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Mémoire de Master 2 HPDS-Lyon 1 Les premiers travaux de Jean-Pierre Vigier sur la théorie des quanta : une rencontre entre science et marxisme (1951-1954) Virgile Besson 18 janvier 2012

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Mémoire de master 2 en Histoire et Philosophie des sciences.

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Page 1: Les premiers travaux de Jean-Pierre Vigier sur la théorie des quanta : une rencontre entre science et marxisme (1951-1954)

Mémoire de Master 2 HPDS-Lyon 1

Les premiers travaux de Jean-PierreVigier sur la théorie des quanta : unerencontre entre science et marxisme

(1951-1954)

Virgile Besson

18 janvier 2012

Page 2: Les premiers travaux de Jean-Pierre Vigier sur la théorie des quanta : une rencontre entre science et marxisme (1951-1954)

Encadrants du mémoire :

• Manuel Bächtold : Maître de conférences - Université Montpellier 2

• Hugues Chabot : Maître de conférences - Université Lyon 1

• Adrien Vila Valls - Doctorant -Université Lyon 1

Rapporteur :

• Olival Freire Jr. : Professeur des universités - Université de Bahia (Brésil)

Jury :

• Simon Gouz : ATER - Université Lyon 1

• Philippe Lautesse : Professeur des universités - Lyon 1

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Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu’il recherche dans ce

qu’il connaît les choses les plus délicates. Qu’un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement

plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans ce sang,

des gouttes dans ses humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces

en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours ; il pensera peut-être

que c’est là l’extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non

seulement l’univers visible, mais l’immensité qu’on peut concevoir de la nature, dans l’enceinte de ce raccourci d’atome.

Qu’il y voie une infinité d’univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le

monde visible ; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné ;

et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu’il se perde dans ses merveilles, aussi étonnantes

dans leur petitesse que les autres par leur étendue ; car qui n’admirera que notre corps, qui tantôt n’était pas perceptible

dans l’univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à

l’égard du néant où l’on ne peut arriver ?

Pascal, « Disproportion de l’Homme », Pensées, n°72

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Table des matières

1. Introduction 1

I. Quelques éléments de contexte 6

2. Biographie de Jean-Pierre Vigier 72.1. La jeunesse de Jean-Pierre Vigier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72.2. La Deuxième Guerre Mondiale et l’engagement politique . . . . . . . . . . 72.3. La rencontre avec Louis de Broglie et la carrière scientifique . . . . . . . . 10

3. De la théorie de la double solution de de Broglie aux variables cachées deBohm 133.1. La théorie de la double solution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133.2. Le congrès Solvay de 1927 et les objections de Pauli . . . . . . . . . . . . . 163.3. Comment Bohm lève les objections de Pauli . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

II. Les principaux apports de Vigier à la théorie de de Broglie etde Bohm 23

4. De la relativité générale à la théorie de l’onde pilote 244.1. Une adhésion rapide à la théorie de la double solution . . . . . . . . . . . . 244.2. L’influence du marxisme dans les premiers travaux de Vigier . . . . . . . . 26

5. Changement de contexte 31

6. Une théorie au service d’une lutte philosophique 366.1. L’introduction de la thèse : au croisement entre science, philosophie des

sciences et histoire des sciences. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 376.2. La théorie de la double solution et la relativité générale . . . . . . . . . . . 40

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Table des matières

6.2.1. Les équations non linéaires justifient le théorème de guidage de deBroglie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

6.2.2. Les solutions des équations du champ d’Einstein . . . . . . . . . . . 446.3. Les probabilités dans l’interprétation causale . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

6.3.1. Le déterminisme et la dialectique du hasard . . . . . . . . . . . . . 476.3.2. Les niveaux d’organisation de la nature . . . . . . . . . . . . . . . . 49

7. La théorie causale en lien avec les problématiques physiques qui lui sontcontemporaines 53

8. Conclusion de la deuxième partie 57

III. La réception des travaux de Vigier 60

9. Le rôle décisif de Vigier dans la seconde reconversion de de Broglie 619.1. De Broglie avant son second revirement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 619.2. Le rôle de Vigier dans le revirement de de Broglie . . . . . . . . . . . . . . 639.3. Le rôle de Vigier vu par de Broglie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 669.4. De Broglie devient une personnalité respectable pour les communistes . . 68

10.La réception des travaux de Vigier par les communistes 7110.1. L’accueil controversé chez les communistes de la théorie causale et des

travaux de Jean-Pierre Vigier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7110.1.1. Une accueil initial chaleureux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7110.1.2. La polémique sur l’interprétation causale . . . . . . . . . . . . . . 7210.1.3. L’abscence de soutien des soviétiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

10.2. La théorie dialectique des niveaux d’organisation de la nature . . . . . . . 81

11.Conclusion de la troisième partie 84

12.Conclusion générale 85

IV. Annexes 89

13.Démonstration du théorème de guidage 90

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Table des matières

14.Démonstration de la répartition statistique des particules dans la théorie cau-sale 9414.1. Première démonstration de 1951 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9414.2. Deuxième démonstration de 1954 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94

Bibliographie 99

Bibliographie 99

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1. Introduction

Dans toute l’histoire des sciences, la mécanique quantique est l’une des théories qui asuscité le plus de débats quant à la portée de ses résultats et à l’interprétation de sonformalisme. Peu de temps après le cinquième conseil Solvay de 1927, des voix s’élèvent,comme celles d’Einstein, de Planck et de Schrödinger, pour mettre en doute l’interpréta-tion de la théorie qui se dégage. Les questions relatives à la complétude et à la localitésoulevées par le « paradoxe Einstein-Podolsky-Rosen » et à la mesure soulevée par l’expé-rience de pensée du chat de Schrödinger, ont traversé les époques, sous différentes formes,mobilisant physiciens et philosophes pour y apporter des réponses sans pour autant par-venir à un consensus, donnant naissance à ce que l’on peut appeler la controverse surl’interprétation de la mécanique quantique. Cette controverse sur l’interprétation de lamécanique quantique, aussi ancienne que la théorie elle-même, l’historien Max Jammerla qualifie en 1974 « d’histoire sans fin » en raison de l’incessante profusion d’interpréta-tions différentes de la théorie toutes irréconciliables entre-elles1. À partir du constat deJammer, Olival Freire distingue trois périodes caractéristiques de cette controverse2 :La première, qui s’étend de 1927 à 1952, est caractérisée par l’hégémonie de l’école de

Copenhague sur l’interprétation de la mécanique quantique. Les critiques de cette inter-prétation se restreignent à des expériences de pensée, dont celles citées précedemment, quine trouvent pas de débouchés expérimentaux. Pour cette raison, les partisans de l’école deCopenhague qualifient péjorativement ces critiques de « métaphysiques ». C’est toutefoisà cette époque que naissent les grandes thématiques de la controverse (le déterminisme,la mesure, la localité et la complétude) qui traverseront les différentes périodes.Dans la troisième période la controverse est, d’après la dénomination de Freire, une

« controverse scientifique avec des répercussions philosophiques ». Elle commence en 1970et se poursuit encore aujourd’hui. La controverse est institutionnalisée, des journaux etdes colloques scientifiques dédiés à elle sont créés mais surtout, elle a investi le champde l’expérience, notamment par les expériences pour tester les inégalités de Bell comme

1Max Jammer, The Philosophy of Quantum Mechanics, John Wiley & Sons, 1974, p. 5212Olival Freire Jr, « A Story Without an Ending : The Quantum Physics Controversy 1950-1970 », dansScience & Education vol 12, 2003 p. 573-586

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1. Introduction

celles d’Alain Aspect dans les années 1980.Entre ces deux, une période intermédiaire, de transition, fait passer la controverse de

l’âge philosophique à l’âge scientifique. Freire lui donne comme point de départ la publi-cation de David Bohm sur la théorie des variables cachées qui est une amélioration de lathéorie de l’onde pilote, ancienne théorie défendue par de Broglie avant 1927. C’est en effetun premier pas nécessaire pour entrer pleinement dans le champ scientifique puisque, pourla première fois depuis 1927, une partie de l’opposition à l’interprétation de Copenhaguese dote d’une théorie avec son formalisme mathématique et son interprétation propres, ou-vrant potentiellement la voie d’une confrontation expérimentale avec la théorie standard3.L’objectif poursuivi par les partisans de cette nouvelle théorie est de substituer à l’indé-terminisme intrinsèque de la mécanique quantique et à son interprétation à connotationpositiviste défendue par l’école de Copenhague, une interprétation déterministe et onto-logiquement acceptable. Beaucoup d’historiens des sciences ont perçu dans les critiquesformulées par les partisans de la théorie de Bohm à l’encontre de la mécanique quantiquestandard une influence de la philosophie marxiste. Il est vrai qu’en ce début des années1950, la campagne contre l’interprétation de Copenhague en URSS bat son plein et quele marxisme, en tout cas dans sa version soviétique, gagne en influence dans les pays del’Ouest et particulièrement en France, centre de gravité de la théorie des variables cachées.Par ailleurs, en ce début des années 1950, des trois principaux acteurs de cette théoriequi sont David Bohm, Louis de Broglie et Jean-Pierre Vigier, le premier est sympathisantmarxiste, le deuxième est relativement neutre vis à vis de cette philosophie et le troisièmeest adhérent au PCF.

Le processus d’élaboration de la nouvelle théorie est donc un point clé de l’histoirede la controverse. Or, si les travaux de Bohm et de Broglie ont été très largement étu-diés par les historiens, l’apport personnel de Vigier n’a, à notre connaissance, jamais faitl’objet d’une étude approfondie. Cette lacune historiographique tend à reléguer Vigierau rang de troisième homme, dont le rôle n’est que secondaire par rapport à celui desdeux premiers. Pourtant, à la lecture d’ouvrages de de Broglie, Vigier est présenté commeun acteur majeur, ayant tout autant contribué que Bohm et lui même à la théorie desvariables cachées. Il nous paraît ainsi important de remédier à ce manque pour mesurerla contribution réelle de Vigier, d’autant plus que si les historiens s’accordent pour af-firmer que la philosophie marxiste est un facteur majeur dans les motivations à l’originede la théorie des variables cachées, Vigier est, de ces trois principaux acteurs, celui quiest le plus proche du marxisme puisqu’il est le seul adhérent et militant actif dans un

3Bohm émet dès 1952 l’enjeu de faire de nouvelles prédictions.

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1. Introduction

parti communiste.Pour ces raisons, nous proposons de rendre compte de l’apport de Vigier dans les pre-

mières années de la naissance de la théorie des variables cachées, c’est-à-dire à partir de1951, date à laquelle il entre pour la première fois en contact avec elle, jusqu’à la fin del’année 1954, date à laquelle il soutient sa thèse de doctorat dont le thème est l’interpréta-tion causale de la théorie des quanta, autre nom donné à la théorie des variables cachées.Cette étude s’effectuera spécifiquement sous l’angle de l’interaction entre science et mar-xisme, ce qui nous permettra d’évaluer concrètement l’influence réelle de cette philosophiesur les travaux de Vigier et donc plus largement sur l’ensemble de la théorie des variablescachées. Il nous faut préciser ici que dans un précédent travail effectué en master 1, nousavions déjà commencé à défricher cette contribution scientifique de Vigier. Celui-ci nousa semblé toutefois trop limité et il méritait d’être approfondi. Le lecteur ne sera donc passurpris de retrouver quelques bribes de ce premier mémoire dans la nouvelle analyse dela contribution de Vigier que nous proposons.

Ce travail se fera en trois temps.La première partie de ce mémoire est une mise en contexte nécessaire des travaux de

Vigier. À cet effet, nous proposons une biographie de sa carrière scientifique et politiqueélaborée à partir de sources secondaires et complétée par nos soins avec des élémentsabsents des différents articles recensés sur sa vie. Cette biographie est une version corrigéeet augmentée de celle présente dans le mémoire de master 1 qui nous semble plus coller àla réalité des faits. Cette première partie sera aussi l’occasion de présenter la théorie del’onde pilote de Broglie qui a servi de support à Bohm en 1952, les raisons qui ont pousséde Broglie à l’abandonner au cinquième conseil Solvay, ainsi que les améliorations de cettethéorie proposées par Bohm.La deuxième partie rend compte de la contribution personnelle de Vigier à la théorie des

variables cachées, que nous souhaitons éclairer à la lumière des interactions entre science etune certaine forme de marxisme. Le marxisme ayant deux composantes, philosophique etpolitique, cette interaction devrait s’analyser en considérant conjointement les trois pôlesscience-philosophie-politique, en les prenant, par exemple, en couple (science/philosophie,science/politique, philosophie/politique) pour en extraire les influences mutuelles. Ce mé-moire se restreindra au couple science/philosophie, bien qu’inévitablement, surviendrontparfois des éléments du pôle politique. Les interactions entre science et philosophie chezVigier doivent prendre en compte deux aspects complémentaires. Le premier aspect, plusfacile à déceler car plus immédiat, constitue les interactions conscientes, c’est-à-dire plei-nement revendiquées par Vigier. Elles regroupent l’ensemble de ses critiques à l’encontrede l’interprétation de Copenhague ainsi que les solutions qu’il propose pour y remédier,

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1. Introduction

ou encore sa contribution personnelle au marxisme à partir de ses résultats scientifiques.Le deuxième aspect est plus fondamental car il constitue une caractérisation qui se veutobjective de la théorie de la connaissance développée par Vigier. Pour l’identifier, noussituerons son marxisme par rapport au marxisme de type soviétique ainsi que par rapportà celui des pères fondateurs de cette doctrine.La troisième et dernière partie de ce mémoire étudiera sous deux angles différents la

réception des travaux de Vigier. D’une part, nous évaluerons l’influence de Vigier sur deBroglie. L’étude de cette influence nous paraît justifiée car, à cette période, Vigier estl’assistant de de Broglie à l’Institut Henri Poincaré quand ce dernier effectue, après sapériode bohrienne, un revirement pour adopter l’interprétation de la théorie des variablescachées. De cette proximité entre les deux hommes, ainsi que du marxisme de Vigierémerge l’hypothèse qu’il n’est pas étranger dans ce revirement. D’autre part, le fait queVigier revendique l’utilisation du marxisme comme méthodologie de recherche conduitnaturellement à regarder quel accueil est réservé à ses travaux par les autres physicienscommunistes. Dans cette partie, par commodité d’écriture, nous utiliserons souvent leterme « communiste » pour désigner les physiciens communistes. Il n’engagera que cettepartie des communistes et nous n’étudierons pas l’éventuel impact des travaux de Vigiersur les autres adhérents du parti communiste.

Présentation des sources primaires

Ce travail mobilisera deux catégories de sources différentes. Celles de la première catégoriesont des sources scientifiques. Elles proviennent principalement des Comptes rendus desséances hebdomadaires de l’Académie des Sciences ainsi que de la thèse de physique de Vi-gier. Notons qu’il existe deux versions différentes de la thèse. La première est la thèse tellequ’elle fut présentée lors de sa soutenance et la deuxième est une édition commerciale4.Après vérification, leur contenu et la pagination sont identiques, mis à part que l’éditioncommerciale est augmentée d’une préface de de Broglie. Les sources de la deuxième ca-tégorie sont des articles écrits par Vigier et par d’autres physiciens communistes dans lesdeux principales revues intellectuelles communistes de l’époque qui sont la Pensée et laNouvelle Critique. La première, fondée par Paul Langevin en 1939, est bimestrielle. Deuxnuméros sont publiés avant la Seconde Guerre Mondiale et la parution reprend à partir de1945. Elle se présente comme la revue du « rationalisme moderne » et fait la promotiondu marxisme en art, en sciences et en philosophie. Les articles scientifiques sont de lavulgarisation de haut niveau, n’hésitant pas à employer un vocabulaire très technique et

4Voir bibliographie

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1. Introduction

parfois des équations. Ce n’est donc pas une revue d’éducation populaire à destination dela classe ouvrière. Les publics visés sont essentiellement des universitaires et des intellec-tuels au sens large. Bien que très proche du PCF, elle ne lui est pas directement affiliée.La Nouvelle Critique est un mensuel fondé en 1950. Il porte le sous titre de « la revue dumarxiste militant » et il est la revue intellectuelle du PCF. Son fondateur et rédacteuren chef jusque dans les années 1960 est Jean Kanapa. Sa ligne éditoriale est sensiblementidentique à celle de la Pensée.

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Première partie .

Quelques éléments de contexte

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2. Biographie de Jean-Pierre Vigier

2.1. La jeunesse de Jean-Pierre VigierJean-Pierre Vigier naît le 16 janvier 1920 à Paris de Françoise (née Dupuy) et HenriVigier, professeur d’anglais à l’Ecole Normale Supérieure rue d’Ulm. En 1934, il intègreune école internationale à Genève. Dès son adolescence, il montre un intérêt marqué pourles idées politiques de gauche. Il sympathise à Genève avec des Républicains espagnolsen exil et souhaite s’engager dans les Brigades Internationales pendant la Guerre Civile.C’est pendant cette période qu’il découvre la théorie marxiste à travers les ouvrages deKarl Marx et Friedrich Engels. Le jeune Vigier s’intéresseà la fois aux mathématiques età la physique, deux matières qu’il étudie à Montpellier en 19391.

2.2. La Deuxième Guerre Mondiale et l’engagementpolitique

Suite à la déclaration de guerre de l’Allemagne Nazie contre la France, Vigier est mobilisédans l’armée. Après l’armistice du 22 juin 1940, il intègre les Chantiers de la jeunesseFrançaise, sorte de substitut du service militaire sous le gouvernement de Vichy. C’est àce moment là qu’il adhère au Parti Communiste Français et qu’il entre en contact avecun groupe de Réisistants, l’Organisation Spéciale2. Sous la direction de Charles Tillon, ilparticipe à des actes de sabotage contre le régime de Vichy et les Nazis en Zone Libre.Après la rupture du Pacte germano-soviétique le 22 juin 1941, les membres de l’OS, dontVigier, rejoignent les Franc-Tireurs et Partisans (FTP) . Ses parents habitant la Suisse,il est libre de voyager à travers l’Europe et utilise cette opportunité pour transporter du

1Peter Holland, « Jean-Pierre Vigier at seventy-five : La lutte Continue », dans Foundations of Physics,Vol. 25. n°1, 1995, p. 1.

2L’Organisation Spéciale(OS) regroupe dès octobre 1940 les militants communistes en France qui luttentcontre l’occupant Nazi et le régime de Vichy par la propagande et les actes de sabotage. Le PCF seprononce en faveur de la lutte armée en juin 1941 suite à la rupture du pacte germano-soviétique parles troupes de Hitler et en appelle à la création de francs-tireurs et partisans (FTP). Les membres del’OS rejoignent alors les FTP.

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2. Biographie de Jean-Pierre Vigier

matériel entre le PCF et le Komintern à Moscou. Il est arrêté au printemps 1942 parla police française avec des documents secrets. Alors que le train qui le conduit à Lyonpour être interrogé par Klaus Barbie est bombardé par l’aviation anglaise, il en profitepour s’enfuir dans les montagnes de Haute Savoie et reprend ses activités au sein de laRésistance. En janvier 1945 il combat l’armée allemande dans les rangs de la 1ère ArméeFrançaise que les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI)3 intègrent en 1944. Les Allemandssont condamnés à se retrancher derrière le Rhin. Blessé pendant la bataille, il finit laguerre dans un hôpital à Paris. Il reçoit la Légion d’Honneur pour avoir participé à cettebataille puis la médaille de la Résistance après la guerre.Le 2 juin 1944, Le Gouvernement Provisoire de la République Française fixe au 21

octobre 1945 les législatives et le référundum sur la constituante. Sur les 586 sièges àpourvoir, la SFIO (Section Française de l’Internationale Socialiste) en obtient 146, le MRP(Mouvement Républicain Populaire) 150 et le PCF 159. En conséquence de ces résultats,un gouvernement tripartite est constitué avec à sa tête de Gaulle et Maurice Thorez,secrétaire général du PCF, comme vice président du conseil et de nombreux communistessont présents dans l’administration.Cette période d’après guerre marque le début d’un élan de mouvements indépendan-

tistes dans les colonies. La politique du PCF vacille sur la question coloniale, prise dansses propres contradictions entre s’en tenir à la position historique de défense des peuplescolonisés et, en tant que membre du gouvernement, soutenir l’impérialisme français pourmaintenir ses positions en Afrique et en Asie contre l’Angleterre4. Les dirigeants commu-nistes essayent de joindre ces deux extrémités en affirmant que les intérêts des Algérienssont les mêmes que ceux des Français et en revendiquant d’authentiques réformes en Al-gérie, la fin des discriminations raciales, une réforme agraire et une démocratie réelle5.En 1946, Ho Chi Minh et le Général Giap sont à Paris pour négocier l’indépendance duVietnam. Vigier les rencontre à cette occasion. Cette rencontre a un profond impact surVigier qui se lie d’amitié avec Giap et attachera dorénavant un intérêt particulier pour laquestion indochinoise. Il se rendra d’ailleurs plus tard au Vietnam en tant que membredu tribunal Russell juger les crimes de guerres américains. L’échec des accords marque ledébut de la guerre d’indépendance en Indochine. Les députés communistes s’abstiennentsur les crédits de guerre, alors que les ministres les votent dans leur combat contre lesÉtats-Unis. Le changement de ligne s’opère quand la Chine et l’URSS reconnaissent le

3Les Forces Françaises de l’Intérieur résultent de la fusion de la majorité des groupes de résistance findécembre 1943. Elles sont placées sous la direction du général Koenig.

4L’Humanité du 19 mai 1945 dénonce les ”tueurs hitlériens ayant participé aux événements du 8 mai etdes cherfs nationalistes qui ont sciemment essayé de tromper les masses musulmanes”.

5David Caute, Les communistes et les intellectuels français 1914-1966, Gallimard, 1967, p243-244.

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2. Biographie de Jean-Pierre Vigier

gouvernement d’Ho Chi Minh. Le PCF se fait alors le premier défenseur du Vietnamindépendant. En 1954, les accords de paix sont signés en Indochine et l’Algérie devient lecentre de gravité des débats sur le colonialisme. Le 22 mars 1956, le PCF vote les pouvoirsspéciaux à Guy Mollet pour rétablir l’ordre en Algérie mais Thorez fait marche arrièreau mois de juillet et prend position pour l’indépendance sans pour autant que le PCFappelle à participer activement aux manifestations qu’il ne contrôle pas. Dans ce contexte,Vigier gagne ses galons au PCF, et est élu membre suppléant du Comité Central au 15ème

congrès de 1959. Cet accession à un poste de dirigeant national sera cependant de courtedurée.Après l’accession au pouvoir de De Gaulle en 1958 suite au référendum, le PCF est

marginalisé. Khrouchtchev, alors dirigeant de l’URSS, voit en de Gaulle un allié potentielcontre les États-Unis. Au sein du Comité Central du PCF, une crise s’ouvre avec en toilede fond la question du gaullisme et le conflit algérien. Laurent Casanova et Marcel Servinpensent qu’il faut savoir reconnaître les points positifs du gaullisme, notamment en termed’indépendance nationale vis à vis des États-Unis, au grand désespoir de Thorez. Cette« fraction Khroutchevienne », parvient à radicaliser la ligne sur l’indépendance algériennetout en appelant à soutenir le mouvement d’insoumission porté par le Manifeste des 121publié en septembre 1960 dans le journal Vérité-Liberté. L’échec des négociations lors duvoyage de Khrouchtchev en France en 1960 et le regain de tension de la Guerre Froidepermettent à Thorez de reprendre la main sur le parti. Casanova et Servin sont relevés dubureau politique après avoir fait leurs autocritiques. Vigier ne sera pas réélu au ComitéCentral lors du 16ème Congrès6 à cause de sa proximité avec ces derniers.Les désaccords entre Vigier et la direction du PCF vont croissant. En août 1968, les

troupes du Pacte de Varsovie répriment la révolte tchécoslovaque. C’est la fin du Printempsde Prague. Vigier condamne sans réserve la répression tandis que la direction du PCF estbeaucoup plus nuancée. Lors des événements de mai-juin 68, il est partisan d’une prisede pouvoir insurrectionnelle contrairement à la direction du PCF. Pour protester contrela guerre au Vietnam, il milite au sein des Comités Vietnam et se rapproche du maoïsme.Ces faits marquent son exclusion du parti en 1969. Après cette rupture, il continuera à sedéfinir comme communiste mais ne reprendra jamais de carte dans un quelconque partipolitique.

6Roger Martelli, Réunions du Comité Central du PCF 1921-1977, Tome 3 1954-1965, Fondation GabrielPéri, p. 14-16

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2. Biographie de Jean-Pierre Vigier

2.3. La rencontre avec Louis de Broglie et la carrièrescientifique

Vigier participe à la fondation du Commissariat à l’Énergie Atomique dirigé par FrédéricJoliot-Curie (haut-commissaire à l’énergie atomique) et Raoul Dautry (administrateurgénéral). Il écrit pour cet organisme un rapport interne sur la diffusion des neutronsthermiques en 1949 7. En 1946, Vigier soutient une thèse en mathématiques Étude surles suites infinies d’opérateurs hermitiens à l’Université de Genève. Le 19 mars 1950, leMouvement mondial des partisans de la paix, proche des communistes, lance l’appel deStockolm pour protester contre l’arme atomique. Consécutivement, les communistes sontévincés du CEA, dont Frédéric Joliot-Curie qui est remplacé au haut commissariat àl’énergie atomique par Francis Perrin, fils du prix Nobel de physique Jean Perrin. Vigier,alors sans emploi, rencontre par hasard de Broglie lors d’une conférence. Ce dernier, quirecherche alors un assistant, propose de l’embaucher à l’Institut Henri Poincaré. C’est ledébut d’une étroite collaboration et amitié entre les deux hommes.

En 1951, de Broglie prend connaissance des travaux du jeune physicien américain DavidBohm en poste à Princeton. Son mémoire8 reprend et améliore la théorie de l’onde pi-lote, présentée au cinquième Congrès Solvay de 1927 par de Broglie puis abandonnée pardécouragement face aux critiques de Pauli et au manque de soutien dans son entreprise.Quant à Vigier, il fait remarquer à de Broglie les similitudes entre une démonstrationde Darmois et d’Einstein en Relativité Générale, qui considère les particules comme dessingularités du champ astreintes à suivre les géodésiques de l’espace-temps, et la théoriede la double solution. De Broglie se décide à partir de 1952 de reprendre ses ancienstravaux. En 1954 Vigier part au Brésil rejoindre David Bohm, alors exilé, victime de lapolitique anti-communiste du sénateur Mc Carthy. Vigier soutient une thèse de physique,sous la direction de de Broglie, intitulée Recherche sur la théorie causale de la théoriedes quanta9 à la Sorbonne le 11 décembre 1954. La thèse reçoit un accueil mitigé dans lapresse intellectuelle communiste (la Nouvelle Critique, la Pensée ). Certains voient dansses travaux une application authentique de la dialectique de Marx et Engels aux sciencesmodernes tandis que d’autres sont sceptiques voire opposés10, le scandale du lyssenkisme

7Quelques publications et travaux de Jean-Pierre Vigier, dans Annales de l’I.H.P., section A, tome 49,n°3, 1988, p. 261

8David Bohm, « A suggested interpretation of the quantum theory in terms of ‘hidden variables’ PartI & II », dans Physical Review , Vol. 85 n° 2 1952.

9Jean-Pierre Vigier, Recherche sur la théorie causale de la théorie des quanta, Gauthier-Villars, 1955.10F. Lurcat, « La Thèse de J.-P. Vigier et l’état actuel de la physique quantique » dans La Nouvelle

Critique, Vol. 62, PCF, 1955

10

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2. Biographie de Jean-Pierre Vigier

n’est pas très loin.En 1962, de Broglie prend sa retraite universitaire à l’IHP tout en conservant quelque

temps sa fonction de secrétaire perpétuel de l’Acédémie des Sciences. Cette retraite nesignifie pas qu’il cesse pour autant toute activité de recherche. Vigier part un an au Japontravailler dans le laboratoire du physicien Hideki Yukawa à l’université de Kyoto et publieplusieurs articles sur l’interprétation causale de la mécanique quantique.En 1964, Bell, motivé par la théorie de Bohm, réexamine le théorème de John von

Neumann sur l’impossibilité de compléter la mécanique quantique par des variables ad-ditionnelles. Il démontre à partir d’EPR11 que les théories à variables cachées locales etdéterministes sont incompatibles avec les prédictions de la mécanique quantique et quecelles qui prédisent les résultats de la mécanique quantique, comme celle de Bohm, sontdes théories non locales. Cinq ans plus tard, Clauser, Horne, Shimony et Holt12 généra-lisent le théorème de Bell permettant de le tester expérimentalement. Un pas importantest franchi dans la controverse sur les fondements de la mécanique quantique initié dansles années 1930 puisque la controverse, qui jusqu’alors est confinée à la philosophique,entre de plein pied dans le champ scientifique. Vigier s’intéresse de près aux inégalités deBell et à EPR à partir du milieu des années 1970 et publie plusieurs articles sur le sujet.Au fur et à mesure des expériences sur l’intrication des photons, les inégalités de Bellsemblent systématiquement violées donnant raison à la mécanique quantique au détri-ment des théories à variables cachées locales. L’expérience décisive en ce sens est réaliséeen 1983 par Alain Aspect à Orsay qui en fait le sujet de sa thèse13. L’abandon de la loca-lité est un thème de discorde entre Vigier et de Broglie, le premier acceptant de renoncerà la localité contrairement au deuxième. Vigier explique EPR en renonçant à la sépara-bilité tout en préservant la causalité en envisageant des informations qui se propagent àdes vitesses supralumineuses14. De Broglie quant à lui pense que les inégalités de Bell neconcernent qu’une classe restreinte de théories à variables cachées et ne concernent pascelle sur laquelle il travaille.Dans les années 1980, Vigier élargit son champ d’activité et collabore avec l’astro-

physicien Jean-Claude Pecker. Ils publient ensemble une série d’articles sur les redshifts11Le paradoxe d’Einstein, Podolsky et Rosen est une expérience de pensée qui devait montrer, selon ses

auteurs, que la mécanique quantique n’est pas complète.Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen, « Can Quantum-Mechanical Description of Phy-

sical Reality Be Considered Complete ? », dans Phys. Rev., vol. 47, 1935, p. 777-780.12Clauser, Horne, Shimony and Holt, « Proposed experiment to test local hidden-variable theories »,

dans Physical Review Lett., vol. 23, 196913Alain Aspect, Trois tests expérimentaux des inégalités de Bell par mesure de corrélation de polarisation

de photons, Thèse de doctorat, Université Paris-Sud, Orsay, 198314Eftichios Bitsakis, « Causalité et localité en microphysique », dans La Pensée n°235, septembre 1983,

p. 121

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2. Biographie de Jean-Pierre Vigier

anormaux. Grand adepte de théories minoritaires, il s’intéresse à la fusion froide, sujetayant suscité une controverse scientifique très médiatisée, à l’égal de celle sur la « mémoirede l’eau » et presque contemporaine dans les années 1990. Depuis 1997, des symposiumssont organisés tous les ans par Stanley Jeffers en son honneur et se poursuivent encoreaujourd’hui15. Il décède le 4 mars 2004 à l’âge de 84 ans avec à son actif plus de deux-centpublications scientifiques.

