire impossible à décrocher lors deprimaires. Cette année, il n’y a qu’un rendez-vous :celui du 6 novembre 2012, date de l’élection pré-sidentielle. Et puisqu’ils ont tout à perdre, lesmembres de l’équipe sont inquiets. Ils savent quela Maison-Blanche a eu du mal à faire valoir ce

Voyage au cœur de la machine de guerre d’Obama

A la une

“Et s’il perdait” :The WashingtonMonthly se projette au mois de novembre 2012 et imagine ce à quoiles Etats-Unisressembleront en cas de victoire de l’un ou l’autre des candidatsrépublicains.

Barack ObamaPrésident des Etats-Unisdepuis le 20 janvier 2009Age : 50 ans

Président sortant, il part avec un net

avantage. Depuis 1789 (première élection présidentielle américaine), seuls neuf présidents ayant brigué un second mandat n’ont pas été réélus.

Il dispose d’une remarquable machine à lever des fonds. Fin décembre 2011*,

Obama et le Parti démocrate avaient engrangé 242 millions de dollars. L'objectif est d’atteindre 1 milliard de dollars d’ici au 6 novembre 2012.

Très vite après son entrée en fonction, en janvier 2009, le taux de chômage

a atteint les 10 %. Mais, depuis novembre 2010, cet indicateur est à la baisse, une tendance qui valide le bilan économique du président.

* Les plus récents chiffres disponibles.

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� Obama dans lesstarting-blocks. Dessin de Hajo deReijger, Pays-Bas.

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tager avec tous ceux qu’ils connaissent. Elle leurdira de la partager avec leurs quatre amis Face-book qui résident à Lehigh Valley, en Pennsylva-nie, et qui sont préoccupés par la politique fiscaledu président.

Le second constat, c’est que les opérations enligne et sur le terrain devront être beaucoup plusintégrées qu’en 2008. A l’époque, la campagneencourageait les supporters d’Obama à se créerun profil sur un site de réseau social appelé MyBa-rackObama.com. Si MyBO constituait une inno-vation il y a quatre ans, le site fonctionnait demanière beaucoup trop indépendante par rap-port à la structure de terrain et à Facebook,devenu, depuis, le premier réseau social mondial.M. Slaby a donc décidé de l’abandonner et derepartir de zéro pour la campagne de 2012.

Smartphones et réseaux sociauxSi l’équipe d’Obama n’a pas encore dévoilé ce quiremplacera MyBO, j’ai tout de même réussi àrecueillir quelques indices lors de ma visite à Chi-cago. “Nous ne créerons pas un nouveau réseausocial”, m’a dit une source bien informée. “Vousn’aurez pas besoin de créer un profil ni de téléchar-ger une photo.” Les volontaires n’auront qu’à seconnecter avec leur identifiant Facebook pourdisposer d’un accès immédiat à “tous les outils géné-ralement disponibles dans un bureau de campagne.Vous pourrez avoir tout ça à la maison, sur votre ordi-nateur et en temps réel, et demeurer informé de ce quefont vos amis et les membres de votre entourage.” Lepersonnel de campagne bénéficiera quant à luid’un accès à votre réseau d’amis Facebook et àtoute information que vous choisirez de saisir ausujet des électeurs que vous contactez. De cettefaçon, m’a expliqué l’initié, “nous pourrons vousdemander d’appeler telle personne, l’ami d’un amipar exemple. Il y a beaucoup plus de chances qu’il selaisse persuader par quelqu’un qu’il connaît” que parun bénévole anonyme.

Les smartphones constituent la dernière piècedu puzzle technologique. La campagne de 2008était axée sur les SMS parce que c’était ce que laplupart des électeurs pouvaient faire de mieuxavec leur téléphone. Or, aujourd’hui, presque tousles portables permettent de surfer sur le Web, departager des vidéos et de se connecter à uncompte Twitter ou Facebook. En novembre der-nier, l’équipe de campagne d’Obama a procédé àune refonte de son site internet pour qu’il appa-raisse et fonctionne de la même façon sur PC,téléphone ou tablette. Ce n’était pas seulementune question d’esthétique. En effet, il est beau-coup plus facile pour les bénévoles d’inscrire denouveaux électeurs lorsqu’ils sont en déplace-ment si le site s’affiche correctement sur leur

smartphone. Or, cette forme d’efficacité peut setraduire par l’obtention de voix supplémentairesau moment de l’élection. C’est du moins ce qu’es-père l’équipe d’Obama.

Sur le terrain, les démocrates se montrenttout aussi audacieux. Jeremy Bird, le directeur deterrain d’Obama au niveau national, m’a claire-ment fait comprendre que l’équipe de Chicago nese contentait pas de spéculer sur différents scé-narios, mais qu’elle sondait activement le terraindepuis un certain temps déjà. Dans l’Iowa, parexemple, M. Bird et ses collègues ont fait tous lespréparatifs en vue des caucus démocrates [Obamaétant seul en lice, ceux-ci sont une pure forma-lité]. Les premiers salariés sont arrivés à DesMoines [la capitale de l’Etat] il y a presque deuxans et l’organisation de campagne d’Obama dansl’Iowa – avec ses huit bureaux, sa dizaine d’em-ployés, sa centaine de bénévoles, ses 1 280 évé-nements officiels, ses 4 000 conversations en têteà tête et ses 350 000 appels aux supporters – étaitplus importante que celle de n’importe quel can-didat républicain.

Répétition avant novembreLes démocrates ne se contentent pas de monterdes opérations dans les Etats où auront lieu lespremières primaires. En Caroline du Nord, lesvolontaires et le personnel de campagne d’Obamaont utilisé la course à la mairie de Charlotte, laville où se tiendra la Convention démocratede 2012, comme une répétition générale pourl’élection de novembre. Ils ont pu tester leursméthodes pour optimiser le taux de participationet faciliter l’inscription des électeurs dans un véri-table contexte électoral. “Il y avait des délais à respecter et le personnel devait être concentré commeil devra l’être à la fin de l’année”, explique M. Bird.Le jour de l’élection, Anthony Foxx, le candidatdémocrate sortant, comptabilisait plus de200 000 ap pels téléphoniques passés en sa faveur,soit dix fois plus que son rival. Ce qui lui a permisde remporter le scrutin avec une confortableavance. Des opérations semblables sont égalementen cours dans plus d’une dizaine d’Etats clés,notamment l’Ohio et l’Arizona. Récemment, unstratège républicain de Raleigh, en Caroline duNord, a confié à un journaliste du New York Times :“C’est vrai, je l’ai vu de mes yeux. J’arrive du front etje peux vous dire qu’ils ne plaisantent pas et qu’il vautmieux se tenir prêts.”

Pendant ce temps, à Chicago, les éternelsinquiets de l’équipe de campagne d’Obama bos-sent dur pour s’assurer que le président ne perdrapas la présidentielle de 2012 à cause d’une failledans l’organisation ou d’une mauvaise utilisationdes technologies – et grâce à eux, cela n’arriveraprobablement pas. Mais personne ne peut véri-tablement garantir que leurs méticuleux effortsde planification suffiront à éviter une défaite. NiAxelrod. Ni Messina. Pas cette année du moins.Si Mitt Romney remporte l’investiture du Partirépublicain, il sera beaucoup plus difficile pourObama d’être réélu. Si le soutien accordé au pré-sident par les électeurs hispaniques, qui s’estérodé depuis 2008, ne rebondit pas, plusieurs desscénarios envisagés par le directeur de campagned’Obama risquent de tourner court. Et si le nou-veau message adressé à la classe moyenne nesuffit pas, les électeurs indépendants pourraientdécider d’accorder leur soutien aux républicains.Dès lors, il n’est pas étonnant que l’équiped’Obama cherche à tout maîtriser : moins on a decontrôle sur une situation, plus on cherche àl’exercer d’une main de fer. Andrew Romano

En couverture Qui peut battre Obama ?16 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

A la une

A contre-courant,Newsweek fait leshonneurs de sa couverture à Barack Obama. Titré “Pourquoi lescontempteurs d’Obamasont-ils si bêtes ?”, le dossier del’hebdomadairedéfend, point par point, le bilan du premier mandat du locataire de laMaison-Blanche.

“darwinisme social qui s’appuie sur une idéo-logie du chacun pour soi”, conçue, selon M. Axel-rod, pour s’assurer que “quiconque part avec unavantage puisse le multiplier alors que tous les autresdoivent pédaler de plus en plus vite pour le suivre”.Quant au slogan de campagne, ce sera plutôt“Non, on ne devrait pas élire un républicain” que“Oui, nous le pouvons” [Yes, we can].

L’équipe de campagne du président reconnaîttoutefois que ce nouveau message n’inspirera pro-bablement pas la ferveur qui a permis à Obamad’obtenir son premier mandat. Il faudra faireencore plus d’efforts qu’il y a quatre ans pour opti-miser la participation électorale et persuader lesélecteurs d’accorder leur soutien au président,tant sur internet que sur le terrain. Mais Jim Mes-sina est prêt. “Nous déploierons les efforts néces-saires. En comparaison, les moyens mis en œuvrependant la campagne de 2008 auront l’air d’appar-tenir à la préhistoire”, promet-il.

Dans un coin sombre du QG de Chicago, plusd’une dizaine de développeurs sont assis sur degros ballons et pianotent sur des claviers noirs.Plusieurs d’entre eux affichent une pilosité facialeinhabituelle et des piercings. Ces développeursont malgré tout été accueillis à bras ouverts au1, Prudential Plaza [l’adresse du QG de cam-pagne]. Depuis des mois déjà, ils tentent deréécrire le code de la campagne – créé à uneépoque où l’iPhone n’existait pas, où Twitter étaitencore balbutiant et où Facebook faisait undixième de sa taille – pour l’adapter au paysagenumérique de  2012. Et ils ont fait quelquesconstats intéressants.

Le premier, c’est que la campagne devra réus-sir à “traiter les gens comme des gens”, expliqueMichael Slaby, responsable de l’intégration et del’innovation, à condition de se procurer lesbonnes données. Ne demandez pas à un citoyendésabusé de l’Ohio qu’il vous donne de l’argent ;courtisez-le d’abord. Et ne vous adressez pas àun partisan qui a fait un don de 5 dollars au len-demain d’un discours d’Obama de la même façonqu’à un autre qui a donné le même montant à lasuite d’un débat républicain, car ils répondent àdes motivations différentes. Afin de comprendrequi sont les électeurs et ce que chacun d’entreeux souhaite, M. Slaby et son équipe développentactuellement un programme de modélisationinformatique permettant de passer au peigne finles schémas de comportement en ligne et horsligne. Avec l’objectif d’obtenir le maximum d’in-formations sur les électeurs pour personnaliserles interactions liées aux différents aspects de lacampagne : les collectes de fonds, le volontariat,la persuasion et la mobilisation. C’est ce qu’ilsappellent le microlistening [microprofilage]. “Lesélecteurs que nous tentons de persuader, les dona-teurs que nous voulons sensibiliser et les bénévoles etsupporters que nous souhaitons pousser à agir fonttous partie d’un même groupe de personnes, m’a-t-il expliqué. Nous devons évoluer afin de pouvoircommuniquer avec eux de manière intelligente et inté-grée. Nous pourrons dès lors mieux les écouter, ce quinous permettra d’atteindre nos objectifs.” En 2012,l’équipe de campagne d’Obama n’enverra pas unevidéo à ses partisans en leur demandant de la par-

Cette année, le slogan sera :“Non, on ne devrait pas élire un républicain”, plutôt que :“Oui, nous le pouvons”

� Obama : “Je t’aimetant ”. Sur le monstre :Dépenses financées parle déficit. Le public : “Waouh ! Quelle voixincroyable”. Lors d’unecollecte de fonds à NewYork, le 19 janvier,Obama a entonné unechanson d’Al Green. Dessin de Nate Beelerparu dans The WashingtonExaminer, Etats-Unis.

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Page 17: Les républicains à la recherche du candidat idéal

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France

supplémentaire, à un moment fort oppor-tun. Car l’action intentée contre Suez nepeut plus être annulée qu’en très haut lieu.Par exemple si l’on confie à une personnecompétente la tâche de monter un dossierpour ensuite mettre en avant le thème dela sécurité juridique lors des négociationsdu gouvernement hongrois avec le FMI etla Commission européenne. Le but : obte-nir que les sociétés françaises des eauxdeviennent intouchables.

Suez a compris, il y a un an, qu’il fallaitque ses conflits en Hongrie prennent unedimension internationale. Il a confié untravail d’expertise à Compass Lexecon, uncabinet de conseil américain, dont le chargéd’affaires, Jonathan M. Orszag [d’originehongroise] est un intime des Clinton. Pen-dant la présidence de Bill Clinton, Orszaga été conseiller économique à la Maison-Blanche, puis collecteur des dons de la Fon-dation Clinton, et haut responsable auCenter for American Progress (CAP), unthink tank proche de Hillary Clinton.

Pour l’instant, le cabinet de JonathanOrszag a juste établi le montant d’indem-nisation que les Français vont essayer d’ob-tenir de la ville de Pécs pour avoir étéécartés de la gestion des eaux de la ville parla municipalité : près de 10 milliards deforints de dommages et intérêts (26,6 mil-lions d’euros). C’est évidemment unesomme extravagante, mais le but est d’in-timider István Tarlós dans sa bataillecontre Suez.

Nous n’en concluons pas qu’il existeun lobby franco-américain des eaux, ni queJonathan M. Orszag a réactivé ses relationsavec les Clinton. Nous constatons seule-ment que, à l’automne 2011, l’ambassadedes Etats-Unis à Budapest s’est enquise,tant par courrier que personnellement,auprès des autorités locales de Pécs et deleur avocat, István Szabó, de leurs inten-tions dans le procès qui les oppose à Suez.Pourtant, en principe, l’ambassade améri-caine n’est nullement concernée par lecontentieux “Français contre Pécs”.András Bódis

1995 La Ville de Pécs (au sudde la Hongrie) confie à Suez Environnement la gestion de ses eauxpour vingt-cinq ans.30 septembre 2009La commune, dont l’eauest devenue l’une desplus chères du pays,accuse Suez demalversations et prend

le contrôle desinstallations gérées parPécsi Vizmü Zrt, filiale de Suez Environnement.Elle confie la gestion des eaux à la régiemunicipale TettyeForrásház Zrt.Mars 2010 La Chambre decommerce et d’industrieavalise la rupture

unilatérale du contrat.27 septembre 2011 La Cour suprême deHongrie casse l’arbitragede la Chambre decommerce et d’industrieet se prononce en faveur de Suez Environnement.Le cabinet CompassLexecon réclame26,6 millions d’euros dedommages et intérêts.

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A Pécs, un sujet explosif

� Dessin de Gourski paru dans Izvestia,Moscou.

service public (distribution et traitement deseaux à Budapest)”. Bien que la lettre prési-dentielle ne mentionne aucune entreprise,on comprend clairement qu’elle parle deSuez et de Veolia. Ces entreprises gèrentrespectivement la Société de distributiondes eaux et celle du Traitement des eauxde Budapest, privatisées en 1997 pourvingt-cinq ans. Mais les bénéfices de Suezet de Veolia sont menacés. Surtout si lemaire de Budapest, István Tarlós [Coali-tion Fidesz, KDNP, droite], tient parole etqu’il s’inspire de la reprise du contrôle surla société des eaux de la ville de Pécs, quien 2009 a brutalement remercié les entre-prises françaises [voir encadré].

Le maire a annoncé sa stratégie dès sonélection, en 2010, dans une interview auquotidien Népszabadság concernant ces pri-vatisations  : “Je préférerais dénoncer cescontrats, mais dans un premier temps noussouhaitons les renégocier. S’ils disent non, onpourra entrer dans le deuxième round, qui seramoins amical.”

L’indignation de Tarlós est compré-hensible. Le bilan de la privatisation duréseau des eaux est lamentable – sauf du

côté français. A l’époque [en 1997], le con -sortium dirigé par Suez Environnementavait acheté 25 % des parts de l’usine detraitement des eaux pour 16,5 milliards deforints [52 millions d’euros]. En contre-partie, Suez avait obtenu le droit de diri-ger l’entreprise, qui lui a finalementrapporté 35 milliards de forints jusqu’en2011. Selon les prévisions, Suez pourraitécumer 30 autres milliards d’ici à la fin ducontrat, en 2022. La disproportion du bilanest encore plus flagrante quand on saitque, à la fin du contrat, Budapest sera obli-gée de racheter les actions – d’après noscalculs – pour au moins 17 milliards de

forints. Côté assainissement, la privatisa-tion avait suivi le même schéma. Veolia,qui avait acheté sa part de 25  % pour16,9  milliards, a perçu un peu plus de42 milliards et pourrait encore toucher35 milliards jusqu’en 2022, avant d’empo-cher 18 milliards au rachat.

L’enquête judiciaire, déclenchée il y adeux mois, dira si Gábor Demszky [le pré-cédent maire de Budapest, accusé d’avoirattribué ces marchés publics dans desconditions opaques] et les entreprises fran-çaises avaient négocié ces privatisations.Une chose est sûre : le délégué du mairenégocie encore avec Suez, mais un “secondround” moins amical n’est plus exclu. Selonnos informations, les experts de la mairieont la preuve formelle que les Françaisn’ont pas respecté le contrat, mais ils n’endisent pas plus. (Avec Veolia, les relationsde la mairie sont plus harmonieuses. Selonune de nos sources, ce sont de “bons Fran-çais”. Lorsque, par exemple, la municipa-lité a établi le prix des eaux usées pour 2012,ils ont accepté une faible hausse, de 2,56 %.)

Quant à la lettre du président Sarkozyadressée à Viktor Orbán, c’est une pression

Suez et Veolia se sont partagéles eaux de Budapest. Au granddétriment des consommateurs,accuse l’hebdomadaire de centre droit Heti Válasz. Dans la capitale hongroise, la pilule ne passe pas.

Heti Válasz (extraits) Budapest

�L ’eau est l’une des richesses natu-relles les plus importantes enHongrie. Sa valeur marchande

est inestimable. Celui qui distribue l’“orbleu” jouit d’une situation de monopole et,faute de conditions réglementées, il peutdemander n’importe quel prix pour sontravail. C’est par sa vulgarité qu’on saisitle mieux le principe de ce business  :puisque les gens iront toujours boire etpisser, l’exploitation des “usines à eau” etdes égouts est vouée au succès.

Cette conception, qui fait fi des consi-dérations d’intérêt général, ne plaît pas auxEtats de droit européens. En France parexemple, la Ville de Paris, qui [pendantvingt-cinq ans] a confié la gestion de soneau aux deux principales entreprises dusecteur, Rive gauche à Suez, Rive droite àVeolia, s’est séparée en 2010 des presta-taires nationaux, qui ne visaient que leprofit. Et la capitale française a repris endirect la gestion des eaux, car – suivant laformule des hommes politiques locaux –“l’eau n’est pas une marchandise, il est normalde retirer sa gestion à la sphère privée pour larendre à la collectivité”.

Malgré cela, le pouvoir central fran-çais n’hésite pas à engager les moyensdiplomatiques de son capitalisme d’Etatpour que Suez et Veolia puissent tran-quillement encaisser des profits à l’étran-ger, comme en Hongrie. Nicolas Sarkozy,dans une lettre du 23 novembre 2011 adres-sée au Premier ministre Viktor Orbán etrécemment publiée sur le site Internet del’hebdomadaire Magyar Narancs, dit sansambages son “inquiétude”. Il attend des“résolutions satisfaisantes”, ajoute-t-il, no -tamment dans “le cas des concessions de

“Si le contrat n’est pasrenégocié, le deuxièmeround sera moins amical”

100 km

Danube Budapest

Pécs

HONGRIE

Tisza

SERBIE

SLOVAQUIE UKR.

AUTRICHE

CROATIE

SLOV.ROUMANIE

LacBalaton

Marchés publics

Complots sur les eaux hongroises

Page 19: Les républicains à la recherche du candidat idéal

La fausse candidature d’EricCantona inspire leschroniqueurs. The SundayTelegraph a imaginé son journal de campagne : un texte truffé d’envolées dansle plus pur style du “King Eric”.

The Sunday Telegraph (extraits) Londres

Dimanche 5 janvierLa politique, c’est un peu comme le cinémaou le football. Il y a une scène, un public et,si vous êtes français, vous pouvez fairebeaucoup d’argent – parfois légalement –sur les trois tableaux.

L’élément de surprise est toujoursimportant pour moi. Sur un terrain de foot-ball, lorsqu’un défenseur croit que je vaispasser à gauche, je passe à droite. QuandLeeds croit que je vais rester après avoirremporté le titre, je passe les Pennines [lachaîne montagneuse située au centre del’Angleterre] et je pars pour Manchester.Et quand le supporter du Crystal Palacecroit que je vais tranquillement rentrer medoucher après avoir été expulsé par l’ar-bitre, je le démonte façon kung-fu.

C’est pareil au cinéma. Tout le mondepense que vous allez vous planter, et vousles surprenez en étant juste un peumeilleur que Vinnie Jones [ancien foot-baller britannique devenu acteur].

Beaucoup d’acteurs font de superpoli-ticiens : Ronald Reagan, Tony Blair, MerylStreep. Moi aussi, je pense, je peux faire unbon politique. D’ailleurs, mon coup degénie, aujourd’hui, consiste à prendre toutle monde de court en disant que, finale-ment, je me présente après avoir dit que jene me présentai pas, juste après avoir ditque je me présenterai.

Le chien, il ne reste pas sous la tableparce qu’il pleut dehors.

Lundi 16 janvierAujourd’hui, les journalistes m’interrogentsur mon programme. Parbleu !* Je ne suispas un homme, je suis Cantona  ! Vouspouvez amener le cheval à l’abreuvoir maisvous ne pouvez pas le faire voler. “Alors,votre programme ?” me redemande le jour-naliste. OK, je réponds. Je le regarde droitdans les yeux et remonte le col de ma che-mise que je porte avec une cravate, maissans numéro sept sur le dos. Le voilà, mon“programme”, monsieur le journaliste : lelogement. C’est important. En Angleterre,il y a plein de footballeurs qui ont deux outrois maisons et pas un seul livre d’AlbertCamus, Bernard Henri-Levy ou MichelHouellebecq. En France, il y a 10 millionsde personnes qui peuvent lire Camus maisqui n’ont pas un logement décent. C’estvraiment une injustice.

Je poursuis : à propos de justice, si jesuis élu président, je nommerai ZinedineZidane au ministère de la Justice. Il estcomme moi, il a le sang chaud. Il croit auprincipe “œil pour œil, dent pour dent et coupde boule pour insulte à ma sœur”. Le journa-liste me demande ensuite si je nommeraid’autres footballeurs au sein de mon gou-vernement : “Pourquoi pas Franck Lebœufau ministère de l’Agriculture ?” (il est vrai-ment con, ce journaliste). Ouais, jeréponds, et puis je mettrai Thierry Henryaux Transports. Vroum vroum.

Je rigole. Des fois, les gens me pren-nent trop au sérieux.

Qui s’y frotte s’y pique.

Mercredi 25 janvierLa campagne marche bien. Je suis en têtedans les sondages, je fais même mieux queDominique Strauss-Kahn avant New York.Les gens m’aiment parce que je les fascine.

Oui, je joue au beach soccer mais je prendsaussi des photos de taureaux, je peins destableaux abstraits pleins de couleurs etj’écris les paroles des chansons de maseconde épouse. Elle est actrice et chan-teuse aussi. Carla Bruni aussi, elle chante.Mais moi, je préfère me mettre la tête dansla cuvette et écouter Paul Scholes chanterCome On The Reds [l’hymne de Manches-ter United, le club britannique où Eric Can-tona a construit sa légende].

L’hirondelle, elle ne part pas au sudpour chasser la lune.

Mardi 13 marsAujourd’hui, je fais un grand débat prési-dentiel avec François Hollande, MarineLe Pen, Nicolas Sarkozy et Dominique deVillepin. Je l’aime bien, Villepin. C’est unpoète comme moi. Les autres, je ne suispas loin de croire que c’est juste des sacs

à merde*. Sarkozy, c’est le pire des crétins.J’étais en train de parler de mon idée degénie de 2010 (quand j’ai dit aux gens deretirer toutes leurs économies des banquesle même jour) quand il me répond que mafemme a tourné une pub pour le CréditLyonnais. Du coup, je réponds que safemme a couché avec tout le monde sur lecontinent. Il me traite de racaille. J’essaiede lui balancer un coup de pied dans latronche mais il est trop petit et c’estMarine Le Pen qui prend. C’était très drôle.

A la fin du débat, j’ai 95 % d’opinionsfavorables.

Vendredi 30 marsAujourd’hui, j’ai fait une grave erreur. Unjournaliste m’a interrogé sur ma politiqueavec l’Angleterre. Je réponds que je ne suispas stupide comme Sarkozy. J’ai pleind’amis en Angleterre et avec David Came-ron on va construire des grands ponts au-dessus de la Manche.

Ce soir, je n’ai plus que 5 % d’opinionsfavorables.

Le taureau se bat pour la gloire et poursurvivre, mais aussi pour une vache àquatre estomacs et seulement un cul.

Jeudi 5 avrilAujourd’hui, j’ai décidé de vivre en Angle-terre. Pourquoi vouloir devenir présidentquand on peut être king ? Et le roi, il n’estjamais aimé dans son propre pays. C’est ceque je me dis à bord de l’Eurostar en regar-dant Sky Sports avec mon déodorantL’Oréal et ma paire de Nike. Je pense queje serai très heureux en Angleterre. Came-ron dit que je peux aider l’Angleterre àfinancer ses prochains blockbusters et sirAlex Ferguson [légendaire manager deManchester United] que je peux l’aider àdevenir le premier nouveau roi d’Ecosse,après Salmond. Iain Hollingshead* En français dans le texte.

Pastiche

Le journal intime d’Eric The King

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 19

Le King Eric fait l’unanimitédans la presse britannique, où l’on regrette que sacandidature ne soit passérieuse. Ne serait-ce que pour secouer un peu la mornecampagne présidentielle.Quel dommage que la vraie-fausse candidature d’Eric Cantona à l’électionprésidentielle ne soit qu’un coupmédiatique ! L’ancienfootballeur a annoncé le 9 janvier dans Libérationqu’il était à la recherche des 500 signatures nécessairespour présenter sa candidature

à l’Elysée, mais la vérité a étérévélée depuis : il s’agissait d’un stratagème pour attirerl’attention et soutenir la Fondation Abbé-Pierre.Certes, Eric Cantona ne semblepas le plus qualifié pour les hautes sphères de l’Etat.Presque aussi connu pourl’agression d’un supporterrailleur que pour son jeu agressifsur le terrain, on pourrait le soupçonner de ne pas avoir le sang-froid* nécessaire pour se lancer dans une carrièrepolitique. Sa façon de s’exprimer, bien que

galvanisante à sa manière, est incompréhensible. Un jour,lors d’une conférence de presse,il a abasourdi toute la salle avec une déclaration qui semblait sortir de nulle part :“Quand les mouettes suivent un chalutier, c’est parce qu’elles pensent que dessardines seront jetées à la mer.”Il aurait pourtant contribué à casser le train-train de la campagne présidentiellefrançaise. Impossible, en effet,de qualifier d’ennuyeux un homme qui, devant se décrireen cinq mots [dans une

interview au magazinebritannique GQ, en juillet 2011],répond “the big sex of a sportsfish” [le grand sexe d’un poissonde sport]. Son absence dansla campagne va sans doutedécevoir les Français, mais c’estpeut-être mieux comme ça. De nombreuses stars du sportont tenté de se lancer dans la politique et ont vu leur campagne échouer ou êtreridiculisée. George Weah,gagnant du Ballon d’or en 1995,s’est présenté à l’électionprésidentielle dans son pays, le Liberia, et a été humilié quand

on révéla qu’il n’avait pasréellement le diplôme en management du sport de la Parkwood University de Londres. Depuis qu’il a arrêté le football,Eric Cantona s’est reconvertiavec succès en acteur et en penseur. Devenir politicienne ferait que desservir cet homme extraordinaire.Mieux vaut être le roi d’OldTrafford [stade de ManchesterUnited] qu’un simple président*.Vive le roi !*Financial Times Londres* En français dans le texte.

Campagne présidentielle

Le Royaume-Uni a voté : ce sera Cantona !

Sur le w

eb

www.courrier

international.comHéros populaire. Le "journal intimedu candidat Cantona" est à retrouver en intégralité sur le site de Courrier international.Eric Cantona reste une figureadulée en Grande-Bretagne, et particulièrement à Manchester,

� Dessin de Gary paru dans Sunday Times,Londres.

où, entre 1992 et 1997, il a conduit le club Manchester United aux sommets. Les supporters lui ont dédié une chanson, Ooh AhhCantona, et Ken Loach lui a fait jouerson propre rôle dans le film Lookingfor Eric, en 2008.

Page 20: Les républicains à la recherche du candidat idéal

20 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

Une culture de la haine règne à Budapest, s’inquiète le journaliste Boris Kálnoky.Les hostilités entre “Juifs”,“fascistes” et “communistes”menacent la démocratie.

Die Welt (extraits) Berlin

�P endant les fêtes de fin d’année,une étoile de David a été colléesur ma boîte aux lettres, à Buda-

pest. J’en ai parlé à mon voisin. “En quoicela me regarde-t-il ?” m’a-t-il rétorqué,avant d’ajouter : “C’est sur celle de ton voisinde palier qu’ils auraient dû la coller, parce quelui, c’en est un. Peut-être qu’ils se sont trom-pés.” L’affaire m’a quelque peu étonné, pourdeux raisons : en tant qu’Européen, d’abord,je pensais que nous n’en étions plus làdepuis 1945 ; en tant que citoyen hongrois,ensuite, je suis à peu près certain que per-sonne n’a eu de conjoint juif dans ma familleau cours des huit cents dernières années.En tout cas, je n’en ai trouvé aucun lors destrois années que j’ai consacrées à unouvrage sur l’histoire de ma famille [Ahnen-land (Le pays des ancêtres), Droemer,février 2011]. Mais peut-être cela se pro-duira-t-il un jour, à mesure des brassages.

