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Les progrès de l'exploration visuelle des organes aux XVII e et XVIII e siècles * par le D r Alain SÊGAL L'idée d'explorer par la vue des organes non directement accessibles à celle-ci nous paraît remonter fort loin dans l'histoire de l'art médical. Si la civilisation égyptienne ne nous a laissé aucune trace de cette possibilité, même dans des traités aussi précis que le papyrus médical « Chester Beatty»(l) qui traite presque exclusivement des affections anales, il n'en est pas de même pour d'autres peuples anciens. Ainsi connaissons-nous l'utilisation de dioptres ou spéculums pour l'anus, le vagin, voire le pharynx et l'oreille, dans les écrits de la collection hippocratique (2), dans la médecine des anciens Hébreux (3) et dans l'art chirurgical indien avec certains yantras** proposés par Suçruta, dans son Traité de chirurgie (4). C'était donc le début d'une période que l'on peut qualifier de spéculaire, et celle-ci s'est largement prolongée jusqu'à nos jours par l'usage courant de certains spéculums, en particulier les bivalves et les coniques. Ainsi observons-nous peu de différences conceptuelles entre les modèles des temps les plus reculés et ceux de nos jours, comme en témoigne le montage photographique de la figure 1. Il est mis en parallèle un spéculum ou dilatatoire de la matrice du I er siècle après Jésus-Christ et un instrument du même usage, du XVIIP siècle. Le premier a été retrouvé à Pompéi, dans la maison du chirurgien située à l'entrée de la rue Consulaire, et assez curieusement proche d'une nécropole. La comparaison des deux modèles ne montre, en fait, guère d'évolution déterminante. Est-ce par nostalgie du passé que ce spéculum anal à trois branches, proposé par les Japonais en même temps qu'un des premiers coloscopes en 1970, ne devient plus qu'un symbole, s'étant avéré inutile pour l'introduction anale et contrôlée du coloscope ? Il nous rappelle * Communication présentée à la séance du 9 juin 1979 de la Société française d'histoire de la médecine. ** Instruments chirurgicaux non tranchants indiens. 395

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Les progrès de l'exploration visuelle

des organes aux XVII e et XVIII e siècles *

par le D r Alain SÊGAL

L'idée d 'explorer pa r la vue des organes non d i rec tement accessibles à celle-ci nous para î t r emon te r fort loin dans l 'histoire de l 'ar t médical . Si la civilisation égyptienne ne nous a laissé aucune t race de cet te possibil i té, m ê m e dans des t ra i tés aussi précis que le papyrus médical « Chester B e a t t y » ( l ) qui t ra i te p resque exclusivement des affections anales, il n 'en est pas de m ê m e pour d 'autres peuples anciens. Ainsi connaissons-nous l 'utilisation de dioptres ou spéculums p o u r l 'anus, le vagin, voire le pharynx et l 'oreille, dans les écri ts de la collection h ippocra t ique (2), dans la médecine des anciens Hébreux (3) et dans l 'art chirurgical indien avec cer ta ins yantras** proposés pa r Suçruta , dans son Traité de chirurgie (4).

C'était donc le début d 'une pér iode que l'on peut qualifier de spéculaire, et celle-ci s'est la rgement prolongée jusqu ' à nos jou r s p a r l 'usage courant de cer ta ins spéculums, en par t icul ier les bivalves et les coniques. Ainsi observons-nous peu de différences conceptuelles en t re les modèles des t emps les plus reculés et ceux de nos jours , co mme en témoigne le montage pho tograph ique de la figure 1.

Il est mis en paral lè le un spéculum ou di la ta toire de la ma t r i ce du I e r siècle après Jésus-Christ et un in s t rumen t du m ê m e usage, du X V I I P siècle. Le p remier a été re t rouvé à Pompéi , dans la ma i son du chirurgien située à l 'entrée de la rue Consulaire, et assez cur ieusement proche d 'une nécropole. La compara ison des deux modèles ne mon t re , en fait, guère d 'évolution dé te rminan te . Est-ce pa r nostalgie du passé que ce spéculum anal à t rois branches , p roposé pa r les Japonais en m ê m e t emps qu 'un des p remiers coloscopes en 1970, ne devient plus qu 'un symbole, s 'étant avéré inutile pour l ' in t roduct ion anale et contrôlée du coloscope ? Il nous rappel le

* Communication présentée à la séance du 9 juin 1979 de la Société française d'histoire de la médecine.