15Celui organisé à l’occasion de ses 80 ans a fait l’objet d’un livre : Jean-Pierre Vigier, Gravitation andcosmology : from the Hubble radius to the Planck scale : proceedings of a symposium in honour of the80th birthday of Jean-Pierre Vigier, Kluwer Academic Publishers, 2002.

12

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3. De la théorie de la double solutionde de Broglie aux variables cachéesde Bohm

Dans cette partie, nous allons remonter aux origines de la théorie des variables cachées deBohm de 1952, c’est-à-dire aux théories de la double solution et de l’onde pilote de de Bro-glie de 1926-1927. Cette mise en contexte nécessaire permettra au lecteur de mieux situerla contribution personnelle de Vigier présentée dans la deuxième partie de ce mémoire.

3.1. La théorie de la double solutionDe Broglie est un physicien de premier plan pendant les années 1920. Sa thèse, soutenue en19241 et célèbre pour la relation qui lie l’impulsion des particules à la longueur d’onde pourlaquelle il reçoit le prix Nobel de Physique en 1929, pose les fondements de la mécaniqueondulatoire. Pour résumer brièvement, de Broglie étend la dualité onde-corpuscule desphotons, découverte par Einstein pour expliquer, entre autre, l’effet photo électrique,aux particules massives. En 1925, Schrödinger développe les conceptions de de Broglieaux particules sous l’influence d’un potentiel. Pourtant, de Broglie n’est pas satisfait del’orientation que prend la mécanique ondulatoire. D’une part, l’équation de Schrödingerest définie dans l’espace des phases à 3N dimensions et il est pour cette raison difficile delui donner une interprétation physique. D’autre part, l’équation d’onde de Schrödingerévacue l’aspect corpusculaire de la matière pour ne conserver que l’aspect ondulatoire.Ceci s’oppose à l’idée originale de la thèse de de Broglie qui souhaitait au contraire unifierl’optique de Fresnel et la mécanique hamiltonienne dans la nouvelle mécanique. C’estpourquoi il tente à partir de 1926 de prolonger la mécanique ondulatoire dans une voieen accord avec ses idées.

1Louis de Broglie, Recherches sur la théorie des quanta, Annales de Physique Tome III, janvier-février1925.

13

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3. De la théorie de la double solution de de Broglie aux variables cachées de Bohm

De Broglie s’intéresse d’abord en 19262 à expliquer les phénomènes de diffraction et d’in-terférence de la lumière, bien connus de l’optique ondulatoire classique, dans le cadre dela dualité onde-corpuscule. En d’autre terme, il cherche une théorie dans laquelle ces deuxaspects se manifesteraient simultanément. En optique ondulatoire, les ondes lumineusesse propagent selon l’équation 4u = 1

c2∂2u∂t2 avec u = a(x,y,z)eiω[t−ϕ(x,y,z)] satisfaisant aux

conditions aux limites imposées par des obstacles ou un écran rencontrés par l’onde. Dansl’optique proposée par de Broglie, la solution est de la forme u= f(x,y,z, t).eiω[t−ϕ(x,y,z)].La phase ϕ est identique à la solution classique et la fonction f comporte des singularitésqui définissent les « quanta d’énergie radiante » le long des courbes normales aux surfacesϕ = constante . De Broglie trouve que les quanta d’énergie ont en un point M et à uninstant t une vitesse U = c2

(∂ϕ∂n

)M

. La phase ϕ joue le rôle d’un potentiel de vitesses.En considérant que le flux de photons est conservatif le long d’un tube de section σ et dedensité volumique ρ, de Broglie obtient l’expression ρ = const×a2. Il en déduit logique-ment que « la densité des quanta de lumière est proportionnelle à l’intensité de la théorieclassique. Les phénomènes d’interférences et de diffraction sont bien explicables à l’aidede la conceptions corpusculaire de la lumière ».De Broglie prolonge aux particules massives la représentation de l’aspect corpusculaire

comme une singularité d’un phénomène étendu. Dans ce cas, ρ définit une densité denuages de points matériels. L’aspect purement ondulatoire de l’équation de Schrödingeret sa définition dans l’espace des phases font dire à de Broglie qu’elle ne représente pasla dynamique physique du nuage de points matériels mais que le carré de ses solutions”donnent, à l’approximation newtonienne, les probabilités d’états et de transition”. Cetteinterprétation probabiliste de l’équation de Schrödinger est identique à celle proposéepar Max Born à Göttingen pendant la même période. En continuant sur cette voie, ilaboutit en 1927 à ce qu’il appelle la théorie de la double solution. Il la dénomme ainsicar il considère deux solutions aux équations de la mécanique ondulatoire : une fonctionrégulière (statistique) ψ et une fonction physique u à singularité représentant l’aspectcorpusculaire de la matière. De Broglie applique sa théorie non à l’équation de Schrödin-ger mais à l’équation relativiste de Klein Gordon dont on pense à cette époque qu’elledécrit les électrons3. L’équation de Klein-Gordon est en outre réelle, à la différence del’équation de Schrödinger complexe. C’est une qualité pour de Broglie qui utilise les com-plexes uniquement à des fins calculatoires et précise systématiquement que les solutionsphysiques doivent êtres réelles4. L’équation de Klein-Gordon s’écrit : �ψ = m2c2

h̄2 ψ. Avec2Louis de Broglie, Sur la possibilité de relier les phénomènes d’interférences et de diffraction à la théoriedes quanta de lumière, C.R. Académie des Sciences T.183, 1926, p. 447-448

3On sait maintenant qu’elle s’applique aux particules de spin 04Adrien Vila Valls, De Broglie et le conflit des interprétations en Mécanique Quantique : comment

14

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3. De la théorie de la double solution de de Broglie aux variables cachées de Bohm

ψ = aeiϕh̄ , a une constante et ϕ = Et− pr. La deuxième solution, de même phase, est

u = f(x,y,z, t)eiϕh̄ . La fonction f présente une singularité là où se trouve le corpuscule.

Pour trouver la forme de f , de Broglie admet que dans le système propre, la particule està symétrie sphérique et f ne dépend que du rayon de la particule r0 =

√x02 +y02 + z02.

La solution la plus simple dans le référentiel de la particule est u(x0,y0, z0) = Cr0eimct0h̄ qui

devient u(x,y,z) = C√x2+y2+ (z−vt)2

1−β2

ejEt−pzh̄ = f(x,y,z−vt)ej

Et−pzh̄ dans un référentiel où la

particule se meut selon l’axe z. L’onde u est une onde monochromatique à la différencedes solutions habituelles de la mécanique quantique qui se présentent sous la forme d’unpaquet d’ondes. C’est un avantage pour de Broglie car ”au point de vue didactique, il esttrès utile d’employer cette image[celle du paquet d’ondes], mais il n’est pas sûr qu’ellecorresponde à la réalité”. En remplaçant la solution u dans l’équation de Klein-Gordon,il trouve que la vitesse du corpuscule est v = − 1

m∇ϕ, similaire à la formule p = −∇Sd’Hamilton-Jacobi. Grâce au postulat d’égalité des phases, il est possible de calculer lavitesse des particules avec la seule donnée de la fonction régulière ψ. Dans le cas d’uneparticule de charge électrique e se propageant dans un champ électromagnétique défini parun potentiel scalaire U et un potentiel vecteur A, de Broglie établit que la vitesse est égaleà v =−c2∇ϕ+(e/c)A

∂ϕ/∂t−eU . Cette relation entre la phase de l’onde et la vitesse du corpuscule, deBroglie l’appelle condition de guidage. De Broglie interprète cette condition de guidageen assimilant le corpuscule à une petite horloge synchronisée avec l’onde régulière.Dans cette théorie, il suffit de connaître la position initiale de la particule pour déter-

miner entièrement son mouvement. En l’absence de condition initiale, de Broglie établitque ρ= a2 = |ψ|2 exprime la densité de probabilité de trouver la particule dans un élémentde volume donné à l’approximation newtonienne (i.e. à des faibles vitesses par rapport àla vitesse de la lumière). Pour un système constitué de plusieurs particules sans interac-tion qui se déplacent à la même vitesse, le système comporte autant d’ondes à singularitéque de particules. La solution U est la somme de toutes les fonctions singulières ui :U = ∑

fi(x,y,z− vt)ejEt−pzh̄ et la solution régulière est ψ = aei

ϕh̄ . Cette fois-ci, la den-

sité est ρ = Ka2, où K est une constante, et renseigne sur la répartition statistique desparticules. Cette représentation hydrodynamique est similaire à celle déjà développée parMadelung quelques années auparavant.

La théorie de la double solution se heurte à au moins deux difficultés que de Brogliene peut résoudre. Premièrement, lorsque le système est composé de plusieurs particulesen interaction, le potentiel d’interaction, outre sa partie classique, comprend une partiequantique calculée à partir de la solution de l’équation de Schrödinger, c’est-à-dire qu’il

interpréter ses revirements ?, mémoire de M2 HPDS (Lyon 1), 2009, p 22.

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3. De la théorie de la double solution de de Broglie aux variables cachées de Bohm

est défini dans l’espace abstrait des configurations et de Broglie ne parvient pas à letransposer dans l’espace réel. Ceci fait dire à de Broglie que l’équation de Schrödingern’est pas une équation de propagation réelle. Deuxièmement, si de Broglie parvient àjustifier le fait qu’à chaque onde singulière u correspond une onde régulière ψ, c’est àdire que les phases des deux ondes sont égales pour les particules sans interactions, iln’en n’est pas de même lorsqu’un champ est présent. La double solution est alors admisepar de Broglie. C’est ainsi que pour le congrès Solvay de 1927, pressentant qu’il seraitdifficile de justifier mathématiquement la double solution, il préfère présenter une versionsimplifiée sans onde à singularité. L’existence du corpuscule est admise a priori et celuici est guidé par l’onde continue, renommée pour l’occasion « onde-pilote ». Si l’on postuleque la phase de l’onde régulière permet de définir les mouvements des corpuscules, lesrésultats sont identiques à ceux de la double solution. Bien entendu, cette simplificationest provisoire pour de Broglie car, en admettant a priori l’existence des corpuscules, deBroglie prend pour hypothèse ce qu’il souhaite démontrer.

3.2. Le congrès Solvay de 1927 et les objections de PauliLe cinquième congrès Solvay se tient du 24 au 29 octobre 1927 présidé par Lorentz. Il estintitulé « électrons et photons » et il porte principalement sur la mécanique quantique.À bien des égards, il est un moment majeur dans l’histoire de la physique du XXème

siècle de par sa délégation qui comprend vingt-neuf physiciens dont dix-sept détiennentou détiendront un prix Nobel, mais surtout par l’issue des débats qui l’ont traversé. Eneffet, à partir de la fin de l’année 1927, la mécanique quantique se dote d’un formalismeet d’une interprétation acceptée par la majorité des physiciens, en l’occurrence celle desphysiciens de Copenhague et Göttingen. En langage de Kuhn, la mécanique quantiquea terminé sa phase révolutionnaire pour atteindre le stade de science normale. Ceci neveut pas dire qu’il existe un consensus absolu autour de cette interprétation. Des acteursmajeurs tels Einstein et Schrödinger n’accepteront jamais cette interprétation. Toutefois,à partir de 1927, on peut raisonnablement parler d’hégémonie de l’école de Copenhague5.

De Broglie est chargé d’ouvrir les débats sur la partie théorique. C’est pour lui l’op-portunité d’exposer son point de vue sur la théorie des quanta. Il présente différentesinterprétations possibles, à savoir celle purement ondulatoire de Schrödinger, celle proba-biliste de Born et sa théorie de l’onde pilote. Il ne mentionne pas le point de vue de Bohr etHeisenberg dans son exposé, sans doute parce qu’il n’en a pas connaissance suffisamment

5Olival Freire Jr, « A Story Without an Ending : The Quantum Physics Controversy 1950-1970 », dansScience & Education vol 12, 2003 p. 575

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3. De la théorie de la double solution de de Broglie aux variables cachées de Bohm

en amont du congrès. En effet, Bohr présente pour la première fois la complémentarité àCôme en septembre et de Broglie a très peu de contacts avec le groupe de Copenhagueet Göttingen. Il déclarera plus tard avoir pris connaissance des relations de Heisenberg laveille de l’ouverture du congrès.La théorie de l’onde pilote ne suscite guère l’enthousiasme des congressistes. Cette

théorie non aboutie ne fait pas le poids face aux travaux bien plus avancés du groupe deBohr, en capacité de présenter une interprétation cohérente de la mécanique quantiqueet surtout bien plus satisfaisante sur le terrain expérimental. De plus, la démarche de deBroglie est l’antithèse de celle de Bohr et ses collaborateurs. Pour de Broglie, la matièreest onde et corpuscule, alors qu’elle est soit l’un soit l’autre pour Bohr. De Broglie estattaché au cadre épistémologique de la mécanique classique, il a une interprétation réalisteet déterministe des phénomènes naturels, deux concepts niés par Bohr.Ces différences d’ordre épistémologique ont sans doute pesé dans la balance mais ce sont

toutefois les arguments physiques de Pauli contre la théorie de l’onde pilote qui portentle coup de grâce6. Pauli conteste la validité de la théorie de de Broglie lors de collisionsinélastiques (c’est à dire des collisions où l’énergie cinétique n’est pas conservée). Pour ledémontrer, il reprend l’exemple de Fermi d’une collision entre une particule qui se déplaceselon l’axe z et un rotateur plan de coordonnée angulaire θ 7 dont le potentiel d’interactionest V (z,θ). L’énergie initiale de la particule incidente est E1 = 1

2mv02 et celle du rotateurE2 = n2 h̄2

2I avec I le moment d’inertie du rotateur. L’énergie totale est E = E1 +E2. Lafonction d’onde du système avant interaction est donnée par :

ψ0 = Aeih̄ (Et−

√2mE1z−

√2IE2θ)

Après la collision, Fermi montre que la fonction d’onde est dans un état superposé :

ψ =∑j

Ajeih̄ (Et−

√2mE,1jz−

√2IE,2jθ)

L’énergie finale du rotateur est E,2j = h̄22I (n+ j)2. Si j 6= 0 la collision est inélastique.

Lors d’une mesure de l’énergie du rotateur, le paquet d’ondes se réduit et se trouvedans l’un des états stationnaires. Or, le théorème de décomposition spectrale est absentde la théorie de l’onde pilote. Pauli montre qu’en prenant comme de Broglie la fonctiond’onde dans l’état final ψ = aei

ϕh̄ avec a et ϕ des fonctions réelles et d’après la condition

de guidage, le rotateur ne se trouve pas dans un état stationnaire, ceci en contradiction6James T. Cushing, Quantum Mechanics, historical contingency and the copenhagen hegemony, TheUniversity of Chicago Press, 1994, p. 112-123

7Fermi avait pris le cas plus général d’un mouvement dans le plan

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3. De la théorie de la double solution de de Broglie aux variables cachées de Bohm

manifeste avec l’expérience8.L’objection de Pauli est de l’aveu de de Broglie à l’origine de l’abandon de sa théorie

en 1928. Ce dernier se range alors derrière la complémentarité et adopte le point de vueindéterministe jusqu’en 1952.

3.3. Comment Bohm lève les objections de PauliPendant presque 25 ans, l’école de Copenhague domine la mécanique quantique sans qu’ily ait d’interprétation alternative. En dépit des critiques de Schrödinger sur la mesure etd’Einstein, Podolsky et Rosen sur la complétude de la théorie, il est admis que la nou-velle physique doit abandonner les concepts de déterminisme et de causalité, vestiges dela mécanique classique. Ces critiques restent marginales en partie parce qu’elles se can-tonnent à des expériences de pensée. Ces débats autour de l’interprétation de la mécaniquequantique sont philosophiques et sans incidence sur la pratique du scientifique dans sonlaboratoire. Ils sont même qualifiées de métaphysiques par les partisans de l’école de Co-penhague9. De plus, le théorème de John von Neumann, sur l’impossibilité de compléter lamécanique quantique par d’autres variables sans en modifier profondément le formalisme,apporte de l’eau au moulin de l’école de Copenhague10. Le débat semble définitivementclos. C’est dans ce climat que David Bohm songe en 1951 à réexaminer la possibilité decompléter la mécanique quantique par des variables « cachées », c’est-à-dire, à l’instar dede Broglie, doter les particules d’une position et d’une quantité de mouvement définiessimultanément et à chaque instant.

Bohm s’intéresse aux fondements de la mécanique quantique pendant son doctorat enCalifornie à l’université de Berkeley en 1943. Cet intérêt est suscité par les cours de J. Ro-bert Oppenheimer qu’il suit et des discussions avec Joseph Weinberg. À cette période,Bohm est un fervent défenseur de l’école de Copenhague. Au début de l’année 1951, ilobtient un poste de professeur assistant à l’université de Princeton. Inspiré par ses dis-cussions avec Oppenheimer, il entreprend la rédaction d’un livre sur l’interprétation dela mécanique quantique dans lequel il défend, entre autres, l’inconsistance des théories àvariables cachées à partir des arguments d’EPR11. Cette proximité avec Oppenheimer luifait subir les foudres du sénateur Mc Carthy qui le révoque de Princeton. Cette période

8Max Jammer, The Philosophy of Quantum Mechanics, John Wiley & Sons, 1974, p. 1139Freire-2003 p. 575

10En réalité, le théorème de Von Neumann démontre cette impossibilité pour une classe très restreintede variables cachées. G. Hermann le remarque dès 1935 mais son point de vue est relativement ignoré.

11David Bohm, Quantum theory, New York Prentice Hall, 1951.

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3. De la théorie de la double solution de de Broglie aux variables cachées de Bohm

de chômage n’est pas synonyme d’inactivité . Bien au contraire, Bohm en profite pour ap-profondir sa réflexion sur l’interprétation de la mécanique quantique. La lecture d’articlestraduits en anglais de physiciens soviétiques, probablement de Blokhintzev ou Terlezkiqui s’opposent au point de vue de Bohr, lui suggèrent de reconsidérer la possibilité d’in-troduire d’autres variables dans la mécanique quantique. Il écrit un article qu’il envoieà Physical Review12 au mois de juillet 1951. Face aux remarques négatives de Pauli, ille complète par un deuxième qui traite spécifiquement du problème de la mesure. Nousproposons de résumer brièvement les deux articles.

Dans l’introduction du premier article, il signale que bien que la mécanique quantiquesoit cohérente, elle fait appel à une hypothèse qui ne peut être vérifiée expérimentalement :un système physique est entièrement caractérisé par la fonction d’onde. Bohm entend dé-montrer la fausseté de cette assertion en montrant qu’il est possible de construire unethéorie qui introduit des paramètres absents de la théorie standard. Bohm part de l’équa-tion de Schrödinger ih̄∂ψ∂t =−

(h̄2

2m

)O2ψ+V ψ qui a pour solution ψ =Rei

Sh̄ avec R(x,t)

et S(x,t) des fonctions réelles. En remplaçant la solution dans l’équation et en séparant lesparties réelles et imaginaires il obtient pour la partie réelle : ∂S∂t + 1

2m(OS)2 +V − h̄2

2m4RR = 0

qui peut se réécrire en posant U =− h̄2

2m4RR , et −→v = OS

m :

m∂−→v∂t

=−O(V +U) (3.1)

Pour la partie imaginaire :

∂R2

∂t+div

(R2.−→v

)= 0 (3.2)

L’équation (3.1) est analogue à l’équation newtonienne du mouvement à la différence dupotentiel quantique U . Cette équation respecte le principe de continuité car le potentielquantique disparaît lorsque l’on fait tendre h vers zéro qui donne l’équation du mouvementclassique. Malgré des similitudes certaines avec la mécanique classique, le potentiel Upossède des propriétés particulières qui le différencie du potentiel habituel V . Il ne dépendpas de l’amplitude de la fonction R mais de sa forme, si bien qu’à grande distance lorsqueR tend vers zéro, le potentiel ne s’annule pas. De plus, en l’absence de potentiel V , laparticule continue d’être accélérée. Les mouvements des particules quantiques sont doncdifférents des mouvements classiques.L’équation (3.2) est similaire à l’équation de continuité d’un fluide de densité ρ = R2.

Bohm l’interprète comme la densité de probabilité que les particules se déplacent à une

12Bohm-1952 Part I

19

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3. De la théorie de la double solution de de Broglie aux variables cachées de Bohm

vitesse définie par le gradient de la phase S. Par contre, si la trajectoire d’une particulequantique est bien différente d’une trajectoire classique, elle est parfaitement déterminée.La connaissance de la position initiale x0 de la particule suffit à définir l’impulsionp0 =∇S(x0, t0).La théorie des variables cachées de Bohm n’ajoute jusqu’ici rien de nouveau par rapport

à la théorie de l’onde pilote de de Broglie. Le véritable apport de Bohm se trouve dans sontraitement des collisions inélastiques qui permet de lever les objections de Pauli. Bohmn’utilise pas l’exemple du rotateur plan mais la diffusion d’un électron sur un atome d’hy-drogène dans son état fondamental. Avant l’interaction, les deux systèmes, électron inci-dent et atome d’hydrogène, peuvent être représentés par des fonctions d’ondes distinctes,respectivement f0(y, t) et ψ0(x,t) = ψ0(x)e−i

E0h̄ t. À la différence de de Broglie, Bohm

pense que les ondes monochromatiques sont un cas idéal et n’existent pas dans la nature.La fonction d’onde de l’électron est donc une superposition d’ondes monochromatiques.Comme dans la formulations standard, on peut attribuer une fonction d’onde dans l’espacedes configurations pour le système total avant l’interaction : ψ = ψ0(x)e−i

E0h̄ tf0(y, t) avec

E0 l’énergie de l’atome d’hydrogène. Après l’interaction, Bohm montre que la fonctiond’onde du système sous sa forme asymptotique estψ = ψi(x,y,) +∑

nψn(x)e−iEnh̄ t ∫ f(k−k0)e

iknr−(h̄k2n/2m)t

r gn(θ,ϕ,k)dkoù h̄k2

n2m = h̄k2

o2m +E0−En exprime la conservation de l’énergie. Cette expression est la

somme de tous les trains d’ondes qui correspondent aux différents états possibles dusystème : l’électron peut être diffusé élastiquement (l’atome d’hydrogène se trouve dansson état fondamental E0) ou il peut être diffusé inélastiquement (l’atome d’hydrogène setrouve dans l’un de ses états excités En). Les différentes valeurs de l’énergie coïncidentavec celles de la théorie standard. Comme les différents trains d’ondes se propagent àdes vitesses différentes, ils cessent d’être superposés dans l’espace au bout d’un certaintemps (Bohm montre que ce temps est très court) si bien que la particule est confinéedans le train d’onde dans lequel elle se trouve car les autres ne peuvent plus influer surson potentiel quantique. Si tous les paramètres initiaux étaient connus, remarque Bohm,c’est-à-dire les positions initiales de toutes les particules et la forme exacte de la fonctiond’onde du système total, il serait possible de prédire avec certitude dans quel paquet d’ondese trouve la particule après interaction avec l’atome d’hydrogène. Cependant, comme lesorbites des électrons sont très sensibles aux petites fluctuations et qu’il n’y a pas de moyende connaître suffisamment précisément ces positions, les physiciens sont obligés de recouriraux probabilités. Les probabilités n’ont donc pas le même statut que dans l’interprétationde Copenhague, elles sont pour Bohm utilisées par manque d’informations et ne sont pastout ce qu’il est possible de connaître.

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3. De la théorie de la double solution de de Broglie aux variables cachées de Bohm

Dans la deuxième partie de son article13, Bohm s’intéresse spécifiquement au processusde mesure dans la théorie des variables cachées. La mesure est conçue comme l’interactionentre le système et un instrument de mesure si bien que son traitement est, dans l’esprit,analogue à la la collision entre l’électron et l’atome d’hydrogène. Il prend le cas de lamesure d’une observable Q quelconque d’un électron de position x par un instrument demesure de position y et attribue à chacun un paquet d’ondes et un hamiltonien propres.Avant l’interaction, la particule et le système évoluent distinctement. Au moment de lamesure, un hamiltonien d’interaction entre en jeux. Bohm le suppose de type impulsif,c’est à dire que son temps d’action est suffisamment bref et son intensité suffisammentélevée pour que le temps de la mesure, les actions des autres hamiltoniens sur le systèmesoient négligeables. La mesure décompose la fonction d’onde dans l’espace des configu-rations en différents paquets d’ondes, à la manière de la lumière blanche qui traverse unprisme. Après l’interaction, les paquets d’ondes dans l’espace des configurations cessentd’êtres superposés et la variable position de l’appareil entre dans l’un d’entre eux quicorrespond à l’une des fonctions propres associée à la valeur propre de l’observable Q quel’expérimentateur lit sur son cadran. Comme cette valeur dépend uniquement des posi-tions initiales de la particule et de l’instrument de mesure, il serait en principe possiblede prédire avec certitude le résultat si ces variables étaient connues à l’avance. La mesureest un processus tout à fait déterministe et il n’y a pas d’interaction incontrôlable commedans l’interprétation de Bohr. Cependant, ces conditions initiales ne pouvant pas êtredéterminées, les prévisions de mesures ne peuvent être que probabilistes. Cette impossi-bilité de fixer les conditions initiales n’est que pratique et pas principielle. Elle provientde la grande sensibilité du potentiel quantique à ces conditions initiales qui contraignentà des prévisions uniquement probabilistes. L’intérêt majeur de la théorie des variablescachées de Bohm est qu’elle redonne les mêmes résultats que l’interprétation standardsans recourir à la réduction du paquet d’ondes.Bohm montre aussi que les variables « cachées » position et quantité de mouvement, qui

ont une existence intrinsèque, ne sont pas nécessairement identiques aux valeurs obtenuesaprès la mesure. Bohm l’illustre en considérant un électron au repos rendu possible quandla force qui dérive du potentiel classique est contrebalancée par la force qui dérive dupotentiel quantique. Dans ce cas la phase de l’onde est S =α−Et avec α une constante. Laquantité de mouvement est alors p=−∇S = 0. Or, dans la mécanique quantique standard,les valeurs propres, qui sont celles que l’expérimentateur lit sur son cadran, sont forcémentnon nulles. Bohm explique qu’une mesure modifie obligatoirement le système parce que lepotentiel quantique, défini dans l’espace des configurations, prend en compte les positions13Bohm-1952 Part II

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3. De la théorie de la double solution de de Broglie aux variables cachées de Bohm

de toutes les particules constitutives du système, y compris celles de l’appareil de mesure.L’interaction entre l’appareil et la particule convertit de l’énergie potentielle en énergiecinétique, la particule ne sera donc plus au repos après la mesure. Une conséquence directeest que la valeur de la position avant la mesure est inaccessible au physicien, c’est en celaque les variables sont « cachées ».

En résumé, Bohm lève l’opposition de Pauli en faisant remarquer qu’attribuer unefonction d’onde monochromatique à une particule, comme le fait de Broglie, est uneidéalisation qui ne permet pas de décrire adéquatement un système physique réel. Il peutainsi justifier le théorème de décomposition spectrale14 et retrouver les mêmes résultatsque la mécanique quantique standard. Cet article est à l’origine d’une nouvelle étape dansla controverse de la mécanique quantique puisqu’il offre une théorie à variable cachéesplus consistante que celle de de Broglie. Bohm en envoie une copie à ce dernier pendantl’été 1951 avant qu’il ne soit publié dans Physical Review. Ce n’est toutefois pas sondestinataire qui s’en saisira en premier, mais Vigier, son jeune assistant.

14En mécanique quantique, le théorème de décomposition spectrale permet de décomposer la fonctiond’onde (ou vecteur d’état en représentation de Dirac) en une somme de fonctions propres de l’opérateurcorrespondant à une observable dont on souhaite mesurer la valeur. Le carré du coefficient associé àchaque fonction propre donne la probabilité d’obtenir la valeur propre associée à la fonction propre.