Ce n’est pas la première fois que je mefais traiter de “Juif”. La dernière fois, c’étaitaprès avoir interviewé l’écrivain juif hon-grois György Dalos [voir CI n° 992, du5 novembre 2009]. Le site d’extrême droite<hunhír.hu> m’avait alors défini comme unjournaliste juif allemand ( je ne suis ni l’unni l’autre) et avait qualifié le quotidien DieWelt d’“organe cosmopolite haineux aux mainsdes Juifs ultralibéraux”. Ma belle-mère litce type de sites web – qui connaissent,

Europe

semble-t-il, un succès croissant – et vit dansla crainte des conspirations sionistes.J’avais voulu réaliser cet entretien carGyörgy Dalos, détracteur acharné du gou-vernement conservateur hongrois, avaitdéclaré que ce type d’attaques l’inquiétaitde plus en plus. Si elles étaient légitimes,disait-il, leur virulence, en revanche, por-tait préjudice au pays. C’était égalementmon avis. Nous voulions voir si nous par-viendrions à trouver un terrain d’ententepar-delà les frontières idéologiques – il estlibéral de gauche, je penche plutôt vers ladroite chrétienne.

Mises à mort verbalesCe terrain d’entente, nous le cherchonstoujours. Mais nous sommes d’accord surle fait que la Hongrie voit s’installer, àgauche comme à droite, une dangereuseculture de la haine qui ne constitue pas unterrain favorable à une démocratie saine.

Quel dommage ! A la fin des années1980, les prédécesseurs des actuels conser-vateurs, socialistes et libéraux étaient par-venus, ensemble, à faire tomber le rideaude fer. Tous avaient contribué à faire de laHongrie une société libre et démocratique,membre de l’UE et de l’Otan. Or, à encroire aujourd’hui les discours des conser-vateurs, des socialistes et des libéraux, lesdémocrates auraient disparu du paysagehongrois.

N’est démocrate que celui qui a laparole. Il n’y a pas de socialistes : selon laterminologie quasi officielle du gouverne-ment de la Fidesz, ce sont des commu-nistes. Il n’y a pas de centre droit (comme

se considère pourtant la Fidesz) : selon laterminologie quasi officielle des socialisteset des libéraux, ce sont des fascistes, auto-ritaires, dictatoriaux et totalement anti-démocratiques. Il n’y a pas de libéraux : s’ilssont de gauche, ce sont eux aussi des com-munistes ou, comme cela se dit plus oumoins ouvertement, des Juifs. C’est danscette culture de la mise à mort verbale del’adversaire politique que prolifère un nou-veau parti d’extrême droite ouvertementraciste : le Jobbik. Les socialistes aiment leJobbik : il leur permet de discréditer laFidesz, accusé d’en être “idéologiquementproche”. Les nouveaux Verts (LMP) ontvoulu former une coalition avec lui. LaFidesz tente de récupérer une partie de sesélecteurs en lui emboîtant le pas de tempsen temps.

J’ai parfois l’impression que nous avonstous sombré dans la folie. Il existe un anti-sémitisme qui, comme j’ai pu le constatersur ma boîte aux lettres, peut au besoin sepasser des Juifs. Tout comme il existe unanticommunisme sans communistes, unantifascisme davantage dirigé contre laFidesz que contre le fascisant Jobbik, et

Hongrie

“Une étoile jaune collée sur ma boîte aux lettres…”

L’auteur

Citoyen à la double nationalité, hongroise etaméricaine, Boris Kálnoky est né à Munichen 1961, d’un père originaire de Transylvanie(actuelle Roumanie). Journaliste auquotidien Die Welt, il a couvert la guerre desBalkans et d’autres zones de conflit. Depuis2004, il est correspondant à Istanbul.

Sur le w

eb

www.courrier

international.com Retrouvez la version intégrale de l’article de Boris Kálnoky sur notre site.

Divisions

1er janvier Entrée en vigueur de la nouvelleConstitution, élaborée par la Fidesz, du Premier ministre Viktor Orbán, élu en 2010, avec les deux tiers des députés au Parlement. Les nouvelles mesuressuppriment la référence à la “république” de Hongrie, accroissent le contrôle dugouvernement sur la justice et, en matièreéconomique, sur la Banque centrale.2 janvier Bien que divisée, l’oppositionrassemble quelque 70 000 personnes dans une manifestation contre la nouvelleConstitution, jugée liberticide.17 janvier La Commission européennelance trois procédures du chef d’“infractionau droit communautaire” à l’encontre de la Hongrie.18 janvier Critiqué au Parlement européen,Viktor Orbán obtient le soutien du PPE, le Parti populaire européen (dont il est l’un des vice-présidents) le plus puissant de l’assemblée de Strasbourg. 21 janvier Plus de 100 000 Hongrois défilent à Budapest pour manifester leur soutien au Premier ministre.

� Dessin d’Andrzej Jacyszyn paru dans Rzeczpospolita, Pologne.

une lutte contre la dictature en l’absencede dictateur. C’est un peu comme si toutce qui avait été dissimulé sous le tapis àl’époque de la chute du communisme res-sortait aujourd’hui.

Vingt ans plus tard, on rattrape letemps perdu. Le pouvoir communiste desannées d’après-guerre comptait de nom-breux Juifs – aujourd’hui, on voit monterà leur endroit une haine qui repose demanière subconsciente sur l’antisémitismepolitique des décennies précédentes.

Esprit de vengeanceLe fait que le gouvernement post-communiste au pouvoir de 2002 à

2010 se soit distingué par un climat decorruption sans précédent et ait mené lepays à la ruine économique n’a fait qu’ali-menter un stéréotype déjà profondémentancré dans les esprits selon lequel les socia-listes sont des Juifs, lesquels sont desvoleurs. Les socialistes sont chassés desmédias. On cherche à sanctionner rétros-pectivement les ex-communistes. Et lahaine fonctionne à l’identique en sensinverse. Tout conservateur, voire tout chré-tien, est traité de fasciste. L’écrivain juifAkos Kertész [survivant de la Shoah] s’estlaissé aller à de basses tirades biologistesen écrivant : “Le Hongrois est né vassal, c’estdans ses gènes.” Beaucoup d’intellectuels“progressistes” en Hongrie ont expriméleur compréhension.

Voilà donc où nous sommes rendus.Tout le monde vitupère et s’invective. Pourla première fois, un gouvernement [celuide Viktor Orbán], fort d’une majorité desdeux tiers, a la possibilité de mener unepolitique volontariste et tournée vers l’ave-nir. Au lieu de cela, c’est un programmerigide, idéologique et à maints égardsempreint d’un esprit de vengeance qui estmis en œuvre, dans un tumulte de discoursextrémistes de tous bords politiques.

Beaucoup d’idées de la Fidesz étaientpourtant bonnes : mettre provisoirementles multinationales à contribution, fairebaisser et simplifier l’impôt, réduire ladette publique en puisant partiellementdans les fonds de retraite, c’est-à-dire enprenant l’argent de la génération respon-sable de la dette plutôt qu’en accablant lasuivante. Mais voilà, cela n’a pas fonc-tionné. Le forint dévisse et l’endettementpublic reste élevé malgré l’amortissementde la dette. On assiste au règne de l’im-provisation, l’impôt se complexifie etrepart à la hausse. Il flotte dans l’air un sen-timent généralisé de fiasco. C’est un sen-timent que j’avais déjà évoqué avant lesdernières élections : ce n’est pas la Fideszqui bénéficie d’une majorité des deux tiers,c’est la colère citoyenne. Et celle-ci trou-vera bientôt d’autres modes d’expression.Au plus tard, lors de la fête nationale du15 mars, où des manifestations monstressont attendues. Boris Kálnoky

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Les manifestations semultiplient et le gouvernementincrimine les “casseurs”.Mieux vaudrait prendre ce mouvement au sérieux, note un sociologue roumain.

România Libera (extraits) Bucarest

�I l s’agit peut-être de la démons-tration la moins homogène qu’ilm’ait jamais été donné de voir en

Roumanie : la diversité des participants– retraités, étudiants, révolutionnaires,intellectuels, chômeurs, supporters defootball, chanteurs, etc. – n’a d’égale quecelle de leurs revendications et de leursgriefs – salaires, retraites, taxe sur les voi-tures achetées à l’étranger, démission deTraian Basescu, le président.

Un seul dénominateur commun : l’in-dignation. Ces jours-ci, parmi les révoltés,on trouve aussi sur la place de l’Universitéde Bucarest des bandes de jeunes margi-

naux, mécontents – eux aussi – de ne pastrouver de travail, mécontents de la réduc-tion des prestations sociales, de l’aug-mentation du coût de la vie. Qu’on leveuille ou non, ils font également partie dela société civile. Pour eux, la confrontationconsiste avant tout à causer le plus dedégâts possible à l’adversaire, à lui cracherdans les yeux, à lui mettre un poing dansle plexus. Bon nombre d’entre eux font éga-lement partie des clubs de supporters deséquipes de football. Ils ont toujours besoind’un exutoire pour leur colère. Ils sont iciparce qu’ils peuvent hurler à leur guise leurexaspération, parce que enfin ils trouventune place parmi ceux qui d’habitude lesrejettent, parce qu’ils espèrent, commenous tous, que quelque chose va changerdans leur vie.

Ces jours-ci, les protestataires ont fra-ternisé avec les gendarmes, les opposantsavec ceux qui soutiennent le pouvoir… Toutle monde a fraternisé avec tout le monde,sauf avec les casseurs. Les manifestantsont en effet toujours pris soin de dire qu’ilsprotestaient pacifiquement. La violence

nous répugne tous. Mais la violence, cen’est pas seulement arracher les pavés desrues. La violence, c’est aussi imposer uneloi électorale sans arguments valables etsans débat public [lire ci-dessous]. Ouréduire les salaires de ceux qui travaillenthonnêtement. En imputant la violence auxseuls casseurs, on risque de perdre le sensfondamental de la protestation.

Quant au gouvernement, il exprime sapleine compréhension des griefs des mani-festants et affirme reconnaître leur respectdu droit démocratique de manifester dansdes lieux autorisés. Mais il ne change enrien sa conduite. Il attend, de toute évi-dence, qu’une rafale providentielle deblizzard ou de lassitude chasse les mani-festants de la place.

Cette stratégie comporte des risques :lorsque les gens comprendront qu’ils n’ar-rivent à rien en manifestant symbolique-ment leur exaspération, ils se sentirontmarginalisés. Et ils deviendront eux aussides marginaux. Et la gendarmerie devraidentifier encore plus de casseurs ! Mircea Kivu

Roumanie

Les “indignés” enflamment Bucarest

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 21

L’étincelle

9 janvier Le président Traian Băsescuqualifie d’“ennemi de la réforme”le sous-secrétaire d’Etat à la Santé RaedArafat, très populaire dans le pays, qui donne sa démission. Début des manifestations.Du 14 au 16 janvier Les manifestants, de plus en plus nombreux, scandentdésormais des slogans contre tous les partispolitiques. Des dizaines de blessés.17 janvier Raed Arafat est rappelé au gouvernement et se voit confier le projet de réforme de la santé.19 janvier Plus de 10 000 personnesmanifestent à l’appel de l’opposition de gauche.23 janvier Le mouvement continue bien que le nombre de manifestants soit en baisse. Le ministre des Affaires étrangères estrévoqué après avoir qualifié les manifestantsde “masse inculte”. Les observateurs ont du mal à cerner la portée et le sens des manifestations.Le gouvernement ne s’est toujours pasprononcé sur l’éventualité d’électionsanticipées.

Retrouvez sur presseurop.eu,premier site d’information multilingue européen, le portrait de Raed Arafat,le sauveur de la réforme de la santé.

PIERRE WEILLVendredi 19h20 - Partout ailleursRetrouvez "Tout un monde en cartes" vendredi 27 janvier à 19h20 avec franceinter.fr

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22 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

Europe

Reportage au siège espagnol de Standard & Poor’s, l’agencequi a dégradé la note de la France. La société justifie sa décision, mais tient à resterdiscrète sur ses méthodes.

El País (extraits) Madrid

�U n appartement discret dans unerue discrète au nom de mar-quis, dans le quartier le plus

prospère de Madrid, héberge le siègeespagnol de Standard & Poor’s (S&P). Unjeune homme d’une trentaine d’annéesà l’accent étranger, tenue décontractée,fume devant l’entrée de l’immeuble. Al’intérieur, une plaque annonce l’étage dela société, l’une des trois principalesagences de notation de la planète avecMoody’s et Fitch. Dans la grande pièce,on ne voit pas de grands écrans et per-sonne ne se déplace d’un pas rapide. Maisc’est dans des salles comme celle-là quese préparent des décisions qui font bas-culer les destins financiers internatio-naux et provoquent des crises qui ont faittrembler et s’effondrer plusieurs gou-vernements. Les leaders européens onttrès vite réagi à la dernière décision, àsavoir la dégradation de neuf pays, dontla France, l’Italie et l’Espagne. C’est direl’importance des agences dans cette crise.

Le jeune homme s’avère être l’un des25 analystes de S&P en Espagne. L’un deces hommes sans pitié qui, ces derniersmois, ont mis sens dessus dessous lesmarchés du monde entier par leurs baissescontinuelles du rating [classement] desdettes souveraines. Après avoir terminésa cigarette, il se mêle à ses collègues desdeux sexes et de la même classe d’âge. Ilscommuniquent peu, seulement le strictnécessaire, normalement en anglais, touten se concentrant sur une tâche précise.Ils sont de plusieurs nationalités et leurprofession les oblige à être imperméablesaux critiques qui pleuvent dès l’annonced’une dégradation.

ConfidentialitéEvaluer la solvabilité du reste de l’huma-nité est un métier qui en fait souvent unecible de choix pour les gouvernements,les établissements financiers, les entre-prises et toutes sortes d’agents écono-miques. Sans aller plus loin, le 12 janvier,le président de la Généralité [région auto-nome] de Catalogne, Artur Mas, n’a pasmâché ses mots lorsqu’il s’est interrogésur la dégradation de la Région autonomede Valence décidée par Moody’s. “Soyonssérieux, ces agences donnaient la meilleure

note à des établissements qui, quarante-huitheures plus tard, étaient en faillite”, a-t-ildéclaré, faisant allusion à la banqueLehman Brothers [déclarée en faillite le15 septembre 2008]. Les codes de con -duite des agences les rendent rétives auxcontacts avec les médias. On ne doit pasparler, ne pas faire de déclarations, êtreinvisible. Toutefois, à force d’être atta-quées, elles ont fini par réagir et parentrouvrir leurs portes. “Nous n’aimonspas qu’on nous accuse sans preuve”, sedéfend Myriam Fernández de Heredia, laseule Espagnole à la tête de l’agence, res-ponsable du rating des dettes souveraineset du secteur public pour l’Europe, le

Moyen-Orient et l’Afrique. “Nous nesommes pas coupables de la crise”, inter-vient un dirigeant d’une autre agence,qui tient à garder l’anonymat. MyriamFernández de Heredia nous explique parle menu la structure de S&P et son fonc-tionnement, qui diffère à peine de celuides autres agences ; mais elle ne dit riende la dégradation. Les règles de confi-dentialité sont très strictes. Elle s’em-ploie donc à expliquer le complexemécanisme servant à estimer la plus oumoins grande solvabilité des émetteurs,comme elle appelle ses clients. “Nousappliquons une méthodologie stricte, nousn’agissons pas par caprice, souligne-t-elle.

Nous nous efforçons d’attribuer des notesstables. Le marché, au contraire, est plusinstable. Jusqu’à une date très récente, lesmarchés faisaient à peine la différence entreles obligations allemandes et grecques, tandisque nous, nous notions de manière différentela dette des deux pays. On ne dit rien à cesujet. Et cela nous oblige à bien préciser leschoses pour qu’on comprenne comment nousagissons.” Myriam Fernández de Herediaet le dirigeant de l’autre agence rappel-lent que, quand les notes étaient plusélevées, de nombreux gouvernementss’en servaient pour vanter leur bonnesanté financière. Or, aujourd’hui, ce sontles mêmes qui tentent de sous-estimerl’importance de la note.

Strict code de conduitePour devenir analyste, il faut une excel-lente formation sur les marchés et plu-sieurs années d’expérience en analyse decrédit. Indépendamment de son expé-rience, pour qu’une nouvelle recrue puissetravailler comme analyste, elle doit êtrereçue à deux examens qui certifient sa maî-trise des techniques d’analyse de toutessortes d’actifs, ainsi que ses connaissancesapprofondies de la discipline dans laquelleelle va se spécialiser. L’anglais est la languede travail, mais il n’est pas rare que les ana-lystes soient trilingues.

Après leur embauche, ils passent sou-vent d’un service à l’autre, mais très rare-ment d’une agence de notation à une autre.Une fois entré dans ce secteur, il est diffi-cile d’en sortir, et les plus âgés ont entre 35et 55 ans. Ces entreprises imposent à leursanalystes un code de conduite très strict :ils ne peuvent pas recevoir de cadeaux, nidiscuter des honoraires, ni prendre de déci-sions de manière unilatérale.

Les agences de notation sont desentreprises privées cotées en Bourse(McGraw-Hill dans le cas de sa filialeS&P) et cherchent avant tout la rentabi-lité. S&P et Moody’s, qui se battent pourla première place, et Fitch, le troisièmelarron, se partagent 95 % de l’activité dusecteur. Le milliardaire américain WarrenBuffet détient 10 % de Moody’s, mais enrègle générale le capital des agences serépartit entre plusieurs fonds d’inves- tissements, souvent les mêmes. Cette si tuation ainsi que leur position quasi oli-go polistique ont semé le doute sur l’in-fluence de ces fonds d’investissementsdans ces agences. Ces derniers ont beaunier catégoriquement, il est évident qu’ilsont des intérêts communs.

Les trois agences ont un siège centralà New York, un autre en Europe, àLondres, ainsi que plusieurs filiales (dontune à Madrid), et fonctionnent comme

Union européenne

Faut-il brûler les agences de notation ?

� Dessin de Nerilicon paru dans El Economista, Mexico.

Page 23: Les républicains à la recherche du candidat idéal

des vases communicants. “Les équipes sonttrès soudées et personne ne travaille dans soncoin, explique Mme Heredia. En ce quiconcerne la dette souveraine des Etats,cinq facteurs sont pris en compte dans lanote : la stabilité politique, la situationéconomique, les liquidités financières,les politiques budgétaire et monétaire.Chacun de ces postes se voit attribuerune note, de 1 à 6, où 1 est la meil leurenote. Et c’est à partir de ce classementqu’est établi le rating définitif, qui va dutriple A au défaut de paiement.

La notation se fait à la demande duclient et elle évalue sa capacité à rem-bourser sa dette en temps et en heure.Dans le cas de la dette souveraine, ce sontdonc les gouvernements qui sollicitent

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 23

Coup de force

Non à l’ingérence américaine !

Conséquence Dans notre derniernuméro, CI n° 1107, nous étionsrevenus sur la dégradation de la note de la France et d’autrespays européens par l’agence de notation financière Standard

& Poor’s, ainsi que sur ses éventuelles conséquencespolitiques : “Pourquoi la Francetombe”, un dossier à retrouver sur notre site Internet.

ce rating. Il y a pourtant des exceptions.Les agences effectuent en effet de leurpropre initiative les ratings des grandespuissances : la France vient d’en faire ladouloureuse expérience. Les agences ren-dent ainsi service aux investisseurs, quisont, en définitive, les principaux utili-sateurs et les premiers à réclamer cesnotations. De surcroît, la méthode utili-sée nécessite d’avoir la note d’un payspour analyser toute autre entité installéedans ce pays.

Le mode opératoire est des plus simple.Deux analystes proposent une note à lacommission dont ils font partie, compo-sée d’autres analystes chevronnés. Ilscommuniquent par vidéoconférence oupar téléphone. La commission est com-

posée d’un nombre impair de personnes,généralement cinq ou sept ; il n’y a pas devoix prépondérante et sa compositionn’est jamais rendue publique.

La décision de la commission estensuite communiquée au client et, selonles normes en vigueur en Europe, cettedécision doit rester confidentielle pen-

dant douze heures. Une fois le ratingoctroyé, il y a un suivi et une révision dela note au minimum une fois par an.Le nombre de révisions augmente enpé riode d’instabilité, comme c’est le casactuellement.

C’est ainsi que, le 13 janvier 2012,neuf pays ont vu leur note dégradée. Unedécision qualifiée d’“aberrante” parBruxelles. “Le rating a encore de beaux joursdevant lui”, s’insurge Myriam Fernándezde Heredia. Il est probable qu’elle ait, entant que responsable de la notation desEtats et du secteur public pour l’Europe,participé à la dernière commission sur ladette souveraine, même si la compositionde la commission reste confidentielle.Miguel Angel Noceda

de manière concrète en termes financiers.Nous le saurons quand les pays concernéslanceront de nouveaux emprunts d’Etat.

Le véritable danger vient toutefoisd’ailleurs : l’agence de notation ne s’estpas contentée de donner son opinion surles placements les plus judicieux pour lesinvestisseurs, elle s’est lancée dans unetentative d’ingérence directe dans lesaffaires européennes. Ce n’est pas la placed’une agence de notation. Les Américainsessaient de plus en plus ouvertementd’obliger les Européens à adopter lesmêmes logiques économiques et finan-cières qu’eux. Autrement dit : faire tour-ner la planche à billets dès que c’estnécessaire, que ce soit pour voler ausecours des banques ou pour mettre enplace une politique de relance budgétaire.Ceux qui s’y refusent voient leur notediminuer.

Si les spécialistes américains disentavoir pris en compte la crise politiquelatente sur le continent, l’adoption de

Plus la BCE se rapproche du modèlefinancier et économique américain, plusles agences se montrent conciliantes.Autrement dit : tant que les Européensne se conformeront pas aux critères desagences, leur note sera abaissée, et, lorsqueces dégradations auront effectivementcausé la ruine de plusieurs pays et fait s’ef-fondrer la zone euro, il ne faudra y voir quedes dommages collatéraux et une consé-quence logique de cette désobéissance.

Standard & Poor’s a déjà réussi à semerla zizanie entre membres de la zone euro.L’Allemagne est le bon élève que tout lemonde déteste ; malgré tous leurs efforts,les Italiens ne sont que des vauriens et laFrance semble en retard sur l’Allemagne.Cela fait déjà un moment que les agencesde notation envisagent le scénario queredoutent tant de responsables politiques :l’éclatement de la monnaie unique enun euro du Nord et un euro du Sud. Lesagences américaines divisent l’Europe. Onremarquera également que la zone euro necompte désormais plus que seize pays : laGrèce – n’étant plus jamais mentionnée –ne semble déjà plus en faire partie.

Les gouvernements européens ont lechoix entre deux possibilités : ils peuventjouer le jeu des agences de notation etsuivre leurs instructions, l’œil rivé à leurnote ; ou bien ils peuvent tirer les leçonsde l’Histoire et réformer ce système d’éva-luation datant du siècle dernier. Le mono-pole des trois grandes agences de notationappartient au passé. Celles-ci doivent êtretenues de rendre des comptes et revoir leuréchelle de notation. Sans cela, ce petit jeupeut continuer longtemps, jusqu’à ce quetous les pays aient perdu leur solvabilité.Au moins pourrait-on alors se débarrasserdes agences. Cerstin Gammelin

En dégradant la note de neufpays, l’agence Standard & Poor’sopère une division Nord-Sud de la zone euro. Un coup de force inadmissible, estime le quotidien libéral de gauche.

Süddeutsche Zeitung Munich

�L es choses deviennent sérieuses.En abaissant la note de neufpays sur dix-sept [le 13 janvier],

la toute-puissante agence américaineStandard & Poor’s a lancé contre l’Europeune attaque généralisée, aussi audacieuseque contradictoire, et laissé entendre qued’autres dégradations pourraient suivredans le courant de l’année. Une entreprisequasi monopolistique menace de jeter lapierre à des gouvernements démocrati-quement élus. On avait rarement vu untel toupet.

Cette décision jette un éclairage nou-veau sur les relations entre les Etats auxprises avec la crise et les gardiens auto-proclamés de la solvabilité. Standard& Poor’s veut absolument s’immiscer dansles affaires européennes. L’agence améri-caine a attaqué de sa propre initiative, sansqu’on lui demande quoi que ce soit, et justeà temps, puisque les dirigeants européensdoivent se réunir à Bruxelles le 30 janvier.Le message est clair : faites ce que l’on vousdit, vous n’avez pas le choix. L’agence denotation ne craint pas de placer les pays dela zone euro sur le même plan que les paysen développement. Les investisseurs quiplacent leur argent en Espagne ou en Italieprennent apparemment les mêmes risquesque s’ils décidaient d’investir en Inde,en Colombie ou aux Bahamas. Ce raison- nement est aussi absurde que grotesque.Reste à savoir si ce jugement se traduira

“Nous ne sommes pascoupables de la crise,nous n’aimons pasqu’on nous accuse sanspreuve, nous n’agissonspas par caprice”

nombreuses réformes et mesures d’éco-nomie, ainsi que l’existence d’un fonds destabilité destiné à venir en aide aux paysles plus fragiles, ils n’ont visiblement pastout compris. Selon eux, ces mesures sonttrop compliquées, le Fonds européen auraittrop peu d’argent et les Européens mise-raient trop sur l’épargne et pas assez surles stimuli budgétaires. L’action de laBanque centrale européenne (BCE), enrevanche, a été saluée par les agences denotation. En rachetant les dettes des paysles plus instables dans des proportionsdémesurées, la BCE leur aurait permis dese maintenir à flot. Témoignant d’une sou-plesse remarquable, la BCE leur a égale-ment permis d’emprunter des milliards àtaux réduit. Les agences de notation onttout intérêt à ce que la BCE maintienneson taux d’intérêt directeur à seulement1 % – inflation ou non –, car cela est censépermettre aux entreprises de trouver desfinancements bon marché, de se remettreà produire et donc de créer des emplois.

� Dessin d’Arendt, Pays-Bas.

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24 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

La péninsule s’apprête à vivreune grande révolution libérale.Mais les professionsconcernées, chauffeurs de taxien tête, manifestent en masse.

Il Fatto Quotidiano Rome

�C a y est, les “libéralisations”, c’estparti [le décret de libéralisationdu gouvernement de Mario

Monti a été adopté le 20 janvier]. Lesheures d’ouverture des magasins ont déjàété élargies [depuis le 1er janvier, les com-merces qui le souhaitent peuvent ouvrirvingt-quatre heures sur vingt-quatre].Désormais, de nombreuses formalitésadministratives à l’entrée de divers sec-teurs aujourd’hui réglementés sont levées :pharmacies, taxis, bureaux de presse, pro-fessions libérales, etc. Bref, une grandevague de concurrence va s’abattre sur lapéninsule. Pour comprendre la portée detelles dispositions, il faut rappeler qu’enItalie une dichotomie s’est creusée au fil

Europe

des ans entre les secteurs protégés et lessecteurs exposés à la concurrence inter-nationale, en particulier celle des paysémergents. Les secteurs ouverts à laconcurrence, à savoir la quasi-totalitéde l’industrie manufacturière et certainssegments du tertiaire (les secteurs mar-

chands), ont connu de grands bouleverse-ments ces vingt dernières années : pres-sion énorme sur les prix, augmentation dela concurrence sur les marchés étrangerset italien, obligation d’innover, etc.

Disparité de salairesD’un autre côté, des segments importantsde l’économie italienne échappent à laconcurrence chinoise ou brésilienne. Ils’agit en général des secteurs non mar-chands, qui englobent de nombreux ser-vices. Cela pose donc un problème dedisparité entre ces deux secteurs. D’autantque les revenus des travailleurs non sala-riés ont augmenté plus que les revenus destravailleurs salariés des secteurs ouverts àla concurrence.

Est-il juste que certains secteurs soientsoumis à une concurrence chinoise ouindienne impitoyable quand d’autres peu-vent fixer des prix élevés protégés par leurlicence ? Est-il juste qu’un jeune ingénieurdiplômé perçoive 1 600 euros par moisquand son homologue notaire peut gagnerentre 5 000 et 7 000 euros ? Est-il justequ’un chauffeur de taxi gagne entre 3 500et 5 000 euros par mois, contre 1 150 eurospour un ouvrier de la sidérurgie ?

Par ailleurs, ce plan de libéralisationsvise à abaisser les tarifs et à diminuer les

revenus des propriétaires d’une licence.Plus de concurrence implique forcémentdes avantages pour les clients ; des prix plusbas, plus d’innovation, et des services amé-liorés. En résumé, l’objectif des libéralisa-tions est de défendre le consommateurfinal. Et c’est une chose juste.

Taxis à l’américaine ?Mais en libéralisant les horaires d’ouver-ture, par exemple, on favorise clairementla grande distribution au détriment du petitcommerce. En libéralisant les licencesdes taxis on introduit du changement ausein du secteur. A New York, le voyageurdé couvre vite que la quasi-totalité deschauffeurs de taxi sont des immigrés depremière génération, souvent des Africainsqui viennent de débarquer aux Etats-Unis.Dans les villes américaines, des sociétésaccaparent les licences et les voitures, etrelèguent les chauffeurs au rang d’em-ployés sous-payés. Sommes-nous sûrs devouloir une transformation aussi profonded’un point de vue social ?