** Instruments chirurgicaux non tranchants indiens.

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Figure 1. —

A gauche : spéculum matricis de Pompéi (1 e r siècle) Au milieu : spéculum matricis de J.-R. Croissant de Garengeot (XVIII 1 siècle)

A droite : spéculum anal à 3 branches (XX e siècle)

que ces apparei ls ont été les grands p récurseurs de l 'endoscopie m o d e r n e et les vecteurs technologiques des explorat ions plus profondes effectuées de nos jou r s .

Ainsi, les futurs progrès dans l 'exploration visuelle des organes ne pou­vaient provenir que des sources lumineuses , des moyens opt iques et d 'une technologie plus avancée dans l ' ins t rumenta t ion exploratr ice. Dans cet te perspect ive, la deuxième moit ié du X V I I e et le X V I I I e siècles nous appa­ra issent une pér iode t ransi t ionnel le dé te rminan te , après la s tagnat ion noto i re dont j ' a i fait p a r t p récédemment . Le débu t du X I X e siècle sera, p a r contre , m a r q u é p a r l ' intégrat ion de la source de lumière à l 'explorateur avec le Lichtleiter de Phil ipp Bozzini (1806/1807), le spéculum uréthro-cystique de P.S. Ségalas (1826) et Yuréthroscope d 'Antonin-Jean Desormeaux (1853) (5, 6, 7). Le XX e siècle aura vu l 'essor des r emarquab les opt iques convention­nelles du type Hopkins , p a r exemple, et su r tou t l 'avènement des fibres opt iques de verre , facteurs de la souplesse inégalée de nos endoscopes modernes , avec néanmoins une cer ta ine régression de la qual i té opt ique .

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Mais, finalement, le t emps n'a point fait d ispara î t re les explora teurs les plus simples que not re technologie a affinés en a s su ran t ainsi leur pérenni té , d 'autant plus que le médecin n 'avait aucune raison de supr imer de son arsenal des appare i ls dont l'efficacité est toujours parfai te .

Quelques réflexions sur l 'éclairage et l 'opt ique médicale, avant l 'étude de not re pér iode transi t ionnelle , s ' imposent pour la compréhens ion de cer ta ins faits.

Depuis le paléol i thique supér ieur , nous connaissons l 'usage de la lampe de pierre creuse ou évidée pa r l 'homme, mun ie de mèche al imentée p a r du suif. Puis divers peuples perfect ionnèrent ce système avec des combust ib les à base d'huile végétale ou animale , voire le pét role b ru t . Vinrent ensui te les chandelles et les bougies ju squ ' au système du tube de verre de Quinquet , en 1785 qui, en touran t la source lumineuse, accroît p a r échauffement l 'apport d'air pur , augmen tan t ainsi la combust ion . De m ê m e en 1786, Argand, avec la lampe à double couran t d'air, amél iore cons idérablement le r endement lumineux. Mais c'est au XIX" siècle que les progrès vont éclater sur ce sujet, avec l 'utilisation plus adéqua te de cer ta ins gaz combust ib les et sur­tout de l 'électricité, ce dont bénéficiera la rgement l 'endoscopie contempo­raine. Qu'en est-il en médecine ancienne de ce p rob lème de l 'éclairage ? Dans son Traité de l'Officine du Médecin, Hippocra te expose un poin t de vue qui n 'est pas sans impor tance p o u r l 'exploration visuelle des organes (2) : « De la lumière, dit-il, il y a deux espèces : la lumière commune , la lumière artificielle. La lumière c o m m u n e n'est pas à no t re disposit ion ; la lumière artificielle est à no t re disposit ion. » Cette deuxième et judicieuse observat ion n'a cependant pas re tenu l 'a t tent ion des opéra teurs car, vis-à-vis des spéculums, il semble que nos anciens se servaient volont iers de la lumière solaire sur des in s t rumen t s p robab lemen t polis, ce qui augmenta i t le gain lumineux. Il n 'est pas interdi t de penser qu'ils amél ioraient aussi leur vision p a r l 'usage de miroir , comme le suggèrent cer ta ins textes d'Avicenne, de Berna rd de Gordon ou de Guy de Chaul iac(8 , 9, 10). Ce miro i r reflétait ce qu'il y avait à regarder en accroissant le r endement lumineux. Le passage du Lilium Medicinae de Berna rd de Gordon sur l 'observation des ulcères de la mat r ice nous para î t suggestif.