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Deuxième partie .

Les principaux apports de Vigier à lathéorie de de Broglie et de Bohm

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4. De la relativité générale à la théoriede l’onde pilote

4.1. Une adhésion rapide à la théorie de la doublesolution

Après avoir quitté le CEA en 1950 suite à la purge des communistes, Vigier devientl’assistant de de Broglie à l’Institut Henri Poincaré et entreprend des recherches sur lathéorie unitaire relativiste. La théorie unitaire est initiée par Einstein en collaborationavec Grommer dans les années 1920, puis poursuivie avec Infeld et Hoffmann à la fin desannées 1930. L’idée de départ est d’étendre les concepts de la relativité générale au champélectromagnétique, c’est-à-dire de représenter les champs gravitationnel et électromagné-tique comme des déformations de la métrique de l’espace-temps. Les particules sont dessingularités à symétrie sphérique astreintes à suivre les lignes de courant de leur proprechamp dont les équations du mouvement sont, à l’instar de la la théorie de la relativitégénérale habituelle, non linéaires. Le but poursuivi par Einstein avec cette théorie estde trouver une loi physique unifiante qui dépasserait la mécanique quantique, théorie àlaquelle, bien qu’étant un de ses principaux acteurs pendant la première moitié du XXèmè

siècle, il tourne le dos car il considère qu’elle ne décrit pas complètement la réalité. Vigier,en s’inspirant des récents travaux de Schrödinger1 sur la question, essaye d’appliquer cesprincipes aux particules élémentaires. Il publie ses premiers résultats dans une note, pré-sentée par de Broglie, aux Comptes rendus de l’Académie des Sciences2. Il considère troistransformations infinitésimales de base de la métrique (une pseudo-torsion, une transla-tion et une transformation autométrique) qui lui permettent de retrouver les lagrangiensdes champs libres de Klein-Gordon (spin 0), de Dirac(spin 1/2) et de Proca (spin 1).

1Erwin Schrödinger, « The Affine Field Law I », dans Proceedings of the Royal Academy. Section A Vol.51 (1945-1948), 1947 p. 163-171 ; Erwin Schrödinger, « The Affine Field Law II », dans Proceedingsof the Royal Academy. Section A Vol. 51 (1945-1948), 1948 p. 205-216.

2Jean-Pierre Vigier, « Introduction géométrique des particules élémentaires en théorie affine », dansC.R. Académie des Sciences, T.232, 1951, p1187-1189.

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4. De la relativité générale à la théorie de l’onde pilote

Vigier pense que les lagrangiens de particules plus complexes pourraient s’obtenir parcomposition de ces transformations de base. Il estime cette voie féconde et projette dansun avenir bref de calculer les interactions entre particules et de donner des justificationsplus générales de sa démarche.

Pendant l’été 1951, David Bohm communique à de Broglie une copie de son articleportant sur ses nouvelles recherches sur la théorie de l’onde pilote. Comme on l’a vu,Bohm lève les objections que Pauli avaient formulées contre la théorie de l’onde pilote en1927 lors du congrès Solvay. De Broglie, bien que saluant les efforts de Bohm, est sceptiqueet s’en explique dans une note aux Comptes Rendus de l’Académie des Sciences datée du28 septembre 19513. D’après lui, la fonction ψ employée dans la théorie des variablescachées comporte plusieurs difficultés conceptuelles. Premièrement, ψ est complexe etdéfinie dans l’espace des phases donc elle peut difficilement être candidate pour représenterun processus physique. Deuxièmement, elle est d’une double nature, à la fois une ondephysique décrivant le système réel et onde de probabilité si bien que « le mouvement d’uncorpuscule est déterminé par des mouvements possibles qui ne sont pas réalisés »4. Dansl’esprit de de Broglie, c’est « la plus forte objection contre la théorie de l’onde pilote ».À l’opposé de la réaction de Broglie, Vigier se montre très enthousiaste. Il fait remar-

quer à de Broglie que la théorie de la double solution est très similaire à un théorème,démontré indépendamment par Einstein en 1927 et Darmois en 19265, en relativité gé-nérale qui assimile les particules à des singularités du champ de gravitation. Dans unenote d’octobre 1951 aux Comptes Rendus de l’Académie des Sciences6 qui ne laisse placeà aucun développement mathématique et se focalise sur des considérations très générales,il pense qu’il est possible de réinterpréter la théorie de la double solution dans le cadrede la théorie unitaire affine, qui est une extension du théorème d’Einstein et Darmois auchamp électromagnétique. À l’approximation newtonienne, Vigier constate que les trajec-toires définies en théorie unitaire relativiste coïncident avec celles calculées dans la théoriede l’onde pilote. Pour échapper à la deuxième objection de de Broglie, Vigier envisage qu’ilfaille revenir à la première forme de la théorie de de Broglie, celle de la double solution,qu’il avait rechignée à présenter au congrès Solvay de 1927. Sous cette forme, apparaissentdeux ondes, une physique ϕ et une probabiliste ψ solution de l’équation de Schrödinger.Le potentiel quantique de la théorie de Bohm dérive de l’onde physique et non de l’onde

3Louis de Broglie, « Remarques sur la théorie de l’onde pilote », dans C.R. Académie des Sciences T.233,1951, p. 641-644

4de Broglie préc. cit. p. 6445Louis de Broglie, La physique quantique restera-t-elle indéterministe ?, Gauthier-Villars, 1953. p. 186Jean-Pierre Vigier, « Introduction géométrique de l’onde pilote en théorie unitaire affine », dans C.R.Académie des Sciences T.233, 1951, p. 1010-1012.

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4. De la relativité générale à la théorie de l’onde pilote

probabiliste. Ainsi, les mouvements des particules sont définis par un champ physique.De Broglie encourage Vigier à explorer cette voie qui lui paraît être la seule raisonnabletout en demeurant très mesuré quant aux possibilités de succès7. Vigier se focalise dansun premier temps sur la justification mathématique de la théorie de la double solution,sans doute conscient que cette tâche est prioritaire pour obtenir un soutien rapide de deBroglie.Dès janvier 1952, Vigier présente une première solution possible à cette question dans

une note aux comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des Sciences8. Le nœud duproblème est de démontrer que les deux ondes sont égales, c’est à dire qu’elles sont demême module et de même phase à tout moment. Pour y parvenir, Vigier utilise dans lethéorème d’équipartition de l’énergie entre le champ et la particule à l’équilibre thermody-namique9. Cette première démonstration n’est pas reprise ultérieurement par Vigier sansqu’il s’en explique. Nous pensons que la raison est que cette démonstration étant valableque si le système est déjà à l’équilibre, elle n’est pas assez générale. Si le système n’est pas àl’équilibre thermodynamique, rien ne permet de prédire que quand il le sera, les particulesde la théorie des variables cachées atteindront la distribution statistique de la mécaniquequantique habituelle. C’est d’ailleurs une critique de ce type qui est formulée par Paulien 1952 contre la théorie de l’onde pilote et dont Vigier, en collaboration avec Bohm,trouvera une solution en introduisant de nouvelles hypothèses. Cette démonstration estretranscrite dans ce mémoire dans la partie présentant la thèse de Vigier.

En tout état de cause, la correspondance entre Bohm et de Broglie a donné une pers-pective nouvelle et inattendue aux recherches de Vigier entreprises en relativité générale.La conversion de Vigier aux idées de Bohm est quasiment instantanée et est pleine et en-tière. À partir de l’automne 1951, le perfectionnement de la théorie de la double solutiondevient sa principale préoccupation.

4.2. L’influence du marxisme dans les premiers travauxde Vigier

Le parcours scientifique de Vigier est très différent de celui de Bohm et de Broglie puis-qu’il est en 1951 à ses tout débuts en physique (il est mathématicien de formation et c’est

7Louis de Broglie, « Remarques sur la note précédente de M. Vigier », dans C.R. Académie des SciencesT.233, 1951, p. 1012-1013

8André Régner, Evry Schatzman et Jean-Pierre Vigier, « Sur la répartition statistique des mouvementsdes particules en Mécanique quantique », dans C.R. Académie des Sciences T.234, 1952, p. 410-412.

9Cf Annexe 14.1

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4. De la relativité générale à la théorie de l’onde pilote

pour cette compétence que de Broglie l’embauche) et n’a jamais effectué de recherchessur la mécanique quantique standard auparavant. Cette orientation rapide vers la théoriedes variables cachées interroge quant à ses motivations, d’autant plus qu’il travaille dansun contexte où la complémentarité de Bohr est hégémonique parmi la communauté desphysiciens, excepté en URSS. Vigier est adhérent au PCF et il est légitime de s’interro-ger sur la présence ou non, et si oui dans quelle mesure, d’un facteur philosophique, enl’occurrence le marxisme sous sa forme soviétique à l’origine de cette orientation.Il faut distinguer deux aspects de cette question. Le premier est le fait que Vigier parti-

cipe, au sein de l’IHP, avec entre autres Marie Antoinette Tonnelat, au programme initiépar Einstein d’édifier une théorie unitaire relativiste, c’est-à-dire une théorie qui évite lesquanta. Ceci serait un élément fort pour conclure que Vigier s’oppose dès cette période àl’interprétation probabiliste de la mécanique quantique et qu’il est proche des conceptionseinsteiniennes de la matière. Cependant, ceci n’a pas de lien avec une critique marxiste dela mécanique quantique, car d’une part les principaux protagonistes qui participent à lathéorie unitaire relativiste ne se réclament en aucun cas de cette philosophie, et d’autrepart les idées d’Einstein sont vivement critiquées dans les milieux marxistes et la théorieunitaire ne trouve aucun écho dans les cercles de physiciens soviétiques.Le deuxième aspect est l’existence ou non d’un « facteur marxiste » qui serait à l’origine

de l’orientation de Vigier vers la théorie de Bohm, en plus de la simple analogie que Vigierdécèle entre cette dernière et ses travaux en relativité générale.Dans sa thèse, Otem Mpisi répond positivement à la deuxième question avec comme seul

prétexte l’adhésion de Vigier au PCF10. Nous proposons de réévaluer cette affirmation ennous appuyant sur le contenu des publications scientifiques de Vigier ainsi que sur quelqueséléments de contextes.

Dans les premières recherches de Vigier, trois grandes hypothèses de travail se dégagent.Ces hypothèses peuvent se résumer ainsi :

• Les particules sont des singularités du champ et suivent les lignes de courant quidéfinissent leurs trajectoires. Vigier ajoute que l’évolution de ces singularités doitêtre gouvernée par des équations non linéaires d’après la théorie unitaire relativiste.

• La théorie des variables cachées doit se présenter sous la forme de la double solution(fonctions physique ϕ et probabiliste ψ) pour lever toute ambiguïté sur la naturedes mouvement des particules.

10Mangal Otem Mpisi, Louis de Broglie das la physique du XXème siècle, Thèse soutenue à l’Universitéde Strasbourg 1, 1995, p. 382.

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4. De la relativité générale à la théorie de l’onde pilote

• La fonction probabiliste ψ décrit un ensemble statistique de micro-objets et estsolution de l’équation de Schrödinger.

S’il existe un facteur philosophique, il devrait se manifester dans au moins un de ces troisaxes.Le premier de ces axes est celui qui a permis à Vigier de faire le rapprochement entre ses

travaux en relativité générale et la théorie de Bohm. Nous verrons que la non linéarité estessentielle car elle permet d’expliquer le postulat d’égalité des phases de de Broglie, c’està dire pourquoi la singularité est astreinte à suivre une des lignes de courant du champ.Cette perspective relativiste de Vigier indique, tout au plus, une certaine proximité de sesidées avec le réalisme einstenien.Le deuxième axe est une conséquence des remarques conceptuelles de de Broglie afin

que la nouvelle théorie soit cohérente.Le dernier axe est celui qui fait le lien entre la théorie standard et la théorie à va-

riable cachées. L’interprétation statistique de la fonction d’onde est une hypothèse déjàprésente dans la première version de la théorie de la double solution de de Broglie. Elleest certes partagée par Blokhintzev et Terltetzki, les deux principaux pourfendeurs de lacomplémentarité de Bohr en Union Soviétique. Depuis la campagne de Jdanov en 1947contre les sciences dites « bourgeoises », elle est l’interprétation officielle en Union So-viétique, au détriment de la branche soviétique de l’interprétation de Copenhague dontles principaux protagonistes sont Fock, Landau et Tamm. Cependant, l’aspect statistiqueest uniquement mentionné par Vigier comme relevant de la théorie de la double solution.Les physiciens soviétiques ne sont jamais cités dans ses premières notes à l’Académie desSciences au contraire de ses publications ultérieures.

Nous pouvons compléter ces remarques en contextualisant les travaux de Vigier parrapport à l’état d’esprit des intellectuels communistes français vis-à-vis des questions re-latives à l’interprétation de la mécanique quantique. En effet, bien que la lutte contrel’interprétation de Copenhague en URSS ait une actualité brûlante et qu’il serait logique,en première approximation, d’en déduire, à cause de la proximité de l’idéologie des com-munistes français avec celle de leurs homologues soviétiques, qu’il doit en être de mêmeen France, en réalité il n’en est rien. Force est de constater qu’il existe, sur ce sujet, unretard des français par rapport à leur homologues soviétiques. En effet, si en dernièreanalyse, en matière de philosophie des sciences, les positions du PCF sont généralementcalquées sur celle du PCUS, ceci ne veut pas dire qu’elles coïncident à chaque instant. Lesphysiciens soviétiques et français peuvent évoluer à des rythmes différents et n’ont pas lesmêmes priorités à un instant donné en raison d’un contexte social et politique différent

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4. De la relativité générale à la théorie de l’onde pilote

dans les deux pays. Pour s’en convaincre, il suffit d’éclairer les quelques années précédantles premiers travaux de Vigier à la lumière de l’état d’esprit des intellectuels communistesvis-à-vis de la physique et des sciences en général. Les sommaires des deux principalesrevues intellectuelles communistes qui sont La Pensée et La Nouvelle Critique constituentà ce propos un bon indicateur.Nous constatons qu’à la différence des physiciens soviétiques, l’interprétation de la mé-

canique quantique n’est pas pour les physiciens proches et adhérents au PCF une ques-tion prioritaire entre 1948 et 1951. L’idéologie de Jdanov sur l’existence de deux sciences,l’une bourgeoise et l’autre prolétarienne, est véhiculée par les dirigeants du parti, maisles sciences physiques sont relativement tenues à l’écart en comparaison de la biologie oùles thèses lyssenkistes sont largement diffusées. À cette époque, la majorité des physicienscommunistes se préoccupe davantage de politique intérieure et toutes les forces s’occupentà dénoncer la course à l’armement atomique, la création du CERN qui serait un avantposte des États-Unis en Europe, ou encore les purges des communistes dans l’administra-tion dont sont victimes, entre autres, Frédéric et Irène Joliot-Curie. Pendant ces quatreannées, un seul article, du physicien communiste Gérard Vassails, est entièrement dédiéà l’interprétation de la mécanique quantique11 dans le numéro 36 de mai-juin 1951 de LaPensée12. L’auteur ne fait aucune référence à l’interprétation soviétique et il ne remet pasen cause, de quelque que manière que ce soit, les postulats de la mécanique quantique.Citant Paul Langevin, il explique en quoi le hasard permet de réfuter le déterminismemécaniste incarné par la physique classique qui « n’est que le déguisement pseudo scien-tifique du fatalisme théologique ». Ce hasard est, pour Vassails, la preuve de la justessedu matérialisme dialectique tel qu’il fut présenté par Engels puis par Lénine. Il est cepen-dant considéré comme une limite temporaire de la connaissance des lois naturelle et noncomme une barrière infranchissable. D’après Vassails, « en mécanique quantique le phéno-mène individuel le plus fin est le « saut quantique », changement qualitatif produisant unquantum d’action. La tâche de la physique à venir est de dépasser la statistique quantique,de pénétrer le saut quantique individuel, d’analyser le quantum d’action ». Ceci souligneque l’objectif d’aller par delà la constante de Planck est déjà présent chez certains physi-ciens communistes avant que Vigier ne s’intéresse à la théorie de l’onde pilote. Néanmoins,Vassails est prudent et s’en tient à des considérations très générales et n’aborde pas laproblématique de la complétude. À titre d’anecdote, l’article de Vassails est écrit quelquemois avant le deuxième revirement de De Broglie et c’est ce dernier qui est visé lorsqu’il11D’autres l’évoquent mais dans des discussions plus générales sur la science ( Francis Halbwachs, « De la

connaissance du monde physique », dans La Pensée n° 16, 1948, p. 79-86 ; Sergey Ivanovich Vavilov,« Lénine et la physique moderne », dans La Pensée n°23, 1949 )

12Gérard Vassails, « Dialectique du hasard », dans La Pensée n°36, 1951, p. 21-30.

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4. De la relativité générale à la théorie de l’onde pilote

dénonce la tentation de dresser une barrière infranchissable à la connaissance du mondemicroscopique à partir du quantum d’action, Bohr et Heisenberg ne sont d’ailleurs jamaiscités.

En conclusion de cette première période qui retrace les premiers pas de Vigier en phy-sique, il ne fait aucun doute que Vigier est matérialiste avant de se tourner vers la théoriedes variables cachées. Vigier est adhérent au PCF depuis le début de la Seconde GuerreMondiale et sa pensée s’est indéniablement nourrie de la philosophie prônée par son parti.Nous verrons aussi que son adhésion au PCF favorisera la promotion de ses travauxpar certains intellectuels, comme faire-valoirs d’une authentique démarche matérialiste enscience. Vigier, loin de s’y opposer, va soutenir et développer cette idée.Cependant, la pratique scientifique de Vigier n’a pas de lien direct avec les débats sovié-

tiques et français sur l’interprétation de la mécanique quantique. Les débats soviétiquesne sont pas encore parus dans la presse communiste française et les maigres contribu-tions des physiciens communistes français à l’interprétation de la mécanique quantiquene constituent pas une base philosophique assez solide sur laquelle Vigier aurait pu s’ap-puyer pour ériger les grandes orientations de son programme de recherche. Tout au plus,l’interprétation soviétique n’a joué qu’un rôle indirect, par l’intermédiaire de Bohm quireconnaît s’être emparé de la question après la lecture d’articles de physiciens russes surl’interprétation de la mécanique quantique.C’est par le hasard des circonstances qu’il se tourne à ce moment là vers la théorie des

variables cachées de Bohm et c’est avec l’enthousiasme du jeune physicien qu’il l’accueillecomme en témoigne son article du 28 octobre 1951. En effet, ses premiers articles nelaissent transparaître aucune justification d’ordre épistémologique de sa démarche à ladifférence, comme nous allons le voir, de ses travaux futurs. Le facteur essentiel est àchercher dans la double orientation de ses travaux, relativiste et quantique. C’est biencela qui lui a permis de se saisir de la théorie de Bohm.

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5. Changement de contexte

Le relatif désintéressement des communistes français vis à vis de l’interprétation de la mé-canique quantique ne perdure pas en 1952 et ce non sans rapport avec les recherches deVigier, Bohm et de Broglie. Peu à peu, ces questions vont prendre un poids plus importantdans la presse communiste. Entre 1952 et 1955, treize articles sont publiés sur ce thèmedans la Nouvelle Critique et la Pensée. Il s’agit principalement d’articles de physiciensfrançais mais sont présentes également quelques traductions d’articles soviétiques. L’évo-lution se traduit aussi par le contenu : les récents travaux de Bohm, Vigier et de Broglieentrent en résonance avec avec le climat hostile qui s’installe envers l’interprétation deCopenhague parmi les physiciens communistes français. La théorie des variables cachéesest utilisée à des fins de propagande marxiste aux côtés de l’interprétation statistique desphysiciens soviétiques.

Les Éditions de la Nouvelle Critiques publient en 1952 Questions Scientifiques 1, unouvrage en trois tomes qui compile des réflexions soviétiques sur les sciences et leur inter-prétation dans le cadre de la philosophie marxiste. Le premier tome traite de la physiqueet des traductions d’articles de Blokhintzev et Terletzki sont sélectionnées pour repré-senter la mécanique quantique. Pour cette génération de physiciens communistes, dontVigier, ce livre devient une référence majeure maintes fois citée. D’après les physiciens so-viétiques, Bohr et ses collaborateurs considèrent que si le formalisme mathématique de lamécanique quantique permet de rendre compte correctement de résultats expérimentaux,il ne correspond à aucune ontologie c’est-à-dire à aucune notion de réalité indépendantede l’observateur. Puisque la position et la quantité de mouvement d’une particule nesont pas mesurables simultanément en vertu des relations d’Heisenberg, ces grandeursn’ont pas de réalité en dehors d’une mesure particulière. Pour les mêmes raisons, ondeet corpuscule sont des concepts complémentaires et mutuellement exclusifs relatifs à uncontexte expérimental. Ces concepts sont des expédients de la mécanique classique et nesont en aucun cas des propriétés réelles de la matière à l’échelle microscopique. Ils sontcependant les seuls à disposition de l’expérimentateur pour qu’il réalise ses mesures car il

1Sergeï Georgievich et al.,Questions Scientifiques, Tome 1 Physique, Les éditions de la Nouvelle Critique,1952.

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5. Changement de contexte

est lui même un être macroscopique. Les relations d’Heisenberg traduisent une interactionincontrôlable entre l’appareil de mesure et le système. Blokhintzev qualifie de positivisteet d’idéaliste l’interprétation de Copenhague et rejette son instrumentalisme. La fonctiond’onde de la mécanique quantique correspond à une réalité physique et n’est pas qu’unêtre mathématique utile pour prévoir des résultats de mesures. Pour Blokhintzev, les par-tisans de l’école de Copenhague prennent le problème à l’envers en plaçant en haut del’échelle le principe des observables. Les comportements corpusculaire et ondulatoire dela matière reflètent des propriétés objectives de l’état du système quantique et ne sontpas une limitation de l’observateur pour étudier ces systèmes. C’est parce que ces pro-priétés coexistent qu’il existe deux classes d’instrument de mesure, de types impulsif etposition et non l’inverse. Les relations d’Heisenberg soulignent les limites du déterminismemécaniste classique car il n’est pas possible d’isoler le comportement d’une particule deson environnement macroscopique. L’erreur des partisans de l’école de Copenhague estpour lui de considérer la théorie quantique comme décrivant des particules individuellesisolées au lieu d’un ensemble statistique. Dans son interprétation, « la fonction d’onden’est pas caractéristique de la particule microscopique en soi mais la caractéristique deson appartenance à un ensemble quantique » 2.

La même année, l’astrophysicien communiste Evry Schatzman, qui collabore avec Vi-gier , écrit un article au mois de mai pour la Pensée3. C’est la première fois que la théoriedes variables cachées de Bohm, Vigier et de Broglie figure dans la presse communiste.C’est aussi le première fois qu’une critique de front est adressée à l’interprétation deCopenhague. Le principal reproche adressé par Schatzman à l’interprétation de Copen-hague est de renoncer à intégrer la notion de trajectoires des particules sous prétextequ’elles ne sont pas observables. Pour cette raison, il qualifie lui aussi Bohr et ses colla-borateurs d’idéalistes et de positivistes. Pour Schatzman, l’existence de trajectoires estune condition nécessaire au déterminisme. Les récents développements ouvrent une voiepour remédier aux manquements de la mécanique quantique standard, car ils permettentd’expliquer le mouvement des particules par delà l’indéterminisme des relations d’Heisen-berg. Pour cette raison, il ne manque pas d’éloges pour la théorie des variables cachéeset place de grands espoirs en elle. Schatzman tente de connecter cette théorie et l’inter-prétation statistique soviétique. La nouvelle théorie serait à l’interprétation soviétique ceque la mécanique classique est à la théorie cinétique des gaz de Maxwell et Boltzmann.Néanmoins, si Blokhintzev pense que le développement de la science complètera tôt ou

2Dmitri Ivanovich Blokhintsev, « Critique de la conception idéaliste de la théorie quantique », QuestionsScientifiques, Tome 1 Physique, Les éditions de la Nouvelle Critique, 1952, p. 112.

3Evry Schatzman, « Physique quantique et réalité », dans La Pensée n° 42-43, 1952, p. 110-122.

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tard la mécanique quantique par d’autres paramètres, ce ne sont certainement pas, pourlui, ceux de la théorie de Bohm. La voie empruntée par la théorie des variables cachéesest en flagrante contradiction avec l’interprétation statistique de Blokhintzev. Dans sacommunication de 1947, ce dernier prend bien le soin de préciser que « l’hypothèse quel’électron dans l’atome possède des valeurs simultanées, qu’elles qu’elles soient de x et dep n’est pas en accord avec les données de l’expérience. Les particules microscopiques nesont pas des objets auxquels s’applique la notion de mouvement le long d’une trajectoire »4.La promotion de la théorie des variables cachées semble autant vouée à la propagande

politique en France qu’à faire figure de bon élève auprès des soviétiques dans la campagnecontre les sciences idéalistes. La conclusion de Schatzman ne laisse d’ailleurs aucun doutesur le public auquel il s’adresse 5 :

Théorie matérialiste, déterministe du mouvement de la matière, éliminationdes interprétations idéalistes, développement des lois des changements qualita-tifs, et prise en considération conséquente de la loi de l’interaction universelle,tel est le sens nécessaire du nouveau développement de la théorie quantique etsa portée philosophique. Tous les matérialistes se réjouiront de la possibilitéainsi donnée à la physique quantique de nous aider à révéler les propriétés dela matière.

Cette quête d’une reconnaissance scientifique auprès du grand frère soviétique est uneconstante dans les articles faisant l’éloge de la théorie de la double solution. EugèneCotton, lorsqu’il présente le premier tome de Questions Scientifiques dans la Pensée6 ,effectue le même parallèle que Schatzman. Ce n’est pas un hasard, car à cette périodel’URSS jouit dans tous les domaines d’une grande autorité intellectuelle sur la couchedirigeante du PCF.

Ce changement de contexte touche également Vigier qui devient, parmi les communistesfrançais, un acteur de premier plan dans la lutte contre l’interprétation de Copenhague.Il est régulièrement invité dans des conférences organisées par les communistes sur lessciences et il écrit ses premiers articles dans la presse communiste à partir de 1953. Sapremière contribution publique à l’interprétation de la mécanique quantique se déroule lorsd’un colloque organisé à la Sorbonne le 24 mai de cette année par la Pensée à l’occasion

4Blokhintzev p. 122.5Schatzman p 122.6Eugène Cotton, « Une importante contribution à la lutte contre l’indéterminisme en physique », dansLa Pensée n°50, 1953, p. 96-100.

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des 70 ans de la mort de Karl Marx. Il intervient aux côtés du minéralogiste Jean Orcelet de l’astrophysicien Evry Schatzman sur le thème de l’objectivité des lois naturelles.Le début de son allocution est significatif de la dimension philosophique qu’il souhaitedonner à son travail de physicien :

Je voudrais introduire brièvement, à propos de cet anniversaire de KarlMarx, le problème de la lutte entre l’idéalisme et le matérialisme dans lessciences et notamment faire le point dans un domaine où cette lutte est parti-culièrement âpre, la physique quantique. Je voudrais aussi parler brièvementde la question du déterminisme. En fait, cette lutte s’oriente autour des thèsesfondamentales du matérialisme dialectique. La première de ces thèses, c’estl’affirmation de la réalité du monde extérieur et de la matérialité de ce monde.On sait que cette affirmation est une thèse fondamentale du matérialisme dia-lectique. Cette thèse a été confirmée par le développement de la science jusqu’ànos jours et elle a été cependant sérieusement remise en question à partir de1927 avec le développement de la physique quantique, surtout par l’école ditede Copenhague.

Après avoir justifié du point de vue du physicien l’intérêt de la théorie de la double solutionpar ses similitudes avec la relativité générale, Vigier en donne une justification philoso-phique. La mission qu’il s’attribue, en tant que communiste, est de rétablir la continuitéconceptuelle de la science qui existe depuis la mécanique classique mais qui a été briséepar la mécanique quantique, c’est à dire la reconnaissance d’une réalité indépendante del’observateur.Il faut remarquer qu’aucun postulat de la mécanique quantique ne nie l’existence d’une

réalité indépendante de l’observateur. Cette négation résulte uniquement de son interpré-tation par certains physiciens. Cependant, Vigier ne fait pas de distinction claire entreloi physique et interprétation de cette loi, et ce aussi bien lorsqu’il parle de la mécaniquequantique standard, qu’il assimile à l’interprétation de Copenhague, que lorsqu’il parlede la théorie qu’il soutient. Il est d’accord avec Bohr lorsqu’il déclare que la mécaniquequantique est incapable de donner une description spatio-temporelle et déterministe desparticules microscopiques individuelles7. Sa divergence avec Bohr est qu’il pense qu’unetelle description est possible. D’ailleurs, il rebaptise la théorie de la double solution « théo-rie causale », ce qui implique, de fait, qu’il existerait une mécanique quantique non causale.Dans ce schéma de pensée, la science ne se distingue pas de la philosophie, et il est permis

7Niels Bohr, « On the Notions of Causality and Complementarity », dans Dialectica n°2, 1948, p. 312-319.