Les libéralisations ont aussi pour objec-tif de favoriser l’entrée des jeunes dans cer-tains secteurs : les jeunes architectes, lesdiplômés en pharmacie, les jeunes chauf-feurs de taxi, etc. Abattre les barrières àl’entrée des secteurs réglementés revientà augmenter les débouchés pour eux. Maisdeux questions restent en suspens : com-ment gérer le passage d’un système nonmarchand (l’économie italienne d’aujour-d’hui) à un système ouvert ? Sommes-noussûrs de vouloir les mutations socialesengendrées par ce changement ? Si lespetits commerces ferment progressive-ment, le visage des villes ne changerait-ilpas profondément ? Bref, rien n’est toutnoir ni tout blanc. Les problèmes sontcomplexes et demandent des réponses arti-culées. Tout le contraire de ce que la “poli-tique spectacle” propose depuis vingt ans. Sandro Trento*

* Professeur d’économie à l’université de Trente (nord-est de l’Italie), Sandro Trento collabore régulièrementà la presse transalpine : Corriere della Sera, Il Riformistaet maintenant Il Fatto Quotidiano, ancré à gauche.

1,70 euro C’est le prix actuel du carburant au litre en Italie (1,50en France), en raison de la haussede la taxation voulue par le plan de rigueur du gouvernement Monti.

Conséquence : dans tout le pays les camionneurs étaient en grève la semaine du 23 janvier, bloquantles routes pour protester contre ces prix record.

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� Dessin de Mauro Biani, Italie.

“Taxi power”, titraitl’hebdomadaire de centre gauche débutjanvier en critiquantvivement la “corporation”des taxis italiens, qui ont

manifestéet organisé des grèvessauvages tout aulong de

janvier, et encore le lundi23 janvier, pour dénoncer la libéralisation de leursecteur. Le décret suscite l’hostilité denombreuses professions,notamment celle desavocats et despharmaciens . En Italie,paradoxalement, la presse de droitecritique ces mesures,

défendant desprofessions qui votenttraditionnellementà droite, tandis que lapresse dite “progressiste”soutient Mario Monti,arguant que sa politiquemet fin aux privilèges de certaines corporationset introduit un peu deméritocratie dans un paysrégi par les passe-droits.

Contexte

Une politique de gauche ?

Economie

L’Italie brisée, mais l’Italie libéralisée

Page 25: Les républicains à la recherche du candidat idéal

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 25

Financée par le Qatar, la plushaute tour d’Europe serainaugurée à Londres en juin.Pour son architecte, c’est unespace de vie. Pour d’autres, un vulgaire monument au capitalisme.

The Guardian (extraits) Londres

�U n sommet au sommet. Bientôtl’avenir du monde se décideraau dernier étage du Shard [“tes -

son”, “éclat de verre”], le plus haut gratte-ciel d’Europe. Son promoteur, IrvineSellar, envisage en effet de faire du78e étage, si haut perché qu’il se trouveparfois au-dessus de la couche nuageuse,un lieu de conférences prestigieux per-mettant aux dirigeants politiques de seretrouver loin de l’agitation tout en jouis-sant d’une vue imprenable sur le pont deLondres. “On pourrait envoyer les dirigeantseuropéens là-haut et les empêcher de des-cendre tant qu’ils n’auront pas résolu la crisede l’euro”, plaisante-t-il. Cette salle, quisera la plus élevée en Europe, pourraaccueillir jusqu’à 60 personnes et seraaccessible par un ascenseur privé.

Irvine Sellar et son architecte, RenzoPiano, ne sont pas complètement d’ac-cord sur le projet. Un espace panoramiquepublic sur quatre étages est déjà en coursd’aménagement au 68e étage avec un accèspayant estimé à une vingtaine d’euros.Mais le promoteur, soucieux de récupé-rer son investissement de 2 milliardsde livres [2,5 milliards d’euros], ne veutpas laisser passer la manne financière

représentée par les derniers étages. PourRenzo Piano, le Shard est “une célébrationde la vie et, dans une certaine mesure, de lapoésie”, et il propose donc d’en faire unespace réservé à la méditation et non auxhommes les plus riches et les plus puis-sants de la planète.

Tout en haut du Shard, qui culmine à310 m, le panorama est des plus specta-culaires. Les hélicoptères et les avionsvenus atterrir à l’aéroport de la City pas-sent à votre hauteur et, quand il fait beauon peut voir au loin jusqu’à 65 km. Lesouvriers du chantier racontent même qu’ilneige parfois au sommet alors qu’il pleuttout en bas.

L’idée de Renzo Piano n’estpas sans rappeler la Pyrami-de de la paix dans la capi-tale du Kazakhstan, As-tana. Au faîte de cet édi-fice conçu par NormanFoster se trouve unesalle de conférences de200 places destinée auxreprésentants de toutesles religions du monde.Le Shard doit être ache-vé en juin et risquedonc d’ ouvrir ses portes enplein marasme économiquebritannique. Pour l’instant, les27 étages de bureaux n’ont pas en-core trouvé preneur,même si les pro-moteurs se veu-lent rassurantset justifient cet-te situation parune volonté de

n’accepter qu’une clientèle triée sur le vo-let. quatre-vingts pour cent de l’édifice ap-partiennent au Qatar et pour ses détrac-teurs cette création architecturale n’est que

“le poignard du capitalisme mon-dia lisé” ou encore “une pyra-mide moderne célébrant l’arri-vée des Qataris sur la scènemondiale”. Mais de nombreuxLondoniens sont déjà atta-chés à l’édifice. Renzo Pianorefuse de voir ce gratte-cielcomme l’emblème d’uneépoque moribonde vouée auculte de “l’arrogance et du pou-voir”. Pour lui, le Shard est au

contraire avant-gardisteet garant de la pré-

servation des es-paces naturels :

il pourraitempêcher

la campagne d’être engloutie par l’expan-sion urbaine. “L’argent n’a rien à voir là-de-dans, dit-il. Il faut plutôt parler de surprise etde joie. Il s’agit avant tout d’une piste pour l’évo-lution des grandes villes. L’expansion urbainedoit s’arrêter et nous ne devons pas empiétersur la ceinture verte. Et si nous réussissons grâ-ce à la verticalité, nous envoyons un messagefort. Non pas un message d’arrogance et de pou-voir mais une volonté de favoriser l’intensité dela vie dans les grandes villes.”

Les travaux ont commencé pour l’ins-tallation d’un hôtel Shangri-La 5 étoilesde 18 étages au sein du Shard et de dixgigantesques appartements aux derniersétages, vendus pour des dizaines de mil-lions de livres. Mais pour Irvine Sellar,dont l’entreprise possède 20 % de l’édi-fice, cette construction n’est pas en porte-à-faux avec l’ère d’austérité actuelle . “Sinous voulons sortir de la crise, c’est juste-ment ce genre de projet qu’il nous faut,avance-t-il. C’est un excellent symbole pournotre ville. Son message ? Londres, c’est leShard, et la tour Eiffel peut aller se rhabiller.”Robert Booth

Royaume-Uni

Un gratte-ciel qatari planté au cœur de Londres

gratte-ciel du Royaume-Uni étaitOne Canada Square (235 mètres),construit en 1991 dans le quartierd’affaires de Canary Wharf. La tour la plus élevée de l’Unioneuropéenne était jusqu’à présent la Commerzbank Tower à Francfort.

Espagne

Le roi est nu, vive la république !Le gendre du roi a étéinculpé de corruption. Certains réclament le départ du monarque.

El Siglo de Europa Madrid

�L a chasse est ouverte. Les cri-tiques des médias contre lafamille royale d’Espagne, jus-

qu’à présent plus ou moins retenues,prennent aujourd’hui la forme d’une pluiede feu. Dans le point de mire, le palais dela Zarzuela [la résidence royale à Madrid].Dans le baromètre d’octobre [qui mesurela popularité des institutions] élaboré parle Centre espagnol d’enquêtes sociolo-giques (CIS), pour la première fois, lamonarchie n’a même pas décroché lamoyenne. On le sait, un malheur n’arrive

jamais seul et, en règle générale, l’opiniona un flair quasi infaillible. Car il y a à peinedeux mois, hormis quelques rumeurs,on ne savait rien des manœuvres peut-être délictuelles du gendre du roi, IñakiUrdan garin.

Aujourd’hui, les soupçons de cor rup-tion pesant sur l’époux de l’infante Cris-tina résonnent comme une irrépressibleclameur. Dans les médias, les accusa-tions s’enchaînent. “Urdangarin est enaffaires avec un prince saoudien accuséd’avoir violé un mannequin espagnol”,assure La Gaceta. “La société d’Urdanga-rin et de l’infante a fait des fausses factures”,renchérit El Mundo.

Il n’y a plus personne ou presque pourprendre la plume ou la parole afin dedéfendre la monarchie. Dans l’affaireUrdangarin, les médias de gauche commede droite s’accordent sur l’essentiel  :

impossible de soutenir la Couronne avecun tant soit peu de fermeté. On a peine àcroire que le gendre de Juan Carlos, quis’est enrichi pour une bonne part grâce àses liens avec la famille royale, a pu fairece qu’il a fait sans que le roi et son entou-rage en sachent rien. Tous les indices lemontrent : la monarchie espagnole vit sespires heures depuis la transition [la tran-sition démocratique, après la mort du dic-tateur Franco, en 1975].

Non, il ne s’agit pas d’une affaire“privée” (pas même le plus idiot des idiotsdu village n’y croirait), et non, il ne suffitpas de proclamer que le comportement deson gendre “n’est pas exemplaire”. Quant àla publication par la Couronne de sesdépenses sur Internet, elle ne suffit pas àdonner un sentiment de maîtrise et deconfiance. Certes, c’est une avancée posi-tive, mais qui arrive bien tard (après la

bataille, pour ainsi dire). Il est pathétiquede voir le prince Felipe se sentir obligé depréciser que la fondation Príncipe deGirona, qu’il présentait récemment à Bar-celone, “a l’ambition de l’honnêteté et de latransparence”. D’autant que le prince héri-tier est précisément la meilleure carte,sinon la seule, que puisse encore abattrela Couronne dans les circonstancesactuelles. Le cycle de Juan Carlos sembletoucher à sa fin. Les casseroles que traî-nent désormais le duc et la duchesse dePalma [Urdangarin et l’infante Cristina],qu’ils le veuillent ou non, sont un handi-cap pour le souverain. L’heure du chan-gement a sonné à la Zarzuela. D’ailleurscelle de la république sonnera tôt ou tard.Comme cela s’est passé, en somme, auPortugal, en France et en Italie, pour neparler que de nos plus proches voisins.Enric Sopena

� Dessin de Boligán, Mexique.

Pour ses détracteurs, la tour est "unepyramide modernecélébrant l'arrivée des Qataris sur la scènemondiale"

Restructuration Au bord de laTamise, le Shard est situé dansle quartier en pleine restructurationde London Bridge, au centre dela capitale, entre le London Bridgeproprement dit et le célèbre TowerBridge. Avant lui, le plus hautD

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26 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

AmériquesVenezuela

Hugo Chávez : “El Comandante” est devenu mortel

Malade, le président du Venezuela est candidat à sa propre succession. Pour ce scrutin qui a lieu en octobre, l’opposition cherche à s’unifier… L’écrivain Boris Muñoz, qui vit à l’étranger, est allé à Caracas prendre le pouls de son pays natal.

Gatopardo (extraits) Bogotá

�E h ! Ah ! Chávez ne s’en va pas ! Eh !Ah ! Chávez oui s’en va !”, a criél’homme en traversant la place

Bolivar, dans le centre de Caracas. Il y acinq ans [c’est-à-dire au moment du réfé-rendum sur la réélection illimitée du pré-sident, dont la campagne se jouait sur ceslogan], en ce même endroit qui repré-sente pour beaucoup le cœur symboliquedu Venezuela, même les spectateurs lesmoins informés ne seraient pas restésindifférents aux messages de soutien oud’opposition au président. Portés par l’im-pulsion aveugle de la polarisation quidéchirait alors la société vénézuélienne,ils auraient tous pris parti. En ce jour denovembre, personne n’a réagi. Je ne devaisrester que quelques jours à Caracas, maisj’avais prévu de visiter le centre.

Il y a cinq ans, le quartier était enruine. Il ressemblait à un décor de filmapocalyptique et était envahi par les ven-deurs à la sauvette. Les murs étaient noirsde saleté et recouverts de graffitis poli-tiques, les vitrines brisées, les façadesdélabrées. Une puanteur tenace d’urineet d’excréments prenait à la gorge et lestoxicomanes accros au crack mendiaientà tous les coins de rue pour se procurerune nouvelle dose, en agitant leurs doigtsbrûlés et en exhibant leurs gencivesnoires. Aujourd’hui, les façades des bâti-ments historiques ont été ravalées, ellessont peintes de couleurs vives. Les cafés,qui avaient été remplacés par des taudisoù se tenaient des paris, ont refait leurapparition, et avec eux un climat de nor-malité et une forme de vie urbaine. Il y amême quelques petites chocolateries quivendent du très bon chocolat socialiste.Même s’il reste évident qu’avant de sedébarrasser réellement de la sauvageriequi règne à Caracas depuis vingt ans il ya encore du travail.

Je me suis rendu aussi place Bolivarpour mieux ressentir le contexte poli-tique actuel. J’ai essayé de discuter avecquelques personnes, sans grand succès.Toutes semblaient vouloir éviter degâcher le moment présent en parlant de � Hugo Chávez le 14 août 2011, de retour à Caracas après son deuxième cycle de chimiothérapie à Cuba.

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la réalité. Avec mon amie Nidia Hernan-dez, poète, nous avons fini par nousasseoir sur un banc, à côté d’un groupe de femmes en pleine conversation. J’aiabordé celle qui était assise près de moi.Elle s’appelle Tibisay Ochoa et a travaillépendant vingt-quatre ans à la caissed’épargne. Elle habite dans le quartier deLa Pastora, le plus ancien de Caracas, oùl’on peut encore voir ces grandes maisonsqui datent de l’époque coloniale. Chávezest aussi à l’origine de changements posi-tifs dans ce quartier. “Quiconque vit icidepuis longtemps reconnaît que des progrèsont été faits, qu’il y a moins d’inégalités. Je vois bien qu’à La Pastora les choses ontchangé pour les personnes qui n’avaient niinstruction ni opportunités.”

Moins de polarisationTibisay a onze frères et sœurs. “Certainstravaillent pour le gouvernement sans pourautant être des partisans de Chávez”, dit-elle. Elle fait allusion de façon ambiguë àson affiliation politique. “Je ne suis mêmepas dans l’autre camp”, explique-t-elle enparlant de l’opposition. A ce moment, j’endéduis que Tibisay est favorable au prési-dent. Pourtant, juste après avoir parlé desréussites en matière d’éducation, elleajoute que parmi les conséquences lesplus négatives de l’ère Chávez il faut men-tionner l’insécurité et le coût élevé de lavie, “qui n’épargnent personne”.

Ce qui me frappe, au cours de cevoyage, comparé à mes trois visites pré-cédentes de 2011, c’est le fait que les genssemblent plus décontractés, moins pola-risés. Est-ce par résignation, par confor-misme ou par optimisme ? A moins que jene regarde le monde à l’envers… “La mala-die du président, explique mon amie Nidia,a refroidi les passions, comme si elles avaientété ensevelies sous une pluie de grêlons. Cer-tains respirent calmement, d’autres retien-nent leur souffle. Ceux qui le détestent mais

qui ne lui veulent pas de mal se sont renducompte qu’il était lui aussi mortel, qu’il pou-vait aussi disparaître. Ce n’est pas ce qu’ilavait prévu, lui qui avait annoncé en grandepompe son intention de rester au pouvoir jus-qu’en 2021, voire jusqu’en 2025, ce qui pourbeaucoup semblait une éternité.”

Qu’il lui reste deux ou vingt ans àvivre, le secret d’Etat entretenu autourde la maladie de Chávez suggère que lemal dont il est atteint est probablementincurable. Selon l’historienne MargaritaLópez Maya, spécialiste du Venezuela du XXe siècle, le regain de popularité deChávez depuis juin 2011 est surtout dû àla couverture médiatique consacrée à soncancer. “On ne sait pas si le président tra-vaille deux, cinq ou douze heures par jour.Une chose est sûre, son temps est organisé àla seconde près pour donner l’illusion qu’il

étrangère. Elle ajoute que, malgré tout cequ’il leur a consenti, il n’en fera pas dessocialistes, mais qu’il pourra rester aupouvoir s’il sait les séduire.

La situation est particulièrementparadoxale, car, malgré tout, le présidentincarne toujours l’espoir des plus pauvres,qui le voient comme une figure protec-trice. Selon tous les sondages fiables, lapopularité de Chávez perdait du terrainlentement mais sûrement juste avant l’an-nonce de sa maladie [début juin 2011].Une érosion liée, sans doute, à l’affaiblis-sement de son projet politique et à unemauvaise gouvernance. Son cancer lui aprocuré une trêve. Fin 2011, il était sou-tenu par plus de 50 % des Vénézuéliens,un chiffre miraculeux après avoir passétreize ans au pouvoir sans jamais cher-cher à éviter les conflits. Ce pourcentageatteint 60 % pour les tranches les pluspauvres de la population, qui le considè-rent comme un dirigeant expérimenté. Cesont pourtant ces mêmes électeurs quitrouvent que leur vie n’a pas changédepuis six ans, voire qu’elle a empiré.

Un contexte très différentLa question est de savoir si Chávez va survivre et, malgré son discours éculé, s’ilest capable de séduire à nouveau, ou aucontraire si l’opposition saura persuaderles électeurs d’essayer une autre voie.

En tout cas, il est évident que lecontexte n’a rien à voir avec celui des élec-tions de 2006. A l’époque, l’oppositiontenait à peine debout, après avoir traverséune période autodestructrice entre 2002[coup d’Etat raté du 11 avril] et 2005.

Beau joueur “Si je ne gagne pasl’élection du 7 octobre, ce ne sera pasla fin du monde”, a affirméHugo Chávez lors d’une interviewdiffusée sur la chaîne de télévision

privée Televen. “Dans ce cas, je serai le premier à le reconnaître, je remettrai le pouvoir [au vainqueur]”, a ajouté le président vénézuélien, qui s’est

par ailleurs montré convaincu d’être réélu car aucun desprécandidats de l’opposition “n’a le minimum requis” pour êtrechef de l’Etat.

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 27

� Des enfants jouent dans la nouvelle ville socialiste de Ciudad Caribia, inaugurée en août 2011.

La maladie du président a refroidiles passions

Plus de 12 ans au pouvoir

1998 Hugo Chávez Frias est élu président de la République avec 56 % des voix le 6 décembre. 1999 Une nouvelle Constitution est adoptée par référendum le 19 décembre. Le Venezuela prend le nom de République bolivarienne du Venezuela. 2000 Réélection pour un mandat de six ans. 2002 Le gouvernement provisoire mis en place par le coup d’Etat du 11 avrilest renversé moins de 48 heures après et Chavez est rétabli dans ses fonctions.2004 Par référendum, 58 % des électeursvénézuéliens disent non à la révocation du mandat de Chávez le 15 août. 2006 Seconde réélection avec 63 % des voix le 3 décembre.2007 Nationalisation des principalesgrandes entreprises (pétrole, électricité,télécoms). En décembre, première défaite électorale : les Vénézuéliensrejettent une réforme constitutionnelle qui visait à supprimer la limitation du nombre de mandats présidentielssuccessifs. 2009 Les électeurs autorisent par référendum la réélection illimitée du chef de l’Etat le 15 février. 2010 La coalition des partis de l’oppositionfait une percée significative aux électionslégislatives du 26 septembre. 2011 Hugo Chávez est opéré à Cuba d’une tumeur cancéreuse le 10 juin.2012 Primaires de l’opposition prévuespour le 12 février. Election présidentielleprévue pour le 7 octobre.

continue à travailler. Cependant, dans sesdéclarations, il ne semble pas toucher terre.”Margarita López Maya fait référence auton grandiloquent avec lequel le présidenta pu soutenir que le Venezuela était sur lavoie de l’autosuffisance agricole, alors quec’est tout le contraire. Elle veut aussiparler des félicitations qu’il a adressées à la ministre du Service pénitentiaire, IrisVarela, alors que les prisons sont lethéâtre d’émeutes et de bagarres au bilancatastrophique. “J’ai toujours l’impressionqu’il est un peu déconnecté de la réalité”,conclut-elle.

Quiconque ayant toute sa tête admetcependant que la carrière de Chávez n’estpas terminée. Pourtant, les stratégies poli-tiques qui s’offrent à lui sont de moins en moins nombreuses.

En 2008, à la suite de l’effondrementdes prix du pétrole, une récession écono-mique s’est enclenchée qui, malgré laremontée des prix, n’a commencé à serésorber qu’au dernier trimestre 2011. Lastagnation économique, la terrible insé-curité générale, les coupures d’électricitédans les grandes villes du centre du pays,la pénurie de logements et la précarisa-tion de l’emploi ont fait perdre à Chávezune partie de son magnétisme.

“Sa frustration vient du fait qu’en dépit desa grande popularité, son projet n’a pas réussià convaincre totalement ses sympathisants.Qui veut vraiment du socialisme ? C’est unpays qui aime la consommation et ça n’a paschangé avec Chávez. Cette tendance s’est mêmeaccentuée. Il le sait, ce qui l’agace beaucoup.Voilà pourquoi il en est venu à soudoyer sespartisans”, explique une correspondante

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28 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

Amériques Spéculations Hugo Chávez a beauavoir déclaré à la fin du moisd’octobre 2011 “qu’il était libéré”et “guéri” de son cancer, lesspéculations au sujet de sa santévont bon train. Le Daily Mail du

17 janvier cite des sources médicalesqui ne lui donnent qu’un an à vivre et, il y a quelques semaines, les hebdomadaires Veja (Brésil) et Milenio Semanal (Mexique) lui en donnaient deux…

En 2012, la situation est différente.“Tout indique que les électeurs veulent sur-monter les conflits et la polarisation grâce àdes hommes politiques qui ne soient pas desréférences évidentes à la vie politique de cescinquante dernières années”, avance Mar-garita López Maya. Elle n’en veut pourpreuve que la compétition qui a déjà com-mencé pour désigner le candidat uniquede l’opposition. Parmi les cinq préten-dants au titre, quatre ont moins de 45 ans.“Ce ne sont pas vraiment des visages nou-veaux, mais on ne peut pas non plus dire queLeopoldo López [39 ans, ancien maire deChacao, Voluntad Popular (VP)], PabloPérez [42 ans, gouverneur de l’Etat de Zulia,parti social démocrate Un Nuevo Tiempo(UNT)], María Corina Machado [44 ans,députée, ancienne présidente du mouvementSúmate] ou Henrique Capriles Radonski[gouverneur de l’Etat de Miranda, Justiced’abord, centre droit] représentent le passé,même s’ils ont tous un passé”, ajoute-t-elle.En 2012, le jeu électoral sera très fermé.Chávez ne reviendra sur aucun point deson discours à moins que ce ne soit indis-pensable, ce qui l’empêchera de proposerquelque chose de nouveau. “En plus de laGran Misión Vivienda [programme deconstruction de logements], il a lancé en 2011plusieurs nouveaux projets du même acabit”,continue Margarita López Maya.

Un courant d'air fraisIl ne s’agit pas là d’une simple promesseélectorale. Le président compte offrir150 000 maisons équipées à des foyerssélectionnés par le biais d’une enquêtesur le logement. Il ne pourra peut-être enréaliser que 30 000, mais les familles quioccuperont ces habitations donnerontl’impression que mieux vaut tard quejamais  : le président aura fini par lesconstruire.

Quel qu’il soit, le candidat de l’op-position sera sur la corde raide jusqu’auxélections du 7 octobre 2012. Il lui faudraimaginer un avenir prospère, mais cré-dible, à l’opposé du “socialisme duXXIe siècle” et des années qui ont pré-cédé l’arrivée de Chávez. L’équation est

particulièrement complexe car le Vene-zuela est un pays pétrolier.

R e m p l a c e r l e “ s o c i a l i s m e d uXXIe siècle” exigerait énormément decompromis politiques et économiquesdans un pays qui a l’habitude d’avoir lavie facilitée par les revenus du pétrole.Certes, Chávez, dit “El Comandante”,n’a pas réussi à convaincre ses compa-triotes du bien-fondé du socialisme. Enrevanche, il a réussi à conforter le mythe,déjà bien ancré dans la culture nationale,selon lequel les Vénézuéliens méritentle meilleur, que l’Etat pétrolier peut leurgarantir.

Le 14 novembre 2011, les différentscandidats en lice ont été réunis à l’occa-sion d’un débat retransmis à la télévision[avant les premières primaires du paysprévues pour le 12 février]. Dans n’im-porte quel pays, un tel événement estconsidéré comme important mais normal.Au Venezuela, cette rencontre a étéperçue comme une grande nouveauté, unpeu comme si un courant d’air frais tra-versait une maison fermée depuis long-temps. La ville s’est tue ce soir-là, etnombreux sont ceux qui sont restés chezeux pour regarder la retransmission.

La veille, Chávez, lors de sa premièregrande intervention télévisée depuis l’an-nonce de sa maladie, avait minimisé l’im-portance du débat et qualifié les candidatsde “cavaliers de l’Apocalypse”. Sur Twitter,l’opposition s’est félicitée de l’ambiancecordiale de la rencontre, au cours delaquelle les concurrents ont tenté de sedistinguer les uns des autres.

Mais, malgré son pouvoir et sa main-mise sur l’Etat, Chávez se révèle mortel.Ce qui ouvre de nouvelles portes. Le can-didat de l’opposition devra par conséquentêtre capable de s’attirer la sympathie des

20 % d’électeurs dits “non-alignés” qui,historiquement, se sont rangés du côté deChávez. Pour gagner, toutefois, il lui faudratirer parti du mécontentement, démon-trer sa crédibilité personnelle et promettrele changement.

Depuis l’annonce du cancer du prési-dent, tout le monde – au Venezuela commeà l’étranger – est persuadé que des trans-formations sont sur le point de se produire.En septembre 2011, j’étais à Washingtonpour une réunion consacrée à l’avenir del’Amérique latine. Du point de vue des ins-

titutions régionales, la situation du Vene-zuela inquiète, mais pas parce que Chávezreprésente une menace pour la stabilité ducontinent. Au contraire, nombreux sontceux qui se félicitent des effets positifsd’initiatives comme l’Union des nations del’Amérique du Sud (Unasur, créée en 2008)et la Banque du Sud (créée en 2007). Pour-tant, dans les couloirs, les ministres affir-maient que les présidents et amis deChávez qui lui avaient rendu visite depuisle début de sa maladie lui avaient conseilléde changer immédiatement de stratégie.Ils lui auraient même dit que le “socialismedu XXIe siècle” ne mènerait à rien, sinonà l’échec.

Entre son retour sur la scène poli-tique le 22 septembre, à l’issue de sa dernière séance de chimiothérapie àLa  Havane, et les premiers jours denovembre, l’infatigable Chávez est restéen retrait : lors de ses rares apparitionspubliques, il était en général en civil et

invoquait les vierges et les divinités sacrées.Le slogan “La patrie, le socialisme ou lamort !” a été remplacé par “Nous survivronset nous serons vainqueurs !” Ses allocutionsétaient moins intenses qu’auparavant. Sonchangement de ton donnait l’impressionqu’il s’était calmé.

Une autocratie électoraleDepuis, face à la mobilisation de ses oppo-sants, Chávez a voulu rappeler qu’il étaittoujours le chef. Il a commencé par res-sortir son uniforme du placard, et par la même occasion sa personnalité désa-gréable et capable des pires grossièretés.Il a également adopté des textes radicauxsur les libertés économiques et la mobilitésociale : une loi sur le travail, une autrerégissant le contrôle des prix et une nou-velle relative aux locations. Il n’a pas nonplus attendu pour adopter une réformeaudacieuse de la loi relative à l’exercice dela médecine, qui a été promulguée sansaucune consultation de l’Ordre et des aca-démies de médecine. Ces mesures laissentaugurer d’une société corsetée par l’Etat,ce que j’appelle une autocratie électorale,et signalent sans aucun doute que, face àson regain de popularité dans les sondages,le président a décidé de reprendre sesanciennes positions et de miser une fois de plus sur le radicalisme.

Assis sur le banc à côté de Tibisay, choi-sissant avec soin chacun de mes mots pourne pas rompre le charme de notre conver-sation, je finis par lui demander : “Tu croisque le président devrait rester pour un mandatde plus ?” Ce à quoi elle me répond : “Je n’aiencore vu personne qui pourrait le remplacer.Pourtant, je pense que Chávez a fait son tempset qu’il faut laisser la place à un autre prési-dent.” Et puis elle s’en va. Boris Muñoz

Suite de la page 27

"Nous survivrons et nous seronsvainqueurs"

� Premier débat public des cinq candidats de l'opposition le 14 novembre 2011, avant les primaires prévues pour février 2012.

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Faute de pouvoir se payer des traitements médicaux,certains Américains lancent des appels aux dons sur Twitterou Facebook. Et ça fonctionne.

The New York Times New York

�E n juin dernier, le jour de ses28 ans, Jessica Haley a posté uneannonce sur le site IndieGoGo,

une plate-forme de financement collabo-ratif. Jessica et son mari, Sean, voulaientun enfant, mais leur assurance ne couvraitpas le traitement pour la fertilité. A leurgrand étonnement, les dons commencè-rent à pleuvoir. Leur histoire circula surFacebook et Twitter, et la campagne “Aidezles Haley à avoir un enfant” reçut 8 050 dol-lars, dont 423 dollars de la part d’un par-fait inconnu. “C’était un miracle. J’ai mêmedu mal à en parler, explique Jessica Haley.Nous avons été complètement portés par cettecommunauté invisible, ils nous ont vraimentaidés pendant cette période difficile.”

