les nouvelles de l'icom, vol 68, no 3-4, décembre 2015

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LE MAGAZINE DU CONSEIL INTERNATIONAL DES MUSÉES VOL 68 N O 3-4 DÉCEMBRE 2015 I CO M nouvelles de l’ NUMÉRO SPÉCIAL Musées et paysages culturels

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L E M A G A Z I N E D U C O N S E I L I N T E R N A T I O N A L D E S M U S É E S V O L 6 8 N O 3 - 4 D É C E M B R E 2 0 1 5

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NUMÉRO SPÉCIAL

Musées et paysages culturels

N°3-4 2015 | LES NOUVELLES DE L’ICOM 1

16 novembre 2015

Suite aux attentats terroristes survenus à Paris dans la nuit du vendredi 13 novembre 2015, nos pensées vont vers tous ceux qui, à travers le monde, souffrent de cette violence aveugle. Le Conseil international des musées et

son réseau de professionnels dans le monde entier accompagnent ceux qui défendent les musées et le patrimoine, la culture et la paix.

Lors de la 38e Conférence générale de l’UNESCO, la Recommandation concernant la protection et la promotion des musées et des collections, de leur diversité et de leur rôle dans la société a été adoptée à l’unanimité par les États membres1 qui ont souligné le travail essentiel mené par l’ICOM et le secrétariat de l’UNESCO pour la reconnaissance des musées et des collections, pour la défense du rôle des professionnels dans les musées, pour la compréhension de l’importance des inventaires qui contribuent à la sauvegarde des collections, et pour le développement du rôle social des musées au niveau régional et communautaire. Après 50 ans, voici un nouvel instrument normatif dont nous pourrons tous nous inspirer pour soutenir notre engagement dans ce monde muséal en pleine mutation.

La Liste rouge d’urgence des biens culturels libyens en péril a été lancée par l’ICOM le 15 décembre à Paris. Une nouvelle Liste rouge concernant l’Afrique de l’Ouest, dont l’accent sera mis sur le Mali, est en cours de finalisation. En 2016, une nouvelle liste portant sur le Yémen va été réalisée par le Secrétariat avec l’aide d’experts internationaux. La version allemande de la Liste rouge d’urgence des biens culturels irakiens en péril sera lancée en janvier. Nous restons tous mobilisés pour la sauvegarde et la protection des biens culturels dans les zones de conflits armés à travers le monde.

En ces temps de recueillement, permettez-nous de citer Paul Veyne, dans son dernier ouvrage intitulé Palmyre, l’irremplaçable trésor : « Ne connaître, ne vouloir connaître qu’une seule culture, la sienne, c’est se condamner à vivre sous un éteignoir. »2

Que ces prochains mois puissent être sources d’apaisement pour tous. La Conférence générale de l’ICOM qui se tiendra du 3 au 9 juillet 2016 à Milan nous permettra d’échanger sur les questions des musées et des paysages culturels, avec un programme finalisé que vous pouvez découvrir sur le site internet de la conférence générale. Inscrivez-vous dès maintenant et rejoignez-nous en Lombardie3.

Bonne lecture à tous, et nos meilleurs vœux pour 2016.

Pr Dr Hans-Martin Hinz Pr Dr Anne-Catherine Robert-Hauglustaine Président de l’ICOM Directrice générale de l’ICOM

ÉDITORIAL

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Notes1 http://unesdoc.unesco.org/images/0023/002338/233892e.pdf 2 Paul Veyne, Palmyre, l’irremplaçable trésor. Paris, Albin Michel, 2015, p. 141.3 Pour vous inscrire, visitez : http://network.icom.museum/icom-milan-2016/registration/how-to-register/

2Actualités des muséesConférences, inaugurations…

4Cas d’étudePaysages célèbres

8FocusDes musées « lanceurs d’alerte »Où allons-nous ?

10Dossier Terrain d’ententeUn sens du lieuSensibilisation aux azulejosRedonner vie à une lointaine collinePréserver le passé pour préparer l’avenirPaysages collaboratifs

22Patrimoine en dangerDe collectionneur à protecteur

24Conférence géneraleICOM Milan 2016

26Communauté de l’ICOMActualités des membres et comités de l’ICOM

28PublicationsVoir la vie en vert

Les projets d’extension d’un musée sont toujours une occasion passionnante de développement et d’innovation. Jeff Levine,

directeur du marketing et responsable de la communication au Whitney Museum of American Art (New York), a présenté la stratégie de marketing réussie de son institution à un public de 360 professionnels de musée, lors de l’édition 2015 de la conférence internationale annuelle Communicating the Museum organisée par l’agence de communication culturelle Agenda dont le siège se trouve à Paris.

En mai 2015, le déménagement du Whitney Museum de Madison Avenue à un nouvel espace conçu par Renzo Piano dans le district de Meatpacking a été un grand succès, grâce notamment à sa stratégie de marketing et de communication qui fait ses preuves depuis des années. Comment le musée est-il parvenu à impliquer les publics dans ce processus de transformation ? Jeff Levine explique l’approche et la philosophie d’où émane son plan directeur.

Clarifier qui vous êtesL’esprit du Whitney Museum est sa collection. La campagne de marketing met l’accent sur la modernité, la clarté et le style, mais elle prend surtout en compte le nouvel emplacement et met en lumière l’art américain. « Au moment d’annoncer votre identité, il ne s’agit pas de présenter une nouvelle identité au beau milieu de votre plus grosse campagne de marketing. Vous devez établir un système clair des années avant la réouverture. »

Travailler efficacement avec la presse« Les critiques d’architecture ont tendance à l’emporter et à donner le ton. Si l’on retarde la publication de leur avis, c’est l’art exposé dans les salles qui pourra avoir plus d’influence sur l’opinion du public concernant le nouveau bâtiment. »

Travailler en équipe« Les nouveaux bâtiments sont complexes ; des milliers de décisions doivent être prises au cours de nombreuses années. De toutes celles que nous avons prises, la plus importante a été de former un front uni pour aborder ce projet. » Pour résumer l’approche essentielle du musée, Jeff Levine cite Harry S. Truman : « C’est

incroyable tout ce que vous pouvez accomplir quand vous ne vous souciez pas de savoir à qui revient le mérite. »

Quelques leçons clésSoyez simple : Les idées simples peuvent être aussi puissantes que les idées complexes.Soyez différent : Assurez-vous que vous racontez les histoires qui ne seraient peut-être pas racontées ailleurs.Soyez personnel : Ajoutez une note personnelle à propos de votre musée.Soyez ambitieux : Assurez la promotion de votre musée de façon très audacieuse

Pour voir cette présentation et bien d’autres de CTM 2015 : www.agendacom.com/en/communicating_the_museum

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Le nouveau Whitney Museum, New York, 2015

Renaissance pour le Whitney

ACTUALITÉS DES MUSÉESÉvénementsLe 23 octobre 2015, le conseil d’administration du Comité international pour les musées et collections des sciences naturelles (ICOM NATHIST) a annoncé la ratification de la Déclaration de Taipei sur les musées d’histoire naturelle et sur la conservation de la biodiversité, lors de la Conférence annuelle du comité, qui s’est tenue au Musée national de Taiwan. Le but de la déclaration est de codifier l’engagement des musées des sciences naturelles pour la préservation des écosystèmes naturels. Voici un extrait de la déclaration : « L’augmentation des activités humaines a entraîné un déclin catastrophique de la biodiversité. Aussi bien l’éthique que la logique nous imposent de conserver les habitats et les espèces vulnérables. Afin d’entretenir les bonnes pratiques, les musées des sciences naturelles œuvrent à conserver les habitats et les populations du milieu naturel. » Le président de NATHIST, Eric Dorfman, a annoncé : « ICOM NATHIST s’engage à soutenir les bonnes pratiques dans le secteur. Nous nous réjouissons à l’avance de travailler avec des institutions qui innovent dans ce domaine crucial. » Le texte complet de la déclaration est disponible sur le site internet d’ICOM NATHIST.

Le 11 décembre 2015, le musée d’Art de São Paulo – Assis Chateaubriand (MASP), au Brésil, a inauguré la réouverture de son espace d’exposition du deuxième étage, qui remet à l’honneur la présentation emblématique utilisant des panneaux de verre conçue par l’architecte du musée, Lina Bo Bardi (1914-1992), et qui avait été délaissée pendant près de deux décennies. Cette salle immense comporte 119 œuvres d’art de la collection, datant d’une période comprise entre le IVe siècle av. J.-C. et l’année 2008, présentées sur un support transparent qui consiste en un panneau de verre monté sur une base en béton. Les

chevalets ont été reconstruits grâce à une technique d’ingénierie et des matériaux actualisés, afin de reproduire la vision de Bo Bardi, qui détourne les approches traditionnelles, linéaires et unidirectionnelles de la conception des expositions au profit d’une démarche éloignée de tout choix prédéterminé. Dès sa première année en tant que directeur du MASP, Adriano Pedrosa a cherché à reconsidérer sous un angle critique les origines du musée – « non pas de façon nostalgique, mais plutôt comme point de départ d’une nouvelle voie et d’un nouveau programme pour le MASP », selon ses propres termes.

TechnologieAu Royaume-Uni, l’Institute for Digital Archaeology (IDA, Institut pour l’archéologie numérique) a été fondé en 2012 sous forme de joint-venture entre l’université de Harvard, l’université d’Oxford et le gouvernement des Émirats arabes unis, dans le but de promouvoir la fusion des nouvelles technologies de l’imagerie numérique avec les techniques archéologiques traditionnelles. L’IDA, en collaboration avec l’UNESCO et la Fondation de Dubaï pour le musée du Futur, a lancé le projet d’une base de données d’un million d’images afin de répertorier des sites et des objets culturels en péril à travers le Moyen-Orient et le Nord de l’Afrique. Près de 5 000 caméras 3D d’un prix raisonnable seront distribuées d’ici le début 2016 à des photographes bénévoles, dévoués à cette cause, ce qui leur permettra de réaliser des scans de haute qualité sur des sites importants de zones de conflit, qui seront ensuite téléchargés

2 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°3-4 2015

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sur le portail Internet de l’IDA et inclus dans la base de données en libre accès. Les images serviront à des fins de recherche, d’évaluation du patrimoine, de programmes éducatifs ou encore de reconstitution en 3D, dont la première est prévue pour avril 2016.

Du 22 au 25 octobre 2015 s’est tenu l’événement inaugural Worldwide Engagement for Digitizing Biocollections (WeDigBio), permettant à des « scientifiques citoyens » de contribuer à rendre disponibles dans le monde entier des données de spécimens. Durant cette période, des bénévoles ont rempli, dans 32 musées et universités à travers le monde, près de 30 000 transcriptions numériques d’étiquettes concernant des spécimens de la biodiversité qui font l’objet de recherches, allant d’insectes épinglés à des plantes séchées, tandis que d’autres participaient à

travers des plateformes de transcription en ligne. Il s’agit d’une initiative commune d’iDigBio (Integrated Digitized Biocollections), de la Smithsonian Institution, de l’Australian Museum, de l’université de Floride et d’autres institutions. Cet effort collectif de transcription augmente la portée de la recherche sur la biodiversité au cours du temps, selon les aires géographiques et selon les taxons.

InaugurationsLe 23 novembre 2015, la Galerie nationale de Singapour

a été inaugurée par le Premier ministre Lee Hsien Loong. Elle présente la plus grande collection publique qui existe sur l’art moderne de Singapour et de l’Asie du Sud-Est. Tournée avant tout vers des projets collaboratifs de recherche, d’éducation et d’exposition, la Galerie met en lumière l’importance de l’art moderne dans la région et dans un contexte mondial. « S’intéresser à l’art est une façon d’engager un dialogue aux niveaux national et régional sur l’identité et le sentiment d’appartenance », a déclaré son président, Hsieh Fu Hua. Né de la restauration et de la transformation de deux monuments nationaux, l’ancienne Cour suprême et l’ancien Hôtel de ville, le nouveau musée vise à être une destination citoyenne et culturelle de premier plan pour l’enrichissement, le plaisir et l’engagement des habitants de Singapour, ainsi que des visiteurs du monde entier.

PersonnalitésHartwig Fischer a été nommé directeur du British Museum et prendra ses fonctions au printemps 2016. Il occupait le poste de directeur général des Staatliche Kunstsammlungen Dresden (Collections nationales de Dresde) depuis 2012, où il était responsable de quatorze musées et de quatre autres institutions situées dans quatre villes différentes. Sa priorité alors était de moderniser et de développer les collections nationales, qui remontent au XVIe siècle. Auparavant, il a été le directeur du musée Folkwang d’Essen (2006-2012), après avoir débuté sa carrière muséale à Bâle, au Kunstmuseum, où il était conservateur de l’art du XIXe siècle et de l’art moderne (2001-2006). Hartwig Fischer succède à Neil MacGregor, qui a dirigé le British Museum pendant treize ans. ■

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4 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°3-4 2015

ÉTUDE DE CAS MUSÉES ET PAYSAGES CULTURELS

Paysages célèbresICOM Italie a fait un tour d’horizon des projets menés par les musées à travers le bel paese qui contribuent à la réflexion sur le thème de la Conférence générale 2016 de l’ICOM, Musées et paysages culturels.

Panorama numériquePanorama numérique est une installation du Musée national du cinéma de Turin qui offre une expérience spectaculaire, déjà extrêmement populaire avant la naissance du cinéma. Le « panorama » est une immense reproduction de paysage à 360° exposée dans un bâtiment circulaire, inventée en 1787 par le peintre Robert

Barker, afin d’offrir au public le spectacle de paysages familiers ou inconnus. Le tableau devait être observé depuis une plateforme au centre de la rotonde pour donner une impression d’immersion dans le paysage réel peint par l’artiste.

Aujourd’hui, cette expérience est de nouveau offerte au public dans un espace d’exposition moderne du Musée

national du cinéma. Les visiteurs peuvent contempler une reproduction de la vue de la ville visible depuis la Mole Antonelliana, monument emblématique de Turin, à une hauteur de 85 mètres. La technologie numérique permet de pouvoir interagir avec le paysage retravaillé, en faisant défiler ou en agrandissant l’image, en recherchant des détails et en parcourant les sites de Turin, ou encore en vision-nant des films de la collection du musée pour remonter dans le temps et découvrir toutes les transformations qu’a connues la ville depuis le début du XXe siècle.

Une exposition multisensorielle a mené à la création d’un panorama audio-visuel, permettant ainsi de voyager à travers le temps et l’espace au moyen des sons de la ville. ■

Musée national du cinéma, Turin : http://www.museocinema.it

Vue sur l’autre RomePlusieurs œuvres d’artistes italiens et étrangers représentant l’Italie à l’époque du Grand Tour, exposées dans la Galerie natio-nale d’art moderne de Rome, ont été le point de départ d’une étude du paysage sous un angle multiculturel.

