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OuvragepubliésousladirectiondeCatherineMeyerLesLoisnaturellesdel’enfantseprolongesurlesitewww.arenes.fr©ÉditionsdesArènes,Paris,2016Tousdroitsréservéspourtouspays.ÉditionsdesArènes27,rueJacob,75006ParisTél:[email protected]

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Celivren’auraitjamaisexistésansl’aideprécieused’AnnaBisch.Noséchangesquotidiens,ainsiquesesrelectures,m’ontpermisd’allerauboutdeceprojetd’écriture.

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M

Etsinousrepensionsl’écoleàpartirdesloisnaturellesdel’apprentissage?

on expérience d’écolière et d’adolescente dans les quartiersdéfavorisésd’Argenteuilm’aprofondément indignée: jevoyaisnotre système éducatif étouffer chaque année la lumière et lestalents uniques de nombreux camarades. Beaucoup seretrouvaient ensuite en grande difficulté scolaire. Je pressentais

déjàunnombre inacceptabled’enfantsdanscettesituation,mais j’étais toutdemêmeloindem’imaginerlechiffredonnéparlerapport2007duHautConseilde l’éducation : « Chaque année, quatre écoliers sur dix, soit environ300000élèves,sortentduCM2avecdegraveslacunes:prèsde200000d’entreeuxontdesacquisfragilesetinsuffisantsenlecture,écritureetcalcul;plusde100000n’ontpaslamaîtrisedescompétencesdebasedanscesdomaines.[…]Leurs lacunes empêcheront ces élèves de poursuivre une scolarité normale aucollège1. » Cette proportion a été confirmée dans le rapport de 20122. Ainsi,chaque année, 40 % de nos enfants entrent au collège avec de très grandesfragilités.Ce chiffre surprenant dénonce principalement, àmon sens, le fait que notre

système éducatif ne prend pas en compte les mécanismes naturels del’apprentissagehumain.Notreécoles’appuieessentiellementsurdestraditions,desintuitionsoudesvaleurs,maispas–oupeu–surlaconnaissancedesloisdel’apprentissage. Elle ignore également les grands principes d’épanouissement.Cela est tout à fait compréhensible puisque la psychologie cognitive et lesneurosciences, qui étudient la façon dont apprend et s’épanouit l’être humain,sont relativement récentes. Et, parmanque d’informations, nous avons fait denombreuses erreurs : l’environnement scolaire et les demandes que nous

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adressons aux enfants sont la plupart du temps inadaptés à leur façon defonctionner,etbienquecâbléspourapprendresanseffort,ilspeinentenclasseetperdent confiance en eux. Leurs enseignants, pourtant déterminés à les aider,s’épuisentégalement.Tant que nous imposerons à nos enfants un système d’apprentissage qui ne

considère pas les leviers naturels de leur esprit, nous les placerons dans dessituationsquigénèrentunegrandesouffrance.Lesenseignantscontinueronteuxaussi à travailler dans des conditions extrêmement difficiles : ils devront sansarrêt pousser des enfants démotivés et finir leurs journées éreintés. Imaginez-vous rouler en voiture en cinquième avec le frein à main levé. La voituren’avancepas,émetdesbruitsétranges ;vous tentezenvainde la faire réparerchez différents garagistes, mais il faut se rendre à l’évidence, la machinedysfonctionne,ellemanqueclairementdepuissance.Retirez le freinàmain,etvous serez surpris par la puissance du moteur et la qualité du voyage. De lamême façon, nous freinons constamment la capacité puissante d’apprentissagedenosenfantsavecdesméthodesinadaptées.Ilsapprennentdifficilement;nouspensons qu’ils ont besoin d’aide extérieure, et nous les emmenons chez desspécialistes, eux-mêmes débordés par le nombre croissant d’enfants dont ilsdoivent s’occuper. Offrez-leur un environnement de classe adapté, et la trèsgrandemajoritéd’entreeuxvoussurprendraparlarapidité,lafacilitéetlajoieaveclesquellesilsseronttoutàcoupcapablesd’apprendre.Repenser notre système éducatif sur la base des grands principes de

l’apprentissage et de l’épanouissement ne serait pas seulement bénéfique pourles40%d’enfantsengrandedifficulté.Pensonsaux60%restants:ilspassentàtravers l’étiquette de l’échec, mais sont-ils vraiment épanouis ? Sont-ilsheureux?L’écolea-t-elleétépoureuxunlieudejoieetd’émancipation?A-t-ellelaisséémergerchezeuxlaconfianceensoi,l’autonomie,l’espritd’initiative,lesentimentdeliberté,ainsiquedesélansfraternels?Carennecoopérantpasavec les lois naturelles d’apprentissage et d’épanouissement qui exigent quel’enfant réalise les expériences qui le motivent et bénéficie d’une vie socialeriche,lesbellesvaleurs–liberté,égalité,fraternité–surlesquellesnotresystèmeéducatifaétéérigén’arriventquedifficilementàpénétrerl’espritdenosenfants.Nous voulons qu’ils comprennent l’idée de liberté en leur imposant dès la

maternellenospropresvolontés,etenévaluantleurcapacitéàyrépondre.Nouslesrendonsdocilesetsoumis,etnousvoudrionsqu’ilssesententlibres?Nousvoulons qu’ils adhèrent à l’idée d’égalité mais nous leur imposons un dessystèmeséducatifslesplusinégalitairesaumonde,oùlesdifférencesdeniveaus’installentrapidemententreenfants:l’étudeinternationalePisa,mesuranttousles trois ans les performances des différents systèmes éducatifs de l’OCDE,

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indique en effet en 2012 que « la France bat des records d’injustice.Que sonécole, prétendument pour tous, est d’abord faite pour une élite,mais se révèleincapablede faire réussir lesmoinsprivilégiés.Elle enestmêmedemoins enmoinscapable»,lit-ondansLeMondele3décembre20133.Enfin, comment pouvons-nous décemment prétendre semer dans le cœur de

nosenfantsunsentimentdefraternité,lorsquenousnousentêtonsàvouloirlesséparerlesunsdesautres?Dèslamaternelle,nouslesisolonstraditionnellementpar année de naissance, comme nous classerions des objets par année defabrication, en les privant d’une vie sociale variée, où chacun profiterait del’émulationpositiveetcoopérativegénéréeparlaprésenced’enfantsplusjeunesetplusâgés?Quelleplacepourlafraternitélorsque,àl’inverse,classésparâge,les enfants se laissent beaucoup plus facilement aller à la comparaison et à lacompétition?Nousleuroffronsdesconditionsquiparticipentàl’accroissementdes incompréhensions et de l’individualisme, et nous voudrions qu’ils soientpleinsdesentimentsfraternels?Trèstôt,monintuitionprofondefutqu’unedémarchepédagogiquefondéesur

laconnaissancedudéveloppementhumainpermettraitnonseulementderéduireconsidérablementetrapidementletauxd’échecscolaire,maiségalementdefaireéclore naturellement et sans effort toutes ces belles valeurs.Nous ne pourronspas résoudre efficacement les difficultés de l’école –mêmeavecde nouveauxprogrammesoudejoliestablettes–sansnousattaquerdirectementàlacausequilesgénère:notresystèmeimposesespropresloisenpiétinantcellesdel’enfant.Et,enopérantdemanièresibrutale,l’écolecréeelle-mêmelesdifficultésqu’elletenteensuitedecorrigerpardesréformes.En 2009, je pris la décision de vérifier mon intuition. Est-ce qu’un

environnement adapté aux mécanismes naturels d’apprentissage réduirait lesdifficultésdetous,enfantsetenseignants?Pourrépondreàcettequestion,ilmefallait une classe. Puisque la recherche expliquait déjà clairement que lesinégalitésseconstruisentetsecreusentdèsleplusjeuneâge,jesouhaitaismenercette expérience en maternelle. Et, afin de contrecarrer l’argument tout à faitlogiqueetrecevablequim’auraitétéopposésij’avaisréalisémonexpérienceauseind’unestructureprivée–«Celafonctionneseulementparcequelesenfantsontétésélectionnés,ouviennentdemilieuxfavorisés;etlesconditionsnesontpascellesdel’écolepublique»–,jedécidaidelamettreenœuvreauseind’uneécole publique située en zone d’éducation prioritaire (ZEP). Enfin, pourobjectiver les résultats, je souhaitais un suivi scientifique annuel : les enfantspasseraientchaqueannéedestestsdits«étalonnés»quipermettraientdesituerleurs progrès par rapport à la norme. Ainsi, si les résultats étaient ceux quej’espérais,plusd’excusespourquinevoudraitpasvoirl’évidence.

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Cette idée se révéla bien utile : les résultats furent si extraordinaires dès lapremièreannéequ’ilauraitétédifficiled’ycroiresansmesureobjective–pourceux du moins qui ne côtoyaient pas les enfants. Dans un tel cadre, toutel’intelligencecognitiveetsocialedesenfantssemitàjailliravecunetelleforceetunetelleprofondeurquenousenperdionsnosrepères.Parcequ’ils’agitbiende cela : en méconnaissant les mécanismes d’apprentissage, nous ignorons etpiétinonségalement lapuissanceet lagrandeurde l’intelligencehumaine.Nospotentiels sont sans cesse entravés dans leur développement par desenvironnements inadaptés ; ils s’épanouissent alors au minimum de leurspossibilités,etnousfinissonsparcroirequece«minimum»est lanorme.Or,l’expériencedeGennevillierslemontre,leurpuissanceestbienplusgrandequenouslepensons,etquenouspouvonsmêmel’imaginer.Pour mener cette expérience, il me fallait entrer dans le système, et donc

passerleconcoursdeprofesseuredesécoles,cequejefisen2009.«Mais,medemande-t-onsouvent,commentavez-vousfaitpourobtenir, si rapidement,unaccordministériel, avec carte blanche pédagogique, dumatériel onéreux et unsuiviscientifiqueannueldesenfants?»Maréponseestsimple:parcequerien,absolumentrien,n’auraitpumefairedévierdemonobjectif.L’indignationetlatristesse suscitées par ce gâchis des potentiels humains étaient trop profondes.Peu importe la nature des obstacles qui allaient se dresser devantmoi, il étaitclair que j’allais tenter de les contourner, un par un. Qu’ils soient financiers,humains,hiérarchiquesouadministratifs–ilyavaitforcémentunesolution.Leshasardssurprenantsdelaviem’ontégalementapportéuneaideprécieuse:jemesuis quelques fois trouvée aux bons endroits aux bons moments, et dans cessituations,j’aisaisimachancesanshésiter.Etsurtout,jen’avaisrienàperdre,j’étais là pour essayer, je n’avais aucune carrière à protéger, je n’étais paseffrayée,par conséquent, à l’idéedecourt-circuiter l’échellehiérarchiquepourm’adresserdirectementàsesplushautesinstances.

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CarteblancheàGennevilliersDeux ans après avoir été reçue au concours de professeur des écoles,

j’obtenaisdonclesoutienduministèredel’Éducationnationale,quiacceptademe donner une carte blanche pédagogique pendant trois ans à compter deseptembre 2011, au sein d’une classe maternelle de Gennevilliers, en zoned’éducation prioritaire et « plan violence ». Le ministère m’autorisa etm’encouragea par ailleurs à réaliser des tests, à l’aide de partenairesscientifiques,pourévaluerlesprogrèsdesenfants.L’expériencedémarraavecvingt-cinqenfantsâgésde3et4ans(depremière

et de deuxième année de maternelle). Nous disposions en grande partie dematérieldidactiqueélaborépar leDrSéguinet leDrMontessori, et j’avaispuréaménagerlaclassepourpermettrelapleineautonomiedesenfants:lematérielétait placé àhauteurd’enfants, de sortequ’ils puissent aisément l’utiliser et leranger;denombreusestablesavaientétéretirées,offrantainsilaplace,ausol,pourdesactivitéssurdepetitstapis.Lesenfantsétaientautonomes,ilspouvaienttravaillerseulsouenpetitsgroupes,aveclematérielquileuravaitétéprésenté;ilspouvaientéchangerlibremententreeuxtoutelajournée,etrépéterautantquesouhaité l’activité qui les intéressait. La classe fonctionnait ainsi de 8 h 20 à16 heures, avec bien évidemment une coupure pour le déjeuner, ainsi qu’untemps de regroupement collectif quotidien. Il y avait également des temps derécréation, mais non systématiques : nous sortions uniquement lorsque lesenfantsenavaientbesoin,etautantdetempsquecelaleurétaitnécessaire4.Dans ce cadre expérimental, l’académie de Versailles, que je remercie très

sincèrement, m’autorisa à choisir la personne quim’assisterait dans la classe.AnnaBischpritdoncenchargelerôledel’ATSEM(agentterritorialspécialisédes écolesmaternelles), rôle qu’ellem’aida à adapter à ce fonctionnement declassebasésurl’autonomiedesenfants.Ils’agissait,pourceposte,demodéliserdesfonctionsplusélargiesetd’ordrepluspédagogiquesqu’hygiéniques.Malgrél’obtention de toutes ces conditions, ilme fallait encore obtenir le saintGraalpour que l’expérimentation se déroule sereinement : un document officiel,reconnaissant cette classe comme« expérimentale », explicitant les conditionsd’expérimentation,et,accessoirement,engageant leministèrepour troisannéesscolairesmalgréleschangementsdeministrerécurrents–l’unpouvantneplussoutenir un projet amorcé par son prédécesseur. Aussi fondamental soit-il, etmalgré ma persévérance, j’avais grand peine à obtenir ce document. Enseptembre 2011, bien que l’expérimentation ait démarré, aucun documentn’avaitétésigné.

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UnhéritagepédagogiqueJe ne peux poursuivre sans préciser que ma démarche, qui s’appuie sur la

connaissancedesmécanismesnaturelsd’apprentissage,aussinovatricepuisse-t-elle sembler, reprend un flambeau allumé auXVIIIe siècle par lemédecin JeanItard5 dont les travaux ont été repris et poursuivis par son disciple ÉdouardSéguin. Les travaux de ce dernier ont à leur tour été développés par MariaMontessori qui rappelait souvent, à travers ses conférences, avoir repris lematériel didactique laissé en héritage par Séguin et l’avoir enrichi avec lesapports de la psychologie expérimentale allemande. Ces trois médecins,appartenantàdesgénérationsdifférentes,ontdonc, chacunà leur tour, enrichilestravauxdeleurprédécesseuravecleurpropreexpérienceetlesconnaissancesscientifiques de leur époque. Maria Montessori créa ainsi en 1907 ce qu’elleappelaitles«maisonsdesenfants»,quiregroupaientunequarantained’enfantsâgés de 3 à 6 ans : le principe pédagogique essentiel de ces lieux de vie etd’apprentissage était l’autonomie accompagnée et structurée. Les travaux duDrMariaMontessori, qui résultent de cesmultiples apports, sont aujourd’huilargementvalidésparlarecherchescientifique.Néanmoins, plutôt que de préserver son travail en l’état,MariaMontessori

nous invitait à le compléter ou le modifier à mesure que la connaissance dudéveloppementhumainavancerait,toutcommeelle-mêmel’avaitfaitavecceluide ses prédécesseurs. Elle estimait que son travail était une contributionscientifique pour le plein épanouissement des potentiels humains, et que cettecontribution,pardéfinition,avaitvocationàêtrerepriseetdéveloppée.Danslespremièreslignesdesondernierlivre–publiédeuxansavantsamort–,elleétaitonnepeutplusclaire:«Jemetourneaujourd’huiversvouscommeunefamillequi doit poursuivre sa route. » Cette volonté n’a malheureusement pas étéentendue par ses plus fervents admirateurs qui, de son vivant déjà, faisaientl’inverse:sestravauxétaientsacralisés,transformésenpédagogiefigéeetérigésen principes dogmatiques intouchables ; c’est exactement ce qu’elle voulaitéviter. RenildeMontessori, la petite-fille deMariaMontessori, racontait ainsique sa grand-mère, dans les dernières années de sa vie, lorsqu’elle se croyaitseule,répétaitenitalien:«Propiononhannocapitoniente,propiononhannocapitoniente. »Cequi se traduirait en françaispar : « Ilsn’ontvraiment riencompris.Ilsn’ontvraimentriencompris.»Lorsque j’ai découvert les écrits du Dr Montessori, ils m’ont rapidement

passionnée justement pour cette démarche scientifique non dogmatique etévolutive. Ils étaient par ailleurs d’une justesse époustouflante, visionnaire, et

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profondémenthumaine. J’ai alorsétudiéquotidiennementpendantplusde septannéessestravaux,quej’aienrichisdel’apportdesconnaissancesscientifiquesactuellessurledéveloppementhumainetdelalinguistiquefrançaise.C’estsurcettebasequej’aieffectuémesrecherchesenaxantmaréflexionsur

ledéveloppementdescompétencesexécutivesdesenfants, très fortàcetâge–nousreviendronslonguementsurcepoint–,surlesactivitésdelangagequej’aiadaptéesauxparticularitésdelalanguefrançaise,ainsiquesurlesmomentsderegroupementindispensablespourlaconsolidationdesfondamentaux.Enfin,etsurtout,j’ailimitélenombred’activitésproposéesauxenfantspourprivilégieretrenforcer le lien social : les présentations d’activités étaient des moments derencontres, vivants et chaleureux, plutôt que des présentations rigides etdidactiques.Etnousavonstoutfaitpourquelesenfantspuissentréellementêtreconnectés, rire, échanger, s’exprimer, s’entraider, travailler et vivre ensemble.Cette « reliance sociale » fut un véritable catalyseur d’épanouissement etd’apprentissage.

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PremiersrésultatsLa première année, malgré l’absence de cadrage institutionnel officiel, le

cabinet du ministre et l’académie ont autorisé les tests visant à mesurer lesprogrèsdesenfants.CesderniersontétéréalisésparleCNRSdeGrenoble.Lesrésultats ne manquèrent pas de nous surprendre. J’avais été prévenue par lesexpertsqu’ilétait impossibled’obteniruneffetpositif lapremièreannée,qu’ilfallaitplusdetemps.Néanmoins,aumoisdejuindelamêmeannéescolaire,lerapport des tests disait tout à fait le contraire : « Tous les élèves, sauf un,progressentplusvitequelanorme,beaucoupconnaissentdesprogressions trèsimportantes.L’élèvequineprogressepasparrapportàlanormeestceluiquiaété le plus absent dans l’année6. » Certains des enfants qui avaient en débutd’annéeunretarddeplusieursmois,voiredeplusieursannées,parrapportàlanorme,ontnonseulement rattrapé lanormemais l’ontégalementdépasséesurcertainesdimensionsetcompétencescognitivesfondamentales.Cefut lecasd’unenfantquiavait,endébutd’année,huitmoisderetarden

mémoire de travail. Nous verrons plus loin que cette compétence est souventprédictivedelaréussitescolaire.Lestestsontmontréqu’àlafindel’année,cetenfant avait rattrapé son retard et comptait vingt-huitmois d’avance.Les testsindiquaientparailleursquelaplupartdesenfantsde4ansétaiententrésdanslalecture, dépassant le « niveau d’alerte » de CP. Ce « niveau d’alerte »correspond, selon les experts de la prévention de l’illettrisme, au niveau delectureminimaldevantêtreacquisparlesenfantsdeCPenjanvier,aurisquedeseretrouverensituationd’échecparlasuite.Aumoisdejuin,57%desenfantsde deuxième année de maternelle avaient dépassé ce score d’alerte. Le plusfrappant fut que ces acquisitions se réalisèrent pour la plupart dans la joie, larapiditéetlaplusgrandefacilité.Les parents ont, de leur côté, constaté de grands changements : les enfants

devenaient calmes, autonomes ; ils faisaient preuve d’autodiscipline et debienveillance spontanée envers les autres enfants, ils étaient toujours prêts àaider en cas de besoin. Leurs relations aux autres s’apaisaient de façonétonnante. Les témoignages que nous avons filmés sont très parlants7 : lesparentsexpliquentleursréticencesinitiales,ainsiquel’évolutiondeleurpostureau furetàmesureque lecomportementde leursenfants se transformait.Tousfont lemême constat : calme, rapidité d’apprentissage, enthousiasme d’aller àl’école, ordre, autonomie, niveau de langage, et surtout, développement d’uneimportante générosité et d’une grande empathie. Les parents se montraientdécontenancés : leurs enfants regardaient moins la télévision, voulaient

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apprendre, aider leurs frères et sœurs ou leurs cousins, et lire sans cesse. Ilsétaientavidesdesavoiretd’apprentissage,cequiposaitparfoisdesproblèmesinattendus : il fallait par exemple s’arrêter dans la rue à chaque panneau pourprendreletempsdeledéchiffrer,ouallersouventàlabibliothèquemunicipalepoursatisfaireleurbesoinbrûlantdeliredenouveauxlivrestouslessoirs.Mon émotion était grande. Je ne m’étais pas trompée : en modifiant les

conditionsd’apprentissagesurlabasedesmécanismesnaturelsdel’enfant,lire,écrire,compter,redevenaientdesconquêtesrapidesetheureuses;etcequel’onappellelescompétencesnoncognitives–l’entraide,lacoopération,l’empathie–fleurissaientsansquel’onaitcherchéàlesprovoquer.L’êtrehumainrecèledespotentielsinsoupçonnés,quin’attendentquedeserévéler.

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LadeuxièmeannéeL’année scolaire suivante, en2012-2013,nousavonsgardé lemêmegroupe

d’enfants:initialementenpremièreetdeuxièmeannéedematernelle,toussontpassésàlasectionsupérieure.Laclassesecomposaitdonc,pourcettedeuxièmeannée, d’enfants demoyenne et degrande sections dematernelle.Nous avonspar ailleurs ajouté un troisième niveau en accueillant de nouveaux petits. Laclasse réunissait ainsi trois niveaux d’âge. Les résultats positifs se sontpoursuivis avec une courbe de progression étonnante : les plus avancésentraînaient les autres, l’émulation entre les âges faisait naturellement sontravail.Néanmoins, le document de cadrage institutionnel n’ayant toujours pas été

rédigéparleministère,etcemalgrémesrelancesincessantes,l’académiedécidacettefois-ciderefuserlestestsscientifiquestantquelasituationadministrativeneseraitpas régularisée.J’espéraisqueceblocageallait jouerennotre faveur,forçant un peu les choses. Malheureusement, la fin de cette deuxième annéearrivait, la situationn’avait toujourspasété réglée,nousétions sur lepointdeperdrelamesureobjectivedesprogrèsdesenfants.Ilm’étaitimpossibled’envisagercescénario.Ilfallaitquelespetitsmiracles

qu’il m’était donné de voir quotidiennement soient objectivés, et je pris ladécision – quime coûta cher ensuite – de faire tout demêmepasser ces testshors temps scolaire, avec la complicité des parents et d’un psychologueindépendant.Nousn’avionsquetrèspeudetemps,alorsnousavonsfaitlechoixdetesterenprioritélesenfantsdemoyenneetdegrandesectionsquiterminaienttous leur deuxièmeannéedans la classe.Unequinzained’enfants seulement aainsipuêtretestéecettedeuxièmeannée.Néanmoins, lesrésultatsfurentédifiants, révélantune tendance trèspositive.

Le rapport du psychologue indique par exemple que les enfants de grandesection«affichentunecompréhensiondutextequ’ilsviennentdelireaumoinsaussibonnequ’unélèvemoyendeCE1».Enreprésentationcomplèteetunifiéeducodenumérique,«seulsdeuxenfantsn’obtiennentpaslesscoresmaximumsauxdeuxépreuves.L’épreuvededécisionnumériqueoraleestréussieentotalitépar les enfants de grande section de maternelle et par un enfant de moyennesectiondematernelle.OrcetteépreuveestétalonnéepourdesenfantsdeCE2.Lesenfantsquiobtiennentunscorede12/12àcetteépreuveontnonseulementlesmeilleursrésultatsdeleurclassed’âgemaiségalementdeceuxdelaclassedeCE2.»Encomparaisondenombres,«encoreunefois,nousnepouvonsqueconstater que tous les enfants répondent avec brio à ces deux épreuves,

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suggérantunemaîtriseétonnantepourleurâgedesgrandeursnumériques».Enfin, la conclusion générale indique qu’« il apparaît que dans les deux

domaines d’apprentissage incontournables de la scolarité, la lecture etl’arithmétique, les enfantsde cette classemontrent deshabiletésqui dépassentsouventleurniveauscolaire.Cetteremarqueestparticulièrementvraieencequiconcernelescompétencesdelecturedesenfants.Eneffet,contrairementàcequiest attendu à l’âge de six ans, tous les enfants de notre groupe peuvent êtreconsidérés comme lecteurs. Le seul enfant à ne pas déchiffrer un texte n’estqu’en moyenne section et parvient néanmoins à déchiffrer les lettres. Lescompétences des enfants en arithmétique sont également surprenantes. Làencore,ilsdépassentlesattentesquenouspouvionsfonderàleurégard.Ilfautserendre compte que tous les enfants présentent au moins un an d’avance parrapportàcequiestattendu.»Cette deuxième année, nous avions par ailleurs reçu la visite de nombreux

scientifiques. Stanislas Dehaene, psychologue cognitif de renomméeinternationale,etenchargedelachairedepsychologiecognitiveexpérimentaleau Collège de France, vint dans la classe accompagné de sa collègue etremarquable chercheuse Manuela Piazza. Après leur visite, dont je garde unexcellent souvenir,StanislasDehaene fitpartde ses impressionsconcernant laclasseauministèredel’Éducationnationale,parcourrierélectronique:

« Ma collègue Manuela Piazza et moi avons observé dans cette classe, toute lamatinée, des avancées vraiment remarquables. Cette expérience mélange tous lesniveaux (petite, moyenne et grande section de maternelle). Les enfants,extraordinairement épanouis et concentrés, se consacrent à leur travail avecenthousiasme, et s’enseignent mutuellement de façon informelle, stimulés par lematérielpédagogiquemisàleurdisposition.Surtout, lamoitiéd’entreeuxsaventlire,unoudeuxansavant leCP. Ilscomprennent labase10, lanotationpositionnelledesnombres,lesadditionsà4chiffres.J’aisouventrépétéquel’écoletraditionnellesous-estimait le potentiel des enfants – après la visite de cette classe, je n’ai plus aucundoute.»

FrançoisTaddéi,directeurderechercheàl’Inserm,etdirecteurduCentrederechercheinterdisciplinairedeParis,envoyaégalementuncourrieràl’Éducationnationale après sa visite ; ainsi que Joëlle Proust, directrice de recherche àl’institutJean-Nicod.

« J’ai également eu le plaisir de visiter aussi cette classe et j’ai été tout aussiimpressionnéqueStanislaset sacollèguepar les résultats, carc’estuneclasseoù lesélèvessontnombreux (27)etviennentclairementdemilieuxquinesontpasceuxdu

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privé. De plus, les enfants y sont à la fois calmes, épanouis, curieux, collaborentspontanément et savent lire seuls ou en groupe la littérature enfantine. Si on veutrefonderl’écoleetpermettrelaréussitedetouscommelesouhaitelegouvernement,ledéfiestdepermettredegénéralisercequel’onpeutobserverdanscetteclasse.FrançoisTaddéi.»

«Monmessage vise à vous rendre compte dema visite, aujourd’huimême, de laclassedeMmeCélineAlvarez.Cettevisitem’afaitdécouvrirungrouped’unetrentained’enfants calmes, heureux d’être à l’école, profondément impliqués dans les tâchescognitivesqu’ilsontchoisies,ets’ylivrantdélibérémentjusqu’àleurstermes,seulsouen groupes de deux à trois enfants. Le travail de Mme Alvarez, inspiré par MariaMontessori, tire parti d’un environnement de tâches suffisamment riche, structuré etmotivantpourque lesenfantsse lesapproprientetacquièrentainsinonseulement leshabiletés de base, comme lire, écrire et maîtriser les opérations arithmétiques, maisaussileshabiletésattentionnellesetmétacognitives,fondamentalespourlasuitedeleurscolarité,commelacapacitédeseconcentrersurunbutcognitif,évaluerseserreursdemanièreautonome,etconcevoiréventuellementdessolutionsalternatives.Lesenfantsacquièrentaussidesapprentissagessociauxparticulièrementprécieux:ilsapprennentàrespecter l’autonomie de leurs camarades en situation d’apprentissage sur certainestâches,etàcollaborersurd’autres.Lesenfantsdela3esectionaidentlesplusjeunes,etleurtransfèrentleursconnaissancesparl’exemple.L’observationdelaclassematernellede Gennevilliers me confirme l’importance de cette révolution pédagogique dès lamaternelle.Ilestàmonsensplusqu’urgentdetenircomptedeceprincipefondamentalpourdonnerà l’écolesonpleinrôledans laconstructioncognitivedefuturscitoyens,éduquésetresponsables.JoëlleProust.»

Liliane Sprenger-Charolles, linguiste et directrice de recherche émérite auCNRS,m’écrivaitégalementquelquesjoursaprèssavisite:

«Jeprofitedecettefindeweek-endpourreprendrecontactavecvous,aprèslavisitede votre classe lundi dernier. Je ne peux que vous redire que j’ai été très fortementimpressionnéeparcequej’aivu,enparticulier, l’atmosphèrestudieuseetchaleureusedelaclasse,quiaétémaintenuetoutelamatinée,sansinterruption,avecungroupede27 enfants de maternelle issus d’un quartier réputé difficile ! J’ai égalementété impressionnéepar laqualitédeséchangesentrevouset lesenfantsainsiquecelledeséchangesentrelesenfants,lesplusâgés(oulespluscompétentsdansundomaine)servant de tuteurs aux plus jeunes (ou aux moins compétents). Je suis à la retraitemaintenant et j’ai travaillé dans les quartiers difficiles,mais je n’aurais jamais pensécelapossible,bravo.»

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LadernièreannéeLa troisième année, je passai une grande partie de mon temps à tenter de

régulariser la situation administrative de la classe expérimentale, en essayantd’obtenir le fameux document de cadrage institutionnel. Mes efforts ont bienfailliêtrerécompensés,car l’expérimentationobtint lesoutiendeMmeGeorgePau-Langevin, à l’époqueministre déléguée chargée de la Réussite éducative.UnevisiteofficiellefutprogramméedanslaclasseafinqueMmePau-Langevinpuissesignercedocumentdecadrageenfévrier2014.Néanmoins,peudetempsavant la date programmée, la visite fut annulée.MmePau-Langevin, nomméeministre des Outre-Mer, quittait peu de temps après son poste. Mesinterlocuteursn’étaientpluslesmêmes,ilfallaittoutrecommencer.Fautederégularisationadministrative,lestestsscientifiquesn’étaienttoujours

pasautorisésparl’académie.StanislasDehaenemeproposadefairepasserdestests IRMàunedizained’enfantsde laclassedansson laboratoire,où ilavaitl’habitude, avec sa formidable équipe, de suivre l’évolution des connexionsneuronalesàmesurequelesenfantsapprennentàlire.Cesétudespassionnantesfont avancer la compréhension des mécanismes par lesquels l’être humainapprend à lire. Faire passer de tels tests aux enfants lecteurs de la classepermettraitdeconstatersiuneentréespontanéeenlectureà3ou4ansavaitcréédesdifférencesde«câblage»auniveaudescircuitsdelalecture,parrapportàdesenfantsayantapprisàlireplustard,enCP.Lesrésultatssontencoreencoursd’analyse,maisilsindiquentd’oresetdéjà

uncâblageneuronaltoutàfaitnormal–simplementenavance–descircuitsdelalecture8.CelanesuggèrepasquelesenfantsdoiventapprendreàlireavantleCP,maisque,s’ilsenmanifestentspontanémentl’envie,ilssontcapablesdelefaire.

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L’après-GennevilliersÀ la fin des trois années, la situation administrative de l’expérimentation

n’avait toujours pas été régularisée. En juillet 2014, le ministère décida d’enresterlà.Onm’annonçaquelematérielmeseraitretiré,ainsiquelesdifférentsniveauxd’âge.Nepouvant visiblementpas continuerma recherche au seindel’Éducationnationale,jedécidaidepoursuivremarouteendehors.Jedonnaimadémission à la mi-juillet 2014. C’était très bien ainsi, car, après les résultatsextraordinaireset trèsprometteursdesenfants, jeressentaiscommeunegrandeurgence à partager très largement, et avec une liberté et une rapidité quel’Éducationnationalen’auraitpaspum’offrir,lescontenusthéoriquesainsiquelesoutilspédagogiquesquiavaienteuunimpactsipositif.Jetenaisàcequelesenseignants qui le désireraient puissent comprendre comment nous avionsprocédé,pointparpoint.JevoulaisqueladémarchemiseenplaceauseindelaclassedeGennevillierssoitaccessibleàtousetfacilementreproductible.Progressivement, jemis donc en ligne sur un blog9 les vidéos de certaines

activités de la classe, ainsi que les contenus théoriques fondamentaux surlesquelsjem’étaisappuyée.L’urgencequejeressentaisàpartagercescontenusarencontrécelledenombreuxenseignantsdematernellequicherchaientàfaireévoluer leur pratique de classe. Les résultats de cette rencontre furentsurprenants:enl’espacededeuxans,descentainesd’enseignantsetdesdizainesd’écoles maternelles publiques entières se sont inspirées de ces contenus. Jereçoisdepuisbeaucoupdetémoignagesd’enseignantsdontlavieprofessionnelles’est radicalement et positivement transformée : ils constatent des résultatsfrappants sur l’épanouissement des enfants et sur leur facilité d’apprentissage.Lesenseignantseux-mêmessesententrevivifiés.