Les sites d’appel aux dons – qui fontdéjà partie intégrante de la politique desONG et des organisations caritatives –commencent à se développer dans le sec-teur des soins médicaux. Si tous les sitesn’acceptent pas les annonces aussi per-sonnelles (l’appel des Haley a été refusé surla première plate-forme où ils ont essayéde le poster), IndieGoGo affiche depuisquelques mois des dizaines de sollicitationsliées à la santé.

Traitements contre le cancerLes demandes sont variées et vont desdépenses mineures aux traitements com-plets contre le cancer ou même les greffesd’organe. Comme cet homme atteint dela maladie de Parkinson, pour lequel sesproches ont fait appel à la générosité de lacommunauté. En Floride et au Texas, desfamilles demandent de l’aide pour payerle traitement de deux hommes souffrantd’un cancer du côlon à un stade avancé.Et, à Brooklyn, les amis d’un jeune hommede 26 ans souffrant de la colonne verté-brale cherchent à réunir 25 000 dollars.

Les internautes peuvent poster gra-tuitement sur le site, qui prélèvera 4 % surle montant des sommes obtenues. (Et,afin d’inciter les utilisateurs à proposerdes projets raisonnables, le site prélève9 % sur les dons d’une campagne qui n’au-rait pas atteint son objectif.) D’après SlavaRubin, cofondateur du site en 2008, Indie-GoGo a permis de financer des “centaines”de prestations de santé.

Pour Rubin, 33 ans, il s’agit d’une af fairepersonnelle. Il n’avait que 15 ans lorsqueson père est décédé d’un myélome mul-tiple. Et il utilise lui-même le site pourfinancer chaque année la soirée MusicAgainst Myeloma et des campagnes contre

le sida. “Nous avons volontairement créé uneplate-forme de financement très ouverte. Siles gens s’en servent pour leurs problèmes desanté, cela ne nous choque pas, explique-t-il.De toute façon, il est logique de recevoir desdemandes pour des soins médicaux : notre sys-tème de santé peut coûter très cher, et les gensdoivent parfois essayer différentes solutionspour trouver l’argent dont ils ont besoin.”

Afin d’éviter toute tentative d’escro-querie, le site demande aux “sponsors” dechaque campagne de fournir leurs infor-mations bancaires. Il utilise également unalgorithme permettant de dé tecter touteactivité suspecte. Mais, au bout du compte,c’est “la communauté” qui décide de la légi-timité d’une cause, explique Rubin.

Mais la plupart des campagnes décol-lent d’abord grâce au soutien des proches

et de la famille : 80 % des financementsproviennent d’amis et d’amis d’amis, tandisque 20 % sont le fait d’inconnus. “Et il esttrès rare que des inconnus donnent de l’argentpour un projet dont les compteurs sont encoreà zéro, explique Rubin. Si vos amis ne vousfinancent pas, il est peu probable que des étran-gers le fassent.”

L’hiver dernier, Jeffery Self, acteur etauteur de 24 ans installé à Los Angeles, s’estcassé une dent qui a commencé à s’in-fecter. Les soins dentaires nécessaires coû-taient 3 400 dollars. Faute d’assurance, ilcraignait de perdre le rôle qu’il venait dedécrocher s’il n’arrivait pas à se soigner.Après avoir vu des amis financer des pro-jets de film ou de musique indépendantssur Internet, Jeffery décida de faire un cliphumoristique où il demandait 1 ou 2  dollars

pour faire soigner sa dent et le posta surIndieGoGo. A sa grande surprise, sa vidéolui rapporta 3 650 dollars. “Mon messageétait le suivant : je sais que c’est très bizarreet vraiment dingue, mais je suis désespéréet j’ai besoin de votre aide, explique-t-il.Les gens veulent utiliser Internet pour faire lebien. Nous sommes tellement envahis de chosesnégatives sur Internet que, lorsqu’on a la pos-sibilité de s’entraider, je trouve que c’est bien.”

Un bébé financéDaniel Weiss, auteur et réalisateur vivantà Maui, à Hawaii, a réalisé plusieurs vidéoset présentations pour des amis. Tout acommencé lorsqu’il a appris que la filled’un ami, âgée de 7 ans, était atteinte dedégénérescence maculaire et voulait voirLondres et Paris avant de perdre la vue. Lesite leur a permis de rassembler 5 075 dol-lars pour lui payer le voyage. Grâce à uneautre campagne, il a réuni près de11 000 dollars pour le fils de 3 ans d’unautre ami souffrant d’une malformationcardiaque congénitale.

Il participe également à une campagnelancée pour aider la famille d’un hommeatteint de la maladie de Parkinson et qui abesoin de 7 000 dollars. “Ils risquent deperdre leur maison. Même si nous n’atteignonspas notre objectif, cela les aidera quand même”,explique Weiss, qui a offert ses services gra-tuitement. “C’est quelque chose d’incroyableet de tellement réconfortant de sentir la com-passion de quelqu’un qui vous est totalementétranger !”

Jessica est récemment retournée sursa page IndieGoGo, mais pas pour deman-der de l’argent. Cette fois, elle a simple-ment écrit un message : elle est enceinte.Pour Rubin, cofondateur du site, son enfantsera “le premier bébé financé par la commu-nauté”. “J’ai fondu en larmes des millions defois ce jour-là tellement j’étais heureuse etimpatiente, confie Jessica. C’était incroyablede réunir tous ces soutiens par l’intermédiaired’un ordinateur.”Tara Parker-Pope

Etats-Unis

Mieux que la Sécu, les réseaux sociaux !

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 29

� Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis.

Elysée 2012 vu d’ailleurs

La campagne présidentielle vue de l’étranger chaque semaine avec

avec Christophe MoulinVendredi 14 h 10, samedi 21 h 10et dimanche 17 h 10

Page 30: Les républicains à la recherche du candidat idéal

30 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

La tension monte entre le gouvernement affaibli etl’armée, et les rumeurs de putschse multiplient. Mais, cette fois, lesjuges et les médias veillent au grain.

Dawn (extraits) Karachi

�M ême si certains espèrent tou-jours le contraire, le risque decoup d’Etat n’a jamais réelle-

ment existé – du moins jusqu’à maintenant.Le Premier ministre Gilani et le présidentZardari le savent parfaitement, de mêmeque le président de la Cour suprême, Ifti-khar Muhammad Chaudhry, quand bienmême (ou précisément parce que) les jugescommencent à hausser le ton. [La Coursuprême statuera le 1er février sur le refusdu gouvernement Gilani de rouvrir desenquêtes de corruption visant le présidentZardari.] Toute une série d’indicateursrévèlent en effet l’émergence d’un nouvelordre démocratique, encore faible mais encours de maturation.

Cette situation tient en premier lieuau fait que les militaires n’ont pour l’ins-tant pas les moyens de prendre les rênesdu pouvoir. D’abord parce que l’armée n’estplus l’institution la plus populaire du Pakis-tan. Ensuite parce que les militaires ont euleur lot de problèmes ces trois dernièresannées, entre les offensives contre les tali-bans pakistanais dans les Zones tribales,l’humiliation d’Abbottabad [avec le raidaméricain du 2 mai, au cours duquel BenLaden a été éliminé, vécu comme une vio-lation de la souveraineté nationale], puiscelle de la base aéronavale de Mehran

Asie

[prise d’assaut par des membres d’Al-Qaida]. Sans oublier les tensions dans lesrangs de l’armée et l’affaire du “mémo-gate”, dans laquelle le gouvernementpakistanais, craignant un coup d’Etat,aurait demandé aux Américains de lesoutenir contre sa propre armée, en maidernier. Autant de signes qui montrent queles militaires devraient d’abord chercher àconsolider leurs forces plutôt que laisserlibre cours à leurs ambitions bonapartistes.

Le gouvernement, de son côté, ne selaissera pas tranquillement mener àl’abattoir. Ses membres ne défendentpas seulement leur place, mais le systèmedémocratique lui-même. Les réformesadoptées pour éviter un coup d’Etat sontlà pour le confirmer. [En avril 2010, unamendement constitutionnel rétablitle régime parlementaire en retirant auprésident le pouvoir de dissoudre le Par-lement, de limoger le Premier ministre etde nommer les juges de la Cour suprême.]

Nouveau militantisme des juges L’opposition joue également un rôle cru-cial. Nawaz Sharif [chef de l’opposition] estle seul responsable politique à avoir réaf-firmé sa volonté de limiter l’influence desmilitaires sur la scène politique. En 1977 eten 1999, lors des deux derniers coups d’Etat,les militaires avaient pris le pouvoir à lademande des chefs des partis d’oppositionqui espéraient profiter de la situation.

Par ailleurs, qui aurait cru, il y a seule-ment quelques années, que le pouvoir judi-ciaire deviendrait le gardien de la moralitépolitique au Pakistan ? Si tout le monden’est pas convaincu par le nouveau mili-tantisme des juges [dans leur volonté de

rouvrir les affaires de corruption qui tou-chent Zardari], ces derniers n’en sont pasmoins devenus des acteurs majeurs du pay-sage politique national. Ils ne constituentpas pour autant une force antidémocra-tique : il est hautement improbable que lepouvoir judiciaire soutienne un éventuelcoup d’Etat. C’est une autre grande diffé-rence avec les années passées, et l’arméeen est parfaitement consciente.

Enfin, il y a les nouveaux médias, hyper-actifs, souvent sensationnalistes. En 1977,le Pakistan ne comptait qu’une seulechaîne de télévision (contrôlée par l’Etat)et, en 1999, tout au plus deux chaînes.Aujourd’hui, le pays reçoit une multitudede chaînes privéesplus pressées lesunes que les autresd’annoncer un évé-nement avant mêmequ’il ne se produise.Si certains obser-vateurs ont lesentiment que cesmédias d’“anticipa-tion” font plus demal que de bien, toutgouvernement – civil oumilitaire – doit désor-mais compter sur leurprésence envahissante.Impossible d’échapperà l’œil des médias. Dequoi rendre difficile toutetentative de putsch. Cesquelques éléments ne

sont qu’un aperçu des grandes transfor-mations sociales et politiques qui font duPakistan un pays très différent de ce qu’ilétait en 1977 et 1999.S. Akbar Zaidi

Pakistan

L’époque des coups d’Etat est révolue

Chine

Chinois des champs et Chinois des villesPour la première fois cette année,les urbains sont plus nombreuxque les ruraux. Il devient urgentde réformer le fameux hukou,le carnet de résidence.

South China Morning Post(extraits) Hong Kong

�P lus de la moitié de la populationde Chine continentale devraitvivre en ville cette année. L’ur-

banisation étant considérée comme unmoteur de la croissance, cette situationcadre avec les plans du gouvernement cen-tral. Les migrants venus des zones ruralesfournissent de la main-d’œuvre pour lesusines et dopent la consommation, essen-tielle pour mettre fin à la dépendancedu pays vis-à-vis des investissements

étrangers et des exportations. Toutefois,cette stratégie bien pensée échouera si lesautorités n’assurent pas aux personnesvenant des campagnes un statut de rési-dent urbain à part entière.

Le fait que l’Académie chinoise dessciences sociales prévoie que plus de650 millions de Chinois vivront en villecette année est hautement symboliqueet donne une grande confiance aux éco-nomistes et aux planificateurs. Quand laChine avait annoncé les réformes écono-miques, en 1978, sa population urbaine nereprésentait que 18 % des Chinois, et lepays était considéré comme agricole il y aencore dix ans. D’après les sociologues, lapopulation urbaine pourrait atteindre 80 %d’ici à 2050, le même niveau que celui desEtats-Unis actuellement. Il est cependantpeu probable que le développement éco-nomique et la stabilité suivront sans

réforme du hukou, le livret d’enregistre-ment des familles.

Le hukou est un vestige de l’ère Mao :le Parti communiste avait séparé les rési-dents des villes et ceux des campagnes,et leur avait accordé une place différentedans la société. Avec la création des fermescollectives, les paysans avaient obtenu desterres à cultiver, mais ils avaient du mal àaccéder aux écoles, hôpitaux et logementssubventionnés dont les habitants des villesdisposaient. Même si les paysans et leursfamilles affluent en ville depuis trente ans,peu nombreux sont ceux qui s’y sententchez eux. Seuls 35 % des habitants deszones urbaines seraient détenteurs d’unhukou [les autorisant à résider en ville].

Plus de 350 millions de Chinoisdevraient rejoindre les villes dans les vingtprochaines années. Mais beaucoup, frus-trés par le système du hukou, finiront par

retourner dans leur village. Certains aurontl’impression que leur famille est négligée.D’autres, à l’approche de la trentaine ou dela quarantaine, ne seront plus capables des’appliquer aux tâches de précision quedemande le travail à la chaîne dans lesusines. Les études sur les jeunes ayantdéménagé vers les zones urbaines montrentque la plupart comptent renouer avec leursracines rurales quand ils seront plus âgés.

Dans ce cas, le développement seracompromis. La Chine veut l’urbanisationet elle en a besoin : les migrants dopentla consommation. On leur a promis desécoles et des logements abordables, maisrares sont les municipalités qui ont tenucette promesse. Seule une réforme duhukou urbain est en mesure d’inciter lesgens à rester en ville. Faute de quoi, la crois-sance risque de ralentir et la productionpourrait même commencer à diminuer. �

Sur le w

eb

www.courrier

international.com Pour Jason Burke, le correspondantau Pakistan du Guardian, “lestanks ne rouleront pas dans les ruesd’Islamabad. Des élections anticipéessont plus probables.” Elles laisseronts’exprimer une nouvelle classe

moyenne urbaine, culturellementproche de celle du monde arabe, quirevendique des valeurs religieuseset patriotiques, écrit-il dans unarticle dont nous publions un extraitsur <courrierinternational. com>.

22 novembre. Hussain Haqqani,l’ambassadeur du Pakistan aux Etats-Unis, démissionne après avoir été accuséd’avoir transmis aux Américains un “mémo” demandant leur soutien encas de coup d’Etat. Zardari est soupçonné

d’être l’auteur de la note.6 décembre. Le présidentZardari est transporté

par avion à Dubaï pour êtrehospitalisé. Il revient au Pakistan le 19 décembre.30 décembre. Saisie par l’opposition, la Coursuprême demande l’ouverture d’une enquête sur le “mémogate”.19 janvier. Dans le cadre d’uneautre affaire, la Cour suprêmeajourne l’audience du Premierministre Gilani au 1er février.

Il doit expliquer son refus de rouvrir des enquêtes

de corruption visant leprésident. Si la Cour

l’inculpe, il pourraitêtre contraint à la démission.

Affaires judiciaires

Compte à rebours

� Dessin d’Ares, Cuba.

Page 31: Les républicains à la recherche du candidat idéal

Depuis le séisme qui a ébranlél’archipel, les commerçantsabusent de l’argument du “liensocial” pour doper leur chiffred’affaires. Une stratégiedangereuse, estime une journaliste de l’Asahi.

Asahi Shimbun Tokyo

�A la fin de l’année  2011, j’ai étéamenée à faire un reportage surles grands magasins. A mesure

que j’avançais dans ma tournée des centrescommerciaux, je me suis rendu compte queje finissais toujours par poser la même ques-tion aux chefs de rayon : “Vous parlez encorede kizuna ?” Le mot kizuna [qui se traduitpar “lien social” et désigne l’attachement àautrui] a été choisi comme l’idéogrammesymbolisant l’année 2011, et les commer-çants ont eu sans cesse recours à ce dernierpour rendre plus efficace leur stratégie demarketing. Des produits de luxe ont été pro-posés aux clients pour qu’ils les offrent àleur famille, et toutes sortes de gadgetsbaptisés kizuna ont été vendus avec succès,car ils étaient destinés à nous rapprocherdes autres. Le kizuna était partout, et àtoutes les sauces. Que ce soit sur les fuku-bukuro [pochettes-surprises], sur les osechi[mets du nouvel an], sur les enveloppes spé-cialement destinées aux jeunes célibatairesà la recherche d’un conjoint (baptisées“encouragement pour le mariage kizuna”,celles-ci contenaient vêtements et acces-soires pour soigner son apparence)… Et cen’est pas fini  : les produits ménagerscomme le kotatsu [table basse chauffante]et les donabe [marmites en terre cuite] ontété désignés comme “kizuna de la famille”,et les spécialités régionales du Tohoku[région du nord-est du pays, qui a été frap-pée par le séisme et le tsunami du 11 mars]comme le “kizuna avec l’est du Japon”.

La peur exacerbéeIl est vrai que depuis que le pays est enproie à une déflation persistante les Japo-nais achètent de moins en moins de pro-duits coûteux. Mais, lorsqu’on leur dit queleurs achats contribuent à consolider leursliens avec les autres et qu’ils peuventapporter leur soutien en consommant, ilsdesserrent un peu les cordons de leurbourse. Depuis l’été dernier et pour la pre-mière fois en quatre ans, les grands maga-sins ont réussi, malgré un chiffre d’affairesmédiocre, à vendre plus de produits quel’année précédente. La principale raisontient aux ventes des produits de luxe,comme les montres et les bijoux destinésà être offerts en cadeaux. Cependant, jepense que nous devrions faire davantageattention à ne pas employer ainsi leconcept de kizuna à tort et à travers. Jepense qu’à force on finit par le dévaloriser,

et moi-même j’ai peur d’y avoir un peutrop eu recours dans mes articles. Encorerécemment, on est même allé jusqu’àvendre des statues en or pur d’Oda Nobu-naga, de Toyotomi Hideyoshi et de Toku-gawa Ieyasu [trois grands shoguns qui ontunifié le Japon aux XVe et XVIe siècles] enévoquant le kizuna qui avait uni ces troisgouverneurs. C’est comme si tous les pro-duits mis en vente devaient absolumentavoir un rapport avec le kizuna.

D’où vient cette obsession à mettre enavant les liens entre les gens ? La catas-trophe du 11 mars dernier a exacerbé nospeurs : “Et si je ne pouvais plus subvenir à mesbesoins ? Si je n’avais plus de toit pour m’abri-ter ? Si je ne pouvais plus manger à ma faimni avoir confiance dans ce que je mange ? Pour-rais-je compter sur notre gouvernement ?Qui sera là pour m’aider ?” En réalité, cespeurs existaient déjà avant la catastrophe.Notre société regorgeait de personnesisolées souffrant de solitude. L’impor-tance du kizuna avait alors été rappeléeà plusieurs reprises pour réduire lenombre des laissés-pour-compte. Le paysest depuis longtemps en quête de nou-veaux modèles, car ceux que nous possé-dions avaient manifestement atteint leurs

limites. Non seulement pour la famille etles régions, mais aussi pour les relationsindividuelles et la protection sociale.

Ça sonne fauxC’est pourquoi le kizuna, sans cesse utilisécomme un slogan de marketing depuis lacatastrophe, sonne faux : il n’a pour seulbut que de relancer la consommation. Lekizuna qu’on peut aisément entretenir parla consommation de produits manque for-cément de substance. Il n’est pas difficiled’acheter les spécialités régionales duTohoku pour soutenir les sinistrés, mais labataille pour augmenter les impôts en vuede reconstruire la région et celle menéepour garantir la sécurité alimentaire serontbien plus longues et plus éprouvantes. Biensûr, la volonté de vendre des produits etde relancer la consommation part d’un bonsentiment. Mais si, en apposant l’estam-pille kizuna à tout-va, on crée l’illusion quenotre société tout entière en est pleine, onne fera qu’aggraver les problèmes auxquelsle Japon doit faire face. Car il n’y a pas dedoute : si l’ensemble des Japonais se met-tait à douter et à protester – “Encore lekizuna ?” –, on pourrait craindre le pire.Haruka Takashige

Japon

Acheter, c’est pour l’entraide…

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 31

Le mot de la semaine

“kizuna”Le lienQui dit Japon dit crise : cela fait des annéesque le pays traîne une imagedésespérément négative. Nous n’allonsdonc pas faire la moue quand seprésente, cette semaine, l’occasion demettre en exergue le signe kizuna, déclaré“idéogramme de l’année 2011”. En optantpour un caractère désignant le lien,l’archipel a voulu en effet retenir dudouble choc du séisme et de la catastrophenucléaire non pas tant les dimensionstragiques que les aspects lumineux,quasi insoupçonnés, qui ont été donnésà voir et, surtout, à vivre. La solidaritéqui s’est instaurée a été admirable. Loin de s’abandonner à la douleur, les Japonais se sont rapidement pris enmain ; des initiatives surgissentdésormais de partout, porteuses de perspectives nouvelles. Cela dit, une sensation de malaise persiste. Je veux parler de cette avalanche de bons sentiments qui recouvrentl’archipel, emplissent l’espace desmédias, s’incrustent dans la publicité,phagocytent les manifestations de soutienaux sinistrés. “Courage, Fukushima”,“Japon, tiens bon”, “Merci de nous avoirréconfortés” (en hommage à l’équipede football féminin, championne dumonde) : vecteurs au départ de sentimentsvrais, les mots, transformés en sloganspasse-partout et manipulés par le “business du lien” (voir l’articlede l’Asahi Shimbun ci-contre),montrent une tendance à s’agréger en un vaste dispositif moral qui contraintles individus à coller au plus près à quelque chose qui ressemble au cultedu collectif, tout en les déconnectant duressenti, éprouvé au plus profond de soi,des ondes de choc du séisme. C’est à se demander si l’étalage quasi obligéde pensées positives n’aurait pas aussipour effet de court-circuiter d’autressentiments tout aussi légitimes – à commencer, bien sûr, par la colère et l’indignation. Kazuhiko Yatabe Calligraphie de Kyoko Rufin-Mori

� Dessin de No-río, Aomori (Japon).

La région du nord-est du Honshu, qui a fortementété touchée par le séismeet le tsunami, est réputéepour son riz et autresproduits agricoles.Cependant, après la crise nucléaire de Fukushima Daiichi,l’attitude des

consommateurs a changé :si certains clients n’ontpas hésité à achetermassivement les produitsdes régions sinistrées,d’autres se sont montréstrès réticents, surtout à l’égard de ceux de lapréfecture de Fukushima.En revanche, les objets de

luxe se sont très bienvendus, et ce un peu partout dansl’archipel. “Comme si chacun de nous avaitsenti l’urgence detémoigner à tout prix son affection à ses proches”, relate le Mainichi Shimbun.

Consommation

Achat solidaire

Page 32: Les républicains à la recherche du candidat idéal

32 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

Asie

Les marques de luxe et de prêt-à-porter milanais soldéesjusqu’à 70 % dans un décordigne de Cinecittà. Reportage au Florentia village,paradis commercial à moins d’une heure de Pékin.

La Repubblica Rome De Wuong

�A Venise, l’eau du Grand Canal negèle jamais. En Chine, si. ARome, le Colisée tombe en ruine

et coûte une fortune en entretien. EnChine, il est flambant neuf et rapporte del’argent à la pelle. A Florence, le David deMichel-Ange et la figure allégorique duPrintemps de Botticelli s’offrent aux regardsdans toute leur nudité. En Chine, le pre-mier porte un jean, la seconde une mini-

jupe et des cuissardes. L’Italie plonge dansla récession et elle est confrontée à unebaisse de la consommation, la Chine surfesur la croissance et la consommationexplose. Bienvenus à Wuqing [district dela municipalité de Tianjin, à environ150 kilomètres de Pékin], dernier lambeaud’Italie où les magasins débordent declients, où les rues sont peuplées de mil-lionnaires, où les terrasses des cafés réson-nent d’éclats de rire. Ce formidable avatarde la société de consommation occiden-tale a atterri ici, entre Pékin et de Tianjin.

Le Florentia village, c’est son nom, asurgi du néant en un an et demi sur desterres où subsistaient encore des champsde maïs et des vergers de pêchers. Soixantemille mètres de marbres, de briques et depavés, donnant sur de fausses fontaines duBernin et des places médiévales où sedécoupent les répliques des campaniles de la place Saint-Marc (à Venise) et de celui

de Giotto (à Florence). Chaque jour,40 000 clients engagés dans une chassesans merci aux bonnes affaires déambulentsous ses arcades au son des grands clas-siques de la chanson napolitaine. Profes-sionnels du discount et fans des grandesmarques, spécialistes de la ristourne et exhi-bitionnistes du luxe, drogués de shoppinget amateurs d’art : tous brûlent d’un mêmeamour pour cette fable italienne à laquellel’Orient veut continuer de croire.

Car tout est factice au Florentia village, uneimaginaire cité romaine de la Renaissance,catapultée au cœur d’une mégalopole chi-noise de 50 millions d’habitants. Ce n’est

pas cette mise en scène, grotesque bric-à-brac des plus chics vestiges de l’histoire, del’art et de l’architecture du Vieux Conti-nent, qui attire la nouvelle classe moyennechinoise, la plus nombreuse au monde. Lesincurables paniers percés de la capitale,comme les masses débarquées du train oude l’avion de Shanghai et de Shenzhen pourun week-end hommage à la Dolce Vita, veu-lent de l’italian style, du vrai.

Mais leurs rêves de clichés européenset de romantisme dans une ambiance fel-linienne sont plus forts encore. Cela n’apas échappé aux groupes américain et ita-lien [voir encadré] qui ont jeté leur dévolusur ce faubourg de presque 4 millions debanlieusards immigrés pour investir leurspremiers 120 millions d’euros en Chine.Tentés au départ par une ambiance wes-tern, ils ont finalement opté pour Floren-tia, copie conforme du séjour type d’untouriste chinois en Italie : Rome, Florence,

Chine

Le luxe made in Italy à prix discount

� Chaque jour 40 000 Chinois se pressent au Florentia village, à 150 kilomètres de Pékin.

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Un grotesque bric-à-brac architectural du Vieux Continent

Page 33: Les républicains à la recherche du candidat idéal

Venise, plus les magasins de mode deMilan. Quelques gondoles glissent sur l’eaudu Grand Canal, surgi comme par enchan-tement d’un parking de 5 000 places. Pourune balade – d’à peine 300 mètres – ausoleil couchant, les futurs mariés doiventréserver leurs places sur Internet plusieurssemaines à l’avance. Il fait froid ces jours-ci, mais dans l’imaginaire asiatique l’art devivre en Méditerranée se décline à la ter-rasse d’une trattoria devant un bon verrede vin, dos à un four à bois, sur l’air d’O solemio à l’accordéon. A chaque service, le res-taurant de Samuele Rossi, 37 ans, parti desa Vénétie natale à 20 ans, est pris d’assautpar 3 000 Chinois, emplettes sous le bras.A tour de bras, il sert des apéritifs et desolives à ses clients, confortablement ins-tallés face au pont du Rialto qui, à Wuqing,relie deux rangées de maisons colorées,répliques de Burano [île du nord de lalagune de Venise].

Les clients accourent dans ce mélangerenversant de parc à thème et de centrecommercial. Et restent pour savourer l’illu-sion de ces vacances en Europe que les

capitalistes rouges ont mis au goût du jour.“On visite l’Italie pour ses monuments, sesmagasins et sa cuisine, ce qui nécessite beau-coup de temps et beaucoup d’argent”, expliqueNelson Chan, le directeur du Florentia vil-lage. “Ici, nous offrons la même chose, à deuxpas de chez soi et pour une somme modique.Comme ça, les gens peuvent se concentrer surleurs achats.”

200 magasins d’usinesSi Deng Xiaoping avait pour mot d’ordre“enrichissez-vous !”, trente-cinq ans plustard, Hu  Jintao encourage la dépense.Même si la Chine touche le sommet dusuccès économique, les exportations de“l’usine du monde” s’essoufflent, les entre-prises ferment dans le Guangdong [pro-vince du sud de la Chine] et la croissancedu PIB ralentit. Priorité donc à la consom-mation intérieure, érigée en preuvecontemporaine de fidélité à la patrie, etdirection le “paradis des magasins d’usi -nes” de Wuqing, qui garantit “l’Italie à vingtminutes de Pékin et à dix de Tianjin”.

L’enthousiasme suscité est tel que l’im-posante cheminée de la centrale thermiquevoisine semble n’émouvoir personne, pasplus que la ligne à grande vitesse qui tra-verse l’aire de jeux où les familles parquentleurs enfants. Trois cent soixante-cinqjours par an, de 8 heures à 22 heures, leshopping s’élève ici au rang de célébrationmystique, suivant le rite mis au point parles prêtres “italo-américano-chinois” pourleurs 800 employés-acteurs. Une moitiéde la ville est réservée au luxe, l’autre estconsacrée aux marques jeunes. Au milieu,le Grand Canal se charge de diviser lesclasses : d’un côté les nouveaux riches, del’autre la nouvelle classe moyenne, irré-sistiblement envoûtée par la douce mélo-die d’un mot magique : “promotion”.

Florentia peut se vanter d’être le plusgrand regroupement de magasins d’usinesde Chine, mais aussi le premier à avoir suimposer des rabais aux marques made inItaly les plus chères. Les 200 magasins doi-vent se plier à une règle inflexible : garan-tir exclusivement des produits originauxavec des promotions allant de – 30 % à

– 70 %. Ainsi, un produit à 10 000 euros àShanghai s’achète à 3 000 euros sous lesarcades de la Piazza San Carlo à Florentia.“Mais, en Chine, selon Wan Wenying, vice-président national de la Chambre de com-merce, le luxe ne connaît pas de saisons, et cegenre de complexes commerciaux va vérita-blement exploser. Il en existe aujourd’hui 500dans le monde, dont la moitié aux Etats-Uniset 100 en Europe. La Chine n’en compte qu’unetrentaine, mais d’ici cinq ans nous en auronsplus de deux cents et en 2020 nous auronsdépassé l’Amérique.”

