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Page 1: Les privatisations un état des lieux || Privatisation et dévolution des pouvoirs: Le modèle français du gouvernement d'entreprise

Privatisation et dévolution des pouvoirs: Le modèle français du gouvernement d'entrepriseAuthor(s): François MorinSource: Revue économique, Vol. 47, No. 6, Les privatisations un état des lieux (Nov., 1996), pp.1253-1268Published by: Sciences Po University PressStable URL: http://www.jstor.org/stable/3502593 .

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Privatisation et devolution des pouvoirs Le modele frangais du gouvernement d'entreprise

Frangois Morin*

Le propos de cet article est de caract6riser le modele fran9ais du corporate governance a la fois sur un plan th6orique, mais aussi sur un plan tres pratique. Du point de vue conceptuel, on montre quWl est possible de ranger le modele fran- ,ais plut6t dans une approche theorique non standard que standard. En France,

la gouvemance d'entreprise est en effet tres liee a une organisation particuliere des droits de proprit6: la propri6t6 circulaire. Dans une seconde partie, on mon- tre comment ce modele atypique a trouv6 son point d'application dans les demie- res privatisations; Ia cons6quence principale de ce choix pour l'6conomie fran,aise a 6te une profonde r6organisation de son cceur financier.

PRIVATISATION AND DEVOLUTION OF CONTROL: THE FRENCH MODEL OF CORPORATE GOVERNANCE

This paper aims at identifying the french model of corporate govemance, on a theoric level as well as on an empiric level. First, we will demonstrate that we should rank the french model among "non standard,. theories rather than " standard theories ,. Indeed, in France, corporate govemance is related to parti- cular organization of the property rights: la propriet6 circulaire (circular property). In the second part, we explain how this specific model has been used at the time of the last privatisations. The way, the financial core has been reorganized is the main consequence of that choice for the french economy.

Classification JEL: G3, L33

La privatisation d'une entreprise est souvent bien autre chose qu'un simple transfert de propriet6. En effet, la privatisation peut s'accompagner d'un change- ment de dirigeants ou meme plus vraisemblablement d'une transformation radi- cale dans l'organisation des pouvoirs deliberants ou dirigeants de l'entreprise. Dans ce dernier cas, le changement dans la detention de la propneit6 va de pair avec un changement du mode de << gouvernance >> de l'entreprise.

Lors des deux recents cycles de privatisations intervenus en France, d'abord en 1986-1988, periode dite de la premiere cohabitation, puis en 1993-1995 periode de la seconde cohabitation, il se trouve qu'un meme mode de corporate

1. Lerep, Universite Toulouse I, place Anatole-France, 31042 Toulouse.

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gouvernance a ete retenu et applique 'a chaque fois par la puissance publique aux entreprises privatisables, celui plus connu sous le nom du systeme des << noyaux durs >>.

Le propos de cet article est d'aborder le particularisme de ce mode de gouver- nance a la lumiere des formes standards. Nous observerons que le systeme des noyaux durs n'est, en theorie, qu'une forme particuliere d'un systeme plus gene- ral, mais non standard: celui de la propriete circulaire. Cet examen sera conduit dans la premiiere partie de cet article. Nous verrons ensuite, dans la seconde par- tie, comment ce systeme a ete mis en application en France 'a travers l'analyse des configurations actionnariales telles que celles-ci ressortent, en pratique, dans le bilan de la seconde periode de cohabitation.

Un des enseignements essentiels sera de verifier que le modele fran,ais du corporate governance reste tres largement domine par une logique d'economie de << cceur financier>> plutot que par celle d'une economie de << marche financier >>. Cela conduit a se poser legitimement la question de l'efficacit6 de ce mode d'organisation en reseaux d'entreprises (qui est precisement celui du cceur financier) dans un monde oti les ph6nomenes de globalisation ont tendance A gommer, par d6finition, les particularismes locaux.

LE CORPORATE GOVERNANCE: LES MODELES DE REFERENCE

Nous utiliserons dans la suite de cet article une acception bien particuliere, mais essentielle, du corporate gouvernance, celle qui met dans un rapport arti- cule une structure actionnariale d'un c6t6 et un mode de direction d'entreprise de l'autrel. Dans cette perspective theorique, s'interroger sur le gouvernement d'entreprise, c'est aussi comprendre comment une structure actionnariale << contr6le >>, ou non, une direction d'entreprise2.

Ainsi definies, les theories du corporate governance s'attachent, chacune 'a leur maniere, 'a poser plusieurs interrogations de fond. D'abord celle de la legiti- mit6 du pouvoir directorial et donc de son fondement: cette legitimite puise-t-elle vraiment sa source dans la force du lien actionnarial, ou bien dans d'autres elements ? par exemple dans la competence des dirigeants ? Dans un cas, le

1. Aux ttats-Unis, les principes du corporate governance sont formalises dans un ouvrage elabor6 par l'Institut de droit americain en avril 1993. II s'agit, pour l'essentiel, de recommandations proposees aux societes et susceptibles d'etre appliquees par l'auto- rite judiciaire. Celles-ci visent notamment l'organisation des conseils d'administration en proposant d'admettre des << administrateurs ind6pendants >>, charges d'une mission gene- rale de contr6le ou de surveillance de la soci6te (COB, 1995).