Des élèves issus de milieux ethniques et géographiques différents ont participé au projet, à travers des visites accompagnées d’animations, des ateliers organisés par le musée ou encore une étude pédagogique réalisée à partir des journaux de voyageurs des XVIIIe et XIXe siècles, afin d’explorer les thèmes du voyage et de la représentation du paysage. Le résultat a donné un livre dans lequel les 76 élèves impliqués rapportent leurs impressions respectives de Rome à leur arrivée en Italie. En vis-à-vis des textes, et avec l’aide de leur professeur de photographie, ils ont créé des montages qui associent des photos d’eux-mêmes et des images de la ville importantes à leurs yeux.

Le Colosseum de Faure (1835) a inspiré l’atelier de mathéma-tiques et de sciences. En observant le tableau, les élèves ont pu déterminer le moment de la journée auquel l’action se déroulait

et noter des différences quant à la lumière du crépuscule entre Rome et les régions tropicales, dont la plupart d’entre eux étaient originaires. ■

Galerie nationale d’art moderne, Rome : http://www.gnam.beniculturali.it

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Panorama numérique du Musée national du cinéma, Turin

Montage d’élèves, Galerie nationale d’art moderne, Rome

N°3 2012 | LES NOUVELLES DE L’ICOM 5

L’écomusée de Valle dell’Aso et ses identitésL’ écomusée de Valle dell’Aso place le paysage au centre de ses acti-vités, car il y voit la preuve tangible de la façon dont une communauté a modelé les lieux afin de répondre à ses besoins. Cet espace muséal ouvert tire parti de la dynamique culturelle locale tout en la coordon-nant ; il favorise aussi la création de synergies entre le tourisme et l’économie, la sensibilisation aux questions environnementales et la promotion d’initiatives en faveur du développement durable tout en stimulant le développement socio-économique de la région.

Pour les habitants, ce musée est un lieu de rendez-vous culturels divers, qui leur permet de partager et de mettre en place des projets œuvrant au bien public. En tant qu’outil qui facilite la rencontre et la compréhension entre les organisations (notamment les autorités locales et les écoles) et les communautés (les associations culturelles, les maisons de jeunes et les organisations locales) à travers des initia-tives ciblées (la Carte de la communauté, la Carte des savoirs et des saveurs, l’Écofête de Valdaso, l’art de la cuisine), il exprime tout le potentiel créatif de la région. Son approche novatrice à l’égard de la gouvernance a été reconnue au sein de la région des Marches. ■

Écomusée de Valle dell’Aso : http://www.ecomuseovalledellaso.it

Une vallée sur le bon cheminCe projet a été lancé en 2013 dans la ville toscane de Chiusi della Verna, dans la vallée de Vallesanta, sur l’initiative de l’Écomusée du Casentino (Union des municipalités du Casentino) et de l’Association des écomusées de Vallesanta, avec le soutien financier de la région de Toscane. C’est la continuation directe de la « Carte des communautés de Vallesanta » produite en 2009. En recourant aux mêmes méthodes participatives, le projet est passé d’un inventaire des valeurs paysagères à des aspects liés aux pratiques du tourisme culturel, basées en particulier sur la redécouverte et l’usage du réseau local des sentiers historiques.

Grâce à la conception de nouveaux circuits de randonnée, la réouverture et le nettoyage collectif de certains sentiers, l’élaboration d’une charte et la création de projets artistiques, grâce aussi à l’implication de l’école locale, cette initiative a largement contribué à faire connaître et partager les valeurs de la vallée. ■

Écomusée du Casentino : http://www.ecomuseo.casentino.toscana.itAssociation des écomusées de Vallesanta : http://www.ecomuseo.casentino.toscana.it/il-progetto/le-antenne-1/ecomuseo-della-vallesanta

Traces de ValmarecchiaLes paysages et le patrimoine de Valmarecchia, dans la région septentrionale de l’Émilie-Romagne, sont revisités actuellement par des élèves des écoles locales, sous la supervision du Musée ethnographique de Santarcangelo di Romagna. Les élèves, tels des « ambas-sadeurs » de Valmarecchia, mettent en évidence des « traces » pouvant être entre autres des faits historiques, des paysages, des œuvres d’art, qu’ils racontent en recourant à leur propre voix et leurs formes d’expression. Cette expérience authentique autour d’un paysage a mené à la création d’un « voyage » interprétatif à travers la vallée à l’aide des cinq sens, en s’appuyant sur deux vidéos et une carte des itinéraires touristiques, de Badia Tedalda à Rimini. Les textes de ces circuits sensoriels sont traduits en anglais, français, allemand et russe. Le projet a gagné le concours 2013 Io Amo i Beni Culturali (J’aime les biens culturels), organisé par l’Istituto per i beni artistici, culturali e naturali de l’Émilie-Romagne, un organisme consultatif auprès des autorités locales dans le domaine du patrimoine culturel. ■

Musée ethnographique, Santarcangelo di Romagna : http://www.metweb.org/met

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Itinéraire touristique, Valmarecchia

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Vallesanta, région de Toscane

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Valle dell’Aso, région des Marches

6 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°3-4 2015

ÉTUDE DE CAS MUSÉES ET PAYSAGES CULTURELS

La plaine par-delà la plaineLe projet a été conçu pour encourager l’implication des élèves du primaire et du secondaire à l’égard du patrimoine culturel et naturel de la région, avec pour point de départ les transformations que la plaine padane – mieux connue sous le nom de bassin du Pô – a connues au fil du temps, passant d’un milieu marin à un milieu glaciaire, puis soumise à toutes les mutations induites par l’homme à travers l’histoire, de l’époque romaine à nos jours. Des reconstructions environnementales ont été créées en recourant à des formats conventionnels ou multimédias, des jeux interactifs sur ordinateur ou encore des puzzles géants reproduisant les paysages aux différentes époques examinées, en particulier le Pliocène (avec une représentation du milieu marin lorsque la plaine se trouvait sous les eaux de la mer Adriatique), le Pleistocène (la plaine gelée qui hébergeait des mammouths, des rhinocéros laineux et d’autres animaux alpins), la période romaine (la terre divisée selon le système de centuriation) et enfin l’époque contemporaine (des photographies aériennes des villes). Ces activités ont été renforcées par une publication destinée à servir de ressource pour les enseignants et à être lue en prélude à la visite.

Ces initiatives comptent parmi les idées éducatives avancées par le Musée d’histoire naturelle de Crémone, qui fait partie du Réseau des

musées de Crémone, en collaboration avec le Musée archéologique de la ville. Elles ont vu le jour dans le cadre du projet d’Éducation en science et technologie (EST), parrainé par la Fondation Cariplo et par le Département de l’Éducation de Lombardie, la Région de Lombardie, la Fondation du Musée national des sciences et des techniques, ainsi que par le Musée d’histoire naturelle de Milan. ■

Réseau des musées de Crémone : http://www.progettoest.it/tycoon/light/viewPage/ProgettoEst/hide_cremona_museostorianatSite Internet du projet EST : http://musei.comune.cremona.it/PostCE-display-ceid-12.phtml

Le musée du Port de TricaseLe Port de Tricase est un « musée de port » vaste et dynamique, et non pas un simple musée à propos du port. C’est un lieu conçu pour rechercher, rassembler, échanger et favoriser les connaissances sur les traditions de la mer et de la côte, en englobant le paysage culturel et la culture du paysage. Déterminé à redécouvrir ses valeurs culturelles, historiques et naturelles et ses relations avec les populations de la Méditerranée, il a engagé un processus de développement durable et responsable pour le progrès économique et social de sa communauté.

C’est un lieu qui regorge d’opportunités d’apprentissage, avec notamment des cours sur l’ancienne vie de marin, des cours pour les organisateurs de voyage en mer ou encore une introduction à la cuisine inspirée de la mer propre au Salento. Des ateliers et des expériences pratiques sont également organisés : Cantieri del Gusto (Chantiers navals des saveurs), i Racconti del Focone (Les contes de la galère), Tramare (Tissage) et d’autres encore. Sa Bibliothèque multimédia de la Mer abrite une collection de traditions orales, d’objets divers, de livres et de photographies.

Le musée a impliqué la communauté locale afin de raviver une identité alors en sommeil et d’en faire le moteur de son propre déve-loppement économique et social, en investissant dans ses propres valeurs, dans son histoire et sa culture. C’est une sorte de havre de paix, un lieu de rencontre accueillant pour partager les expériences des communautés et des régions côtières de la Méditerranée.

C’est un projet de l’association Magna Grecia Mare en collaboration avec le Centro Culturale sulle Tradizioni Marinaresche (Centre culturel pour les traditions des marins), le Museo delle Imbarcazioni Tradizionali (musée des Bateaux traditionnels), la Scuola di Antica Marineria (École de l’ancienne vie de marin), Cantiere del Gusto (les Chantiers navals des saveurs), la Bibliomediateca (Bibliothèque multimedia de la Mer) ainsi que l’Observatoire méditerranéen pour la recherche sur la biodi-versité marine et côtière. ■

Association Magna Grecia Mare : http://www.magnagreciamare.it

Les douces collines et les volées de marches de NaplesOn a l’habitude de penser à Naples comme à une cité du bord de mer avec le mont Vésuve en arrière-plan, mais ce n’est pas le cas. La carte postale typique qui montre le Vésuve correspond bien à la vue qu’on a de Naples, mais ce n’est pas Naples, car le Vésuve est séparé de la ville par une dizaine de municipalités. La véritable image de la ville est plutôt celle offerte par Tavola Strozzi, une peinture de la seconde moitié du XVe siècle qui représente les collines de Vomero, Capodimonte et Camaldoli : une grande réserve naturelle au sein de la métropole, les poumons de la ville et un trésor d’histoire et de traditions locales, qui, depuis 2004, consti-tuent le Parc de la ville. Les escaliers, les rampes et les terrasses sont depuis toujours le chemin le plus court et le plus intelligent pour se rendre de la ville haute à la ville basse, d’un quartier à un autre ; pour réfléchir, écouter, respirer, mais aussi pour gagner du temps et économiser du carburant.

En 2011, souhaitant marquer la campagne Puliamo il Mondo (Nous nettoyons le monde) organisée par l’association écologiste Legambiente (Ligue pour l’environnement), l’Organisation pour la restauration des escaliers de Naples a été créée sur les escaliers Principessa Jolanda. Son propos est de mieux faire connaître au public les escaliers de la ville, de les sauvegarder au nom de leur valeur culturelle et enfin de les valoriser en tant que ressource touristique. Elle vise également à encourager une nouvelle mobilité urbaine, un nouveau mode de vie à Naples, où la marche, la lenteur et la flânerie remplaceraient la précipitation constante.

C’est un projet né du club Legambiente Neapolis 2000 et de l’Organisation pour la restauration des escaliers de Naples, qui cherche à créer une « carte des escaliers », ainsi que des déplace-ments facilités par plusieurs modes de transports publics et les escaliers (autobus/métro/escaliers), tout en promouvant les escaliers les plus emblématiques de la ville. ■

Scale di Napoli : http://www.scaledinapoli.comVisit Capodimonte : www.visitcapodimonte.com

Activités éducatives au Musée d’histoire naturelle de Crémone

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La revue destinée aux spécialistes et aux professionnels des musées du monde entier.Publiée depuis 1948, Museum International est une revue académique prestigieuse et influente qui s’adresse aux spécialistes et aux professionnels des musées de diverses disciplines. Cédée en 2013 par l’UNESCO au Conseil international des musées (ICOM), elle est désormais publiée par l’ICOM en partenariat avec son coéditeur, Wiley.

Ce numéro de Museum International est le troisième publié par l’ICOM et le premier sous la direction du comité de rédaction récemment nommé et de sa nouvelle rédactrice en chef, Tereza Scheiner. Intitulé Key ideas in museums and heritage, il présente une série d’articles emblématiques parus au fil des ans dans de précédents numéros de Museum International.

Les membres de l’ICOM peuvent consulter ce numéro gratuitement sur leur page ICOMMUNITY :http://icommunity.icom.museum/fr/content/ museum-international

Pour toute question, veuillez contacter : [email protected]

La revue destinée aux spécialistes et aux professionnels des musées du monde entier.Publiée depuis 1948, Museum International est une revue académique prestigieuse et influente qui s’adresse aux spécialistes et aux professionnels des musées de diverses disciplines. Cédée en 2013 par l’UNESCO au Conseil international des musées (ICOM), elle est désormais publiée par l’ICOM en partenariat avec son coéditeur, Wiley.

Ce numéro de Museum International est le troisième publié par l’ICOM et le premier sous la direction du comité de rédaction récemment nommé et de sa nouvelle rédactrice en chef, Tereza Scheiner. Intitulé Key ideas in museums and heritage, il présente une série d’articles emblématiques parus au fil des ans dans de précédents numéros de Museum International.

Les membres de l’ICOM peuvent consulter ce numéro gratuitement sur leur page ICOMMUNITY :http://icommunity.icom.museum/fr/content/ museum-international

Pour toute question, veuillez contacter : [email protected]

8 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°3-4 2015

FOCUS MUSÉES ET PAYSAGES CULTURELS

Des musées « lanceurs d’alerte »Enjeux des musées des sciences de la Nature et de l’Homme

face à la crise globale de l’environnementMichel Van-Praët, professeur émérite, Muséum national d’Histoire naturelle, Paris

8 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°3-4 2015

Cette famille de musées fut au cœur du développement des sciences européennes et contribua à la prise

en compte des phénomènes dynamiques qui structurent les transformations permanentes du vivant et des sociétés humaines. Lamarck décrit dès 1809 dans sa Philosophie zoologique comment ils contribuèrent à cette conception scientifique nouvelle. Il écrit entre autres que le dogme selon lequel les espèces ne se transforment pas « est tous les jours démenti aux yeux » de ceux « qui ont consulté avec fruit les grandes et riches collections de nos Muséum. » Dans les décennies suivantes, ces musées contribuèrent à la structuration de nouvelles disciplines comme la paléontologie, l’anthropologie, l’ethnologie, etc. Ils participèrent par là même à une scission entre les sciences de la nature et les sciences humaines, jusqu’alors conjointement développées en leur sein et qu’il convient de rapprocher à nouveau pour traiter des questions actuelles de société sur les relations de l’humanité et de la nature, ainsi que de notre place complexe au sein du vivant.

Avec l ’émergence de nouve l les disciplines et leur spécialisation, cette famille de musées se centra sur des objectifs d’inventaire de la diversité de la nature et des sociétés humaines, mais dans la seconde moitié du XXe siècle, une partie des scientifiques des disciplines nouvellement apparues mit en cause l’intérêt des collections et expositions muséales. Les musées naturalistes et d’ethnologie subirent alors une crise qui conduisit à travers le monde à un abandon financier s’accompagnant de fermetures de présentations publiques et, pour certains musées d’ethnologie,

à un repli sur l’esthétisme et un certain communautarisme.