Shopping et tourismeC’est pour conquérir ce portefeuille asia-tique prodigieux et désormais vital qu’in-dustries et commerces abandonnentl’Occident pour bâtir de nouveaux mondesen Extrême-Orient. Les propriétaires duFlorentia ouvriront cette année deux nou-velles répliques de l’Italie à Shanghai etChongqing [une municipalité de plus de30 millions d’habitants], huit d’ici à 2015dans des villes chinoises de seconde caté-gorie. Spectacle et shopping, tourisme etdivertissement composent la recette de lacroissance dans la nouvelle puissance éco-nomique mondiale. Une réalité aveclaquelle il faut compter. Parmi les analystesfinanciers, des voix murmurent que ce luxe

à prix cassés ne fait qu’anticiper une crisequi n’épargnera pas la Chine, et que cessortes de studios hollywoodiens sont néces-saires pour écouler des montagnes d’in-vendus et contourner les droits de douanesqui freinent encore certaines marchandisesétrangères. Peut-être sont-ce là les signesavant-coureurs d’un cyclone imminent. Plu-sieurs jours avant Noël, des dizaines d’ou-vriers en tenue de Père Noël ont installédes illuminations. Des traîneaux atten-daient pour les photos-souvenirs sous laneige artificielle, les paquets-cadeauxs’amoncelaient sous les arcades, et la trat-toria proposait déjà de la dinde au menu.Peu importe que Noël n’ait jamais existé enChine et précède de trois semaines les célé-brations du nouvel an lunaire. “Nous avonsdébuté en octobre avec l’anniversaire de la révo-lution, jubile Nelson Chan, nous avons conti-nué avec les fêtes de fin d’année occidentalespuis notre Festival du printemps pour inaugu-rer le 23 janvier l’année du Dragon. Les stocksde marchandises ne suffisent plus, les files s’al-longent devant les magasins, qui n’acceptentdésormais qu’un nombre limité de clients, lesventes au détail progressent chaque mois de40 %. Nous construirons peut-être un jour uneGrande Muraille consacrée au shopping auxportes de Paris.”Giampaolo Visetti

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 33

Pékin

Tianjin40 km

Wuqing

Golfede

Bohai

MUNICIP.DE TIANJIN

MUNICIP.DE PÉKIN

PROV.DU HEBEI

HEBEI

Le Florentia village

Shanghai

Chongqing

1 000 km

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C H I N E

Ouverture en 2012de 2 autres villagessur le modèle du Florentia

� Réservation obligatoire pour une balade en gondole.

� Classe moyenne et nouveaux riches cherchent la bonne affaire.

Deux entreprises sontà l’origine du Florentiavillage, gigantesqueregroupement demagasins d’usines aux allures de citéRenaissance. D’une partRDM Group, fondé en 1979 par deux frèresitaliens, Corrado etMarcello Fratini. Leuractivité s’est développéeprincipalement autour

de trois secteurs : lamode, la vente au détailet l’immobilier. Cesdernières années, RDMGroup est devenu leaderen Italie dans ledéveloppement devillages commerciaux. Et d’autre part le groupeWaitex, créé en 1981 àNew York par Howard Li,un Américain d’originechinoise. Cette

multinationale investitdans le prêt-à-porter etest implantée en Chinedepuis près de vingt-cinqans. S’étendant sur60 000 mètres carrés,les 200 boutiques du Florentia village sont ouvertes trois centsoixante-cinq jours par an, de 8 heures à 22 heures. Business is business.

Associés

Un investissement américano-italien

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34 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

Contrairement aux autresvilles du pays, la capitale semblecalme. Jusqu’à quand ?La chute de Damas signerait la fin du régime…

The Guardian (extraits) Londres

�S irotant un thé dans un caféenfumé de Damas, Adnan et sonépouse, Rima, passent inaper-

çus parmi les clients. C’est un couplecomme un autre, ils ont une trentained’années et se détendent à la fin d’unejournée de travail. Pourtant, comme sou-vent dans la capitale syrienne, Adnan etRima ne sont pas ceux que l’on croit aupremier abord. En temps normal, lui estingénieur informatique et elle, avocate.Mais ils font maintenant partie de cesmilitants clandestins qui participent àl’organisation du soulèvement contre leprésident, Bachar El-Assad.

La mission est dangereuse. Depuis dixmois, des milliers de Syriens ont été tués– sans doute deux fois plus que le chiffrede 5 000 victimes avancé par les Nationsunies – et Assad mène une répressionimplacable qui ne donne aucun signe d’unefin prochaine. Mais ses adversaires sonttout aussi déterminés à poursuivre la lutte.

Adnan et Rima ne peuvent ni travailler,ni prendre contact avec leurs familles. Ilsont de fausses identités. Lui change régu-lièrement d’apparence physique. Ainsi, ilvient de se raser la barbe. Et cela marche,apparemment, car un ami assis à la tablevoisine ne l’a pas reconnu.

Des rassemblements éclairsLa plupart de leurs amis sont en fuite, secachant des mukhabarat, la police secrète.“Ils nous terrorisaient mais nous nous ysommes habitués, assure Adnan. La révolu-tion a abattu le mur de la peur. A l’école, onnous inculquait d’abord l’amour pour le pré-sident – Hafez El-Assad [le père de Bachar].La situation ne s’est absolument pas amélio-rée depuis l’arrivée au pouvoir de Bachar. Maismaintenant tout a changé. Partout le portraitd’Assad est vandalisé et nous sommes convain-cus que nous finirons un jour ou l’autre parabattre le régime.”

A première vue, tout est calme àDamas, mais l’apparente normalité de lacapitale est trompeuse.

“Le contrôle de Damas est vital pour lasurvie du régime d’Assad”, commente unegrande figure de l’opposition. “Il ne per-mettra pas que se reproduise une place Tahririci. Si Damas tombait, ce serait fini pour lui.”De grandes manifestations organisées parles comités de coordination locaux ont lieupresque tous les soirs dans de nombreusesbanlieues de Damas. Même en centre-ville,des rassemblements éclairs se tiennent enplein jour. Ils durent quelques minutes

Moyen-Orient

seulement, puis la foule se disperse avantque ne chargent les forces de sécurité,dont les pires éléments sont les shabiha,des brutes en pantalon militaire et vestede cuir qui rôdent aux coins des rues et surles places de la ville.

Les manifestants font preuve d’ingé-niosité. Une fois, des conducteurs béné-voles ont provoqué des embouteillagesdans les rues qui avoisinaient la vieille gare,créant ainsi un espace où une brève maisspectaculaire manifestation a pu avoir lieu.Créativité et secret jouent un rôle capital.Début août, des haut-parleurs dissimulésdans le quartier commerçant animé de laplace Arnous diffusaient à plein volume lachanson Irhal ya Bashar (“Va-t’en,Bachar”), écrite par Ibrahim Qashoush, quia été assassiné en juillet dernier : les tueurslui ont tranché la gorge et retiré les cordesvocales. “Au début, les gens étaient terrori-sés”, se souvient un habitant de Damas quiavait écouté la chanson. “Mais, quand ilsl’ont entendue la deuxième fois, ils se sontdétendus. A la troisième, ils riaient.”

Les haut-parleurs étaient installés surun toit et y accéder pour les réduire ausilence était difficile, la zone alentour ayantété enduite d’huile. La tactique se révèleefficace mais risquée. Ainsi, un militant amis en marche accidentellement la cassettedans un taxi, mais le conducteur, qui étaiten fait un agent des mukhabarat, a alertéles autorités.

D’autres actes non violents ont uneportée hautement symbolique : en août, dela teinture rouge sang a été déversée dansla fontaine située devant la banque cen-trale, théâtre de bruyants rassemblements

pro-Assad ; on distribue des bougies enru-bannées de noir pour rendre hommage àGhayath Matar, qui s’est rendu célèbre enoffrant des roses aux soldats, avant d’êtretorturé et tué, en septembre dernier. “Lesgens prennent des risques”, reconnaît Salma,une militante des droits de l’homme. “Maisà Idlib et à Homs [dans le nord de la Syrie],c’est une question de vie et de mort, ce qui n’estpas le cas à Damas.” Il n’empêche que cer-tains s’étonnent de leur propre témérité.“Regardez-nous”, s’esclaffe Bassam, unouvrier âgé d’une vingtaine d’années.“C’est la peur au ventre que j’ai participé àma première manifestation. Maintenant jetrouve ça exaltant.”

Néanmoins, personne ne s’attend à ceque la révolution se termine bien ni bien-tôt. Le discours prononcé par Assad [le10 janvier] est considéré comme une décla-ration de guerre destinée à galvaniser sespartisans. Lors de sa retransmission endirect à la télévision, on croyait voir unefoule énorme. En réalité, une image nonofficielle circulant sous le manteau donneà penser que quelques milliers de per-sonnes au maximum étaient présentes. La4e division de l’armée s’est positionnée toutautour de la capitale, sous le commande-ment de Maher, frère du président. Lesbâtiments officiels sont protégés des atten-tats par des barrières. Les rues proches du

palais présidentiel et du ministère de laDéfense sont barrées. Au quartier généralde la sécurité de l’Etat, des hommes armésde pistolets-mitrailleurs montent la gardederrière des murs de sacs de sable.

Al-Jazira dans le collimateurLes médias officiels se font quotidienne-ment l’écho de la thèse, défendue par lerégime, d’un grand complot visant la Syrieet réunissant les Etats-Unis, l’Occident,Israël et des “agents” arabes réactionnairessous la houlette du Qatar. Le fer de lancede cette campagne est Addounia TV, unechaîne par satellite appartenant au clan desAssad. Elle a dans son collimateur la chaîneqatarienne Al-Jazira, qui s’est faite la caissede résonance des révolutions arabes.Addounia l’accuse de mettre en scène dansses studios de fausses manifestations surfond de décors reproduisant des villessyriennes. Dans son discours, le présidenta désigné 60 chaînes de télévision faisantpartie de ce vaste “complot”. Et plus le men-songe est gros, mieux cela marche. “L’émirdu Qatar est un Juif pire que les Juifs”, ful-mine un chauffeur de taxi alaouite. “Il n’ya pas de manifestations en Syrie, ou seulementavec des participants qui ont été payés, et pardes bandes de terroristes.”

Le sectarisme montre également sonvisage hideux. L’opposition reproche aurégime de provoquer des tensions entre lesalaouites, qui dominent les forces de sécu-rité, et la majorité sunnite. Mudar, un jeunealaouite [la communauté du président]étroitement lié au pouvoir établi, parle d’unde ses cousins, un soldat, qui a été tué etmutilé. Puis il montre un clip vidéo de

Syrie

Un ordre trompeur règne à Damas

Comme en EgypteSans surprise, Damas a rejeté le23 janvier le plan de la Ligue arabe,qui réclamait le départ deBachar El-Assad et la formationd’un gouvernement d’union

nationale. L’option proposée, déjàévoquée par The Guardian, avaitpour objectif de préserver le régimeen changeant de chef d’Etat, unscénario qui se déroule aujourd’huiau Caire.

Tout a changé. Partout le portrait de Bachar El-Assad est vandalisé

� Dessin de Ingram Pinn paru dans Financial Times, Londres.

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bonne qualité montrant un homme à labarbe touffue en train de décapiter sa vic-time, dont on peut entendre les hurle-ments. Dans un quartier proche de lamosquée des Omeyyades, à Damas, unefemme alaouite qui rend visite à une amiesunnite avoue ne pas oser prendre un taxipour rentrer chez elle de peur de tombersur un conducteur sunnite : l’homme pour-rait l’enlever et la vendre, et elle seraittuée. Au printemps dernier, un grouped’alaouites influents a exhorté Assad à pré-senter ses excuses pour la répression et àengager de véritables réformes. “Lesalaouites pensent que leur sort est lié à celuides Assad, met en garde un opposant. Et c’esttrès dangereux.” Fadwa Souleiman, uneactrice alaouite, est immensément admi-rée pour avoir apporté publiquement sonsoutien aux rebelles. Mais elle en subit lesconséquences, victime de l’ostracisme etfustigée à la télévision par son propre frère.

De moins en moins de tempsAutre signe que la Syrie s’enfonce dans lacrise, l’Etat ne fonctionne plus correcte-ment. Il “s’effondre lentement mais sûrement”,pour reprendre les termes employés parun spécialiste. Les responsables de la sécu-rité s’inquiètent des dessous-de-tableexigés en échange de la libération de pri-sonniers. Les insurgés auraient acheté lamoitié de leurs armes à des militaires.Quant aux douaniers, ils ferment les yeuxdevant le matériel provenant du Liban. Lebruit court avec insistance que diversesbranches de la police secrète se tirent lesunes sur les autres lors d’opérations clan-destines. Par ailleurs, des fonctionnairesauraient détruit des documents sur les-quels étaient consignés des paiementssecrets effectués sur ordre téléphoniquedu palais présidentiel.

Les problèmes économiques se sontégalement aggravés depuis quelquessemaines. Les coupures d’électricité pen-dant plusieurs heures par jour sont deve-nues monnaie courante. Les magasins desquartiers chics de Damas sont alimentéspar des générateurs installés sur le trot-toir. Le carburant manque, notamment àcause des besoins énormes des forces desécurité, tandis que les prix du fioul domes-tique et de l’huile de cuisine s’envolent.

Une plaisanterie illustre la situation.Abou Fulan – Monsieur Tout-le-Monde –achète du poulet pour le dîner. Il demandeà sa femme de le rôtir, mais elle rétorque :“Désolée, on n’a plus de gaz.” “Maaleish”[“Tant pis”], lui répond-il, on le plume eton le met au micro-ondes. “Désolée, répètesa femme, il n’y a pas de courant non plus.”A ce moment, la volaille ressuscite mira-culeusement et se met à caqueter : “Dieu,la Syrie, Bachar et rien d’autre !”.

L’économiste Abdel-Karim regarde surle long terme. “Je ne doute pas que le régimefinisse par tomber. Le problème est que plus çaprend du temps, plus les islamistes se renfor-cent. Les apôtres de la violence gagneront duterrain. C’est une question de temps et de coûts.Or on a de moins en moins de temps.”Ian Black

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Pour l’écrivain Alaa Al-Aswani, lePrix Nobel de la paix s’est retiréde la course à la présidentiellepour ne pas cautionner unedémocratie de façade. Il est vraique dans le pays rien n’a changé.

Al-Masri Al-Youm (extraits) Le Caire

�S i vous avez un fils à l’école pri-maire, jetez donc un coup d’œilsur son manuel d’histoire-géo.

Un chapitre assorti de jolies images estconsacré aux “succès” remportés en trenteannées de règne de Hosni Moubarak. Letexte se conclut ainsi : “Tous les efforts duprésident Moubarak n’ont pas suffi à satisfairele peuple, et celui-ci a fait une révolution afinde changer le régime.” Pas un mot deseffroyables crimes commis durant cesannées. Et la révolution est expédiée enune phrase lapidaire et approximative.Voilà ce qu’apprennent nos enfants àl’école. Que se passera-t-il dans la tête d’unélève qui aura appris sa leçon par cœur,puis vu les images d’un Moubarak allongésur un lit d’hôpital et transféré devant lejuge ? Il ne pourra qu’arriver à la conclu-sion que c’est une terrible injustice à l’égardd’un grand homme et que la révolution estdétestable d’avoir entraîné sa chute.

Ceci fa it part ie de la sér ie de mensonges par lesquels le ministère del’Education intoxique les esprits. Toutrécemment, plusieurs sujets d’examens ontprésenté les révolutionnaires comme desgens favorisant la corruption, financés pardes pays étrangers. Il ne s’agit pas de faitsisolés mais d’une politique. La puissantebureaucratie du ministère de l’Educationne permet à aucun professeur d’introduiredes sujets politiques sans en référer à sessupérieurs, qui eux-mêmes reçoivent leursinstructions des plus hauts responsables.Tout cela montre que l’ancien régimecontinue de régner sur l’Egypte. Le 25 jan-vier, c’est le premier anniversaire de larévolution. Qu’a-t-elle obtenu ?

Les sources d’exaspérationPremier constat : normalement, une révo-lution qui réussit à faire chuter le régimeentraîne automatiquement l’abrogation dela Constitution, puis l’élection d’uneassemblée constituante afin d’en élaborerune nouvelle. Or en Egypte, le Conseilsuprême des forces militaires [qui gou-verne le pays depuis la révolution] a refuséun tel scénario. Il a au contraire opté pourune simple réforme constitutionnelle, idéequi remonte à Moubarak lui-même. Celle-ci a été adoptée par référendum… avantque ce même Conseil ne l’annule pourimposer une Constitution transitoire, cettefois sans consultation populaire.

Deuxième remarque : l’objectif de la ré-volution était de permettre aux Egyptiens

Moyen-Orient

perdu un œil ou du nombre de jeunes filleshumiliées. Au lieu d’inquiéter les respon-sables, ce sont de jeunes révolutionnairesqui ont été accablés. Le blogueurAhmed Douma a été arrêté, l’éditorialisteNawara Negm inculpée pour avoir “faitcroire à l’opinion publique que la corruptionexistait toujours” [le 18 janvier, elle a ététabassée en pleine rue], des militants inter-dits de voyage… Et pendant ce temps, lenuméro deux de l’ancien régime,Omar Souleyman, voyage librement, à bordde jets privés, et rencontre les grands dece monde.

Une même dictature Cinquième remarque : le Conseil militairea organisé des élections inéquitables etoffert la majorité parlementaire aux forcesde l’islam politique. Il leur a permis de créerdes partis à base religieuse, en infractionflagrante avec l’article 4 de la Constitutionprovisoire qu’il a lui-même proclamée.Ensuite, la commission électorale instau-rée par ses propres soins a fermé les yeuxsur toutes les infractions commises par cespartis, telles que la propagande politique àtravers les mosquées, la présence de mili-tants devant et dans les bureaux de vote etjusqu’à l’achat de voix. Il n’a pas non plusenquêté sur la provenance des millions delivres dépensés par ces partis au cours dela campagne. Ce genre de questions, leConseil ne les pose qu’à ceux qui se mon-trent critiques à son égard.

En dehors des poursuites judiciairescontre Hosni Moubarak – avec toutes lesréserves qui peuvent être formulées quantà au sérieux de son procès –, la révolutionn’a atteint aucun de ses objectifs. Le faitest que le Conseil militaire a transforméla révolution en coup d’Etat. Au lieu d’ins-taurer une démocratie, il s’est contentéd’un changement de façade. Une dictaturea succédé à une autre. Si les choses conti-nuent ainsi, nous aurons [en juin pro-chain] un nouveau président, élu certes,mais élu selon les grâces dudit Conseil. Etcelui-ci continuera de tirer les ficelles encoulisse. C’est pour toutes ces raisons queMohamed Al-Baradei a annoncé son retraitde la campagne électorale.

Il faut lui savoir gré d’avoir refusé deservir de feuille de vigne pour une démo-cratie de façade. Qui peut imaginer que lacampagne sera honnête alors que lesmédias officiels font feu de tout boiscontre la révolution, que les forces del’ordre harcèlent l’opposition et que desdizaines de milliers de baltaguis [voyousdevenus indics de police] sont disponiblespour être lancés contre toute personneou rassemblement susceptible de déran-ger le régime ? Alaa Al-Aswani

Egypte

Pourquoi Al-Baradei ne sera pas président

� Mohamed Al-Baradei. Dessin de Stavroparu dans The Daily Star, Beyrouth.

de vivre dignement. Il s’agissait entreautres d’obtenir l’abolition de la Sécuritéd’Etat, une sorte de boucherie organiséepour torturer les Egyptiens par milliers. Orle Conseil militaire a insisté pour la main-tenir et s’est contenté d’en changer lenom. La révolution voulait également quela police soit épurée de ses dirigeants res-ponsables de la mort des martyrs de la ré-volution. [Quelque 850 personnes ont ététuées.] Mais ces responsables ont conser-vé leurs postes, voire ont été promus au seinde leur hiérarchie. De même, le Conseil mi-litaire est resté indifférent au problème del’insécurité galopante provoquée par lerefus de la police de faire son travail ordi-naire de maintien de l’ordre. Certes, la po-lice militaire réprime brutalement les ma-nifestations, mais elle reste les bras croisésface à une poignée de gens qui occupent,parfois pendant une semaine entière, lesvoies de chemins de fer. Comme si les au-torités faisaient exprès de multiplier lessources d’exaspération, comptantque les citoyens finiront partenir la révolution pourresponsable de leursproblèmes.

Troisième re-marque : le Conseilmilitaire a mainte-nu la plupart deshauts fonction-naires. Ce qui ex-plique qu’il règneun état d’esprit in-changé depuis l’époquede Hosni Moubarak. Ainsi,le Premier ministre, Ka-mal Al-Ganzouri, promet deprotéger les manifestants cam-pant devant le siège du Conseildes ministres mais ne cille pasquand ces mêmes manifestantsse font tuer [par l’armée], traînerpar terre et tabasser, y compris lesfilles. Il parle d’une grave criseéconomique mais n’a pas l’air em-barrassé par le fait que la Banquecentrale ait mis de côté 55 milliardsde livres [environ 7  milliardsd’euros] au nom de Hosni Moubarak. On se moque dumonde, exactement comme on le faisait sous l’ancienrégime. Comme si la révolutionn’avait pas eu lieu.

Quatrième remarque  :même si la plupart des jugessont des gens respectables, lajustice en tant qu’institutionn’est pas indépendante. Elledemeure aux ordres d’une admi-nistration dont le président estnommé par le ministre de Tutelle,lui-même nommé par le prési-dent… La révolution avait exigé lerenvoi des juges ayant participé

au trucage des élections, mais le Conseilmilitaire les a maintenus. Nous en voyonsla conséquence : aucun procès contre lesresponsables de la répression n’a eu lieu,malgré trois tueries successives [enoctobre, devant le siège de la radio-télévi-sion d’Etat, ainsi qu’à la fin du mois denovembre, puis mi-décembre autour de laplace Tahrir]. Quatre-vingt-quatre martyrsy ont laissé la vie, écrasés par des blindés,asphyxiés par du gaz lacrymogène ou fau-chés par des tirs à balles réelles, sans parlerdes milliers de blessés, de ceux qui ont

Le Conseil militaire atransformé la révolutionen coup d’Etat. Au lieud’une démocratie, il a organisé des électionsinéquitables.

Sur le w

eb

www.courrier

international.com “Amr Moussa, prochain président de l’Egypte ?”. Un article de Now Lebanon s’interroge sur les chances de l’ancien ministreégyptien des Affaires étrangèresd’être élu président en juin 2012.

CAI

-NYT

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Afrique

Un an après la chute du régimedictatorial de Ben Ali, les Tunisiens sont toujours sur le qui-vive. Beaucoupdoutent de l’efficacité de la nouvelle équipe au pouvoir.

Webdo Tunis

�D epuis l’investiture du gou-vernement Hamadi Jebali [le23 décembre 2011], l’impression

générale est celle d’une équipe qui s’em-pêtre dans des difficultés qu’on attribue aumieux à l’inexpérience. Plus le temps passe,plus l’évidence d’une faiblesse de l’autoritégouvernementale apparaît comme incon-testable. En effet, c’est de la cacophoniequi se dégage du pouvoir politique issu dela troïka [le Premier ministre HamadiJebali, du parti Ennahda, islamiste, le pré-sident Moncef Marzouki, chef de file duCongrès pour la République, et le prési-dent de l’Assemblée constituante, Mous-tapha Ben Jaafar, qui dirige le partiEttakatol ; la coalition gouvernementaleformée le 21 novembre 2011 par les troisprincipaux vainqueurs du scrutin du23 octobre 2011]. Une troïka qui cache aufond une hégémonie du parti Ennahda. Unsecret de polichinelle, diront certains.

Les tergiversations et les atermoie-ments étaient visibles avant même l’an-nonce des portefeuilles ministériels dugouvernement Jebali. Les rumeurs faisantétat d’une cinquantaine de ministres,nombre surprenant, ont fait couler beau-

coup d’encre. La levée de boucliers quis’en est suivie a conduit à la révisionà la baisse de l’équipe gouverne-mentale : de 51 ministres, on estpassé à une quarantaine. Premièrereculade qui en dit long sur l’efficiencede la pression exercée par une sociétécivile aux allures d’un contre-pouvoirredoutable.

C’est également sous l’effet de lamobilisation des universitaires de lafaculté de la Manouba, intimidés, humi-liés et empêchés d’exercer leurs fonctions,que les autorités ont finalement décidéd’évacuer les “sit-ineurs” salafistes deladite faculté restée fermée durant plusd’un mois [du 28 novembre 2011 au 5 jan-vier 2012].

Des nominations troublantesIl n’est que de rappeler les dernières nomi-nations [annoncées le 7 janvier] touchantle secteur des médias pour prendre lamesure des gaffes commises par le chef dugouvernement. La présence massive, le9 janvier, des journalistes et de leur syndi-cat devant les bureaux de Hamadi Jebalipour exprimer leur mécontentement, n’estpas restée sans conséquence. Dans l’après-midi même, Samir Dilou, porte-parole dugouvernement [et ministre des Droits del’homme, issu du parti Ennahda], a tenu despropos qui laissent entendre une éventuellerévision des nominations qui ont provoquéle trouble. Certains sont en effet connuspour avoir soutenu servilement le dictateurdéchu et son épouse. Mais c’est surtout lacacophonie des propos de Samir Dilou qui

est inquiétante et qui laisse dubitatif. Il neserait pas au courant de ces nominations,lesquelles l’auraient un tantinet surpris…C’est à ne plus rien comprendre à ce gou-vernement qui multiplie à l’envi gaffes et

maladresses, de nature à augmenter l’in-quiétude de la population.

Besoin de sérénitéToujours dans le registre des reculades,voilà l’hypermédiatique Hichem Meddeb,porte-parole du ministère de l’Intérieur,contraint de démentir, sur les ondes deShems FM, les bruits et chuchotementsrelatifs au limogeage de Moncef Laâjimi,directeur général des brigades d’interven-tion [une information rendue publique, le10 janvier, par Abdelkader Mathlouthi, atta-ché de presse du syndicat des fonction-naires de la direction générale des brigadesd’intervention. Le syndicat avait organiséun sit-in pour dénoncer cette décision. Laâ-jimi fait partie des personnes accuséesd’avoir participé, le 8 et 9 janvier 2011, à larépression qui avait fait au moins 20 morts

à Thala et Kasserine. Il affirme pour sapart qu’il se trouvait à Sousse].

Tout porte à croire que le gouver-nement navigue à vue au moment où le

pays a plus que besoin de sérénité et desécurité, piliers indispensables à la relancedes investissements. Le manque d’expé-rience peut-il, à lui seul, expliquer lesratages d’un gouvernement qui a toutintérêt à se départir de son credo idéolo-gique pour mener à bien les affaires, souspeine d’aller au-devant de difficultés dan-gereuses ? Abbes Ben Mahjouba

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 37

� Dessin de Kichka, Jérusalem.

Le Qatar gagne du terrain,encouragé par la montée en puissance d’Ennahda et par la détérioration de l’image de la France.Après l’indépendance, notremodèle de référence était celuide notre ancien colonisateur,pour qui nous avons gardé la sympathie coupable etl’amour contrarié que témoignel’enfant au père Fouettard. Ce modèle français, avec sesvaleurs d’humanisme universel,de laïcité, d’égalitarisme et de liberté d’esprit, continued’alimenter aujourd’hui le logiciel d’une grande partie de l’élite tunisienne. Mais ils’étiole, et ceux qui l’incarnent,

les élites, sont en faillite et n’ontplus voix au chapitre.En France, la démocratie est entrain de péricliter et sonménage avec le marché est entrain de virer au drame. Lepeuple est las des politiciens etil est gagné par l’idée que lapolitique ne peut plus riencontre le marché, qui tiredésormais les ficelles. Sarkozy,président “bling-bling”, aimebien s’attirer les faveurs desargentiers qui ont désormaisleur alcôve à l’Elysée. En Europe,les marchés financiers ont faitdébarquer des gouvernementsélus et ce sont des anciens de la banque américaineGoldman Sachs qui officient

désormais à la tête de l’Italie,de la Grèce et de la Banquecentrale européenne. C’estdonc un secret de Polichinelle :les modèles français et occidental sont désormaisagonisants et il n’y a plus que les argentiers véreux à leurschevets ainsi qu’une poignéede candides. En attendantl’extrême-onction, on se plairaou on se désolera à voirl’Occident sombrer dans un futur incertain. Et pendant ce temps, notre intelligentsia,grisée par l’opium de ses idéesd’humanisme universel,s’évertue à combattrel’islamisme et à défendre lesvaleurs utopiques de la liberté,

de l’égalité et de laïcité. Maisalors, quel modèle de référencepour la Tunisie ? Je pense que legouvernement et le partiislamiste Ennahda ont déjàrépondu à la question. Ce seraau Qatar, ce bled grand commemon village natal, qu’on irachercher un modèle flambantneuf. Ma décision est doncprise : mon fils, tu parlerasqatari. Je vais jeter à la poubelle ma bibliothèque et me mettre à chercher les livres de penseurset de romanciers qataris quivont t’émouvoir, mon fils. Tu regarderas Al-Jazira et tu passeras tes vacances à Dohachez ton oncle parti travaillerlà-bas dans l’usine d’une grande

banque américaine, où il esttrès content de la vie qu’il mène et nous le fait savoir l’été quandil rentre pour les vacances avec plein de cadeaux “made in China” et sa grosse voiturejaponaise. Mon fils, tu parlerasdonc le qatari, mais je vaisquand même garder la collection de Guy des Cars de ton grand-père et Les Fleursdu Mal de Baudelaire pour lesfeuilleter en cachette. Car moi,quand on m’a dit : tu parleras le français, c’est tout ce que j’aiappris. Karim Ben Slimane*Kapitalis (extraits) Tunis

* Professeur au département Innovationet Entrepreneuriat de l’Ecole supérieurede commerce, Groupe ESC, Troyes.

