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LES PAYSANS ET LA POLITIQUE EN ESPAGNE DE 1830 À 1939. LE CAS ANDALOU María Teresa Pérez Picazo L'Harmattan | Parlement[s], Revue d'histoire politique 2006/1 - n° 5 pages 139 à 151 ISSN 1768-6520 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-parlements-2006-1-page-139.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pérez Picazo María Teresa , « Les paysans et la politique en Espagne de 1830 à 1939. Le cas andalou » , Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2006/1 n° 5, p. 139-151. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan. © L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.211.101.221 - 10/10/2011 19h40. © L'Harmattan Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.211.101.221 - 10/10/2011 19h40. © L'Harmattan

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LES PAYSANS ET LA POLITIQUE EN ESPAGNE DE 1830 À 1939. LECAS ANDALOU María Teresa Pérez Picazo L'Harmattan | Parlement[s], Revue d'histoire politique 2006/1 - n° 5pages 139 à 151

ISSN 1768-6520

Article disponible en ligne à l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-parlements-2006-1-page-139.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pérez Picazo María Teresa , « Les paysans et la politique en Espagne de 1830 à 1939. Le cas andalou » , Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2006/1 n° 5, p. 139-151. --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Les paysans et la politique en Espagne de 1830 à 1939. Le cas andalou

Par María Teresa Pérez Picazo*

a pénétration de la politique moderne dans les sociétés rurales espagnoles suitun rythme plus lent que dans des pays comme la France, le Royaume-Uni oul’Allemagne. Les représentants des diverses sciences sociales (historiens, socio-

logues, anthropologues, politologues et même économistes) soulignent que les trois

* Professeur d’Histoire économique à l’Université de Murcie, Espagne.

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causes les plus importantes de ce phénomène sont le poids démogra-phique des paysans (entre le 70-75 % de la population espagnole au longdu XIXe siècle), leur isolement pendant cette période (en 1910 encore, 4011 villages sur un total de 9 266 ne disposent d’autres communicationsavec l’extérieur que des chemins muletiers) et l’énorme diversité dessociétés rurales, produit à la fois d’une orographie compliquée et del’héritage historique.

Ce dernier trait exige quelques précisions, car la « diversité » semble êtrele lot commun de ce type de sociétés au niveau national comme auniveau régional. Néanmoins, dans le cas de l’Espagne, il faut serappeler de l’existence d’un fait historique majeur : la reconquête et lerepeuplement du territoire après sept siècles d’occupation arabe (duVIIIe au XVe siècles) qui a eu un impact de premier ordre dans la physio-nomie du monde paysan. Les modèles de sociétés rurales se sont consti-tués donc au fur et mesure que progressait le double processus que l’onvient de signaler. Ainsi du Nord au Sud de la péninsule : la densité dupeuplement diminue ; l’habitat évolue de la dispersion à la concentra-tion ; le rôle de la communauté paysanne et/ou villageoise devient demoins en moins important et la présence des biens communaux et desusages collectifs se réduit ; la concentration de la propriété progresse et,avec elle, l’inégale répartition de la terre ; le pourcentage de proprié-taires et de fermiers dans la population agraire chute tandis que celuides journaliers augmente ; la superficie des communes grandit.

Dans un panorama aussi complexe, il semble difficile de cerner lescaractères communs de l’évolution vers la modernisation politique detoutes les sociétés rurales espagnoles. Pour cette raison, on a choisi lemodèle suivi par une seule région : l’Andalousie. Mais pourquoicelle-ci et non une autre ? Deux raisons justifient cette option. Enpremier lieu, le cas andalou résume tellement bien le processus suivipour l’ensemble de l’Espagne qu’il en constitue presque un stéréotype; toutes les caractéristiques les plus importantes s’y retrouvent. Ensecond lieu, les problèmes andalous sont centraux dans le débat poli-tique espagnol, et cela du milieu du XIXe siècle jusqu’à la Guerrecivile. En effet, la conflictualité des journaliers est l’élément le plusimportant d’une « question agraire » qui est considérée alors commele problème social le plus grave du pays.

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Nous commencerons par quelques précisions géographiques et écono-miques concernant la région étudiée, avant d’analyser la pénétrationde la politique moderne dans les campagnes. Celle-ci peut se diviseren deux étapes : l’une correspond à la révolution libérale ; l’autre, à laconsolidation du caciquisme. Les années 1870-1880 serviront de tran-sition entre les deux mouvements.