Ce n’est qu’à partir de la fin du XXe siècle que quelques musées des sciences commencèrent à réaffirmer la modernité de leurs collections lors de créations ou rénovations d’ampleur. Ces créations purent s’appuyer sur le fait que leurs collections constituent des témoignages d’états antérieurs de la nature et des sociétés permettant d’analyser leurs transformations et, par exemple, de documenter la responsabi l i té de l ’ h u m a n i té d a n s l ’ e x t i n c t i o n d e nombreuses espèces sauvages.

Les musées de la Nature et de l’Homme n’ont plus à devoir justifier de l’intérêt des collections dans leurs présentations publiques. Il demeure qu’un second enjeu, leur rôle dans les débats de société et leur responsabilité de lanceur d’alerte, est majeur face à la crise environnementale mondiale actuelle.

Rôles et responsabilitésL’acc ro issement des phénomènes m é té o ro lo g iqu es c a tas t ro p h iqu es contribue à faire prendre conscience des changements mondiaux de l’environnement et de leurs liens avec les activités humaines. Toutefois, en dépit d’alertes croissantes sur les conséquences de ces changements en termes de conditions de vie et de santé pour l’humanité, une forme de déni, voire de fuite en avant, subsiste et entrave l’émergence de démarches collectives de prévention comme en témoignent les limites de la

COP 21 (21e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques).

La mutation que la société doit opérer nécessite un partage accru des données disponibles, données dont les musées sont détenteurs à travers leurs collections, en particulier, de sciences naturelles, d’archéologie et d’anthropologie. Cela nécessite, d’une part, de dépasser les approches disciplinaires, y compris pour les musées, en questionnant les typologies des collections et, d’autre part, de croiser les approches scientif iques avec les questionnements des sociétés, tant pour y répondre que pour identifier les sujets sur lesquels il convient d’alerter celles-ci.

Ce rôle de lanceur d’alerte est central et rapproche à nouveau les musées des sciences de la nature et les musées de société, sur le plan des thématiques, mais aussi celui de la déontologie : une exposition peut-elle dépasser la présentation de ce qui relève du consensus pour mettre en débat des points de vue divergents ?

Nous avions fait ce second choix lors de la conception de la galerie de l’Évolution à la fin des années 1980 en consacrant plusieurs centaines de mètres carrés à la présentat ion d e n o m b r e u x

spécimens d’espèces sauvages récemment disparues ou menacées du fait de la pression des sociétés humaines, alors que les thèmes de l’érosion de la biodiversité ne faisaient l’unanimité ni des scientifiques ni de nos tutelles.

Aujourd’hui, l ’interprétat ion de la crise écologique mondiale multiplie les questionnements déontologiques lors d’expositions sur des thèmes aussi divers que la démographie, la diversité et l’unité de l’humanité, sa place au sein du vivant.

Changement de paradigmesUn thème en apparence aussi peu polémique que le Néolithique, susceptible d ’ê t r e a b o r d é p a r d e s m u s é e s d’anthropologie ou d’égyptologie, d’histoire des civilisations ou de la céramique, illustre les questionnements déontologiques qui

La mutation que la société doit opérer nécessite un partage accru des données disponibles, données dont les musées sont détenteurs à

travers leurs collections

Galerie de l’Homme, musée de l’Homme, Paris

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N°3-4 2015 | LES NOUVELLES DE L’ICOM 9

Où allons-nous ?Prise en compte des questionnements écologiques dans le projet muséographique du nouveau musée de l’HommeCécile Aufaure, conservatrice en chef du Patrimoine, directrice du projet de rénovation du musée de l’Homme

Le 17 octobre 2015, le musée de l’Homme, fermé depuis six ans pour rénovation, a ouvert ses portes au

public autour d’un projet scientifique et culturel repensé. Trois grandes questions structurent la Galerie de l’Homme, parcours permanent du musée : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Après avoir redéfini la place de l’Homme dans le Vivant, il s’agit de proposer au public un récit sur l’évolution humaine qui appréhende aussi bien les origines de l’Homme que son devenir. Dans ce parcours la nouvelle relation avec la biosphère, qui s’installe il y a 10 000 ans, occupe une place importante. La mise en place, au cours du Néolithique, de l’appropriation et de la domestication des ressources naturelles par l’Homme peut être considérée comme un premier jalon de l’anthropocène. En effet, ce schéma structure toujours aujourd’hui la majorité des relations Hommes / Nature, tandis que l’accélération de l’anthropisation de la planète depuis la Révolution industrielle, et surtout depuis les années 1950, marque plutôt un changement d’échelle qu’un changement de paradigme.

Mettant en valeur dans tout son parcours les liens indéfectibles de l’Homme et de son milieu, le nouveau musée de l’Homme a fait le choix de mobiliser notamment les données de l’écologie scientifique pour aborder l’avenir des sociétés humaines.

Ces questionnements, peu aisés à

exprimer avec des supports d’objets de collections, sont évoqués par un vaste dispositif multimédia conçu par l’agence Zen+dCo, mettant en lumière l’accélération cro issante de tous les indicateurs d’exploitation des ressources naturelles depuis les années 1950. Les données factuelles et chiffrées sont mises en scène dans une structure circulaire de 9 mètres de diamètre qui englobe le visiteur et l’immerge dans cette problématique. Il s’agit de lui permettre d’appréhender l’étendue de l’emprise des activités humaines sur la biosphère et ses conséquences à travers une expérience sensorielle et intellectuelle.

Cinq thèmes sont détaillés : l’eau, les produits de la mer, le bois, les déchets et les énergies fossiles. Pour chaque thème, une animation d’environ une minute est développée en plusieurs temps : une introduction visuelle et immersive, des chif fres et courbes de consommation mondiale depuis 50 ans, les grandes dynamiques de la situation mondiale (où sont les stocks, qui les exploite, qui les consomme, etc.) y compris les interrelations à l’échelle des nations ou des grandes zones d’influences, des exemples de conséquences locales et, enfin, une présentation rapide des alternatives actuelles.

P a r a l l è l e m e n t à c e s d o n n é e s essentiellement factuelles, les interviews de l’écologue Gilles Bœuf, de l’agronome

Marion Guillou, du démographe Hervé Le Bras et de l’anthropologue Frédérique Chlous apportent le point de vue de synthèse des scientifiques sur le thème du vivre ensemble sur une planète aux ressources limitées.

À proximité, une vitrine d’objets de la vie quotidienne permet d’accrocher ces grandes notions à des repères très concrets qui montrent à la fois la réalité de ces impacts et la diversité des empreintes selon les modes de vie. Cinq portraits sont ainsi proposés : celui d’une photographe habitant Paris, d’un éleveur Sami de Suède, d’une femme pygmée du Gabon, d’un agriculteur de l’oasis de Siwa en Égypte et d’un commerçant de Tachkent en Ouzbékistan.

Enfin, dans ce musée-laboratoire abritant de nombreuses équipes de recherche pluridisciplinaire qui explorent les liens de l’Homme et de son environnement au cours de l’Évolution, l’interpellation du public ne passe pas uniquement par des dispositifs muséographiques. Les débats, les rencontres, les colloques ou les projections de f i lms programmés en novembre 2015 sur le réchauffement climatique et l’anthropocène, dans le cadre d’une actualité liée à la COP 21, font partie de la palette déployée par le musée pour favoriser la compréhension et la prise de conscience du public concernant ces questions.

devraient accompagner la conception d’exposit ions sur des thèmes aussi classiques que « d’où venons-nous ? », « qui sommes-nous ? », « où allons-nous ? », comme ce fut le cas pour le musée de l’Homme inauguré en octobre 2015 (voir encadré).

Depuis 10 000 ans, la néolithisation correspond à la domestication d’espèces animales et végétales qui demeurent essentielles à l’alimentation de l’humanité, à des modi f icat ions des paysages liées à l’agriculture et aux processus de sédentarisation qui mènent à l’urbanisation massive actuelle. La néolithisation participa ainsi à la structuration, au fil des millénaires, des notions actuelles de bien-être et de progrès. Elles furent associées dans

chaque société à un usage maîtrisé de leurs environnements immédiats, cela selon une diversité de modes culturels ayant permis, grâce au progrès des connaissances, une exploitation de plus en plus efficace des ressources naturelles sans avoir à considérer, jusqu’à très récemment, les limites globales de la planète, tout en s’accompagnant du passage d’une population de quelques millions à plusieurs milliards d’individus. Le bien-être est en conséquence associé, dans la majorité des sociétés, au sentiment de maîtrise de la nature ou du moins de ses ressources. Cela contribue aujourd’hui à donner une référence positive à l’ingénierie et à la considérer comme capable de compenser les altérations produites, de protéger

l’environnement, voire de le réparer des atteintes humaines.

Rompre ce paradigme multimillénaire et sortir de ce qui pourrait être considéré comme un Néolithique tardif, sans pour autant laisser penser que l’humanité est condamnée à la régression, nécessite de réorienter les sciences, les techniques et, plus globalement, la créativité de l’humanité non pas vers une maîtrise de la nature, mais vers une co-évolution avec elle.

Face à la nécessité du changement de perception de la place des humains au sein du vivant et, plus globalement, des relations de l’humanité avec la nature, les musées ont une responsabilité sociale majeure de réinterprétation et valorisation de leurs collections. ■

Appartenir à une communauté signifie parler la même langue : pour savoir reconnaître et comprendre la façon dont les autres pensent différemment ; pour enrichir notre vision avec ce qui se présente à nous par des mots courants – des plus simples au plus

complexes – qui, bien qu’en apparence identiques, recouvrent des significations différentes dans d’autres contextes culturels.

Au regard de la vaste communauté internationale de l’ICOM, il est donc bien de s’accorder sur certains des mots clés de la prochaine Conférence générale qui aura lieu à Milan en 2016, afin de pouvoir les utiliser à la fois selon leur acception commune et selon les valeurs singulières qu’on leur a attribuées dans les différents continents, pays et contextes. Ces termes sont principalement : paysage, mais aussi territoire et patrimoine culturel, et même musée.

Pour bien nous entendre, nous pouvons nous référer à certaines définitions trouvées dans des documents internationaux, y compris de très récents, ce qui nous permettra de les examiner et de décider si elles sont capables de servir de base commune pour

l’émergence des nombreuses autres significations qui existent – fort heureusement – dans notre monde si divers. Nous analyserons les termes paysage, territoire, patrimoine et musée par paire, dans ce qui pourrait ressembler à un jeu de dominos.

Le territoire et le paysageLe territoire et le paysage ne sont pas la même chose, même si dans l’usage commun ils tendent à être considérés comme des synonymes. Le territoire est la dimension physique et matérielle du paysage, avec ses particularités naturelles et/ou anthropiques. Le paysage n’est pas seulement l’image d’un territoire, même si le terme a longtemps été utilisé et continue à l’être pour désigner une peinture, un dessin ou une représentation photographique.

Au cours du XXe siècle, la notion de paysage a progressivement perdu la valeur esthétique qui lui était attribuée (selon laquelle un paysage se devait d’être beau, digne d’une carte postale) et l’idée qu’il était associé plus particulièrement à un environnement naturel. Aujourd’hui, bien que ce ne soit pas le cas dans l’usage commun,

Terrain d’ententeS’accorder sur les mots clés de Milan 2016Daniele Jalla, professeur de muséologie, université de Pérouse ; président d’ICOM Italie

Wadi Rum, Jordanie

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10 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°3-4 2015

DOSSIER MUSÉES ET PAYSAGES CULTURELS

le terme a acquis une valeur neutre dans les cercles scienti-fiques et politiques, aussi bien dans la définition qu’en donne l’UNESCO1 que dans celle de la Convention européenne du paysage2.

Dans les deux cas, le terme « paysage » « renvoie à la fois à une façon de voir l’environnement qui nous entoure et à cet environnement en soi », et « l’intérêt de la notion de paysage est qu’elle unifie les facteurs à l’œuvre dans notre rapport avec le milieu environnant. »3

Selon cette optique, les paysages, « qu’ils aient une valeur esthétique ou non, constituent le cadre de notre vie quotidienne ; ils sont fami-liers et le concept de paysage établit un lien entre les êtres humains et la nature, en reconnaissant leur interaction avec l’environnement. »4

Telle est la notion de paysage que nous aurons à aborder à Milan car elle procède d’une perspective internationale et guide les actions envers

la protection, la sauvegarde et l’amélioration des différents patrimoines à travers le monde.

Le paysage et le patrimoine culturelIl va de soi que paysage et patrimoine culturel ne sont pas la même chose non plus : même si tout pouvait relever du paysage, comme nous l’avons vu, certains paysages ne méri-teraient pas d’être préservés. De fait, s’il s’agit de les évaluer, nous avons le devoir d’exercer notre sens critique de façon constructive et de réfléchir à la manière de les transformer. Mais surtout, « le paysage […] relève de notre perception du monde présent ; le patrimoine, en revanche, relève de notre perception et compréhension du passé et de tout ce qu’il nous a légué. »5

Le paysage est le présent ; en tant que tel, nous le percevons comme le cadre de vie dans lequel nous évoluons. Au jour le jour, il défie notre intelligence et notre sensibilité pour que nous puissions reconnaître quels en sont les aspects – parce qu’ils seraient le reflet et l’expression de nos valeurs, croyances, connaissances

et traditions – qui méritent d’être protégés et améliorés par les générations présentes en vue d’être transmis aux générations futures6, dans la perspective du développement durable.

Le patrimoine culturel et les muséesLa définition du patrimoine culturel contenue dans la Recommandation de l’UNESCO représente une innovation car elle confie aux personnes la tâche de choisir et de décider, « indépendamment des considérations de propriété », ce qu’est le patrimoine culturel. Et même si la Recommandation ne l’établit pas clairement, le rôle du musée devient celui d’interprète pour les communautés patrimoniales, plaçant ses propres compétences et connaissances, ses espaces et ressources à leur service. C’est une tâche nouvelle non encore définie, mais qui découle de la vision du paysage et du patrimoine culturel qui se fait jour au niveau international.

Dans un monde de plus en plus interconnecté, confronté en outre à des phénomènes qui constituent des menaces pour l’existence et l’avenir de l’humanité, si le patrimoine culturel est considéré comme une ressource indispensable à la construction d’un futur viable, et si c’est un droit des populations de définir la nature de leur patrimoine et d’en protéger la diversité, alors les musées – qui, par définition, œuvrent « au service de la société et de son développe-ment » – doivent répondre de certains devoirs et responsabilités : ils ne peuvent pas se contenter de transmettre le patrimoine reçu mais doivent aussi chercher, hors de leurs murs, ce qui mérite d’être protégé et sauvegardé, ce qui, en exprimant « identités, croyances, savoirs et traditions », est une ressource pour le futur.