2. Dans la conception retenue ici, nous sommes assez proche de la definition qui caracterise le corporate governance comme << l'ensemble des regles de fonctionnement et de contr6le qui r6gissent, dans un cadre historique et geographique donne, la vie des entreprises > (0. Pastr6 [1994] p. 18) ; par contre, nous ne retenons pas ici d'autres defi- nitions, plus restrictives, qui focalisent le d6bat sur les seules formes standard du con- tr6le (voir, par exemple, M. Albert [1994]).

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Fran,ois Morin

controle est dit << externe >> puisque le pouvoir des dirigeants est 'troitement dependant du lien capitalistique; dans l'autre cas, il est dit << interne >>, car ne dependant pas essentiellement de facteurs lies a lenvironnement de l'entre- prise.

Pour d'autres approches, une des questions cruciales est celle du passage d'une forme de legitimite a une autre. Comment le pouvoir directorial, depen- dant d'un lien capitalistique, peut-il, a un moment donne, s'emanciper de ce lien, et s'interioriser dans les structures de la firne ? C'est sans doute la une des ques- tions les plus difficiles soulevees par les theories du controle et du corporate

2 governance

Une autre interrogation posee par ces theories est celle du champ de l'ana- lyse. De facon traditionnelle, on admet que le probleme du controle ne se sou- leve reellement que dans les plus grandes firmes ou dans les soci6t6s meres de grands groupes ; il est bien entendu qu"a une dimension moindre le lien capita- listique est clairement le fondement du pouvoir des dirigeants3. Dans ces con- ditions, s'interroger sur la grande dimension, c'est vouloir concentrer l'analyse sur les ressorts principaux du pouvoir economique et en donner une vision syn- thetique et logique. Dans cette recherche des fondements, la demarche emprunte alors un chemin qui la conduit assez naturellement a s'interroger plus globalement sur le systeme economique, sa nature, et ses liens avec le systeme politique.

En raison de leur commodite, deux criteres sont finalement mobilisables pour classer les theories du corporate governance:

- le degre de dependance du pouvoir directorial par rapport a la propriete du capital (controle externe versus contr6le interne);

- le degre de concentration du capital-actions entre les mains de certains actionnaires (propriete dispersee versus propri6t6 concentree).

La figure ci-apres eclaire la fa,on dont on peut positionner les principales th6o- ries du corporate governance par rapport a ces deux criteres.

Les theories standards On appellera theories standards du corporate governance celles qui mettent

l'accent exclusivement sur la force du lien actionnarial (contr6le externe), consi- derant que ce type de liaison permet d'engager clairement une firme sur la voie du seul objectif acceptable aux yeux de ces theories : la maximisation du profit.

1. Cette approche binaire des formes de contr6le correspond a la tradition de la litte- rature consacree au probleme de la s6paration de la propriet6 et du pouvoir. II ne faut pas en effet confondre une problematique qui limiterait les questions aux seuls mecanismes de contr6le des directions, et une autre, plus large et que nous retenons ici, qui s'attache a la nature du contr6le desfinnes.

2. Le rapport Cadbury, depose fin 1992 en Grande-Bretagne, d6finit ainsi un code de bonne conduite; il propose notamment de distinguer, au sein du conseil d'administration, les non executive directors qu'il faut apparenter a des administrateurs independants et les executive directors qui sont les cadres superieurs dirigeants, tenus a des obligations d'information (Report, 1992).

3. Nous sommes ici en accord avec l'idee exprimee par 0. Pastr6 (p. 21).

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Figure 1. Les th6ories du Corporate Govemance

Controle externe

Th6orie du Theone de march6'gec

du contr6le 1agence

Propriete _ _ Propnete dispersee concentree

Theorie de la Th6orie popi6t manageriale circulaire

Contr6le interne

Ces theories (theorie du marche du contr6le et theorie de l'agence) se diff6- rencient cependant 'a la fois par le regime permanent des decisions et par le mode de sanction des e'quipes dirigeantes.

1. Dans le cas de la theorie du marche du controlel, ce sont les signaux du marche financier, 'a travers les cours de bourse notamment, qui dictent fonda- mentalement les decisions a prendre, meme en matiere de gestion. S'il est effi- cient, le marche financier peut faciliter la suppression des divergences d'objectifs susceptibles d'emerger entre actionnaires et dirigeants. Sinon appa- raissent des moins-values boursieres qui peuvent resulter d'une gestion impru- dente des dirigeants.

Dans ce cas, le marche du contr6le des firmes s'interprete comme le marche du travail des equipes dirigeantes: la menace ou la realisation de prises de contr6le favorise la survie des equipes les plus performantes. Le marche du con- tr6le est alors cense jouer un roble de police envers les equipes dirigeantes des societes, du moins de certaines seulement, celles qui sont evidemment cotees en bourse. Lors d'une offre publique, les actionnaires mecontents peuvent exprimer leur desaccord et vendre leurs actions. L'ancienne direction est alors remplacee par de nouveaux dirigeants.