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Cartographiedisponiblesurleblog,visantàmettreenlienlesenseignantsdematernelle,d’élémentaire,maiségalementdescollègesetdeslycéesquisetrouventengagésdansunedémarchepédagogique

respectueusedesloisnaturellesd’apprentissagedel’enfant,favorisantparconséquentl’autonomie,labienveillanceetlemélangedesâges,ets’inspirantnotammentdescontenusdel’expériencede

Gennevilliers.

Lelivrequevousavezentrelesmainss’insèreégalementdanscettevolontéde partage des contenus de l’expérience, en dégageant les grands principesbiologiquesdel’apprentissageidentifiésparlarecherche(surlesquelsjemesuisappuyée), ainsi que les invariants pédagogiques qu’ils imposent.Nous verronsd’abord l’importance de nourrir l’intelligence extraordinairement plastique del’enfantdanslespremièresannéesdesavieenluioffrantunenvironnementdequalité, riche, dynamique, complexe, et en lui permettant d’être actif et deréaliser les activitésqui lemotivent.Nousaborderonsdans ladeuxièmepartiel’importance d’aider l’enfant à organiser et à s’approprier toutes cesinformations qu’il perçoit dumonde extérieur, notamment grâce à dumatérieldidactiqueluiprésentantdemanièretrèsconcrètelesbasesdelagéographie,dela musique, du langage ou des mathématiques. Nous verrons ensuite, dans latroisièmepartie,qu’ilestfondamentaldepermettreàl’enfantdedéveloppersespotentielsembryonnairesaumomentoùilscherchentàsedévelopper–niavant,ni après. Et enfin, dans la quatrième partie de ce livre, nous aborderons uneconditionenvironnementale-clé : l’importancedu lienhumain.Les interactionssocialesvariées,chaleureuses,empathiquesetbienveillantessonteneffetundesleviers les plus importants pour le plein épanouissement de l’intelligence

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humaine.Cesdifférentspoints sontdes invariantspédagogiques.Pardéfinition, ilsne

varient pas, ils sont communs à tous les êtres humains et transcendent doncl’idéedeméthode. Ilsdevraientdevenir ledénominateurcommununiverseldetoutepropositionéducativevisantàépanouiretàrespecterlespleinspotentielshumains. Ces grands principes respectent notre fonctionnement naturel plutôtqu’ilsnelerépriment.Sortonsdecetancienmondequiaprispourhabitudedesoumettre lesloisdelavieàsaproprevolonté,àsesidéesouàsescroyances.Entronsàl’inversedansunedémarchedeconnaissanceetdeco-opérationavecles lois naturelles, faisons le choix de l’humilité, revoyons nos habitudes etconstruisonslemondededemain:desmerveillesinsoupçonnéesnousattendent.

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Toutemagratitudeauxchercheurs

Pourdégager lesgrandsprincipesde l’apprentissage, jemesuisappuyéesur les travauxet synthèsesd’éminentsscientifiquesetcentresderecherchesinternationaux.Jetiensàexprimermaprofondegratitudeenverstoutescespersonnesqui,àtraverslemonde,cherchentàcomprendreetàfaireconnaîtrelesloisdudéveloppementhumain.Unimmensemerciàeux.Jeleursuisprofondémentreconnaissante.C’estgrâceàces informations fondamentalesquiseprécisentunpeupluschaqueannéequenouspermettronsenfinàl’êtrehumaindesedévelopperdansdesenvironnementsquisoutiennentsonpleinépanouissement.MercitoutparticulièrementàStanislasDehaenepoursesconférencesremarquablesdeclartéauCollège

deFrance,àMatthieuRicardetàJacquesLecomtepourleurstravauxconcernantl’altruismeetlabonté,au Dr Catherine Gueguen pour son partage des connaissances actuelles en neurosciences affectives etsociales,ainsiqu’auCenterontheDevelopingChilddel’universitéHarvardpoursescontenusthéoriquespassionnants;tousm’ontdonnéaccèsàdenombreusesetprécieusesinformations.

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I.

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L’intelligenceplastiquedel’êtrehumain

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C

ontrairementàcequenousavonslongtempspensé,cenesontpaslesgènesdontnous héritons qui déterminent notre santé, nos capacités intellectuelles ou noscapacités sociales.Lagénétiquene tient qu’unpetit rôle dans le filmdenotrevie:cequenoussommesestessentiellementdéterminéparnotremilieu.C’estprincipalement la nourriture physique et psychique que nous assimilons – lesgens que nous fréquentons, les mots que nous entendons, les mots que nousprononçons, la façon dont nous gérons notre stress, les expériences que nousvivons, la qualité de la nourriture que nous ingérons, le temps d’exercicephysiquequenousnousoffrons–quifontdenouscequenoussommes.Vousconnaissezcertainementceremarquableexempled’épigénétique1,mais

je ne peux m’empêcher de le partager avec vous tant il me semble illustrerparfaitement l’importance de l’environnement sur le développement du jeuneêtre humain : les larves d’abeille sont toutes prédisposées à devenir de petitesouvrières;ellesnaissenttoutesaveclemêmepatrimoinegénétique.Or,sil’uned’entreellesestnourrieavecdelageléeroyale,elledevientreine.Lejeuneêtrehumain,lui,abesoin,pourdevenirlemeilleurdelui-même,d’unenvironnementaimant,vivant, riche,ordonné, favorisant l’explorationet l’activité spontanées,la rencontre avec l’autre, les interactions bienveillantes, calmes, l’entraide,l’empathie et la générosité. Porter notre attention sur de tels facteursenvironnementauxnedevraitplusêtreuneoption.Cesélémentssontàl’enfantcequelageléeroyaleestàlalarved’abeille: ilsnourrissentdirectementetdemanièrepositivelemeilleurdenosenfants.LavisionnaireMariaMontessoriavaitperçucettecléenvironnementaleavant

tout lemonde.Ellesavaitque l’élément fondamentalsur lequel l’adultedevaitconcentrer toute son attention pour soutenir le bon développement de l’enfantétait l’environnement : elle avait perçu l’importance de le prépareramoureusement, et avec une conscience pleine et savante. Elle le martelaitvaillamment,incompriseleplussouventparsesplusfidèlesadmirateursquisefocalisèrentessentiellementsurlematérielpédagogique,oubliantl’essentiel.Et,lorsqu’elledésignaitenitalienlessallesmisesà ladispositiondesenfants,elleutilisait lemotambiente2,qui signifie en françaisenvironnement.Pour elle, etc’est à mon sens ce qu’il faut retenir de ses travaux, l’adulte devaitessentiellement concentrer son action sur la création de conditionsenvironnementales susceptibles de nourrir et d’agir favorablement sur le

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développementdel’enfant.LeDrMariaMontessoriavaitainsiniplusnimoinspressenti l’importance de l’épigénétique dans le domaine de l’éducation :l’environnementdel’enfantdoitêtrepenséentermesd’écosystèmefavorableàl’épanouissementdesonintelligence.Etc’esttoutl’objetdecelivre:mettreenlumière les invariants environnementaux et pédagogiques qui lui sontbénéfiques.

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1.

Laplasticitécérébrale

L’êtrehumainnenaîtpasviergedetouteorganisationcérébrale.Aucontraire,ilvientaumondeavecuneesquisseremarquabledesgrandscircuitsneuronauxconnus chez l’adulte. J’ai toujours eu l’intuition profonde que le bébé naissaitavecdespotentielshumainsembryonnaires,n’attendantquel’expériencedanslemondepoursedévelopper…Maisvoirlaprécisiondececâblagehumaindèslanaissancegrâceàl’imageriecérébralefutpourmoisourced’unejoieimmense:cela est donc vrai, l’être humain est pré-câblé pour développer descaractéristiquesprofondémenthumaines.Nousnaissonsavecuneprédispositioninnée à communiquer, à construire un langage oral précis et structuré, àmémoriser, à raisonner demanière ordonnée et logique, à créer, à inventer, àimaginer, à ressentir une large gamme d’émotions et à les réguler en cas debesoin, et nous naissons même avec des capacités empathiques, une intuitionmorale et un sens de la justice très profonds. L’être humain est ainsi livré aumonde avec de grandes promesses d’intelligence et d’humanité, n’est-ce pasextraordinaire?Néanmoins,etc’esticiquel’importancecapitaledel’environnemententreen

scène, ce pré-câblage est très immature. Bien que prédisposé à parler ou àraisonner,àlanaissance,l’êtrehumainn’aaccèsniàlaparoleniàlaraison.Ilnaîtenquelquesorteprématuré,projetédanslemondesansmêmeavoirterminésa formation cérébrale. Le développement de ses potentiels innés sera alorsconditionné – sans l’ombre d’un filtre – par la qualité de son environnement.Cetteimmaturitécérébralepeutsemblertrèssurprenante.Ellerendeneffetl’êtrehumain extrêmement vulnérable aux environnements appauvris, violents ettoxiques. Pourquoi donc ne pas poursuivre cette formation cérébrale dans lachaleur,laprotectionetl’intimitéduventredelamère,commelefontlesautresmammifères qui, eux, disposent d’un pré-câblage bien plus mature qui leurpermetdecommuniquer,demarcheroudes’orienterquelquesheuresseulementaprès leur naissance ? La nature, habituellement si bien réglée, aurait-elle«perdulatête»?Absolumentpas.Cetteimmaturitécérébraleestunegrandenécessité,puisque

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l’Homme,plusquetoutautremammifère,estdotédelacapacitéàraisonner,àimaginer, à créer ; il innove sans cesse. Si son petit voyait le jour avec uneintelligencemature, commec’est le caspour les autresmammifères, il naîtraitterminé,avecuneintelligencefinaliséedisposantdepeudeplasticité,etilseraitbien incapable d’absorber les bonds évolutifs des générations précédentes. Ilnaîtrait déterminé, sa vie serait bien paisible et sécure, mais totalement nonévolutive.Or,enprojetantlepetitdecetinventeur-néqu’estl’Hommedefaçonprématurée dans lemonde, la nature l’oblige à prendre enmarche le train del’Humanité et lui offre la possibilité, dans les premières années de sa vie,d’incarnersanseffort,danssesfibresneuronalesencoreimmatures,laculturedesesparents.Parcequ’ilnaîtprécocement,lesprédispositionsinnéesdubébévontdirectement se former avec les innovations linguistiques, comportementales etculturellesréaliséesavantsanaissance.Iln’amêmepasàapprendrequoiquecesoit,sonintelligencevadirectementseconstruireavec!Cettenaissanceprématuréeestdoncunvéritablecoupdemaître.Elleassure

uncontinuumévolutif:lepetitdel’Hommeincarnedirectementdanssesfibresneuronales l’héritagede sesparents. Il s’insère ainsi, sans effort et sans aucuncontretemps, dans la longue chaîne évolutive de l’Humanité. Et visiblement,pourDameNature,lesdangersauxquelscetteimmaturitécérébraleexposel’êtrehumain ne font visiblement pas le poids comparés à l’immense opportunitéadaptativequ’ellereprésente.

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Lagrandeimmaturitécérébraledel’enfantNous comprenonsmaintenant davantage pourquoi, bien plus que ses gènes,

c’est l’environnement de l’enfant qui influencera le développement de sespotentielsembryonnaires.Puisquesoncerveausecâbleavecsonenvironnement,c’est celui-ci qui influencera – positivement ou négativement – ledéveloppementdesespotentielsd’intelligenceetd’humanité.Ils’agitdoncàlafoisd’uneexcellenteetd’unetrèsmauvaisenouvelle.Labonnenouvelle,c’estqu’iln’existepasdefatalitégénétique:noussommestouscapables–quelsquesoientlesgènesdontnoushéritons–dedévelopperdescapacitésintellectuellesetsocialesextrêmementsophistiquéesetpositives.Lamauvaisenouvelle,c’estque lespremiersenvironnementsauseindesquels lepetitde l’Hommegrandits’imprimentavecunegrandepuissancedansl’intimitédesesfibresneuronales,pourlemeilleurmaiségalementpourlepire.Autrementdit,lanaturedonnelesgrandesorientationsendotantlenouveau-nédepotentielshumainslatents,maisc’est l’environnement qui déterminera la qualité du développement de cespotentiels innés : ils se révéleront, ou non, selon les possibilités offertes parl’environnement.Ils’agitlàd’unedesaffirmationstrèslargementpartagéesparles centres universitaires associés aux recherches sur le développement del’enfant. Jepense icinotammentau trèspédagogiqueetengagéCenteronTheDevelopingChild,del’universitéHarvard.L’être humain n’est donc pas prédéterminé à développer le langage, le

raisonnement,lacapacitéempathique,ainsiquetoussespotentielsinnéslatents;ilyestprédisposé.Ladifférenceestimmense.Rienn’assurequ’ildévelopperal’intelligence humaine qu’il possède à l’état embryonnaire… Il naît avec lapossibilité de la développer. Et il devra le faire avec ce que lui offrira sonenvironnement.Prenons l’exemple du langage. Nous l’avons dit, l’être humain, dès sa

naissance,estprédisposéàconstruireunlangageélaboréetsoutenu.Ilpossèdele pré-câblage pour le faire. Mais il peut tout à fait ne jamais y parvenir sil’environnementneluioffrepaslesconditionsquiluipermettentdecréeruntellangage. Pour que cette possibilité se concrétise, sa prédisposition innée aulangagedoitêtrenourriesurlabased’unrégimelangagierricheetvariélorsdelapériodetrèssensibledeformationdulangage,delanaissanceà3ans.C’esttout. Nul besoin de méthodes pédagogiques venues d’ailleurs. Le jeune êtrehumain a simplement besoin d’être exposé au langage, demanière vivante etdynamique, pour former ses circuits cérébraux immatures. Car, à l’inverse, sicette prédisposition langagière est exposée à une diète linguistique pauvre et

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incorrectelorsdestroispremièresannéesdeviedel’enfant,ellenes’épanouirapaspleinement.Une étude saisissante, nommée à juste titre « The Early Catastrophe3 »,

illustre la puissance de ce phénomène. Des centaines d’heures d’interactionsentredesenfantsetdesadultesontétéenregistréesdansquarante-deuxfamillesde tout le spectre socio-économique. Les enfants ont été suivis de l’âge de7 mois jusqu’à 3 ans. Les chercheurs ont constaté que 86 à 98 % des motsutiliséspar lesenfantsà3ansprovenaientdirectementduvocabulairede leursparents.Maiscen’estpastout:lalongueuretlestyledesconversationsétaientégalementsemblablesàceuxdeleursparents.Cesderniers,danslesfamilleslesplus pauvres, avaient tendance à s’exprimer par des phrases courtes comme :« Arrête » ou « Descends », alors que dans les familles plus favorisées ilsformulaient des phrases plus élaborées et tenaient de véritables conversationsavecleursenfantssurunegrandevariétédesujets.Leschercheurssesontainsiaperçus que les enfants issus demilieux favorisés avaient entendu, à l’âge de4 ans, quelque trente millions de mots de plus que les enfants de milieuxdéfavorisés. L’intelligence de ces derniers n’avait tout simplement pas étésuffisamment nourrie au moment précis où elle se développait. Ces enfantsavaientétéexposésàunesortedemalnutritionmentale,quilesplaçaitdansunesituation de désavantage criant : car il faut ensuite de très gros efforts etbeaucoup de rigueur pour enrichir ce qui a faiblement été construit lors de lapériodeincandescentededéveloppement.Cette différence environnementale induit par ailleurs une grande différence

pourledéveloppementdel’intelligenceglobale:lesenfantsdecetteétudeissusdemilieux favorisés, et davantage exposés à un langage soutenu, avaient desquotientsintellectuelsbienplusélevésquelesautres,dèsl’âgede3ans.Leursperformancesscolairesétaientégalementmeilleuresàl’âgede9et10ans.Noussavons en effet aujourd’hui que le niveau de langage oral à 3 ans prédit lescapacitésdelectureà5ansetlacompréhensiondetextesà8ans4.Lespremièresannéesdevieconstruisentlesfondationsdel’intelligence,etla

qualitédecesfondationsestconditionnéeparl’environnement.Etcelavautpourtous, que l’on soit issu demilieux favorisés ou défavorisés. Si un nouveau-néissud’unmilieutrèshautementfavorisé,avecdesparentsprovenantdeplusieursgénérationsd’êtreshumainsaulangageparticulièrementdistingué,estplacédèsquelquesmoisdevieauseind’unenvironnement langagierpauvre,grossieretincorrect syntaxiquement, il aura beau avoir derrière lui toute une lignée degrandsorateurs,sonlangageserapauvre:sonintelligencelangagièrenepourracréerdelangagequ’àpartirdecequesonenvironnementluioffrira.Ellenepeut

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toutsimplementpasconstruireseulecequel’environnementneluioffrepas.Siun nouveau-né issu d’un milieu extrêmement défavorisé est placé dès lespremiers mois dans un environnement humain stimulant, il développera unlangageetdescompétencesélaboréesquesesparentsbiologiquesn’auraientpaseu lapossibilitéde lui transmettre.Aussicâblésetprédisposéssoyons-nous, laformation de notre intelligence est totalement conditionnée par notreenvironnement. Et face à cette vérité, nous sommes tous égaux. Personnen’échappe au pouvoir créateur de l’environnement. C’est aussi simple,enthousiasmantetdramatiquequecela:pourl’êtrehumainquivientdenaître,toutestpossible–lemeilleur,commelepire.Cetteimmaturitécérébraletraduitdoncàlafoisuneextraordinaireopportunitéetuneextraordinairevulnérabilité.C’est, dans le domaine de l’éducation, une information capitale : pour la

formation de l’intelligence humaine, la fatalité génétique n’existe pas. Ce quicréelesinégalitésentrelesêtres,cenesontpaslesgènes,maislemilieu.Ainsi,si nous voulons réduire les inégalités éducatives, c’est sur les conditionsenvironnementales qu’il faut porter toute notre attention. Nous pouvonsclairementchangerladonnepourdenombreuxenfants,nonpasuniquementenmodifiant notre façon d’enseigner, mais en influençant très positivement lemilieu au sein duquel ils évoluent – tant lemilieu familial que scolaire.Nousavons l’immense responsabilité de préparer, pour nos enfants, desenvironnements nourrissants et dignes de leurs grands potentiels.Car, pendantquel’enfantnéàNeuilly-sur-Seineestapriorientraind’apprendreunlangagesoutenuetrichequileprédisposeàlaréussitescolaire,laplupartdesenfantsnésà Gennevilliers, eux, sont a priori en train d’acquérir un langage appauvri etfamilier qui limitera fortement leur possibilité d’expression et de pleinépanouissement.

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Lequotidiendel’enfantstructuresoncerveauNourrir richement et positivement l’intelligence lors de cette période de

grande immaturité est donc fondamental – tout ce que l’enfant va vivre à noscôtésvas’encoderpardesconnexionsdeneurones.Delanaissanceà5ans,700à1000nouvellesconnexionssecréentchaqueseconde5.Chaqueimage,chaqueinteraction,chaqueévénement–aussiquotidiensoit-il–sefixedanslesfibresdu cerveau de l’enfant en connectant des neurones. Le cerveau se structuredirectementavecsesexpériencesdanslemonde.Ainsi,lorsdecettepériodedegrandeimpressionnabilitécérébrale,l’enfantrecueilleunnombreextraordinaired’informationsetposelespremièrespierresdutempledesonintelligence.Toutcommelemaçoncommenceparconstruirelesfondationspourbâtirunemaison,le cerveau humain commence par créer des milliers de connexions pour sestructurer.Etcommetoujours,lanatureestbienfaite:aumomentoùlecerveauabesoin

decefoisonnementdeconnexionsneuronalespourpréparersastructuration, lejeuneenfantestaniméd’unevivepassionpourl’exploration.Lorsqu’il touche,attrape,nousappelle,nousétudie,observelemondeavecintensité,soncerveause construit ; et il est essentiel que nous, adultes, n’entravions passystématiquement ce besoin constructeur en le réfrénant pour notre confort oupoursasécurité(«netouchepasàça»,«restelà»,«assieds-toi»,«attends-moi»,«tais-toi»,etc).Lorsquenousfaisonscela,cen’estpasl’enfantquenouscontraignons, mais son intelligence en train de se construire. Permettons-luid’explorer,desemettreen lienavec lemondeetd’autresêtreshumains,etderéaliserdesmilliardsdeconnexions.Oui, des milliards. En effet, le nombre de connexions neuronales dans le

cerveau du jeune enfant atteint rapidement des sommets. Pour donner uneéchelledegrandeur,comparons,commel’asijustementfaitTiffanyShlain6,lenombredeconnexionsentredeuxneuronesdans lecerveaude l’enfantavec lenombredeconnexionsentredeuxpageswebauseinduréseauinternetmondial.Lorsquedeuxneuronesseconnectent,celas’appelleunesynapse.Lorsquedeuxpageswebseconnectent,nousparlonsd’hyperlien.Nousaurionsapriori toustendance à penser que le réseau internet mondial possède bien plus deconnexions que le cerveau de l’enfant et de l’adulte, et pourtant… Internetpossède environ 100 000 milliards d’hyperliens. Le cerveau de l’adulte enpossède environ le triple, soit 300 000milliards.L’enfant, lui, en possède dixfoisplusqueleréseauinternetmondial:unmilliondemilliardsdeconnexionsde neurones ! Cela nous donne une idée de la puissance de ce déploiement

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synaptique pendant l’enfance : tout ce que l’enfant perçoit dans sonenvironnement–absolumenttout–créeuneconnexion.Lorsdecettepériodedeforteplasticité cérébrale, il suffit à l’enfantdevivre et d’explorer librement lemondepourapprendreàunevitesseextraordinaire.Lejeuneenfantnepeutdoncpasnepasapprendre.Apprendre,pourlui,c’estcommerespirer.Illefait,sanss’enrendrecompte,encréant700à1000nouvellesconnexionsparseconde.Lors de ces années créatrices, un environnement peu nourrissant aurait des

conséquencesdramatiquessurlastructurationcérébraledel’enfant.Lecerveauseconstruitàpartirdecequ’ilreçoit.Ets’ilreçoitpeu,ilsedéveloppemal.Ilvadonc sans dire qu’un manque abîmerait gravement ses potentiels ; car, de lamême façon que des fondations fragiles compromettent la stabilité d’unemaison, de faibles circuits neuronaux créés par le bébé altèrent l’architecturecérébraledel’adultequ’ilsera.LedramedesorphelinsdeBucarestl’illustrebien:aprèslachutedudictateur

roumainNicolaeCeausescu,ontétédécouvertslesorphelinatsinstitutionnelsetleurs conditions atroces d’accueil des enfants.Les bébés étaient laissés à eux-mêmes pendant des heures dans des lits à barreaux, entassés à plusieurs, etparfoissansvoirlalumièredujour.Leurcontactaveclesadultesétaitréduitauminimum:unesoignantechargéedevingtenfantsassuraitnourritureethygiène,maissansplusd’interactions.Cesenfantsétaientdoncquasimentprivésàlafoisde contact relationnel avec l’adulte et de stimulations environnementales. Cesconditions dramatiques ont provoqué un sous-développement encéphalique etuneactivitécérébraletrèsréduite:lescerveauxdecesenfantsétaientpluspetitsquelanormeetnes’activaientpasnormalement7.Lecerveauhumain,privédumondeaumomentoùildevraits’ennourrir,nesedéveloppepascorrectement;il n’atteint pas même un volume normal. Ces enfants, bien qu’alimentésquotidiennement d’un point de vue organique, souffraient néanmoins d’unevéritablefaminepsychique.Le cerveau de l’enfant réalise une quantité époustouflante de connexions

neuronalespour élaborer les fondationsde son intelligence. Il ne conservepaspour autant toutes ses connexions synaptiques : les connexions les moinsutilisées, celles qui codent les expériences les moins répétées, vontprogressivements’affaibliretêtreéliminées.Àl’inverse,lesconnexionslesplussouventutilisées,etquicodentlesexpérienceslesplusrégulièrementvécuesparl’enfant, vont se renforcer. On appelle cela l’élagage synaptique. Cet élagagecontinu nous dote d’une grande capacité d’adaptation et de spécialisation aumilieuauseinduquelnousévoluons.

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C’est ce processus continu et dynamique de création, de renforcement etd’élimination de connexions synaptiques en fonction des expériences les plusfréquentes que l’on appelle plasticité cérébrale : il diminue progressivementquandl’enfantatteintl’âgede5ans,puistrèsnettementàlapuberté,maisilsepoursuittoutdemêmeàl’âgeadulte.Lecerveaucontinueconstammentdecréerdenouveauxcircuits,d’enélimineretd’enrenforcerd’autresenfonctiondelafréquence de nos expériences. Notre architecture cérébrale est donc toujoursinfluencée par nos expériences répétées ; néanmoins, chez l’enfant, ellesn’influencent pas seulement son architecture cérébrale : elles la modèlentdirectement.Mais retenonsbienceci :danssescoupessynaptiques, lecerveaune regarde pas la qualité de ce qu’il supprime ou de ce qu’il conserve, il secontente simplement de renforcer les expériences les plus fréquentes etd’éliminer les autres. Nous devons bien entendre et comprendre cela : laplasticité cérébrale de l’enfant n’est pas dotée de sens critique. Elle épousel’environnementtelqu’ils’offreàelle,sansaucunjugement.

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Vivreprèsd’unenfant,c’estparticiperàsaspécialisationcérébraleAvecceprocessuscontinud’élagagesynaptiquequiopèreen fonctionde la

fréquence, si un enfant a été le plus souvent exposé à un vocabulaire trèsfamilier, et même si de temps en temps il a pu entendre des personness’exprimant avec un langageplus soutenu, son cerveau renforcera la trace desmotsfamiliers.Quel’onsoitparent,enseignant,assistantematernelle,ATSEM,frère,sœur,oncleoucousin,vivrerégulièrementauprèsd’unjeuneenfant,c’estparticiper directement à sa spécialisation cérébrale : ce que nous sommes auquotidien,nosfaçonsdeparler,deréagir,cequenousfaisonsavecluioudevantluivontlittéralementparticiperaucâblagedesoncerveau.Notreresponsabilitéestdoncimmense.Unbeaumatin,nousrionsdevoirnos

enfants fairecommenous,parlercommenous,bougerouréagircommenous :c’est souventunmomentparticulièrementdrôle, surprenant,voiredifficile,carl’enfant nous renvoie enmiroir les gestes ou les attitudes que nous lui avonsenseignéssans lesavoir,simplementenvivantàsescôtés.Nouspensonsqu’ilnous imite,mais ilseraitplusexactdedirequ’ilmanifesteàl’extérieurcequis’est encodéà l’intérieur. Il faut donc l’entendre, qu’on le veuille ou non, cesont toutes ces petites choses auxquelles nous ne faisons pas attention quistructurent,directementetsansaucunfiltre, lescapacitéset lescomportementsde nos enfants. Nos attitudes préparent les leurs. Cela doit être dit, redit etentendu. Il nous faut maintenant agir en conséquence, aussi bien à la maisonqu’àl’école.Quels sont nos comportements, nos mécanismes quotidiens ? Sont-ils en

cohérenceaveclescomportementsetlesattitudesquenousvoulonsvoirfleurircheznosenfants?Commençonsdoncparlà:quel’onsoitparentouenseignant,accompagnerunenfantexigeuneprésenceàsoi,uneobservationconscientedenos propres gestes et attitudes. Si nous souhaitons voir l’enfant s’exprimerjolimentetavecaisance,avoirdesgestesdélicatsetharmonieux,oufairepreuved’empathie,iln’yapastrente-sixsolutions:lapremièreétapeestdelefairesoi-même.Une grande exigence envers l’enfant implique donc avant tout une grande

exigenceenverssoi-même.Cefutlapremièrerègled’orappliquéedanslaclassedeGennevilliers, et, je ne vous le cache pas, la plus difficile à respecter dansl’urgence d’une classe de plus de vingt-cinq enfants.Néanmoins, lorsque l’onsaitque l’enfantpossèdeunmécanismecérébral aussipuissammentabsorbant,quisestructureàpartirdetoutcequ’ilperçoit,etquel’onpasseenmoyennesix

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heuresparjouravecluidansuneclasse,ceteffortn’estpasuneoption,c’estuneresponsabilité. Nos comportements, notre langage, nos réactions doivent êtreexemplaires.AuseindelaclassematernelledeGennevilliers,nousavionstoutd’abordune

trèsgrandeexigenceconcernantleniveaudelangagequicirculaitdanslaclasse.Nousl’avonsvuprécédemment,unbonniveaudelangagesembleallerdepairavec un bon développement de l’intelligence. Mais, avant même de penser àdévelopper le langagechez lesenfants,Annaetmoiportions toutd’aborduneattention très particulière à notre propre niveau de langage : nous veillions àparlerdemanièrecorrecteetargumentée,avecunvocabulaireprécisetadapté.Lorsque nous faisions des phrases négatives par exemple, nous employionstoujours lesnégationscomplètes,etnousnousefforcionsd’utiliserdesphraseslogiques et complexes. Ainsi, lorsqu’un enfant nous demandait par exemple :«Est-cequ’ilvaneiger?»Nousnedisionsjamais:«Jecroispas»,enpassantàautrechose,maisplutôt :« Jene croispas. J’ai écouté lamétéocematinà laradio,etl’animateurapréciséqu’iln’allaitpasneigermaisqu’ilallaitfairetrèsfroid.Regardeleciel,iln’estpasassezcouvertpourqu’ilneige.»Nousfaisionsl’effort de ne jamais dire « on »,mais plutôt « nous ».Nous ne disions pas :«Cetaprès-midi,aprèslacantine,onapiscinelesenfants»,maisplutôt:«Cetaprès-midi, après votre déjeuner à la cantine, nous irons à la piscine, lesenfants. »Nous tâchions également d’utiliser unmot précis plutôt quededire« chose », « truc », ou « ça ».Même si cela nous demandait un effort, nousprenions toujours le temps de réfléchir lorsque le mot ne nous venait pasimmédiatement et nous expliquions aux enfants : « Attends une seconde, jecherchelebonmotpourtedireceàquoijepense.»Nousutilisionstoujourslesmotsjustesmêmes’ilspouvaientsemblercompliquéspourlesenfants.En réalité, les enfants adorent ces mots savants et élaborés : planisphère,

Amérique du Sud, Europe, cube, cône, cylindre, spathiphyllum, crassula,caoutchouc,gardénia (plutôt qued’utiliser constamment le termegénériquede«plantesvertes»),disque(plutôtque«rond»),mocassins,sandales,bottinesouballerines(plutôtquechaussures),jument(plutôtquefemelleducheval),poulain(plutôt que bébé du cheval), etc. Nous cherchions toujours les mots les plusprécispossible.Toutcevocabulaireenthousiasmaitetstimulaitl’intelligencedesenfantsenpleindéveloppement,ilslereprenaientavecjoieetdélectation.Nouspossédionsunpuzzleplanisphèreavec lescontinentsdenotreplanète,

quelesenfantspouvaientretireretreplacer.Chaquecontinentavaitunecouleurdifférente.Parexemple,l’Asieétaitcoloréeenjaune.Parfois,lespetitsdisaientauxgrands:«Moi,jevisdanslecontinentrouge.»Lesgrandslesreprenaientalors immédiatement, dérangés par ce manque de précision : « Le continent

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rouge, c’est l’Europe, c’est pas “continent rouge”, c’est “Europe” ! Tu vis enEurope.»Notreexigencesurlelangageétaitgrandeetnonnégociable.Nousattendions

des enfants qu’ils prennent le temps de s’exprimer avec précision, à tousmomentsdelajournée.Nousprenionstoutletempsnécessairepourlesaideràle faire, qu’il s’agisse de demander la permission d’aller aux toilettes oud’expliqueràuncamaradelesbasesdusystèmedécimal.L’aisanceetlaqualitédel’expressionoraleétaientréellementdegrandesprioritésdanscetteclasse,etlesenfantslesavaient;ilsveillaientàaiderleurscamaradesquiavaientleplusde difficulté à s’exprimer, en leur laissant le temps de formuler ce qu’ilsessayaientdedire,toutenleurapportantlevocabulairequ’illeurmanquait.Cette vigilance linguistique était vraiment importante, car le niveau de

langageglobaldesenfantsétaittrèspauvre.Monexpériencel’annéeprécédenteauseind’uneécolematernelled’unevilletrèsfavorisée(Neuilly-sur-Seine)m’apermis de prendre conscience du fossé gigantesque existant entre la richesselangagière des enfants de Neuilly et la pauvreté lexicale des enfants deGennevilliers.ÀNeuilly,laplupartdesenfantsde5ansavaientdéjàunniveaudelangageextrêmementsoutenu:beaucoupn’omettaientaucunenégationdansleursphrases,certainsglissaientparfoisunmotbiensentienanglais,etd’autresnedisaientpas«portemanteau»mais«patère».C’était impressionnant.Leurvocabulaire était extrêmement précis. Je fus d’autant plus frappée l’annéesuivante par la situation inverse àGennevilliers : les enfants ponctuaient leursphrases de mots tels que « ça », « truc » et autres familiarités. Certains medisaient : « Je vais pisser Céline » avec la plus grande décontraction. Ils nevoyaientabsolumentpasenquoidire,à3ans,avecuntonsaccadéetagressif:« Céline… Yassin i m’fait chier », « Qu’est-ce qu’on bouffe ce midi à lacantine?»,«Monpèreàlamaisonilgueule»ou«Monfrèreiladégueulécettenuit»pouvaitêtreunproblème.Et lorsquej’affichaisunairchoquéà l’écoutede ce vocabulaire fleuri, ils ne comprenaient pasma surprise. Pour eux, cettefaçondeparlerétaitnormale.Cenefutdoncpaschosesimplededéfairecequiavaitétéenregistré(etquicontinuait,pourcertains,d’êtrerépététouslesjoursàlamaison).Pourtant,nousysommesparvenusenparlantextrêmementbien,toutletemps;etenlesinvitantavecfermetéetbienveillance,sanslesculpabiliser,àutiliserdanslaclasseuntonetdesmotsplusadaptés,quenousleurfournissionss’ils ne les connaissaient pas. Je n’hésitais pas à dire fermement pour les plusrevêches:«Non,jenesuispasd’accord,jen’acceptepasquetuparlesdecettemanièredanslaclasse.Est-cequetusauraisreformulertaphraseautrement?»Si l’enfant répondait par la négative, nous lui proposions une autre façon des’exprimer,qu’ilrépétaitensuite.