Leur portée s’élargit pour inclure le paysage culturel (dont le patrimoine culturel déjà identifié ne forme qu’une partie), alliant une approche « museum-oriented » à une approche « context-oriented », vues comme des aspects complémentaires de l’action muséale. Cette action se prolonge au sein du territoire, en impliquant la communauté non seulement en termes de connaissances, de conservation et de promotion, mais aussi pour l’identification

et l’interprétation de ses propres besoins, attentes et propositions.

Si, comme nous l’avons écrit dans la Charte de Sienne7, le paysage culturel est « le pays que nous habitons, et qui nous entoure au quotidien avec les images et les représentations qui l’identifient et le définissent comme tel » ; si c’est le « cadre de notre vie quotidienne », un ensemble de lieux qui nous sont « familiers » ; si c’est une combinaison inextricable de passé et de présent, avec toutes leurs contradictions et leurs conflits, nous invitant sans cesse à choisir ce qui mérite d’être sauvé, ce qui peut ou doit être modifié ; si tout cela est vrai, alors la

Conférence générale de l’ICOM qui se tiendra à Milan en 2016 doit être l’occasion d’exposer les différentes façons dont les musées du troisième millénaire ont la tâche de répondre aux défis qui accompagnent les nouvelles visions du paysage culturel et du patrimoine culturel imposées au niveau international. ■

Les musées ne peuvent pas se contenter de transmettre le patrimoine reçu mais doivent aussi chercher,

hors de leurs murs, ce qui mérite d’être protégé et

sauvegardé, en tant que ressource pour le futur

Notes1 http://whc.unesco.org/fr/PaysagesCulturels/2 http://www.coe.int/fr/web/landscape/about-the-convention3 Nora Mitchell, Mechtild Rössler, Pierre-Marie Tricaud (auteurs/rédacteurs), Paysages culturels du patrimoine mondial : Guide pratique de conservation et de gestion, Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, 2009.4 Ibid.5 G. Fairclough, Les nouvelles frontières du patrimoine, dans Conseil de l’Europe, Le patrimoine et au-delà, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 2009, p. 33.

Disponible à l’adresse : https://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/heritage/identities/PatrimoineBD_fr.pdf6 Cette phrase reproduit, dans un ordre différent et avec quelques omissions, la définition du patrimoine incluse dans la Recommandation de l’UNESCO sur la protection et la promotion des musées et des collections, de leur diversité et de leur

rôle dans la société, adoptée le 17 novembre 2015 : http://www.unesco.org/new/fr/culture/themes/museums/recommendation-on-the-protection-and-promotion-of-museums-and-collections/ Cette définition reflète partiellement celle de la Convention de Faro de 2005 : http://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/199

7 http://icom.museum/fileadmin/user_upload/pdf/News/Carta_di_Siena_FR_final.pdf

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DOSSIER MUSÉES ET PAYSAGES CULTURELS

Le Homewood Museum se trouve en plein cœur du campus de l’université Johns-Hopkins (UJH), dans le

Maryland (États-Unis) et prête ses traits caractéristiques du début du XIXe siècle à l’architecture environnante. Pourtant, jusqu’à une date récente, il fonctionnait de manière complètement indépendante de la mission de l’université et de sa relation historique profonde au terrain qu’occupe le campus. Aujourd’hui, de nouveaux projets universitaires portant sur cette relation, pour l’essentiel des cours proposés dans le cadre du Programme Musées et société de l’UJH, permettent de mettre au jour des histoires quasiment oubliées, par exemple la présence d’Afro-américains réduits en esclavage qui travaillaient jadis la terre et dans la maison. Grâce à sa collaboration de plus en plus étroite avec la faculté et les étudiants, le Homewood Museum devient une ressource incontournable pour révéler et faire connaître au grand public des

histoires complexes et parfois contestées.Homewood, le site sur lequel se

trouve le Homewood Museum, était une résidence de campagne appartenant à l’influente famille Carroll, dont l’un des membres est connu pour avoir été le seul catholique signataire de la Déclaration d’indépendance des États-Unis. Construit entre 1801 et 1808, c’est un parfait exemple d’architecture de style fédéral. La famille Carroll vendit la maison et le domaine en 1839, et en 1902 la propriété fut donnée à l’UJH. Le campus de l’université, un très bel ensemble de bâtiments en brique arborant d’élégants frontons et colonnes, épouse parfaitement l’architecture de Homewood.

En 1987, Johns Hopkins restaura Homewood pour en faire une maison-musée dédiée à la vie dans le Maryland au début du XIXe siècle. Depuis, son personnel s’efforce d’associer le musée aux activités clés de l’université, notamment en accueil-lant et en proposant des cours portant sur

la maison, son contenu et la vie des Carroll et de leurs contemporains.

Par-delà les murs du muséeAu printemps 2014, l’un de ces cours a débordé de la maison pour s’intéresser au paysage qui l’environne. Sous la conduite de Beth Maloney, intervenante du Programme Musées et société et éduca-trice indépendante dans les musées, assistée du personnel du musée et de la bibliothèque, dix étudiants ont mené des recherches sur différents sites du campus afin d’établir une représenta-tion plus complète de cet endroit où ils se sentent chez eux. Chaque étudiant a sélectionné des archives visuelles et écrit un récit de quelques lignes à faire figurer sur un panneau historique. La classe a étudié la manière dont les gens perçoivent un texte interprétatif dans un contexte informel et a travaillé avec des étudiants en design environnemental du

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Homewood Museum, campus de l’université Johns-Hopkins, Baltimore (États-Unis)

Un sens du lieuRepenser un paysage bucoliqueElizabeth Rodini, directrice fondatrice du Programme Musées et société, université Johns-Hopkins, États-Unis

12 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°3-4 2015

DOSSIER MUSÉES ET PAYSAGES CULTURELS

Maryland Institute College of Art pour créer des panneaux signalétiques qui ont été installés sur le campus à la rentrée univer-sitaire de 2014-20151. L’accueil a été tel que l’administration de l’université a financé la production de nouveaux panneaux lorsque les premiers, conçus pour durer seule-ment un an, ont commencé à s’abîmer (les panneaux originaux, de même que le cours, avaient été financés par une bourse octroyée par la Fondation Andrew W. Mellon au Programme Musées et société).

Le panneau qui a le plus attiré l’attention parle des anciens quartiers d’esclaves qui occupaient jadis un coin du terrain appartenant maintenant au campus de l’UJH. La structure avait été absorbée lors de la construction d’un bâtiment d’habitation plus grand, mais tous les deux ont disparu aujourd’hui. C’est une des choses qui ont poussé Courtney Little, étudiante de l’UJH, à faire partie du projet. Celle-ci, qui termine maintenant un master d’histoire publique, a relevé le défi d’interpréter ce qu’elle appelle un « site historique absent controversé ». Son panneau montrait la reproduction d’un inventaire de succession de la famille Carroll répertoriant les « biens » qu’elle possédait en 1839, y compris 16 hommes, femmes et enfants.

Il n’y a rien d’étonnant à ce que des esclaves aient vécu et travaillé sur cet te terre : le Maryland, qui se trouve juste en-dessous de la ligne Mason-Dixon qui marquait la séparation entre le Nord et le Sud, était un état escla-vagiste. Et les Carroll, riches propriétaires terriens, possédaient de nombreux esclaves. Mais les vestiges matériels de cette époque étant rares, cette histoire tend à être oubliée pour laisser la place à un paysage vallonné à l’architecture soignée empreint de nostalgie. Le verger historique de Homewood attenant à la maison, par exemple, a été récemment replanté en une réécriture pittoresque du passé qui parle de la beauté perdue sans mentionner, évidemment, la main-d’œuvre qui en fut l’auteur.

Conjuguer le passé au présentToutes les personnes impliquées dans le projet de signalétique étaient d’accord sur le fait qu’il fallait aborder la question de l’esclavage à Homewood de manière directe et avec assurance, précision et

délicatesse. La classe s’est lancée dans de longues discussions et de longs essais de panneaux signalétiques avec différents publics, notamment le personnel et les administrateurs de la faculté, des étudiants, des passants et des membres de plusieurs groupes multiculturels du campus.

Les dix panneaux qui en ont résulté constituent un appel à se souvenir en imprégnant le paysage d’histoires oubliées. La plupart célèbrent un fait ou rendent hommage à quelqu’un, mais

pas le panneau sur l’esclavage : i l est destiné à faire s’arrêter les gens qui le lisent af in qu’i ls por tent u n a u t r e r e g a r d sur l’endroit qui les entoure. Et c’est exacte-ment l’effet produit, même au milieu de l’agitation quotidienne

du campus. Un effet encouragé par certains membres de la faculté, comme l’anthropologue Anand Pandian, qui l’utilise pour aider ses étudiants à réfléchir plus attentivement aux espaces qu’ils habitent et aux libertés dont ils jouissent. « C’[est] comme si une autre strate de l’histoire [était] apparue à la surface du paysage du campus », explique-t-il.

La signalétique a commencé à in- fluencer également la programmation muséale. Deux étudiants y ont puisé l’inspiration pour écrire et produire une interprétation théâtrale de la vie des habitants de Homewood, qui donne la parole à William, un esclave travaillant sur le domaine de Carroll. Ils voient dans l’histoire vivante un moyen de relater des faits oubliés, exactement comme les

quartiers d’esclaves disparus. En avril 2015, le musée a organisé un colloque sur le thème de l’esclavage dans le Maryland, qui a attiré un public nombreux et varié venu de toute la ville.

Ce n’était qu’une question de jours avant que Baltimore ne s’enflamme après la mort de Freddie Gray, un jeune noir non armé, survenue alors qu’il était en garde à vue. Dans ce contexte, le panneau sur l’esclavage de Homewood est apparu non seulement comme un rappel du passé, mais aussi comme une mise en exergue des répercussions perpétuelles du passé sur le présent. Si l’agréable paysage du campus nous permet d’oublier les injus-tices raciales dont son emplacement historique a été la scène, ce panneau, lui, relie le passé au présent pour nous obliger à nous souvenir. Ou, comme l’écrit Ronald J. Daniels, le président de l’UJH, dans une lettre dans laquelle il exprime sa satisfac-tion, ces panneaux « instillent l’histoire du campus de Homewood dans notre vie quotidienne. »

L’université Johns-Hopkins, en tant qu’institution prédominante dans une ville en proie au malaise social et en tant qu’université résolue à améliorer la condi-tion humaine, se doit de relater les épisodes les plus pénibles de notre histoire et de chercher ce que nous pouvons en tirer. Et le Homewood Museum est partie prenante de ce travail. Sa relation histo-rique à cette terre, sa place centrale sur le campus et sa capacité à lier questions universitaires et questions civiques en font le dépositaire idéal des histoires de William et des autres esclaves qui travaillaient sur le domaine de Carroll. ■

Le Homewood Museum devient une ressource incontournable pour

révéler et faire connaître au grand public des histoires complexes et parfois contestées

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Un étudiant fait une pause lecture

Note1 Voir : http://retrospective.jhu.edu/our-initiatives/hidden-stories-of-homewood

N°3-4 2015 | LES NOUVELLES DE L’ICOM 13

DOSSIER MUSÉES ET PAYSAGES CULTURELS

Sensibilisation aux azulejosDOSSIER MUSÉES ET PAYSAGES CULTURELS

Parmi le patrimoine culturel mondial, les petits carreaux de faïence histo-riques si typiques du Portugal se

distinguent par leur richesse inestimable tant du point de vue de la qualité, de la quantité, du style que des techniques et matériaux employés. L’architecture portugaise est célèbre dans le monde entier pour ses azulejos, qui recou-vrent les murs extérieurs et intérieurs d’innombrables édifices, que ce soit des couvents, des églises, des palais, mais aussi des hôpitaux, des gares de chemin de fer, des écoles et toutes sortes de bâtiments publics ou encore des immeubles d’habitation privés.

Les azulejos ont pris une telle valeur aux yeux des experts en art, des historiens et des antiquaires qu’ils sont de plus en plus victimes de vols et de trafics sur le marché international de l’art et des antiquités. Le nombre de vols a augmenté en proportion

ces dernières décennies, pour culminer au début des années 2000, en particulier dans la région de Lisbonne.

Et pour tant, de façon tout à fait paradoxale, hormis quelques exceptions notables, les azulejos urbains ne semblent pas revêtir une grande valeur aux yeux des citoyens portugais moyens et des institu-tions. Ils ont été si omniprésents dans le quotidien depuis tant de siècles que très peu de personnes les remarquent ou se soucient vraiment de leur sort. Il en résulte une grande négligence, le retrait inutile de ces carreaux, la démolition d’édifices qui en sont couverts, du vandalisme et un nombre considérable de bâtiments nécessitant des mesures urgentes de conservation.

La création de SOS AzulejoEn 2007, le musée de la Police judiciaire (MPJ) a lancé le projet SOS Azulejo en réaction à ces problèmes de vol et de

dégradation, mais poussé également par des circonstances institutionnelles et pratiques. Tout d’abord, la police judiciaire portugaise est la force de l’ordre qui a la compétence exclusive pour les crimes et délits liés au patrimoine culturel dans le pays ; deuxièmement, le MPJ détient une collection de carreaux historiques volés, retrouvés par la police mais dont l’origine demeure inconnue. Cette collection a été exposée en plusieurs occasions par le MPJ à des fins éducatives, une démarche qui s’explique par le fait que le musée définit sa mission comme étant centrée sur la préven-tion du crime ; c’est, du reste, l’une des attributions explicites de la police judiciaire, qui la concerne directement et constitue un service pour la communauté.

C’est dans ce contexte que SOS Azulejo est né, comme un projet de prévention contre le crime afin de protéger les azulejos portugais des vols,

Vers la protection d’un paysage culturel portugais uniqueLeonor Sá, coordinatrice de SOS Azulejo, Museu de Polícia Judiciária / Escola de Polícia Judiciária, Portugal

‘Tiles in Lisbon’ by David D

ennis. https://ww

w.flickr.com

/photos/davidden/. License: https://creativecomm

ons.org/licenses/by-sa/2.0/

Façade traditionnelle d’azulejos à Lisbonne

14 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°3-4 2015

DOSSIER MUSÉES ET PAYSAGES CULTURELS

des trafics et du vandalisme croissants. Mais il comprenait deux objectifs sup- plémentaires : la conservation préventive et la sensibilisation à la valeur de ces carreaux historiques. Cette approche interdisciplinaire a rendu des partenariats absolument nécessaires. En 2007, le MPJ a signé des protocoles avec une série d’organisations portugaises, parmi lesquelles certaines faisaient partie de l’ancien ministère de la Culture, ou encore des universités, une association d’autorités locales et d’autres forces de police.