Au X I I I e siècle et pour la p remière fois, Arnaud de Villeneuve nous signale l 'usage d 'une bougie pour amél iorer sa vision dans une explorat ion ins t rumenta le nasale, énoncée ainsi dans le De signis leprosorum : « et débet respici inter ius cum candela incensa » (11).

Au XVI' siècle, le p rob lème de l 'éclairage a t t i re l 'a t tent ion toute par­ticulière du grand ana tomis te Jules-César Arant ius (1530-1589), qui fut l'élève d 'André Vesale. Dans son De tumoribus secundum locos affectos (Venise 1587), il analyse d 'une façon détaillée l 'éclairage. Dans une chambre obscurcie, il capta en effet les rayons du soleil à t ravers une fente adéqua te créée dans les volets fermés d 'une de ses fenêtres . Mais il uti l ise aussi un éclairage artificiel lorsqu' i l place une bougie ou une grosse chandelle der­r ière une bouteil le remplie d'eau recevant alors une lumière bien différente de celle de l 'astre solaire (12).

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Ftg. 2.

En haut et à gauche : texte d'Avicenne sur le spéculum matricis (réf. 8). En haut et à droite : Folio 219 du manuscrit 1012 de la Bibliothèque municipale de Reims du Lilium Medicince de Bernard de Gordon sur l'usage d'un miroir

pour l'examen de l 'utérus. En bas : manuscrit 1013 de la Bibliothèque municipale de Reims de la Grande

Chirurgie de Guy de Chauliac. à gauche : f. 74 sur le miroir de la matrice selon Avicenne.

à droite : f. 72 spéculum ad solem.

Sur le plan opt ique, nous n 'avons pas pu re t rouver t race d 'une adapta t ion médicale d 'un effet grossissant ou de possibil i té de gain lumineux p o u r une explorat ion endoscopique avant le XVII ' siècle, que nous allons p rospec te r main tenan t .

Les chirurgiens-obstétr iciens Jean Scultet (1595- 1645) et Cornélius Van Solingen (1641-1687) n 'ont été au XVI I e siècle que des cont inua teurs des méthodes d 'exploration visuelle de leurs aînés, comme en témoignent les différentes planches de leurs ouvrages ; d 'une par t , Y Arment arium chirur­gicale (13) pour le p r e m i e r ; d ' au t re par t , le Manuale operatiônen der Chirurgie pour le second (14). Dans l 'œuvre de Scultet , on ne t rouve guère d ' innovation personnel le et il poursu i t l 'uti l isation de modèles qu'il a connus de son ancien ma î t r e J é rôme Fabrice d 'Aquapendente . Mais Cor­nélius Van Solingen s'est, par contre , a t taché à m e t t r e au point un spéculum dest iné au nez et aux oreilles, et cela sur u n seul ins t rument , ce qui confère à son au teu r une cer ta ine originali té. Nous sommes mainte­nant amenés à aborde r avec in térê t le curieux personnage que fut Pe t rus Borelli [ou Pierre Borel ] (1620 7-1671), médecin de Castres . E t nous devons le dis t inguer grâce à l 'érudit ion du Docteur Pierre Chabber t (15), de Jacques Borrely (16. .-1689). Ce dernier , médecin aussi , en t ra dans les p remie r s à l 'Académie royale des sciences, au t i t re de ses recherches en chimie, et il fut t rès r enommé p o u r sa fabricat ion de verres opt iques dest inés aux lunet tes as t ronomiques . Cet intérêt pour l 'opt ique et son ins t rumenta t ion fut également une passion de Pierre Borel, facteur supplémenta i re de confusion.