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Quelquesmoisplustard,laplupartdesenfantsavaientdéjàchangédeton.Ilsnevoyaientpaslavictoirequisecachait,l’annéesuivante,derrièreun:«Céline,Victor me dérange, je lui ai dit plusieurs fois mais il ne m’écoute pas, ilcontinue,tupeuxluidired’arrêters’ilteplaît?»Conscientedelapuissancedecemécanismecérébralplastique,etpuisqueles

enfants échangeaient constamment entre eux, j’étais très ferme concernant leniveau de langage des plus grands, que les petitsmodélisaientmalgré eux. Jen’hésitaispasàinterrompreuneconversationentrelesenfantspourinviterl’und’entreeuxàreformulercorrectementetdemanièreplussoutenuesaphrase.Lesenfantsavaientainsiconsciencequelaqualitédulangageoralétaitcapitalepournous : nous parlions correctement entre nous, nous prenions le temps de leurparlercorrectementetnousprenionsletempsdepermettreauxenfantsdeparlercorrectement.Les résultats furent rapidement visibles à la maison, les parents nous le

rapportèrentaprèsquelquesmoisseulementdeclasse :«Monfilsest leseulàparlersansdiredegrosmotsàlamaison»,«Ilutilisedesmotsprécisetsefâchelorsquenousnefaisonspasattentionànotrefaçondeparler».Nousverronsplusloin qu’avoir la possibilité de s’exprimer correctement, de manière précise etavecaisanceàl’oraln’estpasseulementungaged’insertionsociale,c’estavanttout un moyen de développer une pensée complexe, logique, riche, exacte etstructurée.Cesenfantsneparlaientpasseulementdemanièrepréciseetétayée,ilspensaientégalementdemanièrepréciseetétayée.Et,parailleurs,enfaisantl’effort de s’exprimer et d’aller au bout de leur pensée, les jeunes enfantsdevaient garder les informations en mémoire le temps de les organiserlogiquementpoursefairecomprendre, ilsdevaientcontrôler leurfrustrationdenepastrouverlesbonsmots,ilsdevaientseconcentrertotalement,etsecorrigersi l’interlocuteur ne semblait pas comprendre leurmessage.Autrement dit, eninvitant et en accompagnant simplement les enfants à prendre le temps des’exprimer avec clarté et précision,nousne faisionspasque leurpermettrededévelopper des compétences culturelles et langagières importantes, noussoutenions également le développement de fonctions cognitives essentielles,souvent plus prédictives que le QI pour la réussite scolaire, professionnelle,émotionnelle et relationnelle – lamémoire de travail, le contrôle inhibiteur, lapersévéranceouencorelaflexibilitécognitive.Nousreparleronsplusloindecesfonctions cognitives essentielles, dites exécutives. Gardons simplement enmémoire pour le moment qu’inciter les enfants à développer un langage oralriche,structuréetprécisfavoriseunbondéveloppementcognitif.Nous veillions également à nos comportements. Puisque nous cherchions à

créeruneambiancecalmeetapaisée,nousnousdéplacionsaveccalmeetnous

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parlionsàvoixbasse.Même lorsquedesenfantsparlaientvraiment trop fort àl’autreboutdelaclasse,nousneleurcriionspasdelàoùnousétions:«Maisarrêtedecrier,tudérangestoutlemonde!»cardanscecas,nousleuraurionsàla fois appris à crier tout en ayant nous-mêmes augmenté le désordre dans laclasse. Au contraire, nous nous approchions calmement de l’enfant, sansprécipitation,etnousluirappelionsavecunevoixposéeetapaisantequ’ildevaitparlerunpeumoinsfort.Enrevanche,siunegrandepartiedugrouped’enfantss’agitaitetgénéraitun

granddésordredanslaclasse,unrappelàl’ordrecollectiffermepouvaitparfoiss’avérernécessaire.Lespremiersmoisdelapremièreannée,lesenfantsn’étaientpas autonomes et cette situation seprésentait souvent : nous regroupions alorslesenfantsencercledanslaclasseetpratiquionsdesexercicesd’attentionetderelaxation.Ilpouvaitégalementnousarriverdesortirenrécréation.Mais,danstouslescas,nousévitionsd’avoirnous-mêmesdescomportementsquenousnevoulionspasvoirfleurirchezlesenfants.Nous surveillions aussi nos gestes quotidiens enmanipulant lematériel. En

effet,toutcequelesenfantsobservaientétaitsusceptibledes’engrammer,c’est-à-dire de laisser une empreinte dans leurs réseaux neuronaux. Lorsque nousroulions un tapis qui n’avait pas été rangé, par exemple, et lorsque aumêmemoment,unoudeuxjeunesenfantsnousobservaient,nousveillionsàavoirdesgestesprécisetclairsqu’ilsallaientpouvoirreteniretmodéliserpourensuiteêtrecapablesàleurtourderouleruntapisdemanièreordonnée.Lors de cette période créatrice, nous avons fait en sorte de proposer une

grandevariétéd’activitéstoutelajournéedansdifférentsdomaines:géographie,musique, lecture, écriture, mathématiques, dessin, peinture, etc. Ces activitésétaientprésentéesdemanièreprécise,claireetstimulantepourlesenfants.Nousprenionsbeaucoupdeplaisiràpartagertoutecettecultureaveceux,vraiment;nous étions réellement heureuses de leur offrir accès à tout cela. Notreenthousiasme galvanisait la motivation des enfants. Nous procédions par desprésentationsindividuellesouentoutpetitsgroupesdedeuxoutroisenfantsafindes’adapterauniveauetauxintérêtsdechacun,etnouscomptionsensuitesurlefaitquecetteconnaissancesediffuserapidementdanslegroupeàtraversleursinteractions libres. En effet, les enfants étaient autonomes et n’avaient pas lemêmeâge:lesgrandsaimaientmontrercequ’ilssavaientauxpluspetits,cequileurpermettaitdeconsolideretderaffinerleursconnaissances.Lespetits,eux,absorbaienttrèsvitelesélémentstransmisparleursaînés.Aucunenseignantnepeutrivaliseraveclafacilitédetransmissiondessavoirs

entreenfantsd’âgesdifférents: lafascinationqu’exerceunenfantde5anssurunenfantde3ansestexceptionnelle,toutcommel’estl’enthousiasmespontané

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àvouloiraiderlescamaradesquienontbesoin.Laconnaissancecirculaitentreles enfants à une vitesse extraordinaire. L’enthousiasme que suscitait laconnexion sociale fut la voie royale de l’apprentissage. D’autant que, commetouscesenfantsétaientautonomesdumatinausoir,ilsavaientlapossibilitédecommuniquerlibrementtoutelajournée:leurséchangesetleursenseignementsétaient nombreux et variés. Ils se sont ainsi approprié la culture et le langageavecunejoieetunerapiditésurprenantes.Nousavonsdonccréédesconditionsenvironnementalesfavorablesquiétaient

en mesure de nourrir positivement et richement l’intelligence encore trèsimmaturedesenfants:lelangage,noscomportements,nosgestes,nosfaçonsderéagiretlaconnaissanceoffertepartouteslesactivitésproposéessesontdiffusésdemanièreextrêmementpuissanteetefficaceentrelesenfants.Lorsquelesconditionsnesontpasréuniesàlamaison,l’écolematernellepeut

jouerunrôleextrêmementpositif : lesenfantsypassentplusdesixheuresparjour !L’écoleestdonc,autantque la famille,un lieudespécialisation,qui,enoffrant des conditions suffisamment riches, peut atténuer de manière nonnégligeable les différences entre les milieux sociaux. Nous pouvons le faire.C’estànotreportée.Nousdevonsinfluencerpositivementledéveloppementdel’enfant en agissant directement, non pas sur l’enfant, mais sur sonenvironnement.Etilestessentieldelefaireprécocement:c’esteneffetlorsdespremières années de vie que l’intelligence humaine pose ses fondations. Et,solides ou non, c’est sur ces fondations que l’être humain devra ériger sonintelligencefuture.Voicidonc lepremierprincipesur lequel l’expériencedeGennevillierss’est

appuyée : puisque ce sont les conditions environnementales qui dirigent,spécialisent, déterminent l’épanouissement des potentiels latents dès, et avantmême la maternelle, alors il nous fallait porter notre pleine attention sur lesfacteurs environnementaux. Nous avons veillé à nos comportements, à notrelangage, ànosgestes, ànos réactions…Etnous l’avons fait avecune rigueur,uneexigenceetunedétermination toutesparticulières :nousvoulionsoffrir lemeilleur à ces jeunes enfants. Nous avons donc créé les conditions pour queleurs yeux, leurs oreilles, leurs mains soient nourris de langage et d’activitésintéressantes,ambitieuses,pendantleurstroisannéesdematernelle.

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LapériodecritiquedesdeuxpremièresannéesLes experts du développement de l’enfant sont aujourd’hui très clairs : les

deuxpremièresannéessontréellementcapitales.C’estlorsdecettepériodequel’êtrehumainpose l’essentieldesfondationsdesonintelligence : lorsqu’il fêteses2ans,lebébéadéjàréalisédenombreusesconquêteslangagières,sociales,cognitives, sensorielles et motrices, sur lesquelles il s’appuiera plus tard pourdéployersonintelligence.Et,pourréalisertoutescesacquisitions,lecerveaudel’enfant traverse des fenêtres sensibles de spécialisation, au cours desquellesl’élagage est radical : certaines connexions seront fortement renforcées etd’autres seront drastiquement éliminées. C’est le cas par exemple descompétences langagières.Noussavonsqu’à9mois, lebébéestencorecapabled’entendre tous les sons de toutes les langues dumonde,mais que troismoisplus tard,à12mois, iln’entendplusque les sonsquiexistentdanssa langue.Soncerveaus’est spécialiséauxsonsdesonenvironnement.Lebébén’entendplus tous les sons de toutes les langues dumonde, il devient spécialiste de lasienne8.Après avoir recueilli une très grande quantité d’impressions du monde, le

cerveauhumainfaitdoncleménage:n’oublionspaseneffetquegrandir,c’estpasserd’unmilliondemilliardsdeconnexionssynaptiquesà300000milliards.Grandir,c’estdoncperdrelesdeuxtiersdesespossibilitésetrenforcerletiersleplusutilisé.Grandir,c’estsespécialiser.L’adulten’estpasmoinsintelligent,ilestspécialisé : spécialisédanssa langue,danssaculture,danssapensée,danssescomportementssociaux.Celapeutsemblersurprenantettrèsprécoce,iln’enrestepasmoinsque, lorsquelejeuneêtrehumainfêteses2ans,soncerveauadéjà eu le temps non seulement d’emmagasiner une quantité extraordinaired’expériences,mais également de sélectionner les plus fréquentes.Les expertsparlent d’une période critique après laquelle certaines grandes fondations sontétabliesetdeviennentensuitedeplusenplusdifficilesàremodeler.L’expériencedesenfantsdesorphelinatsdeBucarestlemontrebien:aprèsla

découverte de leur situation dramatique, les enfants ont été progressivementplacésdansdesfamillesd’accueilchaleureuses,forméesàrépondreauxbesoinsdes enfants.Des chercheurs ont comparé le développement des enfants placésdans ces familles avant l’âge de 2 ans avec celui d’autres orphelins, ayantégalement bénéficié de l’accueil de ces familles, mais après 2 ans. De façonextrêmementnette,lesrésultatsindiquentqueceuxquiavaientétéplacésavant2ansmontraientpeuoupasdedifférencescognitiveset socialespar rapportàdes enfants dumême âge ayant grandi auprès de leurs parents biologiques : à

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8ans,leuractivitéélectriquecérébraleétaitnormale.Unenvironnementricheetnourrissant avant la finde cettepériodedegrandeplasticitéque sont lesdeuxpremièresannéesde lavieestdéterminantet favorise larésilience : lecerveaudisposeencoredesressourcespourseréorganiseretseréparer.Quantauxenfantsplacésaprèsl’âgede2ans,ilssouffraientencore,à8ans,

deséquellesimportantes.Commenousl’avonsditprécédemment,passél’âgede2ans,lecerveauadéjàposédesfondations,etildevientbeaucoupplusdifficilede le remodeler. Bien sûr, le cerveau évolue et crée de nouvelles connexionstoutelavie,iln’estjamais«troptard»;mais,commelepréciseTheCenteronTheDevelopingChilddeHarvard,«ilestplusfacileetmoinscoûteuxdeformerdes circuits cérébraux solides lors des premières années que de le faire ou de“réparer” plus tard9 ». Pour établir une architecture cérébrale aux fondationssolides, le plus tôt est lemieux. Il est donc primordial de porter une attentionparticulièreàcettepériode,c’est-à-direavantquelecerveaudel’enfantnesoittropspécialisé.

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Lanécessitéd’unenvironnementaimantQue faire pour aider l’enfant à construire des fondations solides ? C’est

simple.Riend’extraordinaire.Ilfautl’aimer,êtreprésent,lelaisserentrerdansnosviesetnepasl’enisoler,répondresimplementàcesdemandesd’interactionssans le surstimuler, lui parler, le rassurer quand il est stressé afin que leshormones du stress n’endommagent pas son petit cerveau immature, le laisserexplorer, respecter ses propres rythmes, et enfin, respecter ces besoinsphysiologiquesenluioffrantunealimentationetdescyclesdesommeiladaptésà ses besoins. Finalement, tout ce que nous avons déjà tendance à lui offrirnaturellement.Nous savons déjà ce qu’il faut faire – l’intérêt de telles informations est de

nous rappeler l’importance de ces actes quotidiens. Ainsi, pour accompagnerl’enfant de sa naissance à l’âge de 2 ans, il faudrait simplement rappeler auxparentsàquelpoint leurétayage10 spontanéest fondamental,etque toutescespetites interactions – aussi banales que le partage de petites comptines – sontabsolumentessentielles,etqu’ilsdoiventcontinuerencesens:parlerpendantlemoment du bain, jouer avec lui en racontant des histoires avec les jouets enplastiquequifontjaillirdel’eaulorsqu’onlespresse,nommerlesalimentsetlesobjets qu’il pointedudoigt, s’adresser à lui avecun langageprécis et correct,chanter des chansons, lire des histoires, écouter ensemble de la musique etdanser, peindre, faire de la pâte à modeler, l’aider à manger seul, le rassurerlorsqu’il est débordé par ses émotions ou par un stress, et accompagner sesconquêtes,enlessoutenant,enlesencourageant,sansjamaislesforcer.Ainsi, pour offrir un environnement adapté à l’enfant de moins de 2 ans,

inutiled’imaginerdesexpériencesetdespédagogiesnouvelles.Lanatureadéjàlasienneetilnoussuffitsimplementdelarespecter:lebébén’abesoinderiend’autrequedelaprésenced’êtresquil’aiment,àcommencerparsesparentsetsa famille, d’interactions bienveillantes, de soutien, de protection etd’encouragements. Le bébé a avant tout besoin de lien humain. Et il va lerechercher comme un voyageur égaré cherche une oasis dans un désert.Dansune vie plus naturelle, plus physiologique que civilisée, le jeune enfant sedéveloppeaveclaprésenced’êtresd’âgestrèsdifférentsdusien–de3,6,10,ou15 ans–, tout enbénéficiant de la présenced’autres adultes en cas debesoin.Cettevariétéhumaineestàmonsenscequimanquelepluscruellementaujeuneenfantdéposélematindansnoscrèches.Ladeuxièmechosequim’apparaîtcommeessentielleaprèsleliensocialestle

lienavecl’environnement–l’environnementréel.Puisquelatâchequiincombe

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à l’enfant est de se spécialiser à son milieu, offrons-le-lui et offrons-lui lemeilleur:créonsunlieuoùilpuisseentendreetrecevoirunlangagedequalité,oùilpuisseobserverlaviequotidiennedugroupeauquelilvientdenaître;qu’ilpuissenousvoircuisiner,déjeuner, faire leménage,échanger, toutenayant lapossibilité de réaliser ses propres expériences pour découvrir le monde et lanaturequil’entourent.Ettoutcela,biensûr,enprenanttoutletempsquiluiestnécessaire. Autrement dit, un environnement aimant, chaleureux, accueillant,maiségalementréel,quinesoitpascoupédumonde–maisquiaucontraireleluioffre!Denombreusescrèchestravaillentaujourd’huiencesens,etilfautpoursuivre

ainsi : procurons à nos jeunes enfants en pleine période incandescente deformation cérébrale des lieux vivants, ouverts, familiaux, chaleureux, intimes,offrantrichesse,liensocial,qualité,culture,nature;ducalmeetdutemps.Cesendroits doivent être beaux, intimes, et sacrés : s’y prépare et se formel’intelligencedel’Humanité.

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L’enfantapprendsimplementenvivantVous seriez vraiment surpris de savoir tout ce qu’un enfant à peine âgé de

1 an, et qui ne marche pas encore, est déjà capable de faire sans le moindreeffort, simplement grâce à son extraordinaire mécanisme d’apprentissageplastique.Lescapacitésdesbébésetdesnouveau-nés,quelessciencesactuellesnousrévèlent,nousrappellentàquelpointnousavonssous-estimélejeuneêtrehumain. Avant même qu’il n’entre à l’école maternelle, il réalise déjàquotidiennementdesprouessescognitivesdehautniveau.Une expérience11 menée à l’institut Max-Planck, à Leipzig, a montré, en

mesurant l’activité cérébrale des bébés, qu’à 4 mois de vie seulement, et en15minutes,lesbébéssontcapablesdesavoirsiunephrase–d’unelanguequ’ilsn’ont jamais entendue – est syntaxiquement correcte ou non. Dans cetteexpérience, leschercheursont faitécouteraux jeunesenfants,dansune languequileurétaitétrangère,unesériedephrasessimplescomme«lasœurchante»ou«lefrèresaitchanter».Aprèstroisminutesd’écoutedecesphrasessimples,leschercheursontfaitécouteruneautresériedephrasesauxbébésenajoutantcette fois-ci des phrases grammaticalement incorrectes comme « le frère estchanté»ou«lasœurpeutchante».L’activitécérébraledesbébésestdifférentelorsqu’ils entendent les phrases incorrectes : ils détectent que quelque chosen’estpasnormal.Lecerveaudubébéestdonccapabled’extraireàunevitesseexceptionnelle«quelquechose»desrèglesimplicitesetcomplexesdulangage,simplementennousécoutantparler.«Nousavons longtempseucetteconception linéairede l’apprentissage : les

bébés apprennent d’abord les sons, puis ils comprennent les mots, puis lesgroupes de mots. Mais de récentes études ont montré que presque toutcommenceàsedévelopperdepuisledébut.Lesbébéssemettentàapprendrelesrègles grammaticales dès le départ », explique Judit Gervain, spécialiste enneurosciences cognitives à l’université Paris-Descartes, dans une interviewaccordéeauNationalGeographic12.Laplupartdutemps,lorsqu’unenfant–dontlecerveaurecherchemalgrélui

les règles implicites–produitune«faute»de langage,sonerreurdénonceenréalité une irrégularité de notre langue. Lorsque l’enfant dit « Ils sontaientpartis»,ilmetànutoutsongénieainsiquel’incohérencedenotrelangue:soncerveauacomprisquel’imparfaitd’unverbeseconstruisaitàpartirduprésentde l’indicatif en ajoutant le son ai, par exemple : ilsmangent/ilsmangeaient.Même chose pour ils marchent/ils marchaient ; ils sourient/ils souriaient ; ilsvoient/ilsvoyaient;etdonc,logique:ilssont/ilssontaient.Ils«étaient»estune

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irrégularité. Et, bien que les enfants entendent clairement autour d’eux « ilsétaient»etnon«ilssontaient», leurcerveau,quiaimelesrégularités,préfèreencoreutiliserlaconjugaisonquileursemblelapluspertinente.Delamêmefaçon, la recherchemontreque les jeunesenfantssontcapables

d’extraire demanière intuitive de grandes lois physiques.Dès 3mois, le bébésait, grâce à sa propre expérience, que si vous lancez un objet en l’air, il varetomber. Si l’objet ne retombe pas et reste en l’air, le bébé manifestera uneexpression de grand étonnement. Une loi fondamentale, jusqu’ici toujoursvérifiéeparsesexpériencesinformelles,vientd’êtrecontreditedevantsesyeux,et son intelligence en est frappée de surprise. Un enfant de moins de 1 anmanifestera le même étonnement si vous lancez une balle et qu’elle passe àtraversunmur,siunobjetaugmentede tailleens’éloignant,ousiunevoiturequiroulesurunetablecontinuederoulerdansl’airlorsqu’elleadépasséleborddelatable.Neriezpas,deschercheursontmenécegenred’expériences13avecbeaucoup

desérieuxdansdegrandslaboratoiresinternationauxavecdesbébésâgésde3à11mois;etlaréactiondesenfantsesttoujourslamême:lastupéfactionlaplustotale. À cet âge, le bébé sait à peine prononcer correctement desmots aussisimplesque«maman»ou«papa»etpourtant, ilmaîtrisedéjà intuitivementquelquesloisphysiquesfondamentales.Des études déconcertantes ontmêmemontré qu’à 1 an à peine, le bébé est

déjà capable de prédire non seulement la trajectoiremais aussi la vitesse d’unobjet14 :deschercheursontfaitrouleruneballedevantlesenfants;cetteballepassait derrière un écran, et les bébés regardaient à l’autre bout de l’écranaumomentetàl’endroitprécisoùlaballeauraitdûressortir.Ilsétaientcapablesdeprédire le moment et l’endroit précis où la balle allait surgir. Si la balle neréapparaissaitpas,ou réapparaissaitplus tardouaumauvaisendroit, lesbébésétaientdéconcertésetvérifiaient si l’objetn’étaitpasprésent làoù il auraitdûarriverensuivantlabonnetrajectoire.Si je vous parle de tout cela, ce n’est pas uniquement pour nous rappeler à

quelpointnosenfantssontdevéritablesgénies.Aufond,nouslesavonsdéjà.Jecherche aussi à attirer votre attention sur un point : pour apprendre et pourcomprendretouscesphénomènes, lesbébésn’onteubesoinnideprogrammesscolaires, ni demanuels, ni demaîtres. Ils n’ont pas besoin de tout cela. Lesenfants sont livrés aumonde, comme nous, avec une sorte de logiciel natureld’autoéducation ; ils sont capables de s’approcher de manière extrêmementprécisedelavéritédumondeextérieurenétantsimplementactifsdanslemondeetenapprenantde leurserreursdeprédiction.Toutes lesconnaissanceset lois

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grammaticales,physiquesousocialesquel’enfantaacquisesontétédéduitesparl’intermédiairedesesexpériencesvivantes,réellesetdynamiques,etnongrâceàuncoursmagistralquenousaurionseulagénérositédeluioffrir.Ilauraitétéinutiled’asseoirnotreenfantde3moisàunetableenluidisant:

«Écoute, il fautque tusaches,c’est important ; regardecettepomme, tuvois,elle tombe.C’est lecaspour tous lesobjets,celas’appelle la loide lagravité.Demain, jedois teparlerdelaplaceduverbedanslesphrases.Ensuite,après-demain, nous aborderons les réactions sociales, je t’expliquerai comment lesgenss’adressentauxgensqu’ilsaiment.Etenfin,noustermineronsendiscutantdesdifférentsgoûts : acide, amer, sucré, salé.»Nousn’avonspas fait cela, ettantmieux,nousaurionsperdunotreénergie,notretemps,etl’intérêtdel’enfant.Nousavonssimplementvécuavecl’enfant,enaccompagnant,etencommentantlorsquecelaétaitnécessaire,sesexpériencesactivesdanssonmilieu:ilalancédes objets, touché du sable,mis ses pieds nus dans l’eau, dans l’herbe, sur lecarrelage,etnousavonsriaveclui,nousavonsattirésonattentionsurlachaleurdusablelorsquelesoleilyétait,nousluiavonsditcommentattraperetlancerceballonqu’ilpeinaitàsaisir,ilagoûtéuncitronens’emparantd’unquartierquenousavionslaissésurlecoindelatablepourassaisonnernotrepoisson,etnousluiavonsprécisé:«Tuasvucommec’estacide?»L’enfantauraexploré,maisilauraégalementobservéattentivement:nousauronsparléàd’autresdevantlui,nousauronsréagidevantluiauxcomportementsdesesfrères,ilauraeuaccèsànosfaçonsdenouscomporteretderépondreauxdifférentessituationssociales.Et,àchaquefoisquel’enfantobserveouexploreattentivement,soncerveau

se réorganise, des connexions cérébrales se créent et d’autres s’éliminent : lesconnaissancesprécédemmentacquisesparsesexpériencessontactualiséesà lalumière de ses nouvelles découvertes. L’enfant n’a pas besoin d’explicationsformelles et magistrales. Il a besoin de vivre et de se confronter à la suitecontinuelledechocsqueluioffrirasonexpériencedanslemonde.Lorsque je vivais enEspagne, j’ai donné des heures et des heures de cours

particuliers de français à de jeunes enfants non francophones. Malgré marégularitéetmonenthousiasme,cesenfantsn’ontjamaisaussibienparléquedesenfantségalementnonfrancophones,n’ayantassistéàaucuncours,maisayantbénéficié de la présence d’une jeune fille au pair francophone chez eux et neparlantpasunmotd’espagnol.Aucuncoursmagistral,aucunenseignantnepeutentrerencompétitionavecl’efficacitéredoutabledel’environnement.Jereçoisbeaucoup de mails de personnes qui me demandent : « Comment puis-jeenseigner une langue étrangère à de jeunes enfants ? »La réponse est simple,peut-être trop ; elle décontenance souvent. Nous n’avons pas à enseigner unelangue.Nousavonsàcréerdesconditionsd’immersion,pourquelecerveaude

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l’enfant analyse et forme lui-même ce nouveau langage sans effort ; tout enveillantàluiassurerunétayageponctueletadapté.C’esttout.Sonintelligenceplastique remarquable se chargera de dégager les règles implicites de cettelanguequineluiserabientôtplusétrangère.Le mécanisme naturel d’apprentissage humain, particulièrement flexible et

adaptatifdanslespremièresannéesdevie,quiembrasseetanalysesanseffortlacomplexité du monde, est aujourd’hui l’objet d’étude très prisé des meilleursingénieurs internationaux, qui tentent, en vain, de recréer une intelligenceartificielleaussipuissanteetautonome.

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2.

Lesloisnaturellesdel’apprentissage

Les neurosciences nous permettent aujourd’hui de comprendre demieux enmieuxcommentlecerveauhumainestcapabled’apprendresijeuneetsivitedeséléments aussi complexes.Grâce aux expériences actives répétées de l’enfant,l’intelligenceplastiqueaccumuleetencodeungrandnombred’informations.Àpartir de toutes ces données, elle peut dégager des probabilités. Ce qui, demanièretoutàfaitinconsciente,permetàl’enfantd’êtrerapidementcapabledeprédire laprobabilitéqu’unévénement– social, linguistiqueouphysique– seproduiseounon.Nousavonsvuqu’ilsuffitàunbébéde4moisquelquesminutespourdégager

desprobabilitésetdesstatistiqueslinguistiquesqu’ils’attendensuiteàretrouverlors de sa prochaine écoute, même dans une langue étrangère. Et lorsque saprédictions’avèreendécalageaveclaréalité,commedans lesexpériencesquenousavonsprécédemmentévoquées,alorslebébésemontretrèssurpris.Danslavie réelle, constater ce décalage va générer chez l’enfant une volontéd’exploration extrêmement forte : il va chercher à reproduire l’événement et àcomprendre ce qui a bien pu lui échapper, pour réajuster au plus vite sesconnaissances.On appelle « curiosité » cet élan puissant qui pousse l’enfant à ajuster le

décalageentre cequ’il sait et cequ’ilne saitpas.Cette aptitudeestdonc loind’êtreunvilaindéfaut… il sembleraitmêmequ’ellesoitunélémentconstitutifde notre mécanisme d’apprentissage. Animé par sa curiosité et son envie decomprendre,l’enfantn’hésiteabsolumentpasàsemettreendangerouàbraverles interdictions. Ajuster son modèle interne et s’approcher de la vérité dumonde extérieur est sa priorité : ildoit comprendre et se perfectionner.Ainsi,lorsquedes chercheurs s’amusent à présenter des expériences surprenantesquiviolent des lois physiques élémentaires comme celle de la gravité, les enfantss’emparent immédiatementdelavoitureoudelaballeayantdéfié leurmodèleinterne ; ils explorent ces objets avec beaucoup de sérieux et tentent decomprendrecequiabienpusepasser.Lorsque l’enfant reproduit un événement nouveau pour le comprendre, son

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cerveau se réorganisepour ajuster ses connaissances et sesprobabilités.Ainsi,pendantqu’ilréalisetoutessortesd’expériencesvivantes,réellesetdynamiques,sesconnexionsneuronalesseréorganisentàtrèsgrandevitessepours’approcheraumaximumdelavéritédumondeextérieur.Nouspossédonstoujours,àl’âgeadulte, ce mécanisme autonome d’apprentissage qui nous permet deconstamment revoir nos connaissances à l’aune des petits chocs et parfois desgrandes leçonsquenousoffre lavie.Néanmoins,contrairementauxenfants, ilpeutnousarriverdenepasprendreencomptelescontradictionsobservéesentrenos modèles internes et la réalité pour ne pas remettre en question nosconnaissances antérieures. C’est très regrettable, car ce manque de flexibiliténous fige souvent dans l’idéologie. Au contraire, les enfants, eux, ne restentjamaislongtempsprisdanslesfiletsdudogmatisme.AlisonGopnik,spécialisteinternationale de l’apprentissage chez les bébés, écrit : « Ce que les enfantssaventesttoujourspotentiellementprêtàêtreremisenquestion1.»Simplementenvivantetenseconfrontantaumonde,lesenfantsapprennentet

précisent leurs connaissances à une vitesse remarquable. Chaquematin, ils ensaventdavantagequelaveille,etleursconnaissancesvontencores’étoffertoutau long de la journée.Ainsi, un enfant de 4 ans en sait beaucoup plus qu’unenfantde2ans,quiensaitplusqu’unbébéde1an.Vouscomprenezmaintenantle besoin fondamental des petits de dormir autant ! Il est bien normal qu’ilstombentfréquemmentd’épuisement:nousnelevoyonspas,maisalorsquenousleur parlons, ou qu’ils vivent tout simplement à nos côtés, ils sont en traind’analyser et d’extraire les grandes lois physiques, grammaticales etrelationnellesdeleuruniversavecunerapiditéetuneefficacitéàenfairerougirtouslesPrixNobeldephysiqueetdelittératureréunis.Notons enfin l’intelligence extraordinaire de cemécanisme d’apprentissage.

Lanaturepoussel’enfantàapprendredelamanièrelapluspuissantequisoit :enluidonnantenviedemanièreintrinsèqued’ensavoirtoujoursplus.Eneffet,chaqueerreurdeprédictiongénèreunsentimentdecuriositéquisetraduitdansle cerveau par une sécrétion de dopamine. La dopamine est unemolécule quiactive les circuits du plaisir et de la récompense, et pousse l’enfant à réduireconstammentladifférenceentrecequ’ilsaitetcequ’ilnesaitpas.Maiscen’estpas tout, ladopamineactiveégalement lescircuitsde lamémoire !Autrementdit, lorsque l’enfant s’aperçoit d’une erreur oud’undécalage entre ce qu’il nesaitpasetcequ’ilaimeraitsavoir,ilressentduplaisiràl’idéed’apprendreetsescapacités de rétention s’optimisent.Ainsi, lorsque l’intérêt, la curiosité, l’élan,l’enthousiasme sont perceptibles chez l’enfant, apprenons à l’aider à aller aubout de ses conquêtes : il n’apprendra jamais aussi solidement que par lesexplorations spontanéesqui lemotivent.Lesneuroscientifiques sont très clairs

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là-dessus : plus il y a de curiosité, plus la mémoire est active, et plus lesperformancesd’apprentissageaugmentent2.ÀGennevilliers, nous avonsmêmepu constater une chose surprenante : les

connaissancesacquisesparlesenfantslorsdeleursactivitéschoisiesetmotivéesn’étaientpasseulementconservéesaprèsunepériodedevacances,ellesétaient,àmagrandesurprise,renforcées!Desenfantsqui,parexemple,poussésparunélan endogène3, avaient découvert par eux-mêmes comment lire des motsquelques jours avant les vacances scolaires de février savaient en décoderdavantageàlarentréesuivante!Nonseulementleurconnaissances’étaitancrée,maiselles’étaitapprofondie.