SOS Azulejo n’a aucun budget et son fonctionnement est flexible ; chaque partenaire apporte ses compétences spécifiques au sein de son propre budget institutionnel. Pour certaines actions concrètes qui ne peuvent pas être couvertes par les partenaires, il est fait appel à des sponsors.

Une triple missionLe premier objectif de SOS Azulejo est donc de prévenir le vol et dissuader les voleurs. Sa première action visible en ce sens a consisté à diffuser sur son site internet www.sosazulejo.com, ainsi que sur sa page Facebook, une information systématisée et des images d’a zulejos f igurati fs volés. La facilité d’accès à ces images vise à aider à l’identification et à la récupération des carreaux historiques, rendre leur circulation sur le marché difficile et dissuader les voleurs et les receleurs de commettre ce genre de délits.

Avant l’apparition de SOS Azulejo, des azulejos figuratifs volés circulaient sans problème sur le marché, dans les circuits de l’art, voire dans des musées nationaux. Le projet a complètement changé la situa-tion. Les acheteurs de bonne foi – qu’ils soient antiquaires, conservateurs ou d’autres professionnels – peuvent mainte-nant aisément obtenir des renseignements sur les pièces volées, et les acheteurs de mauvaise foi ne peuvent plus feindre l’ignorance.

Les résultats de cette mesure ont été immédiats et très encourageants. Le lendemain du lancement du site internet, un panneau de Leopoldo Battistini datant

du début du XXe siècle, volé en 2001 au Palácio da Rosa situé à Lisbonne, a été reconnu et récupéré.

À plus long terme, les statistiques concernant les vols d’azulejos sont égale-ment fort encourageantes et indiquent des résultats impressionnants, avec

une nette baisse des vols d’azulejos enre-gistrés depuis 2007, l’année où SOS Azulejo a été créé.

L e d e u x i è m e objectif de SOS Azulejo est de prévenir la négli-gence et la destruction

des azulejos. Cela a impliqué tout d’abord de sensibiliser les autorités municipales de Lisbonne qui ont élaboré en 2010 un plan municipal pour la protection des azulejos de la capitale, puis de proposer d’importantes mesures à incorporer dans le nouveau règlement d’aménagement urbain, comme par exemple interdire la démolition des façades décorées et le retrait des azulejos de ces mêmes façades. L’acceptation de cette proposi-tion a représenté un changement radical dans l’approche concernant la protection de ce patrimoine.

Une fois que ce nouveau règlement est entré en vigueur, en avril 2013, SOS Azulejo a proposé sa mise en place dans toutes les villes portugaises, au nom de la protec-tion mondiale de ce patrimoine. Ce n’est

pas encore une réalité, mais cela pourrait constituer une base solide pour demander l’inscription des azulejos portugais sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

Enfin, cherchant à se situer sur un autre plan que l’information négative – le vol, le vandalisme, la dégradation –, SOS Azulejo a élargi son champ d’action en ajoutant une perspective positive, à savoir encourager et récompenser les bonnes pratiques. Ainsi, elle promeut les études universitaires, les actions artistiques et communautaires. Les Prix SOS Azulejo ont été créés en 2010. Ils ont lieu chaque année en mai au Palácio Fronteira, à Lisbonne et sont décernés à des individus ou des institutions dont le travail remarquable contribue non seule-ment à la sauvegarde des azulejos, mais aussi à leur étude, à leur diffusion, à leur mise en valeur et à leur continuité dans l’art contemporain. En outre, chaque année, en mai, une « action scolaire SOS Azulejo » est organisée au niveau national en partenariat avec les écoles, qui implique des milliers d’élèves, de professeurs, de parents et de personnes âgées dans diverses activités ludiques conçues pour connaître davan-tage les azulejos. On espère que dans un futur proche, cela débouchera sur une « Journée nationale des Azulejos ».

Les espoirs qui ont mené à la création de SOS Azulejo se sont traduits par des résultats concrets impressionnants. En 2013, les efforts fructueux du projet ont été récompensés par le Grand Prix du patri-moine culturel de l’Union européenne / Concours Europa Nostra. Nous avons la conviction que le paysage culturel unique des azulejos du Portugal survivra. ■

Il y a eu une nette baisse des vols d’azulejos

enregistrés depuis 2007, l’année où SOS Azulejo

a été créé

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Une « action scolaire » de SOS Azulejo à Marvão (Portalegre), 6 mai 2015

Écoliers participant à une « action scolaire » de SOS Azulejo à Beja (Alentejo), 6 mai 2015

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N°3-4 2015 | LES NOUVELLES DE L’ICOM 15

Redonner vie à une lointaine colline

La migration est depuis les années 1960 un phénomène majeur en Turquie, notamment dans les

provinces de l’Est. Les populations migrent vers les villes industrialisées d’Istanbul, Ankara et Izmir, ainsi que vers des pays européens comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse et la Belgique, poussées par la peur de l’avenir et le désir d’une vie meilleure, un bon système éducatif, des possibilités de travail et une couverture médicale fiable. La migra-tion a avant tout des effets négatifs sur les femmes et les enfants, en raison de leur vulnérabilité.

Bayburt, la plus petite province turque, est une terre de migration importante. Si certains migrants ont conservé un lien,

même restreint, avec leur région natale, une grande partie de la population est partie pour ne jamais revenir, en quête de travail saisonnier dans l’agriculture. Bayraktar est le plus petit village de la province, situé dans une région montagneuse reculée qui a perdu ainsi l’essentiel de sa popula-tion. Il portait autrefois le nom de Baksı, ou « chaman », et ces dernières années, il s’est distingué par le musée qu’il abrite, grâce auquel la communauté locale revit et voit le processus de migration s’inverser.

L’histoire de BaksıLe musée Baksı est né de l’imagination de Hüsamettin Koçan, un artiste installé à Istanbul mais originaire de Bayraktar. Le père de Hüsamettin Koçan quitta le village

pour aller travailler quand celui-ci était très jeune et ne retournait chez lui que tous les deux ans. Hüsamettin Koçan passa son enfance à attendre impatiemment le retour de son père, pour finir par aller s’installer à Istanbul où il devint un artiste renommé et, par la suite, le doyen de la faculté des Beaux-Arts de l’université de Marmara. Bien des années plus tard, à la mort de son père, il rentra au village pour lui rendre un dernier hommage et conçut alors un projet susceptible d’abriter les œuvres des artisans locaux.

La première idée de Hüsamettin Koçan était de transformer un vieux manoir du village en un centre culturel, mais confronté à d’importants obstacles bureaucratiques il choisit plutôt de partir de zéro et de

Les paysages culturels du musée BaksıFeride Celik, directrice, musée Baksı, Turquie

Le musée Baksı, province de Bayburt, Turquie

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DOSSIER MUSÉES ET PAYSAGES CULTURELS

construire un musée. Le projet démarra en 2000, et il fallut cinq ans pour achever les travaux. Le musée qui se dresse au sommet de la colline où Hüsamettin Koçan avait coutume d’attendre le retour de son père abrite une collection d’art contemporain en plus d’une vaste collection d’œuvres traditionnelles, parmi lesquelles figurent de la calligraphie ottomane, des peintures sous-verres, des bols de guérison et des kilims (tapis).

Le musée s’intéresse aux thématiques de la migration, des femmes, des enfants et de la durabil i té culturelle. Hüsamettin Koçan avait toujours pensé qu’il était celui qui souffrait le plus de grandir séparé de son père, mais il s’est rendu compte plus tard à quel point cela avait dû être éprouvant pour sa mère d’élever toute seule ses sept enfants.

Les ressources limitées de la région expliquent les flux incessants de migra-tion. Le musée a été fondé dans le but de rappeler à la population locale ses racines culturelles et de l’aider à construire une vie durable grâce au savoir et à l’expérience qu’elle peut glaner sur place. Le projet du musée Baksı vise donc à établir une base économique afin de prévenir de futures migrations.

Redonner le pouvoir aux femmes locales et aux enfantsUn aspect important du projet consistait à mettre en place des ateliers textiles pour les femmes de Bayraktar et des villages environnants, leur donnant ainsi le pouvoir en tant qu’actrices économiques de la région. Ces ateliers, qui associent des formes d’artisanat traditionnel et contemporain, permettent en outre de transmettre le patrimoine culturel et de créer de nouvelles façons d’interagir. Le musée offre un espace pour la communi-cation et l’interaction qui établit des ponts entre le centre et la périphérie, rendant les occasions offertes par l’art et le design accessibles aux populations un peu marginalisées.

Les femmes produisent l’ehram, une étoffe qui, traditionnellement, était tissée à la main pour un usage quotidien. À l’origine c’était un tissu grossier dont la production répondait à une procédure assez longue. Mais ce textile traditionnel a été adopté par

les grands couturiers turcs d’Istanbul, qui l’ont transformé en un tissu moderne du prêt-à-porter en combinant le coton et la soie pour le rendre plus doux. Aujourd’hui, l’ehram est utilisé pour toute une variété de produits : chaussures, sacs à dos, trousses et chapeaux. Les femmes du village travaillent dans les ateliers textiles du musée et sont impliquées dans cette production contemporaine, pour laquelle elles sont payées au moyen d’une carte de paiement leur permettant de retirer de

l’argent déposé sur des comptes bancaires individuels. Outre ces ateliers de tissage, le musée organise des ateliers de céramique et de confection de kilims modernes. Les femmes et les enfants ramassent des plantes indigènes à la région sur les collines environ-nantes afin de créer des

teintures naturelles utilisées dans tous ces processus.

Le musée accorde également la plus grande importance au bien-être des enfants et a fondé un festival d’art annuel à l’intention des élèves, qui comprend notamment un concours artistique pour les écoliers de la région. La Fondation pour

la culture et l’art de Baksı octroie chaque année une bourse à quinze étudiants en art, pour financer leur cursus à l’université.

À côté du festival d’art, le musée accueille des projets visant à impliquer la communauté organisés par différentes écoles. Robert College, un lycée améri-cain d’Istanbul, envoie chaque année un groupe d’étudiants au musée Baksı pour collaborer avec les enfants du village autour de diverses activités scientifiques et ludiques, par exemple des classes d’art, de musique, de théâtre ou de sport. Ces deux groupes d’enfants issus de milieux sociaux opposés apprennent les uns des autres de façon stupéfiante.

Enfin, le musée administre des maisons d’hôte, destinées à promouvoir le tourisme culturel, ainsi que des modes de déve-loppement durable pour la région, en offrant ainsi des possibilités de travail pour les villageois.

Le musée Baksı al l ie la beauté spectaculaire des paysages du Nord-Est de l’Anatolie avec l’art local et traditionnel, mais aussi moderne, dans un lieu unique pour l’interaction culturelle. En recon-naissance de l’œuvre accomplie, il a reçu en 2014 le Prix du Musée du Conseil de l’Europe. Le musée Baksı attire les visiteurs sur cette lointaine colline de l’Anatolie grâce à l’espoir qu’il crée et l’énergie qu’il libère pour sa communauté. ■

Le musée a été fondé dans le but de rappeler à la population locale ses racines culturelles et de

l’aider à construire une vie durable grâce au savoir et à l’expérience qu’elle peut

glaner sur place

Le traitement et tissage du textile ehram par une femme de la localité

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DOSSIER MUSÉES ET PAYSAGES CULTURELS

Préserver le passé pour préparer l’avenirInteractions entre le musée de Kiji et sa communauté localeOlga Titova, sous-directrice du développement et des relations internationales du musée de Kiji, Russie

Le musée de Kiji est le plus grand musée de plein air de Russie. L’île de Kiji, sur le lac Onega, en République de Carélie, abrite en effet de parfaits exemples d’architecture rurale, notam-

ment des fermes historiques et d’autres édifices provenant de différentes régions de Carélie, qui illustrent l’art de la charpenterie et de la menuiserie, ainsi que la vie quotidienne des paysans du XIXe siècle. Le joyau de la collection du musée de Kiji est l’ensemble architectural du pogost (enclos paroissial) de Kiji, composé de deux églises et d’un clocher en bois, qui fut, en 1990, l’un des premiers sites de Russie à être inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. À l’époque, des experts avaient observé que les « struc-tures en bois parfaitement proportionnées [étaient] aussi en parfaite harmonie avec le paysage environnant. »

Aujourd’hui, le paysage présente un des rares exemples d’ensemble architectural « holistique » : il comprend des bâtiments

de ferme bien conservés et l’élément dominant traditionnel, à savoir l’ensemble paroissial, qui constitue le centre spirituel de toute la région et crée l’intégrité de l’ensemble.

Une approche globalePour être efficace, la conservation du patrimoine culturel doit reposer sur une approche globale. Elle est à envisager en lien étroit avec le paysage environnant, ainsi qu’avec le patrimoine culturel immatériel et la vie sociale, économique et culturelle de la région. Elle suppose la plus large participation possible de la communauté locale sur le plan de la préservation, de l’utilisation et de la valorisa-tion du patrimoine culturel.

L’objectif de cette approche globale n’est pas de « conserver pour conserver », mais d’adapter le patrimoine aux modes de vie moderne et de le mettre au service d’un développement durable de

L’ensemble architectural du pogost de Kiji, un site du patrimoine mondial de l’UNESCO sur l’île de Kiji, République de Carélie, Russie©

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la région et de l’amélioration de la qualité de vie des communautés locales.

La communauté locale de l’archipel de Kiji et de la région environnante, la Zaonejie, qui a érigé le seul monument tout en bois de l’île de Kiji, est le dépositaire principal de cette culture authentique, la détentrice de traditions et d’un savoir culturels historiques, à même de perpétuer l’artisanat traditionnel et de veiller à la gestion des ressources naturelles. Étant donné la richesse du patrimoine culturel et la beauté naturelle du site, l’une de ses rares possibilités de déve-loppement consiste à promouvoir diverses formes de tourisme culturel et écologique. Le musée de Kiji travaille ainsi en étroite collaboration avec la communauté locale pour créer des programmes et mettre en place des services destinés aux touristes.

Des chapelles pittoresques ont été préservées dans des villages historiques de la zone autour de l’île de Kiji. Le musée a permis de faire revivre une longue tradi-tion de fêtes dans les chapelles : des offices festifs y sont célébrés, les cloches retentissent et l’on y chante des chants traditionnels du nord de la Russie. Des spécialistes parmi le personnel du musée aident la population locale à faire renaître l’artisanat traditionnel. Les produits fabriqués par les artisans locaux sont vendus à des foires, et des kizhankas, des bateaux tradition-nels, sont utilisés pour naviguer autour des îles de l’archipel de Kiji. Le musée cherche également à sensibiliser les habitants aux questions environnemen-tales telles que la gestion correcte des déchets ou la protection des paysages naturels de l’archipel.