Nous avons re tenu de sa biographie qu'il effectua une par t ie de ses é tudes à la Facul té de Montpell ier, et Astruc le rappel le dans ses mémoi res , mais il obt in t en fait son doc tora t à Cahors, le 14 mai 1643, lieu de Faculté où les p ro tes tan t s étaient admis . En 1655, installé à Paris où il pensai t se faire apprécier , il fut n o m m é Médecin consul tant du Roi et, la m ê m e année, il publia son t ra i té De vero telescopii inventore, ce qui le signale comme le p remier médecin à avoir utilisé des lunet tes à la puce ou microscope pour l 'examen du sang ou de f ragments d 'organes. Il représen te donc un intel­lectuel assez carac tér i s t ique de ce siècle po r t é vers les sciences physiques ; il fut t rès curieux, érudi t et assez dispersé, s ' intéressant aussi bien, en dehors de la médecine, à la zoologie, à la bo tan ique , à la minéralogie, à la chimie, à l 'as t ronomie, etc. Les Historiarum et observationum medico-physicorum publiées en 1653 (16), furent l 'objet de cr i t iques pos té r ieures assez sévères et, si de nombreux faits r appor tés para issent naïfs, c'est cependant dans l 'observation 52 qu'il se dist ingue comme un p récur seu r impor t an t en endoscopie.

Pour la p remière fois, l 'emploi d 'un miroi r concave est proposé . Celui-ci grossit mais déforme également les images, ce dernier fait n ' é tan t pas relevé p a r l 'auteur . Mais Borel util isait aussi son miro i r co mme élément de gain lumineux. Il ajoute, p r é s u m a n t de l 'avenir que, grâce à cela, il y au ra une ne t te amél iora t ion de la vision des organes dans d 'aut res par t ies du corps , telles l 'arrière-gorge, l 'anus, la vulve, ce iqui sous-entend le vagin... et ceci d 'une bien meil leure maniè re qu'avec les spéculums couran ts .

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Ces différentes réflexions sur ce sujet par t icul ier de l 'endoscopie au X V I P siècle démon t r en t bien cet te r e m a r q u e de Charles Lichthaeler que « le X V I P siècle est celui de la ia t rophysique et de la ia t rochimie, comme il est celui des prémodernes ».

Le monde médical voit donc surgir une poussée scientifique dominée p a r l'idée car tés ienne de la mé thode et de son corollaire que fut p o u r cet te époque l 'esprit de mesure . Le X V I I I e siècle fut, tou t du moins en France , m a r q u é par l 'essor de la chirurgie et la poursu i te de l 'assimilat ion des nou­velles données scientifiques. L 'explorat ion visuelle des organes dans cet te pér iode a su r tou t été l 'objet d 'é tudes de la p a r t des chirurgiens et de quelques médecins . Tout co mme au X V I P siècle, cer ta ins n 'on t fait que pe rpé tue r les différents spéculums avec quelques aménagements , et l 'ar t isan Jean-Jacques Per re t affina seulement l ' ins t rumenta t ion t radi t ionnel le . Ainsi, dans les diverses planches de leurs ouvrages, Dionis, Jacques-René Croissant de Garengeot, Laurent Heister , Jean-Alexandre Brambi l la (17, 18, 19) n 'appor­tent aucune innovation dans les différents explora teurs proposés et aucun

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Fig. 3. — Portrait de Pierre Borel (Musée Goya de Castres ; copie de 1850 de l'original perdu).

Texte de l'observation 52 des Historiarum et Observâtionum médico-physicorum (1653).

progrès quan t à l 'éclairage. Il n 'en est pas de m ê m e des au teu r s suivants : Archibald Cleland, Samuel Gottlieb von Vogel, Jean-Baptis te Morgani, André Levret et Georges Arnaud-de-Ronsil.

Nous ne connaissons guère d 'é léments b iographiques su r la vie de l'Ecos­sais Archibald Cleland, qui fut chirurgien mil i taire au 3 e Dragon Guards du régiment de Wade, d'avril 1733 à sep tembre 1741 (20). C'est donc à la fin de sa car r iè re mil i ta ire qu'il p résen ta dans les Philosophical Transactions un système d'éclairage réflecteur p a r u n mi ro i r concave mun i d 'une bougie (21).

Ce procédé pouvait , selon l 'auteur, servir à a l lumer toutes les cavités susceptibles d 'ê tre vues en ligne droi te . C'est, à no t re avis, l 'ancêtre du miroi r de Clar. Cleland fut aussi un pionnier du ca thé tér i sme de la t r o m p e d 'Eustache , avec le passage d 'une sonde par le nez.

Fig. 4. — Eclaireur d'Archibald Cleland (1744) avec extrait du texte des Philosophical Transactions.