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ApprendreparsesexpériencesactivesL’être humain apprend donc par ses expériences actives en faisant des

prédictions.C’est lorsqu’il est attentif et engagéque son intelligencepeut êtresurpriseparundécalageentresaprojectionetlaréalité.Lecerveauréajustealorsses connexions et ses probabilités. Lorsque nous ne sommes pas activementengagés,nousne faisonspasdeprédictions,etnepouvonsparconséquentpaslesréajuster:pasoupeud’apprentissagesseréalisent.Desexpériencesmontrentparexemplequedessourisquel’ondéplacedansunpetitchariotauseind’unlabyrinthe pour leur montrer le bon chemin trouvent ensuite bien plusdifficilementlasortiequedessourisquiontpupréalablementexplorerl’espaceet se tromper de nombreuses fois.Celles qui avaient été engagées demanièreactive dans le labyrinthe, avaient fait des prédictions et avaient appris – lesautresnon.Voicidonclapremièreloi:pourapprendre,nousdevonsêtreactifs,engagés,

et nous devons percevoir immédiatement notre erreur pour ajuster nosconnaissances.Ilestàcepropostrèsintéressantdenoterquelesactivitésdanslesquelles s’engagent spontanément les enfants fournissent un contrôle del’erreurimmédiat: l’enfantréajusteseulsesprédictionssansêtredépendantdel’adulte.L’apprentissageestalorsextrêmementrapide.Aucun enseignant, aussi bon orateur et savant soit-il, ne pourra jamais

transmettre directement ses connaissances dans le cerveau de ses élèvessimplement en parlant. L’enfant doit pouvoir engager son mécanismed’apprentissageenfaisantlui-mêmedesprédictionsetenselaissantsurprendreparseserreurs,quil’inviterontàréajusteretàprécisersesconnaissances.Nousapprenonsdifficilementdeserreursetdesexpériencesdesautres.Nousdevonslesvivrenous-mêmes.«L’expérienceestunebougiequin’éclairequeceluiquilaporte»,écrivaitConfucius.Unepédagogieestdoncforcémentactive.L’êtrehumain apprend en faisant, et non en écoutant. Pour ceux qui en douteraientencore, uneméta-analyse de plus de 220 études comparant le coursmagistraltraditionnel à une pédagogie favorisant l’autonomie et l’engagement actif del’étudiant indique de manière extrêmement claire que l’apprentissage estnettementmeilleur lorsqu’il est induit demanière active. Les résultats positifsvalent pour toutes les matières testées : biologie, chimie, psychologie,informatique, géologie, mathématiques, physique, ingénierie4. Nous savonsaujourd’hui,tantd’unpointdevuethéoriquequepratique,quepourapprendre,nousdevonsêtremotivésetengagésactivement.Jetiensnéanmoinsàpréciserimmédiatementque,silarechercheindiqueque

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l’activité autonome de l’enfant est la meilleure option d’apprentissage, ellepréciseégalementque lesméthodesde ladécouvertepurequi laissent l’enfantdécouvrir lesconceptsentièrementpar lui-mêmesontàproscrire.LechercheurRichardMayer5arecenséunedizained’étudesindiquantquelesenfantsinvitésà découvrir seuls les règles qui gouvernent un domaine – comme laprogrammation informatique, le principe alphabétique ou lesmathématiques –éprouvent de grandes difficultés à le faire, et apprennent par conséquent demanière nettement moins efficace. Ces études ont été menées sur plusieursdécennies, et offrent donc un recul très intéressant. Si l’être humain est câblépour apprendre par sa propre activité, il n’est pas pour autant prédisposé àapprendreseul,sansaucuneaide.C’estlàtoutleparadoxe:lejeuneêtrehumaindoitapprendreparlui-même,maisavecl’aidedel’autre.

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L’indispensableguidancedel’autreLes sciences du développement humain mettent aujourd’hui en lumière cet

indispensable biais social de l’apprentissage : l’enfant possède un logicield’apprentissageextrêmementperformant,maisilabesoindel’autrepourlefairefonctionner,ilabesoindelaguidanced’unautreplusavancéquelui,quipuisselui indiquer les éléments importants à observer et à prendre en compte pourévoluer.Etilsembleraitquel’adultesoitcâblépourrépondreàcebesoindel’enfant.

L’adulte se met naturellement, dès la naissance de l’enfant, en posturepédagogique. Il enseignemalgré lui, ilnepeutpas faireautrement.Avez-vousparexemple remarqué la façondontnousparlonsàunbébé,mêmesicen’estpas lenôtre?«Bonjouuuuur toiii,mais t’es tellementmiiiignoooon toiiii, t’estroptroptropmignoooontoiii!»Ilsembleraitquelesnourrissonsadorentcettevoix maternante instinctive et répétitive, ce « parler bébé », et le préfèrentnettementàunevoixquis’adresseraitnormalementàunadulte.Leschercheurspensentquecettemanièredeparlerquiinsistesurlesvoyellespermetauxbébésdemieuxpercevoirlestonalités,lesrèglesetlessonoritésdeleurlangue.Mêmelesenfantsparlentspontanémentdecette façonauxbébés !Lenouveau-néestcâblé pour apprendre à grandevitesse,mais il semblerait que les autres soientcâblés pour l’aider à le faire. Lorsque nous commentons spontanément,mouvementparmouvement,cequefaitlebébé,nousl’aidons,sanslesavoir,àorganiser lemonde,àplanifiersesgestesetàprécisersonlangage.«Voilà, tuprends le cube et tu le poses sur l’autre cube. Ah ! il est tombé. Oh ! tu lereprendsetturecommences!»Larecherchemontreque,desoncôté, lebébéestparticulièrementattentifà

cette posture pédagogique naturelle de l’adulte : il repère très rapidement unesituation où l’adulte essaie de lui transmettre quelque chose, son attentiondevient alorsoptimaleet il seplace spontanément enpositiond’apprentissage,accueillantavecconfianceetsérieuxcequel’adulteveutluitransmettre.Lebébépeutpassercomplètementàcôtéd’unapprentissagesi l’adulteneprendpas letemps de le regarder dans les yeux, de lui adresser un ton chaleureux, ou depointerdudoigtquelquechosedel’environnement.Leregard,lepointageetlavoix chaleureuse sont pour l’enfant ce que l’on appelle des signes sociauxostensibles,quiindiquentqu’unenseignementimportantvaluiêtreproposé.Sonattention est alors forte, son mécanisme plastique s’active, prêt à recevoir del’information.Àl’inverse,sil’enfantneperçoitpassessignes,sonattentionn’estpasdirigée

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etilpeutpassercomplètementàcôtéd’unélémentoud’unchangementpourtantflagrantquiauraitlieudanssonenvironnement.Enl’absencedecetteattentionpartagée entre l’adulte et l’enfant, nous savons par exemple aujourd’hui qu’iln’yaurapas–oupeu–d’apprentissagelinguistiquechezlejeuneenfant6.Lesjeunesenfantsneretiennentpaslesmotsnouveauxqu’ilsentendentsiunadultenepointepasdudoigtl’objetoun’attirepasl’attentiondel’enfantsurl’objetaumomentoùlemotestprononcé.C’estmalheureusementlecasaveclesdessinsanimés–mêmecertifiéséducatifs–pourlesbébés.Àmoinsqu’ilsnevendentunadulteréelavecleDVD–cedontjedoute–,leurefficacitéestnulle,outrèsinsignifiante:silejeuneenfantestseulfaceàl’écran,ilneretientquetrèspeud’éléments,voireaucun.C’estnotammentcequemontredemanièresaisissanteuneétudedirigéepar

Patricia Kuhl, neuroscientifique, experte de l’acquisition du langage chez lesbébés. Souvenons-nous. Nous avons évoqué une période critique d’élagagesynaptiqueentre9et12mois,aucoursdelaquellelebébéde9moisestcapabled’entendre tous les sons de toutes les langues du monde, mais, passé cettepériode,3moisplustard,c’est-à-direà12mois,lebébén’entendpluslessonsauxquels iln’apasété régulièrementexposé.Lecerveaus’estspécialisé.Dansleurétude,PatriciaKuhletsonéquipesouhaitaienttesterlacapacitéducerveauhumain à garder la trace d’une autre langue si l’enfant y était régulièrementexposéavantlafindelapériodecritique,c’est-à-direavant12mois.C’estainsiquedesbébésde9mois, issusde familles anglophones,ont été régulièrementexposésàduchinoismandarin.Lesbébésont tousbénéficiéde12sessionsde25minutesd’expositionaumandarin7.Or,etc’estlàqueleschosesdeviennentextrêmementintéressantes,lesbébés

ontétérépartisentroisgroupes:ungroupedebébésbénéficiaitdelaprésencedevraisadulteschinoisquiluilisaientdeshistoiresetinteragissaientaveclui;un autre groupe d’enfants a été exposé aux mêmes adultes et aux mêmeséchanges,maissousformedeprésentationsvidéo;etenfin,untroisièmegroupede bébés n’était exposé qu’à la bande sonore de la vidéo. Les chercheurss’attendaientàcequelesdeuxpremiersgroupessoientautantcapablesl’unquel’autred’entendreaprès12moislessonsmandarins.Àleurtrèsgrandesurprise,cenefutabsolumentpaslecas.Lesbébésayantbénéficiéd’unevraieprésencehumaineétaienteneffetcapablesdediscriminer lessonsmandarinsaussibienquedesbébés chinois, cequin’était pas le caspour lesdeuxautresgroupes :pour les bébés ayant écouté la voix pré-enregistrée de l’adulte, et pour ceuxayantregardéetécoutéuneséquencevidéofilmée,l’apprentissageavaitéténul.Rien. Sans présence humaine,même avec une jolie vidéo, les bébés n’avaient

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absolument rien retenu. « Nous étions stupéfaits », avoue Patricia Kuhl auNationalGeographic8. « Cela a fondamentalement changé notre regard sur lecerveau.»Privédelaposturepédagogiquenaturelle,dupointage,del’attentionpartagée avec l’adulte, le mécanisme d’apprentissage de l’enfant, aussisophistiquésoit-il,n’esttoutsimplementpascapablede«fairequelquechose»desinformationssensoriellesqu’ilreçoit.C’est exactement ce genre d’expérience qui fait dire aux neuroscientifiques

queledéveloppementlinguistique,cognitifetémotionnelseréaliseparunbiaissocial. Il fautque l’adultepuisse suivre le regardde l’enfantpournommerunobjet qu’il pointe du doigt, car c’est cette réponse immédiate qui permettra àl’enfant un réel apprentissage linguistique. Par ailleurs, l’enfant reçoit unequantitéimmensed’informations,etl’étayagedel’adultel’aideàhiérarchiser,àfixersonattentionsurleplusimportantgrâceauregard,àlavoixetaupointage.Face à ces signes, c’est-à-dire lorsque l’adulte pointe du doigt un élément del’environnement, regarde quelque chose de particulier, ou change de ton ens’adressant à l’enfant, l’attention de ce dernier s’optimise et son mécanismeplastiquesetientprêtàapprendre.Ilestdonccapitalpournousadultesd’écouternotreinstinctspontanéquinous

inciteàrechercheruneattentionjointeavecl’enfantlorsquenoussouhaitonsluimontrerquelquechose.Et soyonsclairs : cet étayage social, nécessaire etnonnégociable pour l’apprentissage, est réellement efficace lorsque l’interactionentre l’adulte et l’enfant est individualisée. Face à plusieurs jeunes enfants, ildevient difficile pour l’adulte de se connecter par le regard et d’apporter unétayage approprié pour chaque enfant. Il est réellement temps de revoir notrecopieéducative,etd’apporterà l’intelligencehumaineenpleindéveloppementcequ’elledemandepours’épanouir:uneguidancenettementplusindividualiséeet,cefaisant,nettementplushumanisée.Noussommesdesêtressociaux,notreapprentissageestdoncavanttoutsocial.Iln’yaplusaucundoutesurcepoint.Aussipuissammentéquipésoitlejeuneenfantdanssespremièresannéesdeviepour apprendre, sa capacité d’apprentissage est totalement conditionnée par laqualité de l’éclairage que nous lui apportons pendant qu’il réalise sesexpériencesactivesdanslemonde.Ainsi,queceuxquiseraienttentés,lorsdecettepériodedeforteplasticité,de

proposer à l’enfant des jeux prétendument éducatifs sous forme d’applicationspour smartphones ou de DVD interactifs, pour développer le nombred’expériencesetd’apprentissagesenvocabulaire,mathématiques,ouenlanguesétrangères, sachent bien que les écrans – fussent-ils certifiés « efficaces » oulabellisés«Montessori»–n’ontquepeud’effet sur lesapprentissagesdenosjeunes enfants. Ils présentent par ailleurs deux inconvénients, qui sont à mon

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sensdesproblèmesdesantépubliquemajeurs:–premièrement,ilspriventnosenfantsdesinteractionshumainesdontilsont

besoinpourapprendre;toutcetempspasséderrièreunécranestdutempsperdupour apprendre réellement quelque chose par le biais enthousiasmant du lienhumain;–ensuite,ilsdétraquentcomplètementlesystèmeattentionneldenosenfants.

Nous les voyons les yeux écarquillés, totalement hypnotisés, et nous pensonsque cela canalise et entraîne leur attention. C’est totalement faux. Leurs yeuxgrand ouverts indiquent qu’ils sont passés sur un mode attentionnel, non pasd’apprentissage, mais d’alerte. Leur cerveau est comme surpris par le débitinhabituel d’images et active unmode d’attention qui prépare l’être humain àl’attaque ou à la défense. Ce système attentionnel d’alerte, qui n’est dans laréalité pas censé durer plus de quelques secondes, épuise pendant de longuesminuteslesystèmenerveuxdesenfants,quiontbeaucoupdemalparlasuiteàfocaliser leurattentionaumomentoùnouscherchonsà leurenseignerquelquechose d’important…Or, si les enfants sont incapables d’être attentifs à notreposture pédagogique, cela devient très problématique : nous savons que lacapacité du bébé et du jeune enfant à joindre son attention à celle de l’adultepréditlaqualitédesondéveloppementlangagieretdesescompétencessocialesfutures9.Les écrans peuvent donc enclencher un véritable cercle vicieux. Combien

d’enseignants,d’orthophonistesleconstatentaujourd’hui?Jen’entreraipasdansles détails des grandsmaux de l’exposition précoce aux écrans, mais je tiensnéanmoinsàapportermontémoignage,carnousavonsclairementremarquéquel’expositionauxécransétaitunfreinà l’épanouissementdesenfants.Ceuxquiregardaientlepluslatélévision–voires’endormaientavec–étaientrepérablesàleur comportement après quelques jours de classe seulement. Ils étaienttotalementincapablesdefocaliserleurattentionsurunetâcheousurunélémentquenouslesinvitionsàprendreencompteparleregard,lavoixoulepointage.Leursystèmeattentionnelsemblaitcomplètementinstable.Àlafoissurexcitésetépuisés, ces enfants étaient électriques. Mes échanges avec leurs parents ontconfirmé mes intuitions : il s’agissait bien d’enfants qui passaient au moinsquatre heures par jour devant la télévision, un écran de smartphone ou unordinateur, et cela après des journées d’école de six heures. Certains avaientmême passé leur première année de vie devant des dessins animés… Ledéveloppementde leurssystèmesattentionnel, linguistique,moteuretsocialenétaittrèssérieusementaltéré.Lesparentsn’étaient absolumentpasdemauvaisevolonté, au contraire : ils

pensaientsimplementquelesémissionspourlesbébésetlesenfantsétaientun

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support pédagogique adapté et pertinent, leur permettant de développernotamment des compétences linguistiques. Certains programmes pour enfantsrevendiquenteneffetcela.Desapplicationsmarketées«Montessori»ontmêmerécemmentvulejourpourlespetits…Dequoifairepenserauxparentslesplusattentionnésquelesécransconstituentunexcellentchoixéducatif.

« Ce qu’il y a de bien quand on sait ce que dit vraiment la science, écrit AlisonGopnik, psychologue cognitif spécialiste de l’apprentissage chez les jeunes enfants,c’estqu’ondisposealorsd’unesortedescepticismeprotecteurquidevrait rendre trèssuspectetouteentrepriseproposantuneformulepourrendrelesbébésplusintelligentsouplussavants,decertains jeuxpseudo-éducatifsauxcassettesdeMozartenpassantpar les instituts pour futurs surdoués. Tout ce que nous savons des enfants suggèrequ’aumieux, ces interventions artificielles sont inutiles, et qu’aupire, elles distraientdesinteractionsnormalesentreadultesetenfants10.»

L’absence de positionnement de l’État en la matière est coupable dedommages édifiants, que les professionnels sont aujourd’hui nombreux àconstatersur le terrain.Lestravauxsur lesujetnemanquentpourtantpaspourprendre position : des centaines d’études scientifiques internationales nousmettentengarde11.Noussavonsquel’expositionprolongéeauxécransdétraquecomplètementlesystèmeattentionneldesenfants.Plusieursheuresquotidiennespasséesdevant lesécrans leurfontperdreparailleursuntempsprécieuxoùilspourraient être actifs et engagés dans des interactions avec l’adulte, etdévelopperainsileurautresystèmeattentionnel–ditexécutif–,enréalisantdesexpériences actives qui les motivent. Ainsi, plus un enfant est exposé à cesperturbateursattentionnels,plusilrencontrededifficultésàseconcentrerensuitedanslavieréelle.Au sein de la classe de Gennevilliers, nous pouvions repérer le matin à

8 heures un enfant qui venait de passer trente minutes devant des dessinsanimés : ilmontrait des signesmanifestes de fatigue.Lorsqu’il entrait dans laclasse, soit il s’endormait immédiatement dans le coin bibliothèque pendantqu’un grand lisait une histoire, soit il était électrique, incapable de poser sonattentiondemanièreprolongéesuruneactivité.Jemesouviensd’unenfantquin’arrivaitmêmepasàresterassissurunechaisecalmementplusd’uneminute.Impossible, bien évidemment, dans ce cas d’obtenir de sa part une attentionpleineplusde cinq secondes.La conséquencede cedéfaut d’attention évidentfutsansappel:cetenfantn’apprenaitpas,ousipeu.Pendantprèsdedeuxans,nous avons essayéde lui venir en aidede toutes lesmanières possibles.Annapassaitun tempsconsidérableavec luiquotidiennementpour tenterd’entraîner

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son attention avec des activités intéressantes, précises et exactes. Mais, aprèsdeuxansd’essaisvains,jedusmerendreàl’évidence:silesystèmeattentionneldecetenfantcontinuaitd’êtredétraquéplusieursheurespar jour, ilnepourraittoutsimplementpassereconstruireetsestabiliser.Cetenfantétaitadorableetplein de vie, mais il passait ses journées à embêter les autres, parlaitextrêmementfortetétait incapabledesecontrôler.J’avaisplusieurs foisalertéses parents, en leur demandant de réduire l’exposition aux écrans pendantquelquessemaines.Mademandefutinfructueuse:lepetitgarçoncontinuaitderegarderlatélévisionplusieursheuresparjour.Aprèsdeuxannées, leplusgrand serviceque jepouvais rendreà cet enfant

étaitdedireleplussincèrement,etaveclaplusgrandebienveillancepossibleàses parents, que je ne pouvais plus rien faire sans une aide de leur part. Lesautresenfantss’étaientdéjàépanouisdemanièreremarquable,ilsétaiententrésdanslesapprentissagesavecbeaucoupdefacilitéetdejoie.Inquiets,lesparentsontcettefoiscommencéàentendremonmessage.«Pardonnez-moi,leurdis-je,j’ai tout essayé, tout. J’ai même décidé ces deux dernières semaines de nem’occuper que de votre fils, six heures par jour, pour tenter de l’aider à seconcentrer sur une activité – n’importe laquelle qui aurait été susceptible del’intéresser – pour tenter d’augmenter ses capacités d’attention. Mais je doisvous le dire,mes efforts ont été vains et ils continueront de l’être tant que jeserai seule àm’acharner sur le symptôme sans que nous traitions ensemble lacause.Ils’agitmaintenantdeladeuxièmeannéequej’essaied’aidervotrefils,etvoussavezque je faispourcela toutcequiestenmonpouvoir.Or,aprèscesdeuxannéespasséesàtoutessayer,jecroissincèrementquejenepeuxrienfairetant que votre enfant continuera d’être exposé autant aux écrans. Et, dans soncas, je ne pense pas que réduire le temps d’exposition serait une aidesignificative. Je suis convaincue qu’il doit être complètement soustrait à cetteexposition.»Cesparents,attentifsetd’unegrandebienveillance,meconnaissaientdepuis

deuxansetsavaientmonengagementtotalenversleurenfantetsescamarades.Nousavionsun liendeconfianceetdegrandrespectmutuel. Ilsvoyaientbienqu’iln’yavaitdemapartaucunjugement,seulementunimmensedésird’aiderleurenfant.Ilsontdoncaccepté.Jeleuraidemandétroismoisd’essai.Leweek-endsuivant,touslesécransdelamaisonfurentdescendusàlacave.Nousétionsloin de nous imaginer qu’après seulement trois semaines de sevrage, ce petitgarçon se serait progressivement apaisé et aurait développé des capacitésd’attentionqui luipermirentd’entrerdans la lecture, comme les camaradesdesonâge.Àmaconnaissance,lesécransnesontjamaisremontésdelacave.Ainsi,pourapprendreet sespécialiserefficacementaumondequi l’entoure,

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l’enfant abesoindenous. Il n’apprendpas assisderrièreun écran, ni en étantlivréàuneexplorationsauvageetdésordonnéedesonmilieu.Adopterl’attitudela plus adaptée pour l’aider à conquérir le monde n’est au fond pas trèscompliqué:ilnoussuffitdenouslaisserallerànotretendancenaturelle,quelestress, nos smartphones et l’empressement de nos sociétés nous font parfoisoublier.Lorsquenousvivonsàsescôtés,prenonssimplementletempsdenousarrêter avec lui à chacun de ses étonnements et de ses questionnements – unejolie fleur, un papillon, l’attitude d’un ami, le goût d’un aliment – et de lescommenter sobrement, en répondant précisément à ses questions et en luilaissanttoutelaplacedes’exprimer.Lorsquenoussommespleinementprésentsà la relationetdisponiblespour l’échange,nous luioffrons lemeilleursupporttechnique et pédagogique qui puisse exister au monde pour épanouir sonintelligence : notre étayage bienveillant individualisé. L’adulte joue un rôle siimportant pour orienter l’attention de l’enfant qu’il est considéré comme unélément-clédusystèmed’apprentissage.Etjetrouveparticulièrementintéressantde relever le terme utilisé par les chercheurs qui étudient actuellement cetteposture pédagogique que prennent spontanément et mutuellement l’adulte etl’enfant:cephénomèneaétéappelépédagogienaturelle12.Cette attention partagée semble être la voie naturelle de la transmission :

l’enfant acquiert rapidement les connaissances importantes sur le monde quil’entoure. Au sein de la classe maternelle de Gennevilliers, cette posturenaturelleentrel’enfantetl’adulteaétérespectéeautantquepossible,notammentà travers un accompagnement des enfants totalement individualisé. Chaqueactivité,chaqueélémentimportantdel’environnementdelaclasseétaitprésentéde manière individuelle ou en tout petit groupe de deux ou trois enfants. Jepouvaisainsiguiderchacundesenfantsavecuneattentionpleine,chaleureuseetadaptée à ses besoins et à ses intérêts. Ces mises en lien individuelles avecl’environnement étaient possibles grâce à l’autonomie des autres enfants, quipouvaientlibrementchoisirtoutelajournéelesactivitésquileuravaientdéjàétéprésentéesetlesréaliserseuls,ouavecunoudeuxcamarades.Notre étayage est donc nécessaire, mais attention, la recherche montre

également que, s’il est trop explicite, il freine l’exploration : s’il n’y a rien àdécouvrir, l’enfant ne sera pas motivé et ne s’engagera pas dans l’activité. Ils’agitdoncdeguiderparunétayageponctueletnoninvasif,quioffrelesclésetlaisse l’enfant ouvrir les portes. Prenons l’exemple de la lecture. Il suffit dedonnerlescorrespondanceslettres-sonsàl’enfant,puisdelelaisserexplorerledécodage spontanément, en s’amusant par exemple avec des camarades à

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comprendrelesenscachéderrièreunesuitedelettres.Cettemanièredeprocéderestbeaucoupplusefficacepourquel’enfantapprenneàlirequedeluidonnerleson des lettres et de le pousser ensuite à décoder systématiquement, par unapprentissage hyperstructuré, des suites de syllabes sans aucun sens sur unmanuel scolaire, en ne laissant aucune place à l’exploration active, àl’enthousiasmeniàladécouverte.Pour l’adulte qui souhaite accompagner efficacement les enfants, il s’agit

donc de trouver le bon équilibre : aider, mais pas trop, au risque d’entraverl’enthousiasme de l’enfant. Cette posture ne peut s’apprendre que partâtonnements,enfaisantdeserreurs,ens’apercevantquecettefois-cinousavonstropaidé,maisqu’uneautre fois,cen’étaitpassuffisant.Enavançantainsidemanière progressive et empirique, nous ajustons nos pratiques à la réalité del’enfant.L’adultequicommenceuntelaccompagnementdoitfairepreuved’unegrandebienveillanceenverslui-même,ets’autoriserdenombreuseserreurs:cesontellesetuniquementellesquiluipermettrontderéglersespratiquesauprèsdes enfants. Pour les adultes comme pour les enfants, il est fondamental des’entourerd’autrespersonnesquinejugerontenaucuncasleurs«erreurs»–quin’ensontpas.Cequenousappelons«erreur»,etquenousconnotonsdefaçonnégative,estpourtantlaseuleportequimèneàlaconnaissanceetàl’expertise.La véritable connaissance s’est érigée sur de nombreuses erreurs. Apprendre,c’est se tromper, prendre conscience de notre prédiction erronée et latransformer. Iln’yaquecette suitedechocsavec la réalitéquinouspermetted’évoluer.Unêtrevivantquinesetrompepasn’apprendpas:ilstagneaumêmeniveaudeconnaissance.

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L’indispensablemélangedesâgesIlaétémontréquelesenfantsd’âgesdifférentsadoptentnaturellemententre

euxcetteposturepédagogiquenaturelle : ils seguident lesuns les autresdansleur exploration du monde en pointant les éléments importants à prendre encompte ; ils échangent leurs expériences et leurs connaissances, de manièrenaturelle,progressiveetadaptée.Ilss’enseignentetseplacentnaturellementenposition d’apprentissage sans même s’en rendre compte. Les chercheurs ontnotamment observé cephénomènedans les fratries13.Les plus avancés sur unsujet enseignent de manière informelle, et les « enseignés » reçoivent cesenseignementsavecbeaucoupdesérieux,d’attention,etlesretiennentavecunegrandeefficacité.Auseindefratriesoudeclassesmulti-âgesoùlesenfantssontautonomes,ilsbénéficientainsitoutelajournéedesenseignementsinformelslesunsdesautres,etabsorbentcesavoiravecunenthousiasmeextraordinaire.Nous l’avons constaté dans la classe de Gennevilliers, qui regroupait trois

niveauxd’âge:l’étayagenécessaireàl’apprentissagesetrouvaitdémultiplié,etlesinteractionsdesenfantsavecleurscamaradesplusâgésoffraientparailleursde nombreuses opportunités de détecter leurs erreurs. Un seul enseignantn’aurait jamais pu réaliser autant d’étayages individualisés et de retoursd’information. C’est en quelque sorte comme si les enfants avaient bénéficiéd’unevingtained’autresenseignantsprêtsàleurindiqueruneerreurdemanièreneutreetinformelle.Ilssecorrigeaientconstammentetapprenaientàunevitessesurprenante. Il m’arrivait tous les jours d’être surprise en constatant que l’und’entre eux avait assimilé quelque chose de tout à fait remarquable et avancé,sans mon aide. Il m’était parfois même difficile de suivre leur progrès. Lasituation se renversait donc totalement : plutôt que de pousser les enfants àapprendre, ilme fallait souvent beaucoupde concentrationpour les suivre ! Ilpeut être assez déroutant pour l’adulte de passer de cet extrême à l’autre.Néanmoins,ils’agitd’unedéstabilisationheureuse.Noussommestémoinsdelaviequirejaillit,etc’estunejoiedesefairebousculerparsaforce.Lafascinationdes plus jeunes pour les plus âgés leur donnait des ailes : ils voulaient toutapprendre d’eux comme les cadets apprennent de leurs grands frères. Leurscamarades plus âgés leur offraient un enseignement stimulant, mais pasdécourageant, proche de ce que Vigotsky appelait la zone proximale dedéveloppement14.Celalesmotivaitbeaucoup.À l’inverse, les plus avancés ou les plus âgés consolidaient de manière

extraordinaire leurs connaissances en les partageant avec leurs camarades : enenseignantspontanémentetnaturellementauxautres,leurscircuitsneuronauxse

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réactivent,etleursconnaissancesensontfortementconsolidées.Cemélangedesâges n’est donc pas uniquement bénéfique aux plus jeunes. Les enfantss’aperçoiventparailleursrapidementdesmotsquileurmanquentpouraiderlespetits, ils doivent apprendre à être clairs, progressifs, flexibles, patients etempathiques.Cefaisant,enplusdepréciseretdeconsoliderleursconnaissances,ils développent des compétences cognitives absolument essentielles au pleinépanouissementetàlaréussite–lecontrôledesoi,lamémoire,laplanification,la flexibilité cognitive15. Et ce n’est pas tout : ils apprennent également àrépondreauxbesoinsdesautresavecempathie.Ilsfontd’ailleurssouventpreuved’une grande créativité pour aider leurs camarades en difficulté et trouver dessolutionsadaptéesàchacun.Lesenfantsdeviennentalorsdevéritablesexpertsdesactivitésqu’ilsaiment

enseigner, ainsi que des pédagogues alertes, bienveillants, flexibles, patients,créatifs. L’être humain, lorsqu’il peut être reconnecté à sa véritable naturesociale et lorsqu’il peut être libéréde touteoppressionverticale contraignante,forcel’admirationetlerespectleplusprofond.La posture pédagogique naturelle qu’adoptent les enfants n’est pas le seul

critère intéressantenfaveurd’unmélangedesâges.Celui-cipermetégalementauxpetitsdebénéficierdesacquisdesplusgrandsenétudiantetenmodélisantleursgestesetleursperformancesplusévoluées,notammentleursperformanceslinguistiques. Cette imprégnation rapide, naturelle et inconsciente n’est paspossibleauseind’uneclassetraditionnelleàniveauunique:apriori,l’enfantneva pasabsorberunmeilleur niveau de langage ou d’autonomie au contact decamarades de classe à peine plus autonomes ou plus à l’aise linguistiquementquelui.L’Institutionosecequelanatureasansdoutejugétroprisqué–outroplimitant:elledésigneuneseulepersonne,l’enseignant.Ainsi,encaricaturantunpeu,lasourceprincipaled’absorptiondel’enfantenmaternelledépendd’unseulindividu, ce qui, outre le fait d’être inacceptable pour un cerveau en pleinematurationquidemandeàêtrenourrigénéreusement,est toxiquepour la santéde l’adulte qui s’épuise à nourrir, à lui seul, plus d’une vingtaine d’enfantsaffamésd’expériences.Renversons donc ce flux d’énergie actuellement vertical, épuisant pour

l’adulte et peu nourrissant pour les enfants, et passons-le à l’horizontale enrendantauxenfantsleurpleineautonomie.Libéronsainsietl’adulteetl’enfant.Faisonsensortequegrandirsoitànouveauuneconquêteheureusesoutenueparl’étayage individualisé, bienveillant et calme de l’adulte. Cela sera hautementbénéfique pour tous. Pour les enfants d’abord, qui, malgré la quantitédémultipliée de leurs échanges et de leurs expériences seront pourtant moinsfatigués,carilsn’aurontplusàsecontenirtoutelajournéepourécouteretsuivre

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le rythme de l’adulte. Cela sera également extrêmement libérateur pourl’enseignant,quiseraplusdétenduetplusenforme:iln’auraplusàprendreenchargeuneverticalitécontrôlante,stressanteetéreintante,oùtoutdépenddelui.L’adultepourrasedétendre.Dégagédececarcandanslequelilnepeutêtrequedans la force et le contrôle, il peut maintenant rayonner et accompagner lesenfantsaurythmede leurs intérêtsetde leurs temporalités individuels. Iln’estplusseulàporterlaresponsabilitédel’épanouissementdespluspetits, lesplusgrandsprenantvolontiersenchargecettetâchegalvanisante.Ce mélange des âges et cette horizontalité permettent également à tous les

enfantsdeseconfronteràuneplusgrandevariétédecomportementssociaux.Ilspeuvent ainsi naturellement encoder et appréhender les rouages des relationssociales d’une façonbeaucoupplus richequ’en étant uniquement confrontés àdes camarades du même âge. À Gennevilliers, grâce à cela, les enfants ontdéveloppé une intelligence sociale remarquablement avancée : ils ont appris àaider, àcommuniquer, ilsontpus’imprégnerdedifférentsprocessusmentaux,ainsiquedesacquissociauxdesplusgrands,etprogressivement,ilsontpuoffrirdesréponsessocialesetémotionnellesraffinéesetadaptéesauxbesoinsdeleurscamarades. Cela nous a énormément été rapporté par les parents. Les enfantsn’avaient plus peur des autres, ils étaient très sociables, polis, ils savaientapporter une aide appropriée à un enfant et même parfois à un adulte endifficulté. Le mélange des âges n’est donc pas uniquement un catalyseurd’apprentissages « scolaires » ; il s’agit également, et surtout, d’un catalyseurd’épanouissementpourl’intelligenceémotionnelleetsociale.Forcerlesenfantsàvivreessentiellementavecdesindividusdumêmeâgereprésentepoureuxnonseulementunegrandeprivationcognitive,maiségalementuneprivationsocialeetaffective.AuseindelaclassematernelledeGennevilliers,desenfantsde3,4et5ansvivaientensembletoutela journée.Nousn’avonspaspuallerau-delà,mais à l’avenir, dans le cadre de la poursuite de notre expérience, nousaugmenteronsconsidérablementl’amplitudedecemélangedesâges.Nousavonségalementnotéquecettediversitésocialeapportaitunsentiment

de cohésion et de sécurité très fort. Les plus jeunes étaient rassurés etenthousiasmés par la présence d’enfants plus âgés. En début d’année, peud’enfants de 3 ans qui effectuaient leur première rentrée à l’école ont pleuréd’êtreséparésdeleursparents:enentrant lapremièrefoisdanslaclasseetenapercevantdesenfantsplusâgésquiétaientdéjàenactivitéetengagésdansdesinteractions vivantes et heureuses entre eux, leur chagrin disparaissait pourlaisser place à la curiosité. Ils les regardaient faire, absorbés. Ils avaient lapossibilitéderesterlà,sansattenteparticulièredenotrepart,àobservertoutcequi se déroulait devant eux. Ils n’étaient pas obligés d’être engagés dans des