Au service du tourismeLa Zaonejie est une région qui a conservé une atmosphère et un esprit singuliers. Ses habitants ont longtemps gardé en mémoire des légendes exaltant des héros de guerre russes et on l’appelle communément le « trésor du nord de la Russie » ou l’« Islande des épopées russes ». Mais au cours des dernières décennies, cette région unique a été abandonnée et s’est vu décliner.

Une analyse de la situation a montré que le musée de Kiji et les entreprises locales

étaient confrontés aux mêmes problèmes, à savoir le fait que le passage des touristes soit, en règle générale, très bref (2 à 3 heures, et uniquement sur l’île de Kiji) et que la publicité consacrée à la région soit insuffisante, bien qu’elle ait assez à offrir pour occuper les touristes plusieurs jours. De ce fait, il était quasiment impossible

pour la communauté locale de se déve-lopper et d’améliorer sa situation sociale et économique. La seule manière de surmonter ces obstacles était d’unir les efforts et de mettre les ressources en commun.

C’est a insi que l ’o n a m o n té l e projet ProEthno : les techniques des musées appliquées au tourisme d’accueil, destiné à faire parti-ciper la population

locale à l’offre de services touristiques en utilisant les techniques pratiquées par les musées. Le principal objectif de ce projet était de créer les conditions du développe-ment touristique en Zaonejie comme facteur de développement durable de la région en s’appuyant sur des parte-nariats à long terme entre le musée et les entreprises locales.

Les parties prenantes de tout bord, des entreprises locales aux ONG en passant par les institutions éducatives et culturelles et les administrations locales, ont renforcé leurs efforts pour la mise en œuvre de ce projet. La création d’un nouveau réseau de partenaires en constitue l’un des princi-paux aboutissements.

Les propriétaires de chambres d’hôtes ont non seulement manifesté leur intérêt

pour le projet, mais également participé activement à sa mise en œuvre. Des brochures d’information et d’orientation, ainsi que des cartes touristiques du terri-toire ont été créées à leur intention et ils ont pu bénéficier de recommandations personnalisées. Nous avons essayé de trouver un élément distinctif pour chaque maison d’hôtes en mettant en valeur le potentiel de la zone et sa propre histoire afin qu’elle puisse se démarquer et être compétitive et attractive sur le marché du tourisme. Un certain nombre d’idées ont été proposées, dont certaines ont été appliquées dans les maisons d’hôtes. Une maison d’hôtes a par exemple accueilli une exposition relatant l’histoire de la famille de son propriétaire, dont un ancêtre a participé à la première restauration de l’église de la Transfiguration. De nouveaux parcours ont également été proposés aux touristes et un nouveau programme intitulé Rencontre avec un artisan a été lancé.

Ce projet est tombé à point nommé et s’est révélé incroyablement fructueux. Il a déclenché une réaction en chaîne qui a engendré de nombreux et importants processus et projets d’envergure qui, à leur tour, ont donné lieu à la naissance et à la mise en place durable d’autres idées pour redynamiser le tourisme dans la région. La population locale s’y est intéressée et s’est impliquée dans le développement de la communauté. Le système traditionnel de gouvernance locale (rassemblement de chefs de villages) s’en est trouvé ravivé. Comme le veut la tradition historique, les chefs de villages se réunissent dans le réfectoire de l’église de l’Intercession de la Vierge pour résoudre leurs problèmes communs. Aujourd’hui, accroître l’interaction avec les habitants de la région est devenu l’une des priorités du musée de Kiji. ■

Une approche globale de la préservation du patrimoine culturel cherche à adapter le

patrimoine aux modes de vie moderne et à le mettre au service d’un développement durable de la région et de l’amélioration de la qualité de vie

des communautés locales

Le programme Rencontre avec un artisan offre aux visiteurs l’occasion d’admirer le travail des artisans locaux, mais également de s’essayer eux-mêmes à l’artisanat ancien

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Paysages collaboratifs

Le 7 juillet 2014, le comité national italien de l’ICOM diffusait la Charte de Sienne, un manifeste consacré à

la question de la relation entre « Musées et paysages culturels ». Ce texte court avait pour ambition, tout d’abord, de nourrir la problématique de la thématique centrale de la 24e Conférence générale convoquée à Milan en juillet 2016. Mais la réflexion proposée, au-delà de ses perspectives susceptibles de trouver un large écho au sein de la communauté muséale dans sa plus large acception, revêtait également une dimension politique éminemment ancrée dans le « paysage » muséal, et plus largement patrimonial, voire culturel, de l’Italie. C’est pourquoi le comité national italien, désireux d’ouvrir sans tarder un dialogue réflexif sur ces questions avec

d’autres comités nationaux, s’est, dès l’automne 2014, rapproché en particulier du comité français pour lui proposer d’ouvrir lui-même un chantier d’examen de cette problématique afin d’évaluer les échos du questionnement proposé au sein de son propre paysage muséal et patrimonial national.

Répondant très favorablement à cette incitation, ICOM France a constitué un groupe de travail et s’est engagé dans le repérage de situations institutionnelles susceptibles d’autoriser une comparaison avec les configurations italiennes d’une part, mais aussi de permettre dans le concret l’examen et l’applicabilité des propositions d’évolution suggérées par ICOM Italie d’autre part, à savoir, l’appui sur les musées, en situation d’y répondre, pour constituer sur

un territoire donné, l’institution centrale dotée d’une mission d’animation et d’interprétation du patrimoine, en coopération avec les autres institutions, notamment les archives et les bibliothèques.

Situations divergentesCet axe proposé par ICOM Italie revêt pour nos collègues transalpins une importance capitale, à l’heure où l’État italien s’est résolu-ment engagé dans une réforme managériale musclée de ses musées nationaux, mais au moment également où l’ensemble du patri-moine en régions souffre de son côté d’une baisse drastique de moyens, conduisant à une révision radicale de l’organisation du maillage des responsabilités profession-nelles sur le terrain. C’est pourquoi cette situation a conduit le comité national italien

Un groupe de travail créé par ICOM France dans l’esprit d’un partage d’analyses d’expériences avec les collègues transalpins Louis-Jean Gachet, conservateur général honoraire du patrimoine, membre du Bureau exécutif du Comité national français de l’ICOM

Le Musée savoisien de Chambéry

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à proposer d’envisager une réorganisa-tion complète de la prise en compte du patrimoine dans les territoires, en plaçant les musées en situation d’animateurs et de coordonnateurs de l’ensemble des compétences techniques et réglementaires disponibles, toutes institutions confondues.

Si la situation muséale et patrimoniale française, extrêmement encadrée par un appareil administratif étatique prégnant et par un corpus législatif et réglementaire très élaboré, ne correspond pas terme à terme à la situation italienne, il est pourtant de fait qu’en France, dans un certain nombre de cas remarquables, des institutions muséales ont su développer des initiatives propres à les placer en position de leadership patrimo-nial sur des territoires donnés, mais malheu-reusement le plus souvent dans le cadre d’expériences limitées dans le temps. La zone alpine, par exemple, a connu en son temps deux expér iences significatives : celle de la Conservation du patrimoine de l’Isère, basée à Grenoble au Musée dauphinois, sur une dizaine d’années à partir de 1992, remarquable dispositif intégré de gestion patrimoniale particu-lièrement efficace irrigant la totalité du département ; celle du Musée savoisien de Chambéry, engagé dès 1988, à l’occasion des Jeux olympiques d’Albertville, dans une politique de valorisation et d’interprétation du patrimoine baroque savoyard, ainsi que du patrimoine fortifié. Mais d’autres expé-riences, d’importance variable, témoignent également de la capacité de certains musées français à développer ce genre d’initiative et à construire des configura-tions du même type, en dépit du manque d’incitations, relais ou soutiens à l’échelle nationale. Il est à relever cependant que l’expérience historique écomuséale, dans laquelle la France s’est particulièrement illustrée, constitue en soi le paradigme de cette démarche.

Territoires secouésDe fait, le dispositif patrimonial français, sectorisé et corporatisé à l’extrême, et conçu dans une perspective de croissance ininter-rompue de moyens, n’offre pas en l’état

actuel la plasticité susceptible d’autoriser facilement ce type d’évolution ou des expérimentations radicales dans ce registre. Mais si le patrimoine français dans son ensemble ne connaît pas encore véritable-ment de situation aussi alarmante que celle que s’attachent à décrire nos collègues d’outre-monts, l’érosion progressive des moyens d’intervention accordés aux différentes compétences d’intervention et la nécessité ressentie de faire émerger des problématiques plus claires et plus efficaces, tant pour les gestionnaires politiques et professionnels, que pour les

différents publics utilisa-teurs et bénéficiaires du patrimoine, interpel-lent. Et l’irruption dans quelques semaines des nouvelles Grandes Régions pourrait offrir une occasion de lancer un débat sur la question de la gestion patrimo-niale territorialisée, sur son efficacité à maintenir (et pourquoi pas à accroî tre) en situation de contrainte budgétaire, sur le cadre coopératif interprofes-sionnel à développer, et sur la place privilégiée que pourraient y tenir quelques institutions

muséales. De plus, le problème de la valorisation et de la gestion territoriales du patrimoine ne se limite pas au cadre régional. Toutes les autres configurations administratives et politiques, départements, villes, métropoles, intercommunalités sont naturellement concernées.

Cette réflexion proposée par le comité italien ne constitue d’ailleurs pas en soi une nouveauté au sein de l’ICOM comme le rappelle justement son président, Daniele Jalla, dans son article « Musée et contexte »1. Elle s’inscrit dans une longue évolution vers une conception de plus en plus synthétique et intégrative de l’institution muséale et de son incarnation sociétale, en conformité avec son essence historique.

La pertinence de l’interpellation d’ICOM Italie est évidente, tant sur le plan straté-gique, que sur le plan muséologique, et le groupe de travail institué dans cet esprit par ICOM France au sein de son conseil d’administration, sera probablement conduit à poursuivre ses réflexions au-delà du rendez-vous de Milan. ■

Si le patrimoine français ne connaît pas encore

véritablement de situation aussi alarmante que celle décrite par nos collègues d’outre-monts, l’érosion progressive des moyens d’intervention accordés

aux différentes compétences d’intervention et la nécessité

ressentie de faire émerger des problématiques plus claires et plus

efficaces interpellent

Note1 Daniele Jalla. 2015. Musée et « contexte » dans l’histoire de l’ICOM (1946-2014) : une perspective d’analyse en vue de la préparation de la 24e Conférence générale de 2016.

http://www.academia.edu/16083415/Musée_et_contexte_dans_lhistoire_de_l_ICOM_1946-2014_une_perspective_danalyse_en_vue_de_la_préparation_de_la_24e_Conférence_générale_de_2016

DOSSIER MUSÉES ET PAYSAGES CULTURELS

22 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°3-4 2015

PATRIMOINE EN DANGER MUSÉES ARCHÉOLOGIQUES

Les musées archéologiques, et particulièrement ceux d’Europe de l’Ouest, se trouvent aujourd’hui à un tournant critique : outre les fardeaux de l’histoire qui pèsent sur leurs

épaules, ils doivent faire face à des choix éthiques difficiles et à un discours théorique qui remet parfois en question l’idée même de musée archéologique. Mais, plus important encore, nombre d’institutions sont confrontées depuis quelques années à des défis plus profonds et complexes liés aux crises politiques et culturelles que traversent les pays dont proviennent les objets de leurs collec-tions. L’avenir des musées archéologiques en tant qu’espaces publics d’éducation, de rencontres transculturelles et de discours pluriel, de même que leur dimension politique et sociale, reposera sur leur volonté et leur capacité à relever ces défis, à assumer le poids de leur propre histoire et à faire les bons choix éthiques.

Le Vorderasiatisches Museum im Pergamonmuseum (musée des Antiquités du Proche-Orient au musée de Pergame) de Berlin (Allemagne), qui abrite quelque 600 000 objets archéologiques, principalement d’Irak et de Syrie, est un de ces musées. Comme beaucoup d’autres institutions publiques dépositaires d’objets archéologiques en Europe, le musée des Antiquités du Proche-Orient a été fondé à la fin du XIXe siècle avec la vocation d’accueillir des œuvres d’art et d’architecture de sociétés anciennes non européennes. Son exposition permanente comprend notamment des reconstitutions de la Porte d’Ishtar et de la Voie processionnelle de Babylone, ainsi que les sculptures en pierre monumentales mises au jour sur le site de Tell Halaf. Plus de 95 % des objets présents dans le musée proviennent de fouilles archéologiques officielles et

documentées, et des conventions de partage ont été signées avec leurs pays d’origine respectifs en vue de leur intégration au sein de la collection du musée.

Aujourd’hui, le musée des Antiquités du Proche-Orient est en train de redéfinir sa fonction institutionnelle sur le plan national et interna-tional, répondant ainsi à la question cruciale de la manière dont des collections réunies dans un contexte colonial ou impérial peuvent continuer de jouer un rôle significatif dans un monde postcolonial qui prend difficilement conscience des asymétries politiques et des gouffres culturels que le colonialisme et l’impérialisme ont laissés derrière eux.

Des défis et des choixLe premier défi, et le plus important, qui se pose au musée des Antiquités du Proche-Orient et à ses homologues est interne et découle de leur propre passé : de nombreux musées archéologiques en Europe de l’Ouest ont en effet entrepris de constituer leurs collections d’objets archéologiques non européens à une époque où les relations politiques et culturelles avec les pays d’origine de ces objets étaient marquées par une asymétrie de pouvoir, et ce, même en l’absence de domination coloniale ou impériale directe. Cela ne veut pas dire que les musées archéologiques aient forcé-ment agi de manière illégale ou contraire à l’éthique, ni qu’ils aient profité de ces asymétries en se procurant des objets grâce à des fouilles archéologiques ou sur le marché de l’art. Mais les musées archéologiques qui possèdent des collections de ce genre doivent reconnaître le fardeau historique que représentent les inégalités

De collectionneur à protecteurMarkus Hilgert, directeur du Vorderasiatisches Museum im Pergamonmuseum, Berlin et France Desmarais, directrice des programmes et des partenariats, Secrétariat général de l’ICOM

Le rôle du musée archéologique pour la sauvegarde du patrimoine

Détail de la Voie processionnelle de la Porte d’Ishtar de Babylone, reconstituée au musée des Antiquités du Proche-Orient, musée de Pergame, Berlin

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PATRIMOINE EN DANGER MUSÉES ARCHÉOLOGIQUES

politiques, sociales et celles qui caractéri-saient le discours dominant au moment de leur constitution au tournant du XXe siècle.