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Son éclaireur ne passa nul lement inaperçu à l 'étranger, p rouvant ainsi l'efficacité de la diffusion des idées p a r les revues scientifiques. En effet, Samuel Gottl ieb von Vogel (1750-1837), médecin célèbre en Allemagne à la fin du X V I I I e siècle, signale dans son Traité de médecine (1795) l ' intérêt de l 'usage de l 'éclaireur de Cleland, et il p ropose aussi l 'uti l isation p o u r l'ins­pect ion des oreilles d 'un miroir-plan, de la m ê m e man iè re que Borel , au X V I I e siècle, avec le mi ro i r concave.

C'est dans le m ê m e état d 'espri t que, dans son impér issable De sedibus et causis morborum (1761), Jean-Baptis te Morgani aborde ce sujet, en rappe­lant la valeur de l 'éclairage adéqua t pour l 'examen de la bouche et de l'oreille, c i tant Fabrice de Hilden et soulignant l 'originale mé thode de Jules-César Arant ius .

Mais les progrès les plus spectaculaires v inrent de chirurgiens français témoignant du dynamisme à cette époque de la chirurgie française.

André Levret (1705-1780), en effet, ne doit pas ê t re un iquemen t regardé comme l'un des plus impor t an t s accoucheurs-obstétr ic iens de tous les t emps , mais aussi comm e le pionnier de la laryngoscopie. Son spéculum oris n 'a r ien à voir avec les classiques ouvre-bouches ou glossocatoches : c'est déjà un apparei l t rès élaboré qu'il soumet au lecteur, dans le Mercure de France en 1743 (22) et u l té r ieurement , en 1749, dans la p remiè re édition de ses Observations sur la cure radicale de plusieurs polypes de la matrice, de la gorge et du nez opérés par de nouveaux moyens (22).

L'idée de la réflexion opt ique nécessaire à l 'exploration du pharyngo-larynx est définitivement exploitée et ainsi énoncée : « [le spéculum or is ]

Fig. 5. — Spéculum Oris d'André Levret (1743).

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réfléchit ca top t r iquement les rayons lumineux dans le lieu qu 'occupe le polype ». Ul tér ieurement , le chirurgien Antoine Louis, grand ami de Levret, tut l 'auteur de nombreux art icles médicaux dans l'Encyclopédie de Diderot et d 'Alambert , et les p lanches consacrées à la chirurgie sont pourvues du fameux spéculum oris de Levret, spécifiant ainsi l ' intérêt de son apparei l lage pour la vision des polypes de l 'arrière-gorge en vue de leur l igature (23).

Il nous res te à découvrir l 'apport t rès original et dé te rminan t de Georges Arnaud-de-Ronsil (1698-1774) p o u r l 'exploration de l 'organe génital féminin. L 'auteur de cet te cont r ibut ion descend d 'une célèbre lignée de chirurgiens. Son grand-père, Paul Arnaud, fut prévôt de la compagnie de Saint-Côme et chirurgien de l 'Hôtel de Ville de Par is . Son père , Roland-Paul Arnaud (1651-1723) jouissai t d 'une t rès g rande réputa t ion . Emule de Duverney, il siégea longtemps comme démons t r a t eu r au Ja rd in du Roi, à l ' amphi théâ t re Saint-Côme et à l 'Ecole de médecine. Il fut l 'une des plus habiles mains pour la cure des hernies , et Saint-Simon rappelle , non sans h u m o u r dans ses Mémoires, la cure avec cas t ra t ion par le célèbre Arnaud d 'un abbé fort débauché (24). Nous notons aussi que Louis XIV le consul ta pour sa fistule, en 1687. Georges Arnaud (1698-1774) hér i ta de cet te t radi t ion et, après avoir é tudié en 1719 à Montpell ier sous Chicoyneau, Deidier et Astruc, il r e tou rna à Paris pour p rend re ses grades et fut reçu ma î t r e en chirurgie à Saint-Côme, en 1725. Comme ses ascendants , la chirurgie hernia i re le pass ionna et il m a r q u a cet te spécialité pa r une mise au point approfondie , et p lus par t icu l iè rement celle du bandage hernia i re . Les différentes et classiques biographies signalent pour des motifs ignorés son dépar t p o u r l 'Angleterre, alors qu'il étai t adjoint au professeur d'ostéologie à l'école de Saint-Côme et m e m b r e de l 'Académie royale de chirurgie. Nos recherches (25, 26) mon­t ren t qu 'à la sui te d 'une mésen ten te conjugale, il complota cont re le pro­tec teur de sa femme, un cer ta in Michel de Blainville, personnage en fait peu recommandable , et no t re chirurgien fut dénoncé pour usage de faux et implicat ion dans les affaires du jansénisme, etc. On l 'écroua alors à la Bastille, puis à Bicêtre, en décembre 1744, où il cont inua d 'exercer son a r t . Gracié, il se re t i ra à Londres où la Surgeon 's Company l 'accepta et, à la Société des chirurgiens de Londres , il exerça le pos te en ana tomie de S teward en 1764-1765, de Warden en 1765-1766 et de Master , l 'année suivante. Il m o u r u t à Londres , le 27 février 1774(27). C'est en 1768 qu'il publia des Mémoires de chirurgie dans lesquelles il consacre un chapi t re à un spéculum uter i qui s 'avère le fruit d 'une profonde réflexion dans sa conception et dans son bu t : « Lumen in obscurs is » (28).