Analyse

“Mon fils, tu parleras quatari”

Tunisie

Gaffes, cacophonie et reculades !

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Afrique Hizb Al-Tahrir Le Parti de lalibération, islamiste radical, prône le califat comme régime politique et propose un projet de Constitution“fondé sur les principes de la religionet qui prend comme références

le Coran et la sunna”. Cité par le sitetunisien Business News, RidhaBelhaj, porte-parole du parti,soutient : “Nous ne sommes passalafistes mais nous nous inspirons dela charia.” Al-Tahrir se déclare contre

toute forme de violence. Son dossierd’autorisation a été rejeté enmars 2011 et il n’a pas pu participerau scrutin du 23 octobre. Mais celane l’empêche pas de poursuivre ses activités et de se faire connaître.

Spécialiste des mouvementsislamistes, le politologuetunisien Slaheddine Jourchidécrypte les visées de la mouvance salafiste.

Le Temps (extraits) Tunis

Comment expliquez-vous le regaind’activisme des salafistes ?Slaheddine Jourchi Durant les élec-tions, une partie de la mouvance salafistea voté pour Ennahda sur la base d’unefatwa appelant à voter pour le parti le plusproche des préceptes de l’islam. Une autrefaction a boycotté le scrutin, jugeantqu’Ennahda n’ira pas jusqu’à réclamer l’ap-plication de la charia. Le regain d’activismesalafiste était donc attendu. Le salafismeest, en fait, un mouvement religieux puret dur, contrairement au mouvementEnnahda, qui a fait des concessions et quiest devenu proche du modèle de la démo-cratie à l’occidentale. De plus, les questionsliées à la morale et aux pratiques religieusessont très importantes pour les salafistes,dont une partie plaide pour le recours à laviolence en matière de lutte contre lespéchés et les vices de la société.Cette mouvance n’est donc pashomogène ?Effectivement. Son appellation provientdu terme salaf (les ancêtres), et elle prônele retour à la communauté des premiersmusulmans et aux deux sources de l’islam :le Coran et la sunna. Elle n’est, toutefois,ni homogène ni uniforme. Il s’agit, en réa-lité, de groupes qui ne se sont pas mis d’ac-cord sur une stratégie d’action commune.

Globalement, on peut les classer en deuxgrandes catégories : le salafisme conserva-teur et le salafisme djihadiste. Le premier,appelé également “salafisme scientifique”,est le courant majoritaire. Il s’agit d’un cou-rant non violent qui prône la prédication(eddaâwa) pour lutter contre les innova-tions (bidâa) dans la religion et restaurerla pureté de l’islam. Il s’oppose à la déso-béissance aux gouvernants (al-khorouj alaalhakem) et à la lutte armée pour changerles régimes n’appliquant pas une versionrigoriste de l’islam. Selon eux, mieux vautaccepter et conseiller l’émir injuste plutôt

que risquer la fitna (discorde). Les salafistesdjihadistes sont, quant à eux, favorables aurecours à la violence pour destituer les gou-vernements qui s’écartent de la charia etpour dissuader les auteurs des péchés. Auxyeux des tenants de cette doctrine, tout cequi est lié à la démocratie occidentale,comme les élections et les institutionsdémocratiques, relève de l’hérésie.Existe-t-il un dialogue entreEnnahda et les salafistes ?Le mouvement Ennahda a pris langue avecles salafistes pour tenter de les contenir,mais des divergences profondes opposent

ces deux mouvements. Jusqu’ici, Ennahdasemble éviter d’entrer dans une logique de confrontation pour des considérationsélectorales. Ce parti tente, en effet, deséduire un électorat hétéroclite et dispa-rate qui va des citoyens attachés à leuridentité arabo-musulmane aux islamistesradicaux. Et c’est d’ailleurs pour cetteraison qu’il est souvent accusé de tenir undiscours pluridimensionnel.Les salafistes pourraient-ils créerun parti, comme c’est déjà le cas en Egypte ?La formation d’associations comme celledes “partisans de la charia”, qui compte plusde 16 000 fans sur Facebook, atteste de lavolonté des salafistes de s’organiser. Unepartie d’entre eux réfléchit déjà à la créa-tion d’un parti et semble s’orienter vers l’ac-ceptation du pluralisme politique, le rejetde la violence et la modération. Certainscheikhs salafistes ont d’ailleurs critiqué lesit-in en faveur du port du niqab qui a para-lysé la faculté des lettres de la Manouba.Ces signes encourageants nous ontconduits à entamer un dialogue avec euxdans le cadre du forum de pensée Al-Jahedh.Y a-t-il un profil type des salafistes ?Selon les dernières estimations, la Tunisieen compterait plusieurs milliers, dont envi-ron 1 800 ont été libérés dans le cadre del’amnistie générale décrétée après la révo-lution. La plupart des éléments salafistessont âgés de 17 à 30 ans et la majoritéd’entre eux n’ont pas un bon niveau d’ins-truction. Mais ce n’est pas un milieu trèsorganisé. Ils n’ont pour l’instant ni chef defile ni une vision stratégique claire.Propos recueillis par Walid Khefifi

Tunisie

Les salafistes marquent leur territoire

Cette révolution de la dignité,car je refuse de l’appeler de “jasmin” par respect pour lesmartyrs qui ont payé de leur vienos libertés, est-elle en traind’atteindre ses objectifs ?Sommes-nous en train d’écrirenotre futur selon nos propresdésirs et notre unique volonté ?Les jeunes, qui ont été à l’originede ce soulèvement civique et pacifique, se retrouvent-ilsdans ce qui se trame aujourd’huipour leur avenir ? Les catégoriesdémunies et oubliées ont-elleseu accès à un minimum de dignité et de réhabilitationsociale et économique ?Les femmes, qui étaientprésentes dans toutes les phases de la révolution et qui s’appuyaient sur les acquis

inébranlables de la femmetunisienne, se retrouvent-ellesdans les formes d’exclusionqu’elles vivent au quotidien ?C’est sur cette dernièrequestion que je vais axer maréflexion : les femmes sontoubliées et volontairementexclues de toute forme de participation à laconstruction de la Tunisie de demain. Où sont-elles dans le gouvernement actuel et dansles postes de décision ? Nos citoyens n’entendent et ne voient aujourd’hui qu’unseul débat autour de la femme :son paraître et ses habits !Le discours officiel, et ça ne peutêtre anodin ou spontané, a déployé tous les efforts pourréduire la femme à son état

le plus basique, à savoir son étatde femelle ! Les agissementshostiles et sexistes atteignentles femmes dans tous les domaines d’activités :l’enseignement supérieur,l’éducation nationale, la santé,les syndicats, les médias et le monde culturel.Que les nouveaux responsablesdu gouvernement, en commençant par le chef de l’Etat pour arriver au ministredes Affaires religieuses, se permettent en ce début du XXIe siècle de cataloguer les femmes selon leurs habits,cela constitue pour nous la plus grande insulte à l’histoire de ce pays ! Oui,messieurs les responsablesprovisoires de notre pays,

vous avez tout fait pour nousfaire vivre au quotidien sous lamenace que nos droits seraientviolés via la modificationéventuelle du Code du statutpersonnel ! Vos discours,agissements et mentalitésconstituent un vrai filmd’horreur pour les femmestunisiennes ! Mais nous ne vouslaisserons pas faire ! Nous ne vous permettrons pas

de toucher à nosacquis au nom

de la majorité ou de la pseudo-démocratie !Femmes ethommes

tunisienslibres et

dignes :

résistons aux nouvelles formesde la dictature ciblant la femmeet par conséquent la famille et toute notre société ! Nous,femmes, refusons d’êtreconsidérées comme citoyens de seconde zone. Nous sommescompétentes, fières, dignes etmilitantes ! Vos lois rétrogradesne passeront pas et au nom de toutes celles qui vous ont misau monde et que Dieu tout-puissant a considéréescomme clé du paradis, indignez-vous ! En attendant de meilleursjours, nos femmes militantes et courageuses se déclarentofficiellement en deuil !Sana Ghenima* Leaders(extrait) Tunis* Chef d’entreprise, l’auteure a créé en2003 sa propre société, Sanabil Med,spécialisée dans l’édition numérique.

Indignation

Un vrai film d’horreur pour les femmes tunisiennes

� Dessin de Kichka, Israël.

DR

Page 39: Les républicains à la recherche du candidat idéal

Sur le w

eb

www.courrier

international.com Entretien avec le célèbrecommentateur sportifcamerounais Martin Fleur Nimb.Pour lui, la Côte d'Ivoire est favorite.

Marrakech, Fès… Samuel fait le tour desvilles, le tour des clubs, où il apprend quele nombre de joueurs étrangers danschaque équipe est soumis à une limitationet que la plupart des places sont déjà prises.“Au Moghreb de Tétouan, ils m’ont fait faireun test, affirme-t-il. A la fin, ils voulaient megarder, mais, comme ils avaient déjà atteintleur quota d’étrangers, ils n’ont pas pu meprendre.” Il passe un autre test, à Marra-kech, sans plus de succès. Il tente aussi decontacter de vrais agents de joueurs, maisla piste n’aboutit pas. “Ils te donnent rendez-vous, te disent qu’ils vont te rappeler, mais ilsne rappellent jamais”, raconte-t-il, blasé.

Adama, son ami malien, qui a voyagéjusqu’à Tanger par la voie terrestre, pointeun autre problème. “Il est 16 heures, et depuisce matin je n’ai rien mangé. Dans ces condi-tions, comment s’entraîner pour rester enforme ?” se demande-t-il. Aujourd’hui, tousdeux ont renoncé à jouer au football auMaroc. Adama espère devenir commer-çant. Quant à Samuel, il ne rêve plus quedu mariage blanc qui lui permettrait derejoindre l’Europe.

Des salaires au rabaisAvant de renoncer, certains ont failli réus-sir. C’est le cas de Cyril, un milieu défen-sif ivoirien. “On m’a proposé de rejoindre lesespoirs du Wydad de Fès, mais j’ai refusé. Onne me proposait aucun salaire, aucun loge-ment, juste une prime de quelques centaines dedirhams par match gagné”, se souvient-il.Démoralisé, il a vite mis un terme à sesrecherches, et travaille aujourd’hui dansun centre d’appels, à Fès [nord du pays].

En se rabattant sur les divisions infé-rieures du football amateur, Lenoir, unautre Ivoirien, est parvenu à intégrer desclubs. Mais, à cause de conditions salarialesinsuffisantes, il a mis un terme à l’expé-rience. Il se rappelle une équipe où il tou-chait “200 dirhams par-ci, 300 dirhams par-là

[18 à 27 euros]. Je n’avais pas de salaire fixe.”Certains s’en arrangent, comme Brahim, luiaussi ivoirien, qui s’accroche à son équipe

de troisième division (amateur) et à ses1 500 dirhams mensuels [135 euros],“l’un des meilleurs salaires du club, maisqui arrive souvent en retard”. “Je nepeux pas dire que j’en sois content,commente-t-il. Mais, compte tenu dela situation, je n’ai pas le choix. C’estdéjà bien de pouvoir jouer.”

Tremplin vers l’EuropeLa configuration du marché – beaucoup

de demandeurs, peu de postes – ouvre laporte à tous les abus (non-respect descontrats, non-paiement des sa laires, etc.),que les joueurs ne sont pas en position decontester. Une situation dont se plaint cet

autre Subsaharien, pourtant beaucoupmieux loti, qui joue dans un club de

deuxième division. Avec les primes,il arrive à gagner “3 500 à 4 000 dirhams parmois [315 à 360 euros]”, mais n’a signé qu’un“contrat saisonnier de six mois”. Il est prêt àparier qu’en cas de blessure son contrat ne

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 39

sera pas renouvelé, et que son club ne lesoutiendra pas. “La seule chose qui meretienne ici, c’est, j’espère, me faire repérer pardes recruteurs occidentaux ou orientaux,explique-t-il. Ils viennent beaucoup plus sou-vent ici qu’en Afrique centrale.” Le Maroc,tremplin vers l’Europe ou le Moyen-Orient ? C’est le souhait de beaucoup. Çareste l’objectif de Patrick TchouandopNantchouang, un des rares Subsahariensinconnus à avoir réussi à atteindre laBotola 1 après un passage par le mondeamateur. Arrivé du Cameroun à l’âge de19 ans, sur le conseil d’un manager nonhomologué, il intègre malgré tout l’équipeamateur d’Amal Souk Sebt (troisième divi-sion), où il passe trois ans, avant d’êtrerepéré par un autre agent, qui le fait signerà la Jeunesse sportive d’Al-Massira. L’atta-quant y a entamé sa deuxième saison, etson téléphone n’arrête pas de sonner. Quiest au bout du fil ? “Des amis africains quigalèrent et qui me demandent de les aider àtrouver un club, confie-t-il. Je fais ce que jepeux, mais je ne suis pas manager.” Clair Rivière

Attirés par l’argent quebrasse la premièredivision marocaine, denombreux joueurs subsaharienstentent leur chance. Mais trèspeu réussissent.

TelQuel Rabat

�D ans les rues de Tanger,Samuel joue au guide touris-tique informel à défaut de

jouer au football. Depuis deux ans, ceCamerounais cherche le club qui luiconfiera un poste d’avant-centre, et unsalaire digne de ce nom. De quoi vivre cor-rectement et mettre de côté le pécule aveclequel il pourrait investir dans une affairequelconque une fois de retour au pays.Mais, en attendant, il faut bien vivre. Entrepensions à 2,5 euros la nuit et petiteschambres en colocation, Samuel vivote,sans grand espoir, à l’instar des milliers demigrants qui rêvent d’Europe. Son histoireest celle de centaines, voire de milliers defootballeurs subsahariens venus cherchergloire et fortune au sein de la Botola [cham-pionnat d’élite de football du Maroc] sansavoir jamais réussi à percer.

Samuel, c’est un pseudonyme. Il l’achoisi en référence à Eto’o, l’ancien atta-quant camerounais de Barcelone et de l’In-ter de Milan, son idole. Une star planétairequi, comme l’Ivoirien Didier Drogba (quijoue à Chelsea), fait rêver des milliers d’en-fants pauvres avec les millions qu’il agagnés en Europe. Une fortune qui trancheavec la réalité du football subsaharien, oùl’argent se fait encore rare. “Au Cameroun,je jouais en deuxième division, chez les Dra-gons de Yaoundé. Je ne touchais aucun salaire,confie Samuel. Et, même si j’étais passé enpremière division, combien aurais-je gagné ?100 euros par mois ?”

Un marché saturéC’est au début de l’année 2010 qu’il seprend à des envies d’ailleurs. Il faut trou-ver une destination. Vu la difficulté d’ob-tenir un visa pour l’Europe, il se rabat surle Maroc, sur le conseil d’un ami commer-çant qui fait des allers-retours fréquentsentre les deux pays. “Là-bas, les joueurs sontbien payés, et il y a de bonnes infrastructures”,dit-il à Samuel, qui prend alors la candida-ture du Maroc à l’organisation de la Coupede monde 2010 comme une confirmationdes dires du commerçant. Sans plus se ren-seigner, il achète un billet d’avion. Ce n’estqu’à l’atterrissage à Casablanca qu’il serend compte que l’eldorado footballistiquerêvé ne s’atteint pas si facilement.

Cruel constat qu’ont également fait lesvictimes des faux agents, des arnaqueursqui – moyennant finance – promettent àces jeunes joueurs naïfs de leur trouver unclub dès la sortie de l’aéroport. Casablanca,

Maroc

Ce n’est pas le royaume des footballeurs africains !

� Dessin de Vlahovic, Belgrade.

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40 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

A Béni, dans l’est du pays, règne un climat d’insécurité. Denombreuses femmes se frottentles mains : leurs maris rentrentdésormais plus tôt chez eux…

Syfia Grands Lacs Kinshasa

�A quelque chose malheur est bon !”Sourire aux lèvres, cette femmesemble avoir retrouvé la joie de

vivre depuis que son époux rentre tôt à lamaison. “Avant, il revenait après minuit.Maintenant, il est là même à 19 heures. C’estun miracle !” se réjouit-elle. A cause de l’in-sécurité qui persiste depuis plusieurs moisdans cette ville de l’est de la républiquedémocratique du Congo, tous les petitscommerces et débits de boissons fermenten effet leurs portes à 18  heures. Leshommes qui passaient leur temps à boireet à jaser dans les bars avant de retournerchez eux n’ont plus d’autre choix. “Dèsqu’on finit le travail, on achète un peu de sucrepour le petit déjeuner du lendemain et on rentredirectement chez soi. Car vaut mieux être atta-qué la nuit chez soi que dehors”, expliqueChristophe Kambale, militant des droitsde l’homme.

Durant le deuxième trimestre 2011, unedizaine de personnes ont été assassinéespar balle à Béni par des bandits non iden-tifiés. Des maisons et boutiques ont aussiété attaquées et pillées, sans qu’aucuneenquête ne soit menée pour retrouver lesauteurs de ces actes. Et, avant la tenue dela présidentielle et des législatives du

Afrique

28 novembre 2011, des rumeurs circulaientdans la ville, faisant état d’éventuellesattaques des groupes de rebelles ougan-dais, alliés aux forces d’autodéfensepopulaires locales, très actives dans cetteprovince du Nord-Kivu.

Ce climat d’insécurité s’est renforcéaprès l’évasion de la prison centrale de laville, fin 2011, de centaines de criminelsqui se sont retrouvés dans la nature. Entreaoût et novembre de la même année, lescamps militaires d’Oicha et le bureauadministratif de l’auditorat militaireavaient aussi été attaqués, ce qui a accru

la peur des habitants. Ainsi, dans le quar-tier Kalinda, dans le sud de la ville, on nevoit plus aucun piéton dès 20 heures dansla rue Bebel, qui mène vers les quartiersrésidentiels. Même le poste de police dela commune de Mulekera, situé non loinde là, ne rassure personne.

A Bungulu, une commune du nord dela ville où l’ambiance régnait jusque tardau rond-point Kanzulinzuli, les ruesdeviennent désertes dès la tombée de lanuit. Même les conducteurs des taxis-motos qui assurent le transport dans cetteville de 500 000 habitants rangent leurs

engins avant 19 heures. “Nous ne prenonsplus le risque de faire le taxi la nuit, car noussommes souvent victimes des braquages [desbandits] qui nous dépouillent de nos recetteset ravissent parfois nos motos”, raconte Mat-thieu Kambale.

Ce climat de peur généralisée inquiètetous les habitants. Mais, pour les épouseshabituées à rester seules au foyer, sansleurs maris, parfois jusque tard dans lanuit, c’est une autre affaire. Retrouverleurs hommes plus tôt qu’auparavant estvécu par ces épouses esseulées commeune nouvelle aventure amoureuse. Sanss’accommoder, certes, de l’insécurité, quetous voudraient voir prendre fin, elles sou-haitent voir leurs maris continuer à ren-trer de bonne heure au foyer.

Les débits de boissons, à la clientèleparticulièrement masculine, font cepen-dant grise mine. “Notre profession paielorsque la circulation est garantie. Sans lasécurité, nous ne gagnons rien”, se plaintKatembo Musavuli, propriétaire d’uncabaret. Ne vendant plus que la journée,il conditionne le paiement des taxes etimpôts à la restauration de la sécurité.

Les boîtes de nuit, elles, ne saventplus que faire. Certaines n’ouvrent plusdésormais que pendant le week-end.Seuls quelques accrocs de la bière et dela folle ambiance s’y aventurent encore,mais à leurs risques et péril. Au grandregret des tenanciers de ces boîtes, maisaussi de celles qui vendent leurs charmeset retiennent souvent les hommes loinde leurs foyers. Jacques Kikumi

République démocratique du Congo

L’insécurité a du bon pour les épouses délaissées

� Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid.

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Economie islandais se rebellent”, du NationalPost (voir CI n° 1002, du 14 janvier2010), et “Les cannibales et les serviteurs gras”, de la Süddeutsche Zeitung(voir CI n° 961, du 1er avril 2009).

Menacé de faillite en 2008, ce petit pays s’est sorti d’affaireen laissant ses banques couleret sa monnaie se déprécier. Unerecette que les pays de la zoneeuro ne peuvent pas appliquer.

The Washington Post (extraits)Washington

�D ans les rues enneigées de Reyk-javik, les traces de la paniqueéconomique de 2008 ont pres -

que disparu. Les cafés branchés de Lauga-vegur [la rue la plus animée de la capitale]sont bondés, les menus des restaurantsproposent de la baleine de Minke et destravers d’agneau grillés pour l’équivalent,respectivement, de 30 et 45 euros, et toutesles tables sont occupées. Des jeunes émé-chés font la queue pour s’entasser dans desdiscothèques qui vibrent toute la nuit.Maintenant, on plaisante même sur lekrach – kreppa, comme on le nomme àReykjavik. “Ici, il n’y a pas que l’argent quipart en fumée”, proclame un tee-shirt ornéd’une photo de l’Eyjafjallajökull, dontl’éruption fit sensation en 2010.

Le parcours de l’Islande est un casd’école : elle est passée de la ruine finan-cière à une reprise encore fragile, en fai-sant tout ce que n’ont pas fait les autrespays confrontés à la crise ces dernièresannées. Au moment où les Etats-Unis etl’Europe commençaient à se débattre avecles retombées de la crise financière mon-diale de 2008, ce minuscule pays a vécuun véritable désastre. Ses banques surdi-mensionnées ont mordu la poussière, samonnaie s’est effondrée. Le Premierministre en était réduit à invoquer l’aidede Dieu et les gens manifestaient dans lesrues. Reykjavik a fait ce que Washington

n’a pas voulu faire : il a laissé ses plusgrandes banques déposer le bilan [Kaup-thing, Landsbanki et Glitnir ont alors éténationalisées]. Il a également fait ce queles pays d’Europe pris au piège de dettescolossales et enchaînés par l’euro ne peu-vent pas faire : il a maintenu la couronneislandaise à un niveau faible, ce qui agénéré de l’inflation mais a rendu sesexportations plus séduisantes et ses tarifsplus alléchants pour les touristes.

Trois ans plus tard, le chômage abaissé, l’activité touristique est repartie.L’économie a renoué avec la croissance[elle devrait atteindre 2,1 % en 2011 et 1,5 %en 2012, selon Eurostat]. L’été dernier,pour la première fois depuis la crise, legouvernement a réussi à emprunter surles marchés financiers. Il serait tentantd’en conclure que ce pays de 318 000 habi-tants a simplement su gérer la crise plushabilement que d’autres, comme dans l’unde ces “livres dont vous êtes le héros” oùles Islandais auraient fait le bon choix.

MétamorphoseCe n’est pas tout à fait faux, mais l’histoireest un peu plus complexe. D’abord, la situa-tion de l’Islande est bien différente de cellesdes Etats-Unis et de l’Union européenne ;ensuite, une analyse sérieuse ne peut passersous silence la colère, l’angoisse et les quisubsistent dans le pays.

Au cours de la décennie qui a précédéle krach, l’Islande s’était métamorphosée.Autrefois dépendante de la pêche, elles’était transformée en un riche centrefinancier. Elle avait privatisé ses banques,qui n’avaient dès lors cessé d’enfler, englou-tissant des actifs dans le monde entier touten attirant des milliers de déposants étran-gers [essentiellement britanniques et néer-landais] par la promesse de taux d’intérêtsélevés. Les hommes d’affaires voyageaienten jet privé, achetaient des yachts clin-quants et des résidences secondaires valantplusieurs millions d’euros. Les banquiersétaient devenus arrogants et populaires :après tout, ils offraient à la populationtoutes sortes d’emplois bien payés, et àl’Etat, d’importantes recettes fiscales. “Ilfallait être fou pour ne pas vouloir devenir ban-quier”, se souvient Heimir  Hannesson,membre du conseil étudiant de l’Univer-sité d’Islande. “On allait à la fac, on faisaitdes études de commerce, on devenait million-

naire du jour au lendemain. Un vrai rêve. Et,pendant quelques années, ç’a été la réalité.”

Les investissements explosaient, lacouronne prenait de la valeur, et les entre-preneurs islandais s’endettaient davantagetandis que l’homme de la rue s’achetait desRange Rover et des maisons de luxe, allantparfois jusqu’à prendre des emprunts dansd’autres devises pour profiter d’un taux dechange favorable. Peu à peu, les Islandaisen étaient venus à se croire invincibles, àse dire qu’ils avaient maîtrisé une puissanteforme d’alchimie financière. “Nous réussis-sons parce que nous sommes différents”, affir-mait le président de la République dans undiscours prononcé à Londres en 2005. EnIslande, expliquait-il, les “audacieux” chefsd’entreprise prenaient des risques et réus-sissaient là où d’autres “soit échou[ai]ent,soit n’os[ai]ent pas se mouiller”.

En 2008, comme les marchés mon-diaux du crédit commençaient à geler, lesinvestisseurs réclamèrent soudain leurargent. Les trois plus grandes banquesislandaises, qui avaient enflé au point d’at-teindre dix fois la taille du PIB du pays, seretrouvèrent fauchées [elles s’étaient lan-cées dans des activités hautement spécu-latives et s’étaient énormément endettées].“Le système bancaire était si énorme que l’Etatn’avait pas les moyens de le renflouer”, com-mente Gylfi Zoega, économiste et univer-sitaire islandais. “Le pays ne disposait

Crise

L’Islande renaît de ses cendres

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 41

� Dessin de Bromley paru dans le Financial Times, Londres.

GROENLAND (Danemark)

Londres

Dublin

BruxellesParis

Copenhague

Oslo

Stockholm

Reykjavik

1 000 km

ISLANDE

OcéanAtlantique

Iles Féroé(Dan.)

15° O

Cercle arctique

Au pays des Vikings

Cour

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archives

www.courrier

international.com Parmi les nombreux articles relatifs à la crise islandaise publiés par Courrierinternational, on peut lire “Ils ont eubien raison de dire non”, du Wall StreetJournal (voir CI n° 1067, du 14 avril2011), “Quand les contribuables

“On allait à la fac, on faisait des études de commerce, on devenait millionnairedu jour au lendemain — un vrai rêve !”

� 42

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42 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

Economie

pas des réserves nécessaires pour aider cesbanques ; elles se sont tout bonnement décla-rées en cessation de paiement. Il n’y avait pasd’autre solution.” Comprenant qu’il étaitdangereux, et peut-être illusoire, de tenterde sauver les banques, le gouvernementfinit par les laisser sombrer. “Aucun gou-vernement responsable ne prend de risque avecl’avenir de son peuple, même lorsque le sys-tème bancaire lui-même est en jeu,” proclamale Premier ministre dans un discours à lanation, en octobre 2008.

Les conséquences ne se firent pasattendre : la couronne islandaise plongea,perdant plus de la moitié de sa valeur faceà l’euro. Elle ne présentait plus aucunintérêt en dehors de l’île. Lorsque la mon-naie se déprécia ainsi, beaucoup de ceuxqui avaient souscrit des emprunts endevises étrangères durent rembourserdeux fois plus. L’inflation frôlait 20 %. Lesentreprises se débarrassaient en hâte deleurs salariés. Des milliers de citoyensmanifestaient devant le Parlement, spec-tacle exceptionnel dans ce pays paisible.Quelques mois plus tard, le gouverne-ment était balayé.

Contrôle des capitauxDans le sillage de la catastrophe, les auto-rités garantirent les dépôts des Islandais,mais refusèrent de rembourser nombred’investisseurs étrangers, décision contro-versée qui reste une plaie à vif tant ici qu’enEurope. Le gouvernement a créé de nou-velles banques à partir des branches localesde celles qui avaient péri. Les anciennesbanques, qui détenaient des actifs étran-gers, sont encore en cours de démantèle-ment, leurs actifs sont mis en vente et lessommes rassemblées servent à rembour-ser les créanciers.

L’Islande a accepté l’aide du Fondsmonétaire international (FMI) et des paysscandinaves. Elle a mis en place un contrôledes capitaux qui empêche l’argent de quit-ter le pays, dans l’espoir de stabiliser lecours de la couronne.

En 2011, le montant de la dette du paysa dépassé son PIB. Mais malgré les coupesbudgétaires destinées à redresser la situa-tion financière, le gouvernement a délibé-rément préservé le généreux système deprotection sociale, allant même jusqu’àdéployer de nouveaux programmes pourles plus vulnérables. Pour financer cesmesures, il a parallèlement soumis le sys-tème bancaire et les ménages les plus for-tunés à de nouveaux impôts. Et lentementmais sûrement, la récession a laissé la placeà la reprise.

L’expérience islandaise, née dans descirconstances particulières, n’est peut-êtrepas reproductible ailleurs. Certes, la chutedes plus grandes banques d’Islande a étédouloureusement ressentie dans le payscomme à l’étranger. Mais cela n’a rien à voiravec le naufrage planétaire qui se seraitprobablement produit si les Etats-Unisavaient laissé sombrer des sociétés commeCitigroup [le géant financier a été sauvépar l’Etat fin 2008].

La faiblesse de la couronne a accéléréla stabilisation de la situation. Les expor-tations, essentiellement composées de

poisson et d’aluminium, ont progressé de11 % l’an dernier, le secteur du tourismeaffichant le même taux de croissance surles onze premiers mois de l’année. Mais lesEtats en difficulté de la zone euro, commela Grèce et le Portugal, n’ont pas la possi-bilité de laisser fluctuer leurs devises.

A en juger par les statistiques écono-miques et par les scènes de la vie quoti-dienne dans les rues de Reykjavik, lesmoteurs de l’économie sont repartis. “Pourun pays dont le système financier s’était com-plètement effondré, l’Islande s’en sort remar-quablement bien”, estime Julie Kozack, chefde la mission du FMI pour l’Islande. “Celadit, ajoute-t-elle, le pays n’est pas encore sortid’affaire.”