Au-delà de la simple reconnaissance de ce fardeau historique, les musées archéologiques doivent assumer active-ment, et de leur propre chef, la responsabilité de leur passé et s’efforcer d’établir dans la transparence l’histoire de leurs objets, en menant des recherches méthodiques sur la provenance de ces derniers. Si une recherche exhaustive ne peut réparer les injustices passées, cet effort sincère de tenter d’éclaircir systématiquement les circonstances de l’entrée des objets archéologiques dans la collection d’un musée et de mettre les documents existants à la disposition des pays d’origine de ces objets et du public est vital pour la transpa-rence institutionnelle. C’est aussi un élément décisif des processus de réconciliation bilaté-raux et, surtout, pour les musées archéologiques, la porte d’entrée ouvrant, sur le plan interna-tional, sur des relations postcoloniales.

Le deuxième défi que rencontrent les musées archéologiques est externe : il s’agit du discours théorique critique tenu par les sciences humaines et sociales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui a déconstruit de manière systématique non seulement l’archéologie et ses prémisses conceptuelles, mais aussi les récits histo-riographiques du développement et de la modernité, ainsi que l’idée de culture en tant que phénomène statique et essen-tialiste. Ce discours a par ailleurs mis en évidence le fort pouvoir constructif des expositions muséales et les substituts de culture auxquels elles font appel en créant des ensembles artificiels d’objets issus de situations archéologiques fragmentées. Les musées archéologiques ont aujourd’hui besoin de trouver le juste équilibre entre, d’une part, une présentation transculturelle des objets adoptant des perspectives multiples et qui tienne compte de ces consi-dérations théoriques, et d’autre part, leur mission essentielle qui consiste à contex-tualiser, interpréter et exposer au public les vestiges matériels de sociétés passées de manière globalement accessible et à réunir des informations les concernant.

Le troisième défi, et le plus considérable, qu’ont à relever les musées archéologiques, découle de la menace d’anéantissement

qui pèse ces temps-ci sur le patrimoine de l’Irak, de la Syrie, de la Libye, du Yémen et de bien d’autres pays du fait des dégâts infligés par l’activité militaire, des destructions intentionnelles par des groupes politiques extrémistes et du pillage systématique commis par des criminels mus par l’appât du gain que promet le florissant commerce illégal d’antiquités. Les musées ne doivent pas fermer les yeux sur cette menace mondiale mais, au contraire, mobiliser leur expertise qui est unique et la mettre au service de la lutte internationale pour la protection des biens culturels du passé afin de préserver leur richesse. Il s’agit là d’une obligation morale et d’une responsabilité sociale ; en effet, les musées ne seraient pas ces institutions publiques expertes capables d’apporter leur aide si les pays d’origine des

objets archéologiques, aujourd’hui en proie à des bou leve rse -ments et des attaques, n’avaient pas accepté de partager avec nous leur riche patrimoine. Mais il y va également de notre propre intérêt vital de promouvoir la diversité culturelle et la liberté universitaire dans ces pays, car l’avenir et la réputation des musées archéologiques dépen-dront en grande partie

de leur capacité à nouer des alliances solides avec les pays d’origine de leurs collections.

Le trafic en ligne de mireLe trafic illicite des biens culturels est l’une des plus graves menaces qui pèsent sur le patrimoine culturel de l’humanité. Pour les institutions qui jouissent d’une grande visibilité, la lutte contre le trafic illicite commence par une prise de position publique tranchée, par l’adhésion à un code de déontologie strict comme le Code de déontologie de l’ICOM pour les musées et par la mise en œuvre de pratiques exemplaires. Au musée des Antiquités du Proche-Orient ces mesures consistent en une règle générale qui interdit à l’avenir toute acquisition, en une politique très contrai-gnante pour la préparation des rapports d’experts et enfin la réalisation de recherches exhaustives sur la provenance des objets. Ces efforts reposent également sur une communication et une coopération étroites avec les pays d’origine des collections.

Avec un réseau d’institutions partenaires qui réunit notamment l’Observatoire inter-national de l’ICOM sur le trafic illicite des biens culturels, l’Office fédéral allemand

de police criminelle et l’office allemand des Affaires étrangères, le musée des Antiquités du Proche-Orient conduit actuel-lement un nouveau projet de recherche national qui analyse le trafic illicite des objets archéologiques, provenant principalement d’Irak et de Syrie, en Allemagne. Financée par le ministère fédéral de l’Éducation et de la Recherche pour une période de trois ans, cette alliance de recherche adopte une approche méthodologique innovante, qui combine l’expertise du milieu universitaire et non universitaire. Le projet de recherche pluridisciplinaire ILLICID a pour objectif d’élaborer et de tester des méthodes utilisées en criminologie pour analyser en profondeur le trafic illicite des biens culturels en se concentrant sur le type d’objets, le chiffre d’affaires, les réseaux et les modes opératoires. Les résultats pourraient égale-ment contribuer, à l’échelle nationale, à la mise en œuvre de la Résolution 2199 du Conseil de sécurité de l’ONU.

Les Listes rouges des biens culturels en péril publiées par l’ICOM sont des outils de lutte et de sensibilisation essentiels. En 2015, pour la mise à jour de la Liste rouge d’urgence des biens culturels irakiens en péril, le musée des Antiquités du Proche-Orient a fourni un nombre considérable d’objets dont la prove-nance est avérée, des descriptions d’objets et une traduction en allemand. La version allemande de cette Liste rouge, publiée avec l’aide de la Fondation du patrimoine culturel prussien (Stiftung Preußischer Kulturbesitz), sera lancée en janvier 2016 à Berlin.

Étant donné les multiples défis auxquels elles sont actuellement confrontées et leur rôle, potentiellement crucial, face aux conflits, les institutions dépositaires de patrimoine culturel archéologique, tel le musée des Antiquités du Proche-Orient, possèdent la capacité singulière de contribuer grandement non seulement aux efforts et au discours académique de récon-ciliation bilatérale, mais aussi aux processus politiques et sociaux, afin d’établir ainsi un nouveau paradigme opérationnel pour les musées archéologiques. C’est l’acceptation de ces tâches par les différentes institutions et leur volonté d’adapter leur profil institu-tionnel en conséquence qui détermineront si elles se montrent ou non à la hauteur de ce potentiel. Quoi qu’il en soit, face à l’extrémisme violent et aux histoires brutales de haine et de mort qui nous hantent ces derniers temps, les musées sont capables d’embrasser cette mission prometteuse en racontant l’histoire pour laquelle ils ont été créés : celle de la diversité sociale, de l’égalité culturelle et de l’infinie créativité de l’être humain. ■

Les musées doivent mobiliser leur expertise

qui est unique et la mettre au service de la lutte internationale pour la protection des biens

culturels du passé afin de préserver leur richesse. Il s’agit là d’une obligation

morale et d’une responsabilité sociale

CONFÉRENCE GÉNÉRALE DE L’ICOM MILAN 2016

L’appel de l’ItalieLa journée d’excursion est une tradition de la Conférence générale de l’ICOM. Cette année, cette journée libre sera l’occasion de découvrir Milan, la ville hôte, ainsi que plusieurs destinations du nord et du centre de l’Italie. Les nombreuses possibilités d’excursions seront bientôt affichées sur le site internet de la Conférence générale. Vous pourrez faire votre choix et réserver votre place en ligne.

Pour plus de détails, consultez régulièrement le site : www.milano2016.icom.museum et la page Facebook d’ICOM Milan 2016 : https://www.facebook.com/ICOMGeneralConference

Milan

LOMBARDIA

SVIZZERA

PIEMONTE

VALLE D´AOSTA

EMILIA-ROMAGNALIGURIA

VENETO

TOSCANA

Torino

Bologna

Verona

Firenze

Genova

Lugano

BardBiella

Ivrea

Asti

Langhe-Roero

Novara

Lago di Como

Lago Maggiore

Vigevano

Pavia

Musei del Cibo

Parma

Certaldo /Castiglion Fiorentino

Modena

Mantova

Vicenza

Brescia

Bergamo Lago di Garda

Prélude à MilanLe 28 novembre 2015, les Comités nationaux et internationaux de l’ICOM se sont réunis dans la ville de Brescia, en Italie, pour discuter du thème Musées, systèmes territoriaux et paysages urbains.

Aedín Mac Devitt, Secrétariat général de l’ICOM

Comme pour donner un avant-goût de la Conférence générale de 2016 qui se tiendra à Milan, cet événement s’est déroulé au musée de Santa Giulia, géré par la Fondation des musées de Brescia (Fondazione Brescia Musei), qui montre l’histoire, l’art et le patrimoine religieux de Brescia, de la Préhistoire à nos jours. Un accueil chaleureux a été réservé aux participants de la conférence par la Ville de Brescia, la Fondation des musées de Brescia et la Région Lombardie.

Le président de l’ICOM, Hans-Martin Hinz, a profité de l’occasion pour parler des stéréotypes que les paysages naturels et culturels ont créés à travers les pays et les nations. François Mairesse, président du Comité international pour la muséologie (ICOFOM), a donné sa propre interprétation du thème et a demandé à l’auditoire de réfléchir aux limites qui sont les nôtres lorsque l’on envisage l’activité muséale. Dans son intervention, Daniele Jalla, président d’ICOM Italie, a quant à lui distingué trois paysages de la muséologie : les collections, le patrimoine culturel et enfin le territoire et la communauté.

Le président du Comité d’organisation d’ICOM Milan 2016, Alberto Garlandini, a expliqué que l’appel à communications pour la conférence avait reçu 60 propositions, dont 18 avaient été retenues pour être présentées. Une de ces communications, intitulée Les écomusées, précurseurs d’une gestion participative du paysage, examine le réseau des écomusées dans la région italienne du Piémont, et une autre, qui a pour titre Monticello : révélation d’un paysage culturel du patrimoine mondial, porte sur une étude du paysage culturel de la maison d’un des Pères fondateurs des États-Unis, Thomas Jefferson.

La directrice générale de l’ICOM, Anne-Catherine Robert-Hauglustaine, a dévoilé les manifestations prévues pour le 70e anniversaire de l’ICOM lors de la Conférence générale de Milan, notamment une exposition sur l’histoire de l’organisation et une publication sur la déontologie, éditée par Bernice Murphy, ancienne présidente du Comité pour la déontologie de l’ICOM. J’ai, pour ma part, présenté brièvement l’appel à communications lancé sur le thème Musées et paysages culturels pour la revue Museum International, ainsi que les détails du processus de soumission des propositions1.

La réunion s’est conclue sur une intervention de Silvia Costa, présidente de la Commission de la culture et de l’éducation du Parlement européen, et Luigi Maria Di Corato, président de la Fondation des musées de Brescia.

Une visite du monastère de San Salvatore, site du patrimoine mondial de l’UNESCO, est venue compléter le programme du samedi, et une visite guidée du centre des congrès MiCo, lieu de la conférence générale ICOM Milan 2016, a été offerte aux participants le lendemain.

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Note1 Voir : http://icom.museum/fileadmin/user_upload/pdf/MI/FR_CFP_Cultural-Landscapes.pdf

24 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°3-4 2015

N°3-4 2015 | LES NOUVELLES DE L’ICOM 25

Silence, on tourne !Des témoignages filmés pour célébrer les 70 ans de l’ICOM

À l’occasion de la célébration de ses 70 ans en 2016, l’ICOM a entrepris une campagne d’entretiens filmés auprès d’un panel de ses membres, en association avec l’agence parisienne Bird. Ces témoignages seront présentés dans le cadre d’une exposition rétrospective lors de la 24e Conférence générale de l’ICOM, du 3 au 9 juillet 2016, à Milan. Ce projet est le résultat d’une collaboration fructueuse entre Bird, agence spécialisée dans la conduite de projets de collecte, de gestion et de mise en valeur de témoignages oraux ou filmés, le Secrétariat général de l’ICOM et le commissaire en charge de l’exposition, François Mairesse, président d’ICOFOM (Comité international pour la muséologie).

Les témoins, choisis dans un souci de diversité et de représentativité, ont livré avec enthousiasme le récit de leur parcours au sein de l’association et ont partagé leur vision des événements qui ont ponctué son histoire. La période de création de l’ICOM et sa politique d’ouverture dans les années 1970 ont notamment été présentés par Hans-Martin Hinz (président de l’ICOM) et Dominique Ferriot (ancienne présidente d’ICOM France). Hugues de Varine-Bohan (ancien directeur de l’ICOM) et Luis Monreal (ancien secrétaire général de l’ICOM) ont évoqué les difficultés économiques des années 1960, tandis que Martin Schärer (président du Comité pour la déontologie, ancien vice-président de l’ICOM) ou encore Terry Nyambe (président d’ICOM Zambie) ont expliqué l’origine et les développements du Code de déontologie. Ces interviews abordent les accomplissements de l’ICOM mais proposent également un regard aiguisé sur ses enjeux actuels et ses développements à venir. À ce sujet, Gaël de Guichen (membre du Comité pour la conservation - ICOM-CC) affirme : « Si l’on a une idée qui est bonne, qui peut amener un changement, même tout petit, dans la société et dans le monde des musées, il faut compter 25 ans pour percevoir les effets de ce changement. Il faut donc commencer tôt, et … il faut être têtu ! Mais à la fin, si l’idée est importante, si elle est juste, et qu’elle permet une évolution positive pour la société, on y parvient. »

Afin de préparer cette collecte, Bird a mis en œuvre ses compétences en préparant une grille d’entretien réalisée avec le soutien documentaire du Centre d’information UNESCO-ICOM. L’équipe de production audiovisuelle La Laverie a été mobilisée pour doter les vidéos d’une qualité esthétique adaptée à leur diffusion dans l’espace d’exposition. Un montage thématique, un habillage sonore et une réflexion autour des dispositifs scénographiques ont été menés pour permettre au public de mieux appréhender ces contenus.

Au-delà de sa présentation au public de l’exposition, ce projet a pour ambition de créer un contenu historique pertinent et pérenne destiné à être archivé, étudié et exploité par les générations futures. L’ICOM et Bird ont ainsi posé les fondements d’une réflexion et d’une pratique visant à sauvegarder et à valoriser la voix des nombreuses et diverses individualités qui composent l’association et qui forgent chaque jour son histoire. ■

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Entretien avec Hugues de Varine-Bohan

Depuis 1977, l’ICOM célèbre la Journée internationale des musées (JIM) pour sensibiliser le grand public au rôle des mu-sées dans le développement de la société. En 2015, près de 35 000 musées dans 145 pays ont participé à l’événement en organisant des activités spéci-ales. En 2016, la communauté mondiale des musées célèbre-

ra la Journée internationale des musées le 18 mai sur le thème « Musées et paysages culturels ». Ce thème sera également celui de la Conférence générale 2016 de l’ICOM qui se tiendra à Milan, en Italie. Il met en lumière la responsabilité des musées vis-à-vis de leurs collections, mais aussi vis-à-vis de leur environnement, notamment les villes, les villages et les communautés aux-quelles ils appartiennent, et les encourage à promouvoir et à faire connaître aussi bien leurs propres collections que le patrimoine culturel et naturel qui les entoure. Quelle que soit leur nature, tous

les musées peuvent contribuer au développement durable en resserrant les liens entre la population et son environnement.