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activitésoudesuivreunrythmeséquencéquiauraitpulesbrusquer.Ilsavaienttout le temps de s’acclimater à ce nouvel environnement, en observant leurscamaradesplusâgésyvivre.Cettechaleurentre les enfantsest irremplaçable.Ellegénèreungrandbien-

être et un sentiment de sécurité qui portent les enfants et leur permettentd’exploreretdes’engagerdansdesapprentissagesavecconfiance.Cesentimentdesécuritéetcesélansd’entraidespontanésn’émergentpasaussifacilementetavecautantdeforcelorsqu’onregroupearbitrairementdesenfantsparannéedenaissance.J’aiétésouventémueenobservantcequiseproduisaitauseindelaclasse.Cesscènesnaturellesd’entraidesontdecellesquim’ontparticulièrementtouchée, non parce que les enfants avaient des comportements aimants etgénéreux, mais parce que ces actes altruistes, patients et bons émergeaientnaturellement – sans que nous ayons cherché à les provoquer. Nous avonssimplement offert les conditions qui ont permis aux tendances naturelles desenfantsdeserévéler:lapremièreconditionconsistaittoutsimplementàlaisserdes enfants d’âges différents évoluer ensemble ; la seconde condition fut lecomportementfortementprosocialqu’Annaetmoiadoptionsauquotidienetqueles enfantsmodélisaient inconsciemment : nous faisions notremaximum pourêtre toujours calmes, patientes, compréhensives, à l’écoute, disponibles etbienveillantes ; et ce, tant entre nous qu’envers les enfants. Néanmoins, nousétionsstrictesetfermeslorsquec’étaitnécessaire–ilnes’agissaitcertainementpasdelaisserl’intelligencehumaineseconstruiredansledésordreetlechaos.Le reste du temps, notre attitude empathique, calme et conciliante fut

fondamentalepouraiderlesenfantsàdévelopperdebonnesaptitudessociales:nousl’avonsdit,dotésd’unegrandeplasticitécérébrale,lesenfantsengrammentnoscomportementsetnosattitudesquotidiennes.Parconséquent, l’exigenceetlarigueurquenousavionsenversnospropresréactionsetcomportementsétaienttrèsgrandes.Nousprenions toujours le tempsd’écouter les enfantsqui étaientdébordés par une émotion, nous les aidions à formuler leurs sentiments, à lescomprendre,etnouscherchionstoujoursàoffrirlaréponselaplusadaptée,sansjugement.Encasdeconflitsoudedétresseémotionnelle,nousnousefforcionsd’aider les enfants à prendre du recul par rapport à leurs émotions en lesnommant.Unefoislesgrandesémotionsidentifiées,nousinvitionslesenfantsàles exprimer auprès de ceux qui les avaient provoquées. Verbaliser leursémotionsauprèsdeleurscamaradescomportaitdeuximmensesavantages:nonseulementcelaapaisaitimmédiatementl’enfantoffensé,maiscelapermettait ledéveloppementdel’empathiechezl’autre,quiprenaitconscience,sansquerienlui soit demandé en retour, des conséquences de son comportement chez soncamarade.Enexprimantcalmementleursémotions,etenpermettantauxautres

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delesressentir, lesenfantsrestaientconnectés–mêmeencasdeconflit.Noustravaillions toujours à ce que le lien humain soit nourri, renforcé plutôt querompu.Conservercetteconnexionempathiqueencasdedisputefutdifficilelespremièressemainespourcertainsenfants;maisavecdutemps,delaconfianceetdelarégularité,ilsysontparvenus.Il ne s’agissait pas pour les enfants qui avaient dérangé leurs camarades de

«demanderpardon»maisd’écouterl’émotiondel’autre.Le«pardon»venaitalors parfois naturellement avec une grande sincérité : certains enfants semettaient à pleurer à chaudes larmes en percevant le sentiment qu’ils avaientgénéréchezcelui-ci.Ilsnesesentaientjugésniparl’adulteniparleurcamarade,ils n’étaient pas en position de défense et pouvaient par conséquent recevoirl’émotiondel’autre.Mêmesij’avaisconsciencedelapuissancedumécanismeplastiquedesenfants,jefustoutdemêmetrèsémueettrèssurprisedevoirlesenfantsreprendre,spontanément,avecleplusgrandnaturel,cettepostureentreeux.Quelle émotioncela futpournousdeconstater,quelques jours seulementaprès le démarrage de l’expérimentation, que certains enfants prenaient encharge des camarades qui avaient besoin de réconfort, même s’ils étaient dumêmeâge,enutilisantparfoislesmêmesmotsetlesmêmesattitudesquenous!Nousavonsmêmeobservédesplusjeunesrassurerdesenfantsplusâgésqu’eux.Quel spectacle ! Quelle joie ! C’est l’image que je retiens le plus de monexpérience : la bonté et la chaleur des enfants entre eux. Ces élans empreintsd’amour furent très émouvants à observer et redonnaient une foi solide enl’humanité.Aprèsavoirvécucetteexpérienceextraordinaire, j’entrevoispour lasuitede

mes recherches un environnement où, comme dans la vie réelle, les enfantsbénéficieraientdesenseignementsetdesexpériencesdepersonnesâgées, ainsiquedelaprésencedetoutjeunesbébés,pourfinalementrecréerunespacedevieréel,oùlesêtreshumains,câbléspourvivreensemble,neseraientplusséparésmaisré-unis.Lemélangedesâgesnedevraitmêmepasêtreuneoptionpédagogique:hors

cadrescolaire,nousnevoyonsjamaisdesdizainesd’enfantsde3anssetenirparla main pour apprendre gaiement les uns des autres. Non. Ils recherchent aucontrairelaprésenced’êtreshumainsd’âgesdifférents,plusjeunesetplusâgésqu’eux.Imposerauxenfantsuneviecollectiveavecdescamaradesnéslamêmeannéereprésenteunediètesociale,cognitiveetaffectivesévère.L’êtrehumainestcâblépourapprendreavecd’autreshumainsplusjeuneset

plus âgés que lui. Le plaisir que les enfants prennent à être ensemble, às’enseigner et à être enseignés demanière informelle les emplit d’une joie etd’unapaisementtelsqu’ilsembleraitquecesoittoutelanaturequilesypousse.

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La classe devient alors un lieu d’émulation, de liberté et d’émancipationcollective.

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Lamotivationendogène16

L’engagement actif, l’étayage de l’autre et le mélange des âges sont troisparamètresfondamentauxdel’apprentissagepourlejeuneenfant.Mais,soyonsclairs, ils ne suffisent pas : si je vous invite à apprendre à faire du tricot entricotantvous-mêmes,vous serezengagés ; si jevousmontrequelquespoints-clés de base à partir desquels vous pourrez largement explorer cette pratique,vous aurez également bénéficié de mon étayage ; mais si le tricot ne vousintéresseabsolumentpas,vousserezcertesengagésetaccompagnés,maisvousapprendrezpeu.Eneffet,sanscuriositépersonnelle,votremémoireneseraquefaiblementactivée.Pourapprendre,ilnousfautdoncêtreparailleursintéressésparl’activitédanslaquellenousnousengageonsafinquenotremémoires’activedemanière optimale et que nous ressentions un élan porteur qui nousmèneratrèsvitetrèsloin.J’ai croisé beaucoup d’adultes qui, inintéressés par les sujets proposés à

l’école, se retrouvèrentenéchecdès leplus jeuneâge : les informationsne sefixaientpasdansleursréseauxneuronaux.Ilssepensaientstupidesetincapablesd’apprendre, jusqu’au jour où certains se sont découvert un enthousiasmeparticulierpourun sujet : ils furent surprisde constaterqu’ils étaient capablesnon seulement d’apprendre, mais également de retenir une quantitéextraordinairedechosesentrèspeudetemps.Je précise que cette motivation doit être endogène pour être réellement

efficace, c’est-à-dire qu’elle doit provenir de l’individu.Unemotivation de cetype nous appartient, elle nous porte, nous recentre et nous gonfled’enthousiasme. Il s’agit de la motivation qui nous permettra de répéter denombreusesfoisnotreactivitésansmêmenousapercevoirdutempsquipasse.Ilexisteeneffetunautretypedemotivation,cellequivientdel’extérieur,dite

exogène.Ils’agitparexempledelamotivationquinouspousseàapprendrepourobtenir quelque chose en retour : avoir une bonne note à son contrôle pourobtenir une nouvelle paire de baskets par exemple, plutôt que d’apprendre unsujet parce qu’il nous passionne. Dans le cas de cette motivation extérieure,l’enfant aura sans doute une meilleure note à son devoir que s’il n’avait eustrictement aucunemotivation,mais il est fort probable que ces connaissancesrécemment acquises disparaissent aussi vite que le papier d’emballage de sanouvellepairedechaussures.Il est erroné de penser que, dans un environnement où les enfants seraient

laissés libresdechoisir lesactivitésqui lesmotivent, ilsne sedirigeraientpasvers des savoirs dits « académiques » ou « scolaires » tels que les

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mathématiques, l’histoire ou la géographie. Au contraire. Les enfants sepassionnent pour leur culture lorsque celle-ci leur est proposée d’unemanièrevivanteetconcrète:leurespritestconçupourlasaisirdanssaglobalitéetdanssaréalité.L’exempledeGennevilliersenestlapreuve.Laisséslibresdechoisirleurs activités, les jeunes enfants se sont passionnés pour la lecture, lesmathématiques, la géographie, la géométrie, la musique, autant que pour lapeinture,lesjeuxlibresouledessin.Pourquoi?Parcequetoutecettecultureaétéprésentéedemanièreconcrète,globale,attrayante.Nousaborderonscertainesdecesactivitésdans ladeuxièmepartiedece livre.Bienévidemment,certainsenfants se passionnaient davantage que les autres pour un domaine : dans laclasse,quelques-unspassaient lamajeurepartiede leur journéeà lire,d’autresreconstituaient lespuzzlesextrêmementcomplexesdesdifférentscontinentsenapprenant le nomde chaque pays (certains enfants connaissaient le nomde latotalitédespaysd’Afriqueainsiqueleuremplacementexact),d’autrespassaientde très longs moments à peindre, à faire de l’origami, à étudier le nom desplantes,àparlerouàréfléchir.L’importantétantquechacunpuisseacquérirlesfondamentauxdanschacundesdomainestoutenayant,enparallèle,lalibertédenourrir ses propres passions intérieures. Ce fonctionnement permettait auxenfantsdedévelopperleurpropreindividualité,leurproprepersonnalité,etdenemêmepasseposerlaquestiondeladiversitédespersonnalitésetdesdifférencesde niveau. Chacun est ce qu’il est, et possède des domaines de compétencedifférents.Auseind’untelenvironnement,ladiversitéestperçuecommetoutàfaitnormaleetévidente,parcequ’ellel’esttoutsimplement.

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L’importancedel’erreurL’erreurestunpassageobligatoire,uneitération,uneconfrontationnormaleet

nécessaire avec la réalité, qui nous permet de réajuster et de préciser nosconnaissances et nos prédictions.Les chercheurs sont formels : «Un individuapprenduniquementlorsqu’unévénementviolesesprédictions17.»L’erreurestdonc absolument constitutive de l’apprentissage. Or, bien souvent, elle estperçue comme une faute, et nous cherchons à l’éviter. Cet évitement freineconsidérablementleprocessusd’apprentissage.L’erreurestparailleurssouventsanctionnée dès l’école maternelle. Peut-être pas par une note, mais par unjugementouuneappréciation.Mêmeuneappréciationpositivedonneàl’erreurun statut qu’elle ne devrait pas avoir. L’erreur devrait être neutre. Il s’agitsimplement d’un retour d’information qui indique qu’une prédiction doit êtreréajustée. L’enfant qui ne fait pas d’erreur n’a pas à être regardé avec plusd’amouretdebienveillancequelesautres,ilaenrevanchesérieusementbesoindepasseràautrechosedeplusdifficileaurisquedes’ennuyerfermementetdedépenser son énergie à se comparer aux autres. En sanctionnant l’erreur et envalorisantlesenfantsquinesetrompentpas,nousbloquonsleprocessusmêmed’apprentissage–pourtous.Ainsi, notre système éducatif traditionnel a tendance à faire exactement ce

qu’il faut pour que l’être humain n’apprenne pas : il impose des activités auxenfants qui ne les motivent pas, et lorsque les enfants font l’effort de s’yengager,leursinévitableserreurssontjugées:cejugementparalyselaprisederisque et bloque ni plus ni moins le mécanisme naturel d’apprentissage. Lecercle vicieux de l’ennui, de la frustration, de l’autodépréciation, voire de lacolères’enclenche.Or,sinouspréparionsunenvironnementricheetdequalité,offrantunegrandediversitéd’activitéssoigneusementsélectionnéesparl’adulte(en laissant toujours la possibilité à l’enfant d’enproposer de nouvelles qui lepassionnentetauxquellesnousn’aurionspassongé)etpenséespourdénoncerdemanièreneutreet informative leserreurs, lesenfantspourraientnonseulementchoisirl’activitéquilesintéresse,maiségalementpercevoirleurserreurssanssesentir«mauvais»,s’autocorriger,etrecommencerautantdefoisquenécessairejusqu’à satisfaire leur besoin de perfectionnement. Cette répétition spontanéerenforcerait par ailleurs la consolidation et l’automatisation de l’apprentissage.Au sein d’un tel cadre, les enfants apprendraient solidement, beaucoup et trèsvite.N’ayantpluspeurdesetromper,l’enfantdéveloppeunepersonnalitéunique,

forte,stable,confianteetcréative.

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LarichessedumonderéelPuisque le cerveau se construit en se nourrissant d’expériences vivantes et

dynamiquesdanslemonde,isolerl’enfantdelarichessedelavieréelleestunparitrèsrisqué.Desétudesmontrentaujourd’huiàquelpointunenvironnementappauvri, routinier, dénué d’activités nouvelles, offrant peu d’interactionssociales et d’activités physiques s’apparentant à des activités physiquesnaturellesestunenvironnementparticulièrementdélétèrepourl’épanouissementde l’intelligence : il ferme la plasticité cérébrale, même chez l’adulte. Àl’inverse, un environnement s’apparentant à un milieu naturel, c’est-à-direoffrant des interactions sociales variées, une activité physique normale et dessollicitationscognitivesdifférentes,réouvrelaplasticitéetnousrendainsinotrecapacitéd’apprentissage18.Inutile donc de créer pour l’enfant un environnement novateur ou

hyperstimulant:ils’agitsimplementdenepaslecouperdumonde,desaréalitéetdesesrichesses.Ils’agitdeluiproposerunenvironnementnaturel,vivantetdynamique,auseinduquelilpuissevivreavecsaculture,participerauxactivitésquotidiennes, avoir des échanges et des interactions variés avec des personnesd’âgesdifférentsdusien,jouerdehors,observeretétudierlanaturequil’entouretout en satisfaisant ses passions personnelles et son besoin d’activité physiquequotidienne.Cetteactivitéphysiquen’amêmepasbesoind’êtrepréparéepardesséquences didactiques : rendons tout simplement aux enfants la possibilité degrimperauxarbres,demontersurdestroncsoudegravirdespetitesbuttesoudes tas de pierres. Il a été montré que les enfants qui peuvent jouer ainsirégulièrement dans la nature présentent des capacités motrices accrues – notamment en équilibre, en coordination et en agilité. Ils savent par ailleursdavantageprendredesrisquesadaptésàleurscapacités19.N’allonspasinventerdesdispositifsextraordinaires,contentons-nousdéjàde

faireentrerdenouveaulaviedanslelieuoùlejeuneêtrehumains’épanouit.Cequecherchentnosenfants,cen’estpasunenouvelleméthodepédagogique,maisle monde tel qu’il existe déjà. Ils veulent jouer dans la nature, faire desplantations,s’occuperd’animaux,participeràl’entretiendeleurenvironnement.Ilssouhaitents’approprierdemanièrevivanteetnonséquencéelacultureetlesconnaissances qui ont été acquises par l’Humanité qui les a précédés : parler,compter, lire, écrire, découvrir la géographie, les mystères de l’univers, lamusique,lecodemathématique,labiologie,l’histoire,lesdinosaures,etc.Etsinousprenonslapeined’offrirtoutecetteréalitéauxenfants,dansdesconditionsquifontsenspoureux,nousseronstrèssurprisdelesvoirrapidementlaisserde

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côté les jouets qui les distraient souvent de leur tâche principale : étudier lemonde réel auquel ils viennent de naître, le comprendre et en devenirspécialistes.Or, malgré les efforts extraordinaires des équipes éducatives, l’école reste

actuellementunenvironnementencoretropcoupédelavariété,dudynamismeetdelarichessedumonde.Lesenseignantss’efforcentdeproposerrégulièrementde nouvelles activités, riches, variées, avec souvent une grande abnégation.Mais,ilfautbienledire,ilestdifficilederivaliseravecl’intérêtdesactivitésquerecèleunenvironnementnaturel,oùl’enfantseraitlibred’agirendécouvrantlemonde– levrai.Nos activités traditionnelles et nosbelles imagesnepourrontjamaistransmettrelatexture,lacomplexitéetlegrandiosedelavieréelle;ellesépuisentlecerveaudenosenfantscâbléspourlacomplexitédumondevivant.Les environnements institutionnels que nous avons érigés affament

l’extraordinaire intelligence plastique de nos enfants, qui cherchent ensuitecommeils lepeuventàsenourriraveccequileurtombesouslamain.Etcelanousagace:«Ilstouchentàtout»,«Ilsparlenttoutletemps»,nousplaignons-nous.«Dèsquejetourneledos,ilsdiscutentoufontunebêtise!»Lesenfantsqui bravent les interdictions font preuve d’une grande force de vie : leurintelligenceinsatisfaiteneserésignepasetchercheàsenourrirenversetcontretout. Contre nous, s’il le faut. Braver l’interdiction de l’adulte et risquer unepunitionn’est rien comparé auxbénéfices de la transgression.Cen’est pas del’insolence,c’estlaviequisemanifesteetquirésiste.Devantchezmoi,ilyauneécoleprimaire.Depuislarue,onneperçoitquela

cour de l’élémentaire. Toute grise, toute bétonnée, aux étroites fenêtresrectangulaires parfaitement alignées. Deux arbres dans la cour ont la lourdetâched’offrirunpeudevieàcelieuoùlapolitiquesécuritaireatoutrasé.Lesseulestouchesdecouleursdelascènesontcellesdudrapeaufrançaisplantésurlafaçadedel’école,quisurplombetroisconceptsmerveilleuxquin’ontjamaissembléaussisinistres:liberté,égalité,fraternité…Austérité.Chaquefoisquejepassedevantcegenredebâtimentscolaire,jenepeuxm’empêcherdesoupirer:comment avons-nous pu offrir un environnement si aride à des êtres en pleindéveloppement?Unsoir,j’euslasurprisedeconstaterquejen’étaispaslaseuleàpenserquececadren’avaitenrienl’apparenced’unlieud’épanouissement:ilétait aux alentours de 18 heures, je rentrais chez moi, et, en passant devantl’école,j’aicroiséuntoutpetitgarçonde2ansetdemienvironqui,enregardantlebâtimentetenplissantlesyeux,ditàsonpapa:«C’estquoiçapapa?Unep’ison?–Non,monchéri,ça,c’estuneécole»,réponditsonpère.Les écoles ne sont fort heureusement pas toutes si austères,mais elles sont

encorebeaucouptropnombreusesàl’être.

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J’airécemmentreçuunmaild’unepersonnepleinedebonnesintentionspournos adolescents issus de milieux défavorisés, m’expliquant qu’une ONGpartenairede l’Éducationnationaleproposaitde recruter,pour la rentrée2016,«unecohortede25individus“volontairesetexemplaires”,diplômésdegrandesécoles, pour être professeurs vacataires en collège REP dans l’académie deCréteil,pendantdeuxans.»Cettepersonneprécise:

« Diplômée de Sciences Po il y a quelques années, je me suis portée candidatecommeprofesseurdefrançais,avecentreautresl’intentiondecomprendrelefondementdes inégalités à l’école, analyser les rouages du système scolaire français etexpérimenterdesméthodespédagogiquesautourdesimages.»

Lemessage se termine en me demandant mon avis sur sa démarche baséeautourdel’image.Voicimaréponse:

«Pardonnezmafranchise,maisvoicicequej’enpense.Vouspourrezutilisertoutesles images que vous vous voudrez, ce qu’ilmanque à ces enfants pour s’épanouir etapprendre, c’est de l’amour, de la liberté, du lien et du sens. Pas des images. Nouspourrons faire toutes les réformes structurelles et pédagogiques possibles etimaginables,mettre des écrans et dresser des bâtiments les plus beaux de la planète,maistantquenousnetravailleronspasàanéantirlegouffrequilessépared’eux-mêmesetdelavieréelle,nousneferonsquel’amplifier.J’aigrandidanscesendroits,j’aimoi-même été à la place de ces adolescents. Et tous ces bricolages pédagogiques étaientpournousparticulièrementdésespérantset,jedoisledire,sérieusementagaçants.»

Je crois sincèrement que les richesses du monde réel et des expériencesindividuelles ne pourront être remplacées par quelques images, quelquespersonnes,quelquesdiscoursbienpensésnimêmedesmilliersd’ordinateurs.Lerapport international Pisa de septembre 2015 le confirme : « Les pays ayantconsenti d’importants investissements dans les TIC20 dans le domaine del’éducation n’ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leursélèves en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences. »Entendons-le.Lasolutionneviendrapasd’uneaméliorationdusystème,maisdesa restructuration totale. C’est la totalité de l’environnement qui doit êtrechangée : l’être humain, qu’il soit enfant ou adolescent, est un êtreintrinsèquementcâblépourapprendreenvivantdanslachaleur,ledynamismeetlacomplexitédumonderéel.

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RenoueraveclanatureReconnecter les enfants à la richesse du monde réel, c’est également leur

permettredesereconnecteràlanature.Ilspassenttantdetempsenfermésentrequatremurs,séparésd’unenatureabondante,lesyeuxfixéssurunécran,qu’ilssont aujourd’hui capables d’identifier plus d’unmillier de logos d’entreprises,maismoinsdedixplantesoriginairesdeleurrégion21.Reconnectonsnosenfantsavec une nature à laquelle ils appartiennent et sans laquelle leur survie seraitimpossible. Il est aujourd’hui indispensable que le jeune être humain puissegrandir en comprenant, sensoriellement et intuitivement, les grandes lois denotreplanète,pourque,unefoisadulte,ilsachevivreenutilisantsesressourcesnaturellesdemanièrerespectueuseetdurable.Il me semble par exemple important que les enfants apprennent

progressivementàfairedesplantationsenutilisantlesressourcesetlesforcesdela terre. Un enfant de 7 ans devrait déjà savoir faire pousser des radis, despommesdeterreoudestomates,lesramasseràmaturité,etlespréparerensuitepour lesmangerets’enrégaler.Commençonsdoncparrenaturaliseretvivifierles cours d’école. Arbres fruitiers, légumes, herbe, terre, fleurs, eau, lumièrenaturelle, animaux. Offrons aux enfants de grands jardins dont ils peuventprendresoineux-mêmesetauseindesquels ilspourrontobserver lesmyriadesdeviesetd’insectesqu’ilsabritent, récolter les fruitsdesarbres,entretenirdespotagers,prendresoindesanimauxetcohabiteraveceux.La plupart de nos enfants apprennent les saisons comme on apprend une

langue étrangère à l’école. Totalement hors contexte. Ils n’en perçoivent quecertainséléments–lefroid,lachaleur,l’humidité–sansensaisirlaprofondeur,les nuances, les odeurs, les bruits caractéristiques. Ils peinent à comprendre lavraienaturedessaisons,etc’estnormal:ilsnelesviventquepartiellement.Jeparleenconnaissancedecause,puisquec’estaprèsl’écoleélémentairequej’aicommencé à vivre les rythmes et les signes saisonniers autrement que par leprismedemesexpériencescitadines.Avantcela,commedenombreuxenfantsdesvilles, l’automneavaitpourmoi lacouleurdustressde larentrée ; l’hiver,c’était lefroidet lePèreNoël ; leprintempslapossibilitéderetirernosvestespour jouerdans lacour ;et l’été lachaleuret la liberté.Lessignessaisonniersnaturels – les fleurs, les fruits, les feuilles… –, nous ne pouvions pas lesconnaîtrecarnousnelesvivionspas.Etlesplusbellesimagesn’yfaisaientrien.J’ai découvert la couleur des saisons bien plus tard, comme on découvre laprofondeur et les nuances d’une culture anglophone en un mois de vie enAngleterreseulement,alorsquehuitannéesd’enseignementauxbellesimageset

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aux belles vidéos n’y sont pas parvenues. Le cerveau humain ne peut pascomprendre ce qu’il ne vit pas : aucune description, aucune image ne peutremplacerlaleçonsensorielle,grandioseetvivanteofferteparlanature.À Gennevilliers, comme dans la plupart des écoles, le sol de la cour était

bétonné,totalementaseptisé,lemoindrebrind’herbeétaitrasé,lesmursblancsétaient vieux et la peinture, écaillée. La façade, coiffée d’un drapeau de laRépublique, était grise de pollution. Les enfants ne pouvaient donc pasbénéficierd’uncontactquotidienfraisetdépolluéaveclanature.Jevousledissans détour, ce fut la première grande limite de l’expérience.Nous sentions àquelpointcecontactmanquait,àquelpointlesenfantsenauraientétéapaisésetrégénérés. De nombreuses études indiquent aujourd’hui très clairement que lecontact avec la nature calme, galvanise, revivifie les esprits, alcalinise lesorganismesacidifiésparlesstresssociauxouenvironnementaux,développelescapacitésmotrices,cognitives,stabilisel’humeur,régulelesémotionsnégativeset favorise même le développement de la créativité22. Les enfants deGennevilliersn’ontclairementpassuffisammentprofitédececontactbénéfiqueet physiologique avec la nature. Ils n’ont pas eu la possibilité de prendre soind’unpotager,devisualiserquotidiennement lesparterresdefeuillesorangéesàl’automne, de sentir l’odeur des arbres en fleurs au moment du printemps etd’observerquotidiennementlagénéreuseabondancesucréedel’été.Ilsn’aurontpaspuobserver auquotidiendenombreusesvariétésd’insectes logéesdans laterreoulaverdure,quenousaurionspufaireentrerdansl’espacedelaclasseletempsd’unediscussion.Noussavonspourtanttousavecquellejoieexplosivelesenfants nous surprennent lorsqu’ils ont vu ou attrapé un insecte ! Cette joietraduit la satisfactionéclatantede l’intelligencehumainequivientde faireunedécouverte.L’intelligencedel’enfantabesoind’êtreencontactaveclemonde.Il ne veut pas seulement qu’on le lui raconte, il lui faut le vivre et l’incarner,seul,àtraverssespropresexplorations.Aumomentoùj’écrisceslignes,ilvientenfindes’arrêterdepleuvoir.Ilfait

chaud, mais il a plu toute la journée. J’ai la chance d’être entourée d’uneabondante végétation, et en sortant, je viens d’assister à un spectaclemagnifique : la végétation humide à nouveau couverte de soleil. L’odeur desarbresetdelaterreestdense,pure.Desescargotssortentdetoutesparts.Duranttrois ans, àGennevilliers, les pluies ne nous offraient que le désagrément dessolsmouillésetdesbancsdétrempésdans lacour.Commentaurais-jepu faireressentiràcesenfantslabeautéetladensitédumomentquejeviensdevivre,oùlapluieexhale,aprèssonpassage,dessenteurssiparfumées?Nousavonsfaitcequenousavonspupourapporterunpeudenatureausein

de la classe : nous l’avions généreusement garnie de plantes vertes, des très

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grandesetdespluspetites,quelesenfantspouvaientsoignereux-mêmestoutaulong de la journée – couper les feuilles jaunies et sèches, remuer la terre etarroser.Lesparentsavaientgénéreusementcontribuéàcettevégétalisationdelaclasseenapportantcertainesdeleursplantesfamiliales.Biensûr,cen’étaitpasparfait, mais là n’était pas l’important. Bien que notre proposition de contactaveclanaturefûtextrêmementlimitée,cefutdéjàungrandpaspourlesenfants.

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Unenvironnementriche,maispassurchargéLa notion de « richesse » de l’environnement ne doit en aucun cas

s’apparenter à un trop-plein. Ce qui fera réellement la richesse del’environnement pour l’enfant, ce n’est pas la quantité, mais la qualité desactivitésqu’ilpropose.Carsilasous-stimulationestdélétère,lasur-stimulationl’est tout autant. Elle surcharge les neurones d’informations et provoque ungrand stress chez l’enfant. Exit, donc, les jouets de toutes les couleurs quisonnent de toutes parts et possèdent dix textures différentes23.Adieu écrans,dessinsanimésaudébitd’imagesrapides,tablettesettélévision.Sil’enfantrestedevant tous ces objets les yeux grand ouverts et le cœur battant, c’estcertainement plus par sidérationquepar contemplation.Nenous étonnons pasensuite de le voir pousser des cris, et de ne plus se satisfaire de rien. Leurscerveaux sont habitués à la sur-stimulation, et leur attention a beaucoup dedifficultéàsefocaliser.Une étude récente de l’université Carnegie-Mellon de Pittsburgh, nommée

«WhenTooMuchofaGoodThingMayBeBad24»,indiqueparexemplequeles sallesdeclasse tropdécorées seraient sourcededistractionchez les jeunesenfants et impacteraient directement leurs performances cognitives. Tropstimulés visuellement, les enfants montrent beaucoup plus de difficultés à seconcentreretobtiendraientdemoinsbonnesperformancesscolaires.Àl’inverse,avec peu de décorations sur les murs de la classe, les enfants seraient moinsdistraits,passeraientplusdetempssurleursactivitésetapprendraientdavantage.À nous, donc, de trouver l’équilibre entre le trop-plein et l’absence dedécorationspourpréserverleurattention.AuseindelaclassedeGennevilliers,jepassaisbeaucoupdetempsàréfléchir

àl’organisationdel’espace,quejesouhaitaissimpleetépuré.Jeretiraistoutcequisemblaitsuperflu,etmettaisenvaleurcequimesemblaitessentiel.Peudechosesétaientaffichéesauxmurs:unecartedumondedanslecoingéographie,une longue frise numérique sous laquelle nous pouvions déplacer la photo dechaque enfant en fonction de sa connaissance de la comptine numérique, unebelle image (que nous changions régulièrement) au-dessus de la tableindividuelle de dessin, les vingt-six lettres de l’alphabet sous une formerugueuse, ainsi qu’un fil, sur un seul des quatre murs, sur lequel nousaccrochionslespeinturesquecertainsenfantssouhaitaientoffriràlaclasse.KimJohnPayne,auteurdulivreSimplicityParenting,suggèreparailleursque

nos enfants ont également trop d’affaires, trop de choix, reçoivent tropd’informationsetsubissentdesviestroprapides,cequiparticiperaitàdétraquer

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leursystèmeattentionnel.Ilamenéuneexpérienceconsistantàsimplifierlavied’enfants souffrant d’un trouble du déficit de l’attention en modifiant leurenvironnement : moins de jouets, moins d’activités extrascolaires, moinsd’écrans, plus de jeux libres,moins d’activités dirigées par un adulte, plus denature et de temps de rêverie25. En seulement quatre mois, les troubles del’attention ont disparu chez 68 % des enfants. Leurs aptitudes scolaires etcognitives ont également augmenté de 37 %. Ces effets positifs ne sont pasmêmeobservésaveclaRitaline,quiapourobjectifdecalmerlesenfants.Ilfauttout de même savoir qu’aux États-Unis, un enfant sur huit est traité avec cemédicament.Il s’agit finalement de rendre à nos enfants du temps, de la liberté, une

connexionaveclemonderéel,ainsiquelapossibilitédesereconnecteràsoi.Ils’agitdesimplifierlaviedenosenfants,deretirerlesactivitéssuperflues,pourlarendreplusricheetdemeilleurequalité.

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PrendreletempsdenerienfaireetderêvasserLorsque nous prenons le temps de ne rien faire, c’est-à-dire de rêvasser en

regardant au loin ou de nous reposer allongé au soleil, notre cerveau continued’êtreactif, sousune formeque lesneuroscientifiquesontappelée«modepardéfaut26».Cemodepardéfautrejoue,analyseetdéduitdesélémentsàpartirdenosexpériencespassées.C’estsansdoutepourcelaque, lorsquenoussommesen vacances ou sous la douche, nous viennent soudainement des idéeslumineuses. Le cerveau, libéré de tâches qui lui demandent de focaliser sonattention,peutenfinmettredel’ordre.Cestempsderepos–sansécrans–sontdonc très productifs et aussi nécessaires au bon fonctionnement cérébral quel’est le sommeil. Il est important de respecter ces temps d’observation, decontemplationouderepos,quisonttrèsbénéfiques.Danslaclasse,lesenfantsavaientàleurdispositionunejoliechaiseenosier,

quenousavionspeinteen jaunevifet sur laquelleunpetit coussinajoutaitunconfort non négligeable. Les enfants étaient libres de l’utiliser pour « ne rienfaire », regarder, rêvasser. Certains utilisaient également le coin bibliothèquepourposerlatêtesuruncoussinetsereposerunpeu.D’autresobservaientleurscamaradesenprenantletempsdenerienfaireeux-mêmes.Lesenfantsn’avaientpas forcément besoin de faire quelque chose de visible à l’extérieur ; nousessayions, autant que possible, de respecter leur nécessité, qui se manifestaitsouventplusieursfoisdanslajournée,dene«rienfaire».