Le role disciplinaire revient ici, fondamentalement, aux << petits actionnaires >>, car la th6orie retient principalement, comme cadre de sa presen-

1. Pour une presentation de cette theorie, voir par exemple Grossman et Hart [1988] ainsi que Harris et Raviv [1988, 1989]).

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tation, des societes cotees a actionnariat diffus. Ce sont donc bien ces actionnai- res-la qui sont a la source de la sanction. Naturellement, l'actionnariat peut comporter des porteurs de parts importants, des investisseurs institutionnels, des fonds de pension, des societes d'assurances... qui peuvent detenir chacun quel- ques pour-cent du capital de la firme. Mais ce qui compte ici, c'est l'affirmation par la theorie que ces actionnaires ne chercheront, a aucun moment, a s'immis- cer dans la gestion courante de la firme et donc dans le controle ou la sur- veillance directe des dirigeants (au risque sinon d'entrainer des coufts d'agence que personne ne souhaite voir se developper).

Certes, pour que le changement de direction intervienne, il faudra qu'une nouvelle majorit6 se constitue au sein du conseil d'administration, avec un actionnaire majoritaire qui aura ete, pour un moment, le bras arme du change- ment de contr6le par le biais d'une offre publique. Mais cette concentration du capital est tout a fait momentanee. Elle se dissout ult6rieurement, soit par la revente des parts de la firme sur le marche, soit par le biais d'une operation de fusion. Parfois, la simple menace d'une prise de contr6le peut egalement provo- quer ce r6sultat.

2. On a souvent present6 la th6orie du march6 du contr6le comme un cas par- ticulier de la theorie de l'agence. En effet, dans les deux cas, l'objectif de maxi- misation des profits n'est pas mis en cause; mais il existe pourtant une difference de taille: dans la th6orie de l'agence, c'est l'actionnaire de r6f6rence qui rend les arbitrages en matiere d'orientations de gestion1. I1 le fait en fonction des informations dont il dispose, qui proviennent, le cas echeant mais pas tou- jours, du marche financier.

Cette theorie ne gen6ralise pas la theorie du marche du contr6le mais plutot la complete. Elle revele par la meme une conception bien particuliere de l'entre- prise: l'approche contractuelle. L'entreprise se resume, pour l'essentiel, a un ensemble de contrats qui se nouent ou se denouent avec une serie de partenaires, dont les actionnaires. Ces contrats sont susceptibles d'engendrer des relations conflictuelles qu'il faut alors pouvoir contenir. La mise en place de procedures de surveillance devient alors indispensable, surtout s'il y a une delegation d'autorite. Dans ces procedures, il faut distinguer celui qui est a la source de la delegation de l'autorit6 (le principal, ou le mandant, ici dans le cas qui nous occupe, l'actionnaire principal), et celui qui, en raison de cette dele'ation, exerce l'autorite (l'agent ou le mandataire, ici le dirigeant de l'entreprise) .

Insistons sur un point qui apparaft fondamental: pour qu'il y ait effective- ment << principal >> ou << mandant >> dans cette theorie, il faut qu'une partie de l'actionnariat soit << personnifiable >> (qu'il s'agisse d'une personne physique ou d'une personne morale), c'est-a-dire identifiable comme un sujet juridique a qui une responsabilit6 peut etre imput;e. Le principal, pour remplir sa fonction de surveillance, doit en effet clairement se distinguer du lot des autres actionnaires; il est soit un actionnaire majoritaire, soit l'actionnaire dominant

1. On doit a Jensen et Meckling [1976], Fama [1980], et Fama Jensen [1983] les prin- cipaux developpements de cette theorie.

2. Jensen et Meckling [1976] sont les premiers 'a avoir examine la question de la sepa- ration de la propriet6 et du pouvoir 'a la lumiere de la th6orie de l'agence.

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une coalition d'actionnaires. L'actionnaire principal entend clairement exercer une responsabilite patrimoniale, c'est-a-dire une action d'influence reposant sur son investissement en capital. C'est la raison pour laquelle nous avons classe la theorie de l'agence dans les theories dites de l'actionnariat << concentre >>.

En regime routinier, la prise de d6cision connait donc un sort diff6rent dans la theorie de l'agence de celle qui lui est faite dans la theorie du marche du controle: l'agent gere sous le controle d'un actionnaire personnifie dans le pre- mier cas, il gere sous le controle du marche dans le second. La racine commune des deux theories se revele cependant dans le mode de sanction identique des equipes dirigeantes: c'est une propriete actionnariale concentre (durable ou momentanee), ou la menace d'une telle concentration qui infligent toujours la sanction et le remplacement de l'equipe dirigeante.

Les theories non standards Les theses que nous allons examiner maintenant ne se fondent plus sur un

ref6rent externe pour legitimer le pouvoir directorial, mais sur les pratiques d'un pouvoir autoref6rentiel. Dans ces visions, le pouvoir s'int6riorise, et le controle se boucle sur lui-meme. Le resultat le plus visible de ces pratiques est une direc- tion qui n'hesite pas a s'autoproclamer << independante >> de toutes forces exte- rieures. Nous sommes ici dans les theories du contr6le interne du corporate governance.