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5. Changement de contexte

de penser qu’il existe, tout comme en philosophie, une science idéaliste et une sciencematérialiste. La philosophie, par certains aspects, devient première et s’érige en guidepour la science, puisque c’est dans la nécessité de restaurer le matérialisme en science queVigier trouve la justification de ses recherches en mécanique quantique. Ce primat de laphilosophie sur la science n’est pas consubstantielle au marxisme, d’autres physiciens quise réclament de cette philosophie et qui lui sont contemporains comme François Lurçat,Vladimir Fock ou Léon Rosenfeld, essayent au contraire d’expliquer en quoi les résultatsde la mécanique quantique confirment les thèses fondamentales du matérialisme dialec-tique. La réduction de la théorie à son interprétation par ses auteurs est caractéristique dela philosophie soviétique pendant la période stalinienne. C’est ce procédé qui a été utilisépendant la « jdanovtchina »8 pour disqualifier la relativité générale en prétextant l’idéa-lisme de ses auteurs tels Eddington, Jordan ou Russel et Einstein9. Sur ce point, Vigierépouse complètement le marxisme soviétique. L’élève dépasse même le maître puisque siles soviétiques se restreignent à la critique et à la réinterprétation de résultats connus,Vigier va jusqu’au bout de la démarche en proposant une formulation alternative à lamécanique quantique.

L’intérêt pour la mécanique quantique chez les intellectuels communistes à partir de1952 donne une nouvelle perspective à Vigier. Dans ses textes à vocation militante, ilressort nettement une volonté d’édifier une théorie des particules individuelles en phaseavec l’interprétation statistique de l’école soviétique. Nous allons maintenant constaterque ce tournant n’est pas exclusivement présent dans ses écrits à vocation militante maistransparaît y compris dans ses publications scientifiques.

8Intense campagne idéologique menée par Staline, du nom de son assistant André Jdanov au ComitéCentral du PCUS, contre la « culture bourgeoise » et qui se répercute dans toutes les sphères in-tellectuelles. voir Loren R. Graham, Science, philosophy and human behaviour in the Soviet Union,Columbia University Press, 1987, p. 15

9Graham p358-359

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Entre 1952 et 1954, Vigier effectue un doctorat sous la direction de de Broglie. Il sepropose d’approfondir et de formaliser ses premiers travaux en physique théorique. Il sou-tient sa thèse intitulée Recherche sur la théorie causale de la théorie des quanta le 11décembre 1954 à la Sorbonne avec un jury composé de Georges Darmois, André Lichnero-wicz et Marie-Antoinette Tonnelat. Ce jury souligne l’apport relativiste de Vigier puisquetous travaillent sur cette théorie dans les années 1950. Pendant ce travail de doctorat,Vigier rédige deux notes aux Comptes rendus des séances hebdomadaires de l’Académiedes sciences à l’automne 19521, et une partie d’un ouvrage de de Broglie, La mécaniquequantique restera-t-elle indéterministe ?, en 1953. Dans la mesure où sa thèse reprendl’intégralité des résultats de ces quelques publications, nous nous baserons principalementsur cet ouvrage pour la retranscription et l’analyse de ses travaux scientifiques.

La thèse de Vigier est un document de cent quatre-vingt-dix pages. En plus de l’intro-duction, il comprend six chapitres et vingt-deux pages d’annexes. Tout les résultats nesont pas de Vigier, le document se présentant comme le bilan général de l’avancementde la théorie. Le premier chapitre est un résumé des différentes formes de la théorie dela double solution, c’est à dire avec ou sans explicitation du potentiel quantique dansles équations de Schrödinger, Klein-Gordon et Dirac2. C’est essentiellement un rappeldes réalisations précédentes de Bohm et de Broglie. Le cinquième et le sixième chapitre,qui s’intéressent aux particules en interaction et à la mesure, résument pour une grandepart la publication de Bohm de 1952. Les développements des chapitres deux et trois sontpropres à Vigier. Ce sont ceux qui font le lien entre la relativité générale et la théorie de ladouble solution. Le quatrième est une réflexion sur le hasard et le déterminisme effectuéen collaboration avec Bohm. En plus de l’introduction, nous porterons notre attention

1Jean-Pierre Vigier, « Forces s’exerçant sur les lignes de courant usuelles des particules », dans C.R.Académie des Sciences T.235, 1952, p. 1107-1109.

2voir Virgile Besson, La théorie de la mesure dans la thèse de Jean-pierre Vigier, Mémoire de M1 HPDS(Lyon 1), 2010

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6. Une théorie au service d’une lutte philosophique

sur ces trois chapitres que nous enrichirons avec d’autres sources contemporaines à cetteépoque.

6.1. L’introduction de la thèse : au croisement entrescience, philosophie des sciences et histoire dessciences.

En qualité d’introduction, Vigier y annonce sa problématique de départ qui justifie larédaction d’une thèse sur la théorie de la double solution. Ce qui est remarquable, c’estque les arguments employés pour justifier son programme de recherche ne diffèrent pas deceux de ses textes politiques. Certes, il ne dit pas explicitement qu’il souhaite ériger unethéorie compatible avec sa vision du marxisme, mais entre les lignes c’est de cela dontil s’agit. Dès les premières lignes, l’entremêlement de la science et de la philosophie quicaractérise la pensée de Vigier est présent :

Le développement de la théorie de la Relativité Générale et la découvertedes propriétés ondulatoires des micro-objet ont bouleversé les idées classiquessur la nature du monde physique. Des concepts qui paraissaient indestruc-tibles, tel le caractère déterministe des phénomènes, ont été remis en causeet les controverses ainsi ouvertes, il y a plus de trente ans, ne sont pas closesaujourd’hui. On peut même affirmer sans paradoxe que la crise engendrée parles nouvelles théories est loin d’être résolue, comme en témoignent les diffi-cultés auxquelles se heurte actuellement la théorie des quanta au niveaux desphénomènes nucléaires.Les travaux exposés dans cet ouvrage sont étroitement rattachés aux pro-

blèmes soulevés au cours des controverses précédentes.

Vigier ne cache pas son objectif en attaquant par la question du déterminisme dans laphysique moderne. Il choisit une problématique philosophique et non scientifique et sedistingue des canons académiques habituels pour ce type de travail. D’ailleurs, il inscritvolontairement sa thèse dans l’histoire de la controverse sur l’interprétation de la méca-nique quantique. En plus du déterminisme, l’autre concept qui paraissait indestructibleest le réalisme. D’après Vigier, ce sont des acquis de la physique classique qu’il n’est paspossible de remettre en cause. Les physiciens, d’Isaac Newton à James Clerk Maxwell, ontbâti une physique qui se veut être une description objective du monde matériel, les loissont vraies de tout temps et en tout lieu et ne dépendant pas d’un contexte expérimental

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6. Une théorie au service d’une lutte philosophique

particulier. L’intelligibilité du monde est rendu possible parce que les phénomènes natu-rels ne sont pas contingence pure. Le déterministe des lois n’est que l’expression de l’étatréel des mouvements et des transformations de la matière. C’est pour cela que détermi-nisme et réalisme sont promus au rang de critère de scientificité auquel aucune théoriescientifique ne doit se soustraire.

En revanche, Vigier prend soin de préciser que l’incapacité d’unifier les lois des champset les lois du mouvement des corps sur les bases de la mécanique classique, et donc decomprendre l’interaction entre les champs et les particules, a conduit cette physique dansune crise à la fin du XIXème et du début du XXème Siècle. La découverte de la dua-lité onde-corpuscule, « véritable drame de la microphysique moderne »3, a définitivementcondamné l’ancienne mécanique. Le véritable drame pour Vigier est aussi la théorie quis’est développée à partir de cette donnée expérimentale. Au lieu de préserver l’héritageclassique tout en l’adaptant aux nouvelles contraintes, le courant dominant des physiciens,sous l’autorité de l’école de Copenhague, l’a rejeté :

Pour l’école de Copenhague, la notion classique de connaissance est dépour-vue de sens. L’objet de la physique n’est pas de décrire le comportement réeldes choses, mais uniquement de construire un symbolisme mathématique quipermette de rendre compte des résultats expérimentaux. Cette position connuedes philosophes sous le nom de positivisme s’exprime clairement dans la décla-ration de Niels Bohr citant Heisenberg « ... les phénomènes (microscopiques)sont en quelques sorte engendrés pas les observations répétées. »

Vigier insinue même que la remise en cause des concepts classiques serait à l’origine des dif-ficultés théoriques auxquelles la physique du noyau est confrontée en ce début des années1950. Il fait ici probablement allusion au problème d’application de la théorie quantiquedes champs pour expliquer l’interaction nucléaire. Par analogie avec l’électrodynamiquequantique (QED) qui attribue au photon la propagation de l’interaction électromagné-tique, les physiciens ont pensé que le vecteur de l’interaction nucléaire est un méson.Dans ce cas, la constante de couplage (g2/h̄c) prend des valeurs bien supérieures à l’unitéce qui rend impossible l’utilisation de la théorie des perturbations. Cependant, il n’estpas question pour Vigier de proposer dans l’immédiat une éventuelle solution pour ré-soudre ces problèmes. L’existence de la théorie causale n’a pas ici d’autre justification quel’incompatibilité de la mécanique quantique avec une certaine conception du monde.Rejetant l’instrumentalisme de l’interprétation de Copenhague, Vigier souhaite construire

une théorie dans laquelle les micro-objets soient descriptibles dans un cadre spatio-temporel.3Vigier Thèse p. 3

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6. Une théorie au service d’une lutte philosophique

Dans celle-ci, les micro-objets ont toujours un aspect corpusculaire, c’est-à-dire qu’ils pos-sèdent une trajectoire qui existe « indépendamment de toute observation ». L’aspect cor-pusculaire ne suffit pas car il ne permet pas d’expliquer le comportement ondulatoire dela matière qui se manifeste, par exemple, dans les expériences d’interférences des fentesd’Young. Vigier explique qu’il faut ajouter un aspect étendu aux micro-phénomènes. Àla différence de la mécanique quantique de Bohr et Heisenberg, le réalisme de Vigierimplique, à l’instar de de Broglie en 1927, qu’onde et corpuscule sont des propriétés si-multanées des particules à l’échelle microscopique. La nouvelle théorie doit réussir là oùla physique classique a échoué. Le seule chemin d’unification viable pour Vigier est deréduire la physique aux lois des champs en assimilant les corpuscules à des singularités.Ce choix est bien entendu guidé par ses premiers travaux en relativité.Vigier ajoute que si la mécanique quantique ne peut pas représenter les particules in-

dividuelles pour les raisons citées précédemment, ses prévisions probabilistes sont plusque toute autre théorie en accord avec l’expérience. Comme les physiciens soviétiques, ilconsidère que cette théorie est une théorie des ensembles statistiques, mais cette explica-tion n’est pas entièrement satisfaisante à ses yeux. Pour Vigier, il existe nécessairementune loi qui décrit le comportement des particules individuelles qui permet de retrouverla statistique quantique, c’est à dire qui explique pourquoi dire pourquoi l’onde continueψ solution de l’équation de Schrödinger permet de décrire de tels ensembles statistiques.C’est à partir entre autre de ce questionnement que va émerger chez lui une réflexion pro-fonde sur la nature objective des probabilités et du rapport entre hasard et déterminismeen général.

À l’issue de cette présentation de l’introduction de la thèse de Vigier, nous pouvonsfaire les remarques suivantes. Premièrement, la bijection entre science et philosophie dansla pensée de Vigier fait qu’il transforme une problématique philosophique (le réalismeet le déterminisme dans la science moderne) en une problématique scientifique (trouverune loi des champs qui permette de rendre compte des phénomènes quantiques). À partirde catégories philosophiques abstraites, la matérialité et le déterminisme, qui sont desproduits du développement historique de la science et de la philosophie, dont les défini-tions peuvent donc évoluer, Vigier cherche à faire correspondre la mécanique quantique àses propres représentations qu’il a de ces catégories philosophiques, représentations trèsempruntes dans leur esprit à celles de la mécanique classique. Il est important de noterque c’est une démarche entreprise consciemment par Vigier. Deuxièmement, telle qu’elleest exposée dans sa thèse, la démarche de Vigier est l’inverse de sa démarche réelle. Ini-tialement c’est la relativité générale qui l’a conduit vers la théorie de la double solution,alors qu’ici il part des problèmes conceptuels de la mécanique quantique, qui justifient le

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recours à la double solution, et que la théorie unitaire relativiste arrive en dernier pourdonner une consistance mathématique et physique à cette théorie.

6.2. La théorie de la double solution et la relativitégénérale

Deux chapitres de la thèse de Vigier sont consacrés au rapprochement entre d’une partla version de la relativité générale, formulée indépendamment par Einstein et Darmoisdans les années 1920 et qui servira de point de départ à la théorie unitaire relativiste, etd’autre part la théorie de la double solution. Comme nous l’avons déjà évoqué, Vigier avaitobservé que toutes deux assimilent les particules à des singularités d’un champ étendu.Là où se trouve la particule, la valeur du champ est très élevée par rapport aux valeurshabituelles. Ainsi, il n’y a plus de distinction entre champ et particules et conformémentaux idées d’Einstein, Grommer et Infeld, toute la matière est ramenée à une substancede genre espace. Cette représentation continue de la matière, remarque Vigier, est uneidée assez ancienne, déjà en germe au XIXèmesiècle comme l’atteste cette citation qu’ilemprunte à Faraday 4 :

J’éprouve une grande difficulté à concevoir des atomes de matière supposésdans les solides, fluides et vapeurs, plus ou moins séparés les uns des autreset baignant dans un espace non occupé par des atomes : et j’aperçois degrandes contradictions découlant d’un tel point de vue. Je ne peux imaginerde différence entre une petite particule dure et les forces qui l’entourent. Lamatière d’un atome touche celle de son voisin. La matière est par là continued’un bout à l’autre. La matière emplit tout l’espace, ou du moins tout l’espaceoù s’étend la gravitation.

Vigier marque par là sa volonté de s’affilier dans une tradition réaliste de physiciensqui ne se satisfont pas uniquement des équations mathématiques, il faut encore que ceséquations s’insèrent dans un modèle qui soit ontologiquement acceptable. Ce réalisme deVigier s’accommode parfaitement de cette unité entre champ et matière. La réduction deslois de la physique aux lois du champ est pour Vigier la transcription dans le domaine dela physique d’une des thèses fondamentales du matérialisme dialectique : l’unité du mondematériel. L’unité est double : unité de la structure (la matière est réduite à un champ)

4Vigier Thèse p. 46-47

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et unité des échelles (les lois du champ s’appliquent aussi bien à l’échelle macroscopiquequ’à l’échelle microscopique)5.

Si les ressemblances conceptuelles entre les théories de de Broglie et d’Einstein sontréelles, la théorie unitaire ne s’intéressent qu’au cas des particules non quantiques, ilreste alors pour Vigier à trouver dans le cadre de cette théorie « une définition nouvelledes microparticules qui fournisse en lieu et place des mouvements relativistes classiquesles mouvements continus de l’interprétation causale »6.Vigier ne prétend pas donner unesolution définitive au problème et les résultats présentés dans la thèse ne sont que partiels.Ceci est aussi dû au fait que la théorie unitaire relativiste, à laquelle il pense pouvoirraccrocher la théorie de la double solution, n’est pas une théorie aboutie et universellementreconnue. Pour cette raison, il choisit de se placer dans le cadre de ce qu’il appelle la théorie« naïve » de la relativité générale d’Einstein, à savoir celle développée avant l’extensionaux théories unitaires. L’inconvénient de celle ci, note Vigier, est qu’elle introduit destenseurs physiques a priori dont la signification géométrique n’est pas précisée7. Cecin’est pas dérangeant outre mesure, remarque-t-il, car les équations du champ de cetteversion « naïve » correspondent, à l’approximation galiléenne, à celles de la théorie unitairerelativiste et que son étude se restreint à cette approximation.Le premier des deux chapitres « relativistes » est l’occasion pour Vigier de redémontrer

quelques anciens résultats obtenus par de Broglie en théorie de la double solution. Ledeuxième propose d’établir des solutions des équations du champ d’Einstein qui satis-fassent aux trajectoires de la théorie de la double solution.

6.2.1. Les équations non linéaires justifient le théorème de guidagede de Broglie

À la différence de beaucoup d’autres théories physiques, et notamment de la mécaniquequantique, Vigier rappelle qu’une théorie qui assimile la particule à une singularité duchamp ne peut pas être développée dans le cadre d’équations linéaires. Mathématiquementcela se traduit par l’absence du principe de superposition : une combinaison linéaire dedeux solutions ne peut donner une troisième solution sans respecter certaines conditions.Physiquement, cela veut dire qu’il est possible de superposer un champ continu à unesolution singulière uniquement si la trajectoire de la particule suit une des lignes de courantdu champ continu. C’est important car cette propriété de la non linéarité lie la singularité

5Vigier Thèse p. 666Vigier Thèse p. 697Vigier Thèse p. 70

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au champ étendu. En son absence, cela signifierait que les trajectoires des particulessont arbitraires puisque n’importe quel champ continu pourrait servir de support à lasingularité. C’est précisément cette propriété qui est utilisée par Vigier pour justifiermathématiquement la théorème de guidage de la théorie de la double solution.Vigier considère alors que l’onde physique u = f.exp( iωh̄ ) satisfait à une équation non

linéaire. La singularité étant très localisée, il décompose ce champ en deux parties u =u0 + ϕ. u0 correspond à la région singulière et ϕ = R.ei

Sh̄ correspond au champ habituel

de de Broglie. Au voisinage de la singularité u' u0, à distance raisonnable de celle-ci u0

satisfait à une équation linéaire et à très grande distance u = ϕ. La continuité physiquedes deux ondes u0 et ϕ est utilisée par Vigier pour retrouver le postulat de « raccord desphases » de de Broglie.Pour ce faire, Vigier considère un fluide d’univers conservatif de densité ρ et de vitesse

d’univers vµ. Le courant d’univers est sµ = ρvµ et sa conservation implique que ∂µsµ = 0.Vigier considère une bosse très localisée de ce fluide qui se déplace le long d’une ligned’univers telle que la densité ρ de la bosse prend des valeurs très supérieures aux valeursextérieures et qu’à faible distance de la bosse, la densité ρ est égale à la densité ρr d’unfluide régulier (sans bosse). Il démontre à partir de ces hypothèses que vµ = vµr , vµr étantla vitesse du fluide régulier. Vigier l’interprète en disant que la bosse est astreinte àsuivre une ligne du courant du fluide régulier. C’est tout simplement une généralisationdu théorème de guidage de de Broglie. Vigier l’applique aux équations de Klein-Gordonet de Dirac8.Dans le cas des particules scalaires, Vigier utilise une équation qui dérive d’un lagran-

gien, similaire au signe près à celui de Klein-Gordon9, qui provient de travaux de Rosen10

et de Finkelstein11 en théorie unitaire relativiste. Selon ces physiciens, ce changement designe évite l’apparition d’énergie négative en théorie unitaire 12. L’équation du champprend la forme (DνD

ν−µ)u= 0 avec Dν = ∂ν + iεcAν , la dérivée covariante de jauge quifait intervenir un quadripotentiel Aν et µ est homogène à une masse au carré. Les courantsà bosse sµ = f 2(∂µω− ε

cAµ) et régulier sµr =R2(∂µS− ε

cAµ) sont égaux d’après le résultat

établi par Vigier donc :

8Cf Annexe 139Le lagrangien de Klein-Gordon avec une partie maxwelienne est LKG = (Dµψ)(D∗µψ∗)−m2ψψ∗ −

14FµνF

µν , celui de Vigier est LR = (Dµψ)(D∗µψ∗)+m2ψψ∗− 14FµνF

µν

10Nathan Rosen, « A Field Theory of Elementary Particles », dans Physical Review vol. 55, 1939, p.94-101

11R .J. Finkelstein, « On the Quantization of Unitary Field Theory », dans Physical Review Vol. 75 n°7, 1949. p. 1079-1087.

12Finkelstein p. 1081

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6. Une théorie au service d’une lutte philosophique

∂µω− εcAµ = ∂µS− ε

cAµ

soit :

ω = S+Cste

L’onde à singularité et l’onde régulière sont, à une constante près, de même phase cequi confirme l’idée de de Broglie que le corpuscule peut être considéré comme une petitehorloge qui doit rester synchronisée avec l’onde qui l’accompagne.Pour les particules à spin gouvernées par l’équation de Dirac (ανDν−µ)u= 0, ( ici u,

ϕ , et u0 sont des spineurs et µ est homogène à une masse) les expression des courants àbosse sν et régulier sνr s’écrivent :

sν = u+ανu = u+uu+ανuu+u

= (u+u)vν

sνr = ϕ+ανϕ = ϕ+ϕϕ+ανϕϕ+ϕ

= (ϕ+ϕ)vνrEn égalisant les vitesses d’univers, la condition de guidage s’écrit simplement :

u+ανu

u+u= ϕ+ανϕ

ϕ+ϕ

Cette dernière relation est plus générale que celle des particules scalaires. Vigier dé-montre dans le premier chapitre de sa thèse qu’on peut passer des spineurs aux particulesscalaires parce qu’il est toujours possible de trouver une fonction S et un quadrivecteurAµ tels que ϕ+ανϕ = G(∂µS −Aµ), où G est une constante complexe définie à partirdes spineurs. Dans les deux cas, les particules sont bien astreintes à suivre les lignes decourant de leur propre champ.Grâce à cette condition de guidage, Vigier peut justifier la nature particulière du poten-

tiel quantique. En effet, en absence de champ électromagnétique, un ensemble de particulessans interaction ne doivent être influencées que par leur propre champ quantique, sinon iln’est pas possible d’expliquer, par exemple, pourquoi deux familles de photons différentsn’interfèrent pas dans une expérience de fentes d’Young. Vigier le montre pour un systèmecomposé de deux champs u1 et u2 mais le résultat est aisément généralisable à N parti-cules. Le champ total est simplement la somme des deux ondes u = u1 +u2. Pour deuxparticules à spin 1/2, la vitesse d’univers est vν = u+ανu

u+u = (u1+u2)+αν(u1+u2)(u1+u2)+(u1+u2) . En supposant

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6. Une théorie au service d’une lutte philosophique

que les deux particules sont séparées par une distance très supérieure à la somme de leursrayons, au voisinage de la région singulière de la première particule u= u1, la condition deguidage implique que la vitesse de cette particule est vν1 = u+ανu

u+u 'u+

1 ανu1

u+1 u1

= ϕ+1 α

νϕ1ϕ+

1 ϕ1et de

même pour la particule 2. Même si les ondes se superposent dans l’espace, les mouvementsdes trajectoires des particules libres sont uniquement déterminées par leur propre champ.

6.2.2. Les solutions des équations du champ d’Einstein

Ces premières considérations de Vigier sur les ondes à singularité sont très générales. Laseconde étape, et non la moins difficile, est de trouver des solutions des équations duchamp d’Einstein13 :

Rµν−12gµνR =−kTµν

qui se comportent comme les particules de la théorie de la double solution.Dans le cas général de particules chargées, tout le problème se résume pour Vigier à

trouver les composantes du tenseur métrique gµν et les composantes du quadrivecteurpotentiel kµ(qui apparaissent dans l’expression du tenseur d’énergie-impulsion), fonctionsdes ondes u, qui soient à la fois des solutions de l’équation d’Einstein et dont la définitionpermette de retrouver les trajectoires des micro-objets de la théorie causale. L’aspectponctuel des micro-objets correspond ainsi à une double singularité gravifique (des gµν )et électromagnétique (des kµ).L’équation d’Einstein requiert vingt équations indépendantes pour être résoluble car

elle contient vingt inconnues (dix pour la métrique et dix pour le tenseur énergie impul-sion). Or, elle n’en fait apparaître que dix. Quatre équations supplémentaires peuvent êtreobtenues grâce à l’équation de continuité ∂µTµν = 0. Les équations manquantes doiventêtre imposées de l’extérieur, en assimilant par exemple le tenseur énergie impulsion àun fluide parfait (i.e. 14Tαβ = ρuαuβ + θαβ) comme le fait Vigier pour les particules deKlein-Gordon, et en prenant en considération la symétrie du système. Vigier considère unsystème stationnaire, c’est à dire symétrique par translation dans le temps. Cependant,même en ayant le bon nombre d’équations, la non linéarité de l’équation d’Einstein faitqu’elle est difficilement résoluble analytiquement, surtout pour un système composé deplusieurs particules.Vigier se restreint dans sa thèse à démontrer que pour une particule individuelle gou-

13Rµν est le tenseur de Ricci, gµν la métrique,R = gijRij la courbure scalaire, Tµν le tenseur énergie-

impulsion et k est la constante d’Einstein.14ρ la densité,uα la vitesse d’univers, θαβ le tenseur de pression

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vernée soit par l’équation de Dirac soit par celle de Klein-Gordon, les trajectoires de lathéorie unitaire relativiste trouvées par Infeld, qui dérivent des équations du champ d’Ein-stein en assimilant les particules à des singularités de Schwarzschild en 1/r stationnaires,coïncident celles de la théorie causale. Comme l’aspect singulier est concentré dans unerégion très petite de l’ordre de 10−13 cm (environ les dimensions du rayon atomique),donc que le champ u satisfait partout à des équations linéaires sauf à proximité de lasingularité, Vigier montre que les solutions peuvent se décomposer en combinaisons d’uneondelette du champ électromagnétique accompagnée d’une ondelette du champ gravifiquepour la partie étendue du champ ; et de singularités électromagnétique et gravifique àsymétrie sphérique astreintes à suivre le centre de la singularité u0. Grâce aux conditionsde guidage, Vigier n’a finalement pas besoin d’expliciter la forme exacte de la solution u.Il lui suffit de trouver, pour les particules de spin 0 et de spin 1/2, des relations entreles gµνet les kµ et la fonction régulière ϕ, qui soit une solution particulière des équationsdu champ d’Einstein tout en redonnant les trajectoires de la théorie de la double solu-tion. L’étape suivante, pour Vigier, serait de trouver la forme des équations non linéairesqui gouvernent les onde singulières. D’après lui, s’il y parvenait, la théorie ouvrirait desdomaines encore inexplorés dans la connaissance des propriétés des atomes.

6.3. Les probabilités dans l’interprétation causaleConformément à notre plan, nous nous intéressons ici au statut des probabilités développépar Vigier dans sa thèse, travail qu’il a réalisé en 1954 au Brésil en collaboration avecBohm. Vigier accorde à Bohr et son école d’avoir souligné l’importance du comportementstatistique au niveau microscopique et d’en avoir établi les lois mathématiques15. La placeprépondérante des statistiques dans la microphysique questionne Vigier sur la significationdu hasard et des probabilités dans la nature et leur rapport à la causalité. Bien que pourVigier le déterminisme soit essentiel, il n’est pas possible de faire abstraction du rôlepositif qu’ont joué les probabilités dans la description des phénomènes naturels au coursdu XXème siècle.

Vigier distingue deux grandes interprétations des probabilités qui se sont élaborées aucours de l’histoire : la première est issue de la mécanique classique et la deuxième de lamécanique quantique. Nous pouvons les récapituler comme suit.Dans la mécanique de Laplace, les lois physiques se résument aux lois de la causalité

mécanique. Elles ont un caractère à la fois objectif et absolu. Dans ce schéma, les lois15Stephan Körner, Observation and Interpretation, a symposium of Philosophers and Physicists, Butter-

worths Scientific Publication, 1957, p. 75.

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des probabilités mesurent l’ignorance de certains paramètres. Lors du lancer d’un déà six faces non pipé, chaque face a une probabilité d’apparition égale à 1/6. D’aprèsle déterminisme classique, si l’observateur connaissait toutes les variables permettant decaractériser le système ainsi que toutes les conditions initiales (position initiale du poignetet du dé, force du lancé, pression de l’air etc.) à la manière d’un démon de Laplace, ilpourrait prédire à coup sûr le résultat du lancé. Dans la théorie cinétique des gaz, ilest en principe possible déduire les propriétés d’un gaz constitué d’un grand nombre demolécules à partir de leurs évolutions individuelles, mais les calculs seraient fastidieux. Lerecours aux probabilités est un outil pratique qui permet de connaître le comportementde ce gaz au niveau macroscopique moyennant quelques hypothèses sur l’état du gaz àl’équilibre (le système n’a pas de préférence pour chacun des micro états accessibles). Leslois des probabilités peuvent donc en théorie être dérivées de lois causales.À l’inverse, dans la mécanique quantique le hasard est tout ce qu’il est possible de

connaître. L’expérience de diffraction des trous d’Young est souvent cité par Vigier pourl’illustrer. Dans celle-ci, le flux de particules se répartit sur l’écran selon une densité P =|ϕ|2 qui diffère selon qu’un seul ou que les deux trous soient ouverts. Lorsque les particulessont envoyées les unes après les autres, les points d’impacts sur l’écran se répartissent selonla « bonne » densité, comme si la particule « sait » par avance le nombre de fentes ouvertes.Pour expliquer cet étrange phénomène, l’interprétation orthodoxe renonce à définir l’étatde la particule entre la source et l’écran. Avant la mesure, elle n’a ni position ni vitesse.C’est l’acte de mesure qui dote la particule de telles grandeurs puisque toute mesurede la position ou de la vitesse en amont de l’écran supprimerait par la même occasionla figure d’interférence. L’onde ϕ n’est pas réelle et représente uniquement un ensemblede potentialités de mesures qui diffère selon le dispositif expérimental. Il n’existe pas deloi causale sous-jacente qui permette d’expliquer une telle répartition statistique Pourreprendre une expression de Vigier, le monde de l’école de Copenhague est une « immenseroulette inanalysable »16.