Quelques traits généraux

L’Andalousie est la région la plus vaste d’Espagne avec 87 600 km2, soit17 % du territoire national. Mais cet avantage est contrebalancé,jusqu’à un certain point, par la mauvaise articulation du territoire enraison de la disposition du relief : la partie occidentale ou Basse Anda-lousie, correspondant à la vallée du Guadalquivir, et la partie orien-tale ou Haute Andalousie, constituée par un ensemble de chaînescalcaires qui s’échelonnent de la dépression du Guadalquivir jusqu’àla Méditerranée.

Il existe une deuxième contrainte, les problèmes de l’environnement :un climat et des sols peu favorables à la culture. En effet, la rareté etl’inégalité de la répartition géographique et annuelle des pluies cons-tituent des facteurs défavorables : face aux 200-300 mm d’Almerias’opposent les 2 000 mm recueillis à Grazalema, mais la moyenne sesitue vers 350-500 mm. Les étés très secs aggravent les problèmes agri-coles. Enfin, il faut signaler qu’un important pourcentage de lasurface régionale est occupé par la montagne et les sols calcaires,surtout dans la Haute Andalousie. Dans cette sous-région la « tyranniedes pentes » a limité l’expansion des cultures.

Ces caractères géographiques et les différents moments où s’est accomplile double processus de reconquête et de repeuplement contribuent àexpliquer l’existence de deux modèles de sociétés rurales. Dans le casde la dépression du Guadalquivir (provinces de Jaén, Cordoue, Séville,Cadix et Huelva), les caractères les plus importants des sociétés sont lessuivants : la concentration de la population en grosses bourgades (agro-villes) dotées de grandes circonscriptions et de patrimoines municipaux(propios) considérables ; la concentration de la propriété (le latifundio)donc sa polarisation – la petite propriété est donc minoritaire et ce trait

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est renforcé par le primat de la gestion directe et/ou le fermage sousforme de grandes unités d’exploitation – ; l’hégémonie du travailsalarié. En résumé, la société est polarisée et contrôlée par les grandspropriétaires, dont la plupart sont d’origine noble. Au bas de l’échelle,des journaliers sans terres constituent toujours la catégorie sociale laplus nombreuse. En 1787, ils sont 283 259 et en 1860, 491 217 ; ilsconstituent alors 75 % de la population active.

Au contraire, dans les chaînes bétiques (provinces d’Almeria, Grenade,Málaga et une partie de la province de Jaén), la société est largementconstituée par de petits paysans. L’habitat est mixte : la majeure partiede la population est dispersée dans de petits villages, des hameaux etdes cortijos (grandes exploitations), mais il existe aussi des agrovilles.Le degré de concentration n’arrive pas au niveau de la vallée duGuadalquivir et le nombre de petits propriétaires et/ou exploitants estsupérieur à celui des journaliers. La présence des communaux (lemonte) et des usages collectifs est très importante, malgré les petitesdimensions des municipalités.

Un deuxième point à signaler dans cette présentation générale est ledéclin économique de l’Andalousie dans l’ensemble espagnol aucours du XIXe siècle. Le PIB et la rente per capita chutent.

Tab. 1. L’Andalousie dans l’Espagne contemporaine, 1802-1930

Source : A. Bernal, « La economía andaluza. Atraso y frágil vertebración », dans L. Germán, E. Llopis et alii, Historia económica regional de España, siglos XIX y

XX, Barcelona, Crítica, 2001, p. 307.

1802 1849 1860 1900 1930% PIB espagnol 25,7 20,7 21,6 16,7 14,8

% population 18,4 19,2 18,9 18,8 19,3

Rente per capita (Espagne=100) 155,6 107,7 114,0 89,0 79,9

% Actifs agraires 61 71 61

% Prod. agraire par rapport à la prod. de l’Espagne

17 16,8

Indice d’intensité agraire (Espagne = 1)

0,8 0,9

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Parlement[s] – n° 5 – 2006 143

Quelle en est la raison ? Les historiens espagnols ne s’accordent pas,mais tous conviennent que la perte de l’Empire colonial au coursdes premières décennies du XIXe siècle joue un rôle primordial. Eneffet, l’Andalousie souffre particulièrement de la disparition ducommerce avec l’Amérique latine. Son économie doit alors sereplier sur l’agriculture.

