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    es tamorphoses

    du c lcul

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    Gilles owek

    es talllorphoses

    u calcul

    Une tonnante histoire

    e

    mathmatiques

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    Merci Pablo Arrighi Sophie Bancquart Jacques Deschamps

    Jolle Four Sophie

    e

    Callennec Guiseppe Longo Alexandre

    Miquel Thierry Paul

    t

    Benjamin Werner

    qui ont

    bien voulu

    relire certaines parties de

    ce

    livre.

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    Sommaire

    Les mathmatiques

    la conqute de nouveaux espaces 9

    Premire partie: une origine ancienne

    1.

    De la prhistoire des mathmatiques

    aux mathmatiques grecques 15

    2.

    Deux mille ans

    de

    calcul

    29

    Deuxime partie: l ge classique

    3 La logique des prdicats 49

    4 u problme de la dcision au thorme

    de

    Church 67

    5

    La thse de Church 83

    6 Une tentative

    de

    donner

    sa

    place

    au

    calcul

    en

    mathmatiques: le lambda-calcul 103

    7 La constructivit 109

    8 Les dmonstrations constructives et les algorithmes 121

    Troisime partie: la crise de la mthode axiomatique

    9 La thorie intuitionniste des types 131

    10. La dmonstration automatique 141

    11

    La

    vrification des dmonstrations 155

    12. Des nouvelles du terrain 163

    13. Les instruments 181

    14. En inir avec1es axiomes? 195

    u

    terme

    de

    ce priple... . 199

    Annexes

    Repres biographiques 205

    Bibliographie 215

    Index

    221

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    10/230

    INTRODU TION

    Les mathmatiques

    la

    conqute de nouveaux espaces

    n l a beaucoup dit, le sicle qui vient de s achever a t le

    vritable ge d or des mathmatiques: les mathmatiques se

    sont davantage dveloppes au cours du XX sicle que pendant

    l ensemble des sicles qui l ont prcd. Il est probable, cepen

    dant, que le sicle qui s ouvre sera tout aussi exceptionnel pour

    les mathmatiques: un sicle au cours duquel elles se mtamor

    phoseront autant, si

    ce

    n est davantage, qu au XX sicle. L un des

    signes qui nous invitent

    le penser est une transformation pro

    gressive, depuis le dbut des annes soixante-dix,

    de

    ce qui

    constitue le socle mme

    de

    la mthode mathmatique: la notion

    de

    dmonstration.

    Et

    cette transformation remet sur le devant de

    la scne un concept mathmatique ancien, mais quelque

    peu

    nglig: celui de calcul.

    L ide que le calcul puisse tre la cl

    d une

    rvolution peut

    sembler paradoxale. Les algorithmes qui permettent,

    par

    exemple, d effectuer des additions et des multiplications sont

    souvent perus comme une partie lmentaire du savoir math

    matique, et effectuer ces calculs est souvent peru comme une

    activit peu crative et ennuyeuse. Les mathmaticiens ne sont

    9

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    LES MTAMORPHOSES DU CALCUL

    eux-mmes pas sans prjugs l gard du calcul, comme Ren

    Thom qui dclarait:

    Une grande partie

    de

    mes affirmations

    relve de la pure spculation; on pourra sans doute les traiter

    de

    rveries. J accepte la qualification. [ .. ] Au moment o tant

    de

    savants calculent de

    par

    le monde, n est-il pas souhaitable que

    d aucuns, s ils le peuvent, rvent?

    Tenter de faire rver avec le

    calcul constitue donc sans doute

    un

    dfi. ..

    Ce prjug l encontre

    du

    calcul se retrouve malheureu

    sement jusque dans la dfinition mme

    de

    la notion

    de

    dmons

    tration mathmatique. Depuis Euclide, on dfinit, en effet, une

    dmonstration comme un raisonnement, construit

    l aide

    d axiomes et de rgles de dduction. Mais rsoudre un problme

    mathmatique demande-t-il uniquement de construire un rai

    sonnement? La pratique des mathmatiques ne nous a-t-elle pas

    plutt appris que cela demande une subtile articulation d tapes

    de

    raisonnement et d tapes

    de

    calcul? En se restreignant au rai

    sonnement, la mthode axiomatique propose sans doute une

    vision restreinte des mathmatiques. Et c est prcisment par la

    critique de cette mthode axiomatique trop restrictive que le cal

    cul rapparat dans les mathmatiques. Plusieurs travaux, non

    toujours connects les

    uns

    aux autres, remettent progressive

    ment en cause cette prminence

    du

    raisonnement

    sur

    le calcul,

    pour proposer une vision plus quilibre dans laquelle

    l un

    et

    l autre jouent des rles complmentaires.

    Cette rvolution, qui nous amne repenser les rapports

    entre le raisonnement et le calcul, nous pousse galement

    repenser le dialogue entre les mathmatiques et les sciences

    de

    la

    nature, telles la physique

    ou

    la biologie, en particulier la vieille

    question de la draisonnable efficacit des mathmatiques dans

    1

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    INTRODUCTION

    ces sciences, ainsi

    qu une

    question plus rcente relative la

    forme logique des thories de la nature. Elle claire galement

    d une

    lumire nouvelle certains concepts philosophiques,

    comme ceux de jugement analytique et synthtique. Elle nous

    amne aussi nous interroger sur les liens entre les mathma

    tiques et l informatique, et

    sur

    la singularit des mathmatiques,

    qui semblent l unique science ne pas utiliser d instruments.