Avec l'emancipation du pouvoir dirigeant, notamment 'a la ref6rence actionna- riale, l'objectif de la firme se libire aussi, du meme coup, de la maximisation du profit. Les dirigeants ne peuvent plus, dans cette perspective liberatrice, etre disci- plines ou gouvernes par des forces capitalistiques externes. Ce sont eux qui fixent, en toute ind6pendance, les orientations de lentreprise et sa strategie. Faire du pro- fit reste bien sfur une contrainte, mais une contrainte parmi bien d'autres.

On peut opposer deux visions du controle interne. La plus classique, bien que non standard, est celle de la theorie manageriale ; elle justifie l'interiorisation du pouvoir par les necessites techniques et la complexit6 de la gestion des grandes firmes. L'autre approche maintient le role de la propriete, mais une propriete detournee de son usage habituel; le pouvoir s'interiorise parce que les diri- geants, sans etre eux-memes directement proprietaires, s'arrogent la realite du pouvoir en d6tournant a leur profit les effets de droit lies a la propriet6. C'est la these que nous developperons sous le terme de la propnete circulaire.

1. Historiquement, les th6ories manageriales ont ete les premieres a poser la question de la separation de la propriet6 et du pouvoir. La relation entre diri- geants et actionnaires n'est plus analysee comme une simple relation hierarchi- que, source de legitimite du pouvoir directorial. L'idee principale, soutenue par les differentes approches, est que le pouvoir << s'int6riorise >> au profit des diri- geants de l1entreprise.

L'asymetrie d'informations est en effet telle qu'un fosse separe desormais les detenteurs de capitaux de ceux qui sont en charge de gerer lentreprise.

L'accent est mis sur la complexite des nouvelles formes de gestion et sur les competences requises pour participer au processus decisionnel de l'entreprise. Dans cette version, on voit le pouvoir directorial rechercher sa legitimation dans la competence et la technicite de la fonction dirigeante. Releguee 'a un plan tout

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'a fait secondaire, les droits de propriete sont sans aucun effet managerial. On reconnait ici les approches liees au courant de la pensee manageriale et a celui de la technostructure.

Les theses sur la toute-puissance du pouvoir directorial sont en opposition assez radicale avec la pensee neoclassique. L'abandon d'une rationalit6 optimi- satrice, dont l'aliment essentiel est la maximisation du profit, est naturellement le point de rupture nodal de la pensee manageriale. Pour cette derniere, il n y a pas automatiquement de motivation univoque pour expliquer le comportement des dirigeants d'entreprise. La contrainte d'un profit satisfaisant demeure, certes, un eIlment essentiel, mais n'est souvent qu'un element parmi d'autres: lentre- prise peut se donner comme objectifs: le volume des ventes, la croissance de la firme, la taille financiere, l'equilibre des relations partenariales, la participation, l'utilit6 managerialel, l'interet social2....

Bref pour toute ces raisons, il n'y a plus une concordance d'int6rets (automa- tique, ou suscitee) entre actionnaires et dirigeants.

2. Mais on peut aussi suggerer une approche plus sophistiquee et en quelque sorte inverse de la precedente pour montrer que les managers peuvent organiser eux-memes la configuration des rapports de propriete, de telle sorte que les effets normaux de ces rapports soient en realite entierement neutralises. Dans cette approche, il faut comprendre que l'int6riorisation du contr6le dans lentre- prise n'est pas en principe liMe aux vertus gestionnaires des dirigeants, mais plutot a leur capacit6 a jouer avec les regles du jeu capitaliste, et plus precisement a leur capacite d'organiser eux-memes l'actionnariat et donc leur conseil d'administra- tion. C'est l'objet de la th6orie de la << propriet6 circulaire >>, oiu les participations bouclees (r6ciproques, croisees, autocontr6lees) jouent habituellement un role cle.

Un tel systeme de participations represente un interet certain: il genere, en haut de bilan, autant de capital fictif que les dirigeants souhaitent vouloir en creer, en occultant l'aspect fiction de cette creation. On peut expliquer ce proces- sus d'engendrement artificiel du capital en imaginant l'exemple suivant: deux societes de capitaux d6cident de se reserver reciproquement une augmentation de capital d'un meme montant; au terme de cette operation, la valeur r6elle des deux finnes reste naturellement la meme, puisque l6echange porte sur des capi- taux strictement identiques en poids et en nature; mais la valeur du capital- action a, pour chaque firme, bien augment6 sous l'effet des titres nouveaux 6mis. Sans oublier le fait que ces actions sont porteurs de droits de vote, eux aussi tout 'a fait re'els...

Quelles sont les justifications qui sont habituellement invoquees pour expli- quer l'attitude des dirigeants, les poussant a asservir de la sorte la propriet6 du capital ? On en denombre habituellement quatre types:

- on explique tout d'abord la faiblesse des capitalistes individuels et plus par- ticulierement celle des fortunes familiales: les montants de ressources mobili-

1. Selon Williamson par exemple, les motivations psychologiques des dirigeants seraient dans l'ordre: hauts revenus, setcurite, domination (statut, prestige, pouvoir), competence professionnelle (Williamson [1964]).