La pénétration du libéralisme (1836-1870/1880)

Si le nouveau système politique a des problèmes pour se faire accepterdans les milieux ruraux de tous les pays, il en a plus qu’ailleurs enEspagne où les masses paysannes sont isolées et où les disparités entreles sociétés rurales sont si grandes. Cela oblige les gouvernants libé-raux à chercher des relais sociaux et, si possible, institutionnels. Ilstrouvent les premiers dans les élites locales de propriétaires et lesdeuxièmes dans les nouvelles municipalités restructurées par lesdispositions libérales.

Dans le cas de l’Andalousie, ces élites sont constituées par desnouveaux propriétaires appartenant aux catégories moyennes et pardes laboureurs aisés sortis de la masse par sélection interne et enri-chis dans la seconde moitié du XVIIIe siècle grâce à la montée desprix agricoles. De nombreux historiens andalous ont détecté laprésence de ces individus dans les luttes de bandos (coteries), sifréquentes pendant la transition de l’Ancien Régime au nouveau,dont l’objectif est le contrôle du pouvoir local. Pour s’assurer lesoutien de ce groupe social, en Andalousie comme ailleurs, leslibéraux mènent à bien une réforme agraire dont la finalité estl’élargissement du marché foncier. D’une part, la nouvelle législa-tion approuve la privatisation de la propriété. D’autre part, ellesupprime tous les biens fonciers qui ne peuvent pas être l’objetd’opérations marchandes : mayorazgos (fidéicommis), terres deMain Morte (de l’Église) et Comunales (biens des villages de dispo-sition collective). Ce phénomène est appelé « Désamortissement »en Espagne.

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Tab. 2. Le « Désamortissement » de la terre dans différentes provinces d’Andalousie, 1820-1900

La somme des trois colonnes donne le chiffre de 426 983 ha. Cependant,les travaux de certains spécialistes qui ont tenté de calculer lemontant des opérations pour l’ensemble de la région parviennent àune estimation nettement plus élevée : en chiffres ronds, 800 000 ha,c’est-à-dire 14,5 à 18 % du territoire andalou.

Quel est le bilan des opérations ? Il semble qu’une légère déconcentra-tion de la propriété se produise mais qu’interviennent surtout deschangements dans la composition de l’élite des grands propriétaires :c’est la séquelle de la participation de la nouvelle bourgeoisie agrairedans les achats des terres. Une part non négligeable de paysans sansterre accède à des petits lopins, particulièrement dans la Haute Anda-lousie. La société rurale commence donc à se diversifier mais defaçon trop lente pour améliorer vraiment la situation du mondepaysan, d’autant plus que la privatisation des biens communauxaggrave les choses. Le législateur de 1855 (date du Désamortissementdes biens cités) a prévu d’exclure des ventes les terres d’usagecommun, mais dans de nombreuses communes les conseils munici-paux présentent ces terres comme des propios afin de les vendre.

En conséquence la disponibilité gratuite des bois, des pâturages, del’herbe alfa ou de petits lopins de terre, qu’on pouvait défricher en

1820-1823 1836-1850 1855-1900

Unités Ha Unités Ha Unités Ha

Almeria 148 1 856 1 681 2 958 – –

Cordoue 393 21 600 – – 5 515 118 674

Grenade 1 098 23 613 3 292 13 928 3 504 42 035

Huelva 41 442 – 7 775 – –

Jaén 1 196 8 193 678 12 907 – –

Séville 817 15 453 3 248 72 534 – 76 056

Totale 4 217 80 120 – 110 098 – 236 765

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Parlement[s] – n° 5 – 2006 145

cas de crise, disparaît. Les paysans voient disparaître leur jouissancetraditionnelle des ressources du monte. Tous les produits cités sontvendus aux enchères aux municipalités ou à de nouveaux proprié-taires. La résistance des habitants des villages est féroce et donnenaissance à un nouveau type de conflictualité.