Vigier rejette ces deux interprétation des probabilités qu’il considère comme les deuxfaces d’une même pièce. D’après lui, elles posent chacune à leur manière une limite àla connaissance ce qu’il ne peut accepter. Vigier emploi la formule « d’indéterminismelaplacien » pour qualifier la position de Copenhague. La connexion entre la causalité etla statistique doit être envisagée de manière dialectique en reprenant certains aspects desdeux conceptions : le déterminisme et le hasard ne s’opposent pas mais sont tous deuxindispensables et complémentaires. Cette réflexion n’est pas qu’une posture philosophique

16Vigier dans Körner p. 73.

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et trouve une application concrète dans la théorie causale des quanta.

6.3.1. Le déterminisme et la dialectique du hasard

Dans la théorie de la double solution, de Broglie démontre que la répartition spatiale desparticules est égale à chaque instant au carré de l’onde régulière (i.e P (x,t) = |ϕ|2 ) si onprend comme postulat que cette répartition est réalisée à l’état initial (i.e P (x,o) = |ϕ|2).C’est une simple conséquence de l’équation de continuité ∂P

∂t +div (P.−→v ) = 0. Cette pro-priété est fondamentale puisqu’elle permet à la théorie de la double solution de retrouvertous les résultats de l’équation de Schrödinger.Dans une réflexion formulée à l’occasion des 60 ans de de Broglie en 1952, Pauli rétorque

que ce postulat n’est pas admissible dans une théorie déterministe. Ses arguments peuventse résumer en ces quelques lignes17 :

On cherche à justifier la restriction à ces ensembles particuliers par le faitque l’équation de continuité garantit leur répartition densitaire des paramètres(imaginée au sens classique) pour tous les temps si elle est réalisée dans l’étatinitial, pourvu que le système reste fermé. Il faut tout de même ajouter à cepropos que dans une théorie déterministe une hypothèse au sujet des proba-bilités n’est pas à sa place. L’appel aux équations de continuité me sembleinsuffisant pour fixer celle-ci d’une façon générale. Si par exemple l’expéri-mentateur divise arbitrairement cet ensemble en deux parties, la distributiondes valeurs des paramètres n’y sera en général plus du tout donné par la fonc-tion ψ. Dès qu’il existe n’importe quel phénomène dans lequel les valeurs deces paramètres puissent ce manifester, même de façon indirecte, ces partiesne se comporteraient plus forcément de la même façon, malgré l’égalité deleurs fonctions ψ. L’hypothèse de la validité générale d’une distribution desprobabilités des paramètres déterminée par la seule fonction ψ n’est donc pasjustifiée du point de vue du schéma déterministe.

Cette objection se lève s’il est possible de démontrer que quelque soit l’état initial dusystème la répartition statistique atteint, au bout d’un certain temps, un équilibre corres-pondant à la répartition P (x,t) = |ϕ|2. Un peu comme un gaz que l’on fait entrer dans uneenceinte « vide » qui occupe l’espace selon la répartition prévue par la théorie cinétique

17Wolfgang Pauli, « Remarques sur le problème des paramètres cachés dans la mécanique quantique etsur la théorie de l’onde pilote », dans Louis de Broglie physicien et penseur, Albin Michel, 1953, p.37-38

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des gaz lorsqu’il atteint l’équilibre. Vigier y parvient en émettant quelques conditions surla structure du champ physique ϕ.

Pour Vigier ce champ ϕ ne correspond pas strictement à la réalité car les conditionsinitiales aux limites nécessaires à sa détermination ne sont jamais réalisées en pratique.Pour l’expliquer, Vigier procède à une analogie avec un champ électromagnétique sta-tionnaire qui se propage à l’intérieur d’une enceinte close. La solution stationnaire deséquations de Maxwell est théoriquement parfaitement définie. Cependant, les conditionsaux limites imposées ne sont pas réalisées en toute rigueur dans la nature : tout systèmephysique n’est jamais totalement isolé du reste de l’univers, la paroi n’est pas parfaitementcontinue car les atomes et les molécules qui la constituent oscillent autour d’une positiond’équilibre. De plus les équations de Maxwell sont une approximation macroscopique dela structure de la lumière qui ne tient pas compte des aspects corpusculaires des photons.Le champ électromagnétique réel fluctue autour du champ calculé qui n’est qu’une valeurmoyenne du champ réel. Il en est de même pour le champ quantique de la théorie causale.Vigier pose alors quelques hypothèses vraisemblables sur la nature des fluctuations du

champ quantique :

1. Le champ moyen ϕ satisfait aux équations d’ondes habituelles (Schrödinger, Klein-Gordon ou Dirac selon le cas considéré)

2. Le fluide pilote soumis aux fluctuations se raccorde au fluide pilote calculé avec lechamp moyen ϕ, ce qui veut dire que le fluide pilote fluctuant est conservatif et queles trajectoires définies par ses lignes de courants sont réelles.

3. Les fluctuations sont déterministes mais au niveau du champ elles peuvent être consi-dérées comme suffisamment complexes pour être traitées statistiquement. Elles sontindépendantes des propriétés du système et de sa position et constituent un proces-sus de Markoff : la probabilité d’apparition des fluctuations ne dépend que du tempset les sauts des particules du fluide pilote se répartissent de façon continue autourdu point de départ sans qu’aucune région de l’espace ne soit interdite au cours d’untemps suffisamment long. Les particules soumises aux fluctuations « sautent » d’uneligne de courant à une autre et parcourent une trajectoire en escaliers constituée demorceaux de lignes de courants du fluide pilote non fluctuant.

Ces hypothèses suffisent à Vigier pour démontrer le résultat attendu18. L’équilibre de ladistribution suit une loi exponentielle décroissante |P −|ϕ|2|= ke−λt (où k et λ sont des

18Cf Annexe 14.2

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constantes) dont le temps de relaxation est d’environ 10-23 secondes. Vigier démontreégalement qu’en l’absence de telles fluctuations, la distribution statistique n’est jamaisatteinte si les particules sont réparties initialement de manière quelconque.Au final, trois niveaux sont imbriqués : celui de la mécanique quantique interprétée au

sens de Blokhintzev et Terletzki (i.e. qui décrit des ensembles statistiques de micro-objets),la théorie causale qui permet d’expliquer les propriétés du précédent niveau, à conditiond’ajouter un dernier niveau, encore inférieur, subquantique, introduit par les fluctuationsdu champ (qui rappelons-le sont déterministes). Ce résultat a une double importance pourVigier. Premièrement, les probabilités ne sont pas tout ce qu’il est possible de connaîtresur le système comme dans l’interprétation de Bohr puisque la répartition statistiques’explique par une théorie sous-jacente. Deuxièmement, il n’est pas possible de se dispenserdu hasard dans la théorie causale ce qui différencie la causalité de Vigier de la causalitélaplacienne. C’est en cela que Vigier affirme qu’il faut envisager le rapport de la causalitéet du hasard non de manière exclusive mais dialectique : leur apparente contradiction serésout positivement car hasard et déterminisme sont l’un et l’autre indispensables et sontprésents conjointement à une échelle donnée. Vigier généralise cette dialectique entre lacausalité et le hasard à toutes les théories physiques. Cette généralisation prend le nomde théorie dialectique des niveaux d’organisation de la nature.

6.3.2. Les niveaux d’organisation de la nature

La théorie des niveaux d’organisation de la nature de Vigier a une double origine. Commenous venons de le voir, elle est issue d’un questionnement théorique : démontrer la répar-tition statistique de Blokhintzev à partir de la théorie de la double solution. D’autre part,elle prend racine dans les lectures de Vigier de philosophes marxistes et en particulier deLénine. L’ouvrage majeur de Lénine en théorie de la connaissance, Matérialisme et empi-riocriticisme, a été tout au long du XXème siècle une référence pour les communistes sereconnaissant dans le bolchévisme. En 1908 , Lénine écrit ce livre afin de lutter contre unetendance grandissante au sein du Parti Bolchévique, comprenant entre autres Bogdanovet Lounatcharski, fortement influencée par le positivisme d’Ernst Mach et l’empiriocriti-cisme de Richard Avenarius. Cette tendance, sur la base des découvertes de la physiquede l’époque comme la radioactivité naturelle par Becquerel ou la masse électromagné-tique par Thomson, prône une révision du matérialisme dialectique pour y introduire uneforme de kantisme en rejetant le réalisme, supposé n’être qu’une « métaphysique matéria-liste »19. Bien que, de fait, la mécanique quantique soit absente de l’ouvrage de Lénine, ses

19Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Syllepse, 2007, p. 549.

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thèses matérialistes, de portée très générale, sont considérées d’actualité par les physicienscommunistes engagés dans la lutte contre l’école de Copenhague pendant les années 1950.

Le 1ermars 1954, La Pensée organise un colloque sur les thème « Lénine philosopheet savant », soit neuf mois avant que Vigier ne soutienne sa thèse. Eugène Aubel, pro-fesseur à la Sorbonne, ouvre la discussion en affirmant l’importance de Matérialisme etEmpiriocriticisme pour le physicien qui souhaite s’élever « contre cette conception [cellede Copenhague] inadmissible, car elle constitue un aveu d’impuissance, un manque defoi dans l’homme, un refus d’admettre cette objectivité des lois de la nature par laquelle[...] Lénine nous donne des arguments ». À l’occasion de ce colloque, c’est à Vigier querevient la présentation l’actualité de l’ouvrage de Lénine vis-à-vis de la physique moderne.Une partie de son intervention est consacrée au rapport entre la causalité et le hasard.Vigier y explique que les réussites de la théorie causale confirment la thèse de Lénine surle caractère à la fois absolu et relatif de la connaissance qui s’oppose à la fois au déter-minisme laplacien et à l’idéalisme. Sans le citer, il fait référence au chapitre intitulé « Lamatière disparaît » de Matérialisme et Empiriocriticisme dans lequel Lénine s’exprime ences termes 20 :

L’erreur de la doctrine de Mach en général et de la nouvelle physique deMach, c’est de ne pas prendre en considération cette base du matérialismephilosophique et ce qui sépare le matérialisme métaphysique du matérialismedialectique. L’admission d’on ne sait quels éléments immuables, de l’«essenceimmuable des choses», etc., n’est pas le matérialisme ; c’est un matérialismemétaphysique, c’est-à-dire antidialectique. J. Dietzgen soulignait pour cetteraison que «l’objet de la science est infini», que «le plus petit atome» estaussi incommensurable, inconnaissable à fond, aussi inépuisable que l’infini,«la nature n’ayant dans toutes ses parties ni commencement ni fin». [...]Mais le matérialisme dialectique insiste sur le caractère approximatif, relatif,

de toute proposition scientifique concernant la structure de la matière et sespropriétés, sur l’absence, dans la nature, de lignes de démarcation absolues,sur le passage de la matière mouvante d’un état à un autre qui nous paraîtincompatible avec le premier, etc. Quelque singulière que paraisse au point devue du «bon sens» la transformation de l’éther impondérable en matière pon-dérable et inversement ; quelque «étrange» que soit l’absence, chez l’électron,de toute autre masse que la masse électromagnétique ; quelque inhabituelle

20Vladimir Illitch Lénine, Matérialisme et Empiriocriticisme, Éditions en langues étrangères Pékin, 1975,p. 324-325.

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6. Une théorie au service d’une lutte philosophique

que soit la limitation des lois mécaniques du mouvement au seul domaine desphénomènes de la nature et leur subordination aux lois plus profondes desphénomènes électromagnétiques, etc., tout cela ne fait que confirmer une foisde plus le matérialisme dialectique. Si la nouvelle physique a dévié vers l’idéa-lisme, c’est surtout parce que les physiciens ignoraient la dialectique. Ils ontcombattu le matérialisme métaphysique (au sens où Engels employait ce mot,et non dans son sens positiviste, c’est-à-dire inspiré de Hume) avec sa «mé-canicité» unilatérale, et jeté l’enfant avec l’eau sale. Niant l’immuabilité deséléments et des propriétés de la matière connus jusqu’alors, ils ont glissé à lanégation de la matière, c’est-à-dire de la réalité objective du monde physique.

Vigier souhaite que la théorie causale respecte les deux enseignements de Lénine : lamatière existe objectivement et la connaissance que nous en avons, tout en s’approchantde la vérité au fur et à mesure du progrès scientifique, est sans limite. Vigier envisage lathéorie des niveaux d’organisation comme une application concrète de cela. D’après lui,chaque théorie physique modélise un niveau d’organisation : le niveau macroscopique estdécrit par la mécanique classique, les ensembles de particules par la mécanique quantique,les particules individuelles par la théorie causale et les fluctuations du champ quantiquepar un niveau subquantique dont les propriétés ne sont pas encore découvertes. Un niveaun’est pas seulement déterminé par ses dimensions, les critères sont divers tels le degré decomplexité d’organisation ou la quantité d’énergie du système. En biologie, les propriétésdes tissus cellulaires sont qualitativement différentes de celles des cellules individuelles,bien que leurs dimensions soient du même ordre de grandeur.La tâche du physicien est d’explorer ces niveaux et d’en trouver les connexions pour

se rapprocher toujours plus de la vérité mais leur infinité implique qu’il n’existe pas delimite à la connaissance, en accord avec l’inépuisabilité des lois de la nature de Lénine.Cette vérité n’est atteignable qu’asymptotiquement. Par exemple, Vigier considère queles particules dites élémentaires ne le sont que provisoirement, jusqu’à ce qu’une nouvellethéorie les sonde et les décompose en d’autres constituants élémentaires. Il est importantde préciser que ces niveaux ne correspondent pas, pour Vigier, à une délimitation arbi-traire effectuée par le physicien pour diviser un problème compliqué en problèmes simples,ils sont à la fois une étape de la connaissance et une étape historique au sens strict del’organisation de la matière en mouvement. La mécanique classique n’est pas fausse com-parativement à la mécanique quantique. Son adéquation avec le réel n’est plus à démontrerpuisqu’elle a « permis à la révolution industrielle de construire des machines qui ont ré-

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6. Une théorie au service d’une lutte philosophique

volutionné les modes de production »21. La mécanique classique n’est tout simplementpas adaptée à la description du monde microscopique. Réciproquement, pour Vigier il estvain de chercher à appliquer les concepts quantiques au monde macroscopique.La pensée de Vigier est donc anti-réductionniste. Les lois d’un niveau supérieur ne se

déduisent pas de celles du niveau inférieur. Chaque système de loi est valable uniquementpour un niveau considéré. Ainsi, la mécanique classique n’est pas la limite de la mécaniquequantique que l’on obtient en faisant tendre h̄ vers zéro comme dans l’interprétation deBohr. Le tout est plus que la somme des parties : les lois du mouvement d’une balle detennis se se déduisent pas des propriétés des atomes qui la constituent. C’est pour cela queVigier affirme qu’il n’est pas possible d’éliminer l’utilisation des probabilités car l’influencede l’infinité des niveaux sur un niveau considéré fait obligatoirement intervenir des évé-nements aléatoires : toute loi est à la fois une description objective et une approximationd’une échelle d’organisation de la matière. La connaissance est absolue et relative.

21Jean-Pierre Vigier, « Quelques problèmes physiques posés par les thèses de Lénine », dans La Pensée,n° 57, 1954, p. 65

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7. La théorie causale en lien avec lesproblématiques physiques qui luisont contemporaines

Nous avons évoqué le marxisme comme fil conducteur en ce début de carrière scientifiquede Vigier. La lutte contre le positivisme présumé de l’école de Copenhague, dictée parl’influence de l’interprétation soviétique, est indéniablement un facteur important dans lesmotivations de Vigier. Cependant, tout en étant prépondérant, le marxisme n’est pas lefacteur exclusif. Nous avons entraperçu, dans la présentation de l’introduction de la thèse,que Vigier s’appuie sur les problèmes théoriques auxquels se heurte la physique du noyaupour argumenter en faveur de la théorie causale. Ces critiques figurent également systé-matiquement dans les écrits philosophiques de Vigier. En plus de la physique nucléaire,l’autre reproche scientifique de Vigier envers la mécanique quantique est la procédure derenormalisation utilisée en électrodynamique quantique pour éliminer les intégrales diver-gentes qui apparaissent en théorie des perturbations. Vigier emploie des termes très fortspuisqu’il va jusqu’à prétendre que la physique quantique indéterministe est en phase decrise prolongée1.La question qui nous est posée est de savoir dans quelle mesure ces problèmes théoriques

existent et si le jugement de Vigier est partagé par des physiciens non affiliés au programmecausal. Cet aspect est rarement soulevé dans la littérature secondaire ce qui pourrait laissercroire que l’objectif de la théorie causale est un combat d’arrière-garde, déconnecté desproblématiques physiques qui lui sont contemporaines. En effet, les résultats réinterprétésdans le cadre de la théorie causale sont, au moment où Vigier publie sa thèse, âgés deplus de vingt-cinq ans alors qu’entre temps, la physique de pointe est centrée autourde la théorie quantique des champs2. C’est un choix scientifique délibéré des partisansdu programme causal qui préfèrent d’abord refonder la mécanique quantique sur des

1Jean-Pierre Vigier, « Remarques sur l’article du professeur Terletski », dans La Pensée 1955 n° 64,1955, p. 21.

2Les champs ici n’ont rien à voir avec le champ quantique de la théorie causale.

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7. La théorie causale en lien avec les problématiques physiques qui lui sont contemporaines

bases qu’ils jugent plus solides, quitte à connaître un certain retard par rapport à la voiestandard. Cependant, dans l’esprit de Vigier, cette première étape n’est que provisoire etl’amélioration, à moyen terme, de la théorie sera la clé pour sortir la physique du marasmedans lequel elle est plongée. Nous savons aujourd’hui que cette théorie n’a jamais atteintcet objectif, entre autres car elle n’a pas trouvé une forme sous laquelle elle serait invariantepar transformation de Lorentz à cause de la non localité du potentiel quantique. Cetteincompatibilité avec la relativité restreinte la rend de fait inutilisable pour les phénomènesqui mobilisent des hautes énergies comme les désintégrations par collisions des particules.Cependant, cet échec ne signifie pas que les critiques de Vigier ne sont pas justifiées àcette période ce qui donnerait à la théorie causale une certaine légitimité scientifique entant que voie possible pour faire progresser la physique théorique. Pour répondre à cetteinterrogation, nous proposons de faire un examen non exhaustif de l’histoire de la théoriequantique des champs de 1925 jusqu’au milieu des années 1950 à partir de la littératuresecondaire. Pour de plus amples détails, le lecteur est invité à se reporter aux référencescitées.

La première véritable théorie quantique des champs, l’électrodynamique quantique, naîten 1927 lorsque le physicien anglais Paul Dirac publie un article expliquant l’émission etl’absorption de photons par un électron lorsque celui-ci change d’état d’énergie.3. Unetentative précédente avait été initiée en 1925 par Born, Jordan et Heisenberg mais ils’agissait d’un quantification d’un champ libre, c’est à dire sans charge ni courant4. Diracfranchit une étape qualitative dans l’histoire de la physique car le formalisme qu’il utiliseest le premier qui permet de traiter un nombre de particules variable au cours du temps.Dans la nouvelle théorie, les champs sont représentés, à l’instar de la fonction d’onde deSchrödinger, par une somme infinie d’oscillateurs harmoniques non couplés. Par contre,les coefficients de Fourrier sont élevés au rang d’opérateurs abstraits de création (a(k)+)et d’annihilation (a(k)) de photons et le vecteur d’état appartient maintenant à l’espacede Fock et informe du nombre d’occupation des particules5. Ces opérateurs satisfont auxrelations de commutation canoniques [a(k,),a(k)] = [a(k,)+a(k)+] = 0 et [a(k),a+(k,)] =δkk, appelées « seconde quantification ». Un autre intérêt des travaux de Dirac, en plus detraiter les systèmes à nombre de particules non constant, c’est qu’ils mettent en œuvre lastatistique de Bose-Einstein pour les photons puisque leur nombre dans l’état d’énergie

3Silvian S. Schweber, QED and the men who made it : Dyson, Feynman, Schwinger and Tomonaga,Princeton University Press, 1994, p. 23.

4Abraham Pais, Inward Bound : of matter and forces in the physical world, Oxford University Press,1986, p. 331.

5En MQ, ces opérateurs créent et détruisent des quanta d’énergie et le vecteur d’état appartient àl’espace de Hilbert

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7. La théorie causale en lien avec les problématiques physiques qui lui sont contemporaines

hν est illimité et que le formalisme ne permet pas de distinguer un photon d’un autre.Bien que Dirac soit motivé dès le départ par les aspects relativistes de la mécaniquequantique, l’utilisation du formalisme hamiltonien, qui donne au temps un rôle particulier,s’il n’empêche pas en soi l’invariance relativiste, la rend difficile à discerner. Ce sont Jordanet Pauli qui la démontrent en 1928 en remarquant que les commutateurs définis ci dessus,pris en deux points différents de l’espace-temps, sont invariants par transformation deLorentz.Jusqu’à la fin des années 1940, la nouvelle théorie, bien qu’elle permette d’expliquer la

création et l’annihilation de particules, est inutilisable par les physiciens. La théorie desperturbations, abondamment utilisée en mécanique quantique pour approcher les solutionsdes équations différentielles impossibles à résoudre analytiquement, fait apparaître enQED des valeurs infinies de la masse et de la charge électrique. En 1947 et 1948, Bethepuis Schwinger, Tomonaga et Feynman, par la procédure de renormalisation consistantà corriger le lagrangien d’origine par une infinité de contre termes, font disparaître cesinfinis. Ce faisant, le premier succès de la QED est d’expliquer le décalage par rapportà l’équation de Dirac du spectre en énergie entre les niveaux 2S1/2 et 2P1/2 de l’atomed’hydrogène observés par Lamb et Retherford en 1947. Ce décalage est expliqué dansle cadre de la QED comme un effet des fluctuations quantiques du vide sur les niveauxd’énergie : bien que le vide soit un niveau qui, par définition, ne contient aucune particule,ce n’est qu’un état moyen dans lequel des photons virtuels, c’est à dire inobservables, sontcontinuellement créés puis annihilés modifiant le spectre. L’explication du décalage deLamb est le plus beau succès de la QED en cette fin des années 1940. Cependant, larenormalisation divise les physiciens, y compris parmi ceux qui en sont à l’origine. Lespositivistes, comme Dyson, n’y voient aucun inconvénient puisque maintenant la théoriecorrobore l’expérience avec une précision jusque là jamais atteinte, tandis que d’autres,dont Feynman et Dirac, ne se satisfont pas du tout de cette procédure mathématiquementpeu rigoureuse6. C’est un avis qui est partagé par les partisans de la théorie causale. Bohmdit avec sarcasme que si les physiciens sont prêt à accepter de telles méthodes « à cemoment là, pourquoi on n’utiliserait pas une danse mystique si une telle danse fournissaitdes résultats corrects7 ».Malgré cela, la théorie quantique des champs est la seule théorie en vigueur apte à

pouvoir appréhender les nouveaux défis lancés aux théoriciens dans une période où laphysique des particules est en pleine expansion. Les succès très prometteurs de la QEDdonnent à penser aux théoriciens que désormais, les champs sont la clé pour comprendre

6Schweber p. 4607Vigier citant Bohm, la pensée n°57, 1954 p.63

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7. La théorie causale en lien avec les problématiques physiques qui lui sont contemporaines

la physique du noyau. Par analogie avec la QED qui attribue au photon le rôle du vecteurde l’interaction électromagnétique entre particules chargées, le méson est supposé être levecteur de l’interaction entre les nucléons présents dans le noyau. Cependant, les espoirsretombent car la méthode perturbative ne peut être utilisée. Cette méthode fonctionne si laperturbation reste contrôlée, c’est-à-dire que la constante de couplage entre les particulesest très inférieure à l’unité. En QED, c’est la constante de structure fine α = e2

h̄c = 1137

avec e une constante égale à la charge élémentaire. Pour l’interaction nucléon-nucléon,cette constante de couplage est g2

h̄c dont la valeur, dans les années 1940, est estimée à 15(Bethe lui donne la valeur de 40 en 1949). Les physiciens sont alors contraint de passerpar des méthodes non perturbatives qui, dans les années 1950, ne permettent pas defaire de bonnes prédictions. Alors que d’un côté les expérimentateurs font de prodigieusesdécouvertes (nouvelles particules, non conservation de la parité) grâce à leurs accélérateursde plus en plus puissants (le premier synchrocyclotron à Berkeley en 1946 accélère desprotons à 600 Mev, le Cosmotron à Brookhaven en 1952 les accélère à plus de 1 Gev), lesthéoriciens entrent dans une ère de frustrations qui dure jusque dans les années 1960 avecla création du modèle standard de la physique des particules8.

Au terme de cet exposé, il apparaît que la situation dépeinte par Vigier sur l’état de laphysique correspond bien à la réalité. En ce début des années 1950, aucun physicien nepeut prédire quel chemin doit emprunter la physique nucléaire pour sortir de la crise danslaquelle elle est plongée. La situation de la QED est quelque peu différente puisque l’obs-tacle de la renormalisation est plus conceptuel que mathématique. Les critiques de Vigiersont toutefois partagées par des physiciens de premier plan et ne sont pas caricaturales.La principale différence de Vigier par rapport à ces physiciens, c’est qu’il pense que lamécanique quantique est condamnée et qu’elle paye le prix de son pêché originel, le renon-cement au déterminisme. Cette situation dans laquelle se trouve la physique théorique apu influencer Vigier dans son choix de réexaminer les fondements de la mécanique quan-tique et de proposer la théorie causale comme support de la future théorie expliquant laphysique des particules. Si la physique du noyau et la QED n’avaient pas rencontré toutesces difficultés à cet instant précis, peut être que son parcours de chercheur aurait été toutautre. Un élément qui tend à démontrer que l’ambition de Vigier n’est pas uniquementépistémologique est la nature des travaux qu’il entreprendra quelques années après sathèse. Vigier s’intéressera de près aux nouvelles découvertes de la physique des particuleset proposera une méthode pour les classifier qui dérive de la théorie causale9.

8Pais p. 4939Louis de Broglie, Introduction à la nouvelle théorie des particules de M. Jean-Pierre Vigier et de sescollaborateurs, Gauthier-Villars, 1961.

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8. Conclusion de la deuxième partie

Nous arrivons au terme de cette deuxième partie consacrée aux principaux apports deVigier à la théorie des variables cachées dans les premières années de sa renaissance.Dans la problématique qui nous est spécifiquement posée, les interactions entre scienceet philosophie, nous avons vu que le réalisme et le déterminisme, sous sa nouvelle forme,sont les deux piliers qui soutiennent toute la démarche de Vigier.

De ces deux, c’est la théorie des niveaux dialectiques de la nature qui nous paraîtêtre l’expression la plus aboutie de cette interaction. En partant d’un problème physiqueconcret posé par Pauli (la répartition statistique des micro-objets dans la théorie de ladouble solution) qu’il aborde avec les outils philosophiques (la dialectique entre le carac-tère objectif et inépuisable des lois de la nature) et mathématiques (ses connaissances surles calculs des probabilités) à sa disposition, il obtient des résultats qui ont rétroactive-ment des répercussions dans les deux domaines. D’une part, la théorie causale est plusconsistante physiquement puisqu’à la fois les critiques de Pauli n’ont plus lieu d’être etl’analyse de la structure du champ quantique s’en trouve plus fine par l’ajout des fluctua-tions. D’autre part, la théorie des niveaux de Vigier se présente comme une applicationconcrète des thèses développées par Lénine dans Matérialisme et empiriocriticisme. Deplus, cette théorie des niveaux d’organisation de la nature illustre la volonté de Vigierde poursuivre l’élaboration du matérialisme dialectique qu’il ne conçoit pas comme unedoctrine achevée et figée. Au contraire, elle doit sans cesse s’enrichir des progrès réaliséspar la science de son temps sans pour autant renoncer aux fondamentaux tels qu’ils ontété formulé par Marx, Engels et Lénine1.Il paraît aussi que le réalisme et le nouveau déterminisme de Vigier ne sont pas l’un

l’autre sans contradiction logique au regard des postulats respectifs de la théorie desniveaux et de la théorie unitaire relativiste. La première affirme qu’à chaque niveau cor-respond son système de lois tandis que la théorie unitaire relativiste, comme son noml’indique, souhaite unifier toutes les interactions physique à toutes les échelles au seind’un système de lois unique. Cette contradiction n’existe apparemment pas pour Vigier

1À ce propos, que ce soit avant ou après sa mort en 1953, Staline n’est quasiment jamais cité commeréférence par Vigier.

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8. Conclusion de la deuxième partie

car les deux conceptions sont présentes conjointement dans sa thèse et dans ses articlesphilosophiques sans que cela ne semble le heurter.