2. Le debat sur le corporate governance oppose souvent F'interet des actionnaires a celui de 1'interet social; voir COB, p. 166.

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sables ne leur permettraient plus de mettre 'a la tete de grandes entreprises de ventables actionnaires de reference; la crainte de voir des capitaux etrangers s'emparer des firmes justifierait un systeme de participations croisees ;

- plus convaincant est l'argument selon lequel la faiblesse des capitaux inves- tis en bourse serait davantage liee 'a la logique de fonctionnement d'une econo- mie intermediee ; dans une telle economie, le role des fonds de pension est en effet limit6 car le financement de la protection sociale repose sur des systemes de pr6levement direct (cotisations). Dans ces conditions, il est logique que les firmes cherchent a s'adosser a des banques ou a des compagnies d'assurances en les faisant participer a leur haut de bilan;

- de facon moins credible, on met parfois l'accent sur la necessite de conser- ver I'<< independance >> de l'entreprise pour ne pas, dit-on, la soumettre a des influences ext6rieures; cette raison est plus difficile a admettre dans son prin- cipe, puisqu'elle est, en r6alite, contradictoire: elle revient en effet a nier, entre autres, tout role a la propriet6 actionnariale (c'est la fameuse << independance >>) dans la direction de la firme, alors que simultanement le pouvoir des dirigeants stappuie precis6ment sur des droits de propriet6, certes un peu particuliers: les fameuses participations circulaires;

- enfin on insiste egalement, et sans doute a plus juste titre, sur la force des comportements qui poussent les dirigeants a internaliser leur pouvoir, au detri- ment d'un actionnariat externe2 ; comme logiques pures de pouvoir, et sans veri- tables contrepoids, ces comportements sont probablement moins visibles ou moins avouables en tant que tels. Neanmoins, qui pourrait contester leur realit6 quand, par exemple, on a vu les mettre en aeuvre, a grande 6chelle, lors des ope- rations de privatisation ?

Au terme de cet examen, les theories du corporate governance apparaissent comme autant de theories particulieres des droits de propriet6. Les theories stan- dards considerent ces droits comme des variables exogenes qui impliquent le comportement maximisateur de la firme, soit par le jeu du marche (theorie du march6 du controle), soit par le jeu des acteurs (theorie de l'agence). Les theo- ries non standards de leur cote ou bien denient a ces droits une quelconque action sur la decision d'entreprise (theorie manageriale), ou bien au contraire endogeneisent leur role dans le comportement managerial (theorie de la pro- priete circulaire). Dans ce demier cas, ce ne sont plus les actionnaires qui orien- tent l'action de la firme, mais ce sont au contraire les dirigeants d'entreprise qui configurent les relations actionnariales et les conseils d'administration.

II est assez evident qu'aucune de ces th6ories ne peut pretendre, a elle seule, epouser les realit6s multiformes du corporate governance qui se manifestent au sein de nos economies contemporaines. Mais sans doute chacune y contri- bue-t-elle a sa maniere, compte tenu de la variet6 des systemes nationaux d'allo- cation du capital. Toutefois, la pregnance du d6bat am6ricain a propos du corporate governance tend a envahir l'espace des discussions: rappelons, en effet, que l'importance et le role des fonds de pension sont tels dans ce pays que,

1. Des rapports soulignent regulierement que la France manque d'investisseurs resi- dents suffisamment puissants pour investir 'a long terme (COB, fWvrier 95, p. 11).

2. Ces comportements sont reperes par la litterature par l'objectif d'<< enracinement >> qui caract6riserait le comportement de certains dirigeants (Charreaux [1994], p. 55).

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meme si ces fonds n'entendent pas participer a la decision strategique, ils sou- haitent pourtant dire leur mot sur l'organisation des pouvoirs de l'entreprise et leur surveillance (promotion d'administrateurs independants et creation de comites d'audit dependant de ces memes administrateurs).

Mais ce debat est aussi correle 'a celui des privatisations et a leur justification quant 'a leur efficacite relative par rapport 'a la propriete publique. Deux points sont ici 'a noter. Personne ne conteste plus le bien-fonde de privatisations lors- que des capitaux publics sont subitement plonges, apres par exemple un choc de dereglementation, dans un contexte concurrentiel. Ces monopoles << artificiels? >> subissent alors les lois de la propriete privee et de la concurrence. Du point de vue du choix d'une structure de gouvemance d'entreprise, les firmes peuvent alors emprunter l'un des quatre chemins theoriques que nous avons precedem- ment identifies.

Reste alors le cas des monopoles << naturels >> (comme ceux par exemple de 1'electricite ou de l'eau) qui peuvent faire l'objet ou bien d'une privatisation regulee ou bien d'un maintien dans le secteur public2 ; la regulation d'un mono- pole naturel qui subit le choc d'une privatisation pose un probleme d'agence tout a fait redoutable qui est celui de l'introduction simultanee de deux << principaux >> nouveaux: le regulateur et l'actionnariat prive3. Dans ce cas de figure particulier, les travaux theoriques comme les etudes plus appliquees n'ont pas sujusqu a present demontrer la superiorite d'une forme d'appropriation sur l'autre . Mais, dans cette hypothese, le choix d'une structure de gouvernance n'est plus aussi neutre que dans le cas precedent. Face au regulateur, la nouvelle propriete privee a plutot int6r&et a s'organiser sous la forne d'un actionnariat de reference pour eviter de trop lourdes asym6tries d'information.