Tab. 3. Surface des Montes Públicos et part privatisée, 1859-1928

Source : J.-F. Zambrana Pineda, « Privatización y política forestal en los montes públicos andaluces, 1859-1926 », dans M. González de Molona (dir.), La Historia de Andalucía a debate. II. El campo andaluz, Granada, Anthropos, 2002, p. 278.

Comme on l’observe dans le tableau 3, l’Andalousie occidentalel’emporte sur l’Orientale. Les deux tiers de son patrimoine sontvendus. En Andalousie orientale, la privatisation est plus lente. Lespetits municipes montagnards arrivent à conserver une partie de leurpatrimoine.

Les municipalités appuient le système libéral en raison des réformes deces institutions. Ainsi disparaît le privilège qui, sous l’Ancien Régime,

Provinces Surface des Montes Publicos (ha) Part privatisée (%)

Almeria 168 393 43,7

Grenade 159 829 23,9

Jaén 401 659 43,7

Malaga 165 994 62,8

Andalousie orientale 895 875 43,7

Cadix 129 533 68,2

Cordoue 126 762

Huelva 84 041 70,2

Séville 187 567

Andalousie occidentale 527 903 69,7

Andalousie 1 423 778 53,3

Espagne 11 467 241 4,8D

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limitait à une élite très réduite l’accès aux postes d’échevins (viagerset héréditaires). Désormais, les candidats sont élus au suffrage censi-taire ou désignés pour le Gobernador Civil (Prefecto) et le ministre del’Ordre Public (Interior). Ce procédé permet l’accès de la nouvellebourgeoisie au pouvoir local et lui donne les moyens de se faire obéirdes paysans. Malgré le souci de centralisation de l’État libéral, cedernier laisse aux municipalités une marge considérable d’action quicorrespond à leurs nouvelles compétences :

– économiques : vente aux enchères des produits des biens de propios,régulation du marché du travail et de la circulation des marchandises(elles touchent l’octroi ou Consumos)…

– administratives : organisation de la santé et de l’instruction publique.

– politiques : organisation des élections et du service militaire obliga-toire (tirage au sort pour les quintas).

– fiscales : collecte des données nécessaires pour la fixation des quote-part individuelles de la nouvelle contribution sur la productionagraire.

S’est donc constituée une « élite de pouvoir », résultant d’un processusd’association et, en partie, de substitution, entre les anciens et lesnouveaux groupes propriétaires. Tous les deux partagent la mêmeidéologie, consacrant la propriété privée et s’opposant aux demandesdes petits paysans afin de préserver « l’ordre social traditionnel ». Lerôle des « notables » libéraux a donc été de faire accepter la nouvellelégislation aux paysans.

Après quelques années, ces derniers développent une conception patri-moniale de la vie politique. En effet, dans chaque municipalité, quel-ques familles seulement accèdent au pouvoir local et constituent des« dynasties ». Elles pratiquent l’endogamie et tentent de réserver lespostes-clés aux membres de leur parentèle. On peut donc affirmerque, dans le cas de l’Andalousie, bien avant la consécration officielledu caciquisme, tous les éléments de ce dernier sont déjà en place :oligarchies agraires, clientèles, réseaux familiaux.

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Les paysans et la politique en Espagne de 1830 à 1939. Le cas andalou.Par María Teresa Pérez Picazo

Parlement[s] – n° 5 – 2006 147

Le caciquisme (1880-1936)

Qui sont les caciques ? Aujourd’hui on sait qu’ils constituaient une éliteplutôt politique, c’est-à-dire, que leur pouvoir ne venait pas desressources économiques de chacun mais de leurs relations vers lehaut (avec les instances politiques nationales) et vers le bas (disposi-tion d’une clientèle locale). Leur rôle a été objet de fréquents débatsdans lesquels s’opposent deux interprétations assez différentes.

Selon la version traditionnelle, le caciquisme est un élément inséparable– et nécessaire – des sociétés en transition vers la modernisation. Lecacique est un agent qui favorise l’incorporation des sociétés ruralesau monde moderne, c’est-à-dire un intermédiaire net entre despaysans isolés et un État lointain qui promulgue des dispositions diffi-ciles à comprendre. À l’inverse, selon la version la plus communé-ment admise aujourd’hui, le caciquisme est un élément intrinsèquedu système de la Restauration (dénomination espagnole de la période1875-1923), parce qu’il permet la reproduction des relations sociales(l’ordre établi) dans lesquelles le maintien du pouvoir de propriétairesest le noyau essentiel. Cependant, il finit par susciter une réactionviolente de la part du mouvement paysan, surtout dans les régionslatifondiaires, comme l’Andalousie.