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L’importancedusommeilNous avons vu que, dès la première année de vie, le cerveau réalise une

quantitéextraordinairedeconnexionsàpartirdesexpériencesdel’enfant.Nousavons vu également qu’un élagage s’effectuait en parallèle, et que lesconnexionslesplusfréquentesétaientrenforcées.C’estcetélagagequipermetàl’êtrehumaind’apprendreetdesespécialiser.La recherche révèleaujourd’huiune information fondamentale : l’essentiel de cette réorganisation cérébralesemble avoir lieu pendant le sommeil. Il a été montré que la densité deconnexions chez les enfants augmentait considérablement pendant la journée,mais qu’après une nuit de sommeil, elle était réduite ; le cerveau fait donceffectivement le tri pendant que l’enfant se repose. Des expériencesmontrentainsi que, si le bébé ou le jeune enfant peut satisfaire son besoin de sommeilaprès un enseignement, lorsqu’il se réveille, ses connaissances nouvellementacquisessontconsolidées.Àl’inverse,siaprèsunenseignementsonsommeilestécourté,altéréouempêché(alorsqu’ilmontredessignesmanifestesdefatigue),laphasederéorganisationnes’effectuepascorrectementetlesconnaissancesnesont pas suffisament consolidées27. Les études indiquent que les enfants nemontrantpasdesignesdefatigueetnefaisanthabituellementpasdesiesten’ontpasbesoindedormirpouravoirunebonnerétentiondesnouvellesinformations.Enrevanche,lesenfantsquimanifestentlebesoindedormirdoiventpouvoirlefaire:leurcerveauréclamecetempsderepospourenregistreretconsoliderlesnouvellesinformationsencodéesaucoursdelajournée.Le sommeil est un élément pleinement inhérent au mécanisme

d’apprentissage.Et,puisquel’enfantréaliseunnombreextraordinairementplusimportant de connexions pendant la journée que l’adulte, des phases de reposplusrépétéesetplusprolongéesluisontnécessairespourfaireletrietorganisertoutes les informations recueillies en un temps record. C’est pourquoi lesenfants,lesbébésparticulièrement,dormentplussouventetpluslongtempsquelesadultes.Lorsquenos jeunesenfantscommencentà«piquerdunez»,c’estqu’ils ne peuvent plus faire entrer davantage d’informations dans leur boîtecrânienneetqu’untempsdereposestnécessairepourlaisserleurcerveaufaireunpeudeplace.Aprèsune journéechargée,pleinedestimulationsvivantesetdynamiques,nosenfantstombentrapidementdesommeil.Lesommeil,ainsiqueletempsdesommeildechaqueenfant,doiventimpérativementêtrerespectés.Ilscorrespondentàunephasedematurationcérébraledontilnepeutpassepasser.Auseinde laclassematernelledeGennevilliers, c’estunprincipequenous

avonssuiviavecunegranderigueur.Unenfantfatiguéétaitinvitéàsereposer,

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peuimportaitl’heureousonâge:s’ilarrivaitépuisélematinà8h20,durantlessombresmatinéesd’hiver, lesyeuxencore ensommeillés, il avait lapossibilitédeprendreun tapisetdes’yallongerdans lemêmeespacequesescamaradesdéjàaffairés.Et,aumomentdelasieste,touslesenfantsquilesouhaitaient–pasuniquement ceux de 3 ans – avaient la possibilité de se reposer.Le besoin desommeilétaitsouverain.Ilestintéressantdenoterquelesenfantsprésentantdestroublesdel’attention

etdel’apprentissagepeuventatteindrelesmêmesperformancesd’apprentissageque les autres simplement en augmentant la qualité de leur sommeil28. Unehygièneaussisimplequesecouchertôtsansavoirétéaupréalableexposéàdesécrans (qui activent le système nerveux de l’enfant et l’empêchent des’endormir) peut ainsi permettre aux enfants de surmonter des difficultésd’attentionetd’entréedanslesapprentissages.

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L’enfantretientcequifaitsensMais attention,même si le sommeil est de qualité, le cerveau filtre ce qu’il

consolide : il laissedecôtécequine faitpassenspour lui.Uneétudemontreque,sinousfaisonsmémoriseràunenfantunesuitedemouvementsdedoigtssurunpianosansattirersonattentionsurlamélodie,soncerveauneretientpascetteséquencemotrice:elleluisembleinutile,arbitraireetdénuéedesens.Enrevanche, il retient la séquencemotrice si son attention a étémobilisée sur lamélodiequ’elleproduisait.Il me semble qu’il s’agit là d’une piqûre de rappel essentielle pour nous,

adultes:lorsqu’uneclasseentièred’enfantsadegrandesdifficultésàretenircequenousluienseignons,ilfautpeut-êtred’abordremettrenotreenseignementenquestion.Fait-ilvraimentsenspourlesenfants?Car,reconnaissons-le:àforcededécouperlescontenusenpetitsmorceaux,nousperdonslagrandeimage,lesens,laprofondeur–etl’intérêtdesenfants.N’yvoyonspasquelquechosedepersonnel: l’êtrehumainsembletoutsimplementnepaspouvoirretenircequinefaitpassenspourlui.L’apprentissage des lettres de l’alphabet en est un exemple frappant : j’ai

constaté à quel point les enfants retenaient immédiatement les sons des lettresplutôt que leurs noms. Pourquoi ? Parce que les sons permettent d’accéderimmédiatement au décodage de petitsmots phonétiques, alors que le nom estune terminologie culturelle arbitraire qui ne fait aucun sens et ne donne pasaccès à la lecture. Nommer les lettres revient simplement à donner uneappellation à des signes graphiques arbitraires, cela ne fait aucun sens pourl’enfant. J’aiconstatéquebeaucoupd’enfantsdegrandesectiondematernelle,âgésdoncde5ans,avaitunedifficultécertaineàapprendrelenomdesvingt-sixlettres de l’alphabet, même à Neuilly-sur-Seine – ce qui ne manqua pas dem’étonnerétantdonné levocabulaire richequecesenfantsétaientcapablesdemanier. Comment ces vingt-six noms pouvaient-ils leur poser tant dedifficultés ? Tout simplement parce que désigner les signes graphiques quidécorent lemur de la classe n’a absolument aucun intérêt pour le cerveau del’enfant. Ilmanque le sens, la profondeur. Il faut ainsi parfois trois années dematernelleàunjeuneenfantpourapprendrevingt-sixlettres,alorsqu’illuifautmoinsd’unesemainepourapprendre lesvingt-neufprénomsdesenfantsde saclasse.DanslaclassedeGennevilliers,lorsquelesenfantsvoulaientlirecommeleurs camarades plus âgés, nous leur présentions le son des lettres qu’ilsdemandaient eux-mêmes. « C’est quoi Céline le son de cette lettre ? » medemandaient-ils, impatients de toutes les connaître. Certains n’avaient besoin

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quedequelquesjourspourtouslesretenir:ilssavaientquecessonsallaientleurdonneraccèsàdesactivitéstrèsenthousiasmantesetunpeu«magiques»:uncamaradeplusâgéécrivaitparexempleàunjeuneenfantunesuitedelettresurunboutdepapieret,sansparler,simplementendécodantlessignesposéssurlepapierparsonaîné, leplus jeunesavaitceàquoisoncamaradeavaitpensé.Ils’agissaitpoureuxd’unmodedecommunicationmagique.Ce n’est pas apprendre qui épuise l’enfant, il est câblé pour cela ; ce qui

l’épuise,enrevanche,c’estd’effectuerdestâchesquinesontpasdignesdesonintelligence.Quenotre école l’entende : le cerveauhumain estmerveilleux, ilcherchelesens,lavie,l’intelligenceetlaprofondeur.Ilestcâblépourretenirdubeau,dugrandiose,duvivant,dudynamiqueetdel’inspirant.Offrons-le-lui.Ainsi,auseindelaclassematernelledeGennevilliers,monchoixfutradical:

toute activité dont l’objectif ne semblait pas faire sens pour les enfants étaitéliminée.Pourmeguiderdansmeschoix,lajoiedesenfantsainsiqueleurenviepressante de réaliser l’activité étaient des indicateurs imparables. Lorsque lesenfantsnesemontraientnienthousiastes,nipressésdefairepareux-mêmesuneactivité proposée, après quelque temps l’activité était retirée de la propositionpédagogique.

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L’importancedujeulibreIlestaujourd’huitrèsclairquelejeulibreentreenfants–seroulerparterre,

courir ensemble, chahuter – favorise le bon développement cérébral. Selon lechercheurJaakPankseep,spécialistedujeuchezlesmammifères,lejeuseraitunmoyen physiologique favorisant le développement cérébral et l’équilibrageémotionneldespetits.Ilsembledoncfondamentaldeproposerunespaceoùlesenfants puissent avoir ces temps de jeux libres lorsqu’ils le souhaitent, sansaucunedirectivedel’adulte.Bienévidemment,auseindel’espaced’uneclasse,ilestdifficiledesatisfairecettenécessité.Pourrespectercebesoindesenfants,dessallesdejeuxlibres,attenantesàlasalleprincipale,etauseindesquelleslesenfantsseraientlibresdeserendre,seraientidéales.Ilspourraientainsiselivrerà des jeux de construction libres, rire, inventer de grandes histoires ensemble,jouer à des jeux de société, sans déranger les camarades engagés dans desactivitésdemandantuneattentionfocalisée.ÀGennevilliers,nousproposionscesmomentsdejeuxtotalementlibreslors

des temps de récréations, en n’hésitant pas à prolonger ces moments de jeuxlibreslorsquecelasemblaitnécessaire,etquelamétéolepermettait.Lesenfantsaimaient beaucoup cela. Il ne s’agissait pourtant pas d’une solution optimale,loin de là. Il aurait été beaucoup plus intéressant que les enfants puissentsatisfaire leur besoin de jeux auxmoments où ils en avaient individuellementbesoinetautantdetempsquecelaleurauraitéténécessaire.Mais,commejelerépète souvent, il est important de composer avec les possibilités et lesressources dont nousdisposons, sans semettre de pression inutile. Il ne s’agitpas d’atteindre un modèle de perfection, mais de tendre vers les conditionsadaptéesen faisantdenotremieux.Cette intention faitdéjà toute ladifférencepourlesenfants.Il serait par ailleurs intéressant que la circulation entre l’intérieur et

l’extérieur,dansunecourouunjardin,soitfacilitéeafinquelesenfantspuissentsortir prendre l’air et jouer librement lorsque cela leur est nécessaire, voiretravailler à l’extérieur sur un tapis ou une table, sous une sorte de vérandaouverte afin de profiter à toutmoment de la journée de l’air frais et du beautemps. Les structures scolaires actuelles ne permettent pas cela, et c’estregrettable.Lesenfantsontpourtantbesoin–commenous–defairedespausesrégulières,àdesrythmesdifférents,entreleursactivités ;etdeprofiterdel’airlibreetdelalumièrenaturelleautantqu’ilsenressententlebesoinpourlebonéquilibredeleurmétabolisme.

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LatoxicitédustressLestressestaudépartuneréactiontrèssaineettrèsutiledel’organisme,quia

permis à nos lointains ancêtres de survivre : face à un danger imminent, parexemplel’apparitionsoudained’unanimalféroce,notrecerveauetnosglandessurrénales commandent la sécrétion de cortisol et d’adrénaline, qui accélèrenotre rythme cardiaque et augmente notre pression artérielle, contracte nosmuscles,ralentitnotredigestionetaccroîtletauxdesucredansnotresangpournous donner une grande énergie. Cette incroyable mobilisation de tout notreorganisme nous permet de fuir ou de passer à l’attaque pour neutraliserl’adversaire. Le stress, quand il est de courte durée, nous rend plus habiles etpermet à l’organisme d’être plus performant, que ce soit dans une situationnouvelle,dansunecompétitionoulorsd’unexamen.Maisaujourd’hui,danslaviequotidienne,lescausesdestressnesontplusdes

bêtes sauvages, mais plutôt l’environnement urbain, la pression sociale ouencore les difficultés personnelles et professionnelles. Face à ces facteurs, laréactiondefuiteoud’attaquen’estpastoutàfaitadaptée…Et,plutôtquedefuirou d’attaquer, nous utilisons notre capacité à prendre de la distance, nousanalysons nos émotions, nous dédramatisons et nous trouvons des solutions.Cette prise de recul fait redescendre le taux des hormones du stress et notreorganismes’apaise.Nous, adultes, pouvons nous calmer de cette manière car notre cortex

préfrontal – situé derrière notre front –, qui abrite nos capacités à analyser, àprendre du recul et à nous contrôler, est mature. En revanche, chez le jeuneenfant, ce n’est pas du tout le cas. Ainsi, lorsque celui-ci est soumis à uneangoisse, à un stress ou à une émotion négative forte, son cerveau déclencherapidement la sécrétion d’hormones du stress, mais il ne peut pas prendre derecul,secontrôler,analyserlasituationniladédramatiser.Contrairementànous,il est incapable de se calmer seul. Il pourra progressivement le faire àmesureque son cortexpréfrontal deviendramature –mais cette partie de son cerveaun’arrivera à pleine maturité qu’au début de l’âge adulte, aux alentours de25ans!Ainsi, lorsque le jeune enfant est confronté à une situation stressante à

laquelle il ne sait pas répondre, comme lorsqu’un camarade lui prendsoudainement des mains un jouet qu’il utilisait, il traverse des émotions – lapeur,latristesseoulacolère–qu’ilestincapabledecalmerseul.Ilsetrouvevitetotalement submergé : ses peurs deviennent de grandes peurs, son anxiété uneénormeanxiété,sesangoissesd’immensesangoisses,etsescolèresd’immenses

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colères. Les jeunes enfants traversent donc ce que l’on appelle des tempêtesémotionnelles. Dans ces situations, les hormones du stress sont sécrétées encontinuetsansrégulation;cestressdevienttoxique.Lecortisollibéréengrandequantitéattaquedirectementlecerveaudel’enfantendétruisantdesneuronesausein de structures cérébrales très importantes. L’hippocampe, zone de lamémoire, est l’une des premières régions affectées : un enfant qui traverserégulièrement ou de manière prolongée des situations stressantes peut ainsimanifesterdestroublesdelamémoire.Lestressaffectedirectementlescapacitésd’apprentissage.Lecortexpréfrontal,quinouspermetderaisonner,deprendredu recul, de nous contrôler, de prendre des décisions ou de faire preuved’empathie, est également l’une des premières régions touchées : ledéveloppementdetoutescescapacitésessentiellessetrouveentravé.Lestressrépétéet/ouprolongédel’enfantaltèreainsigravementsoncâblage

cérébral encore immature. Les dommages générés enclenchent un cerclevicieux : plus un enfant subit de stress, plus la maturation de son cortexpréfrontalestralentieetplusilauradedifficultésàgérersesépisodesdestress,quideviendrontalorsdeplusenplusnombreuxetdeplusenplusdifficilementcontrôlables.Ainsi, prendre l’habitudede laisser unbébéouun enfant pleurerlorsqu’il est en proie à des émotions de forte intensité, sous prétexte de luiapprendreà se calmer seul, estdoncune trèsgrandeerreur : enagissantde lasorte,nousobtiendronslecontraire.Ledéveloppementdesoncortexpréfrontalsera freinéoualtéré, et l’enfantauradeplusenplusdemalà réguler seul sesémotions.Unefoisadulte,sesaptitudesderégulationémotionnelleetderéactionauxdifférentsstressdelavierisquentd’êtremoindres.Notonségalementqu’unenfant laissé régulièrement seul face à ses tempêtes émotionnelles finiracertainement par se taire, mais ne croyez pas qu’il s’agisse là d’un signald’autonomie ; pour préserver sa santé et ne pas se laisser envahir par ce qu’ilressent, il se coupera instinctivementde ses émotions et auraprobablementdegrandesdifficultésàyavoiraccèsàl’âgeadulte.Commentprotéger lecerveaude l’enfantdecestress toxique?Ils’agit tout

d’abordd’éviterde l’exposeràdes situationsde stress répétées etprolongées.Crierousedisputerrégulièrementdevantluiest,parexemple,sourced’unstresschronique dont les conséquences sur son cerveau sont considérables : larecherchemontre qu’il s’imprègne d’hormones de stress comme s’il était lui-mêmeensituationdeconflit29.Tantàl’écolequ’àlamaison,ilestimportantdeprotégerl’enfantdecestresstoxique,enapprenantsoi-même–mêmedanslescaslesplusdifficiles–àrégulernospropresémotions.Nepassoumettrel’enfantàdesjugementsnégatifsouàdesparoleshumiliantesesttoutaussiessentiel:laviolence verbale, les insultes, les humiliations génèrent un stress qui abîme

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jusqu’aux connexions impliquées dans les réseaux du langage. Les parolesblessentdonclittéralementl’enfant30.Quantauxsystèmesd’évaluationscolairestraditionnels,contrôlesetnotations,ilssontaussid’importantsfacteursdestressauxquelslesenfantssontcontinuellementexposés.Ils’agiraitdoncdeleurévitercessituationsverticalesstressantesetnormatives.Il est en parallèle fondamental d’aider l’enfant à gérer progressivement lui-

même ses émotions de forte intensité ainsi que son stress. Comment ? Lapremière chose à faire semble évidente et pourtant, on ne le rappellera jamaisassez : lorsqu’unenfantestsubmergéparuneémotionqui ledépasse–colère,douleur, tristesse,anxiété,etc.–, ilest importantdecommencerpar lerassurerpar notre présence aimante et de le consoler. Lorsque nous le prenons toutsimplement dans nos bras, son cerveau sécrète une molécule extraordinaire,l’ocytocine – également appelée «molécule de l’amour » –, qui a l’immenseavantage de stopper la sécrétion de cortisol.Ainsi, l’ocytocine déclenchée parnotre bienveillance interrompt le cercle vicieux du stress et déclenche unvéritablecerclevertueux,enentraînantlasécrétiond’endorphines,desérotonineetdedopamine.Cesmoléculesgénèrentbien-être,calme,plaisir,enthousiasme,élanet sérénité.C’estaussi simplequecela : l’amourprotègeetgalvanisenosstructurescérébraleslesplusfondamentalesetlesplusintimes.Une fois les émotions désagréables dissipées par l’affection, il est

fondamentald’aiderl’enfantànommercequ’ilressentafinqu’ilpuisses’apaiserencoredavantage.Lesneurosciencesnous indiquentquenommeruneémotionpermetdecalmerlecerveauenétatd’alerte,etl’enfantretrouveprogressivementson calme. En aidant ensuite l’enfant à analyser la situation et à prendre durecul,nousaidonssoncortexpréfrontalàsedévelopperplusrapidement.Nouslui servons en quelque sorte de « cortex préfrontal extérieur » et de cettemanière, nous protégeons le sien et participons à sa maturation.Progressivement,l’enfantseradeplusenplusàmêmedesecalmerseuletaurade moins en moins besoin de notre aide. La recherche montre en effetqu’apporteruntelétayageàl’enfantfavoriseledéveloppementdesescapacitésd’autorégulationetledéveloppementdescircuitspréfrontaux.VoicicommentnousprocédionsàGennevilliers:nousapaisionstoutd’abord

l’enfantparunevoixdouceouuncontactphysiquerassurant,enluiprenantparexemplelamain.Nousl’aidionsensuiteànommersonémotion.S’agissait-ildecolère, de tristesse, de frustration ? Lorsque l’émotion juste était nommée,l’enfant se calmait rapidement.Son systèmed’alerte et la sécrétionde cortisolétaient déjà désamorcés. Nous l’invitions alors à exprimer son émotion. S’ilavait été offensé par un autre enfant, nous l’encouragions à exprimer sonémotionàsoncamaradeetàproposerunesolutionderéparationsicelas’avérait

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nécessaire.Des étudesmontrent que les adultes ayant bénéficié de ce type desoutien pendant leur enfance sont plus à même que les autres de calmer lesenvoléesémotionnellesdeleursystèmed’alerte.Ilsgèrentbeaucoupmieuxleurstress,etsontdoncbeaucoupmoinsexposésàsesconséquencesdélétères31.Pendant tout ce temps d’immaturité, c’est donc grâce au tutorat rassurant,

compréhensif et bienveillant de l’adulte, que l’enfant pourra non seulementreprendre ses esprits lors d’une crise, mais également construire ses aptitudesd’autorégulation. Le cerveau immature de l’enfant est donc totalementdépendantducerveaudesadultesquil’entourent.Celasembleparadoxal,maisils’agitpourtantd’unevéritéfondamentale:nousnepouvonspasgrandirdefaçonfonctionnelle et être autonome sans l’aide de l’autre. L’autonomie, stable,épanouie, équilibrée et solide est celle qui a pu se construire avec l’amour, lapatienceetlaprésencedel’autre.Cettepostured’étayagebienveillantetpatientfut lesoclepédagogiquedela

classematernelledeGennevilliers.Àquoibonproposerunenvironnementriche,de qualité, adapté à l’intelligence plastique de l’enfant si celle-ci s’enraye àcausedustress?Lagestionimmédiatedustresslorsqu’ilapparaissaitétaitdoncunedenosgrandespriorités.Chaquesituationdeconflitoudetristesseétaituneoccasion pour nous de guider l’enfant vers une autonomie émotionnelle, et del’aider à faire maturer son cortex préfrontal. Bien entendu, cette autonomieémotionnellen’émergepasdujouraulendemain,elleseconstruitdansletempset la régularité, à mesure que le cortex préfrontal des enfants se développe.Néanmoins, en quelquesmois les enfants étaient capables de gérer seuls leursconflits sans faire appel à l’adulte : ils savaient identifier leur émotion,l’exprimeretproposerunesolutionpourdésamorcerleconflit.Larechercheindiqueparailleursqu’uneconnexionquotidienneaveclanature

permet de diminuer le stress des enfants, ce qui, par voie de conséquence,augmenteconsidérablementleurmémoire, leurattention,etmêmeleurstabilitéémotionnelle. Les enfants pouvant bénéficier régulièrement de ce contact ontainsidesinteractionssocialesplusapaiséesaveclesautresenfants.

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LabienveillanceÀ ceux qui pensent que la bienveillance est un supplément pédagogique

optionnelsympathiqueetunbrinfarfelu, je tiensàdire:vousfaiteserreur.Lelien social positif entre les êtres, l’empathie, les comportements altruistes etgénéreuxfavorisent ledéveloppementdenouveauxneuronesetaugmentent lesconnexions synaptiques. Et ce, tant chez celui qui montre un comportementprosocial que chez celui qui le reçoit. Vous voulez augmenter vos capacitésd’apprentissage ? Aimez, et soyez entourés d’êtres qui vous aiment. Voussouhaitez aider vos enfants à augmenter leurs capacités d’apprentissage ?Aimez-les. Tout simplement, aimez-les : soyez chaleureux, aimants,empathiques,affectueux.Notrebienveillancenourrit ledéveloppementcérébralde l’enfant de manière extraordinaire. Lorsque nous avons une attitudebienveillante, chaleureuse, affectueuse avec l’enfant, les neurones de sonhippocampefoisonnentalorsdenouvellesconnexionsneuronales:samémoire,ainsiquesescapacitésd’apprentissagesedéveloppentdefaçonconsidérable32.Maiscen’estpastout.Comme nous l’avons dit, les circuits de son cortex préfrontal deviennent

matures, et ses capacités d’analyse, de raisonnement, d’autocontrôle serenforcent.Danssoncortexorbito-frontal,quiabritenotamment lescircuitsdel’empathie,delaprisededécisionetdusensmoral,lesnouvellesconnexionssemultiplient également.Autrement dit, notre bienveillance génère chez l’enfantun développement de ses capacités morales et empathiques. Elle déclencheégalement la sécrétion d’ocytocine dans son cerveau. L’ocytocine favorisel’empathie, l’attachement, le lien et la confiance. Comme l’explique leDr Catherine Gueguen33, la sécrétion d’ocytocine enclenche par ailleurs lalibération d’une cascade demolécules bienfaisantes : dopamine, sérotonine etendorphines. La dopamine génère élan, motivation, enthousiasme, plaisir,créativité;lasérotoninestabilisel’humeur,etlesendorphinessuscitentungrandsentimentdebien-être.Labienveillancen’estdoncpasuneoptionpédagogique.Ils’agitd’unvéritablecatalyseurd’épanouissement.AuseindelaclassematernelledeGennevilliers,lesenfantsbénéficiaientdes

effets éminemment positifs de la bienveillance de manière particulièrementpuissante : tant lesadultes–Annaetmoi–quelesenfantssecomportaientdemanière empathique, chaleureuse et compréhensive. L’épanouissement desenfantsfutfulgurantetfrappant.Nousdévelopperonscepointdanslaquatrièmepartiedecelivre.

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3.

L’esquissedeGennevilliers

Auseindelaclasse,nousavonstentéd’offrirdesconditionsauxenfantsquiallaient, dans la mesure de nos moyens, répondre à toutes ces grandes loisrégissantl’apprentissageetl’épanouissement.Ilfallutbienévidemmentfairedesconcessions et s’organiser avec les contraintes imposées par l’Institution et lastructuredubâtiment–horaires,architecture,luminosité,espace.Jemesuisparexempletrèsrapidementaperçuequel’autonomieetlaliberté

demouvementdesjeunesenfantsdemandaientunespaceplusimportantqu’uneclasse maternelle à fonctionnement traditionnel. Ainsi, bien que notre classe,avec ses 55mètres carrés de surface, ait été plus spacieuse que la plupart desclasses maternelles françaises, ce n’était néanmoins pas suffisant pour deuxadultes et vingt-sept enfants autonomes co-habitant 6 heures par jour : lesenfantsétaientsusceptiblesdesedéplacertoutelajournéed’unendroitàl’autreavec du matériel parfois encombrant, et pouvaient travailler assis, debout ouallongés au sol. Nous avons donc essayé d’optimiser au mieux l’espace pourfaciliter la circulation et le mouvement, en retirant tout meuble ou matérielsuperflu.Lebureaude l’adulte, lesbancsde regroupement leshautesarmoiresinaccessiblesauxenfantsetlegrandtableaublancfurentlespremiersélémentsàprendrelelarge.Nous n’avons par ailleurs pas pu proposer aux enfants d’accès libre à un

jardin disposant de terre, d’herbe, d’arbres, de potager, d’animaux, afin qu’ilspuissentlibrementprendrel’air,êtreencontactaveclanatureetenprendresoin,et jouer ensemble à tousmoments de la journée. Ils n’avaient pas non plus lapossibilitédeserendredansdifférentessallesproposantdesactivitésautres,nide participer à des ateliers en petits groupes spécifiques animés par unintervenantextérieurpassionné.Lamixitédesâgesétaitàmonsensencoretropréduite, leshoraires trop rigides, etuneplusgrande luminositénaturelle auraitcertainementeuunimpacttrèspositifsurl’étatdesantéglobaldesenfants.Néanmoins,nousavonspuagirsurcertainsparamètres,commel’autonomie,

lemélangedetroisniveauxd’âge,leliensocialpositif,empathiqueetsoutenant.Nous avons par ailleurs proposé des activités culturelles attrayantes et

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ambitieuses – en géométrie, en géographie, en raffinement sensoriel, enmusique,enmathématiquesetenlangage.Lestroisâgesdelamaternelleétaientréunisdanslaclasse,lesenfantsétaient

autonomes toute la journée, ils pouvaient librement interagir et choisir leursactivités, réparties au sein de différents espaces : l’aire du langage, l’aire desmathématiquesetcellesd’affinementdessens,degéographie,degéométrie,demusiqueetdebotanique.Laclasseproposaitunecentained’activitésdifférentes.Nousutilisionsessentiellementdumatériel sensorielélaborésuccessivementetcumulativementparJeanItard,ÉdouardSéguinetMariaMontessori.Jedécriraiplus loin cematérieldidactique.Unespace était égalementdédié auxactivitésplastiques, comportant un chevalet individuel pour la peinture, une tableindividuellepourledessin,ainsiqu’unetableindividuelleinvitantàréaliserdesactivités plastiques. La totalité des activités se situait sur des étagères ou desmeubles bas, à hauteur des enfants. La plus haute étagère ne dépassait passoixante-dix centimètres de hauteur afin que les plus petits puissent tout demême accéder aumatériel. Les étagères étaient disposées près desmurs de laclasse,laissantainsiunmaximumd’espaceaucentredelasalle1.Aucentre,lesenfantsdisposaientdetablesindividuellesrépartiesdemanière

harmonieuse. Ils pouvaient ainsi travailler individuellement dans le calme.Lorsquecertainssouhaitaientfaireuneactivitéàdeux,ilspouvaientréunirdeuxtables ou utiliser un petit tabouret, que l’un d’entre eux disposait à côté de latable individuelle. Ils n’utilisaient dans ce cas qu’une table pour deux. Nousavionsfaitlechoixdeproposermoinsdetablesindividuellesqued’enfants.Celapermettaitdedégagerdel’espaceausolpourqu’ilspuissentdéroulerdestapisetyréaliserleursactivités.