Pour terminer, si ces interactions entre science et philosophie révèlent une dialectiquedans l’activité de Vigier, cette dialectique est en rupture avec celle de Lénine, bien qu’ils’en revendique. La dialectique matérialiste de Lénine ne se place pas au dessus de laconnaissance, elle ne dicte pas au savoir ce qui doit ou ne doit pas être. Au contraire, ladialectique de Lénine est issue d’une étude approfondie des sciences de son temps, commeEngels l’a fait avant lui dans la Dialectique de la Nature2. Le marxisme est une conceptionsdu monde, il est une synthèse générale des connaissances théoriques et empiriques. Lematérialisme dialectique chez Lénine a une histoire : il est le produit de la pensée humainequi elle même est un mode d’organisation de la matière3. À l’opposé, le matérialismedialectique de Vigier est une méthode universelle d’investigation scientifique. Il crée lessavoirs et se substitut à l’expérience car, à partir de ses principes, Vigier réfute nonseulement l’interprétation des résultats de la mécanique quantique mais la théorie ellemême. Le matérialisme dialectique existe donc préalablement à la connaissance empiriqueet devient une transcendance, autonome de la matière en mouvement. Pour comprendrecette particularité de la pensée de Vigier, nous pensons qu’il faut la mettre en perspectiveavec l’histoire de la pensée marxiste, c’est-à-dire au regard de l’histoire du PCF et del’Union Soviétique.En Union Soviétique, la rupture avec la pensée de Lénine s’effectue pendant les années

1930 lorsque le Comité Central, sous les ordre de Staline, acte la distinction entre sciencesbourgeoises ou idéalistes, et sciences prolétariennes. Staline reproduit le même rapportentre philosophie et science qu’entre la bureaucratie et la révolution : la philosophie està l’origine des savoirs tout autant que la bureaucratie est à l’origine de la révolution.La philosophie devient donc un outil de la caste sociale dirigeante pour maintenir sonpouvoir, empêchant tout renversement et en substituant la dialectique en rapport decausalité mécanique. La campagne contre les sciences en URSS, qui atteint son apogéeentre 1947 et le milieu des années 1950 avec l’affaire Lyssenko, n’avait pas pour autrebut que de raffermir le pouvoir de la bureaucratie soviétique en instaurant un régime deterreur parmi les scientifiques4. Cette caricature du matérialisme dialectique, qui devientde fait la philosophie officielle pour les PC affiliés à Moscou, est relayée par les dirigeantscommunistes français. La pensée dialectique de Vigier ne peut s’exprimer, d’après nous,que dans les limites imposées par ces circonstances historiques. Nous n’entendons pas

2Friedrich Engels, Dialectique de la Nature, Éditions Sociales, 19773Charbonnat p 552-5544Charbonnat p. 518-522

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8. Conclusion de la deuxième partie

que sa philosophie est déterminée mécaniquement par celle prônée par les dirigeants duPCF, ce serait contradictoire avec toute l’analyse que nous venons d’effectuer. Néanmoins,Vigier est indéniablement imprégné du marxisme tel qu’il est véhiculé par les dirigeantscommunistes et il peut difficilement en être autrement. L’explication, selon nous, est avanttout sociale car le PCF possède, à cette période de l’histoire, un enracinement profonddans la société qui va au delà de la classe ouvrière, notamment acquis pendant la SecondeGuerre Mondiale par son rôle dans la Résistance. Frédéric Joliot-Curie se plaît à rappelerque la majorité des étudiants et professeurs de l’ENS sont communistes. En l’absence, dansla société française, d’une organisation alternative au PCF en taille et en influence quidéfendrait un autre matérialisme dialectique, le PCF est alors en quelque sorte en situationde monopole sur cette philosophie. Cette place du PCF dans la société française des années1950, particulièrement son enracinement chez les scientifiques et les conséquences que celaa pu avoir sur leurs productions scientifiques, mériterait d’être approfondie et traitée demanière globale.

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Troisième partie .

La réception des travaux de Vigier

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9. Le rôle décisif de Vigier dans laseconde reconversion de de Broglie

Parmi les multiples raisons qui ont pu convaincre de Broglie de la nécessité de reconsidérerses conceptions premières d’avant 1927, l’apport de Vigier a joué un rôle déterminant etnous allons expliquer pourquoi. Préalablement, nous allons rappeler les grandes étapesde la carrière de de Broglie pendant sa période intermédiaire bohrienne, qui s’étend dulendemain du cinquième conseil Solvay de 1927 jusqu’à 1951, afin de mesurer quel boule-versement intellectuel ce deuxième revirement peut représenter dans la vie d’un homme.Ce revirement n’a d’ailleurs pas manquer de surprendre ses plus proches collaborateurs,comme Jean-Louis Destouches1, mais aussi plus largement l’ensemble des physiciens quile côtoient.

9.1. De Broglie avant son second revirementLe soutien de de Broglie à l’interprétation de Bohr et Heisenberg2 est, au début, mani-festement un soutien par défaut. Au sortir du cinquième conseil Solvay, il se découragede poursuivre la théorie de l’onde pilote à causes des critiques, principalement celles dePauli, dont elle est victime et qu’il juge insurmontables. Sans doute est-il aussi impres-sionné par tout un pan de la mécanique quantique dont il ne soupçonne pas l’existenceavant le conseil Solvay. C’est en effet seulement à cette date qu’il prend connaissance del’interprétation complémentaire de Bohr ainsi que des relations d’Heisenberg, n’ayant quetrès peu de contacts avec les physiciens de Copenhague et Göttingen, mis à part Bornauquel il fait souvent référence dans ses travaux sur la mécanique ondulatoire. Son nou-

1Jean-Louis Destouches, « Le séminaire de Louis de Broglie », {Louis De Broglie. Sa Conception DuMonde Physique. Le Passé Et L’avenir De La Mécanique Ondulatoire.}, Paris : Gauthier-Villars, 1973.Vila-Valls p. 54.

2Il serait anachronique de parler d’interprétation de Copenhague avant 1950 comme le remarque Camil-leri car ce terme apparaît pour la première fois en 1950 dans les écrits soviétiques. Kristian Camilleri,« Constructing the myth of the Copenhague Interpretation », dans Perspectives on Science n°17, 1999p. 26-57

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9. Le rôle décisif de Vigier dans la seconde reconversion de de Broglie

veau statut de maître de conférences en physique théorique à l’IHP, qui vient tout justed’ouvrir ses portes, ne doit pas être totalement étranger à ce changement d’attitude, lecontraignant à enseigner la mécanique quantique dans la seule version réellement cohé-rente à cette période, celle du groupe de Bohr. Pendant ces premières années, de Brogliepublie peu, ne trouvant pas de thématique de recherche à sa convenance. Il entre dansune période d’errements, traversé par des doutes quant aux conséquences de ses choix,dont il fait part à Einstein dans une lettre3.Son malaise se dissipe dans les années 1930. Il renoue avec les grands programmes de

recherche qu’il affectionne tant. Il s’intéresse à la mécanique ondulatoire du photon età la physique du noyau. Conjointement, il défend ardemment les thèses de Copenhagueselon lesquelles les postulats classiques ne sont pas adaptés à la description du mondemicroscopique. Il n’y a plus de doute quant à son adhésion pleine et entière à l’orthodoxiebohrienne. À cause du quantum d’action, il prêche en faveur du renoncement à expliquerles microphénomènes dans le cadre de l’espace et du temps ainsi qu’à distinguer le systèmedes moyens d’observation. Le même sort est réservé au déterminisme qu’il rejette ens’appuyant sur le théorème de John von Neumann de 19324 :

Il semble bien qu’il soit impossible de ramener [...], par l’introduction devariables cachées, l’indéterminisme quantique à un déterminisme sous-jacent.C’est encore ce qu’a montré M. von Neumann dans ses profonds travaux surla question. Il a, en effet, prouvé que les lois de probabilité énoncées par lanouvelle Mécanique ondulatoire et quantique pour les phénomènes élémen-taires, lois bien vérifiées par l’expérience, n’ont pas la forme qu’elles devraientavoir pour qu’on puisse les interpréter comme dues à notre ignorance desvaleurs exactes de certaines variables cachées. La voie qui paraissait rester ou-verte dans cette direction pour restaurer le déterminisme à l’échelle atomiquesemble donc se fermer devant nous. On conçoit l’importance scientifique etphilosophique de la démonstration de M. von Neumann.

Le théorème de von Neumann marque profondément de Broglie. Dans de nombreusespublications, il n’hésite pas à le citer comme preuve irréfutable que la physique théoriquea franchi une étape définitive qui interdit désormais toute espérance de réintroduire ledéterminisme en physique. À l’IHP, il devient titulaire de la chaire de physique théo-rique laissée vacante par Léon Brillouin nommé au Collège de France. De Broglie oriente

3Vila Valls p. 484Louis de Broglie, «Hasard et contingence en physique quantique », Revue de métaphysique et de morale,LV, 1945. p 241-252

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9. Le rôle décisif de Vigier dans la seconde reconversion de de Broglie

ses recherches vers une physique qui prend une forme très mathématique avec une fortecomposante épistémologique tout en gardant une certaine distance avec la physique ex-périmentale. Il s’entoure d’élèves, parmi lesquels figurent Jean Louis Destouches, OlivierCosta de Beauregard, Marie-Antoinette Tonnelat et Gérard Pétiau qui privilégient euxaussi une recherche physique assez abstraite. Ce groupe s’élargit pour accueillir le jeuneVigier en 1950. En 1950 et 1951 de Broglie donne un cours à la Sorbonne d’orientationépistémologique pro-bohrienne dont le manuscrit comprend de nombreuses notes et ra-tures qui sont l’emprunte de sont revirement. L’une d’entre elle mentionne la théorie del’onde pilote comme preuve que le théorème de von Neumann ne s’applique pas à toutes lesclasses de théories à variables cachées. Cette note est vraisemblablement rédigée lorsquede Broglie prend connaissance de la théorie des variables cachées de Bohm lors de l’été1951. De Broglie autorisera Lochak en 1982 à publier ce manuscrit à condition que celui-ciindique les modifications que de Broglie a apporté au texte primitif5.

9.2. Le rôle de Vigier dans le revirement de de BroglieLa durée de la transition entre la défense de la complémentarité et l’adoption par deBroglie de la théorie des variables cachées est extrêmement courte puisqu’un an après avoirreçu le courrier de Bohm, le 31 octobre 1952, il tient une conférence au Centre Internationalde Synthèse d’Henri Berr, intitulée La physique quantique restera-t-elle indéterministe ?dans laquelle il motive sa nouvelle orientation. Le contenu de la conférence est retranscritet complété par d’autres articles relatifs à la théorie de la double solution pour donnernaissance, quelques mois plus tard, à un ouvrage portant le même titre. À la fin de la sonexposé, de Broglie conclut par ces mots6 :

L’histoire des sciences montre que les progrès de la Science ont été constam-ment entravés par l’influence tyrannique de certaines conceptions que l’on avaitfini par considérer comme des dogmes. Pour cette raison, il convient de sou-mettre périodiquement à un examen très approfondi les principes que l’on afini par admettre sans plus les discuter. L’interprétation purement probabilistede la Mécanique ondulatoire a certainement depuis un quart de siècle rendudes services aux physiciens [...] Mais aujourd’hui le pouvoir explicatif de la Mé-canique ondulatoire, telle qu’elle est enseignée, paraît en grande partie épuisé.Tout le monde le reconnaît et les partisans de l’interprétation probabiliste

5Louis de Broglie, Les incertitudes d’Heisenberg et l’interprétation probabiliste de la mécanique ondula-toire, Paris : Gauthier-Villars, 1982.

6De Broglie-1953 p. 22

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9. Le rôle décisif de Vigier dans la seconde reconversion de de Broglie

eux-même cherchent , sans beaucoup de succès, semble-t-il, à introduire desconceptions nouvelles encore plus abstraites et plus éloignées des images clas-siques. [...] Sans nier l’intérêt de ces tentatives, on peut se demander si ce n’estpas plutôt vers un retour à la clarté des représentations spatio-temporelles qu’ilfaudrait s’orienter. En tout cas, il est certainement utile de reprendre le pro-blème très difficile de l’interprétation de la Mécanique ondulatoire afin de voirsi celle qui est actuellement orthodoxe est vraiment la seule que l’on puisseadopter.

Les termes employés par de Broglie contre l’interprétation probabiliste sont vifs et doré-navant, il dépense la même énergie à la combattre qu’il n’en dépensait pour la défendrequelques mois auparavant. De Broglie va même jusqu’à interdire auprès de son éditeur,Albin Michel, la réédition de certains de ses anciens ouvrages de sa période bohrienne.En dépit de la durée très brève qu’il a fallu à de Broglie pour se ranger du côté de la

théorie des variables cachées, il ne faut pas perdre de vue, comme nous l’avons soulignédans la deuxième partie de ce mémoire, que de Broglie est loin d’être convaincu parl’article de Bohm et ne se montre guère enthousiaste quant au potentiel de la théorie desvariables cachées. Certes, il accorde à Bohm de lever deux objections majeures contre lathéorie de l’onde pilote : celle de Pauli et celle du théorème de von Neumann. Par contre,ces avancées sont loin d’être suffisantes à ses yeux7 :

En résumé, l’interprétation de la Mécanique ondulatoire semble toujoursse heurter à des difficultés insurmontables, principalement de l’impossibilitéd’attribuer à l’onde ψ une réalité physique ou d’admettre que le mouvementd’un corpuscule est déterminé par des mouvements possibles qui ne sont pasréalisés.

Les remarques de de Broglie ne portent pas sur la concordance de la théorie avec l’expé-rience mais sur la signification physique des expressions mathématiques qu’elle emploie.De Broglie est très exigeant quant à la cohérence logique dont doit faire preuve une théo-rie à prétention ontologique. Si l’interprétation positiviste considère que la mécaniquequantique est juste un arsenal d’outils mathématiques utiles pour prédire des résultatsexpérimentaux, et ne se soucie pas de questionnements, qu’elle qualifie d’ailleurs de mé-taphysiques, c’est-à-dire relatifs à la signification physique de l’équation de Schrödingerdéfinie dans l’espace des phases, une interprétation réaliste, au contraire, se doit, pour deBroglie, d’être irréprochable et ne contenir aucune ambiguïté. Les ambiguïtés signaléespar de Broglie dans la théorie telle qu’elle est présentée par Bohm sont les suivantes :

7De Broglie C.R. Académie des Sciences T.233, 1951 p. 644.

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9. Le rôle décisif de Vigier dans la seconde reconversion de de Broglie

• L’équation de Schrödinger est définie dans l’espace des phases

• L’onde ψ est complexe

• L’onde ψ est à la fois de nature probabiliste et physique

Vigier entend les remarques de son maître et se donne pour tâche de trouver une réponseà chacune d’entre elles. Il s’y attelle dès l’automne 1951 et les réponses qu’il suggèreconstituent une part relativement importante de sa thèse.Le premier point est traité en grande partie par de Broglie lui même avec une aide

ponctuelle de Vigier. Il est présenté dans le chapitre V de la thèse8. Pour franchir cetobstacle, de Broglie établit un lemme qui permet de décomposer l’onde ψ, solution del’équation de Schrödinger définie dans l’espace des phases à 3N coordonnées, en N ondessingulières ϕi correspondant chacune à une particule individuelle qui suit une trajectoirepropre. Bien que le potentiel quantique de chaque particule soit toujours défini dansl’espace des phases, car il dépend simultanément des coordonnées de tous les constituantsdu système, cette possibilité de décomposition de la fonction d’onde est déjà un pasindéniable qui semble suffire à de Broglie. Notons que cette particularité du potentielquantique induit la non localité mais ceci n’est jamais mentionné comme un obstacleépistémologique par de Broglie et Vigier.Les deux autres points sont traités dans le premier chapitre de la thèse9. Nous les avons

déjà analysés dans un précédent mémoire10 et nous nous contenterons de rappeler ladémarche générale de Vigier. Dans ce chapitre, Vigier expose les quatre formes possiblesque peut prendre la théorie de l’onde pilote, chacune étant équivalente dans les résultatsqu’elle fournit mais dont les interprétations physiques diffèrent. Dans l’une d’entre elles,qui est celle qu’utilise Bohm dans on article de 1952, la fonction ϕ = Rei

Sh̄ peut être

considérée, d’après Vigier, comme une fonction auxiliaire, sorte d’intermédiaire de calculqui n’apparaît pas dans l’expression finale de l’équation de mouvementm∂−→v

∂t =−O(V +U)de la singularité-particule. Elle n’a donc pas de sens physique et aucune grandeur complexen’intervient. L’autre avantage est que sous cette forme, lorsque h̄ tend vers 0, le potentielquantique disparaît de l’équation de mouvement pour redonner l’équation de Newton,alors que ceci n’est pas évident sous la forme ϕ = Rei

Sh̄ car l’argument prend alors des

valeurs très grandes difficilement analysables.Enfin, Vigier lève la dernière objection en préconisant de retourner à la forme de la

double solution dans laquelle l’onde probabiliste s’écrit ψ = Cϕ, où C est une constante8Vigier Thèse p. 127-1529Vigier Thèse p. 17-45

10Besson p. 17-19

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9. Le rôle décisif de Vigier dans la seconde reconversion de de Broglie

de normalisation. Vigier démontre, comme nous l’avons vu, qu’un ensemble de micro-objets de l’interprétation causale se répartit conformément à la densité de probabilitéde la mécanique quantique standard, à condition de l’interpréter au sens des ensemblesstatistiques de Blokhintzev et Terletzki. Ainsi, sous la forme de la double solution, seulel’onde de probabilité est réduite et ce n’est pas cette réduction, assimilable à une prise deconnaissance de l’état du système, qui modifie le potentiel quantique. Le potentiel quan-tique est modifié par un processus physique, l’interaction entre le système et l’appareil.Il faut bien noter que dans le processus de mesure décrit par Bohm, après l’interactionentre l’appareil de mesure et la particule, les différents paquets d’onde ne disparaissentpas bien que la particule se trouve dans un seul d’entre eux. Ils cessent juste d’influersur le potentiel quantique de la particule et c’est pour cela qu’il n’apparaissent plus dansl’expression littérale finale.En plus de l’attention particulière que manifeste Vigier à répondre aux critiques de de

Broglie, le rapprochement entre la théorie de la double solution et la théorie unitaire affineest une nouveauté primordiale pour de Broglie qui le fait pencher en faveur d’un nouvelexamen de la théorie. Premièrement, cela lui offre une nouvelle envergure, qui la rattacheà un programme de recherche plus large. Deuxièmement, la conséquence mathématiquemajeure, l’introduction de la non linéarité, permet de justifier plus rigoureusement que deBroglie ne l’avait fait en 1927, certains résultats.

Au final, le travail de Vigier est bel et bien capital dans le processus de reconversion dede Broglie. Bohm a construit les fondations de la nouvelle théorie causale et sans lui, iln’aurait pas été possible d’envisager qu’une théorie à variables cachées puisse à nouveauémerger, dans un contexte d’hégémonie de l’école de Copenhague. Cependant, Vigier aeffectué, en quelque sorte, le travail de finition. Il s’est efforcé de reprendre une à une toutesles objections de de Broglie pour que la nouvelle théorie soit la plus irréprochable possiblesur le plan interprétatif, et ajoute une perspective nouvelle par son apport relativiste.

9.3. Le rôle de Vigier vu par de BroglieDans la littérature consacrée à l’histoire de la théorie des variables cachées, Vigier apparaîtplutôt comme un acteur de second plan, dont les travaux sont moins essentiels par rapportà ceux de Bohm et de de Broglie, considérés comme les deux principaux architectes. Sicette histoire avait été écrite par de Broglie, il en aurait sûrement été autrement. Si l’on seréfère aux ouvrages publiés par de Broglie dans ces années-là, Vigier et Bohm sont traitésau moins d’égal à égal.

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9. Le rôle décisif de Vigier dans la seconde reconversion de de Broglie

Dans l’ouvrage de de Broglie cité quelques lignes plus haut, en plus des siens, de Broglieglisse deux articles de Vigier sur le lien entre la théorie de la relativité générale et la théoriede la double solution. De plus, la dernière partie du livre est écrite par Vigier. Par contre,aucun article de Bohm n’est présent et son nom n’est même pas cité dans l’introduction.De Broglie mentionne simplement « les travaux récents de divers théoriciens qui tendentà reprendre en approfondissant de différentes manières des idées analogues à celles émisespar l’auteur il y a vingt-cinq ans »11. Dans la conférence, de Broglie raconte comments’est produit la résurrection de la théorie de l’onde pilote12 :

La situation en était là, à peu près stabilisée depuis un quart de siècle,quand a paru, il y a quelques mois, l’article de M. Bohm dont j’ai parlé audébut. Cet article ne contient rien d’essentiellement nouveau, puisqu’il ne faitque reprendre la théorie de l’onde pilote que j’avais exposée au Conseil Sol-vay, théorie qui, ne faisant intervenir que l’onde ψ et non l’onde à singularitéintroduite par l’hypothèse de la double solution, me paraît toujours se heur-ter à des difficultés insurmontable. Néanmoins, en dehors du mérite d’avoirramené l’attention sur ces questions, M. Bohm a eu aussi celui de faire un cer-tain nombre de remarques intéressantes et, en particulier, de faire une analysedes processus de mesure envisagés du point de vue de l’onde pilote qui paraîtpermettre d’écarter les objections opposées à mes idées par Pauli en 1927.

Quelques lignes plus bas, de Broglie explique que la théorie de Bohm et les remarques deVigier l’ont motivé à reconsidérer le théorème de von Neumann. Si l’on prend les propos dede Broglie au pied de la lettre, le travail de Bohm est certes intéressant mais pas essentielpuisqu’il ne fait qu’améliorer l’existant. L’attitude de de Broglie est surprenante car letravail de Bohm permet, à lui seul, d’échapper aux critiques de Pauli et au théorème devon Neumann qui ont été tous deux capitaux pendant sa période bohrienne. En ce quiconcerne Vigier, les commentaires de de Broglie sont laudatifs :

À la suite de la tentative de M. Bohm, M. Jean-Pierre Vigier, qui travailleà l’Institut Henri Poincarré, a eu l’idée très intéressante d’établir un rappro-chement entre la théorie de la double solution et un théorème démontré parEinstein[...] M. Vigier poursuit avec beaucoup d’ardeur des tentatives pourpréciser cette analogie en cherchant à introduire les fonctions d’onde u dans ladéfinition de la métrique de l’espace-temps. Bien que ces tentatives ne soientpas encore parvenues à leur plein achèvement, il est certain que la voie dans

11De Broglie 1953 p. VI12De Broglie 1953 p. 17

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9. Le rôle décisif de Vigier dans la seconde reconversion de de Broglie

laquelle il s’est engagé est très intéressante, car elle pourrait conduire à uneunification des idées de la Relativité généralisée et de la Mécanique ondula-toire.

Dans la manière dont de Broglie raconte comment s’est effectué son deuxième revirement,l’apport de Vigier apparaît comme premier et celui de Bohm second. Dans la préface del’édition commerciale de la thèse de Vigier, de Broglie adresse un message aux historiensdes sciences :

Tant que l’ensemble des difficultés n’aura pas été levé, on ne sera pas sûrqu’elles sont surmontables et l’on ne pourra pas affirmer que l’interprétationcausale et objective de la Mécanique ondulatoire par les conceptions de ladouble solution doit remplacer l’interprétation probabiliste actuelle. Si cepen-dant la première devait un jour finir par l’emporter sur la seconde, M. Jean-Pierre Vigier devrait alors être considéré comme ayant puissamment contribuépar ses recherches à cette évolution nouvelle et assez imprévue de la Physiquethéorique.

Il est bien sûr normal, dans ce genre d’exercice, de s’attendre à ce que de Broglie soitélogieux envers Vigier. Cependant, il ne semble manifester dans nul autre écrit la mêmeattention envers Bohm, alors que celui-ci est objectivement le véritable élément déclen-cheur de la renaissance de la théorie de la double solution, sans qui, la théorie de de Broglieserait très probablement restée dans les cartons. Peut-être que la raison est d’ordre affec-tive et à chercher dans la plus grande proximité géographique entre Vigier et de Brogliequ’entre ce dernier et Bohm, favorisant l’émergence, en plus de relations professionnelles,d’une relation d’amitié entre les deux hommes.

9.4. De Broglie devient une personnalité respectablepour les communistes

Les intellectuels communistes ne sont pas indifférents au second revirement de de Broglie.Pour ces intellectuels, de Broglie, bien que non marxiste, avance dans la ”bonne direction”depuis qu’il a rejoint les rangs de l’opposition à l’école de Copenhague. Cette attitude descommunistes à son égard tranche radicalement avec celle des années passées. Dans l’articlede Vassails de 1951, déjà cité dans la deuxième partie de ce mémoire, de Broglie est rangédu côté des « scientifiques bourgeois » dont la démarche est « antiscientifique » par son

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9. Le rôle décisif de Vigier dans la seconde reconversion de de Broglie

aversion envers déterminisme et le réalisme13 .Le même auteur, en 1953, malgré des restes d’idéalisme et d’un certain cartésianisme,

fait l’éloge de de Broglie qui, même s’il n’en a pas conscience, agit objectivement dans lesens d’une science marxiste14 :

notre désaccord ici avec Louis de Broglie est accessoire. L’essentiel, c’estnotre accord, accord plus large et plus profond encore lorsque, sans nous arrêteraux opinions philosophiques de ce physicien ou à leur forme d’expression, nousconsidérons la marche réelle de sa pensée, sa méthode véritable.

L’attitude de Vassails envers de Broglie est assez représentative de celle de l’ensemble descommunistes : il est inutile d’insister trop lourdement sur son son passé bohrien puisqu’ila fait amende honorable. Dans la même veine, Eugène Cotton insinue, qu’au fond, deBroglie est un marxiste qui s’ignore15 :

On connaît l’attitude récente de Louis de Broglie condamnant les thèsesqu’il avait enseignées pendant vingt-cinq ans. Il est fort significatif de voir àquel point ses raisonnements actuels, reprenant sous une forme améliorée cer-tains de ses travaux antérieurs, sont proches des raisonnements des physicienssoviétiques, et à quel point les savants se rapprochent parfois spontanémentdu matérialiste dialectique.

Certaines de ses prises de position politiques sont saluées par le PCF, comme son oppo-sition à la création du Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire (CERN) en 195216.Georges Cogniot, lors d’une conférence pour la présentation de la première édition fran-çaise de la Dialectique de la Nature d’Engels, souligne que de Broglie a ”attaqué le dog-matisme en des termes voisins de ceux-la même que Staline a utilisés dans son étude surla linguistique”17 en 1952 au Centre International de Synthèse. De la part de Cogniot, deBroglie ne peut espérer meilleur compliment.De Broglie acquiert un statut particulier en tant qu’intellectuel non-communiste. Quelque

années après son deuxième revirement, la Pensée lui ouvre ses colonnes à l’occasion dudébat entre les positions complémentaristes de Fock, qui prennent de plus en plus d’im-portance parmi les physiciens soviétiques, et ses opposants18. Ce fait est intéressant car13Vassails 1951 p. 3014Gérard Vassails, « Louis de Broglie et l’indéterminisme physique », dans La Nouvelle Critique n°43,

1953, p. 13515Cotton-1953 p.100.16Eugène Cotton, « Documents des journées nationales d’études des intellectuels communistes (Ivry,

29-30 mars 1953) », dans La Nouvelle Critique n°45, 1953, p. 17117Eugène Cotton cite Cogniot, préc. cit. p. 17118Louis de Broglie, « L’interprétation de la mécanique ondulatoire », dans La Pensée, 1960, p.16-45.

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9. Le rôle décisif de Vigier dans la seconde reconversion de de Broglie

dans la période qui s’étend de 1939 à 1965, que ce soit dans la Pensée ou dans la NouvelleCritique, il n’existe pas de cas analogue d’un intellectuel qui d’aucune manière que ce soitse déclare proche de la philosophie marxiste et dont la rédaction publie un article.

Il est difficile de mesurer, avec les sources à notre disposition, le rôle exact qu’a pu jouerVigier dans l’acceptation de de Broglie par les communistes. Ce qui est certain, c’est queVigier a toujours privilégié la mise de côté d’éventuelles divergences philosophiques pouradopter une stratégie de front uni contre l’interprétation de Copenhague19 :

Sur de telles positions peuvent se rejoindre tous les spécialistes de la mé-canique quantique qui rejettent les positions positivistes de l’école de Copen-hague (et qui peuvent différer d’avis sur d’autres questions philosophiques).Sur ces points-là, les positions d’Einstein, de Louis de Broglie, de Bohm, oules miennes sont bien les mêmes. C’est dans le cadre de telles conceptions quenous estimons qu’il est possible de faire progresser nos connaissances sur laréalité physique sous-jacente aux phénomènes décrits statistiquement par lathéorie des quanta.

Vigier, bien qu’intransigeant sur les grands principes fondateurs de la théorie causale, saitadopter une certaine souplesse quant aux exigences philosophiques de ses collaborateurset ne fait pas un casus belli de la non adhésion pleine et entière au matérialisme dialec-tique. La preuve de cette souplesse d’esprit est que les désaccords dont il est questionavec de Broglie portent principalement sur le statut des probabilités, où il est souvent re-proché à ce dernier d’avoir une approche mécaniste « qui conduit au fatalisme et à l’Etresuprême, grand horloger déclenchant la mécanique de l’Univers »20, alors que Vigier metun point d’honneur au rapport dialectique entre déterminisme et hasard et le nécessairedépassement du déterminisme laplacien. Pour en revenir à l’influence qu’aurait pu avoirVigier pour faire accepter de Broglie comme allié des communistes, il semble impensableque leur grande proximité ne soit pas un facteur important, même si nous n’avons pas depreuve plus concrète pour étayer cette affirmation.

19Vigier, « Lénine philosophe », dans La Pensée, 1953, p. 66.20Cotton, préc. cit. p. 172.

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10. La réception des travaux de Vigierpar les communistes

10.1. L’accueil controversé chez les communistes de lathéorie causale et des travaux de Jean-Pierre Vigier

Les travaux de Vigier, et plus largement la théorie causale, sont très rapidement remar-qués les communistes français. On peut réellement distinguer un avant et un après 1952,les termes du débat autour de l’interprétation de la mécanique quantiques subissant unchangement qualitatif car cette théorie occupe une place centrale, aussi bien chez ses par-tisans que chez ses détracteurs. Nous avons choisi de présenter cette réception sur unepériode plus étendue que notre analyse des travaux scientifiques car les articles des diffé-rents physiciens communistes se répondent les uns aux autres sur plusieurs années et quenous avons préféré les retranscrire dans leur globalité.