La consolidation des caciquats a des conséquences d’ordre économiqueet d’ordre politique. Aux difficultés des producteurs de céréales(baisse des prix et des bénéfices/montée des salaires réels) et desvignerons ruinés par l’invasion du phylloxéra, les réponses des deuxAndalousie sont différentes. Dans la vallée du Guadalquivir, la réac-tion est défensive : à l’échelle locale, le mouvement paysan estréprimé pour faire baisser les salaires et, à l’échelle nationale, despressions sont exercées sur le gouvernement pour obtenir le protec-tionnisme. À l’inverse, dans l’Andalousie méditerranéenne, est suivieune stratégie d’adaptation à la crise : substitution des ceps touchéspar des pieds américains, repli des plantations sur les meilleuresterres, expansion modérée de l’irrigation. À notre avis, les paysansmodestes se sont montrés plus efficaces, en la matière, que les grandspropriétaires.

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Tab. 4. Évolution du nombre de propriétaires par rapport à la population active agraire

A. nombre de propriétaires ; B. population active agraire.

Source : Grupo de Estudios Agrarios, « Propiedad y explotación en la historia agraria de Andalucía. Una visión de conjunto », dans M. González de Molina (dir.), La historia

de Andalucía a debate, vol II. El campo andaluz, Grenade, Anthropos, 2002, p. 61-87.

Du point de vue politique, le problème vient de la promulgation dusuffrage universel (1890). Le nouveau système suppose une prise encompte de la campagne car les paysans sont beaucoup plusnombreux que les citadins. Désormais, les représentants des partispolitiques ont besoin des grands propriétaires, de leurs vastes clien-tèles et des caciques pour hacer las elecciones (faire les élections),c’est-à-dire faire élire les candidats choisis à Madrid. Les résultatsn’ont rien à voir avec les préférences des électeurs paysans ; d’où unabstentionnisme très élevé (représentant souvent 80 % de l’électorat).Pour parvenir à l’emporter, tous les moyens sont bons : fraude,corruption, violence (coups, meurtres), qui progressent en Anda-lousie au fur et mesure qu’avance le XXe siècle. Cela explique ledurcissement du mouvement journalier.

Dans cette région, la consolidation et le durcissement du caciquismeainsi que les liens entre politique et économie permettent aux intérêtsagraires de l’emporter sur les autres. On constate donc la constructiond’un système de pouvoir oligarchique au service des intérêts agrairesqui a deux objectifs fondamentaux : en premier lieu, la consolidationde la propriété privée car c’en est fini de la relative permissivité dontbénéficiaient les communautés rurales à propos des droits collectifs ;et, en deuxième lieu, la réduction des coûts de production afin

1890-1891 1929-1931

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Andalousie orientale

280 801 437 387 57,3 321 279 478 759 70,5

Andalousie occidentale

163 787 392 618 41,7 179 598 420 723 42,6

Andalousie 414 588 830 005 50,0 500 877 899 482 55,7

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Les paysans et la politique en Espagne de 1830 à 1939. Le cas andalou.Par María Teresa Pérez Picazo

Parlement[s] – n° 5 – 2006 149

d’améliorer la rentabilité des exploitations ; d’où la lutte contre lamontée des salaires.

La conflictualité, une voie de participation politique des paysans

La période considérée dans cet article présente un trait majeur du point devue de la conflictualité : l’hétérogénéité, conséquence directe dudualisme entre les formestraditionnelles et révolu-tionnaires des affronte-ments , f réquemmentimbriquées dans l’Anda-lousie du XIXe siècle.

L’irrationalité, la spontanéitéet le manque d’organisa-tion qu’on attribue d’or-dinaire aux mouvementspaysans se retrouvents eu l em e n t d an s l e sémeutes de subsistanceset les mouvements anti-fiscaux. Par contre, dansla résistance à la privati-sation des communaux,les choses sont plus com-pliquées. Les atteintes àla propriété privée dansle monte sont considéréesaujourd’hui comme uneforme d’opposition à laconsolidation de l’ordrebourgeois et à la fin del’ancienne « économiemorale ». La réaction des

« Paysan : travaille pour le peuple qui t’a libéré »,affiche d’Arturo Ballester pour la CNT AIT (c. 1936).