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UnejournéetypeLorsquelesenfantsarrivaientàl’écolelematin,Annaétaitpostéeàlaporte

d’entrée.Elleaccueillaitlesparentsetréglaitlesdétailsadministratifs:goûters,cantines,présences.Encequimeconcerne,jemetrouvaisdanslaclasse,prêteàaccueillirchacunindividuellement.Lesenfantssedéchaussaientsurlebancducouloir, mettaient leurs chaussons : je tenais à ce détail, qui les invitaitindirectementàsecentreravantd’entrerdans laclasse,àadopterdesgestesetdescomportementspluscalmes,plusordonnés,etàconsidérerlaclassecommeunlieuchaleureuxetconvivialdontilfautprendresoin.PuisilssaluaientAnna,toujours. Et dès qu’ils passaient la porte, ils entraient dans une atmosphèrecalme, sereine, où ils étaient accueillis avec la plus grande bienveillance et laplusgrandedisponibilité.Jeprenaisletempsdelessaluerindividuellement:«BonjourChaïma!–BonjourCéline»,merépondait-elle.Jedemandaisàchacuncomment ilallait, s’ilavaitbiendormi, j’écoutaisce

que chacun souhaitaitmedire, l’aidais à le formuler, accueillais ses émotions,seshumeurs.Cepetit tempsd’échangematinalétaitunmomentprivilégié,quime permettait de considérer rapidement l’état de fatigue, l’humeur et l’étatémotionneldechaqueenfant.J’invitais ensuite chacun à choisir l’activité avec laquelle il souhaitait

commencer la journée. Afin de suivre l’évolution des enfants et de créer desconditions d’ordre, il devait s’agir d’une activité qui leur avait été présentéepréalablementetdontilsconnaissaientl’objectif–certainesactivitésavaientpuleurêtreprésentéesspontanémentparunenfantplusâgé.Certainsavaientbesoind’un peu d’aide pour faire un choix. Dans ce cas, je repassais avec eux lecontenu des étagères, leur remémorant parfois une activité qui les avaitintéressés la veille ou quelques jours auparavant. Cela pouvait suffire pourdéclencherleurenthousiasme.Sivraimentunenfantnesavaitquefaire,cequiarrivait souvent les premiers temps, il avait la possibilité d’observer sescamarades, de parler avec un copain, ou tout simplement de rester assis pourprendre le temps de réfléchir et/ou de démarrer la journée. Certains, sortisprécipitamment du lit, avaient encore besoin de temps pour se réveiller : ilspouvaients’installeraucoinbibliothèqueouàunetable,etprendreletempsdesereposerencoreunpeu.Lesparentsavaientacceptécefonctionnement,quileuravaitétéexpliquéen

réunionde rentrée. Ils savaientquecemoment représentaitun tempsd’accueilpédagogiquetotalementindividualisé.Ilsprenaientd’ailleurssoindeparlerbas

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avecleursenfantsenarrivant,etnevoyaientpasd’inconvénientsà transmettrelesmessagesimportantsàAnna.Ilssavaientqu’ilsmeseraienttransmisetquejeprendraisletempsd’échangeraveceuxlesoiraprèsl’école.Lorsque tous les enfants étaient entrés, Anna m’aidait à guider

individuellementceuxquicherchaientencoreuneactivité.Pournousfaciliterlatâche, nous disposions d’un petit affichage mural sur lequel nous notions lesactivitésquipassionnaientparticulièrementlesenfantsquiavaientdesdifficultésàfaireunchoix.Pendantqu’Annacontinuaitàguiderlesenfants,jecommençaisà présenter des activités individuellement aux enfants. Je réalisais, selon lesmatinées, entre trois et dix présentations individuelles. Chaque présentationréalisée était notifiée par un point sur un tableau de suivi, sur la lignecorrespondante à l’enfant qui en avait bénéficié. Je savais donc exactementtoutes les présentations qu’avait reçues chaque enfant. Pour les activités delangageoudemathématiques,lorsquejem’apercevaisquel’objectifdel’activitéétaitacquispourunenfant,jerepassaislepointenvert.Cesévaluationsétaienttoujours informelles, l’enfant ne s’apercevait jamais de ma validation. Ils’agissaitd’unrepèrepourmoi,poursavoirsil’objectifétaitsolidementacquisou non, et s’il était judicieux de proposer le niveau de difficulté suivant. Jeposais alors tout simplement quelques questions à l’enfant, lui demandantparfoissi jepouvaism’asseoiràsescôtéset faire l’activitéavec lui.Lesseulsretoursquejeleuroffraisétaientmajoiedelesvoirréussirquelquechosequ’ilsne parvenaient pas à réussir la veille, ou mes encouragements à passer àl’activité ou au niveau de difficulté supérieur. C’est tout. Entre deuxprésentations, s’il m’arrivait de percevoir un enfant en difficulté, proche dudécouragement,jem’asseyaisàsescôtésetn’hésitaispasàreprendrel’activitéavecluiautantdetempsquenécessaire,silecalmedelaclasselepermettait.Toute la matinée, les enfants choisissaient leurs activités. Lorsqu’ils la

terminaient, ils lareplaçaientavecsoinsur l’étagère.Certainsreprenaientalorsune autre activité, d’autres prenaient le temps de ne rien faire, ou faisaient lechoixd’observerleurscamaradesoud’alleraucoinbibliothèqueécouterpourladixièmefoisdelasemaineleurhistoirepréférée,quelesgrandssefaisaientunejoieimmensedeleurlire.Lesenfantspouvaientsedéplaceràleurguisedanslaclasse, tant qu’ils le faisaient de manière calme et ordonnée. Ils pouvaientréaliser leurs activités assis sur une chaise, accroupis ou agenouillés prèsd’untapis.Certainsmêmen’hésitaientpasàs’allonger,etnous les laissions fairesicela ne générait pas de désordre. Cette liberté du corps est fondamentale : larecherchemontrequenoscerveauxapprennentetsedéveloppentmieuxlorsquelecorpsn’estpasfigé2.Jeprésentaisuneactivitéindividuelledèsquecelaétaitpossible,prenaisletempsd’observerlesenfantspourrépondreensuiteaumieux

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à leur besoin, et accompagnais ponctuellement les enfants qui avaient besoind’unétayageplus soutenu ;Anna restaitdisponiblepouraider lesenfantsà semettreenactivité,elles’assuraitquelaclassesoittoujoursordonnée,et,lorsquecela était possible, elle jouait avec un groupe de petits à des jeux courts etamusantsdephonologie.Deleurcôté, laplupartdesenfantsétaientenactivitéindividuelle,certainsréalisaientàdeuxoutroisuneactivitéautourd’untapisoulisaient des livres à haute voix au coin bibliothèque, sous le regard attentif dequelquespetits;certainsobservaientl’activitéd’autresenfantsenétantassisouenrestantàmescôtésalorsque jeprésentaisuneactivité ;etd’autresenfinseracontaientdesblaguesdanslecreuxdel’oreilleenriant.Lesenfantssedirigeaientdoncverslesactivitésquilesmotivaient,ilsétaient

ensuite libres d’explorer, de se tromper et de répéter autant de temps quenécessaire. Ilm’a souvent été dit : «En résumé, dans cette classe, les enfantsfontcequ’ilsveulent.»Toutàfait.Maispasdelamanièredésinvolte,chaotiqueetdésordonnéeque laisse sous-entendrececommentaire.Pourêtreplusclaire,disonsque les enfantsne faisaientpas« cequ’ilsvoulaient», ilsvoulaient cequ’ils faisaient.Etnous lesaidionsà trouvercecheminderéelleautonomieetd’émancipation.Nouslesaidionsàtrouverl’activitéquiallaitréellementnourrirquelque chose en eux, et nous les aidions à comprendre que cette démarchevolontaire, enthousiaste, personnelle et créative, devait redevenir – si toutefoisl’enfantavaitdéjàétédéconnectédecetteprogrammationbiologique–safaçonnaturelledefonctionner.Les enfants ne faisaient donc pas n’importe quoi, n’importe comment. Au

contraire.Lalibertéaccompagnéequenousleuroffrionsdansuncadrestructuré,aux règles clairement explicitées, leur assurait la sécurité, la liberté et l’ordrenécessairespourprogressivement se reconnecter à leurs élansdevieprofonds.Lorsque les enfants retrouvaient cette posture naturelle, émergeait alors uneharmoniecollective:chacunétaitàsaplace,etdel’épanouissementdechaqueindividualité se dessinait une communauté centrée, riche et étonnamment«ordonnée».Chacun trouvaitnaturellement saplacedans legroupeauquel ilapportaitharmonieusementsacouleuretsonunicité.La classe ressemblait à une ruche bienheureuse, chacun poursuivait un

objectif qui le motivait, à son rythme, à sa façon, seul ou avec un autrecamarade, en respectant la seule et unique règle de vie collective, clairementexplicitéeetrappeléefermementencasdebesoin:nejamaisdérangerl’activitéde l’autre, de quelque manière que ce soit – ni celle de l’enfant, ni celle del’adulte.Une fois sécurisés, recentrés sur leurs élans individuels et confiants, les

enfantssefixaientdesobjectifssurprenants,qu’aucunenseignantn’auraitjamais

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oséexigerd’eux:jemesouviensd’unpetitgarçonde4ansqui,plusieursjoursdesuite,persévéraàcompterjusqu’aubout lachaînede1000.Ilcommençaàdérouler la chaîne jusqu’à 200 perles environ. Et, voyant qu’il continuait àcompterlasuitelelendemain,jedustrouverlemoyendefabriquerenurgenceun tapisqui luipermettraitdedérouler les800perles restantes…Lachaînede1000perlesmesuraiteneffetplusdeseptmètresdelong.Lesquelquesmètresde tapis étroit ainsi déroulés dans la classe, soutenant le précieuxmatériel decomptage, restèrent ainsi plusieurs jours dans la classe, le temps que l’enfantpuisse atteindre son objectif très ambitieux. Ses camarades, qui poursuivaientégalementleurspropresobjectifs,enjambaientletapissansmontrerlamoindregêne lorsqu’ils devaient traverser la classe ; certains restaient près de lui pourl’encourager ou l’observer : «Va-t-il réussir ? » semblaient dire leurs regardsattentifs.Jemesouvienségalementd’uneenfant,passionnéeparl’écriture.Cettepetite

fille se dirigea un jour précipitamment vers moi en me tendant son cahierd’écriture : « Regarde Céline », dit-elle timidement. Cette enfant de 4 ans etdemi venait de recopier entièrement le texte d’un petit albumde littérature dejeunesse,spontanément.Jamaisjen’auraismoi-mêmesongéàluidemanderuntelexercice…JerevoiségalementlepetitKévin,âgédetoutjuste4ans,déterminéàréaliser

seulladizainedemodèlesd’origamiprésentésdansunlivre.Ilpassaplusieursjournéesàne fairequasimentquecela,et ilyparvint. Il s’agissaitd’une tâchepourtant très difficile – moi-même je ne parvenais pas à réaliser certainsmodèles.Mais, fort heureusement, ce jeune garçonmemontra comment faireavecunegrandepatience.Ilavaitprisletempsdesetromperdetrèsnombreusesfoisetsavaitexactementdansquelsensilfallaitplierlepapier.Nous verrons dans la troisième partie de ce livre que les compétences

cognitives que les enfants développent lorsqu’ils se fixent un objectif etl’atteignent, sont les compétences-socles de leur intelligence. Celles-ci leurpermettent de faire et d’apprendre ensuite tout ce qu’ils veulent. Ces troisenfants sont ainsi entrés dans la lecture spontanément et étaient, en quelquessemaines,capablesdelirelesalbumsdejeunessequilesintéressaient.Alleraubout de de ce nouvel objectif n’était pas plus compliqué pour eux que decompterjusqu’à1000,recopierlaborieusementunalbumdejeunesseouréaliserdixmodèlesd’origamisurplusieursjournées.Enfindematinée,auxalentoursde11heures,nousprenionsletempsdenous

regrouperpourêtretousensemble.Nousinvitionsalorslesenfantsàrangerleuractivité – ainsi que la classe si cela était nécessaire – pour venir s’asseoir en

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cercleaucentredelaclasse.J’aivudesenfantsencoresiabsorbésparcequ’ilsfaisaientqu’ilsn’entendaientpasnosappelsvigoureuxànousrejoindre.Danscecas,nousn’interrompionspascetteconcentrationintense,quiétait,àn’enpointdouter,en traindecréerquelquechoseen l’enfant.Nouspoursuivionsalors leregroupement à quelquesmètres de lui. Lorsque sa tâche touchait à sa fin, illevait les yeux et semblait redécouvrir lemonde, étonné de nous voir tous encercle.Ilvenaitalorss’asseoirànoscôtésenprenantletempsdereveniràlui.Ilest bien évident que si nous avions insisté en le forçant à nous rejoindreimmédiatement, il se serait défendu de notre intervention intrusive etirrespectueuse, et nous aurions par ailleurs entravé ce qui s’élaborait en lui.Lorsque nous étions réunis, pendant vingt ou trenteminutes, j’orchestrais deséchanges rapides sur différents sujets de discussion pour ne pas ennuyer lesenfants et conserver leur attention : je prenais troisminutespour exprimermajoie d’avoir aperçu untel réussir à tenir sa paire de ciseaux, ou un autrepersévérer sur une tâche difficile. La plupart du temps, un enfant prenait larelèveendisant:«EtmoiCéline,j’aivuYounesquiafaittomberdel’eauparterre;maisaprès,ilatoutessuyéavecJoumanaquil’aaidé.»Cecourtmoment,régulier mais jamais systématique, créait une confiance, une bienveillance, etuneémulationfortes.Touteslesréussitesétaientimportantespournous3.Lesenfantsallaientensuitedéjeuneràlacantineouàlamaison.Àleurretour,

les petits faisaient la sieste. Certains moyens et certains grands également.Commenousl’avonsditprécédemment,unenfantfatigué,quelquesoitsonâge,devaitpouvoirsereposer.Ainsi,lorsqu’ungrandmontraitdessignesmanifestesdefatigue,jen’hésitaispasàluidire:«Kévin,tuasl’airfatigué,est-cequetuveuxaller t’allongerunpeu?Tureviendrasaprès.Tupeux laisser tonactivitécomme ça, personne n’y touchera. » La plupart des enfants acceptaientvolontiers. Leur sieste pouvait durer une heure, ou quinze minutes. La duréeimportaitpeu : lesenfantssereposaient le tempsqu’il leurétaitnécessaire.Lesommeil étant un besoin physiologique fondamental, le reste pouvait bienattendre.Àl’inverse,unpetitquinesouhaitaitplusfairelasieste–etquin’enavaitvisiblementplusbesoin–pouvaittoutàfaitchoisirderesterdanslaclasse.Hormis l’effectif des enfants, qui était moins important puisque certains

bénéficiaient d’un temps de sieste, le temps de l’après-midi n’avait rien dedifférentdeceluide lamatinée.Lesenfantschoisissaient leursactivités,et,demon côté, je passais du temps avec quelques-uns d’entre eux à présenterindividuellementdumatériel.Cesmomentsdeprésentationétaient toujoursuntemps de rencontre, de partage et de joie : nous riions très souvent, et je necachais jamais mon enthousiasme pour ces moments privilégiés avec chacund’entre euxou enpetit groupe.Nousprenionsbeaucoupdeplaisir à vivre ces

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moments chaleureux et souvent amusants. Les petits revenaient ensuiteprogressivementdelasieste.Lorsquetouslesenfantsétaientderetourenclasse,ilarrivaitrégulièrement–maispassystématiquement–quenoussortionsdanslacourderécréation.Ilétaitalorsauxalentoursde15heures.Nousprofitionsdeces moments à l’extérieur pour faire des jeux collectifs avec ceux qui lesouhaitaient, laissant lapossibilitéauxautresdecontinuerà faireduvéloouàjouer au ballon. Au début de l’expérience, nous sortions très souvent enrécréation,matinetaprès-midi.Puis,progressivementnourrisparlesactivitésdeclasse, lesenfantsexprimaientdemoinsenmoins lebesoindesortir.Nousnesortions que l’après-midi – et encore, certains râlaient grassement, car ilsn’avaientpaseuletempsdeterminerleuractivité.Lesrécréationsn’étaientdoncjamais systématiques, elles dépendaient des enfants et du temps. Il est certainquenousprofitionsdavantagedel’extérieurdèsqu’ilyavaitunrayondesoleil;enrégionparisienne, ilssontassezrares,parconséquent lesenfantsenavaientbesoin,etnousaussi.La journée se terminait en général par un moment de regroupement, lors

duquel nous chantions, faisions de la relaxation ainsi que des exercices deméditation où les enfants apprenaient à être présents et à écouter. Lesneurosciencesindiquentaujourd’huiclairementàquelpointcegenredepratiquepermet de développer calme, confiance, sérénité, empathie, et, par voie deconséquence,altruismeetcompassion.Alors,nousnenousenprivionspas.Nousl’avonsdéjàmentionné,maisjerappellequelelangagetenaituneplace

capitaledanslaviedelaclasse.Nousoffrionsàcesenfantsunesourcericheetcontinue de langage tout au long de la journée, et étions très exigeantesconcernantlevocabulaireetl’expressionorale.Nousnetolérionsdanslaclasseaucunmot familier ou raccourci. Lorsque cela se produisait, nous proposionsune alternative plus précise et plus soutenue et nous les invitions à répéter.J’étais vraiment très stricte sur ce point et ne ratais pas une occasion dedemander aux enfants de développer davantage leur propos en leur expliquantl’importance d’utiliser desmots qui exprimaient clairement leur pensée.Nousarrêtions touteactivités’il lefallait. Ils’agissaitpourmoid’unepriorité,et lesenfants le ressentaient comme tel. Lorsque, par exemple, nous étions enregroupement,etqu’unenfantneparvenaitpasàs’exprimer,lesautressavaientque j’allais prendre plusieurs minutes, s’il le fallait, mais que cet enfantressortiraitvictorieux,quoiqu’ilarrive,desonessai langagier. Je luiapportaislesmotsqu’illuimanquaitavantqu’ilnesedécourageetluipermettaisd’allerau bout de son idée. Pendant ce temps, les autres patientaient souvent trèscalmement.Ilssavaientquejeprenaiscetempspourtous,et lorsquecen’étaitpas leur tour, ils respectaient ce temps pris pour leur camarade.Nous verrons

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dans la troisièmepartiedece livre lesélémentsquiontpermisauxenfantsdedévelopperdescapacitésétonnantesd’autocontrôle.Lors des temps de regroupement, nous lisions également de nombreuses

histoires. Il s’agissait de lectures offertes, je ne m’arrêtais pas à chaque pagepour vérifier la compréhension de tous : je leur « offrais » simplement unmoment d’évasion, d’imprégnation linguistique et de calme. Je veillais àproposer une ration quotidienne de mots nouveaux qui ne soit pas tropimportanteetjem’efforçaisderéutilisercesmotslesjourssuivants.Lorsquejem’apercevaisquelerécitoffraittropdevocabulairenouveau,jeprenaissoinderemplacer spontanément certains mots par d’autres. Les enfants ne s’enapercevaientpassurlemoment.Néanmoins,certainsgrands,enrelisantensuiteseuls les contes que je leur avais préalablement lus, me disaient parfois enpointant du doigt un verbe : «Mais Céline, tu n’as pas dit ce mot-là, tout àl’heure,çaveutdirequoi“octroya”?»Lasemainesepoursuivaitde lamêmefaçon.Ellepouvaitêtreponctuéepar

dessortiesextrascolaires,oudesinterventionsextérieuresdedanse,demusiqueoude théâtre.Nousne faisionspasdemotricité traditionnelle. Jen’étaispasàl’aise avec l’idée de faire patienter les enfants pour monter un à un sur unepoutre,ousauterlesunsaprèslesautresdansdepetitscerceaux.Aufinal,lorsde ces moments traditionnels de motricité, le temps d’activité individuel estsouventtrèscourt.Cegenred’activitéstrèsdirigées,tropdidactiques,memettaittrèsmalàl’aise:lesenfantstravaillentnaturellementleurmotricitéengrimpantdanslesarbresouensautantdansdescerclesqu’ilstracenteux-mêmessurlesolde lacour. Ilsn’ont,àmonsens,pasbesoindeparcours,maisdenatureetdejeuxunpeuplusrisquésqueceuxqu’ilstrouventactuellementdanslescoursderécréation4.Denombreuxspécialistesabondentaujourd’huiencesens.Plusquedesséancesdemotricité,lesenfantstireraientmeilleurprofitd’êtrelibresd’agirdansunenvironnementvivantquinesoitpas lisséparuneculturequiaseptisetout. Ils devraient pouvoir courir, grimper et tomber sans se fairemal sur unepelouse, sans qu’un adulte leur dise : « Bon,maintenant c’est le temps où tuexerces ton équilibre, tumarches sur cette poutre et tu sautes dans le cerceaulorsquetuarrivesaubout.»Jepréféraisproposerdesrécréationspluslonguesavec,pourlesenfantsquile

souhaitaient, des échasses, des trottinettes, des vélos, etc. Ceux qui ne sesentaient pas prêts pour la trottinette s’abstenaient, et lorsqu’ils étaient prêts,nous les aidions. Nous ne forcions personne. Avons-nous obligé l’enfant de10mois à faire des exercices demotricité pour le préparer àmarcher ?Non.

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Nous l’avons simplement laissé libre d’agir, et nous l’avons soutenu etencouragéaumomentoùilsemontraitprêtàfairesespremierspas.Certes,dansuneclasseàfonctionnementtraditionnel,avecdesactivitésetdes

temps imposés qui ne conviennent pas à l’enfant, les temps de motricitédeviennent essentiels : ce sont des moments où les enfants « relâchent lapression » et sont de nouveau libres d’agir…Les jeunes enseignants savent àquelpointcesmomentsdemandentunepoigneextraordinairepourcontenirtoutecette énergie qui se libère.Mais dans le cadre d’un fonctionnement fondé surl’autonomie, les enfants ne ressentent plus le besoin de se défouler et dedécharger, en récréation ou en motricité, l’énergie accumulée dans la classe.Nous avions par conséquent également peu de conflits ou de blessures enrécréation.

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UnliensocialsolideUn journaliste m’a un jour demandé si cette individualisation de

l’accompagnement ne freinait pas les échanges collectifs. Cette question m’aensuite été souvent posée. Je suis toujours très surprise. Pourquoi ne noussommes-nouspasposélaquestioninverse?Est-cequ’unenseignementcollectif,où l’on impose aux enfants de faire les mêmes choses au même moment nefreine pas la connexion sociale empathique en favorisant la comparaison et lacompétition?Cen’estpasparcequedesenfantssontforcésdefairelesmêmeschoses enmême temps qu’ils sont forcémentensemble. Ils ont sans doute deséchanges collectifs, mais sont-ils réellement connectés ? Je ne crois pas.L’individualitén’étantpas respectéeparun tel fonctionnement, lesenfantsonttendanceàlarenforcerencherchantàsedifférencier.Ilssecomparent,jugent.Àl’inverse,enfavorisantlamiseenlienindividualiséeaveclemonde,lesenfantsse sentent considérés pour ce qu’ils sont. Ils épanouissent chacun uneindividualité propre et perçoivent de manière tout à fait naturelle que chacunévolueàsonrythme.Ilsneseposentmêmepaslaquestiondesavoirquiestenavanceouquiestenretard…Chacunestcequ’ilest,etchacunenestoùilenest.Cette diversité est épanouissante et nourrissante pour tous. L’individualitéainsirespectées’ouvreensuitegénéreusementàl’autreetl’accueillepleinementpuisqu’il n’y a plus besoin de s’en démarquer pour exister. Ils vivent ensuitetoute la journée ensemble. Les relations interpersonnelles sont extrêmementsolides et colorées, chacun ayant la possibilité de développer pleinement sapropreintériorité.Pour leur passage en CP, la dizaine d’enfants de la classe qui venaient de

passerleurstroisannéesdematernelleensembledevaientêtrerépartisdansdesclassesdifférentes.Lesparentsétaienteffondrésàl’idéedecetteséparation.Ilsavaient été si positivement surpris par le développement de leurs qualitésmoralesetsociales,etparlaforcedeleursliens,qu’ilsnevoulaientpasvoirtoutcela disparaître dans un système différent. Jeme souviens d’une réunion avecl’inspecteur,enfind’annéescolaire,visantàpréparercesparentsaupassagedeleursenfantsàla«grandeécole».Pourcetteclassesiparticulière,l’inspecteurs’était déplacé : il pensait devoir rassurer les parents concernant l’avance deleursenfants,notammentenlecture.Lorsquelaréuniondémarra,l’inspecteur–quinecraignaitqu’unechose:quetouslesparentsdemandentunsautdeclassepour leurs enfants – se lança dans un long discours, donnant de nombreuxarguments pour éviter les demandes de passage anticipé, expliqua en long, enlarge et en travers qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que les enseignants

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différencieraient leurs enseignements, que les enfants ne s’ennuieraient pas etque tout irait bien. Un papa l’interrompit. Il lui expliqua avec beaucoup defermetéqu’ilsefichaitbiendecela,qu’ilsavaientconfianceenlesenseignantspourfairecorrectementleurtravail,maisilexpliquaqueleurdemandeétaittoutautre : ils voulaient que leurs enfants soient réunis dans la même classe etconserventcettedynamiquealtruistesisurprenante.Lademandefutrefusée.Cequinemanquapasdemettrelesparentstrèsencolère.L’année suivante, alors que leurs enfants étaient en CP, les parents m’ont

rapportéquelesenfantsdelaclassecontinuaientàseregrouperaumomentdesrécréations.Enmilieud’année,unepetitefilledugroupes’estcassélebras.Cesontsesex-camaradesdeclassequi,lesoiraprèsl’école,accouraientpourporterson cartable.Certains se proposaient de venir l’aider à faire ses devoirs, alorsqu’ilsn’étaientplusdans lamêmeclasse.Le lienétait toujours aussi solideetl’éland’entraidenetarissaitpas.Donc,pourrépondreàlaquestion:«Est-cequ’unenseignementindividualisé

freine les échanges collectifs ? », je réponds sans l’ombre d’un doute : Non.Seulelamiseenlienavecl’environnementestindividuelle.Laviequotidienneestéminemmentcollective.Et,parailleurs,l’accompagnementindividualisédesenfantspermet lavéritable rencontrehumaine làoù l’enseignementcollectif, àl’inverse,lacontraint.

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L’adultelibéréCe fonctionnement fondé sur l’autonomie et l’individualisation libère non

seulement l’enfant, mais également l’adulte qui a naturellement tendance,commenousl’avonsvuplushaut,àétablirunrapportindividuel,authentiqueetchaleureux avec les enfants. Or, dans le cadre d’un fonctionnement de classetraditionnel,l’adultedoit«tenir»,demanièreverticale–etparfoiscoercitive–toutungrouped’enfants,cequi,enplusd’êtreépuisant,necorrespondpasàsestendancesspontanées–niàcellesdesenfants.Aufinal,toutlemondesubit:lesenfantssouffrentdenepasêtrelibres,etlesadultessouffrentdecontraindrelesenfants. Ce fonctionnement vertical et contrôlant n’est bon pour personne. Sinouschangeonsdeposture,etsinousacceptonsdecoopéreraveclesloisdelanature, en offrant un cadre fondé sur l’autonomie et le mélange des âges, lacontrainte ressentie par tous se dissipe à mesure que les enfants deviennentprogressivement autonomes. Je reçois un nombre extraordinaire de mailsd’enseignantsdematernellequientémoignentspontanémentavecbeaucoupdefinesseetd’émotion.

«Depuisseptembre,finilesateliersdirigés,lesgroupesdecouleurs,lesatelierssurfiche…Etvoilàleconstat.Réunionderentrée:explicationdeladémarcheavecl’appuide vos documents scientifiques5, j’ai reçu pour la première fois de ma carrière desapplaudissements de parents en fin de réunion ! Ça motive et ça encourage ; mesquelques peurs, craintes se sont immédiatement effacées. Nous sommes en février :quatreélèvesdemoyennesectionsurdixsavent lireet jepensequedeux,voiretrois,sauront lire à coup sûr d’ici la fin de l’année.Quatre sur dix connaissent les grandsnombreset saurontcertainement fairedesadditionsdegrandsnombresd’ici la findel’année.Uneélève,considéréecommepeumotivéel’annéedernière,qui inquiétaitunpeuladirectricecarellelatrouvaittristeetpeualerte,estl’élèvelapluscurieusedelaclasse, elle s’intéresse à tout : mathématiques, lecture, graphisme… Elle a mêmedépassé les deux élèves que nous considérions comme des “exceptions” l’annéedernière.Le retourdesparentsdépasseaussimesespérances : ils sont satisfaitsde lademanded’autonomie,durespectdechacun,delacuriositédeleursenfants.Dansmavie personnelle et professionnelle, celam’a aussi transformée. Je me suis libérée decette tensionque créaient les ateliers. Jenedis plus : “Allezon sedépêche” toute lajournée, mais “Ne t’inquiète pas, tu pourras continuer plus tard, tu pourrasrecommencer demain…” Je ne me crée plus de nœud au cerveau si une sortie, unintervenant, un imprévu casse ma mécanique de rotation des ateliers et cela m’adétendue ! Un parent peut venir lire une histoire en langue étrangère ? Quand vousvoulez, pas de soucis…un enfant veut présenter un objet, un débat doit avoir lieu ?

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Aujourd’hui,pasdesoucis,etc.Lafiertédanslesyeuxdesenfantsestdevenuemasèveprofessionnelleetjesuisbiennourrie!Du coup, à lamaison, je profite bien plus demes enfants, jemepermets de jouer

aveceux,deprofiterd’eux,deprendredu temps,et tantpissi lamiseà jourdemoncahier de suivi ne se fait que demain…mon cerveau détendu est là pour m’aider àsuivrelelendemain!MerciàmonATSEM,quim’asuivieaveuglémentetm’aremontélemoralquandj’aieudesdoutes.Ellevoulaitchangerd’école,finalementellevoudraitfaire un an de plus avecmoi pour continuer à travailler avecmoi de cette manière.Merciàmonmariquimetrouveformidabled’avoirunetelledémarche,safiertédanssonregardmefaitdubienàchaquedoute.C’estlapremièreannéequ’ilnemereprochepas de trop travailler pour l’école (et pourtant, je bricole pour fabriquer tout lematériel!).»

AurélieGourmelon,Vanves,Hauts-de-Seine

«MadameAlvarez, j’ose venir voler un peu de votre temps que je sais précieux,pardonnez-moi.Mais,puisquevousavezsciemmentetallégrementbouleversémavieprofessionnelle,jem’autoriseàpenserqu’unfeed-backsurvosexactionspourraitvousintéresser. Rapide tableau : 36 ans. Après de longues études de philo, dix ans deremplacement en tant que professeur des écoles, je deviens à la rentrée 2015-2016titulaired’uneclassedemoyennesectiondansuneécoleenREP+6duHavre.[…]Ces10 années de “brigade” (l’horrible mot) m’avaient rendu un peu résigné quant auxdéterminismes sociaux et à la capacité de l’école à les surmonter… J’ai côtoyéénormémentd’enseignantsconsciencieux, laborieuxetbienveillantsmais toujourscesmêmes 30-40 % d’enfants qu’on n’atteint jamais… Et puis, quinze jours après larentrée, je découvre votre travail. Bam ! (Encore aujourd’hui sous le coup de ladéflagration !) Incroyable ! Le “non-dupe” croit d’abord à un fake. On ne la lui faitpas…Non ?Vraiment ?Ouah ! S’est ensuivi un débat entremon honnêteté etmonintelligencequia5minutesplustardaccouchédurésultatsuivant:ilseraitcrimineldenepastenterdereproduirevotretravail.Etpasdemain.Maintenant.Sijevousécrisaujourd’hui,c’estpourvoustémoignermonimmensegratitude,pour

touscesmomentsdegrâcequejevischaquejourdansmaclasse(etdontjesuishélasleseul témoin, pas même une ATSEM avec qui partager cela), pour le bonheurinsoupçonnéquejeprendschaquejour(cardécuplé),pourlajoiesurlesvisagesdemesélèvesquandchaquematinilsfranchissentleseuildelaclasse.Je redécouvre mon travail et baigne depuis vous dans une euphorie intellectuelle

aussipuissantequ’unpsychotrope.Oui,biensûr,certainsjourssontpassésàépongerlesol,àchangerdesenfantstrempésouàramasserduverrebrisé,jedoisleconfesser,jevousaimaudite…Maisc’étaitsansconnaîtrelamesuredesjoiesquim’attendaient…Certes,toutestencoreloind’êtreparfait(ouverturedeclassesansbudget)maisplusunseul instant je ne regrette d’avoir foncé tête baissée sur vos traces… Pour un telbouleversement,unmercimesemblaitunpeucourt.Desmilliersn’ysuffiraientpasnon

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plus…Sivousendoutiezencore,votretravailtrouveçàetlàunvéritableéchoetl’onsent souffler grâce à vous une bise – qui ne manquera pas devenir une tempête –nouvelleetpleinedepromessesdanslesécolesmaternelles.»

JulienMertens,LeHavre,Seine-Maritime

«ChèreCéline, j’ai eu une année très difficile tant à l’école (classe surchargée de31 élèves de petite et moyenne section, avec un enfant très difficile au bord de lapathologie psychologique…), tant d’un point de vue personnel à cause de soucis desanté : j’avais perdu la foi…Et incidemment j’ai découvert toute votre expérience àGennevilliers :quedubonheurpartagé. J’enai chamboulé immédiatement toutemonorganisation dès la fin avril 2016, après les vacances, ne pouvant pas accepterd’attendrelaprochainerentréedeseptembrepourmemettreenroute.Quel changement ! J’ai foncé car je me disais que je ne voulais plus “gâcher” le

potentiel des petits encore dix semaines de plus… Ils étaient forts surpris de tout cechangementmais tous“partants”,même lesmoyensetmêmecepetitgarçondifficileontputrouverdesatoutsàcettenouvellefaçondefonctionner.J’avoue que je tâtonne encore,mais l’ambiance de classe à 31 a viré au calme, à

l’apaisement…(quellepaixintérieure),unevraieboufféed’airfrais.»HélènePerek,Delme,Moselle

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Laposturedel’adulteAu sein d’un tel environnement, le rôle de l’adulte se transforme. Sa tâche

principale n’est plus de « tenir » tout un groupe d’enfants, mais de créer lesconditions propices à l’apprentissage et à l’épanouissement individuel etcollectif. Ilprépareetsélectionnelesactivitésqui luisemblentnourrissantesetpertinentes.Ils’assurequel’environnementdel’enfantsoitordonnéetpropre.Ilindividualise totalement son étayage afin de proposer à chaque enfant le bonniveau de difficulté qui doit être suffisamment stimulant pour l’enfant sansjamaisêtredécourageant.Les sciences cognitives nous indiquent en effet aujourd’hui que les enfants

apprennent lorsqu’ils sont confrontés à une difficulté suffisamment importantepourêtremotivante,maispas tropimportantepournepasêtredécourageante7.Et, soit dit en passant, la plupart des enfants font exactement cela demanièrenaturelle : ils se dirigent vers les activités toujours proches de leur zoneproximalededéveloppementetnevontquetrèsrarementau-delà.Cette individualisation permet également à l’adulte de s’adapter aux centres

d’intérêt, à la personnalité, aux doutes et aux difficultés de chacun. Il suit lesprogrès individuels des enfants par des tableaux ou des fiches de suivi, afind’optimiser son accompagnement8. Il veille à ne jamais laisser un enfant sedécourager. Son étayage individuel est toujours un moment privilégié, où ladimension affective agit comme un catalyseur. L’enfant, qui se sent respecté,aimé,etconsidéré,développeconfianceetestimedesoi.Ilaalorsplaisiràfaireparlui-mêmeetàprendredesrisques,d’abordavecl’autrequileregardeetquilui offre toute sa confiance, puis peu à peu, il s’élance et conquiert sonindépendanceenayantdemoinsenmoinsrecoursàl’adulte9.L’adultedevientunfacilitateur,unguidebienveillant,quiprendle tempsde

semettreauniveaudel’enfantpourluiparler.Unhommen’estjamaissigrandquelorsqu’ilestàgenoupouraiderunenfant,écrivaitPythagore.Néanmoins,iln’hésitepasàprocureruncadrestrictauxenfants,quilessécuriseetlesoriente:ildonneainsi,demanièretrèsclaire,lesrèglesdeviecollective,etilapprendàarrêter immédiatement tout comportement qui ne serait pas constructif. Uneétudemenéeauprèsd’enfantsde2ansmontrequecetteassociationdesoutienbienveillantetdefermetédonnelesmeilleursrésultatséducatifs:ellefournitdesrepères clairs à l’enfant tout en l’invitant à affirmer sa propre autonomie. Ilexprime alors un meilleur équilibre personnel, de bonnes relations avec sonentourageetdemeilleursrésultatsscolaires10.