« Musées et paysages culturels » enjoint les musées à participer à cette prise de conscience en faisant d’eux les ambassadeurs d’un territoire et en les incitant à prendre une part active à la pro-tection du patrimoine culturel et naturel.

Qu’ils soient grands ou petits, situés en milieu urbain ou rural, dédiés aux sciences ou aux arts, nous invitons les musées du monde entier à rejoindre cette fête qui célébrera le lien complexe entre l’homme et son environnement, le 18 mai prochain.

Le site officiel de la JIM est également lancé. Vous pourrez y trouver l’affiche et la bannière web de la JIM 2016 dans plusieurs langues ainsi qu’un kit pour les musées comprenant des outils, des recommandations et des exemples d’activités.

Nous comptons sur la participation de chacun pour faire de la JIM un événement festif et fédérateur à l’échelle planétaire !

Pour plus d’informations :http://network.icom.museum/international-museum-day/L/2https://www.facebook.com/internationalmuseumday

Des objets culturels disparaissent chaque jour, qu’ils soient volés dans un musée ou retirés d’un site archéologique, pour se retrouver alors sur la piste très empruntée des antiquités illicites, une piste qu’il nous faut encore établir précisément.

Le besoin de comprendre ces parcours, d’en connaître les itinéraires, d’identifier les coupables et de finir par localiser les objets recherchés a abouti en janvier 2013 à la création par l’ICOM, avec le soutien financier du Programme « Prévenir et com-battre la criminalité » de la Di-rection générale des Affaires intérieures de la Commis-sion européenne, du premier Observatoire international sur le trafic illicite des biens culturels. Fruit de la longue implication de l’ICOM dans la lutte contre

le trafic illicite des biens culturels, il a été conçu pour servir de plateforme permanente de coopération internationale entre les différentes organisations concernées, la police, les instituts de recherche et les experts externes impliqués.

Une publication transdisciplinaire intitulée Countering Illicit Traffic in Cultural Goods: The Global Challenge of Protecting the World’s Heritage conclut la phase initiale du projet de l’Observatoire. Elle regroupe des articles signés par des cher- cheurs et des universitaires, par des professionnels des musées et du patrimoine, par des archéologues, des conseillers juridiques, des conservateurs et des journalistes. Elle comprend des études de cas sur le pillage dans des pays spécifiques et a comme objectif principal d’identifier la nature et les sources du trafic des antiquités, puis d’examiner les solutions dont on dispose.

La publication a été lancée le 15 décembre 2015 à l’Institut du monde arabe, à Paris, France. Elle est disponible en ligne à l’adresse : http://obs-traffic.museum.

Le compte à rebours lancé pour la JIM 2016

26 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°3-4 2015

www.facebook.com/internationalmuseumday @ICOMofficielwww.imd.icom.museum

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Journée internationale des musées

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COMMUNAUTÉ DE L’ICOM

Combattre le trafic illicite

La sixième Réunion régionale des musées se tient en Europe du Sud-EstSarita Vujkoviæ, directrice, musée d’Art contemporain de la République serbe de Bosnie, présidente d’ICOM Bosnie-Herzégovine

Nouveau Comité national en Arabie saoudite

Du 5 au 8 novembre 2015, l’Alliance régionale de l’ICOM pour l’Europe du Sud-Est (ICOM SEE) s’est jointe à ICOM Bosnie-Her-zégovine, ainsi qu’aux Comités nationaux slovène, serbe, croate, monténégrin et de l’ex-République yougoslave de Macédoine pour la sixième Réunion régionale des musées qui s’est tenue au musée d’Art contemporain de la République serbe de Bosnie à Banja Luka, Bosnie-Herzégovine. Plus de 70 professionnels origi-naires d’Italie, de Slovénie, de Serbie, de Croatie, du Monténé-gro, de l’ex-République yougoslave de Macédoine et de Bosnie-Herzégovine se sont réunis sur le thème L’inclusion sociale et le musée contemporain.

La conférence a débuté par l’inauguration de l’exposition Espace, Forme, Toucher, la première exposition du pays à être totalement adaptée aux non-voyants et aux malvoyants, servant ainsi d’exemple de bonne pratique dans cette région. Ce thème a été retenu car l’inclusion sociale compte parmi les questions les plus importantes qui se posent à la muséologie contemporaine ; c’est aussi l’un des plus grands défis professionnels que les institutions muséales en Bosnie-Herzégovine et dans la région tentent actuellement de relever. L’objectif de la conférence était d’amener les participants à faire part de leurs expériences et à

élargir leurs connaissances sur l’inclusion sociale et sur le rôle du musée dans la société contemporaine, puis d’élaborer de nouvelles stratégies concernant les actions des musées dans ce domaine.

Le programme comprenait 24 présen-tations prononcées par des professionnels de musée issus de nombreuses institutions d’Europe du Sud-Est. Il est apparu qu’un certain nombre d’institutions de la région partageaient des expériences similaires et que des actions analogues liées à l’inclusion sociale étaient déjà organisées dans ces institutions avant même la conférence. Toutefois, il est indispensable de mettre en place une stratégie détaillée pour élargir cette réflexion, encore limitée à un domaine, et l’intégrer à l’ensemble des activités et des programmes des musées.

La conclusion finale de cette conférence de trois jours était que les musées, à travers leurs programmes spécialisés, leur soutien

professionnel mutuel et leurs nombreux réseaux, contribuent à faire de l’inclusion sociale un thème quotidien non seulement dans leurs communautés locales, mais aussi dans toutes les couches de la société. Les institutions muséales ont pour tâche de fonction-ner comme une plateforme servant à des actions systématiques en accord avec des structures de gouvernance appropriées. Autant de conditions qui garantiront la réalisation de ces objectifs sur le long terme.

Étaient présents à la conférence deux invités d’honneur venus d’Italie, les professeurs Roberto Zancan (UNESCO Venise) et Guido Incerti (Université de Ferrare), qui ont relié dans leur intervention le thème choisi à celui de la Conférence générale 2016 de l’ICOM, Musées et Paysages culturels, également illustré par la visite organisée à la fin de la conférence : une excursion d’une journée dans le parc national de Kozara et le complexe commémoratif qu’il abrite, dont l’élément le plus marquant est le monument moderniste de Dušan Džamonja. Ce complexe est un exemple unique dans toute la Bosnie-Herzégovine d’une architecture monumentale intégrée dans l’environnement naturel. ■

L’ICOM a le plaisir d’annoncer la création d’un nouveau Comité national en Arabie saoudite, suite à l’approbation de sa création par le Conseil exécutif, lors de sa 132e session, en décembre 2015. Le projet a été lancé en février 2015 par le Service des membres du Secrétariat gé-néral de l’ICOM, avec l’appui d’Abdulaziz Alsaleh, Conseiller pour le tourisme et le

patrimoine à la délégation permanente du Royaume d’Arabie saoudite auprès de l’UNESCO, et une première réunion a été organisée sur la recommandation de l’ambassadeur de l’Arabie saoudite auprès de l’UNESCO. La coordination du projet a ensuite été prise en charge par la Société de préservation du patri-moine saoudien sous la direction de la

princesse Adila bint Abdullah Al Saud et de Madame Maha Al-Senan. Le prince sultan bin Salman bin Abdulaziz Al Saud a été nommé président ; Rana Alshaikh, secrétaire ; et Fahad Al Mandl, trésorier. Dès le mois de décembre 2015, l’Arabie saoudite comptait sept membres indivi-duels et un membre institutionnel. ■

Participants à la conférence au musée d’Art contemporain de la République serbe de Bosnie, Banja Luka, Bosnie-Herzégovine

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N°3-4 2015 | LES NOUVELLES DE L’ICOM 27

28 LES NOUVELLES DE L’ICOM | N°3-4 2015

PUBLICATIONS

Critique d’Edward R. Bosley, directeur, The Gamble House, université de Californie du Sud, États-Unis

Mes excuses à Kermit la grenouille, mais les administrateurs de musée et de site historique en conviendront : il n’est pas facile d’être vert. Je me réjouis d’avoir poursuivi ma lecture

du livre de Sarah Sutton, Environmental Sustainability at Historic Sites and Museums, au-delà de la déclaration initiale « Les choix en matière d’écologie sont souvent des choix complexes ». Elle y développe en réalité cette affirmation légèrement intimidante en un exposé

pragmatique et des plus agréables à lire sur les pratiques vertes que les professionnels de musée peuvent envisager. En s’appuyant sur plusieurs études de cas, l’ouvrage examine méthodiquement toutes ces complexités et offre aux responsables un guide simple sur la façon d’inciter les employés, les bénévoles, les donateurs et les visiteurs à devenir « verts » et à y parvenir réellement.

Sarah Sutton (anciennement Sarah S. Brophy) a de bonnes références : elle a commencé à écrire sur le sujet il y a plus de dix ans. Le livre qu’elle a coécrit avec Elizabeth Wylie, The Green Museum: A Primer on Environmental Practice (AltaMira Press, 2008), a fait autorité en la matière. Ce volume en est essentiellement la continuation avec un intérêt particulier porté aux sites historiques. Les plus grandes institutions, dont le personnel compte peut-être un(e) analyste de l’énergie, comprendront le recours fait ici à la mesure des gaz à effet de serre (GES), afin de déterminer où se situe chaque institution dans une optique de développement durable. La Minnesota Historical Society, par exemple, avec un plus de 700 employés, 24 000 membres et 700 000 visiteurs annuels, mesure les tonnes métriques d’équivalent CO2 pour évaluer son empreinte carbone sur 26 sites historiques. Le texte reconnaît également les institutions plus petites qui ne peuvent mesurer leur degré d’implication écologique qu’en constatant occasionnellement une facture d’électricité plus réduite ou une poubelle de recyclage qui déborde.

Ce qu’il faut toujours avoir à l’esprit, c’est qu’il n’est jamais trop tard pour commencer à introduire des changements dans les pratiques et les mentalités, quelle que soit la taille de l’institution. Les mesures les plus simples sont évoquées, comme le remplacement des ampoules incandescentes et fluo-compactes par des LED moins chaudes et plus efficaces. Sont décrites également des améliorations plus sophistiquées et plus coûteuses telles que la génération d’énergie géothermique et solaire, qui peut engendrer d’importants bienfaits du point de vue environnemental dans des institutions capables d’investir sur le long terme. Pour illustrer le point précédent, la Minnesota Historical Society a calculé que l’abandon des ampoules à incandescence et le choix relativement facile et bon marché des ampoules LED permettaient, contre toute attente, de baisser les coûts de climatisation l’été en raison de la baisse significative de la chaleur directionnelle.

Un des aspects remarquables de ce livre, c’est son approche holistique. Au chapitre 5, Elizabeth Wylie relate ses efforts dans la ferme Andalusia de l’auteur américain Flannery O’Connor en Géorgie, pour aborder de façon créative les possibilités offertes par des centaines d’hectares et différents corps de ferme, tout en relevant les défis quotidiens liés à la préservation et à l’interprétation de l’héritage de cette géante des lettres. Elle s’inspire du sens de l’économie de l’écrivaine elle-même : « les cultures en rangées nourrissaient le bétail, les poules et autres volailles aidaient à tenir à distance les tiques et les aoûtats tout en procurant des œufs et de la viande. » Cette approche de l’économie de subsistance garantit de réduire l’empreinte carbone et les dépenses, restaure une éthique correcte sur le plan historique concernant toutes les activités de la ferme et, ce qui n’est pas négligeable, ouvre de nouvelles pistes d’interprétation. Dans le cas d’étude « Greening From the Ground Up », John Forti, conservateur des Paysages historiques au Strawberry Banke Museum de Portsmouth, dans le New Hampshire, nous relate sa propre expérience, tout aussi constructive, dans cette institution qui s’impose de couvrir au niveau local la plupart de ses besoins, ce qui lui permet de baisser voire d’éliminer les émissions de GES liées au transport de longue distance des biens jusqu’à son site.

Pour de nombreuses institutions, certaines de ces initiatives ne s’avéreront ni faciles à mettre en place ni bon marché. S. Sutton résume les exigences financières d’une démarche écologique : « Vous ne cesserez de vous demander ‘Comment vais-je pouvoir payer ça ?’ La réponse est ‘de la même façon que vous payez tout le reste dans votre institution’ […] Gérer une affaire a un coût. » Ce commentaire mesuré est typique du ton à l’occasion intimidant, mais le plus souvent stimulant et toujours pratique de l’ouvrage. Non seulement l’auteur a conçu une prescription séduisante et réellement applicable à l’intention des professionnels qui souhaitent mettre en place des pratiques respectueuses de l’environnement dans leurs institutions, mais elle nous a également permis d’envisager de nouvelles façons pour les musées et les sites historiques de garder leur pertinence en ce XXIe siècle, point que n’importe quel professionnel devrait trouver bienvenu.

Environmental Sustainability at Historic Sites and MuseumsAuteur : Sarah SuttonÉditeur : Rowman & Littlefield, 2015

Voir la vie en vertPRÉSIDENT DE L’ICOM Hans-Martin Hinz

DIRECTRICE GÉNÉRALE Anne-Catherine Robert-Hauglustaine

RÉDACTRICE EN CHEF Sara Heft

TRADUCTION Raphaëlle David-Beaulieu Sylvie Lucas

CONTRIBUTEURS Elisabeth Jani Ninon Sordi

GRAPHISME, PUBLICITÉ, IMPRESSION France Edition Multimédia 70 avenue Alfred Kastler – CS 90014 66028 Perpignan Cedex Tél. +33 (0)4 68 66 94 75 [email protected]

© ICOM ISSN 1020-6426

COUVERTURE © MUSÉE D’ÉTAT EN PLEIN AIR DE KIJI, RUSSIE

Les Nouvelles de l’ICOM, le magazine du Conseil international des musées, est publié en français, en anglais et en espagnol, avec l’assistance finan-cière du ministère de la Culture et de la Communication (France). Les opin-ions exprimées dans les articles signés n’engagent pas l’ICOM et relèvent de la seule responsabilité de leurs auteurs.

ICOM Maison de l’UNESCO 1, rue Miollis 75732 Paris Cedex 15 France Tél. +33 (0) 1 47 34 05 00 Fax + 33 (0) 1 43 06 78 62 [email protected] http://icom.museum

En 2016, les Nouvelles de l’ICOM passent au tout numérique.Nous vous tiendrons au courant dans les mois à venir du lancement de la nouvelle plateforme en ligne.

Si vous souhaitez en savoir plus ou contribuer au contenu, veuillez contacter Sara Heft à l’adresse: [email protected]