    Enfin - et c est certainement le plus intressant -, elle nous

    laisse entrevoir

    de

    nouvelles manires

    de

    rsoudre des pro

    blmes mathmatiques, qui s affranchissent des limites arbi

    traires que la technologie

    du

    pass a imposes la taille des

    dmonstrations: les mathmatiques sont peut-tre en train de

    partir la conqute d espaces jusqu alors inaccessibles.

    Naturellement, cette crise de la mthode axiomatique n est

    pas sortie de rien. Elle tait annonce, depuis la premire moiti

    du

    xx

    e

    sicle, par des signes prcurseurs, en particulier par le

    dveloppement de deux thories qui, sans remettre en cause la

    mthode axiomatique, ont contribu redonner une certaine

    place au calcul au sein de l difice mathmatique: la thorie de la

    calculabilit et la thorie de la constructivit. Ce rcit de la crise

    de la mthode axiomatique sera donc prcd d une histoire

    de

    ces deux notions. Mais, auparavant, partons la recherche des

    origines de cette notion de calcul, dans la lointaine Antiquit, et

    intressons-nous

    1

    invention des mathmatiques par les

    Grecs.

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    Une origine ancienne

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    CHAPITRE 1

    e

    l prhistoire des m thm tiques

    ux m thm tiques grecques

    e

    rcit de l histoire des mathmatiques commence souvent

    en

    Grce au ye sicle avant notre re, quand Pythagore,

    d un

    ct,

    Thals et Anaximandre, de l autre, ont fond les deux principales

    branches des mathmatiques antiques: l arithmtique et la go

    mtrie.

    a

    fondation de l arithmtique et

    de

    la gomtrie consti

    tue, certes,

    une

    rvolution majeure dans l histoire des

    mathmatiques. Cependant, le rcit ainsi commenc occulte une

    priode importante que l on peut appeler la prhistoire des

    mathmatiques. Les hommes n ont,

    en

    effet, pas

    attendu

    le

    ye

    sicle avant notre re

    pour

    tenter

    de

    rsoudre les problmes

    mathmatiques, surtout les problmes mathmatiques concrets,

    qui se posaient

    eux.

    es

    compt bles et les

    arpenteurs

    L une des plus anciennes traces d activit mathmatique

    consiste

    en une

    tablette trouve

    en

    Msopotamie qui date de

    25

    avant notre re. Elle prsente le calcul

    du

    nombre de per

    sonnes auxquelles on

    peut

    donner 7 mesures

    de

    grain,

    en

    pui-

    15

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    LES MTAMORPHOSES DU CALCUL

    sant dans un grenier qui en contient 1152000. Sans surprise, le

    rsultat, 164571 personnes, s obtient en divisant 1152000 par 7

    Les comptables msopotamiens savaient donc faire des divi

    sions, bien avant la naissance de l arithmtique. l est mme

    vraisemblable, quoiqu il soit difficile d avoir des certitudes en ce

    domaine, que l criture ait t invente prcisment pour tenir

    des livres de comptes et que les chiffres soient, de

    ce

    fait, ant

    rieurs aux lettres. Mme si certains ont

    du

    mal l admettre, nous

    devons probablement l ensemble de la culture crite

    la bien

    peu romantique profession de comptable.

    Outre des multiplications et des divisions, les comptables

    msopotamiens et gyptiens savaient effectuer de nombreux

    autres calculs, comme rsoudre certaines quations

    du

    second

    degr. Et les arpenteurs savaient calculer les aires de rectangles,

    de triangles, de disques ...

    L irruption

    de l infini

    Ces techniques dveloppes par les comptables et les arpen

    teurs constituent donc une prhistoire de l arithmtique et de la

    gomtrie. Que s est--il donc pass

    de

    si spcial en Grce,

    au

    y sicle avant notre re, pour justifier que l on fasse dmarrer

    l histoire ce moment et non un autre? Pour tenter de le

    comprendre, prenons l exemple d un problme rsolu par un

    disciple de Pythagore dont le nom ne nous est pas parvenu:

    trouver

    un

    triangle rectangle et isocle dont les trois cts

    mesurent

    un

    nombre entier d units, disons

    un

    nombre entier de

    mtres. Comme le triangle est isocle, ses deux petits cts ont la

    mme longueur, appelons-la

    x

    et appelons y la longueur du

    16

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    LES MTAMORPHOSES DU CALCUL

    mme jusqu un million, rien n assurerait, avec certitude, qu il

    n existe pas de solution au-del ...

    Essayons

    de

    reconstituer

    un

    cheminement possible de la

    pense des pythagoriciens pour parvenir

    ce

    rsultat.

    Tout d abord, quand on cherche une solution

    ce

    problme,

    on peut se limiter chercher une solution telle qu au moins l un

    des nombres et y soit impair, car si le couple

    =202 =

    214

    par exemple, tait une solution, alors, en divisant les deux

    nombres par

    2

    on obtiendrait une autre solution,

    =

    OI,

    =

    107

    dont au moins l un des nombres est impair. Plus gnralement,

    en partant

    d une

    solution quelconque et en divisant les deux

    nombres

    par 2

    ventuellement plusieurs fois, on finirait

    par

    obtenir une solution dans laquelle au moins l un des nombres est

    impair. Si le problme avait une solution, l en aurait donc gale

    ment une dans laquelle l un des nombres et

    y

    est impair.

    La seconde ide est

    de classer les couples de nombres en

    quatre ensembles:

    -les

    couples dans lesquels les deux nombres sont impairs,

    - ceux dans lesquels le premier nombre est pair et le second

    impair,

    - ceux dans lesquels le premier nombre est impair et le

    second pair,

    - et enfin ceux dans lesquels les deux nombres sont pairs.