10.1.1. Une accueil initial chaleureux

Dans les quelques mois qui suivent la renaissance de la théorie des variables cachées, ungrand nombres de physiciens communistes se déclare plutôt enthousiaste. Le contexte s’yprête car, presque simultanément, les premières traductions de l’interprétation statistiquedes physiciens soviétiques sont publiées. Il y a une certaine fierté, chez les communistesfrançais, d’avoir dans ses rangs l’un des principaux acteurs de la nouvelle théorie qui estaffichée par ses auteurs comme le prolongement logique de l’interprétation soviétique. Dèsle début 1952, Schatzman rejoint Vigier à l’IHP pour participer au programme causal.Cet engouement se poursuit après la soutenance de la thèse de Vigier et se traduit par laconstitution, dès 1955, d’un groupe de physiciens communistes autour de Vigier contri-buant activement à ce programme de recherche. Les principaux collaborateurs de Vigiersont Lochak, Halbwachs, Hillion, Schatzman et Fer. Ce groupe constitue en quelque sorteune recomposition de l’ancien groupe de de Broglie qui conserve des contacts étroits avecTonnelat, Destouches et Costa de Beauregard qui n’ont cependant pas suivi de Broglie

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10. La réception des travaux de Vigier par les communistes

dans son revirement. Ce nouveau groupe s’occupe d’introduire la notion de spin dans lareprésentation hydrodynamique. Leur idée est de le représenter par des tourbillons qui sepropagent sur le fluide pilote1. Des travaux seront aussi menés en physique des particulesen édifiant une nouvelle méthode de classement des particules par leur ”nombre d’unitéde spin” (ou d’isospin) en introduisant de nouveaux nombres quantiques2. Le fait qu’unnombre non négligeable de physiciens communistes français soit impliqué dans le pro-gramme causal a comme effet direct de stimuler les débats. Le nombre d’articles dédiés àl’interprétation de la mécanique quantique dans les deux principales revues communistescroît en conséquence.Avant 1955, l’état d’esprit est positif. Eugène Cotton voie d’un bon œil la tentative

causale3. Elle prouve que le marxisme peut être créateur en sciences et, même si ce n’estpas l’unique voie à envisager, elle permet d’élargir la discussion en lien avec l’interprétationdes soviétiques ce qui ne peut être que profitable dans la lutte des communistes contrel’idéalisme en sciences.

10.1.2. La polémique sur l’interprétation causale

Cependant, les premières critiques ne tardent pas à arriver et déclenchent une vive po-lémique par articles interposés, principalement dans la Nouvelle Critique, au sein desphysiciens communistes, entre pro et anti interprétation causale. Cette polémique s’étendde 1955 à 1958 et, sans que nous puissions l’expliquer, Vigier, qui est l’un des principauxintéressés, n’intervient pas directement pour défendre son point de vue. Le point de départde la controverse est un article de François Lurçat daté de février 1955 pour la NouvelleCritique 4 qui propose un compte rendu de la thèse de Vigier. Lurçat regrette la tournureque prennent les débats qui ne doivent pas se réduire, d’après lui, à une opposition binaireentre une théorie idéaliste et une théorie matérialiste de la mécanique quantique commele fait Vigier. Il remarque qu’il existe plusieurs interprétations qui se prétendent matéria-listes et qui ne sont pas d’accord entre elles. À ce propos, il signale que l’interprétationcausale et l’interprétation statistique de Blokhintzev ne sont pas identiques de par leur in-terprétation des relations d’Heisenberg : pour Vigier, ces relations ne s’appliquent qu’à unensemble de mesures et non à une particule isolée ; pour Blokhintzev elles sont le produit

1David Bohm, Georges Lochak et Jean-Pierre Vigier, « L’interprétation de Dirac comme approximationlinéaire de l’équation d’une onde se propageant dans un fluide tourbillonnaire en agitation chaotiquedu type éther de Dirac », dans Séminaires Louis de Broglie, 10 janvier 1956.

2de Broglie-1961 p. 78.3Cotton préc. cité. p. 172.4François Lurçat, « La thèse de Jean Pierre Vigier et l’état actuel de la physique quantique », dans LaNouvelle Critique n°62, 1955 p. 176-183.

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10. La réception des travaux de Vigier par les communistes

de l’interaction de la particule microscopique avec l’appareil macroscopique. Il juge égale-ment pertinente les critiques de Fock contre Blokhintzev, ce qui est assez singulier à cettepériode. Lurçat préconise de se méfier du bon sens qui chercherait à appliquer les conceptsclassiques, dont la notion de trajectoire, au monde quantique. Une option non envisagéepar Vigier est que l’impossibilité de mesurer simultanément un couple de variables quine commutent pas, comme la position et la quantité de mouvement, ne reflètent pas unindéterminisme intrinsèque, mais simplement que ce couple de grandeur ne se réalise passimultanément à l’échelle microscopique. Le fond du débat est de savoir quel place doitavoir le marxisme dans l’élaboration des théories scientifiques. Pour Lurçat, le matéria-lisme dialectique n’est pas là pour dicter à la nature son comportement, il ne peut pas sesubstituer à l’expérience pour disqualifier a priori une théorie. Il formule ici la critiquemajeure à cette période contre l’interprétation causale : elle ne s’appuie sur aucune expé-rience pour étayer ses postulats. En s’appuyant sur Lénine, il rappelle que le marxismedoit avant tout être employé pour généraliser des résultats de la science afin d’aider àmieux les interpréter. Les marxistes doivent savoir « distinguer, dans l’œuvre des savants,le contenu scientifique de l’écorce idéaliste dans laquelle il est souvent enrobé »5 et nepas croire sur parole leurs auteurs quand ils interprètent leurs résultats. La prudence deLurçat sur l’application des principes du matérialisme dialectique en science s’explique,en partie, par la peur de voir resurgir les erreurs du passé, le scandale du lyssenkismen’est pas loin. Il cite en effet un article du mathématicien Sobolev6 pour argumenter sespropos, dans lequel le russe fait un plaidoyer contre l’attitude dogmatique adoptée dansle passé par certains scientifiques soviétiques envers la biologie, la relativité générale et lacybernétique. L’article de Lurçat ne manque pas sa cible et provoque une réponse rapidede Francis Fer, fervent défenseur de la théorie causale7. Il envoie une lettre à la rédactionde la Nouvelle Critique qui est publiée conjointement avec une réponse de Lurçat.Fer ne se satisfait pas des conclusions de Lurçat, trop vagues à son goût. D’après lui,

le parti communiste doit adopter une ligne claire sur l’interprétation de la mécaniquequantique et ne peut accepter cette multitude de positions différentes. Ce qui est perçucomme qualité chez l’un est décrié chez l’autre. Il diffère également de Lurçat sur lecrédit à accorder aux résultats de la mécanique quantique. Il affirme que l’idéalisme apénétré si profondément la mécanique quantique qu’elle s’est écartée de la méthodologiescientifique en s’interdisant certaines questions, comme le dépassement des restrictions de

5Préc. cité. p. 183.6Sergueï Lvovitch Sobolev, « La critique scientifique, l’esprit novateur et le dogmatisme », dans LaNouvelle Critique n°61, 1955, p. 205-2011.

7Francis Fer, « Une discussion à propos de l’indéterminisme en physique », dans La Nouvelle Critiquen°69, 1955, p. 148-149.

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10. La réception des travaux de Vigier par les communistes

la précision des mesures. Fer n’exclut pas d’avance, qu’un jour, une particule plus fine quele photon permette de scruter la matière plus précisément que le permettent les relationsd’Heisenberg. Il prend pour exemple la découverte des rayons X au XIXème siècle dontpersonne ne soupçonnait l’existence avant leur découverte par Roentgen. Il n’est donc paspossible de simplement, comme le suggère Lurçat, séparer l’ivraie idéaliste du bon grainscientifique car, dans le cas de la mécanique quantique, les deux sont intimement mélangés.De plus, selon Fer, le débat dépasse le cadre de la physique pour rejoindre le terrainpolitique puisque les partisans de l’indéterminisme « insistent sur les prolongements dansdes domaines où il n’avait apparemment que faire et où, chose curieuse, il apporte unrenfort bien accueilli à la défense idéologique du régime capitaliste »8. Pour Fer, Bohret Heisenberg utilisent consciemment l’indéterminisme pour lutter contre le socialismeéconomique car si l’indéterminisme était une propriété fondamentale de la nature, plusaucune planification rationnelle de l’économie n’est envisageable. D’ailleurs, il n’oublie pasde rappeler qu’Heisenberg a « aussi été un grand homme du III Reich, et soutien actif durégime hitlérien »9, ce qui ne peut être qu’une simple coïncidence. En somme, Fer penseque la théorie causale est un juste retour à la normale en science physique après une périoded’égarement de 25 ans. Ce qui revient à dire que si l’indéterminisme n’avait pas triomphéen 1927 et que la théorie de de Broglie avait connu plus de soutien, la situation auraitété inverse et ce serait les partisans de la complémentarité qui se trouveraient contraintsde justifier pourquoi certains concepts classiques, comme la notion de trajectoire, doiventêtre supprimés de la théorie. Il renvoie ainsi dans le camp de partisans de Copenhaguel’instrumentalisation de la science à des fins idéologiques10 :

À ceux qui maintenant osent nous parler d’asservissement, il est aisé de ré-pondre : l’asservissement réside là où l’on tente de sauver une cause perdue parun détournement de la raison. Les communistes, en défendant le déterminismeen physique et le marxisme en économie politique et en histoire, n’asservissentrien à rien : partout, c’est la même cause de la vérité et du progrès qu’ilsdéfendent.

Fer précise qu’il n’accuse pas tout partisan de l’école de Copenhague d’être un « suppôtdu capitalisme » ni que la théorie de Vigier soit la seule voie possible pour l’établissementd’une science matérialiste mais il invite les communistes à se réjouir d’une telle initiative,ne serait-ce parce qu’elle a le mérite d’exister. Il incite Lurçat à préciser quelles sont lescritiques scientifiques qu’il oppose à la théorie de Vigier-Bohm-de Broglie.

8Préc. cité. p. 157.9Préc. cité. p.157.

10Préc. cité. p.158.

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10. La réception des travaux de Vigier par les communistes

Lurçat11 lui rétorque qu’il ne peut que maintenir une certaine ambiguïté à propos de lathéorie causale et qu’il ne peut pas exprimer d’avis scientifique pour la simple raison que lathèse de Vigier ne formule aucune hypothèse testable expérimentalement. En conséquence,il estime que son analyse ne peut être située que dans le champ philosophique. Lurçatpense qu’à la fois la mécanique quantique standard et sa nouvelle formulation sont toutesdeux des théories causales à leur manière, mais qu’aucun argument philosophique ne peutles départager12. Il accorde à Fer que l’idéalisme peut être un frein au progrès scientifiqueet que les conceptions des savants influencent nécessairement leur travail. La discussionentre philosophes et scientifiques est utile en cela : analyser, dans l’histoire des sciences,la place des conceptions dans l’élaboration des théories, ce qu’il illustre, en mécaniquequantique, par l’interprétation des relations d’Heisenberg :

On sait que les relations d’Heisenberg sont l’argument favori des idéalistes.Elles sont, de toute la physique moderne, le point qui a été le plus falsifiépar l’idéalisme. [...] C’est ainsi que Bohr a avancé à deux reprises l’idée quela loi de conservation de l’énergie ne serait qu’une loi statistique, valable enmoyenne pour un grand nombre de phénomènes, mais que dans un phénomèneélémentaire une partie de l’énergie pouvait fort bien disparaître sans laisser detrace. Il s’agissait, la première fois (1924) d’expliquer les chocs entre électronset photons et la deuxième fois (1932), d’expliquer la « désintégration β » desnoyaux atomiques. Cette idée a été réfutée par l’expérience. Mais le pointintéressant est que Landau et Peierls tentèrent de la justifier à l’aide d’uneapplication abusive des relations d’Heisenberg.

Lurçat insiste aussi sur l’élargissement nécessaire du débat, pour ne pas rester focalisé surles mêmes questions car le marxisme, en tant que généralisation des résultats de la science,doit avoir une vision d’ensemble. Cette discussion s’en tirera par le haut uniquement sitoutes les composantes de la physique intègrent la controverse.Jean Joyeux13 entre également dans la controverse et se montre plus acerbe que Lurçat

envers la théorie causale. Il argue que l’absence de problématique concrète l’empêche des’insérer dans un programme de recherche et la prive d’un soutien officiel des physicienscommunistes et, plus largement, de la communauté scientifique dans son ensemble. PourJoyeux, cette théorie ne fait qu’alourdir inutilement le formalisme mathématique avec

11François Lurçat, «Une discussion à propos de l’indéterminisme en physique », dans La Nouvelle Critiquen°69, 1955, p. 159-165.

12Préc. cité. p.162.13Jean Joyeux, « À propos de la lutte idéologique en physique », dans La Nouvelle Critique n° 76, 1956,

p. 103-113.

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10. La réception des travaux de Vigier par les communistes

comme seul débouché la réinterprétation de résultats déjà connus. Au lieu de perdre leurtemps, il invite les physiciens communistes à apporter leur savoir-faire scientifique etphilosophique à la théorie quantique des champs, théorie bien plus avancée que la théoriecausale pour expliquer les phénomènes atomiques.L’opposition de Joyeux, sur ce point, est identique à celle de Lurçat, la théorie causale

ne permet pas de tester les postulats qu’elle avance14 :

il faut rappeler ici que l’unique critère pour la vérité d’une théorie est l’ex-périence et que toutes les connaissances en marxisme ne peuvent dicter à lanature ses lois du mouvement ni la forme avec lesquelles elles doivent appa-raître (prendre un aspect concret pour nous). Le marxisme, aussi bien, n’ajamais prétendu à cela. Il s’enrichit au contraire en s’adaptant aux dernièresdécouvertes scientifiques. Lénine a clairement montré l’importance décisive del’expérience.

Le fond de la pensée de Joyeux, bien qu’il ne le dise pas, mais ceci est assez fortement sousentendu, est que Vigier sombre dans l’idéalisme en voulant faire correspondre la matièreà ses propres représentations. C’est le cas, par exemple, du champ matériel représenté parl’onde u qui n’existe jusqu’à présent que dans l’imagination de Vigier. Joyeux exprimeaussi par là la même crainte que Lurçat de commettre les mêmes erreurs que par le passé,condamner des théories pour des motifs purement philosophiques. Il donne toutefois uneautre explication qui est étrangère au communisme et qui a à voir avec une certainementalité des théoriciens français. D’après lui, Vigier n’échappe pas au syndrome de laphysique théorique française, particulièrement aigu à l’IHP : sa trop grande adorationpour une physique très formelle et mathématique et son mépris, conscient ou non, pourla physique expérimentale. Il accuse d’ailleurs de Broglie d’avoir sa part de responsabilitédans la pathologie dont souffre la physique française. Ceci lui permet de conclure surun point qui, d’après lui, est trop souvent négligé par les scientifiques communistes :la nécessité de réformer en profondeur, pour les moderniser, l’enseignement supérieur etla recherche française : il revendique une augmentation sensible des chaires de physiquethéorique dans les facultés, la création d’un accélérateur de particules français et unerecherche théorique plus en lien avec les expérimentateurs.Halbwachs15 réplique que Joyeux se trompe quand il affirme que la seule différence entre

les deux versions de la mécanique quantique est qu’elles utilisent un vocabulaire différent.

14Préc. cité. p. 10715Francis Halbwachs, « Matérialisme et physique quantique », dans La Nouvelle Critique n° 79, 1956, p.

113-127.

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10. La réception des travaux de Vigier par les communistes

La non linéarité est une propriété nouvelle et fondamentale qui ouvre justement la voie àune différenciation sur le terrain expérimental, il faut cependant être patient et laisser unpeu de temps à la théorie causale pour qu’elle se perfectionne, son objectif étant d’explorerles domaines de l’ordre de 10−13 cm, là où la non linéarité s’applique. La théorie causaleest donc un programme de recherche à part entière qui a une vraie légitimité scientifique.Il n’est pas non plus d’accord avec le constat optimiste de ses adversaires quant à l’ave-nir de la théorie quantique des champs. À l’appui, des éminents physiciens, tel Dirac,expriment eux aussi leurs inquiétudes. Halbwachs ne se permet pas d’émettre un avisdéfinitif sur la possibilité de lever les difficultés rencontrées (renormalisation, physique dunoyau) mais invite à la mesure et à la prudence. Il ajoute que la science progresse aussien émettant de nouvelles hypothèses qui ne sont pas directement observables dans unpremier temps, comme ce fut le cas pour l’existence des atomes. Les positivistes ont luttécontre cette hypothèse avec les mêmes arguments utilisés par l’école de Copenhague àpropos des trajectoires des particules microscopiques. Il reproche aussi aux adversaires dela théorie causale de la critiquer sans pour autant proposer une interprétation cohérentede la mécanique quantique, qui explique par exemple en quoi l’indéterminisme quantiquene remet pas en question le principe de causalité. Puisque, d’après le marxisme, les loisscientifiques décrivent objectivement la matière en mouvement, il faut que le formalismemathématique puisse s’interpréter sans ambiguïté. C’est pour lui une des grandes qualitésdu programme causal que de permettre cela. Il se défend ainsi d’un retour à une dichoto-mie entre science bourgeoise et science prolétarienne, abandonnée depuis le XIVèmecongrèsdu PCF au Havre au mois de juillet 1956, pour être remplacée par une distinction entrescience idéaliste et science matérialiste. Ici, Halbwachs mobilise un argument plus poli-tique que philosophique en accusant ses opposants de ne pas être dans la ligne de leurparti. Quant aux problèmes que traverse la physique française, il rejette la faute d’unepart sur le gouvernement de Guy Mollet et sur le système économique car la recherche« est conditionnée avant tout par la politique ouvertement malthusienne de la bourgeoisiefrançaise résultant elle-même de la situation économique et de ses difficultés sociales »16,d’autre part sur les États-Unis qui « s’attachent à recruter des physiciens en Europe et àattirer l’ensemble des théoriciens du monde capitaliste dans leur orbite idéologique ».La polémique est restée jusqu’à présent confinée au cercle des physiciens français, ce-

pendant, elle va s’étendre pour intégrer les physiciens soviétiques.

16Préc. cité. p. 127.

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10. La réception des travaux de Vigier par les communistes

10.1.3. L’abscence de soutien des soviétiques

Les partisans de la théorie causale, dont Bohm, déplorent le manque de soutien des phy-siciens soviétiques, qui pourtant critiquent sévèrement l’interprétation de Copenhague17.Vigier, conscient du problème, va sans relâche essayer de gagner ce soutien. Il réussit àfaire publier deux articles, le premier, en août 1955, dans un ouvrage intitulé Le problèmede la causalité en mécanique quantique sous la direction de Terletzki. Cet ouvrage est unrecueil d’articles de treize physiciens parmi lesquels de Broglie, Bohm, Born, Feynman etVassails. Le deuxième, en 1956, est publié dans la revue Questions de philosophie.La réponse des soviétiques est loin d’atteindre l’espérance de Vigier. Dans la préface de

son ouvrage, Terletzki18 défend Bohm, de Broglie et Vigier contre les attaques de Born,mais ce soutien est critique. Il reconnaît que la théorie causale est logiquement cohérenteet qu’elle est une belle tentative pour s’échapper du positivisme et de la complémentarité.Toutefois, il pense qu’elle se heurte à de graves difficultés comme le fait que le potentielquantique soit défini dans l’espace des phases. La réponse de Demkov19 est beaucoupmoins nuancée. Le physicien réfute l’interprétation que les partisans de la théorie cau-sale ont de la mécanique quantique. À propos de la fonction d’onde, Demkov préciseque l’énoncé « la fonction d’onde représente tout ce qu’il est possible de connaître surle système quantique », n’interdit nullement d’augmenter la précision des connaissancesdu système en lui ajoutant des degrés de liberté supplémentaires et des paramètres. Si,à l’origine, la fonction d’onde était utilisée pour décrire le mouvement des atomes, lesphysiciens s’en sont rapidement servi pour décrire les mouvements des noyaux et des élec-trons. Ils l’ont aussi complétée par de nouveaux paramètres comme le spin ou le spinisotopique. Le second désaccord est plus profond car il touche l’application des conceptsclassique à l’échelle quantique. Demkov est en désaccord avec Vigier et Bohm sur l’origineprobabiliste de la mécanique quantique. Cette nature ne provient nullement, pour lui,de l’interaction incontrôlable entre l’appareil et le système. Il rejoint Bohr sur ce point,l’interaction incontrôlable provient de l’application de concepts classiques pour décrire lemilieu quantique comme lors des expériences de pensée type microscope d’Heisenberg,tout en précisant que20 :

17Olival Freire Jr., Michel Paty, Alberto L. Rocha Barros, « Physique quantique et causalite selon Bohm- Analyse d’un cas d’accueil defavorable », dans Proceedings of the XXth International Congress ofHistory of Science, Liège, 20-26 July 1997, Vol. 14. History of modern physics, 2002 p. 261-273, p.264.

18Jakow Petrowitsch Terletzki, « Le problème de la causalité en mécanique quantique », dans La Penséen°64, 1955 p. 14-20.

19Yuriy Nikolayevich Demkov, « Sur les tentatives de reconsidérer l’interprétation statistique de la mé-canique quantique », dans La Nouvelle Critique n°93, 1957, p. 107-123.

20Préc. cité. p. 117.

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10. La réception des travaux de Vigier par les communistes

Lorsque nous examinons un problème d’un point de vue quantique consé-quent, il ne se présente aucune difficulté : la relation d’indétermination se réa-lise automatiquement et l’interaction incontrôlable n’est nullement nécessaire.À leur époque, ces raisonnement aidèrent à trouver l’interprétation probabi-liste juste de la théorie quantique et à établir les limites de la théorie classique.

Demkov n’exclut pas que l’indéterminisme quantique soit levé un jour, mais il faudra alorsdépasser les concepts quantiques. Son idée générale est qu’il n’est pas possible de fran-chir les limites d’une théorie à partir des concepts de cette même théorie. Ainsi, ce n’estpas pour lui en s’accrochant à des concepts classiques issus du monde macroscopique,comme la notion de trajectoire, qu’il sera possible d’édifier une théorie susceptible dedépasser la théorie quantique. Cette description plus fine que la mécanique quantique nepourra se faire que « sur la base de l’analyse et de la généralisation de données expérimen-tales, et non pas de tels ou tels raisonnements et conjectures arbitraires, non fondées surl’expérience »21. Là aussi, l’accusation d’idéalisme est à peine voilée. À partir du mêmeraisonnement que précédemment, Demkov retourne en atout l’argument de la faiblessesupposée de la mécanique quantique due à la nature statistique de ses prédictions. Il de-vient inconséquent de rechercher une loi qui éliminerait la statistique de la mécaniquequantique puisque la statistique est à la base de la réussite de la théorie, qui, de plus,est largement éprouvée car « dans la majorité écrasante des phénomènes de la nature, cecaractère statistique des microphénomènes conduit, par un effet de moyenne, à une déter-mination pratiquement univoque dans le domaine macroscopique »22. Demkov considèrela statistique non comme une restriction de la connaissance accessible mais comme une« restriction de notre fantaisie », analogue à la restriction du mouvement perpétuel enmécanique classique et en thermodynamique ou le dépassement de la vitesse de la lumièreen relativité. Les restrictions imposées par les relations d’indétermination et par les loisstatistiques sont donc réinterprétées positivement comme une plus grande connaissancede la réalité matérielle. Demkov conclut que tous les arguments des partisans de la théoriecausale contre la mécanique quantique ne sont pas justifiés et qu’aucune de ses assertionsn’ont été, au bout de cinq ans, vérifiées expérimentalement ce qu’il considère comme trèslong sur l’échelle de la physique en argumentant, avec un peu de mauvaise foi, que « lamécanique quantique toute entière a été créée en moins de cinq an »23.Lochak communique une réponse24 à l’article de Demkov face à ces conclusions assez

21Préc. cité. p. 118.22Préc. cité. p. 120.23Préc. cité. p. 123.24Georges Lochak, « Sur les critiques de l’interprétation causale de la théorie des quanta », dans La

Nouvelle Critique n°93, 1957, p.123-140.

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10. La réception des travaux de Vigier par les communistes

sévères mais il reste désemparé. En cette fin d’année 1957, il se produit un tournanten URSS dont le physicien français a bien compris le sens : les temps ont changé etla branche soviétique de l’interprétation de Copenhague, tant décriée depuis 1947, est entrain de prendre le dessus pour s’imposer25. Lochak, quelque peu désabusé, termine ainsi :

Je suis convaincu que l’article de Demkov tombe entièrement sous le coupde la critique de Smoluchowsky26 et que, de plus, il ne constitue pas un simpleexamen philosophique et physique d’une théorie, mais une tentative d’écraserune tendance sous le poids et le prestige du courant dominant. Qu’il le veuilleou non, Demkov sert les intérêts de certains physiciens ou philosophes quivoudraient conserver dans la calme chaleur de son prestige, une théorie auxconquêtes glorieuses et qui n’a plus, comme on aurait dit au XIXème siècle, que« deux petits nuages sombres à l’horizon »27 : le problème des forces nucléaireset l’explication du spectre de masse des particules dites élémentaires.Je crois pouvoir enfin ajouter que les chercheurs travaillant sur l’interpréta-

tion causale ou sur tout autre théorie de ce type ne sont nullement disposésà se laisser rebuter par les difficultés techniques, ni surtout par une telle ten-tative de créer autour d’eux une atmosphère de crainte devant un nouveau« sabbah de sorcières ».

L’article de Demkov marque un coup d’arrêt à la polémique. Mis à part, l’année suivante,un article de Vigier28 sur les particules élémentaires et un article de Lurçat pour enfoncerle clou sur ce qui est désormais l’interprétation dominante29, la situation s’apaise et lamécanique quantique devient une sujet beaucoup moins d’actualité dans les deux revuescommunistes. Notre hypothèse est que la majorité des physiciens français se sont rangésderrière l’interprétation soviétique, et que le débat est clos pour la direction de ces revues.Il faudrait bien entendu faire de plus amples recherches pour en analyser plus finementles raisons.

25Graham p. 338.26Physicien russe faisant parti de la branche soviétique de l’interprétation de Copenhague, suspecté par

Lochak d’être l’instigateur des critiques de Demkov.27Lochak fait référence à Kelvin pour qui « la clarté et la beauté de la théorie est à présent obscurcie par

deux nuages » : la mise en évidence de l’éther et la lois du rayonnement thermique.28Jean-Pierre Vigier, « Les nouvelles particules et la révolution de la microphysique », dans La Nouvelle

Critique n° 99, 1958, p. 129-134.29François Lurçat, « Sur le matérialisme dialectique et la physique »,dans La Nouvelle Critique n° 99,

1958, p. 135-147.

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10. La réception des travaux de Vigier par les communistes

10.2. La théorie dialectique des niveaux d’organisationde la nature

Dans tous les articles autour de la théorie causale, sans que nous puissions l’expliquer,aucun des physiciens impliqués dans la polémique ne mentionne, en pour ou en contre, lathéorie des niveaux d’organisation de la nature, qui est pourtant, pour Vigier, un pointimportant qu’il souhaite soumettre au débat. Si les physiciens restent silencieux, cet aspectintéresse le minéralogiste Jean Orcel30, qui a toujours eu de la sympathie pour les thèsesde Vigier, pour le décliner dans sa spécialité. Bien que cet article arrive quelques annéesaprès les travaux de Vigier étudiés dans ce mémoire, il nous a tout de même semblépertinent d’en rendre compte.

D’après Orcel, la théorie des niveaux d’organisation de la nature est un outil utile auscientifique pour comprendre les différents structures, et leurs interactions complexes, quicomposent la Terre. En effet, ce domaine mobilise plusieurs disciplines telles la physique,la chimie, la biologie ou la mécanique à des échelles qui s’étendent du microscopique aumacroscopique avec, entre deux extrémités, de multiples intermédiaires. Orcel présenteles différents niveaux présents dans les sciences de la Terre de l’échelle la plus grande à laplus petite :

• L’écorce terrestre, les couches sédimentaires, les massifs éruptifs produits par lesvolcans

• Les différents cristaux qui forment les roches

• les atomes constitutifs de ces roches

• les noyaux constitutifs de ces atomes

Comme dans la théorie de Vigier, les différents niveaux d’organisation mobilisent des théo-ries et des techniques expérimentales propres. Ils correspondent chacun à une abstraction,car ils ne décrivent pas, pris isolément, entièrement la réalité, mais ont toutefois un ca-ractère objectif. De plus, ils sont tous interdépendants les uns les autres et le scientifique,pour modéliser le processus global, doit tous les prendre en compte31 :

[au niveau des grands ensembles géologiques] d’organisation de la substanceterrestre, le géologue aura à étudier non seulement des déplacements de masses

30Jean Orcel, « Structure en évolution et niveaux d’organisation de la matière. Importance des sciencesminéralogiques » , dans La Pensée n° 102, 1962, p. 16-38.

31Préc. cité. p. 21.