Fuite des cerveauxL’été dernier, le programme de soutien duFMI a été bouclé [avec le versement de ladernière tranche de l’aide, dont le montanttotal atteint 1,45 milliard d’euros]. L’infla-tion a fléchi, les consommateurs dépensentplus, on signale de nouveaux investisse-ments dans l’énergie géothermique, etl’océan grouille toujours de poissons.

Les rues sont moins encombrées de RangeRover, mais les Audi, les Mercedes et lesBMW ne manquent pas.

Mais, derrière cette belle façade, devrais problèmes et une profonde incerti-tude persistent : le taux de chômage flirteavec les 7 % ; les entreprises et les ménagesploient toujours sous le poids d’une detteécrasante, due en partie à un système d’em-prunts immobiliers indexés sur l’évolution(actuellement à la hausse) de l’indice desprix à la consommation. La population enveut toujours à l’Etat et aux banques.

Les gens parlent de leurs amis en quêted’antidépresseurs, de familles qui, fauted’argent, évitent d’aller chez le dentiste.Le niveau de vie moyen reste élevé, maisselon une étude officielle récente, la moitiédes foyers ont du mal à joindre les deuxbouts. De plus, les Islandais continuent departir en Norvège, un pays qui offre davan-tage de possibilités et dont la culture estproche de la leur. “On risque une importantefuite des cerveaux”, prévient Brynjar Peturs-son Young, professeur à l’école de com-merce de l’université de Reykjavik.

La crise a laissé des traces dans lapsyché nationale, et les habitants en vien-nent à se poser des questions existentielles,s’interrogeant non seulement sur lesmoyens de retrouver la stabilité financièremais aussi sur le genre de société qu’ils sou-haitent désormais. “Avant, nous étions enproie à une certaine exubérance irrationnelle.C’est fini, et c’est peut-être une bonne chose”,estime Gylfi Magnusson, économiste etministre de l’Economie après le krach [defévrier 2009 à septembre 2010]. “Je croisque nous sommes traumatisés par l’imagequ’ont donnée de nous les Vikings financiersdes temps modernes”, conclut Heimir Han-nesson, le jeune étudiant. Brady Dennis

Sources : Banque centrale islandaise, Bloomberg, OCDE, “The Washington Post”

Inflation (évolution d’une année à l’autre, en %) Dette publique (en % du PIB) Taux de change (cours de la couronne en dollars)

Une reprise encore fragile

20070

4

8

12

16

2008 2009 2010 2011 20070

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0,016

2008 2009 2010 20112007 2008 2009 2010 20110

30

60

90

120127,3

53,36,95,3

18,6

0,0070,008

0,0167

Proj

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Octobre 2008Les trois grandes banquesislandaises (Glitnir,Landsbanki et Kaupthing)s’effondrent et sontnationalisées. La banque en ligne Icesave, filiale de Landsbanki qui opère essentiellement en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, annonce la suspension de sescomptes. Londres utilisealors la loi antiterroristepour bloquer les avoirs de la branche locale d’Icesave.Pour éviter la panique, lesgouvernements britanniqueet néerlandais remboursent

leurs ressortissants clientsde la banque via leur proprefonds de garantie desdépôts, puis se retournentvers l’Etat islandais.Reykjavik, qui prévoyait de vendre les actifs de Landsbanki pour rembourser les quelque320 000 épargnants, est pris de court.

Août 2009Le Parlement islandaisadopte une loi permettantde rembourser la Grande-Bretagne (2,7 milliardsd’euros) et les Pays-Bas (1,3 milliard), à condition que

les paiements ne dépassent pas une certaine proportiondu PIB.

Décembre 2009Sous la pression de Londres,qui menace de bloquerl’adhésion du pays à l’UE, le Parlement islandaisvote une seconde loi pluscontraignante. La colère de la population pousse le président à soumettre la ratification du texte à un référendum.

6 mars 2010 A l’issue du référendum, le non l’emporte à 93,2 %.

Février 2011 Le Parlement adopte une nouvelle loi Icesave. Le président choisit de nouveau la voie du référendum.

9 avril 2011 Les Islandais rejettent le texte à 59,1 %.

Septembre 2011 La commission chargée de liquider les actifs de Landsbanki a récupérésuffisamment de fonds et commence à rembourserles créanciers prioritaires de Icesave.

Chronologie

Icesave, pomme de discorde entre l’Islande et l’Europe

“Nous sommestraumatisés par l’imagequ’ont donnée de nous les Vikingsfinanciers des Tempsmodernes”

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44 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

De la Suisse aux Etats-Unis, de plus en plus de stations de skicarburent aux énergiesrenouvelables. Petite revue.

Der Spiegel Hambourg

�L e 17 décembre, le premier télé-ski totalement solaire au mondea ouvert ses portes à Tenna, un

village de la vallée de Safien, dans les Grisons (Suisse). Les panneaux solairessont fixés sur des câbles tendus entre lespylônes [voir photo]. Ils sont orientés versle soleil dans la journée et tournés en posi-tion verticale quand il neige.

Long de 460 mètres, ce téléski con -somme 22 000 kilowattheures (kWh) pen-dant la saison et est alimenté par l’é nergiesolaire qu’il produit lui-même. Il devraitproduire 90 000 kWh par an [pour donnerun ordre de grandeur : un habitant de paysdéveloppé consomme entre 1 000 et 2 000kWh d’électricité par an]. Les surplusd’énergie produits seront vendus, ce quipermettra de financer les panneauxsolaires, qui ont coûté 420  000  francssuisses [347 000 euros], et leur installation.

Cette station s’inscrit dans une ten-dance générale. L’énergie représente unfacteur de plus en plus important sur ledomaine skiable alpin : les remonte-pentessont plus performants et plus confortables,parfois dotés de sièges chauffés, et lescanons à neige font grimper la consom-mation d’électricité. Avec l’augmentationdes prix, les exploitants sont à l’affût detoute solution leur permettant de s’ap-provisionner en énergie autrement que parle réseau général. Ils évitent ainsi d’aug-menter encore leurs coûts et de plus amé-liorent considérablement leur image.

Depuis des années déjà, la stationmétéorologique de Salzstiegl, en Styrie(Autriche), fournissait des données sur latempérature, l’hygrométrie et la vitesse duvent. Ces éléments servaient à prévoir lamétéo et l’enneigement. Un jour, FriedlKaltenegger, le propriétaire de la stationde ski locale, s’est aperçu que le vent quisoufflait là-bas offrait des conditions idéa -les pour l’installation d’une éolienne.

Au lieu d’investir dans un nouveau télésiège, il a consacré 2,1 millions d’eurosà la construction d’une éolienne de 105 mè-tres de haut. Celle-ci alimente en électri-cité les cinq remonte-pentes, l’hôtel et leschalets de la station. Les surplus sont redis-tribués dans le réseau électrique local pen-dant la nuit et l’été.

Comme le vent souffle particulière-ment fort sur les montagnes, celles-ci seprêtent particulièrement bien à ce type deproduction d’électricité. Une installationde 1,5 mégawatt (MW) comme celle deSalzstiegl peut fournir 4,6 millions de kWhannuellement.

Ecologie

La station de Jiminy Peak, dans le Mas-sachusetts (Etats-Unis), dispose d’une ins-tallation similaire. Elle possède 350 canonsà neige qui recouvrent de neige artificielleses 20 kilomètres de piste et la plupart despistes sont éclairées tous les soirs jusqu’à22  heures en pleine saison. L’éoliennecouvre un tiers de ses besoins en électri-cité annuels et permet à la station d’en-granger des revenus supplémentaires, lamoitié de l’électricité qu’elle produit étantinjectée dans le réseau. De plus, elle permetde réduire annuellement de 3 300 tonnesles émissions de CO2.

La station de Grouse Mountain, situéeau-dessus de la métropole de Vancouver,au Canada, a même trouvé un autre usagepour son éolienne : le moyeu [partie cen-trale] du rotor a été transformé en nacellepanoramique pour les visiteurs –  une technologie qui vient du Tyrol du Sud, ouHaut-Adige (Italie), où il existe plusieursinstallations similaires.

En général, de ce côté-ci de l’Atlan-tique, ce genre de structures élevées quigâchent le paysage est encore assez malaccepté. Les petites éoliennes à rotor en Hoffrent une alternative. C’est ce systèmequ’a choisi la station suisse Sattel-Hoch - stuckli en 2010. Au lieu de tourner autourd’un axe horizontal, les pales des éoliennestournent autour d’un axe vertical. Ces installations plus basses et plus minces

produisent certes moins d’électricité, maiselles sont plus discrètes.

Le vent n’est pas la seule ressource àabonder dans les montagnes. Le soleil ybrille plus longtemps qu’en plaine. Et cetteressource est largement exploitée. La sta-tion Schmittenhöhebahn de Zell am Zee(Autriche) est en train de construire6 000 mètres carrés d’installations photo-voltaïques sur ses bâtiments – cela repré-sente un chantier de 3,5 millions d’euros.Elle devrait ainsi obtenir 900 000 kWh paran, soit 10 % de ses besoins.

Les énergies éolienne et solaire dépen-dent de la météo. S’il n’y a pas de vent ouque le ciel est couvert, la production d’électricité est compromise. C’est là qu’in-tervient l’énergie hydroélectrique. Et lesinfrastructures des canons à neige, si gour-mands en énergie, peuvent justementservir à en produire. A la station du Nebel-horn, à Oberstdorf (Allemagne), entrefévrier et novembre, l’eau du Faltenbach

[le cours d’eau local] est envoyée dans lacanalisation principale du canon à neige.Après 200 mètres de dénivelé, elle arrive àun débit maximal de 100 litres par secondeà une petite installation dans la forêt. Et làelle fait tourner 16 turbines qui produisent700 000 kWh par an. “Cela suffit à faire fonctionner la piste principale d’Oberstdorf,sur le sommet du Nebelhorn”, déclare AlfredSpötzl, le directeur technique de la station.

Les nombreux grands bassins qui ontété aménagés dans les Alpes pour alimen-ter en eau les canons à neige pourraientjouer un autre rôle à l’avenir. D’après uneétude du Land de Salzbourg (Autriche), lamoitié d’entre eux pourraient être amé-nagés pour produire de l’électricité parpompage-turbinage [une technique destockage d’énergie : quand la demande estfaible, on pompe l’eau dans des bassinspour l’injecter plus tard dans des turbineshydroélectriques] de façon économique-ment viable. On pourrait ainsi avoir unepuissance installée de 1 070 mégawattsavec une capacité de production de 1,4 téra-wattheure par an.

Ces installations de pompage- turbi -nage sont amenées à jouer un rôle de plusen plus important. Nul ne s’étonnera doncque le paysage de certaines régions desports d’hiver des Alpes puisse changer àl’avenir.Christoph Schrahe

Développement durable

Tout schuss sur les pistes (très) vertes !

� A Tenna, en Suisse : premier téléski au monde à être alimenté intégralement par des panneaux solaires.

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Double avantage pour les exploitants des stations : ils limitentl’augmentation de leur facture et améliorent leur image

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international.com Contrepoint Menacées par le réchauffement planétaire,les stations de ski peinent pourtantà se mettre au vert, analyse le sitemilitant The Ecologist. Un article à lire en ligne.

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Les autorités japonaises mettentau point un logiciel capable de retrouver et de détruire la source d’une attaqueinformatique. Mais son utilisationpose un problème légal.

Yomiuri Shimbun Tokyo

�L e ministère japonais de la Défen -se développe actuellement unvirus informatique capable de

tracer, d’identifier et de mettre hors d’étatde nuire les sources de cyber-attaques. Ledéveloppement de cette arme virtuelle aété lancé en 2008. Depuis, elle a pu êtretestée en réseau clos.

Les cyber-armes sont déjà utiliséesdans certains pays comme les Etats-Uniset la Chine. Mais au Japon, à l’heure ac -tuelle, la législation relative aux attaquesvenant de l’étranger n’a rien prévu quantà l’utilisation de ces armes informatiquescontre des ennemis externes. Aussi lesministères de la Défense et des Affaires

Technologie

étrangères ont-ils commencé à se penchersur les aspects législatifs de cette question.

Un programme de trois ans a étéamorcé dans le but d’étudier, de produireet de tester des outils d’analyse de sécu-rité des réseaux informatiques. L’Institutde recherche et développement techni -ques du ministère de la Défense, chargéde mettre au point des armes en toutgenre, a sous-traité le projet auprès d’uneentreprise privée. C’est la société Fujitsuqui a remporté le contrat de développe-ment du virus, ainsi que celui d’un systèmede surveillance et d’analyse des cyber-attaques. Le montant de l’ensemble de lacommande s’élevait à 178,50 millions deyens [1,81 million d’euros].

Le nouveau virus se caractérise prin-cipalement par sa capacité à remonter auxsources des cyber-attaques. Il est capabled’identifier non seulement le foyer initiald’une attaque, mais aussi tous les ordina-teurs utilisés pour transmettre celle-ci.Mieux : il peut désactiver totalement leprogramme malveillant et collecter desinformations importantes relatives à l’at-

taque. Les tests menés jusqu’à présent enréseau fermé ont permis au ministère devérifier l’efficacité du virus.

Selon nos sources, le programme esten mesure d’identifier avec une grandeprécision l’origine des attaques par dénide service [les plus fréquemment utilisées,

ayant pour but d’empêcher les utilisateursd’accéder à un service en le paralysant parl’envoi d’énormes volumes de données],de même que celle des attaques visant àvoler des informations stockées sur desordinateurs cibles.

En 2005, le Conseil des ministres arendu une décision détaillant les types

d’attaques contre lesquelles il est permisd’user du droit d’autodéfense japonais[conformément à l’article 9 de la Consti-tution japonaise, l’armée nipponne estexclusivement affectée à la défense dupays, et n’a pas le droit de s’impliquer dansquelque offensive que ce soit]. Cette déci-sion ne mentionne pas les cyber-attaques.Dans la situation actuelle, il est donc peuprobable que ces cyber-armes puissentêtre employées car leur utilisation seraitconsidérée comme une violation du codepénal japonais qui interdit la productionde virus informatiques.

Motohiro Tsuchiya, professeur à l’uni -versité Keio, à Tokyo, fait partie d’unecommission gouvernementale sur la poli-tique de sécurité de l’information. Selonlui, le Japon devrait accélérer le dévelop-pement d’armes de lutte contre les cyber-attaques en reconsidérant immédiatementla définition légale de ces armes. Il insisted’ailleurs sur le fait que d’autres pays ontdéjà lancé des projets similaires et préciseque la commission examinera cette ques-tion de manière approfondie. �

Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012 � 45

Cyberguerre

Le virus contre-attaque

Les

archives

www.courrier

international.com A la une du numéro 1034 de Courrierinternational, publié le 26 août 2010,nous titrions Cyberguerre, la menacequi vient du Net. Des reportages,analyses et repères à retrouver sur notre site.

Il est capable d’identifiernon seulement le foyerinitial d’une attaque,mais aussi tous lesordinateurs utilisés pourtransmettre celle-ci.

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46 � Courrier international | n° 1108 | du 26 janvier au 1er février 2012

Selon une récente étudechinoise, les aliments pourraientavoir un effet sur nos gènes.Pour le site militant AlterNet,c’est la preuve qu’il fautréformer la réglementation surles produits génétiquementmodifiés.

AlterNet (extraits) San Francisco

�D es chercheurs chinois ont décou-vert dans le sang et les organesd’êtres humains des traces

d’acide ribonucléique (ARN) provenantdu riz. Cette équipe de l’université deNankin, menée par le biologiste Chen-yuZhang, a démontré que ce matériel géné-tique pouvait se fixer à l’intérieur de cel-lules du foie et influer sur le taux decholestérol dans le sang.

Le type d’ARN en question est appelémicro-ARN en raison de sa taille extrême-ment petite. Depuis sa découverte, il y aune dizaine d’années, des études ontmontré que le micro-ARN est impliquédans l’apparition de plusieurs affectionshumaines, parmi lesquelles le cancer, lamaladie d’Alzheimer et le diabète, et qu’ilfonctionne en bloquant certains gènes.

Tomate à longue conservationLes chercheurs chinois ont mis en évidencele premier cas in vivo de micro-ARN d’ori-gine végétale capable de résister à la diges-tion et d’influer sur les fonctions descellules humaines. Si les résultats de leursrecherches sont confirmés par un examenscientifique approfondi, cela tendrait àprouver que, quand nous mangeons, nousne consommons pas seulement des vita-mines et des protéines, mais aussi des régu-lateurs de gènes.

Même si à l’origine cette étude n’avaitrien à voir avec les OGM, elle pourrait avoirdes implications sur ce front. Les travauxde l’équipe chinoise révèlent en effet la possibilité que de nouveaux produits ali-mentaires, comme les organismes généti-quement modifiés, aient des effets jusqu’iciméconnus sur la santé humaine. Le site deMonsanto affirme qu’“il n’y a aucun besoinni intérêt à tester l’innocuité des aliments géné-tiquement modifiés sur les humains”. Cetteassertion a peut-être une utilité sur le plancommercial, mais elle repose sur uneconception de la génétique datant desannées 1960. Elle est conforme à ce quel’on appelle la théorie fondamentale de labiologie moléculaire, selon laquelle iln’existe qu’un seul processus de transfertd’information entre l’ADN et la cellule. Onpeut comparer ce principe à la commanded’une pizza : l’ADN code le type de pizzasouhaité et le commande, l’ARN est le bonde commande qui précise les ingrédientsà utiliser, et la pizza, une fois livrée, repré-

Sciences

sente la protéine codée par l’ADN. Mêmesi elle est fondamentalement correcte, onsait depuis des décennies que cette théo-rie pêche par excès de simplisme. Ainsi, desmicro-ARN qui ne codent rien n’en circu-lent pas moins dans les cellules pour régu-ler l’expression des gènes. Si un fragmentd’ADN commande une pizza, il peut aussibombarder la pizzeria de micro-ARNcapables d’annuler la livraison de pizzascommandées par d’autres fragmentsd’ADN.

Des chercheurs ont tiré parti de ce processus en préparant de minuscules brinsd’ARN pratiquement identiques aux micro-ARN et en les utilisant pour bloquer l’ex-pression de certains gènes. Cette technique,appelée extinction de gène par “ARN inter-férence”, a été employée pour produire laFlavr Savr, une tomate à longue conserva-tion (résistante à la décomposition) com-mercialisée pour la première fois en 1994.En 2007, plusieurs équipes de rechercheont réussi à produire des ARN d’originevégétale capables de tuer des insectes endétruisant certains de leurs gènes. Or, sur

le plan génétique, les humains et lesinsectes ont beaucoup en commun. Il estdonc tout à fait possible que des micro-ARNconçus pour agir sur la régulation des gènesde certains insectes puissent avoir un effetsur les êtres humains.

Des tests indispensablesL’affirmation de Monsanto selon laquelleles tests de toxicologie humaine n’ont paslieu d’être repose sur le concept d’“équi-valence en substance” [un principe suiviaux Etats-Unis et au Canada], qui veutque, quand on compare des plantes géné-tiquement modifiées avec des plantes nonmodifiées, seul le produit final soit ana-lysé. En d’autres termes, tant que laplante OGM obtenue n’est pas toxique,l’ADN qui a été introduit dans celle-cin’est pas considéré comme différent decelui que possède la plante équivalentenon OGM, et il ne pose donc pas de pro-blème. Si ce principe était appliqué audroit de la propriété intellectuelle, beau-coup de brevets de Monsanto seraientprobablement caducs.

De nombreux partisans des OGMdiront que, si l’on devait soumettre les ali-ments génétiquement modifiés à des testsde toxicologie, il faudrait faire de mêmepour tous les aliments de la planète. Orc’est justement l’approche que nous avonsdéjà adoptée pour les plantes existantes.Voilà même des milliers d’années que lesêtres humains goûtent, parfois au prix deleur vie, les choses les plus étranges. C’estainsi que nous avons pu déterminer quellesplantes étaient toxiques ou susceptibles dedéclencher des allergies.

Il est temps de reconnaître que les sys-tèmes génétiques sont bien plus complexesque les règlements – et les entreprises quiles ont rédigés – ne le prétendent. Les testssur l’innocuité des aliments génétiquementmodifiés sur les humains peuvent être diffi-ciles à mettre en œuvre : combien de per-sonnes, en effet, se porteraient volontairespour manger des épis de maïs à seule finde découvrir leurs effets ? Mais, si desentreprises comme Monsanto souhaitentproduire des plantes capables de tuer desinsectes via des mécanismes génétiquesqui pourraient ressembler aux nôtres, il estindispensable qu’elles procèdent à cestests.

L’une des premières choses à fairepourrait être de vérifier si l’ADN introduitdans les OGM agit – par l’intermédiaire desmicro-ARN – sur d’autres protéines quecelles qu’il est censé coder. Or, selon la pageweb de Monsanto, “il n’est pas nécessaire detester l’innocuité de l’ADN introduit dans lesplantes génétiquement modifiées. L’ADN(comme l’ARN) est présent dans presque tousles aliments. L’ADN est non toxique et ne pré-sente en lui-même aucun danger.”

Dans l’état actuel de nos connais-sances, cette position témoigne d’une cer-taine arrogance. L’avenir nous dira si elleétait également imprudente. Il existe desméthodes informatiques pour vérifier siun micro-ARN peut accidentellementdétruire des gènes humains. Le mieux quenous puissions espérer est que Monsantoutilise un jour ces méthodes.

Etant donné son refus d’étiqueter lesaliments génétiquement modifiés, l’entre-prise considère manifestement que nousdevrions fermer les yeux, ouvrir la boucheet avaler. Il est temps qu’elle reconnaisseque l’ADN ne fait pas que coder des pro-téines. Même si c’est pour la simple raisonque l’ARN est beaucoup plus complexe queJames Watson et Francis Crick, les deuxscientifiques qui ont découvert la struc-ture de l’ADN, ne l’avaient imaginé.Ari Le Vaux

Génétique

OGM et santé : la polémique éclate à nouveau

� Organisme génétiquement modifié. Dessin de De Angelis paru dans La Repubblica, Rome.

Quand nous mangeons,nous consommons aussides régulateurs de gènes

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Création

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Un procès opposant l’artiste américain très coté Richard Prince au photographe français Patrick Cariouébranle le monde de l’art contemporain. Mais, quelle que soit l’issue de l’affaire, il est sans doute trop tard pour enrayer le flot de créativité alimenté par les milliardsd’images disponibles sur Internet.

The New York Times New York

Une grande boîte noire est poséesur une table de réunion dans leslocaux du puissant cabinet d’avo-cats new-yorkais Boies, Schiller& Flexner. Elle renferme des col-lages insolents, parfois extrême-

ment drôles, réalisés par l’artiste Richard Princeà partir de photographies et de pages de maga-zines. Ces œuvres sont au cœur d’une procé-dure pour violation du droit d’auteur, suiviede très près car elle ébranle comme jamaisle monde de l’art.

En mars 2011, Deborah A. Batts, juge àla cour fédérale de Manhattan, a estimé queRichard Prince – qui a bâti sa carrière surl’appropriation d’images créées par d’autres –enfreignait la loi en utilisant sans autorisationdes photographies issues d’un livre sur les rastasdu photographe français Patrick Cariou pourcréer une série de peintures et de collages quise sont vendus à des prix astronomiques – prèsde 2,5 millions de dollars pour l’une de ces

œuvres. (“Waouh. Ouais”, a lâché M. Princelorsque, au cours de l’audience devant le tribu-nal, un avocat lui a demandé sous serment sice chiffre était exact).

Cette décision, dont M. Prince a fait appel,a déclenché la sonnette d’alarme dans lesmusées d’art contemporain. L’enjeu de cetteprocédure judiciaire est le principe de fair use[usage raisonnable ou de bonne foi], une sortede brèche dans le rempart qui protège aujour-d’hui le droit d’auteur aux Etats-Unis. Ce prin-cipe confère aux artistes et, de fait, à n’importequi le droit d’utiliser la création d’autrui à cer-taines fins, notamment si le résultat transformel’œuvre utilisée ou si, comme l’expliquait

Les photos originales du Français Patrick Cariou (1, 2), telles que publiéesdans son livre Yes Rasta (PowerHouseBooks, 2000), et l'usage qu'en a fait l'artiste américain Richard Prince (3,4)dans sa série de peintures et de collagesCanal Zone, exposée en décembre 2007 à la galerie Gagosian de New York. PA

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en 1990 le juge Pierre N. Leval dans unarticle qui fait aujourd’hui référence, la nou-velle œuvre “ajoute de la valeur à l’original”, detelle façon que la société dans son ensemble s’entrouve culturellement enrichie. En 1994, la Coursuprême avait vu un usage de bonne foi possibledans le sampling de certains passages de la chan-son Oh Pretty Woman de Roy Orbison par legroupe 2 Live Crew, au nom d’une forme devaleur ajoutée, la parodie.

Craintes d’un autre âgeDans l’affaire Prince, le critère notoirement floude transformation a été interprété de façon sirestrictive qu’artistes et musées ont averti quecela risquait de fermer presque complètementla porte au principe d’usage de bonne foi et demettre en péril une longue tradition d’appro-priation qui remonte au moins à Picasso etfonde une bonne partie de l’art de ces cinquantedernières années. Plusieurs musées, parmi les-quels le Museum of Modern Art (MoMA) et leMetropolitan Museum de New York, se sontassociés au mouvement, multipliant les dépo-sitions de soutien à Richard Prince et qualifiantla décision de la juge Batts de coup porté au “vifintérêt manifesté par le public pour la libre circu-lation de l’expression créatrice”. Dans le campadverse, des universitaires et des avocats ontau contraire accueilli la décision comme un cor-rectif bienvenu dans un monde de l’art depuistrop longtemps sous l’emprise de la PicturesGeneration – c’est-à-dire d’artistes commeRichard Prince, qui se sont mis à l’appropria-tion dans les années 1970 dans le but de sub-vertir et de détourner la culture des médias.

L’affaire a au moins eu le mérite d’attirerl’attention sur une réalité en marge du débat

juridique proprement dit : le flot actuel decréativité, alimenté par les milliards d’imagesnumériques instantanément disponibles, est sipuissant et le recyclage est devenu à ce pointun réflexe qu’on imagine mal que ce phénomènepuisse être freiné et encore moins stoppé,quelles que soient les décisions de justice.A côté de cela, les larcins artistiques commispar M. Prince – ces fameux collages – semblentd’une retenue presque victorienne, et la batailleautour du droit d’auteur et les craintes qui vontavec ont l’air d’appartenir à une autre époque,peut-être pas victorienne, mais d’avant Inter-net en tout cas.

Le monde de l’art découvre avec un tempsde retard les tensions au sujet du droit d’auteurqui se sont manifestées dans la musique et dansle cinéma, domaines où ont été élaborés des sys-tèmes complexes de contrôles, d’autorisationset de licences d’exploitation. Mais les avocatsspécialistes du marché de l’art soulignent queles contentieux ont tendance à se multiplier,notamment parce que ce marché pèse beaucoupplus lourd que par le passé et parce que la cul-ture de l’emprunt s’est généralisée.

Tout dans l’art contemporain de ces deuxdernières années en témoigne. L’expositioncollective “Free” organisée en 2010 au NewMuseum de New York s’articulait autour del’idée même de la culture de l’emprunt, de lafaçon dont Internet redéfinit de fond en comblele concept d’appropriation, avec des œuvres qui“pillent, empruntent et recadrent des images numé-riques, non dans un acte rebelle de vol ou dans unacte critique de déconstruction, mais comme modede participation réfléchi et actif à une culture trèslargement diffusée, hybridée et mondialisée”, selonla commissaire de l’exposition, Lauren Cornell.

Modifier, enrichir, améliorerLa très célèbre vidéo The Clock (2010) de Chris-tian Marclay représentait vingt-quatre heuresd’appropriation, avec des milliers de fragmentsde films et d’émissions de télévision mis boutà bout. L’exposition “Pattern and Degradation”de Rob Pruitt, montrée en 2010 dans les gale-ries new-yorkaises Gavin Brown et Maccarone,puisait ses motifs chez la styliste Lilly Pulitzer,dans des photos ayant fait le tour d’Internetet chez deux créateurs de tee-shirts, dontles défenseurs en colère organisèrent unemobilisation éclair pour protester contrel’utilisation de ces créations sans mentiondu nom des auteurs.

MM. Marclay et Pruitt sont tous deux nésavant les années 1980. Mais, quand on voit letravail d’artistes plus jeunes, surtout ceux quin’ont pas connu l’avant-Internet, on comprendla rapidité et le changement de nature del’appropriation.

“Pour la génération que j’ai devant moi toutela journée, l’appropriation ne s’accompagne mêmeplus d’un quelconque bagage idéologique”, constateStephen Frailey, artiste qui a utilisé l’appro-priation dans son travail et dirige le cursusphotographie destiné aux étudiants de premiercycle à la School of Visual Arts de Manhattan.

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L’artiste américain Rob Pruitt dans sonexposition “Pattern and Degradation”, à lagalerie Gavin Brown de New York en 2010.

The Clock (2010), une œuvre vidéo du plasticien Christian Marclay, composéede 3 000 extraits de films et de séries télé.

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“Ils ont le sentiment que, une fois qu’une image estentrée dans un espace numérique partagé, chacuna le droit de la modifier, de l’enrichir, de l’amélio-rer, d’en faire absolument ce qu’il veut. Ils ne voientpas cela comme un acte subversif. Ils voient Inter-net comme une communauté collaborative, et toutce qui s’y trouve comme de la matière première.”

Demander pardon après coupDans le même temps, on voit proliférer les outilsqui permettent d’exploiter et de remodeler cesmontagnes de “matière première”. En novembredernier, un développeur et un concepteur gra-phique ont lancé une nouvelle application pouriPad baptisée Mixel, initialement destinée auxamateurs, mais qui finira sans aucun doutedans les ateliers d’artistes. Celle-ci permet derécupérer des images sur Internet ou ailleurs,de créer des collages avec, puis de les fairecirculer afin que chacun donne son avis ou lesremixe à son tour.