    Muni de ces deux ides, on peut montrer, par quatre argu

    ments spars, qu aucun de ces ensembles ne contient

    de

    solu

    tion dans laquelle au moins l un des nombres et y est impair,

    donc que le problme n a pas de solution dans laquelle au moins

    l un des nombres est impair, donc que le problme n a pas de

    solution du tout.

    18

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    UNE ORIGINE ANCIENNE

    Commenons par le premier ensemble: une solution dans

    laquelle x et sont l un et l autre impairs est impossible, car si le

    nombre est impair, le nombre

    y

    2

    1

    est galement et l

    n a

    aucune

    chance d tre gal 2 x

    x

    2

    ncessairement pair. Cet argument

    permet aussi d liminer le deuxime cas, dans lequel x est pair et

    y impair. e quatrime cas s limine de lui-mme

    car,

    par dfini

    tion,

    l

    ne peut pas contenir de couple dans lequel au moins l un

    des nombres est impair. Reste le troisime, dans lequel

    x

    est

    impair et

    y

    est pair. Mais dans ce cas, la moiti

    de

    2 x

    x

    2

    est

    impaire, alors que celle de

    y

    est paire: ces deux nombres ne

    peuvent pas tre gaux.

    Ce rsultat -

    un

    carr ne peut tre le double

    d un

    autre

    carr

    -,

    obtenu

    par

    les pythagoriciens il y a plus de vingt-cinq

    sicles, tient encore aujourd hui une place importante dans les

    mathmatiques. Il montre que, quand on dessine

    un

    triangle rec

    tangle isocle dont le petit ct mesure 1 m, la longueur de l hy

    potnuse, mesure en mtres, est

    un

    nombre,

    ...J2

    qui vaut

    un

    peu plus de

    1,414,

    mais qui ne peut pas tre obtenu en divisant

    deux nombres entiers y et x

    l un

    par l autre. La gomtrie fait

    donc apparatre des nombres que l on ne peut pas obtenir par

    tir

    des nombres entiers avec les quatre oprations: l addition, la

    soustraction, la multiplication et la division.

    Cette remarque a amen, plusieurs sicles plus tard, les

    mathmaticiens construire

    de

    nouveaux nombres, les

    nombres rels mais les pythagoriciens ne sont pas alls

    jusque-l: ils n taient pas prts abandonner le caractre cen

    tral qu ils supposaient aux nombres entiers, et ils ont plutt vcu

    leur dcouverte comme une catastrophe que comme une incita

    tion aller plus loin.

    19

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    LES

    M ~ T M O R P H O S E S

    DU CALCUL

    Ce problme n est pas uniquement rvolutionnaire par ses

    implications pour les mathmatiques futures.

    T

    l est aussi par sa

    nature

    et par la mthode employe pour le rsoudre. Tout

    d abord, par comparaison avec celui de la tablette msopota

    mienne qui consiste diviser 1152000 mesures de grain par 7

    mesures, le problme des pythagoriciens est plus abstrait. Celui

    des Msopotamiens concerne des nombres de mesures de grain,

    celui des pythagoriciens concerne des nombres tout court. De

    mme, dans sa forme gomtrique, le problme ne concerne pas

    une surface agricole triangulaire, mais

    un

    triangle. Cette tape

    d abstraction, qui consiste passer du champ triangulaire au

    triangle

    ou

    du nombre

    de

    mesures

    de

    grain

    au

    nombre, est

    moins anodine qu il

    n y parat. En effet, la surface

    d un

    champ

    ne peut pas dpasser quelques kilomtres carrs. Si le problme

    concernait un champ triangulaire, et non un triangle abstrait, on

    pourrait le rsoudre en essayant toutes les solutions dans les

    quelles et y sont infrieurs 10

    000

    Or, la diffrence

    d un

    champ triangulaire, rien n empche un triangle de mesurer un

    million ou un milli rd de kilomtres carrs.

    La grande rvolution du

    v

    sicle avant notre re consiste

    donc en la distance mise entre les objets mathmatiques, qui sont

    abstraits,

    et

    les objets concrets

    de

    la nature, mme quand les

    objets mathmatiques sont construits

    par

    abstraction partir des

    objets concrets.

    Cette distance entre les objets mathmatiques et les objets de

    la

    nature a incit certains penser que les mathmatiques ne per

    mettaient pas de dcrire les objets de la nature. Cette thse est

    reste vivace jusqu l poque de Galile, c est--dire jusqu au

    dbut du

    XVIt

    sicle, o elle a t balaye par les succs de la

    20

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    22/230

    UNE ORIGINE ANCIENNE

    physique mathmatique. Elle est encore prsente, l'tat rsi

    duel,

    dans

    certains discours qui dnient toute pertinence aux

    mathmatiques dans le domaine des sciences humaines. Ainsi,

    selon Marina Yaguello, le rle des mathmatiques

    en

    linguis

    tique est

    de

    dguise[r] son complexe de science humaine ,

    donc fondamentalement inexacte, sous des formules

    .

    Ce changement dans la nature des objets tudis - qui,

    depuis cette rvolution, sont des figures gomtriques

    et

    des

    nombres sans relation ncessaire avec les objets concrets - a

    amen une rvolution dans la mthode utilise

    pour

    rsoudre les

    problmes mathmatiques. Encore

    une

    fois, comparons la

    manire de rsoudre les problmes

    de

    la tablette msopota

    mienne et des pythagoriciens.

    Le

    premier est rsolu en effectuant

    un

    calcul:

    une

    simple division.

    Pour

    rsoudre le second,

    en

    revanche,

    l

    est ncessaire de construire

    un

    raisonnement.