Il est composé de six b ranches en argent dont le changement est aisé, pe rme t t an t d 'adapter l ' ins t rument selon les convenances morphologiques . L 'ouver ture des b ranches se fait ha rmon ieusemen t p a r des chaînet tes et un système de cliquet avec blocage p e r m e t l 'obtent ion d 'une ouver tu re choisie. L'éclairage est fourni p a r une sor te de lan te rne sourde bien argentée en dedans et munie d 'une lentille semi-convexe en dehors , qui pe rme t de concent rer les rayons lumineux vers la zone à examiner . Dans l 'esprit d 'Arnaud, l 'ensemble est solidaire et nous avons là l 'ébauche de la p remiè re lampe endoscopique.

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figi 6. — Extrait du texte et des ligures concernant le spéculum uteri et l'éclairage proposés par Georges Arnaud-de-Ronsil (1768).

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Cependant , l 'assimilation de tous les progrès et de leurs appl icat ions à la médecine fut longue de pa r le m a n q u e d 'échanges en t re les scientifiques et les médecins , mais l 'appari t ion des sociétés savantes et des revues scien­tifiques parv iendra len tement à rassembler ces deux mondes , donnan t au X I X e siècle médical un éveil foudroyant et scientifique qui fut dé te rminan t pour l 'endoscopie moderne . Nous donnerons pour preuve des relat ions en t re médecins et savants l 'apport d'Augustin Fresnel qui conseilla à Pierre-Salomon Ségalas de placer sa source lumineuse sur le côté de l ' ins t rument et de faire réfléchir la lumière suivant l'axe de l ' ins t rument , au moyen d'un miro i r incliné (29). Antonin-Jean Desormeaux appl iqua ce pr inc ipe qui res te encore celui de nos modernes fibroscopes. Ces r e m a r q u e s confirment cet te réflexion des Professeurs H u a r d et Grmek (30) : « Le X V I I I e siècle, déchiré p a r des événements économiques et poli t iques, pousse t rès loin l 'étude des problèmes dont la solution sera por tée , non sans injustice, au crédi t du siècle suivant . »

B I B L I O G R A P H I E

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6. SEGAL Alain. — « Pierre-Salomon SEGALAS d'Etchépare, précurseur de l'endoscopie moderne », Bull. Acad. Nat. Méd., 1978, 162, n" 8, 709-714.

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9. GORDON Bernard de. — Manuscrit 1012 de la Bibliothèque municipale de Reims, Lilium Médicinœ. Folio 219.

10. CHAULIAC Guy de. — Manuscrit 1013 de la Bibliothèque municipale de Reims du début du XVL siècle. « Inventarium seu collectorium in parte cyrurgicali médicine ». Folio 72 et 74.

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chapitre 2!, 172.

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22. LEVRET André. — « Observations sur la cure radicale de plusieurs polypes de la matrice, de la gorge et du nez, opérés par de nouveaux moyens », Paris, chez Delaguette, 1749 (avec planches). Mercure de France, 1743, 2434.

23. Encyclopédie de DIDEROT et d'ALAMBERT. — Planches de chirurgie et supplément aux planches. Genève-Neuchâtel, 2 J édition, (1777-1781).

24. SAINT-SIMON. — « Mémoires », Paris, Ed. grands écrivains, lib. Hachette, 1879, Tome I, page 169.

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