L’un des créateurs de l’application, KhoiVinh, ancien directeur artistique du site duNew York Times, répond avec une franchisesurprenante quand on évoque les problèmes depropriété intellectuelle que soulève une telleidée. “Il faut le faire et demander pardon aprèscoup, dit-il. Sinon, on ne fait jamais rien.”

Dans la vidéo en hommage à la série 1, rueSésame réalisée pour promouvoir l’application,le sympathique narrateur lance l’invite “Empa-rez-vous de tout ce qui vous inspire” et, en un sens,cette exhortation toute simple rejoint desquestions soulevées par l’affaire Richard Princeet la culture du recyclage encouragée par le web.

La législation américaine sur le droit d’au-teur a toujours cherché un équilibre délicatentre commerce et culture. Elle vise à proté-ger les créations de l’esprit afin d’inciter finan-cièrement à la création, de sorte qu’un nouveaufilm, par exemple, ne soit pas immédiate-ment copié et revendu, ce qui priverait ainsile cinéaste d’un revenu. Mais la loi s’est aussiattachée à permettre des usages créatifs de lacopie en instaurant une exception au droitd’auteur, le principe de l’usage de bonne foi,qui autorise la reproduction jusqu’à un certainpoint à des fins de critique, de commentaire oude reportage.

Depuis deux décennies, l’un des critèrespour juger si l’usage de bonne foi est effective-ment de bonne foi est la mesure dans laquellel’œuvre initiale a été transformée. En d’autrestermes, même si cela fait belle lurette que nous

ne créons plus rien d’entièrement nouveau, lacopie ne doit être autorisée que dans la mesureoù elle ajoute quelque chose à l’œuvre originale.

Dans quelle mesure y a-t-il ou non trans-formation ? La question a déjà été suffisammentdifficile à trancher dans d’autres domainescomme la littérature ou la musique. Mais le pro-blème devient plus épineux que jamais avec lamultiplication des conflits à propos du droitd’auteur et des procédures judiciaires concer-nant les droits de reproduction dans l’artcontemporain. Cela est largement dû au fait queles questions tournent autour de l’intentionartistique, une notion beaucoup plus floue dansles arts plastiques que dans les autres disci-plines, plus particulièrement depuis une tren-taine d’années en raison de la fragmentationdes mouvements artistiques.

“Faire du grand art”Quelles étaient les intentions de Richard Princequand il a réutilisé les photos de rastas dePatrick Cariou ? La parodie ? La critique ? Ous’est-il simplement emparé de quelque chosequi l’inspirait, pour des raisons aussi difficilesà sonder que celles de nombreux artistes post-modernes ?

Dans leur déposition au procès, publiée dansle cadre d’un livre d’art improbable signé de l’au-teur et réalisateur Greg Allen, les avocats dePatrick Cariou suivent Richard Prince sur leterrain étrange de l’intention artistique. Pourtenter de le coincer, ils arrivent à la conclusionque M. Prince avait l’intention d’utiliser lesphotos de leur client afin d’exprimer sa

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Un mode de participationréfléchi et actif à une culture trèslargement diffusée,hybridée et mondialisée

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fenêtres du quartier de Vesterbro, l’intense éclat desenseignes au néon de la place de la mairie, la lueurromantique des yeux de l’être aimé et, surtout, lalumière électrique”.

C’est dans cette lumière électrique de Copen-hague que se joue l’histoire de Simon, Claus etGreta. Elle, une jeune asthmatique de 21 ans ori-ginaire de Malmö, front d’albâtre et cheveux bou-clés, travaille dans “la cuisine au wok”. Simon, beaugarçon taciturne, en fait un esprit romantique àla sensibilité exacerbée, plongé dans les Hauts deHurlevent, s’adonne à sa passion des dessins géo-métriques dans des boîtes branchées. Claus, l’amid’enfance de Simon. Excessif, impétueux, il mul-tiplie les allers-retours entre la maison d’arrêt,l’hôpital et l’appartement de Simon. “Je suis népour mourir. C’est juste pour que tu saches.”

Le tout est éphémère comme une bulle desavon au soleil. A l’intérieur de cette bulle, lemonde est de nacre, comme en suspension. Vude loin, ce n’est pas grand-chose. AmandaSvensson le sait, bien entendu. Elle peut écrire :“C’est une carte postale, une maison de poupée.Copenhague/Malmö.” Ou encore : “Récapitulons :ce que nous avons ici est un fragment de l’univers.Plat, avec des bords tranchants. Une jolie carte pos-tale représentant deux villes reliées l’une à l’autrepar un pont de chair. Ce pont, la petite Greta a oséle franchir, tant bien que mal, pour aller vivre dansla ville de Simon et de Claus.”

Amanda Svensson se sait écrivaine – c’estune fiction qu’elle compose ici et elle peut uti-liser la métaphore du corps humain pour sen-sualiser le récit. Mais, et c’est ce “mais” quipermet à la bulle de savon de tenir jusqu’à la der-nière page, lorsqu’elle écrit sur ses trois jeunesCopenhagois titubants, elle le fait sans ironie.Elle est avec eux, dans la langue qu’ils emploient,dans leurs mouvements, et elle respire le mêmeair qu’eux. Le lecteur voit le monde depuis l’in-térieur de cette bulle de savon. C’est enivrant etsavoureux, si bien que, une fois le livre refermé,j’ai ressenti une réelle tristesse.

Un autre écrivain est parvenu à décrire cetétat de fragilité sans s’y casser les dents : MonikaFagerholm. En particulier dans son roman Diva,publié en Suède en 1998 et sous-titré “Alphabetd’une enfance avec laboratoire de poupées (unrécit bonus en provenance du futur)”. AmandaSvensson a cette même capacité à échafauder unmonde où s’entremêlent imaginaire et réalité. Parexemple, Greta peut dire : “Je suis allée nageraujourd’hui. Mille mètres pile. Personne n’était là pourl’attester, mais je me suis quand même acheté unemédaille. Là, elle est épinglée sur mon sac à main, elleest magnifique, il n’y a rien de plus beau”, et révélerquelques pages plus loin : “J’ai menti l’autre jour.Je n’ai pas fait mille mètres, j’ai fait trois longueurs.Après, je n’en pouvais plus, j’avais l’impression quema cage thoracique allait exploser et que mes pou-mons allaient se transformer en purée si je continuais.”

Soit. Mais il est parfois plus important d’avoirune médaille qui brille que de dire la vérité. Dansce monde-là, en tout cas, il en est ainsi.

Dans Hey Dolly, son premier roman, AmandaSvensson a montré qu’elle savait écrire vite etbien et parler de sexe en évitant la grossièreté.Elle fait une nouvelle fois la preuve de sestalents dans Välkommen till den här världen, maiscette fois, elle s’autorise également la douceuret la lenteur. Parfois, son écriture se contented’être tendre et tactile. Des triangles qui se fontet se défont.

La fin est sublime de naturel. Du point de vuenarratif, elle est composée avec habileté etdébouche sur une apothéose où tout vient aumonde et se fracasse en même temps sur unemélodie douce-amère. Anna Hallberg*** Ed. Norstedts, Stockholm, 2011. Pas encore traduit en français.** Poétesse et critique littéraire au quotidien Dagens Nyheter.

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Le livre

Une bulle au soleilFigure montante de la jeune littératuresuédoise, Amanda Svensson met en scène dans son deuxième roman un trio de “vingtenaires” en équilibreinstable. Sensible et haletant.

Expressen Stockholm

Le deuxième roman d’Amanda Svensson,Välkommen till den här världen* [Bien-venue dans ce monde], est un origamicomposé de triangles repliés les unssur les autres pour former un diamant,qui se brise en une éblouissante pluie

de confettis. Les mots ont l’odeur du sang, la chaircarbure au diesel et aux alcools forts, et le style,trépidant et d’une incroyable assurance, garantitla cohésion de l’ensemble. On s’attend à toutmoment à ce que l’histoire tombe à plat, et pour-tant le récit rebondit sans cesse.

Dans le premier chapitre, qui porte le mêmetitre que le roman, Amanda Svensson écrit : “Il ya un cœur qui bat et du sang qui coule dans tout phé-nomène lumineux : les lumières tournoyantes desmanèges [du parc d’attraction] de Tivoli, le scintille-ment des bougies posées par milliers sur le rebord des

fascination pour la peinture de Willem deKooning, et qu’il a conçu ses collages et sespeintures comme des idées en vue d’un film sedéroulant dans un monde postapocalyptiquedans lequel des rastas, de célèbres écrivaineslesbiennes et d’autres personnages réquisi-tionnent des hôtels sur l’île de Saint-Barthé-lemy. “Que font donc quatre lesbiennes du débutdu XXe siècle à Saint-Barth en, enfin… alors qu’il ya une guerre nucléaire ?” demande un avocat, etRichard Prince répond : “Je n’en sais pas plus quevous. Mon travail, c’est ça, j’invente des choses.”Dans un autre passage de la déposition, unavocat demande : “Quel est le message ?” Réponsede M. Prince : “Le message est de faire du grandart qui fasse du bien aux gens.”

M. Prince précise bien que son travailne vise nullement à commenter celui dePatrick Cariou. (La juge Batts a estimé que,pour qu’une œuvre soit transformatrice, elledevait “d’une façon ou d’une autre commenterl’œuvre originale, avoir un rapport avec soncontexte historique ou se référer de manièrecritique à l’œuvre”, critères auxquels le travailde M. Prince ne satisfait pas, selon elle.)

“Ce n’est pas de la contrefaçon”Daniel Brooks, avocat de M. Cariou, a déclarédans une interview que, si un principe aussi sub-jectif que celui de M. Prince devait devenir lanorme juridique – et, dans certains secteurs dumonde de l’art, il est de fait déjà beaucoup plussubjectif –, il n’y aurait plus de limites et plusde moyen de protéger le droit d’auteur.

Pour Joshua Schiller, avocat chargé de plai-der l’appel de M. Prince, la limite est la suivante :il faut qu’une nouvelle œuvre d’art ait résultéde l’emprunt. Or, de toute évidence, M. Princea transformé des parties des photos deM. Cariou pour en faire des œuvres bien à lui.Il ne s’est pas contenté de les reproduire pourles faire passer pour siennes et n’a pas cherchéà priver M. Cariou de son gagne-pain. Le travailde M. Prince a-t-il porté ses fruits et ses inten-tions sont-elles intéressantes ou même seule-ment explicables  ? On peut toujours endébattre, mais son intention première était decréer une œuvre d’art, martèle M. Schiller, etc’est ce genre de créativité que la loi cherche àencourager. “Ce n’est pas de la contrefaçon, plaide-t-il. Il ne s’agit pas de sacs à main.”

L’appel de M. Prince sera probablement exa-miné dans les tout prochains mois. Mais la déci-sion n’apportera pas de réponse à des questionsplus vastes : comment faire évoluer la législa-tion sur le droit d’auteur afin de tenir comptede la situation des artistes à l’ère numérique ?Comment le monde de l’art doit-il aborder cesquestions d’un point de vue moral et éthique.On a souvent évoqué la possibilité d’instaurerpour les images et autres matériaux artistiquesun vaste système de droits de reproduction,semblable à celui qui a cours dans l’industriemusicale, mais, chez les partisans d’un renfor-cement de la législation, beaucoup sont scep-tiques quant à la viabilité d’un tel système dansle monde de l’art.

En novembre 2011, lors d’un débat surl’affaire Prince organisé par le barreau de NewYork, Virginia Rutledge, avocate spécialiste dumarché de l’art et ancienne directrice juridiquede Creative Commons, une association militantpour une législation du droit d’auteur moinsrestrictive, a estimé que le monde de l’art tra-versait autant une crise relative à “l’attributionartistique” que juridique stricto sensu, et quel’on pouvait la résoudre, au moins en partie, eninstaurant un climat plus favorable à la men-tion de la source ou de l’œuvre originale.Randy Kennedy

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Biographie

Amanda Svensson,24 ans, vit à Malmö,dans le sud de la Suède,où elle fait des étudesde littérature et travaillecomme critiquelittéraire pour lesquotidiens Sydsvenskanet Expressen. Elle a débuté en 2008 avecle roman Hey Dolly,récit d’une adolescentequi découvre la superficialité de la vie. L’idée de son deuxième roman,Välkommen till den härvärlden, lui est venueun été alors qu’elletravaillait au parcd’attractions Tivoli deCopenhague et faisaitdes allers-retours entre la capitale danoiseet Malmö. “L’écriture,confie-t-elle au quotidien DagensNyheter, n’est pasqu’une activitéprofessionnelle pourmoi. Je n’ai pas hontede dire qu’elle a aussides côtés thérapeutiques.Cela veut dire que l’histoire parlebeaucoup de moi,même si ce n’est pasl’objectif principal,bien sûr.”

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Moskovskié Novosti Moscou

Un chef ! Même ceux qui soutien-nent sans réserve les manifesta-tions [qui ont débuté à Moscouau lendemain des législatives du4 décembre] et évitent les coupletsridicules sur les Moscovites au

ventre plein ou les revenants des années 1990en mal d’animation, même ceux-là affirmentque la nouvelle opposition russe a besoin d’unchef ! Pourtant, réclamer un chef est aussi naïfque s’attendre à voir un avion battre des ailes.

C’est le même type d’erreur que commet-taient les indigènes qui tentaient vainementd’extorquer aux Blancs des informations sur lafaçon dont les sacrifices humains se déroulaientchez eux. S’il n’était pas question d’un passageà un état radicalement nouveau de la nation, cene serait pas la peine de faire tant de bruit. Maistout le monde ressent cette nouveauté, y com-pris ceux qui continuent par habitude à pré-tendre que Poutine est unique et irremplaçable.Au reste, il l’est vraiment – car qui accepteraitde jouer ce rôle dans le contexte actuel, le rôled’un pouvoir qui ne dirige rien, qui n’a aucunbesoin de la population de son pays et qui nelui est pas nécessaire ? Etre prince du

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A la verticale du pouvoir chère à Vladimir Poutine les Russes qui manifestent depuis décembre à Moscouopposent la structure en réseau. Un type d’organisationancien rendu à nouveau possible par Internet. La réflexion du journaliste et “citoyen poète” Dmitri Bykov.

Tendance

L’horizontalitécomme mode d’action

Dmitri BykovLe 10 décembre 2011, place Bolotnaïa à Moscou, lors de la premièremanifestation pour des électionshonnêtes.

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Kremlin et de la Roubliovka [quartierhuppé de Moscou] est une fonction éthique-ment douteuse et esthétiquement laide ; or c’estdans ces limites-là que s’est cantonnée Russieunie [le parti du pouvoir], incarnation même dela verticale.

La nation a justement changé en ceci quele chef est devenu inutile, superflu, ridicule.L’espace en rhizome est parfaitement autogéré,son centre est partout où l’on regarde, et cen’est pas de dirigeants qu’il a besoin, mais demodérateurs. La structure horizontale duréseau, le rhizome, n’a pas été inventée parles postmodernes, les Deleuze et Guattari[les deux philosophes français ont élaboréce concept dans leur livre Mille plateaux, éd.de Minuit, 1980], les théoriciens du mondepostindustriel. Elle a toujours existé, et j’oseraisaffirmer que c’est le mode de fonctionnementle plus naturel des sociétés archaïques. La ques-tion est donc surtout de savoir pourquoi cettestructure est si longtemps restée officieuse enRussie, pourquoi ont coexisté dans un mêmeEtat une verticale du pouvoir et une horizon-tale de la société.

Je pense que nous n’aurons jamais deréponse simple. Ce qui est sûr, c’est que lesmembres de la verticale, les partisans del’empire, les hautes sphères du pouvoir,l’Eglise se sont toujours comportés envers leurterre comme des étrangers : ils ont pillé lesous-sol, opprimé la population, étouffé lestalents, l’initiative et le courage. A l’inverse,l’horizontale a soigné et soutenu les siens, tissédes liens familiaux, générationnels ou géogra-phiques, s’est soumise à la verticale mais sansjamais la respecter.

On se rapproche peut-être d’une réponseavec l’hypothèse de l’auteur de ces lignes selonlaquelle deux peuples ennemis – appelons-lesles Varègues et les Khazars – se seraient empa-rés de la Russie et l’auraient colonisée. Ils n’au-raient cessé de se battre entre eux, ce qui auraitpermis aux autochtones de survivre. C’est sûre-ment une situation similaire qui prévaut danscette Amérique latine que j’aime tant. Au Pérou,par exemple, où la population autochtone a sub-sisté et conservé ses traditions grâce au fait quecertains de ses oppresseurs (disons les Incas)ont combattu les autres (disons les Espagnols).

La population ne s’est jamais accommodéede la verticale. Elle l’a toujours fuie, et c’est àcela que l’Empire russe doit son immense éten-due. Pour échapper au pouvoir, les gens sontpartis en Sibérie, vers l’Extrême-Orient russe,

jusqu’à ce qu’ils rencontrent l’océan, ou endirection du sud ; et, sur ces terres qu’ilsvenaient de conquérir, ils ont établi leur exis-tence, avant d’être rattrapés par le pouvoir.Ils ne se sont pas arrêtés là, ils ont fui plus loin,à l’étranger, ce qui a fait de l’émigré russe unefigure aussi emblématique que l’officier alle-mand ou le cow-boy américain.

La cause principale de cette incapacité de lapopulation à établir sa propre forme de gou-vernement en Russie tient probablement à lafaiblesse de ses liens internes. Lorsque Inter-net a enfin résolu ce problème, une société civiledigne de ce nom a aussitôt commencé à seconstituer. Mieux, Internet s’est inséré dansl’auto-organisation russe le plus naturellementdu monde. Ainsi, Jivoï journal [l’équivalentrusse de la plate-forme de blogs LiveJournal]et d’autres réseaux sociaux par la suite se sontdéveloppés à toute allure, se substituant spon-tanément à l’ensemble des médias officiels.Doté d’instruments comme Internet, Twitteret le téléphone portable, le mode d’organisa-tion russe en réseau est immédiatement devenuplus efficace que la verticale et n’a aucun besoinde chef – fonction aussi étrangère à ce genre destructure qu’au vetche [assemblée populairedans la Russie ancienne et médiévale]. L’imagedu granit régnant sur le marais* est caduque. Lemarais a appris à s’organiser, et cela n’a rien àvoir avec le postmodernisme, car le marais exis-tait bien avant l’invention du postmodernisme.

Ce nouvel état de la nation, qui prend enfinson destin en main, débarrassée de ses conqué-rants totalitaires aussi bien que libéraux,présente-t-il des dangers ? Oui, sans doute,comme toute nouveauté. L’horizontale possèdede nombreux défauts : les leaders sont viteoubliés, la hiérarchie verticale est abolie, per-sonne ne détient d’autorité morale incontes-table, il n’existe pas de critères esthétiquesabsolus. La structure en réseau est précieuselorsqu’il s’agit de mener des actions de bien-faisance ou de lutter contre des incendies deforêts, mais inopérante ou injuste en matièrede préférence artistique : celui qui flatte lemieux la majorité l’emporte. Il prend le pou-voir, mais ne le garde pas longtemps. Le rhi-zome a la mémoire courte, il oublie vite sesdivinités, quand bien même il les adorait laveille encore. Sa supériorité tient au fait qu’ila pour objectif de se développer et de se pré-server, mais pas d’écraser. Il est mu moins parle pragmatisme que par la beauté du geste.

Il nous reste à découvrir la vraie Russie. Pasla nouvelle, mais l’ancienne, la véritable, éter-nellement écrasée par des structures pyrami-dales qui lui ont été imposées. Ce ne sont pasles nouveaux Russes qui manifestent, ce sontles anciens. Celui qu’il faut remercier pour lesavoir mis en marche, c’est sans aucun doutePoutine, premier dirigeant russe à avoir étéaussi indifférent à son peuple. Une indifférencenon pas hostile, mais froide, “pragmatique”,style KGB. Il n’a pas vu la nécessité de motiverles gens, de leur faire la leçon, de les éduquer,de les entraîner vers les sommets. Il les aignorés, purement et simplement.

Dix ans ont suffi pour que le rhizomeremonte à la surface. On n’assiste pas à la nais-sance d’une société civile, mais à la démons-tration de la capacité d’une nation à prendresoin d’elle alors même qu’on la pille sous hyp-nose. Merci Poutine. Un jour, le rhizome luiérigera certainement une statue, pour l’oublierdès le lendemain. Dmitri Bykov

* L’image du marais renvoie au lieu de la première grandemanifestation de décembre, à Moscou, la place Bolotnaïa,ou place “du marais”.

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erContexte

Un poète enpremière ligne

Parmi les orateursqui se sontsuccédé à la tribune lorsdes manifestationsdes 10 et24 décembre à Moscou (et quel’on reverra sans

doute le 4 février, prochain rendez-vousdu mouvement Pour des élections honnêtes),il n’y avait pas que des personnalitéspolitiques. Musiciens, journalistes et écrivains s’y sont également distingués,leur volant souvent la vedette. Outrel’écrivain Boris Akounine et le producteurde télévision Leonid Parfenov, “symbolesde cette nouvelle donne sociopolitique”,selon l’hebdomadaire Expert, on a puentendre Dmitri Bykov. Ce célèbre poèteet journaliste de 45 ans, aussi prolifique et primé dans l’une et l’autre de sesactivités, a loué la “bigarrure” de la foule,avec toutes ses tendances politiques(point faible du mouvement, aux yeux du pouvoir) : à ses yeux, tout, y compris les antagonismes, vaut mieux que le “gris”,“la couleur de la Russie de l’ombre, dirigéepar Poutine”. Plébiscité sur Facebook pourêtre membre du comité d’organisation desmanifestations, il a cofondé le 20 janvier la Ligue des électeurs, nouvelle structureréunissant des intellectuels qui s’engagentà veiller au bon déroulement de l’électionprésidentielle du 4 mars prochain.Depuis bientôt un an, cet inlassablechroniqueur de la vie politique russe, qui allie un sens très fin de l’observation à un exceptionnel talent de versificateur,nourrit un projet artistique original baptisé Grajdanine Poet (Citoyen poète).Tous les quinze jours, un nouvel épisodede ce feuilleton satirique est mis en ligne,sous forme d’une vidéo de quelquesminutes, sur le portail f5.ru(youtube.com/user/GrazhdaninPoet).On y voit le comédien Mikhaïl Efremovinterprétant un texte de Bykov, versifié “à la manière de”, sur un sujet d’actualitébrûlante (Medvedev propose lacandidature de Poutine à la présidentielle,à la manière de Shakespeare ; Le Verdictdu procès de Ioulia Timochenko, à lamanière de Gogol ; La Manifestation sur la place Bolotnaïa, à la manière de Gorki).Le résultat est souvent hilarant. Monté au théâtre, Grajdanine Poet a égalementfait l’objet d’un livre-DVD (“Citoyen poète,31 scènes de théâtre amateur”, voir la couverture ci-dessus) dont les ventesont explosé fin décembre, note le quotidien économique RBK Daily.Il semble qu’en renouant avec l’activitécitoyenne les Russes ont égalementretrouvé le chemin de la créativité. Selon le quotidien Moskovskié Novosti,“l’accumulation de mécontentements se déverse dans un nouveau folklore”, fait de blagues, de jeux de mots propagés par les réseaux sociaux, de photomontages, d’affiches.

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Il nous reste à découvrir la vraie Russie – l’ancienne,la véritable, éternellementécrasée par des structurespyramidales

Air du temps

En revendiquant une organisationhorizontale, les Russesqui manifestent dansles rues de Moscoupour des électionshonnêtes s’inscriventdans une tendancemondiale. “Noussommes horizontaux”,expliquait ainsi un porte-parole du mouvement des“indignés” espagnols,lancé le 15 mai 2011.“Les décisions sontprises en assembléegénérale. Ici, il n’y a pas de leaders, mais des idées et des boîtes à lettres où les citoyensdéposent leurs propositions,recueillies en toute transparence et transmises à l’assemblée et aux différents groupes de travail”, notait le journaliste PepeRibas dans le quotidienLa Vanguardia. Le mouvement OccupyWall Street a débutéaux Etats-Unis à l’automne derniersur les mêmesprincipes. “Ici, nous pratiquons ladémocratie horizontale.Cela veut dire que nousn’avons pas de leader,mais que chacund’entre nous en est un”, expliquel’assemblée généraledu mouvement à NewYork. A lire ou à relireaussi sur le sujet,notre dossier “2011 : année révoltée”(CI n° 1089, du 15 septembre 2011).

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Insolites

La police britannique a arrêté un anciensoldat accusé d’avoir spolié l’Irak d’unepartie du postérieur de Saddam Hussein.Ce fragment de bronze provient de lamonumentale statue du dictateur,déboulonnée en avril 2003, à Bagdad. Al’époque, Nigel Ely accompagnait uneéquipe de télévision couvrant la chute durégime. “Je voulais un morceau de la statue.J’ai dit aux marines que j’étais un vétéran et

que j’étais avec la presse, et ils m’ont dit : ‘Pasde problème, mon vieux, sers-toi’”, aconfié le vétéran à la BBC. Aidé d’unmarine et armé d’un pied-de-biche, M. Elys’est servi. “Je voulais juste une pièce pourle mettre dans ma poche, je me suis retrouvéavec un morceau de 60 cm2. Je l’ai chargé àl’arrière de mon camion, et je n’y ai plusrepensé jusqu’à ce qu’on essaie de rentrer auKoweït. L’armée koweïtienne nous a arrêtés.

[…] Ils ont confisqué tous les souvenirs desjournalistes, mais j’ai dit que ces fesses étaientun blindage contre les balles et les bombes, etils ont laissé tomber.” Quelques jours plustard, Nigel Ely rentre en Angleterre avecson trophée. “J’ai dû payer une fortune enexcédent de bagage.” L’an dernier, l’anciensoldat met la pièce aux enchères au profitdes vétérans britanniques et américainsblessés. La relique n’atteindra pas son

prix de réserve, fixé à 250 000 livres(300 000 euros). Aujourd’hui, note leSun, l’ancien membre des SAS est accuséd’avoir violé la loi irakienne qui interditl’exportation de “biens culturels irakienssaisis illégalement”. Le vétéran ne déco-lère pas. “Comment est-ce qu’on peut clas-ser ça comme bien culturel alors que [cettestatue] a été érigée par le plus grand tyrandepuis Attila ?” s’émeut-il.

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Les cages sales, les animaux émaciés, ça suffit. Depuis le 1er janvier, en Pologne, il estinterdit de vendre des chiens et des chats sans pedigree. Cette mesure vise à luttercontre l’élevage quasi industriel, dans des conditions déplorables, de chiens et de chatsprétendument de race. Mais les éleveurs indélicats ont déjà trouvé une parade : depuisl’entrée en vigueur de l’interdiction, on voit fleurir sur le web des offres de laisses à prixexorbitant. Au bout de la laisse, un toutou ou un chat sans pedigree, offert en bonus àl’acheteur. Rien dans la loi polonaise n’interdit de vendre ce type d’accessoires plu-sieurs fois son prix avec un animal en prime, note Gazeta Wyborcza, quiinvite ses lecteurs à dénoncer les éleveurs au fisc.

L’encombrant postérieur de Saddam Hussein

Indonésie : allaiter à distancegrâce aux coursiers du laitSac isotherme en bandoulière, des coursiers à moto se faufilent dansles rues encombrées de Jakarta. Leur mission ? Livrer du lait maternel. Le précieux breuvage est tiré au bureaupar les mamans retournées au travailaprès leur congé maternité. Grâce à ceservice, les grands-mères qui s’occupentdu bébé à la maison peuvent le nourrir avecle lait frais de leur mère au lieu d’utiliser dulait en poudre, que beaucoup considèrentcomme moins bon pour la santé. Ce servicecoûte entre 30 000 et 40 000 roupies lalivraison (entre 2,60 et 3,60 euros). Il a étélancé en 2010 par Fikri Nauval, patrond’une société d’expédition demarchandises et de documents. L’idéelui est venue en voyant sa femme faireappel à ses coursiers pour livrer son laitaprès son retour au travail. “J’aimerais

aider mon pays à élever une nouvellegénération en meilleure santé”,explique-t-il. La capitale indonésienneest connue pour ses embouteillages etles coursiers mettent parfois une heurepour arriver à destination. Le trajet esttoutefois réduit au minimum : le GPS aideà éviter les points noirs. Febby KemalaDewi, consultante en informatique, faitpartie des jeunes mamans, toujoursplus nombreuses, qui font appel à ceservice. De retour au travail après sestrois mois de congé maternité, elle avaitdu mal à tirer assez de lait le matin pourtoute la journée. Désormais, elle peut leprélever pendant sa pause déjeuner etle faire livrer à sa fille. “Je dois travailler,mais je peux quand même nourrir monenfant”, se réjouit-elle. Ian MacKinnon,The Telegraph (extraits), Londres

Laisse hors de prix, chien en prime

Engager un chaman pour éloigner la pluie ?Pourquoi pas. Le payer avec l’argent ducontribuable ? Pas très correct, estimele fisc colombien. Le contrôleur desfinances de Bogotá a épinglé lesorganisateurs de la cérémoniede clôture du championnatde foot Mundial Sub-20, quiont versé près de 5 millions de pesos(plus de 2 000 euros) pour “servicemétéorologique” à Jorge González. PourAna Marta Pizarro, chargée de la manifes -tation, cette collaboration était “essentielle” :il n’a pas plu le jour J, souligne-t-elle. Semana.com

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Entre le villa

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en Cisjordanie, et le

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aux alentours, les relations sont

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un terrain d’entente. Lors d’une

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