    Pour faire

    une

    division,

    l

    suffit d'appliquer

    un

    algorithme,

    que l 'on apprend l'cole primaire et dont les Msopotamiens

    connaissaient des analogues. Mais,

    pour

    construire le raisonne

    ment des pythagoriciens, aucun algorithme connu ne prescrit de

    classer les couples en quatre ensembles.

    Les

    pythagoriciens ont

    d

    faire preuve d'imagination

    pour

    parvenir cette ide.

    On

    peut

    penser qu un premier pythagoricien a compris

    que

    le

    nombre y ne pouvait pas tre impair puis, quelques semaines ou

    quelques mois plus tard,

    un

    autre a fait progresser le problme

    en

    dcouvrant que

    x

    non plus ne pouvait tre impair. Et puis le

    problme est peut-tre rest bloqu l pendant des mois ou des

    annes avant

    qu un

    autre trouve encore

    une

    ide.

    Quand

    un

    Msopotamien attaque une division,

    l

    sait qu'il va aboutir et il

    peut

    mme valuer pr or le temps que cette division lui pren-

    2

  • 8/11/2019 les meta_calcul.pdf

    23/230

    LES MTAMORPHOSES

    DU

    CALCUL

    dra. En revanche, quand un pythagoricien attaque un problme

    d arithmtique, il ne peut pas savoir combien de temps il mettra

    pour

    trouver

    un

    raisonnement qui permette

    de

    le rsoudre, ni

    mme s il en trouvera un un

    jour.

    es

    coliers se plaignent parfois que les mathmatiques sont

    difficiles: il faut avoir de l imagination, il n existe pas de

    mthode systmatique pour rsoudre les problmes. Ils ont rai

    son, et les mathmatiques sont encore plus difficiles pour les

    mathmaticiens professionnels: certains problmes sont rests

    sans solution pendant des dcennies, voire des sicles, avant que

    quelqu un les rsolve. Il n y a rien d extraordinaire scher

    longtemps sur un problme mathmatique: les mathmaticiens

    eux aussi schent, parfois longtemps, avant de rsoudre

    un

    problme. En revanche,

    on

    n imagine pas

    de

    scher des

    heures sur une division, puisqu il suffit d appliquer l algorithme

    bien connu.

    Comment ce changement dans la nature des objets tudis

    a-t-il amen

    ce

    changement dans la mthode utilise pour

    rsoudre les problmes -

    ce

    passage du calcul au raisonnement,

    qui caractrise les mathmatiques grecques? Qu est-ce qui fait

    que le problme des pythagoriciens ne peut pas tre rsolu

    par

    un

    calcul? Comparons-le encore une fois au problme de la tablette

    msopotamienne. Ce dernier concerne un objet particulier, un

    grenier rempli de grain, dont la taille est connue. Dans le pro

    blme des pythagoriciens, en revanche, le triangle n est pas

    connu: c est ce que l on cherche. Ce problme ne concerne donc

    pas

    un

    triangle particulier mais, potentiellement, tous les

    triangles possibles. En outre, comme il n existe pas de limite la

    taille d un triangle, le problme concerne simultanment une infi

  • 8/11/2019 les meta_calcul.pdf

    24/230

    UNE ORIGINE ANCIENNE

    nit de triangles. Ce changement dans la nature des objets math

    matiques s accompagne donc

    d une

    irruption de l infini dans les

    mathmatiques: c est cette irruption qui a rendu

    un

    changement

    de mthode ncessaire et a demand de substituer le raisonne

    ment au calcul. Comme on l a dj remarqu, si le problme ne

    concernait qu un nombre fini de triangles, par exemple tous les

    triangles dont les cts mesurent moins de 10000 m, on pourrait

    s en tirer par

    un

    calcul qui consisterait essayer tous les couples

    de

    nombres jusqu 10000. Ce calcul serait, certes, laborieux si

    on

    le faisait la main, mais l serait systmatique.

    Ce passage du calcul au raisonnement a t retenu comme

    l acte de naissance des mathmatiques,

    en

    Grce, au v

    e

    sicle

    avant notre re.

    Les premires rgles de

    raisonnement:

    les philosophes et les mathmaticiens

    Qu est-ce donc qu un raisonnement? Si l on sait que tous les

    cureuils sont des rongeurs, que tous les rongeurs sont des mam

    mifres, que tous les mammifres sont des vertbrs et que tous

    les vertbrs sont des animaux,

    on peut

    en dduire que tous les

    cureuils sont des animaux. Un raisonnement, parmi d autres,

    qui permet d arriver cette conclusion consiste dduire succes

    sivement que tous les cureuils sont des mammifres, puis que

    tous les cureuils sont des vertbrs et, enfin, que tous les cu

    reuils sont des animaux.

    Ce raisonnement est simple l extrme, mais sa structure ne

    diffre

    pas fondamentalement de celle d un raisonnement

    mathmatique. Dans les

    deux

    cas, le raisonnement est form

    3

  • 8/11/2019 les meta_calcul.pdf

    25/230

    LES MTAMORPHOSES

    DU

    CALCUL

    d une

    suite

    de

    propositions dans laquelle chaque proposition

    dcoule logiquement des prcdentes, c est--dire est construite

    par

    une

    rgle

    de

    dduction

    .