Dans la suite de cet article, nous verrons que les privatisations fran,aises ont port6 sur des secteurs qui se sont ouverts, par d6reglementation, a la concur- rence internationale (en particulier dans les secteurs de la banque, de l'assu- rance, et de la finance). Nous defendrons alors l'idee selon laquelle ces privatisations ont e conduites selon un modele bien particulier de corporate governance, celui des noyaux durs boucles, dont les principes de base sont tres largement conformes a la theorie de la proprinet circulaire.

LE MODELE FRANQAIS DU NOYAU DUR

Techniquement, une configuration actionnariale bouclee n'est pas sans inci- dence majeure sur lenvironnement strat6gique d'une firme. La mise en relation,

1. La distinction entre monopoles << artificiels > et monopoles <<naturels>> est empruntee a J. Vickers-G. Yarrow [1991].

2. La problematique du choix entre propriete publique et monopole regule a fait l'objet d'une litt6rature abondante ; nous renvoyons le lecteur notamment a: D. E. Sap- pington, J. E. Stiglitz [1987], et C. Shapiro, R. D. Willig [1990].

3. Les situations de << multiprincipal >> sont en general peu efficientes, car elles dimi- nuent les incitations; cf. J.-J. Laffont et J. Tirole [1991].

4. J. Vickers-G. Yarrow [1991], art. cite, p. 115.

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par des participations circulaires, de deux societ6s meres induit en effet des comportements d'alliances entre groupes qui influent sur le deploiement de leurs activites. Les reseaux d'alliance ainsi constitues, grace aux noyaux durs, sont a l'origine de pfoles qui organisent et dynamisent des configurations plus larges comme le caeur financier d'une economie. Apres avoir rappele ces principes d'organisation et d'evolution, nous expliquerons comment les privatisations francaises ont provoque, en pratique, une veritable rupture systemique au sein du cceur financier, a la fois par demantelement du pole financier public et par formation en parallele de deux grands reseaux d'alliances. Ces poles, veritables systemes complexes adaptatifs, sont devenus les grands acteurs du caeur finan- cier francais.

Un modele de coalition par le bouclage des noyaux durs

En regle generale, l'expression d'un rapport de pouvoir dans une societ de capitaux depend du nombre d'actions d6tenues. Ainsi, plus un actionnaire concentre dans ses mains un grand nombre de titres de propriete, plus le droit des societes lui reconnait des droits. Celui qui possede par exemple suffisam- ment d'actions pour detenir une majorite de voix en assemblee generale d'actionnaires peut designer les membres du conseil d'administration; a leur tour, les administrateurs nomment le president et le directeur general de la societe. Mais ce principe subit de multiples entorses en raison de la logique maintes fois verifiee que certains actionnaires souhaitent contr8ler une societe (c'est-a-dire nommer ou revoquer une direction generale) avec un minimum de capitaux engages. Parmi les techniques qui aboutissent a ce resultat, il faut sou- ligner le vote double (une action = deux voix), la pratique des pouvoirs en blancs (les voix des petits porteurs, envoyees 'a la socie'te, sont reparties ensuite entre les administrateurs), les conventions de vote.

A ces techniques traditionnelles, il faut ajouter l'ingenierie propre des partici- pations circulaires que l'on rencontre particulierement en France. Les m6canis- mes sont au nombre de deux: l'autocontr6le tout d'abord, qui s'analyse comme une chaine de participations circulaires bouclant sur une soci6te mere grace a une ou plusieurs societes controlees par elle; et les participations croisees ensuite, qui retrace la chaine de participations circulaires passant par des grou- pes amis ou allies. En raison d'une legislation applicable depuis juillet 1991, I'interet de I'autocontrole est devenu en France beaucoup plus limit6 (mais non interdit) puisque la loi sterilise dorenavant les droits de vote des participations qui remontent sur la societe mere. Depuis cette date, et par une sorte de meca- nisme compensatoire, le systeme des participations croisees s'est, lui, au con- traire demultiplie. Notamment a l'occasion des privatisations de 1993-1995.

Dans ce contexte, rappelons qu'un noyau dur (ou encore un noyau stable) est une coalition d'actionnaires qui, par convention reciproque souvent formalisee par

1. Bien que le phenomene soit encore limit6 en France, la bataille des mandats voit de plus en plus s'opposer deux groupes diff6rents: le groupe dirigeant et les actionnaires. Aux Etats-Unis, ces batailles existent depuis longtemps; elles prennent un tour aujourd'hui de plus en plus mediatise, parfois excessif, mais qui rend cependant sa voca- tion de controle a l'assemblee generale (COB, p. 173).