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représentants de l’ordre social est très dure. Ces derniers considèrent lespaysans révoltés comme des délinquants qui ne respectent pas lanouvelle législation. La répression est organisée par la Garde civile : 80 %des dénonciations vérifiées par ses membres sont des délits forestiers.

Le mouvement journalier, qui a comme finalité essentielle l’améliora-tion des salaires (au cœur de l’action collective des travailleurspaysans), est un autre type de conflictualité. Il représente, en effet, ledémarrage des affrontements de classe et apporte une nouveauté :l’introduction de l’idéologie anarchiste. Arrivée en Espagne en 1868avec Fanelli, à la suite de la fondation de l’AIT (Association Interna-tionale des Travailleurs), la nouvelle tendance révolutionnairecommence à se répandre en Andalousie. Son succès est possibleparce que le mythe de la suppression de la propriété privée est déjàprésent dans le collectif journalier mais aussi parce que les représen-tants du nouveau credo se mêlent habilement aux villageois et parta-gent leur vie quotidienne.

Dans ces conditions, la stratégie économique des grands propriétaires(politique de bas salaires), se durcit. Le nombre et le succès des grèvesne cesse d’augmenter dans les premières décennies du XXe siècle.Cela explique l’initiative des forces de l’ordre andalouses dès lespremiers épisodes. En 1883, prétextant qu’ont été trouvés « par hasard» les statuts d’une association clandestine, la Mano Negra (MainNoire), qui prévoit de futurs actes de violence, l’ensemble du mouve-ment journalier est déclaré illégal. Mais la répression n’empêche pasle progrès des syndicats anarchistes et, au cours du siècle suivant, lamontée de la résistance paysanne.

Conclusion

Il semble donc évident que le double processus de modernisation poli-tique et économique a été plus lent en Andalousie que dans le restede l’Espagne. À qui la faute ? Aux structures agraires ? Aux inégalitéssociales, surtout dans la vallée du Guadalquivir ? Au manque d’initia-tive des grands propriétaires qui s’appuient sur les pratiques du caci-quisme pour éviter la démocratisation politique et le partage du

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Les paysans et la politique en Espagne de 1830 à 1939. Le cas andalou.Par María Teresa Pérez Picazo

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pouvoir local ? À la passivité de paysans isolés, misérables et analpha-bètes pour la plupart ?

Les jeunes historiens apportent aujourd’hui des réponses nuancées, maisévitent surtout de tout expliquer par une seule cause. Ainsi, le trophaut niveau de concentration explique partiellement le ralentisse-ment du progrès, mais il est loin d’être le seul responsable. Dansd’autres régions (la Lombardie, l’Île-de-France), la grande propriété aconstitué un agent de modernisation. L’explication réside plutôt, ànotre avis, dans l’absence d’une « culture de marché ».

Il est vrai aussi que les grandes inégalités et la pauvreté des paysans neleur ont pas permis de participer au marché et de s’investir en poli-tique, mais les paysans d’Andalousie orientale ont réussi à accéderdavantage à la terre et à spécialiser leurs productions. Par ailleurs, lesdifficultés environnementales et l’héritage historique ont une grandepart de responsabilité.

Bibliographie

A.M. Bernal, Economía e historia de los latifundios, Madrid, Espasa-Calpe, 1988.S. Cruz Artacho, Caciques y campesinos. Poder político, modernización agraria y conflicti-

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Diputación Provincial, 1990.M. González de Molina (dir.), La Historia de Andalucía a debate. I. Campesinos y jornale-

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D. Martínez López, Tierra, herencia y matrimonio. Un modelo sobre la formación de laburguesía agraria andaluza (siglos XVIII-XIX), Jaén, Universidad de Jaén, 1996.

J. Maurice, El anarquismo andaluz. Campesinos y sindicalistas, 1868-1936, Barcelona,Crítica, 1990.

E. Montañés, Transformación agrícola y conflictividad campesina en Jerez de la Frontera(1880-1923), Universidad de Cádiz-Ayuntamiento de Jerez, 1997.

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