    Dans ce cas, on applique la mme

    rgle trois fois. Cette rgle permet, si l on sait dj que tous les Y

    sont des X et que tous les Z sont des Y, de dduire que tous les Z

    sontdesX.

    n doit aux philosophes grecs les premiers recensements des

    rgles de dduction, qui permettent de progresser dans les rai

    sonnements, c est--dire

    de

    dduire une nouvelle proposition de

    propositions avres. Par exemple, on doit la rgle prcdente

    Aristote qui a propos une liste de rgles qu il a appeles syllo

    gismes . Une deuxime forme de syllogisme introduit des

    expressions de la forme:

    certains ... sont des ...

    et permet, si

    l on sait dj que tous les Y sont des X et que certains Z sont des

    Y,

    de

    dduire que certains Z sont des

    X.

    Aristote n est pas le seul philosophe de l Antiquit s tre

    intress aux rgles de dduction. Les stociens, au

    nf

    sicle

    avant notre re, ont propos d autres rgles,

    par

    exemple une

    rgle qui permet de dduire la proposition B des propositions

    si A alors B

    et A

    Ces deux tentatives

    de

    recensement des rgles

    de

    dduction

    sont contemporaines

    du

    dveloppement de l arithmtique et

    de

    la

    gomtrie grecques, aprs

    la

    rvolution mthodologique qu a

    constitue le passage du calcul

    au

    raisonnement.

    On

    pourrait

    donc s attendre ce que les mathmaticiens grecs se soient

    appuys

    sur

    la logique d Aristote ou

    sur

    celle des stociens pour

    formuler leurs raisonnements. Par exemple, ce que la dmons

    tration

    du

    fait qu un carr ne peut pas tre le double d un autre

    ait t construite comme une suite de syllogismes. Bizarrement,

    24

  • 8/11/2019 les meta_calcul.pdf

    26/230

    UNE ORIGINE

    ANCIENNE

    ce n est pas le cas, malgr la claire unit de projet entre les philo

    sophes et les mathmaticiens grecs. Par exemple, Euclide,

    au

    m sicle avant notre re, a synthtis les connaissances de la go

    mtrie

    de

    son poque dans un trait et organis ce trait d une

    manire dductive en donnant un raisonnement pour dmontrer

    chaque chose qu il affirmait, sans utiliser

    n

    la logique d Aristote

    n celle des stociens pour formuler ces raisonnements.

    On peut avancer plusieurs hypothses pour expliquer cela.

    L explication la plus vraisemblable est que les mathmaticiens

    n ont pas utilis la logique d Aristote

    ou

    celle des stociens parce

    qu elles taient trop frustes. La logique des stociens permet

    de

    raisonner avec des propositions de la forme

    si alors

    B

    les

    entits et B tant des propositions qui expriment un fait

    simple, comme Socrate est mortel

    ou

    il fait jour que l on

    appelle des propositions atomiques . Les propositions de la

    logique stocienne sont donc des propositions atomiques relies

    entre elles par des conjonctions

    si... alors

    et

    , ou ...

    C est une conception trs pauvre du langage dans laquelle il

    n y

    a

    que

    deux catgories grammaticales: les propositions ato

    miques et les conjonctions. Elle ne prend pas en compte le fait

    qu une proposition atomique - comme

    Socrate est mortel - se

    dcompose en un sujet - Socrate - et un prdicat

    ou attribut-

    mortel.

    La logique d Aristote, contrairement la logique des sto

    ciens, donne une place

    la notion

    de

    prdicat: les expressionsX

    Y

    Z qui apparaissent dans les raisonnements sont prcisment

    des prdicats: cureuil, rongeur, mammifre ... En revanche, la

    logique d Aristote ne comporte pas

    de

    noms propres c est-

    dire de symboles pour dsigner des individus ou des objets,

    25

  • 8/11/2019 les meta_calcul.pdf

    27/230

    LES MTAMORPHOSES DU CALCUL

    comme Socrate car,

    pour

    Aristote, la science ne concerne pas

    les individus particuliers, comme Socrate, mais uniquement les

    notions gnrales comme homme

    mortel .. Ainsi, le syl-

    logisme souvent donn

    en

    exemple Tous les hommes sont mor-

    tels, Socrate est

    un

    homme, donc Socrate est mortel n a pas sa

    place dans la logique d Aristote. Pour lui, le syllogisme est:

    Tous les hommes sont mortels, tous les philosophes sont des

    hommes, donc tous les philosophes sont mortels. Les proposi-

    tions ne sont donc pas formes, dans la logique d Aristote, avec

    un sujet et un prdicat, mais avec deux prdicats et

    un

    pronom

    indfini tous ou

    certains

    .

    L extension de la logique

    d Aristote avec des symboles d individus, telle nom propre

    Socrate

    ne

    date que de

    la fin

    du

    Moyen ge. Mais, mme

    ainsi tendue, la logique d Aristote reste trop fruste

    pour

    expri-

    mer

    certains noncs mathmatiques: avec le symbole

    d indi-

    vidu

    4 et le prdicat pair on peut, certes, former la

    proposition 4 est pair

    mais il n y a pas

    de

    moyen

    de

    former la

    proposition 4 est infrieur 5

    dans laquelle le prdicat est

    infrieur ne s applique pas un seul objet, comme le prdicat

    pair mais deux objets, 4 et 5 qu il met en relation.

    Pour la mme raison, il n est pas possible de former la proposi-

    tion

    la droite D passe

    par

    le point

    t.

    On comprend pourquoi les mathmaticiens grecs n ont

    pas

    utilis les logiques proposes par les philosophes de leur poque

    pour formuler les raisonnements de l arithmtique et de la go-

    mtrie naissante: parce que ces logiques n taient pas assez

    riches

    pour

    le permettre. Pendant trs longtemps, ce problme

    de construire une logique suffisamment riche

    pour

    formuler les

    raisonnements mathmatiques ne semble pas avoir intress

    26

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    28/230

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    29/230

    LES MTAMORPHOSES U CALCUL

    tique, ce qui reflte l importance que les Grecs, mathmaticiens

    et philosophes, accordaient

    au

    raisonnement.