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un pacte d'actionnaires, s'engagent a conserver leurs actions pendant une certaine duree. Le pacte prevoit notamment des clauses de cessions reciproques en cas de vente de parts sociales. Naturellement les equipes dirigeantes peuvent egalement se proteger par d'autres moyens : avec des actions ayant un droit de vote limite ou nul, avec l'accessibilite des actions seulement 'a des residents, ou encore par le pla- fonnement 'a un semil tres bas des principales participations (1 ou 2 %).

Donnee bien specifique, les privatisations en France ont ete conduites selon le principe du noyau dur, et plus exactement du noyau dur boucle : une part du capital, generalement comprise entre 15 et 30 %, est vendue 'a un nombre limite d'actionnaires qui sont en general des allies industriels ou financiers de l'entre- prise, et dont une partie, la partie strategique, accepte une reciprocite dans la detention du capital. Par cette composition multiple et pour une part circulaire, le role de la propriete est neutralise ; la technostructure dirigeante s'assure d'un pouvoir sans veritable contrepoids1. LA est sans doute a ses yeux le principal interet de ce mecanisme. Et puisque les noyaux durs sont par definition boucles entre eux, cette pratique aboutit egalement 'a une communaut6 dOint&r&s plus large que celle de l'entreprise, qui l'inclut dans un reseau d'alliances strategiques.

Ces reseaux ont la particularit6 d'etre relativement stables dans leur composi- tion. Ils forment des poles industriels et financiers dont l'action s'exerce souvent pendant plusieurs annees2. Ces poles sont donc autant de reseaux d'alliances intergroupes qui possedent chacun une identite, rassemblent une variete extre- mement riche de metiers et d'activites, et qui, la plupart du temps, developpent entre eux des interactions strategiques au sein d'un meme espace de confronta- tion: le cceur financier. Mais ces systemes hautement complexes sont evidem- ment tres sensibles a tout choc susceptible de modifier leurs principales relations constituantes. L'histoire recente de l'economie francaise demontre, a lIevidence, l'impact a chaque fois considerable des transferts de propriet6 d'entreprises entre le secteur public et le secteur prive. Ces transferts remodelent les contours du cceur financier et sont a chaque fois des moments exceptionnels que saisissent les pnncipaux acteurs pour tenter d'ameliorer leur position con- currentielle au sein de cet espace.

Une strategie de positionnement au sein du cceur financier

L'onde de choc de la demiere vague de privatisations en est un bon exemple3. Elle a ete considerable. Son effet systemique principal est d'avoir precipite une

1. Aux Etats-Unis, les pratiques qui consistent 'a faire participer les principaux diri- geants ou ex-dirigeants de l'entreprise au conseil, ou bien qui favorisent l'echange croise des sieges dans les conseil d'administration sont aujourd'hui combattues par les investis- seurs institutionnels (Dompe, p. 173).

2. I1 est frappant de constater que les reseaux d'alliances, qui se sont reconstitues au lendemain des premiieres privatisations (1986-1988), ont et6 batis selon des configura- tions tres proches de celles qui prevalaient deja' durant les ann6es soixante-dix. Ces configurations faisaient aussi, 'a l'epoque, un large usage de participations circulaires. Sur cet historique, voir notre article: <<Le cceur financier fransais: morphogenese et mutation >> [1995].

3. Pour une analyse fine du processus de privatisation, de ses methodes, et de ses resultats, on pourra se reporter 'a A. E. Goldstein [1996].

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recomposition extremement brutale du coeur financier fran,ais par une dispari- tion definitive du pole financier public. Elle a aussi valide et confort6, de facon indiscutable, le jeu des noyaux durs dans lexpression des rapports de pouvoir (interne et externe) des plus grands groupes francais.

Ainsi de quatre p6les assez nettement dessines a la fin de l'annee 1993, la vague des privatisations qui s'est achevee 'a la veille de l'election presidentielle, a conduit le cceur financier fran,ais 'a se reconfigurer en seulement deux grands ensembles fortement structures. Entre-temps, il est vrai, le pole financier public a ete completement d6cime, et lensemble forme autour du Credit lyonnais est aujourd'hui en train de disparaitre en tant que pole (cf. organigramme).

* Le premier ensemble est celui qui est compose, a sa tete, de cinq grands groupes lies entre eux par un systeme de participations circulaires. Les noyaux durs boucles rassemblent une grande banque, la Societe generale, la deuxieme compagnie d'assurances francaise, les AGF, la premi;ere compagnie financiere, Paribas, un groupe industriel de dimension internationale, Alcatel Alsthom ainsi que le plus grand groupe multiservice mondial, la Generale des eaux. On doit ajouter "a cet ensemble, et depuis peu, une compagnie d'assurances d'origine mutualiste: le groupe AXA.

Cette configuration est relativement recente puisqu'elle s'est mise en place durant l'annee 1994 sous l'effet de deux evenements majeurs: d'une part, l'affaire Canal Plus qui a rapproche strat6giquement la Generale des eaux avec la Societe generale et Havas ; et, d'autre part, le changement d'alliance des AGF qui a contri- bue a lier, encore un peu plus, la compagnie d'assurances publique de la Societ6 generale, au detriment du Cr6dit lyonnais dont on connait les difficultes actuelles.