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10. La réception des travaux de Vigier par les communistes

rocheuses à diverses échelles de dimensions, mais aussi des transformationsphysiques et chimiques de ces masses au cours dés périodes géologiques. Ildevra donc faire appel aux données de la Pétrographie, de la Minéralogie etde la Géochimie.

Orcel insiste beaucoup plus que Vigier sur la notion de temporalité. Il n’est pas étonnantqu’Orcel la mette en avant car le temps est fondamental en géologie, ne serait-ce quepour la datation qui fait intervenir différents échelles de temps et différentes méthodes(datation absolue et relative). Le temps intervient également pour Orcel dans le processusde la découverte. Chaque niveau d’organisation correspond à la fois à une connaissanceobjective et au produit historique des progrès de la connaissance. Dès l’Antiquité, les sa-vants s’intéressent à expliquer, d’abord au niveau le plus élevé, les phénomènes naturelsqui les entourent comme les tremblements de Terre ou l’action des vents et de la glace.Ces explications sont imprégnées de croyances surnaturelles. Puis, au fur et à mesure dudéveloppement de la méthode scientifique, aux XVème et XVIèmesiècles, des explicationsrationnelles sont recherchées ce qui donne naissance à de nouveaux concepts et de nou-velles disciplines, comme la notion de couches, introduite par de Vinci et Palissy, quil’appliquent à l’écorce terrestre. Cette notion est ensuite étendue au noyau au XXème

siècle. Orcel montre, à partir d’autres exemples, que les disciplines scientifiques créées parles sciences de la Terre se transforment, s’étendent à d’autres domaines ou au contraire sesubdivisent au gré des progrès de la connaissance32. Orcel remarque qu’ensuite certainesméthodes peuvent être décriées à un moment de l’histoire, comme la pétrographie, pourensuite connaître un formidable essor grâce à l’apparition de nouvelles techniques, ici lemicroscope polarisant.

Là où Orcel va plus loin que Vigier est qu’il tire des conclusions politiques très concrètesde la structuration en niveaux de la matière. La particularité des sciences minéralogiquesest que les différents niveaux mobilisent des connaissances de domaines scientifiques trèsdivers et aucun ne peut prétendre avoir plus d’importance qu’un autre. Orcel en déduitque la spécialisation de la science dans des domaines restreints jugés porteurs à un ins-tant donné, qui a comme corollaire la négligence d’autres domaines, peut avoir de gravesconséquences sur le long termes, pour son domaine d’activité particulier et pour toutela science en général. L’origine de cette négligence peut être économique, car certainssecteurs de recherches sont moins profitables, mais aussi par une absence de politiquecohérente de la recherche et de l’enseignement. Il en appelle donc à défendre un autre32Par exemple, au niveau de la composition chimique et minéralogique des roches, la pétrographie, science

théorique et descriptive à l’origine, devient ensuite uniquement descriptive et sa partie théorique apris l’appellation de pétrologie, Pré. cité. p. 30.

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10. La réception des travaux de Vigier par les communistes

modèle de société dans lequel « l’Université a un rôle essentiel à jouer, et nous plaçonsnotre plus doux espoir, notre confiance en notre jeunesse étudiante. Il faut sans tarder luidonner la possibilité d’acquérir un haut niveau de connaissance et une culture généraleétendue »33.

33Préc. cité. p. 38.

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11. Conclusion de la troisième partie

Vigier inscrit consciemment ses travaux avec l’objectif de démontrer que le matérialismedialectique est une méthode d’investigation scientifique. Bien plus qu’une simple philoso-phie descriptive, c’est une philosophie de l’action, qui doit aider le physicien et le militantà agir sur le monde. Le matérialisme philosophique est aussi un matérialisme méthodolo-gique. Cet apport du marxisme aux sciences est unanimement partagé par les communistesmais il subsiste des désaccords profonds quant à la forme qu’il doit prendre. L’explica-tion est qu’il n’y a pas de biunivocité entre science et matérialisme dialectique car lesthèses fondamentales du marxisme sont des principes généraux qui ont un certain niveaud’abstraction vis-à-vis du réel : l’affirmation qu’il n’existe rien d’autre que la matière enmouvement ne renseigne ni de de la constitution de cette matière et de ses propriétés, nide la nature de ses mouvements.L’évolution de ce désaccord est un signe du temps qui passe, il est l’emprunte des

évolutions du communisme en URSS et en France. Les travaux de Vigier arrivent à unepériode charnière de l’histoire. Après la mort de Staline, les communistes, avec plus oumoins de latence, ont une réelle volonté de s’affranchir du dogme stalinien. La théoriecausale est perçue comme faisant partie de ce passé sur lequel il faut tirer un trait,tombant peut être, par un rejet de principe, dans un autre type de dogmatisme, commel’illustre la charge violente de Demkov contre la théorie causale.

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12. Conclusion générale

Dans ce mémoire, nous avons établi que Vigier est un acteur de premier plan durant cettepériode clé de l’histoire de la controverse sur l’interprétation de la mécanique quantique,ses contributions scientifiques enrichissant sensiblement la théorie de Bohm. Le rappro-chement qu’il effectue entre la théorie de la double solution et la théorie unitaire relativistedote la théorie causale d’une perspective plus large que celle d’origine qui est de proposerune interprétation alternative à la mécanique quantique, en ouvrant une voie possible àl’unification conceptuelle et théorique de la physique microscopique et de la relativité gé-nérale afin que puisse, peut être, se réaliser le vieux rêve d’Einstein. À ce propos, il seraitintéressant d’étudier la réception de la théorie causale parmi les physiciens qui travaillentsur les théories unitaires affines afin de savoir si la voie proposée par Vigier est partagéepar certains de ces physiciens. Il est probable que ce ne soit pas le cas car, et c’est l’un desparadoxes de la théorie causale, bien que Vigier souhaite lui donner un ancrage relativiste,la difficulté à laquelle se heurte encore aujourd’hui cette théorie est son incompatibilitéavec la relativité restreinte, à cause du potentiel quantique qui introduit une interactionà distance, l’empêchant d’être covariante par transformation sous le groupe de Lorentz.En plus de l’apport relativiste, citons la réflexion réalisée par Vigier en collaboration

avec Bohm sur les liens entre le déterminisme et le hasard, qui permet de lever unedifficulté théorique soulevée par Pauli. L’apport scientifique de Vigier a également étédécisif dans le deuxième revirement de de Broglie car il a apporté le plus grand soin àtrouver une réponse aux objections formulées par son maître à l’encontre de la théorie deBohm.

Ce mémoire a également mis en lumière l’influence du marxisme de Vigier sur sa pra-tique scientifique. Cette utilisation consciente, chez Vigier, de la philosophie marxistecomme un véritable outil méthodologique à disposition du scientifique est une caractéris-tique fondamentale de sa pensée et de sa démarche. Le matérialisme dialectique de Vigierse retrouve principalement dans deux parties de la théorie causale : la conception desparticules comme des singularités du champ, qui exprime plutôt la composante réalistede cette philosophie, et le rapport entre hasard et déterminisme, qui exprime plutôt sacomposante dialectique. Ces deux parties ne sont d’ailleurs pas sans contradiction entre

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12. Conclusion générale

elles car elles partent de postulats épistémologiques opposés. En effet, la première exprimela volonté de Vigier de trouver une théorie unitaire, alors que la deuxième affirme qu’àchaque niveau d’organisation de la nature correspond une théorie particulière. Il noussemble aussi que le marxisme de Vigier est, sur deux points, en rupture avec celui despères fondateurs du communisme. Premièrement, Vigier a tendance à plaquer sur le réelses propres représentations des différentes catégories philosophiques issues du marxisme,qui apparaissent sous une forme quelque peu transcendante puisque non élaborées à partirde la réalité empirique. Il en vient à postuler l’existence d’entités physiques sans pouvoirfournir la preuve expérimentale directe ou indirecte de leur existence réelle. Deuxième-ment, Vigier ne fait pas de distinction entre le formalisme de la mécanique quantique etl’interprétation de ce formalisme, jetant le bébé théorique avec l’eau du bain idéaliste.La pensée de Vigier semble aussi très imprégnée par celle du XVIIème siècle comme lesuggèrent l’équation de mouvement de la singularité-particule, très similaire dans son es-prit à la deuxième loi de Newton, la représentation de la matière par un champ continuemplissant tout l’espace et dont le spin est conçu comme un tourbillon se propageantsur un fluide, rappelant l’éther de Descartes, ou encore la théorie de l’infinité de niveauxd’organisation de la matière, évoquant les réflexions de Pascal sur les infinis.

Ce marxisme défendu par Vigier ne fait pas l’unanimité parmi les physiciens commu-nistes. Ses particularités que nous venons de cibler sont au cœur de la polémique entreles physiciens communistes à propos de l’interprétation causale. Il existe une controversedans la controverse sur l’interprétation de la mécanique quantique et qui concerne spé-cifiquement les physiciens qui se revendiquent du matérialisme dialectique : celle du rôleque doit jouer cette philosophie dans le processus d’élaboration des connaissances. Ladiversité des points de vue suscite une réflexion en lien avec la célèbre thèse de Jammerselon laquelle l’opposition grandissante à l’école de Copenhague pendant les années 1950est en parti le fait de la montée du marxisme dans les pays de l’Ouest1. Formulée tellequelle, cette thèse induit qu’il existerait un seul type de marxisme, qui peut à la rigueurcomporter quelques variantes mais dont les bases philosophique et politique sont unani-mement partagées. Or, il est apparu que d’une part il n’y a pas d’homogénéité temporelle,comme le montre la rupture de la pensée de Vigier avec celle de Lénine dont il se reven-dique pourtant, et d’autre part, il n’y a pas de consensus entre physiciens d’une mêmepériode quant à l’utilisation de cette philosophie comme support dans leurs recherches.Il serait d’ailleurs intéressant d’étendre la confrontation des points de vue sur les fonde-ments de la mécanique quantique à d’autres physiciens se revendiquant de la philosophie

1Jammer p. 250-251

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12. Conclusion générale

marxiste mais qui ne sont pas adhérents à un parti affilié à l’URSS. Nous pensons aupremier d’entre eux, Léon Rosenfeld2, assistant de Bohr et fervent opposant à l’interpré-tation causale, qui défend l’idée que la complémentarité est une donnée empirique quiexprime le caractère dialectique du mouvement de la matière à l’échelle microscopique3.Ces remarques suggèrent que la thèse de Jammer est vraie uniquement pour une certainevision du marxisme, celle véhiculée par les dirigeants soviétiques, mais il n’est pas possiblede parler du marxisme en général tant cette philosophie recouvre des réalités différentesselon les époques et les zones géographiques.

L’évolution de la réception de l’interprétation causale par les physiciens communistesest un marqueur d’une autre évolution, celle des communistes vis à vis du dogme stalinien.La théorie causale symbolise, pour un nombre croissant de ces intellectuels, ce passé dontil faut désormais s’émanciper. Les langues se délient et la volonté d’envisager un autrerapport entre marxisme et sciences est réelle. Bien entendu, la volonté est rarement unecondition suffisante pour qu’un fait se réalise et nous ne pouvons pas répondre ici à laquestion qui consiste à savoir si la philosophie des sciences qui se substitue à celle prô-née pendant la jdanovtchina lui est, ou pas, fondamentalement différente. Nous touchonsici aux limites imposées par notre choix méthodologique de se focaliser sur l’interactionscience/philosophie en mettant de côté le pôle politique. Cette méthodologie nous privedonc d’expliquer quel est l’impact réel de la « déstalinisation », phénomène politique,social et économique4, sur le pôle philosophique. L’orientation « internaliste » de ce mé-moire, qui était un mal nécessaire puisqu’il n’est pas possible de commencer à analyserscientifiquement un fait sans préalablement simplifier son étude, se heurte à un déficitd’explications. En plus du point précédent, ce déficit est apparu dans la première partiede ce mémoire lorsque nous avons évoqué le déphasage entre le moment où la campagneofficielle contre l’interprétation de Copenhague débute en URSS (1947) et le moment oùelle débute en France (1952). Nous avons suggéré que les préoccupations principales desphysiciens communistes français pendant cette période sont d’ordre politique ne laissantque peu de place aux débats épistémologiques, mais ceci devrait être confirmé par uneétude plus approfondie des rapports entre les scientifiques communistes et le pouvoir, leurplace dans les institutions scientifiques et l’action politique qu’ils y mènent. Il faut ajou-

2Le lecteur peut se référer aux travaux de l’historienne Anja Skaar Jacobsen : Anja Skaar Jacobsen,« Léon Rosenfeld’s Marxist defense of complementarity », dans Historical Studies in the Physical andBiological Sciences Vol. 37, No. supplement, 2007. Un livre est également prévu pour 2012, entièrementconsacré à Rosenfeld : Anja Skaar Jacobsen, Between Bohr and Marx : Leon Rosenfeld in Physicsand Ideology, World Scientific Publishing Co Pte Ltd, 2012.

3Voir son article qu’il écrit à l’occasion des soixante ans de Louis de Broglie : Léon Rosenfeld, « L’évidencede la complémentarité », dans Louis de Broglie physicien et penseur, Albin Michel, 1953.

4Pour l’économie nous pensons surtout au cas de l’URSS.

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12. Conclusion générale

ter que ce déficit explicatif est aussi le fait d’un déficit matériel en raison de l’absence,à notre connaissance, de travaux traitant, avec la même envergure que ceux de Grahampour l’URSS, les liens entre les scientifiques et le PCF, au moins pendant la période consi-dérée dans ce mémoire. Ce travail reste à faire et nous pensons que c’est un manque réelà l’histoire des sciences en général car, bien que la philosophie du PCF n’ait pas eu lamême influence sur la société française que celle du PCUS sur la société russe au coursdu XXème siècle pour l’évidente raison que la France n’a pas connu d’économie de typesocialiste, le PCF a été un acteur important de la vie politique, économique et culturellefrançaise au cours du siècle passé et, a fortiori, comme nous l’avons entraperçu dans cetravail, dans la vie universitaire.

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Quatrième partie .

Annexes

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13. Démonstration du théorème deguidage

Nous exposons ici la démonstration du théorème de guidage de de Broglie par Vigier.Nous allons dans un premier temps la retranscrire telle qu’elle est présentée dans la thèsepuis nous ferons quelques commentaires sur les étapes de calcul intermédiaires. Dans toutela démonstration, nous utiliserons la convention d’Einstein sur la sommation des indicesrépétés, c’est-à-dire que le produit scalaire est noté −→u .−→v =∑

iuivi = uivi pour les vecteurs

et uµvµ = u0v0−uivi pour les quadrivecteurs.

Démonstration de VigierConsidérons un fluide conservatif d’univers de densité scalaire ρ et de vitesse d’univers vµc’est-à-dire tel que l’on ait en chaque point :

sµ = ρvµ

avec

∂µsµ = 0

où sµ désigne le courant d’univers, et étudions le mouvement d’une bosse qui se dépla-cerait dans ce fluide sans changer de forme. Par bosse nous entendons une zone telle :

1. Qu’elle soit très petite enclose dans une surface S′ où l’on ait ρ= Cte et se déplaceen bloc au cours du mouvement.

2. Que ρ prenne des valeurs très supérieures aux valeurs extérieures telles que l’on aitau voisinage de S′

ρ

∂ρ/∂xµ' 0

ce qui revient à dire que sur ses bords la bosse est de type pôle.

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13. Démonstration du théorème de guidage

3. Qu’à faible distance de S′ on ait ρ= ρr où ρr et vr désignent les valeurs qu’auraientρ et v s’il n’y avait pas de bosse ; valeurs qui correspondent à la partie régulière dufluide considéré.

Ceci posé, désignons par αi (i= 1,2,3 )les cosinus directeurs du vecteur unitaire ~n normal,un point P de S′ et par dξ le déplacement normal d’un point de la bosse au cours d’unintervalle de temps très faible.Comme ρ= Cte sur S′ il vient

dξ∂ρ

∂xiαi+ ∂ρ

∂tdt= 0 (13.1)

ce qui donne pour la vitesse normale du déplacement :

vn = dξ

dt= −∂ρ/∂t√∑

i

(∂ρ∂xi

)2

Écrivons alors l’équation de continuité au bord de S′ sous la forme suivante :

∂ρ

∂t+ viv4

∂ρ

∂xi+ρ

∂xi

(viv4

)= 0 (13.2)

et divisons-la par√∑

i

(∂ρ∂xi

)2.

Compte tenu de l’hypothèse 2, le second terme disparaît et on obtient la relation :

vµ√∑i

(∂ρ∂xi

)2.∂ρ

∂xµ= 0

qui s’écrit encore :

viαi−vnv4 = 0

Si on remarque alors que l’on a vn =−→w .−→n en tout point de S, en désignant par −→w la vi-tesse de la singularité, on obtient finalement par substitution dans l’expression précédentel’égalité

wi = vi

v4

qui définit la vitesse de la bosse dans le fluide.On voit alors que la bosse se comporte comme une particule astreinte à suivre une des

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13. Démonstration du théorème de guidage

lignes de courant du fluide régulier correspondant à ρr et vr si l’on a sur S′ les égalitésfondamentales :

vµ = vµr

qui généralisent le théorème du guidage de M. L. de Broglie.

Remarques sur la démonstration de VigierLa condition 2 signifie que la dérivée de ρ sur n’importe laquelle de ses composantesspatiales et temporelle prend une valeur très grande par rapport à la fonction. Elle exprimesimplement le fait que la densité sur les bords de S′ a une forte pente selon toute lesdirections (chaque dérivée est une composante du 4-vecteur gradient).La formule (13.1) est la différentielle totale de la fonction ρ dans la direction du vecteur

normal (dxi = dξαi) . Comme ρ est constante, cette différentielle totale est nulle. La densitéconstante donne une autre propriété, sur les composantes du vecteur normal unitaireni = αi qui n’est pas explicite dans la démonstration de Vigier : sur le bord de S′, cescomposantes sont celles du vecteur gradient de ρ qui s’écrivent, en normalisant, ni = αi =

∂ρ/∂xi√∑i

(∂ρ

∂xi

)2.

En égalisant (13.1) et (13.2), en substituant ∂ρ∂xi

par αi.√∑

i

(∂ρ∂xi

)2et en divisant par√∑

i

(∂ρ∂xi

)2il vient :

dt=

viv4

∂ρ∂xi√∑

i

(∂ρ∂xi

)2+

ρ ∂∂xi

(viv4

)√∑

i

(∂ρ∂xi

)2

En utilisant la condition 2, en multipliant l’expression par v4, et en substituant cettefois-ci ∂ρ/∂xi√∑

i

(∂ρ

∂xi

)2par αi, on obtient finalement :

viαi−vnv4 = 0

Ensuite, avec vn =−→w .−→n = wiαi :

viαi−v4wiα

i = (vi−v4wi)αi

92

Page 99: Les premiers travaux de Jean-Pierre Vigier sur la théorie des quanta : une rencontre entre science et marxisme (1951-1954)

13. Démonstration du théorème de guidage

Les solutions sont (−→v −v4−→w )⊥−→n ou vi−v4wi = 0. Comme cette égalité doit être vraiequelque soit −→n (car le point P est quelconque), la solution générale est :

wi= vi

v4

93

Page 100: Les premiers travaux de Jean-Pierre Vigier sur la théorie des quanta : une rencontre entre science et marxisme (1951-1954)

14. Démonstration de la répartitionstatistique des particules dans lathéorie causale

Les deux démonstrations suivantes sont celles trouvées par Vigier afin de justifier la théoriede la double solution. C’est à dire de démontrer que les particules de la théorie causale serépartissent selon la même densité de probabilité qu’en mécanique quantique standard, àcondition de l’interpréter au sens de Blokhintzev.

14.1. Première démonstration de 1951Dans cette première démonstration, Vigier considère deux ondes, l’onde physique ϕ =ae

2iπh θ qui représente le champ et une onde probabiliste ψ= ρe

2iπh α qui décrit la répartition

statistique des particules. Il s’agit pour Vigier de démontrer que ces deux fonctions sontégales à l’équilibre thermodynamique.Comme la vitesse de la particule est en tout point égale à la vitesse des éléments de

probabilité, il vient θ= α. De plus, si l’énergie de la particule est1 ∂θ∂t , son énergie moyenne

s’exprime par l’intégrale volumique∫ρ2 ∂θ

∂tdω. L’énergie moyenne du champ est quantà elle

∫ϕ∗Hϕdω =

∫ϕ∗ ∂θ∂tϕdω. À l’équilibre thermodynamique, il émet l’hypothèse de

l’équipartition de l’énergie entre champ et particule ce qui signifie que les deux intégralessont égales et donc ρ= α.

14.2. Deuxième démonstration de 1954Cette démonstration correspond à celle présentée dans la thèse à partir du postulat desfluctuations du champ quantique.

1La phase de l’onde est assimilable à une action dans la théorie de de Broglie.

94

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14. Démonstration de la répartition statistique des particules dans la théorie causale

Conformément à la théorie de la double solution, deux onde sont présentes. La premièreest l’onde physique ϕ(−→x ,t) et la deuxième est l’onde probabiliste ψ(−→x ,t). L’équation decontinuité en représentation hydrodynamique s’écrit pour l’onde physique :

∂ρ

∂t+div(ρ−→v ) = 0

où ρ = |ϕ|2 et −→v correspondent à la densité et à la vitesse réelle du fluide en chaquepoint.En représentation probabiliste, l’équation de continuité s’écrit avec P = |ψ|2 :

∂P

∂t+div(P−→v ) = 0

En introduisant le rapport F (−→x ,t) =P (−→x ,t)/ρ(−→x ,t), la démonstration de Vigier consisteà prouver qu’au bout d’un temps relativement bref ce rapport est constant, c’est à direque les deux densités, probabiliste et réelle, son égales.Soit des fluctuations du fluide pilote, de durée 4t très courte, réparties aléatoirement

dans le temps selon la densité ν(t) indépendante du mouvement du fluide (processus dePoisson). Au cours d’une fluctuation à un instant t, chaque particule est transportée d’uneposition −→x à une position aléatoire −→x ′. La probabilité pour qu’un élément passe du point−→x au point −→x ′ de l’intervalle d

−→x′ au cours de l’intervalle de temps δt, petit mais long par

rapport à 4t ,ν(t)δtK(−→x ,−→x ′, t)

avec la relation ∫vK(−→x ,−→x ′, t)d

−→x′ = 1

qui traduit le fait que le fluide parti du point x arrive quelque part dans l’espace.Par hypothèse de Vigier, la densité du fluide, en chaque point, reste inchangée lorsque

les fluctuations se sont produites. Cette conservation s’exprime par l’égalité :

ρ(−→x ,t) =∫vK(−→x ′,−→x ,t).ρ(−→x ′, t).d−→x ′ (14.1)

Physiquement, cette hypothèse signifie que le fluide a une densité privilégiée ρ parmitoues les densités possibles.Le nombre de particules dans un élément de volume4ω(−→x ,t) est4N =P (−→x ,t).4ω(−→x ,t).

En l’absence de fluctuations, ce nombre reste constant mais varie en leur présence. Cettevariation au cours du temps δt est notée δ4N = δP (−→x ,t).4ω(−→x ,t). Cette variation estégale au nombre de particules dont les « sauts » aboutissent dans 4ω(−→x ,t) moins le

95

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14. Démonstration de la répartition statistique des particules dans la théorie causale

nombre de particules dont les « sauts » partent de 4ω(−→x ,t).Les particules dont les sauts aboutissent dans 4ω(−→x ,t) se divisent en deux catégories :

• a) Les particules qui proviennent de l’extérieur de 4ω(−→x ,t)

• b) Les particules qui proviennent de l’intérieur de 4ω(−→x ,t)

Les particules dont les sauts partent de4ω(−→x ,t) se divisent elles aussi en deux catégories :

• c) Les particules qui sortent de 4ω(−→x ,t)

• d) Les particules qui restent dans 4ω(−→x ,t)

Les particules des catégories b) et d) sont égales (ce sont les particules qui sont à l’étatinitial dans 4ω(−→x ,t) et qui y restent après leur saut). La variation δ4N du nombre departicules est donc le nombre de particules de a) moins le nombre de particules de c),ce qui revient à dire que la variation du nombre de particules correspond au nombre departicules qui entrent dans 4ω(−→x ,t) moins le nombre de particules qui en sortent.Le nombre de particules de a) et b) s’écrit :

ν(t)δt∫4ω(−→x ,t).P (−→x ′, t).K(−→x ′,−→x ,t).d−→x ′

Le nombre de particules de c) et d) s’écrit :

ν(t)δt∫4ω(−→x ,t).P (−→x ,t).K(−→x ,−→x ′, t).d−→x ′ = ν(t)δt.4ω(−→x ,t).P (−→x ,t)

D’oùδ4N = ν(t)δt4ω(−→x ,t)

[∫P (−→x ′, t).K(−→x ′,−→x ,t).d−→x ′−P (−→x ,t)

]qui peut se réécrire en remarquant que = δP (−→x ,t) = δ4N/4ω(−→x ,t)

δP (−→x ,t)δt

= ν(t)[∫

P (−→x ′, t).K(−→x ′,−→x ,t).d−→x ′−P (−→x ,t)]

Cette équation définit la variation du nombre de particules dans 4ω(−→x ,t) due auxfluctuations. En introduisant P (−→x ,t) = F (−→x ,t).ρ(−→x ,t) on a :

δ4N = δP (−→x ,t).4ω(−→x ,t) = δF (−→x ,t).ρ(−→x ,t).4ω(−→x ,t)

En égalisant les deux valeurs de δ4N on obtient la relation :

δF (−→x ,t)δt = ν(t)

[∫F (−→x ′, t).ρ(−→x ′,t)

ρ(−→x ,t) K(−→x ′,−→x ,t).d−→x ′−F (−→x ,t)]

= ν(t) [∫F (−→x ′, t).L(−→x ′,−→x ,t).d−→x ′−F (−→x ,t)]

96

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14. Démonstration de la répartition statistique des particules dans la théorie causale

En posant L(−→x ′,−→x ,t) = K(−→x ′,−→x ,t).ρ(−→x ′,t)ρ(−→x ,t) lorsque ρ(−→x ,t) est différent de 0. La rela-

tion (14.1) implique que

∫L(−→x ′,−→x ,t)d−→x ′ = 1 (14.2)

En « changeant l’horloge », c’est à dire en posant δτ = ν(t)δt (ce qui suppose queν(t)� ε > 0 )

δF (−→x ,τ)δτ

=∫F (−→x ′, τ).L(−→x ′,−→x ,τ).d−→x ′−F (−→x ,τ) (14.3)

Une solution de cette équation est F = Cste à cause de (14.2).Soit −→xM (τ) et −→xm(τ) les valeurs de −→x pour lesquelles F (−→x ,τ) atteint ses valeurs maxi-

mum M(τ) et minimum m(τ) à l’instant τ . De (14.2) et (14.3) on en déduit les inégalitésdM(τ)dτ + M(τ) ≤ M(τ)

dm(τ)dτ + m(τ) ≥ m(τ)

Si M(τ) et m(τ) sont des extrema absolus de F dans les domaine D(−→xM ) et D(−→xm)compacts. Les fonctions M(τ) et m(τ) sont des fonctions monotones respectivement noncroissante et non décroissante au cours du temps. Posons λ(τ) =M(τ)−m(τ) la conditiondλdτ ≤ 0 fait que la fonction λ(τ) est monotone et non croissante d’où limτ→∞

dλ(τ)dτ = 0. De

(14.3) on déduit l’égalité :

dλ(τ)dτ

=−λ(τ) +∫v

[L(−→x ′,−→xM , τ)−L(−→x ′,−→xm, τ)

]F (−→x ′, τ).d−→x ′

Qui peut se réécrire en ajoutant un terme nul :

dλ(τ)dτ = −λ(τ) +

∫vL(−→x ′,−→xM , τ)(F (−→x ′, τ)−m(τ)).d−→x ′

−∫vL(−→x ′,−→xm, τ)(F (−→x ′, τ)−m(τ)).d−→x ′

Qui peut s’écrire

1λ(τ)

dλ(τ)dτ = −1 +

∫v {L(−→x ′,−→xM , τ)−L(−→x ′,−→xm, τ)}

.F (−→x ′,τ)−m(τ)λ(τ) .d−→x ′

(14.4)

Il faut distinguer deux cas :

1. limτ→∞λ(τ) = 0. Dans ce cas F → Cste partout qui est égale à la valeur communeprise par M et m.

97

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14. Démonstration de la répartition statistique des particules dans la théorie causale

2. limτ→∞λ(τ) = λl 6= 0 L’égalité (14.4) donne à la limite en posant M(∞) = Ml = Cste

m(∞) = ml = Cste

∫vL(−→x ′,−→xM ,∞)

{F (−→x ′,∞)−ml

λl

}d−→x ′

= 1 +∫L(−→x ′,−→xm,∞).

{F (−→x ′,∞)−ml

λl

}d−→x ′

Qui est possible si F (−→x ′,∞) =Ml partout sur D(−→xM ) lorsque τ →∞ et si F (−→x ′,∞) =ml

partout sur D(−−→xMm) lorsque τ →∞ (à cause de (14.2) et que F (−→x ′,τ)−m(τ)λ(τ) ≤ 1 quelque

soit τ). Ces relations sont compatibles uniquement si Ml et ml sont égaux.Si τ ≥ ε > 0 pendant le temps nécessaire pour que la distribution limite s’établisse, la

fonction F (−→x ,t) tend toujours vers 1 et on a bien limP (−→x ,τ) = ρ(−→x ,τ) ce qui démontrele résultat attendu : Une distribution quelconque de particules tend nécessairement versρ= P au cours du temps.

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