    On pourrait penser que les mathmaticiens grecs, dcou-

    vrant avec la mthode axiomatique une nouvelle sorte de math-

    matiques, ont cherch comprendre comment cette nouvelle

    sorte de mathmatiques prolongeait les mathmatiques plus

    anciennes des Msopotamiens et des gyptiens. S ils l avaient

    fait, cela les aurait amens chercher comprendre comment

    articuler le calcul et le raisonnement. Mais ce n est pas e qu ils

    ont cherch faire: au contraire, ils ont fait table rase

    du

    pass et

    abandonn le calcul pour le remplacer par le raisonnement.

    De ce fait, aprs les Grecs, le calcul a peine eu une petite

    place dans l difice mathmatique.

  • 8/11/2019 les meta_calcul.pdf

    30/230

    CH PITRE l

    eux mille ans

    e

    calcul

    Aprs l adoption de la mthode axiomatique, le raisonnement

    a souvent t prsent comme l unique outil utiliser pour

    rsoudre

    un

    problme mathmatique. Dans le discours qu ils ont

    tenu sur leur science, les mathmaticiens n ont quasiment plus

    accord de place au calcul. Le calcul n a pourtant pas disparu de

    la

    pratique mathmatique:

    toutes les poques, les mathmati-

    ciens ont propos de nouveaux algorithmes pour rsoudre syst-

    matiquement certains types de problmes. L histoire des

    mathmatiques a donc sa part lumineuse, celle des conjectures,

    des thormes et des dmonstrations, et sa part d ombre, celle

    des algorithmes.

    Ce chapitre est consacr trois moments de cette histoire.

    Ces trois moments, qui se situent des poques diffrentes, nous

    amneront discuter diffrentes questions.

    Le premier nous amnera

    nous interroger sur la manire

    dont peut

    se rsoudre l apparente contradiction entre le dis-

    cours sur les mathmatiques, qui accorde peu de place au cal-

    cul, et la pratique mathmatique, qui lui

    en donne une

    si

    grande, ainsi que sur la faon dont la transition entre la prhis-

    toire des mathmatiques et les mathmatiques grecques a pu

    9

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    LES MTAMORPHOSES

    DU

    CALCUL

    s oprer. Le deuxime nous amnera nous interroger sur

    la

    part relative des hritages msopotamiens

    et

    grecs dans les

    mathmatiques mdivales.

    Le

    dernier, enfin, nous fera rfl

    chir

    sur

    la raison pour laquelle, alors que la gomtrie

    de

    l Antiquit tait centre

    sur

    un petit nombre de figures gom

    triques le triangle, le cercle, la parabole ... -, de nombreuses

    nouvelles figures gomtriques - la chanette, la roulette .. -

    sont apparues au XVIIe sicle.

    L algorithme d Euclide:

    un calcul fond sur le raisonnement

    Si le nom d Euclide est rest attach la gomtrie

    et

    la

    mthode axiomatique, il est aussi, ironiquement, rest associ

    un

    algorithme qui permet de calculer le plus grand diviseur

    co:_.nmn de deux nombres entiers: l algorithme d Euclide.

    Une premire mthode pour calculer le plus grand diviseur

    commun de deux nombres consiste dterminer les diviseurs de

    chacun d eux en les divisant successivement par tous les

    nombres infrieurs et en retenant ceux pour lesquels la division

    tombe juste

    .

    Par exemple, pour calculer le plus grand divi

    seur commun de 90 et 21, on peut dterminer les diviseurs de 90

    (1,2,3,5,6,9, 10, 15, 18,

    30,

    45

    et 90 et ceux de 21 (1,3,7 et 21); il

    ne reste plus qu chercher le plus grand nombre qui se trouve

    dans les deux listes:

    3.

    Pour rsoudre le problme: le plus

    grand diviseur commun de 90 et

    21

    est-il gal 3?

    ou

    mme le

    problme: quel est le plus grand diviseur commun de

    90

    et

    21? , l n est donc nullement ncessaire de faire

    un

    raisonne

    ment. Il suffit d appliquer cet algorithme, laborieux mais syst-

    30

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    32/230

    UNE ORIGINE

    NCIENNE

    matique, qui est une simple paraphrase

    de

    la dfinition

    du

    plus

    grand diviseur commun.

    L algorithme d Euclide permet

    de

    calculer de manire moins

    laborieuse le plus grand diviseur commun de deux nombres. Il

    repose sur l ide suivante: quand on veut calculer le plus grand

    diviseur commun de deux nombres et b par exemple 90 et 21,

    on peut diviser le plus grand, a par le plus petit, b. Si la division

    tombe juste et donne

    un

    quotient q alors est gal

    b

    x q Dans

    ce

    cas,

    b

    est

    un

    diviseur de

    a

    donc

    un

    diviseur commun de et

    b

    et c est le plus grand car aucun diviseur de

    b

    n est plus grand que

    b

    lui-mme. Ce nombre est donc le plus grand diviseur commun

    de et b. Si, en revanche, la division ne tombe pas

    juste

    et

    laisse

    un

    reste r alors est gal b x q r; dans ce cas, les divi

    seurs communs de et b sont aussi ceux de b et r. De ce fait, on

    peut remplacer les nombres et

    b

    par les nombres

    b

    et

    r

    qui ont le

    mme plus

    grand diviseur commun. L algorithme d Euclide

    consiste rpter cette opration plusieurs fois jusqu obtenir

    deux nombres pour lesquels la division tombe juste. Le nombre

    recherch est alors le plus petit des deux nombres. Calculer le

    plus

    grand

    diviseur des nombres 90 et

    21

    avec l algorithme

    d Euclide consiste remplacer le couple

    90,

    21)

    par

    le couple

    21,

    6) puis par le couple 6,

    3)

    et, 6 tant

    un

    multiple de 3, par le

    nombre 3 qui est le rsultat.