Par le biais de participations << polarisantes >>, cette nouvelle configuration entraine, dans sa mouvance strat6gique, d'autres grands groupes de l'economie francaise; on y trouve notamment Total, grand groupe du secteur energetique, ainsi qu'Havas, premier groupe multimedia fran,ais.

* Le second ensemble est de constitution un peu plus ancienne. On retrouve ici les meme groupes d'activit6s que dans le pole pr6cedent, mais organisees dif- feremment. A la tete de cette configuration, noues egalement par des participa- tions circulaires, se c6toient en effet : une grande banque, la BNP, la plus grande compagnie d'assurances fran,aise, l'UAP, le plus grand groupe du secteur ener- getique, ELF, ainsi que Suez, groupe financier particulierement puissant, meme si, actuellement, il connait quelques difficultes d'adaptation.

On peut rattacher "a ce cercle d'autres groupes francais de premiere impor- tance par le biais de participations egalement polarisantes. Au premier rang de celles-ci, il faut citer celle qui permet a Suez de contr6ler minoritairement la Lyonnaise des eaux - Dumez, deuxieme groupe fran,ais (et mondial) multiservices; ce pole est egalement tres pr6sent dans des grandes societ6s encore privatisables (exemple: Air France) ou a privatiser davantage (Renault).

En perte de vitesse, le reseau des alliances constitue autour du Credit lyon- nais s'est, quant a lui, d6lite depuis maintenant deux ans. Apres le retrait des AGF et la diminution des participations reciproques avec le groupe Paribas, le Credit lyonnais, premiere banque de d6pots franqaise en proie aux difficult6s que l'on connalt, n'a meme pas pu obtenir de son actionnaire principal la possi- bilite d'arbitrer directement les participations industrielles de son portefeuille pourtant considerable. Que vont devenir les participations dans Bouygues, dans l'Aerospatiale, dans Usinor-Sacilor ?

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Au terme de cette analyse, un element doit retenir plus particulierement l'attention: le renforcement spectaculaire - et tres recent - du systeme des par- ticipations circulaires en France. Celui-ci accelere le processus d'int6riorisation du pouvoir au sein meme des groupes au profit principal des technostructures dirigeantes. Or la composition bouclee des noyaux durs permet de creer, comme nous l'avons vu, une solidarite qui d6passe le simple cercle des dirigeants d'un groupe particulier. Les noyaux durs sont en relation circulaire avec plusieurs autres noyaux, creant par la des chaines d'obligations reciproques.

Les privatisations ont alors forme progressivement une communaute d'inte- r'ts qui a epouse le cercle des poles et, de facon plus large, le coeur financier lui- meme. Qui oserait des lors attaquer, de l'ext6rieur, une seule de ces citadelles, sans simultanement prendre le risque de heurter les autres membres de l'esta- blishment ? Dans le cadre tres particulier de ce corporate governance, 'a la fran- ,aise, les privatisations apparaissent ainsi comme un formidable levier de redistribution et d'accaparement des pouvoirs que certains ne souhaitent visible- ment pas remettre en cause

Mais il n'est pas difficile de deviner le defaut majeur de ce capitalisme inverse: c'est celui du manque de flexibilit6 des structures de gouvernance, a la fois par absence de contre-pouvoirs, par d6faut de responsabilit6s clairement identifiees, et surtout par insuffisance des modalites d'evaluation et de sanction des equipes dirigeantes. Ne faut-il pas alors rechercher dans ces manquements les resultats financiers desastreux qui ont frappe ces demieres annees les princi- paux acteurs de ce cceur ?

Pour sortir de ces impasses, une solution souvent invoquee serait d'aller vers une economie de march6 financier a l'anglo-saxonne en s'appuyant notamment sur un developpement important des fonds de pension. Cette solution permet- trait de << d6boucler >> progressivement le systeme des participations r6cipro- ques.

Mais cette voie se heurte manifestement a des contraintes qui ne sont pas seulement de nature economique. I1 y a d'abord des obstacles qui relevent de considerations proprement politiques : pourquoi defaire des reseaux d'alliances capitalistiques boucles et des communaut6s d'int6r8ts reciproques qui se sont, en fait, largement fondes sur des relations d'appartenance et de confiance politi- que ? I y a aussi des difficult6s qui renvoient a des consid6rations relevant de la solidarit6 nationale: pourquoi prendre un risque politique et social majeur en cherchant a casser les circuits de financement actuels de la protection sociale ?

La methode des privatisations frangaises a finalement developpe le sentiment paradoxal d'une insuffisance de flexibilite des structures actionnariales et de gouvemance, alors qu'on aurait dfi s'attendre, en bonne logique de la part de groupes recemment privatises, a un sc6nario inverse. Ce manque d'adaptabilite ne devient-elle pas alors, defacto, une des causes (majeure ?) de la faiblesse de l'economie fran,aise face aux d6fis de la crise economique ?

1. Le rapport que Marc Vienot a transmis au CNPF, le 10 juillet 1995, propose quel- ques ajustements qui peuvent apparaitre mineurs; ainsi recommande-t-iI l'introduction de deux administrateurs independants a cote de ceux qui sont li6s a la technostructure et aux actionnaires.

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