    Dans le cas des nombres 90 et 21, l algorithme d Euclide

    donne

    un

    rsultat aprs trois divisions. Plus gnralement, quels

    que soient les nombres avec lesquels on dmarre, on obtient

    un

    rsultat aprs

    un

    nombre fini de divisions. En effet, en rempla

    ant le nombre par le nombre r on fait dcrotre les nombres

    qui constituent le couple dont on cherche calculer le plus grand

    31

  • 8/11/2019 les meta_calcul.pdf

    33/230

    LES MTAMORPHOSES

    DU

    CALCUL

    diviseur commun, et une suite dcroissante

    de

    nombres entiers

    est ncessairement finie.

    Cet exemple montre que, loin de tourner le dos au concept

    de

    calcul, les Grecs, comme ici Euclide, ont particip la

    construction de nouveaux algorithmes. Il montre galement

    quel point le raisonnement et le calcul sont entremls dans la

    pratique mathmatique. La construction

    de

    l algorithme

    d Euclide, contrairement

    au

    premier algorithme de calcul du

    plus grand diviseur commun, nous a demand de dmontrer

    plusieurs thormes: premirement, si la division

    de

    par

    tombe juste, alors le plus grand diviseur commun de et est

    b;

    deuximement, si r est le reste de la division de par b alors les

    diviseurs communs de et sont les mmes que ceux de et r;

    troisimement, le reste d une division est toujours infrieur au

    diviseur; enfin, une suite dcroissante

    de

    nombres entiers est

    finie. Ces rsultats sont tablis par des raisonnements, similaires

    ceux utiliss par les pythagoriciens pour dmontrer qu un

    carr ne peut pas tre le double d un autre.

    La conception du premier algorithme ne demandait aucun

    raisonnement. Mais cette situation est exceptionnelle. En gn-

    ral, les algorithmes, comme celui d Euclide, ne se contentent pas

    de paraphraser une dfinition et leur conception demande de

    construire

    un

    raisonnement.

    e thorme de Thals: l invention des mathmatiques

    e

    fait que la conception

    d un

    algorithme puisse demander

    la construction

    d un

    raisonnement fait que les mathmatiques

    msopotamiennes et gyptiennes posent rtrospectivement un

    32

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    34/230

    UNE ORIGINE ANCIENNE

    problme: comment les Msopotamiens, par exemple, ont-ils pu

    concevoir un algorithme pour l division sans avoir recours au

    raisonnement?

    On

    doit supposer que les Msopotamiens et les

    gyptiens connaissaient une forme implicite

    de

    raisonnement.

    Le fait que, contrairement aux Grecs, ils n aient pas rendu cette

    activit explicite, par exemple en crivant leurs raisonnements

    sur des tablettes, et qu ils n aient sans doute pas eu conscience

    de

    l importance

    du

    raisonnement dans la rsolution des problmes

    mathmatiques abstraits n empche pas qu ils ont

    pu

    construire

    des raisonnements, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose

    sans le savoir.

    Si l on remarque souvent la ncessit de construire des rai

    sonnements mathmatiques pour concevoir des algorithmes, ce

    qui amne supposer que les Msopotamiens construisaient des

    raisonnements mme s ils

    ne

    les explicitaient pas,

    on

    remarque

    plus rarement que cette ncessit

    de

    construire des raisonne

    ments pour concevoir des algorithmes claire le miracle grec: le

    passage

    du

    calcul

    au

    raisonnement.

    On

    peut, en effet, faire l hy

    pothse que c est en construisant des raisonnements pour conce

    voir

    de

    nouveaux algorithmes que les Grecs ont compris

    l importance

    du

    raisonnement.

    Par exemple, on attribue souvent le

    premier raisonne

    ment gomtrique Thals: pour mesurer la

    hauteur

    d une

    pyramide trop haute

    pour

    une mesure directe, Thals a eu l ide

    de mesurer la longueur de l ombre de la pyramide sur le sol et,

    indpendamment, la hauteur et la longueur de l ombre

    d un

    petit bton, puis

    de

    faire une rgle

    de

    trois.

    33

  • 8/11/2019 les meta_calcul.pdf

    35/230

    LES MTAMORPHOSES

    DU

    CALCUL

    ..

    longueur de l ombre

    de la pyramide

    hauteur de

    la pyramide

    -

    ongueur de l ombre

    du bton

    On

    peut faire l hypothse que le but

    de

    Thals tait de conce

    voir

    un

    nouvel algorithme

    pour

    calculer la longueur

    d un

    seg

    ment

    et que, pour construire cet algorithme, il a eu besoin de

    dmontrer que la pyramide avait avec son ombre le mme rap

    port que le bton avec la sienne. Thorme dont on a compris,

    par la suite, l intrt intrinsque et que l on appelle aujourd hui

    le thorme de Thals .

    Le discours et les actes

    Une autre question souleve

    par

    l existence de l algorithme

    d Euclide est la contradiction apparente entre le discours sur les

    mathmatiques qui, depuis les Grecs, accorde peu de place au

    calcul,

    et

    la pratique mathmatique,

    qui

    lui

    en

    confre

    une

    si

    grande. Comment les Grecs et leurs successeurs ont-ils pu pr

    tendre que le raisonnement seul suffisait, alors qu ils construi

    saient des algorithmes, comme celui d Euclide?

    Examinons encore une fois le calcul

    du

    plus grand diviseur

    commun des nombres 90 et 21 au moyen

    de

    cet algorithme. Une

    premire manire

    de

    dcrire ce

    que

    nous avons fait est

    de

    dire

    que nous avons remplac successivement le couple 90,

    21)

    par le

    couple

    21,

    6) puis par le couple

    6,

    3) et enfin par le nombre 3

    4

  • 8/11/2019 les meta_calcul.pdf

    36/230

    UNE ORIGINE ANCIENNE

    l aveugle

    , en

    suivant les prescriptions

    de

    l algorithme,

    dont

    nous avons, par ailleurs, dmontr qu il calculait bien le plus

    grand diviseur commun des deux nombres. Une autre manire

    de

    prsenter les choses consiste justifier

    ce

    remplacement

    du

    couple 90,

    21) par

    le couple 21,

    6) par

    une dmonstration

    du

    fait

    que le plus grand diviseur commun de 90 et

    21

    est gal celui de

    21

    et 6. Pour cela, il suffit d utiliser

    l un

    des thormes que nous

    avons voqus: le plus

    grand

    diviseur commun

    de

    deux

    nombres et

    b

    est le mme que celui

    de

    b

    et

    r

    o

    le nombre

    r

    est

    le reste de la division de par b. Dans cette manire de prsenter

    les choses, nous pouvons taire le fait que nous avons utilis l al-

    gorithme d Euclide, et simplement dire que nous avons dmon-

    tr

    que

    le plus

    grand

    diviseur commun de

    90

    et

    21

    est 3 en

    utilisant les deux thormes prcdents.

    Plus prcisment,

    en

    plus

    du

    rsultat 3, l algorithme

    d Euclide nous a permis de construire un raisonnement qui

    montre que le plus grand diviseur commun de

    90

    et

    21

    est 3. Une

    fois

    que

    le raisonnement est construit,

    peu

    importe sa prove-

    nance: l est l et cela suffit. En supposant que les Grecs et leurs

    successeurs concevaient le calcul comme un outil pour construire

    des raisonnements, lequel outil doit rester dans l ombre de l objet

    qu il sert

    construire, on retrouve une certaine cohrence entre

    leur pratique mathmatique, qui accorde une certaine place au

    calcul, et leur discours, qui le mentionne peine.

    L criture positionnelle

    Passons un deuxime moment de l histoire des mathma-

    tiques. Nous avons l habitude

    de

    penser que la manire

    dont

    35

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    LES M ~ T M O R P H O S E S DU CALCUL

    nous dsignons les objets mathmatiques, comme les objets de la

    vie courante, est

    un

    dtail.

    n n y

    a

    pas de

    raison

    d appeler

    lion un

    lion

    ou tigre un

    tigre.

    Nous

    aurions

    pu

    choisir

    deux autres mots et, pourvu que nous employions tous

    la

    mme

    convention, toutes les conventions se valent. Les linguistes,

    pour

    qualifier ce phnomne, parlent

    du

    caractre

    arbitraire du

    signe. De mme, nous aurions

    pu

    dcider d utiliser

    un

    autre nom

    que

    trois

    pour

    le nombre trois

    et un

    autre symbole que

    3

    pour l crire, sans que cela change grand-chose. D autres

    langues utilisent bien d autres mots,

    drei ou three et

    leurs math

    matiques sont pourtant les mmes que les ntres.

    En poussant plus loin cette thse

    du

    caractre arbitraire

    du

    signe, on peut penser que le fait que l on crive le nombre trente

    et

    un

    trente et un

    ,

    XXXI

    , 3X 11

    ou 31 est indiffrent. Ce n est cependant pas tout fait le cas.

    Tout d abord,

    d o

    nous vient ce besoin

    d un

    langage spcial

    pour

    crire les nombres? Dans les sciences, comme ailleurs,

    on

    donne des noms aux objets que

    l on

    utilise et,

    en

    gnral, cela

    ne

    ncessite pas l invention

    d un

    langage particulier. Par exemple,

    pour nommer les lments chimiques, on a invent

    un

    nom if-

    frent

    pour

    chacun

    d eux:

    hydrogne, hlium ..

    tout en

    conti

    nuant

    utiliser le franais. Mais les lments chimiques, mme

    s ils sont nombreux, sont

    en

    nombre fini.

    On

    a,

    de

    mme, intro

    duit un nom particulier pour chacun des petits nombres: un

    ,

    deux ,

    trois ...

    et

    mme

    un

    symbole spcial: 1

    ,

    2

    3 mais, contrairement

    aux

    lments chimiques, les

    nombres sont

    une

    infinit: il est impossible

    de

    donner

    un

    nom

    chacun, car

    un

    langage doit avoir un nombre fini de symboles t

    de

    mots.

    36

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    UNE ORIGINE ANCIENNE

    Ainsi

    est ne

    l ide

    d exprimer

    les

    nombres

    non avec un

    nombre infini de symboles mais en combinant

    un

    nombre

    fini

    de

    symboles, c est--dire

    d inventer

    non

    un

    lexique

    mais

    une

    grammaire, donc un langage. Or, si le lexique est arbitraire, la

    grammaire l est beaucoup moins

    et

    certaines grammaires du lan

    gage des nombres

    sont plus

    pratiques que

    d autres pour rai

    sonner et pour calculer.

    Parmi

    les critures

    4