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L’adulteprotègelaconcentrationdechacun,surtoutlorsqu’elleestpleinementengagéesuruneactivité:tantquel’enfantmontreunintérêtattentif,constantetamoureux pour la tâche qu’il est en train de réaliser, quelque chose en luis’élaboreetsetraduitpardesmillionsdeconnexionssynaptiques;l’adulteveilleà ce que cette élaboration intérieure ne soit pas interrompue. Il protège cetteactivité cérébrale créatrice, que le psychologue hongrois MihályCsíkszentmihályi11 reconnaît commeétantun état de« flow», «d’expérienceoptimale », générant une concentration intense, et, la plupart du temps, unesatisfactionprofonde.Lors de son étayage bienveillant, il est important que l’adulte veille aux

«projections»parfois inconscientessur lesenfants :ellespeuventdevenirdesprophéties autoréalisatrices. Une étude menée par Rosenthal & Jacobson12,maintenanttrèsconnue,lemontre.Àlafindesannées1960,cesdeuxchercheurschoisissent une école élémentaire de milieu socio-économique défavorisé. Ilsfont passer à tous les enfants des tests de QI en début d’année scolaire. Ilsfaussent volontairement les résultats en désignant de façon aléatoire 20 %d’enfants à qui ils attribuent des scores très supérieurs à la norme. Ils fontensuite en sorte que les enseignants prennent connaissance de ces (faux)résultats.Àlafindel’annéescolaire,lesenfantssontànouveauévaluésaveclesmêmes tests, pourmesurer leur progression. Les enseignants, croyant que ces20%d’enfants avaient des capacités supérieures à la norme, ontmodifié leurposture envers eux, impactant ainsi la progression des enfants, qui ont obtenuune progression significativement plus importante que leurs camarades. Nosprojections sont donc créatrices. Elles ont un impact considérable sur notreréalité.Ellespeuventêtrepositives–onparlealorsd’«effetPygmalion».Maisellespeuventégalementêtrenégatives–et l’onparled’«effetGolem». Ilestdonc fondamental, autant que possible, de garder une foi solide et sereine enchaqueenfant.Dans le cadre d’une classe, si cela est possible, il est important que

l’enseignantpuissesuivrelesenfantsplusieursannéesdesuite:chacunabesoin,pours’épanouir,d’unliensocialfortetsécurisant,tantavecl’adultequ’avecsescamarades;etbénéficierd’unmême«groupeclasse»plusieursannéesdesuite(mêmeavecdeschangementsminimesd’uneannéesurl’autre)permetàl’enfantdecréerdesliensdurablesetdedévelopperdavantagesescapacitéssocialesetcognitives.

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Lespremiersgestesdel’autonomieAu sein de cet environnement où les enfants sont laissés libres d’agir, ils

doiventapprendreàconquérirleurindépendance.Afindelesaccompagnerdanscette conquête, l’adulte veille à montrer explicitement aux jeunes enfants lespremiersgestesdel’autonomie.AuseindelaclassematernelledeGennevilliers,nousprocédionsàdesdémonstrationscourtesetrépétées,cequipermettaitauxchemins neuronaux nouvellement créés de se consolider. Ces séances étaienttoujoursindividuelles,claires,précises, logiques,voiresilencieuses,afinquelatransmissiondesgestesnesoitpasparasitée.Nousmontrionsauxenfantscommentmettre leurschaussonsseuls lematin,

commentrangerleurschaussuresaubonendroit,commentprendreuneactivitédélicatementsur l’étagèresans la renverserpuis la rangeràsaplace,commentdérouler et rouler un tapis, commentmarcher dans la classe sans déranger lesautres enfants, comment ranger leur chaise après s’être levés, comment parlerbas,commentouvriretfermeruneportesanslaclaqueraprèsêtrerevenusdestoilettes,commentsemoucher,commentposerdélicatementsamainsurl’épauled’unadultelorsqu’ilestoccupéetquel’ondésireluiparler,etenfin,commentmettreseschaussuresseulsetrangerleurschaussonsaubonendroitàlafindejournée.Nousprenionsvraiment le tempsdemontrer tous cesgestes auxplusjeunesdèsleurarrivéedanslaclasse13.Nous n’hésitions pas à faire ces petites démonstrations autant de fois que

nécessaire, ou à réorienter les gestes des enfants par touches discrètes et nonintrusives avant qu’ils ne se découragent. Laisser l’enfant se débrouiller seullorsqu’ilseretrouvedansuneimpasse,sousprétextedenepasledéranger,seraiteneffetunegrandeerreur :cela leplaceraitdansunegrandedifficultéetdansunegrande insécurité. Ilsedécouragerait,etsemettraitàdétourner lematérielqu’ilestentraind’utiliser.VoicicequeMariaMontessoriécrivait14 :«Quand l’enfantestabsorbépar

son “grand travail”, la maîtresse doit respecter sa concentration et ne pas ledéranger,nipardeslouanges,nipardescritiques.Denombreusesmaîtressesontprisceprincipedemanière trèssuperficielle.Aprèsavoirdistribué lematériel,elles se retirent et gardent le silence, quoi qu’il arrive. Il s’ensuit un granddésordre dans les classes. […] Une fois, je vis une classe entière d’enfantsdésordonnésquiutilisaientmaltoutlematériel.Lamaîtresseerraitdanslaclassetoutdoucement,aussisilencieusequ’unsphinx.Jeluidemandais’ilnevalaitpasmieuxquelespetitsaillentcouriraujardin.Ellepassaalorsd’unenfantàl’autre,enmurmurantàchacununmotàl’oreille.“Quefaites-vous?”luidemandai-je.

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“Jeparledoucement,pournepaslesdéranger.”Cettemaîtressefaisaitunegraveerreur ; elle craignait de déranger le désordre, au lieu de s’occuper de rétablirl’ordrequi,seul,favorisel’activitéindividuelledel’enfant.»L’enfant ne reproduira pas correctement nos gestes après la première

démonstration.Ilfaudradutemps,delafréquenceetdelapratiqueavantquelesconnexions neuronales nouvellement créées se renforcent et automatisent cesgestes en acquis solides. Le Dr Catherine Gueguen rapporte15 : « Quand lesexpériences vécues sont répétées, les connexions et les circuits cérébraux sontconsolidésencinqousixmois.»Lesmaîtresmotssontdoncpatienceetlâcher-prise : si l’enfant ne reproduit pas immédiatement ce que vous lui montrez,respirez, c’est tout à fait normal. Les aptitudes que nous souhaitons luitransmettre–tellequerangerdélicatementsachaiseouattendresontouravantdeparler–neserontpasacquisesenunefois,niendeux,nientrois:c’estparles expériences et lesobservations répétéesque l’enfant les acquerra.L’enfantaura donca priori très certainement besoin que ces petites démonstrations luisoient remontréesplusieurs fois.Et cequi importe, cen’estpas laduréede laprésentation, mais sa fréquence. Rester deux heures avec l’enfant pour luimontrerlamêmechosel’épuiseetn’engagerapasderétention.Enrevanche,luimontrer fréquemment, sur des temps courts et chaleureux, permet la rétentiondes gestes – qu’il peut ensuite s’entraîner à reproduire seul sans l’aide del’adulte.Ainsi,auseinde laclassematernelledeGennevilliers,nousrépétionssouvent, très souvent, les présentations pour les jeunes enfants qui ledemandaient.Pourcertains,uneseuleprésentationsuffisait;pourd’autres,non.Lesenfantsplusavancésquimaîtrisaientcesgestesprenaientungrandplaisir

àlesmontreretàlesremontrerdenombreusesfoisauxpetits.Cesscènesétaientparticulièrement touchantes et drôles : je me souviens de l’application de laplupart des grands lorsqu’ils faisaient ces démonstrations pratiques aux plusjeunes, jeme rappelle leur incroyable patience auprès de leurs petits disciplesquineparvenaientpas à réaliserungeste très simple ; et jeme souviensd’enavoir aperçu certains faire semblant de ne pas réussir la démonstrationsimplement pour garder l’attention bienveillante d’un grand qui ne se rendaitabsolumentpascomptedelasupercherie.Cetteentraideentredesenfantsd’âgesdifférentsétaithautementbénéfiquepour lesapprentissages: ilspouvaientêtreplus rapidement autonomes en sollicitant l’aide de vingt-cinq autres petitsenseignants,toujoursdisposésàmontrerlesgestesappropriés.Unadulten’auraitjamais puprendre en charge à lui seul autant de démonstrations répétées pourplusdevingt-cinqenfants.Lorsquelespetitsnoussollicitaientpouruntablierdifficileàaccrocherouun

tapis compliqué à rouler, nous les invitions à solliciter gentiment leurs

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camaradesplusexpérimentés.Ilfallaitalorslesvoirsedirigertimidementversun grand et balbutier des mots à peine audibles. Pour éviter cela, nous lesaccompagnionslespremièresfoisetlesaidionsàformulerleurdemande.Nousveillions à ce que cette sollicitation soit faite gentiment, élégamment etchaleureusement:«Souleyman,est-cequetupeuxm’aideràroulermontapis?Jen’yarrivepas.»Lespremières fois, lespetits traînaient lespieds,gênés,etmontraient simplement du doigt aux plus grands l’objet leur causant desdifficultés.Les grands souriaient, sachant bien que nous allions demander uneformulationexpliciteetclaire–si,bienentendu,l’enfantenétaitcapable.Nousn’insistionspassil’enfantnepouvaitounevoulaitpasreformuler.Letemps,laconfianceetlabienveillancel’aideraientàréussirplustard.

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UnespaceordonnéAfin de faciliter l’autonomie des enfants, il est important qu’ils puissent

s’orienter et se repérer dans l’espace. Ainsi, l’adulte a également pour tâched’offrirauxenfantsunenvironnementordonné,quiorganisel’espaceavecclartéetlogique.ÀGennevilliers,nousavionspenséqu’ilétaitpertinentdeséparerlesdifférentsespaces–langage,mathématiques,géographie,raffinementsensoriel,arts plastiques et activités pratiques. Cette organisation semblait convenir auxenfants et faciliter leur compréhensionde l’environnement.Au seinde chaqueaire, les activités étaient posées sur des étagères basses avec une place biendéfinie.Ladispositiondesactivités traduisaituneaugmentationprogressivedeladifficulté:àdroite,lespremièresactivités,et,plusl’enfantsedéplaçaitverslagauche,plus lesactivités secomplexifiaient.Leniveaudedifficultéétaitdoncindiquépar laplacede l’activitésur l’étagère.Lesenfantspouvaientdoncà lafoisserepérerdansl’espacegénéraldelaclasseetauseindechaqueaire : ilssituaientd’uncoupd’œilladifficultéd’uneactivitéparrapportàuneautre.Ensuite, au sein même des activités, nous prenions soin de ne laisser que

l’essentiel. Toute pièce superflue était retirée : cette clarté leur permettait decomprendrerapidementlatâcheàeffectuer,debienrangerlematérielunefoisl’activité terminée,etainsi,d’êtredavantageautonomes.Nousavonsremarquéque cette organisation ordonnée et claire de l’environnement était directementreliée non seulement à plus d’autonomie, mais également à plus de soin etd’ordre chez les enfants. Si les enfants disposent d’un environnement propre,logiquementordonnéetbeau,ilsprennentàcœurdelesoigner.Cet ordre favorise également le développement de la pensée logique, de la

mémoire, de la planification et de la flexibilité cognitive (qui sont toutes descompétencesfondamentalesdontnousreparleronsdanslatroisièmepartiedecelivre) : les enfants doivent mémoriser les liens entre les objets et leursemplacements, entre les objets et les actions à effectuer ; ils planifient leursactions pour que l’ordre ne soit pas altéré, et, en cas de désordre, ils doiventréorganiserleursactionspourque«toutrentredansl’ordre».Enseignants,n’hésitezpasàchangerplusieursfoisladispositiondelaclasse–

mêmeencoursd’année–jusqu’àtrouvercellequiseralapluslogiqueetlaplusordonnée. ÀGennevilliers, la première année, nous avons déplacé plus d’unedizainedefoislesmeubleslesoiraprèslaclasse,jusqu’àtrouverl’organisationqui nous a semblé être la plus pertinente16. Les déplacements et lescomportements des enfants pendant la journée nous donnaient de précieusesinformationsquantàlapertinencedel’organisationproposée.Ellen’étaitjamais

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àl’abrid’êtreréactualisée.Nous disposons donc d’un pré-câblage inné extrêmement sophistiqué, nous

offrant un mécanisme d’apprentissage puissant que les meilleurs ingénieursd’intelligence artificielle tentent encore d’imiter. Mais, aussi sophistiquéssoyons-nous d’un point de vue biologique, le développement de notreintelligence est avant tout conditionné par le milieu au sein duquel nousévoluons:sinousnousretrouvonsprivésdumondeaumomentoùnousdevonsnous en nourrir, nos prédispositions innées se cassent le nez sur les facteursenvironnementaux.Bienqueprogramméspourapprendre,nousnousretrouvonsavecdescarencescognitivesetcomportementalesimpressionnantes.Arrêtonsdefixernotreattentionsurlesenfantsetsurleursrésultats.Évaluons

plutôt les environnements au sein desquels ils évoluent. Le cadre est-ilsuffisamment nourrissant pour l’esprit humain en plein développement ?Suscite-t-il enthousiasme, élan, générosité ? Offre-t-il un étayage adapté,favorise-t-illarencontrehumaine,lesens,lerepos,labienveillance?Donne-t-ilaccèsàlaculturehumained’unemanièreconcrète,globale,attrayante?Offre-t-il constamment, du matin au soir, un langage précis, clair, raffiné ? Cetenvironnementest-ilau jeuneêtrehumainceque lagelée royaleestà la larved’abeille ? Il est fondamental de se poser ces questions. L’extraordinaireplasticité cérébrale du jeune être humain représente à la fois une grandeopportunité et une grande vulnérabilité. Son intelligence se forme avec lemonde. Chaque expérience compte : positive ou négative. Face à cela, unimpératifsocialémerge:nous,adultes,avonslaresponsabilitédefourniràl’êtrehumain qui vient de naître les conditions qui lui offrent lemeilleur, et qui luiévitentlepire.En attendant, nos programmes éducatifs actuels essaient maladroitement de

remplir l’enfant de connaissances, sans réellement prendre en compte nil’importancecapitaledel’environnementnilesloisnaturellesquigouvernentlaformation de son intelligence. Ces lois nous révèlent pourtant une chosefondamentale : nousnepouvonspasvraiment « enseigner » l’enfant.Lui seulpeutcréeretformersonintelligenceenfaisantsespropresexpériences.Nousnepouvonsquel’assisterdanssontravaildecréation.Letermedepédagogieactiveestparconséquentungrandpléonasme:iln’existepasdepédagogiedignedecenomquinesoitpasactive.L’êtrehumainapprendparsapropreactivitéengagéeet intrinsèquement motivée. Et sur ce point, l’école a fait fausse route. ToutcommelescontemporainsdeGaliléeontdûrevoir,nonsansdouleurs,lesbasesde l’astronomie lorsqu’ils ont fini par accepter l’agaçante vérité del’héliocentrisme, nous avons aujourd’hui à revoir la totalité de nos modèles

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éducatifssurlabasedesvéritésrévéléesdel’enfant.Etcelaesturgent.Car,pourlemoment,danscessanctuaireshéritésd’unautretemps–d’untempsoùnousnesavionspas–,desgénérationsd’êtressurdoués,affamésd’expériencesetdeconnaissances,s’ennuientauseindeclassestroppetites,etregardent lemonderéelparlafenêtreenrêvantd’explorationscomplexes,vivantesetdynamiques.

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II.

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L’aidedidactique

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G

râce à son intelligence plastique puissante, le jeune enfant emmagasine unegrande quantité d’informations par le canal de ses sens. Il semble donc trèsintéressant de lui proposer des activités qui lui permettent non seulement depréciser ses capacités de perception sensorielle – afin de mieux voir, mieuxsentir, mieux entendre, mieux goûter, mieux percevoir par le toucher –, maiségalement denommer tout ce qu’il perçoit : les couleurs et leurs nuances, lesdifférentesdimensions(épais/fin,long/court,petit/grand),lestextures(rugueux,lisse,soyeux,doux),lessons(grave/aigu,lesnotesdemusique),lesodeurs,ainsiquelesdifférentessaveurs.Auseindelaclasse,nousproposionspourcefaireunmatérielsensorieldont

unepartieaétéconçueparlemédecinfrançaisJeanItard.Cematérielaensuiteété repris et développé par son disciple Édouard Séguin, puis étoffé par leDrMariaMontessori.«Lesbarres rougesontété inventées ilyaplusdecentcinquante ans, explique le DrMontessori lors d’une conférence à Londres en19461,centansavantque jenecommencemes travaux.»Ellepoursuit :«Latourroseétaitégalementutiliséeentantquetestcognitifquaranteansavantqueje ne commencemes expérimentations […]. Je n’ai pas inventé les exercicesmoi-même,j’aiprisceuxquiexistaientdéjàetlesaitestéssurlesjeunesenfants.J’ai découvert qu’ils utilisaient lematériel avecunegrande attention et sur delongsmoments2.»En raison de sa grande simplicité, de ses couleurs attrayantes et de ses

dimensions, ce matériel sensoriel retient l’attention des enfants et les engagedans une activité hautement constructive. Néanmoins, il est fort probable qued’autres activités offrent des conditions similaires. Libre donc à chacun desélectionner celles qui semblent réunir les conditions appropriées, suscitantl’intérêt de l’enfant et facilitant sa compréhension du monde. Dans le cas oùvotre attention s’arrêterait – entre autres – sur lematériel didactiquequenousallonsprésenterbrièvementici3, ilestimportantdereprendrecethéritagedelamêmemanièrequel’afaitMariaMontessori,nonpascommeunefinalitéensoi,mais comme un point de départ fort intéressant, que nous devons absolumentnoussentirlibresd’adapterànotreépoqueetàl’enfantquenousavonsenfacede nous. Le matériel n’est qu’un moyen ; l’important, c’est l’enfant, sapersonnalité,sesrythmes,sesbesoins.Lors de cette période de grande impressionnabilité cérébrale, il semble

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également important d’offrir à l’enfant la possibilité de préciser lesconnaissances culturelles – géographie, musique, géométrie, mathématiques,lectureetécriture–dontilpossèdedéjàdesintuitions,développéesenvivantànos côtés.Dans la classe, nous proposions des activités de lecture-écriture, demathématiques, de musique, ou encore de géographie. J’ai également fait lechoix de reprendre le matériel et les activités développés, sur plusieursdécennies, par Jean Itard, Édouard Séguin etMariaMontessori. Ces dernièresréunissent en effet des conditions qui retiennent et canalisent efficacementl’attentiondel’enfant,luioffrentuneprogressionclaire,concrète,toutenétantambitieusesetstimulantes.

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MisesenpairesetgradationsAfindepréciserleurscapacitésperceptives–c’est-à-direafindemieuxvoir,

demieuxsentir,demieuxentendre,demieuxtoucher–,lesenfantssontinvitésà exercer leurs sens de deux façons : – ils peuvent réaliser des gradations,commec’estlecasaveclesbarresrouges.Aveclematérieldédiéauxcouleurs,les enfants choisissaient une couleur (le bleu par exemple) et classaient sesdifférentesnuancesdelaplusfoncéeàlaplusclaire.Cesgradationspermettaientauxenfantsdepréciseravecbeaucoupdesubtilité leursensvisueletdemieuxvoir le monde extérieur ; – lorsque le matériel le permettait, l’enfant étaitd’abord invité à effectuer unemise en paires avant la gradation : il regroupealorsdeuxàdeuxlesélémentsquipossèdentlamêmequalité.Cetexerciceestune première façon pour l’enfant de préciser et d’affiner ses capacitésperceptivesavantdepratiquerlagradation,quidemandeunecapacitéplusfinedediscrimination.Lamiseenpairesestpossibleparexempleaveclestablettesdecouleurs.L’enfantestencouragéàmettredeuxàdeuxlestablettesdestroiscouleurs primaires (bleu, rouge, jaune), puis celles d’autres couleurs (orange,vert, violet,marron, gris, noir, blanc, rose), et enfin les tablettes des soixante-trois nuances issues de neuf couleurs différentes. L’enfant possède alors centvingt-sixtablettesetdoitconstituersoixante-quatrepairesdenuances2.

Unenfantde3ansréaliseunemiseenpairesavecladeuxièmeboîtedecouleurs.

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NommersesperceptionsaveclaleçonentroistempsLorsque certaines activités induisaient un vocabulaire nouveau pour les

enfants, comme c’est le cas pour les couleurs, nous présentions celui-ci demanière assez formelle, en recourant à la très efficace leçon en trois tempsd’ÉdouardSéguin.Cestroistempsdevraientêtreconnusdetouslesenseignants,car ils permettent à l’enfant demémoriser deuxou trois nouveauxmotsd’unemanièreextraordinairementefficace.Prenonsl’exempledescouleurs:1.Lepremier temps consiste ànommer. Il s’agit de nommer soi-même les

couleursenlespointantdudoigt,etdelesfairerépéteràl’enfant.Nousdisions«rouge»enpointant lacouleurdudoigt,et l’enfant répétait :« rouge».Puisnousnommions«bleu»enpointantlacouleurdudoigt,etnousattendionsquel’enfant répète : « bleu».Nousprocédionsde lamême façon avec« jaune».Nous recommencions ainsi plusieurs fois avec les trois couleurs sur un tempscourtpournepaslasserl’enfant.2. Le deuxième temps consiste àmontrer. Nous demandions à l’enfant :

«Montre-moi le jaune.» Ilpointait alors le jauneavecsondoigt.«Oui,c’estjaune », disions-nous en confirmant le nom de la couleur. Puis nous luidemandions de nous montrer les autres couleurs que nous nommionssuccessivement, toujourssuruntempscourtetamusant.Àcetteétape, l’enfantcommençaitdéjààassocierunnomàl’objetouauconcept,sanspouvoirencorele nommer lui-même. Cette deuxième étape devait être plus longue que lesautrespourpermettreauxenfantsdebienmémoriserlevocabulaire.3.Enfin,lederniertempsconsisteàidentifier.Nousdemandionsàl’enfanten

pointantdudoigt la tablettedecouleurrouge:«Qu’est-cequec’est?»Si lesdeux tempsprécédentsontété suffisammententhousiasmants, il répondraavecélan(etparfoisbruyamment):«C’estrouge!»Nouspoursuivionsainsiaveclesdeuxautrescouleurs,etnousfaisionsdurercetroisièmetempsjusqu’àcequelenouveauvocabulairesembleacquis–enprenantsoindechangerlestablettesdeplacesurlatable(cequiamusaitbeaucouplesenfants).En prolongement de ces trois temps, nous jouions à un petit jeu que les

enfants adoraient.Nous demandions à l’un d’entre eux de fermer les yeux, etnous cachions une des trois tablettes dans notre dos ; nous invitions ensuitel’enfantàouvrir lesyeux,etnousdemandions:«Qu’est-cequej’aicaché?»Aprèsuntempsdeconcentrationparfoisintense,ilrépondait,levisageilluminédemalice:«Rouge!Tuascachélerouge!»Plustard,nousprésentionstroisautres couleurs à l’enfant en prenant soin de l’inviter tout d’abord à nommercellesqu’ilconnaissait.Parfois,iln’enavaitretenuquedeuxsurtroisdelaleçon

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entroistempsdelaveille,ilfallaitalorsluireprésenterlacouleuroubliéeavecdeuxnouvelles.Lesenfantsréutilisaientspontanémentcespetitsjeuxdecache-cache avec leurs camarades, il arrivait donc très souvent qu’ils apprennent lescouleurs entre eux sans que nous ayons à les leur soumettre demanière aussiformelle. Jemesouviensavoirvudesenfantsquineconnaissaientpas lenomdes couleurs jouer à ce jeu : ils fermaient les yeux, un camarade retirait unecouleurquiétaitsurlatable,etlacachaitdanssondos.L’enfantquiréouvraitlesyeuxsavaitcellequimanquait,s’élançaitpourlanommer,maisétaitincapabledelefaire.Frustré,ildemandaitalorsàsoncamarade:«Elles’appellecommentlacouleurdanstondos?»Dèsquesoncamaradeluirépondait,ils’appropriaitlemotetdisait:«Vert!Tuasprislevert!»De temps en temps, ilm’arrivait deprendre les principales couleurs lors de

nos tempsderegroupementcollectif3,deprésenter les tablettesuneàuneauxenfants et de les inviter à les nommer.Cet échange avait toujours lieu sur untempscourt,maisjetenaisàlefairerégulièrement,etjeleurdisaisclairement:«Lesenfants,jetiensàcequevousconnaissiezlenomdetouteslescouleurs,c’estimportant.»Ilsprenaientdonccelatrèsausérieux.Mafaçondesoulignerl’importance d’un élément comme celui-ci leur permettait d’apprendre plusrapidement. En effet, le ton de voix que j’employais, encourageant mais trèssérieux,étaitunsignalsocialostensiblequiorientaitl’attentiondesenfantssurun élément et leur faisait prendre conscience de son importance, ce qui leurpermettaitdeleretenir.Nousavonsvuenpremièrepartiedecelivrequesanscetype de signaux sociaux clairs (voix, regard, pointage), les enfants peuventpasser totalementàcôtéd’éléments flagrantset importantsàapprendrede leurenvironnement4. À l’inverse, avec ce genre d’indications explicites que jeprenaissoindedonnerauxenfants, ilsontpuretenir leschosesimportantesdemanièretrèsefficace.Bienévidemment,jenedonnaispasdetellesindicationsàtouslesregroupements,pournepasprendrelerisquedediluer l’impactdemaguidance et deperdre l’attentiondes enfants : je choisissais donc les élémentsréellement importants à souligner en priorité pour ces enfants – et attendaisparfoisplusieurssemainesqu’ilssoientacquispourdirigerensuiteleurattentionsurdenouveauxéléments.

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MieuxvoirAfin d’aider les enfants à percevoir plus finement le monde par leur sens

visuel,nousleurproposionsdifférentesactivités.Lematérieldescouleurs,ainsique celui des barres rouges, entraient dans cette catégorie. Néanmoins, pouraffiner leur sens visuel, la première activité que nous présentions aux enfants,âgésde2ansetdemià3ans,étaitcelledesencastrementscylindriques,carelleproposait un contrôle de l’erreur mécanique, ce qui aidait les enfants àdévelopper une attention plus forte, ainsi qu’un sens visuel plus précis, avantd’utiliser les autres activités, tellesque lesbarres rouges, neprésentant pasdecontrôledel’erreuraussiclair.Quatre séries de cylindres à encastrer étaient donc disponibles, chacune

proposantunegradationdedixcylindres,dontlahauteuretl’épaisseurvariaientde façonconstante. Il s’agissait,pour l’enfantqui avait retiré lescylindresdescavités,defairecorrespondreleboncylindreaveclabonnecavité.Cetteactivitépermet aux jeunes enfantsdedévelopperdemanière extrêmementprécise leurperceptiondesdimensions–hauteur,largeur–etdemieuxvoirainsilemondequilesentoure.Leurœils’affine.Nousneprésentionsqu’unseulencastrementàl’enfant, en sortant délicatement les cylindres du socle devant lui. Nous lesmélangionsensuitesurlatable,puisnousproposionsàl’enfantdelesreplacer.Avecletemps,lorsqu’ilparvenaitàréaliserseulunpremierencastrement–peuimportelequel–,nousinvitionsl’enfantàtravailleravecdeuxencastrementsenmême temps. Il devait alors mettre en paire vingt cylindres et vingt cavitésdifférentes. Pour un enfant de 3 ans, il s’agit d’une activité très difficile. Plustard, il utilisera trois encastrements enmême temps, etdevra réaliser l’activitéavec trente cylindres et trente cavités ; enfin, pour terminer, aux alentours de4 ans, les enfants réalisent spontanément cette activité avec les quatreencastrements.Ilstravaillentalorsavecquarantecylindresdifférentsetautantdecavités.

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Unenfantde4ansutiliselesquatreencastrementscylindriques.

Certainsenfantsde4anssedécourageaientfacilementdevantl’ampleurdelatâche,mais, avecunpeud’aide etd’encouragement, ilsprenaient confiance etrayonnaient ensuite de fierté après avoir replacé le dernier cylindre. Cetteactivité est très subtile, car les différences d’un cylindre à l’autre sont parfoisminimes. Ilm’arrivait régulièrementdemetromperenrangeantcematériel,etdefairecorrespondreplusieurscylindresaveclamauvaisecavité.Jedevaismeconcentrer un peu, il n’était pas possible de ranger automatiquement lescylindres.Ladifficultéreprésentaitdoncuncertaindéfi,mêmepourdesenfantsde5ans.Jemesouvienspourtantd’unpetitgarçonde3ansquis’était fixé l’objectif

trèsambitieuxderéalisercetteactivitédèslespremièresfoisavectroisouquatreencastrements,alorsqu’iln’étaitmêmepascapabled’enfaireunseul.Sursontapis, il disposait ainsi tous les cylindres de deux ou trois encastrements à lafois… Je lui disais régulièrement : « Tu sais, je pense que tu devrais déjàcommencerparunseulencastrement,etlorsquetuarriverasàlefaire,tupourrasenprendreundeuxième.»Jereposaisalors,sousleregardimpuissantdujeuneenfant,deuxdestroisencastrementssurl’étagèrepourneluienlaisserqu’un.Àpeine avais-je le dos tourné qu’il retournait chercher les encastrements que jevenais de ranger. Je le laissais un peu puis, lorsque les cylindres qu’il neparvenait pas à replacer dans les cavités commençaient à rouler sur le sol,risquant de faire glisser ses camarades, je retournais les ranger. Anna, quiobservaitceballetdepuisplusieursjours,mesuggéradenepasintervenir.J’étais

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vraimentpersuadéequeledéfiqu’ilsefixaitétaitbientropambitieux,etquelelaisser avec un tel niveau de difficulté ne l’aiderait pas. Je me trompaistotalement.Ne souhaitant pas entrer en lutte avec lui, et aidée par l’invitationd’Anna,jedécidaidelelaisserfaire,enluidemandantsimplementdeveilleràce que tous les cylindres restent bien sur son tapis. Je craignais vraiment uneglissade malheureuse. Le petit garçon a donc poursuivi son occupation –toujourslamême–touteslesmatinéesdestroissemainessuivantes.Eteneffet,il progressait. Un matin, je le vis prendre les quatre encastrements, sortir lesquarante cylindres, les mélanger, et les replacer les uns après les autres avecassuranceetpeud’hésitation.Jen’avaisjamaisvuunenfantsijeuneréussircetexploit!Jerépète,ils’agitpourtantd’unexercicedifficileettrèssubtil.Cetteanecdotem’arappelédeuxchoses:d’abord,ilfautveilleràrestertrès

humble,etàrespecter lesobjectifsquelesenfantssefixent–mêmesiceux-cinous semblent totalement exagérés. Lorsque l’enfant insiste autant, il estimportantdele laisserallerauboutdesonambition.Ladeuxièmechose,c’estque les activités que nous suggérons habituellement aux jeunes enfants dematernelle, en les invitant à assembler quelques pièces de puzzle ou à placerquelques anneaux autour d’un piquet, sous-estiment dramatiquement leurintelligence.Comme je l’aimentionné précédemment, cette activité d’éducation de l’œil

possède le grand avantage de proposer un contrôle de l’erreurmécanique : sil’enfantchoisitunecavitépluslargequelediamètreducylindre,ilverraquelecylindren’estpasbienmaintenuet essaierauneautre cavité.S’ilne remarquepas immédiatement son erreur, il la constatera à la fin lorsqu’il ne lui restera,entrelesmains,qu’uncylindrepluslargequelacavité.Ilfronceracertainementlessourcils,maisavecunpeudepersévérance,iltrouveralui-mêmelasolution.Grâceàcecontrôlede l’erreurmécanique, l’enfantpeutajustersesprédictionserronées,etrépétersonactivitéjusqu’àlamaîtriserparfaitement,sansl’aidedel’adulte.Plustard,lorsquel’enfantauraaffinésescapacitésdediscriminationvisuelle,

ilpourrautiliserlesquatresériesdecylindres–cettefois-cisansencastrements.L’enfant devra donc percevoir son erreur seul, par sa propre observation. Lesenfantsadoraientcetteactivité.Lestroismatérielssuivants–tourrose,escaliermarron,barresrouges–,après

les encastrements cylindriques présentés, invitaient l’enfant à effectuer unegradation assez subtile pour son jeuneœil, et de plus en plus compliquée. Lecontrôledel’erreur,aveccesactivités,estvisuel:c’estl’enfant,parlapratique,quipercevraprogressivementetseulsonerreur.C’estpourcela,notamment,queces trois matériels sont de grande taille : les différences sont ainsi plus

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perceptibles.

Annamontreàunenfantcommentréaliserlagradationd’unedesquatresériesdecylindres.L’enfantpeutlaréaliserdecettemanière,àl’horizontale,ousousformedetour,àlaverticale.

La tour roseestassezsimpleà réaliser,car tous lescôtésdescubesvarient.Lesdifférencesentrelescubessontminimes,maisplusfacilementrepérables.

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Unenfantde3ansréaliselagradationdescubesdelatourrose.

L’escaliermarron est un peu plus complexe à réaliser, car un des côtés despavés (longueur) ne varie pas. Les enfants ont donc plus de difficultés àpercevoir la différence entre les pavés, qui ne varient qu’en deux dimensions(hauteuretlargeur).

Lagradationdesdixpavésformel’escaliermarron.

Enfin, lagradationdesbarres rouges représentepour lesenfantsunegrandedifficulté,cardeuxcôtésdespavésnevarientpas(largeurethauteur).Seulelalongueur change. Bien que cela semble surprenant, les enfants ont réellementbeaucoupdemalàréalisercettetroisièmeactivité,quinevariequ’enuneseuledimension(longueur).Lorsdenoséchangesaveclesenfantsautourdecematérieldidactique,nous

veillionstoujoursàutiliserdesnomsetdesadjectifsprécis:pavé,cube,barre,long,court,large,étroit,haut,bas,etc.Ils’agissait,commejel’aiplusieursfoismentionné dans la première partie de ce livre, d’une règle générale que nousnous imposions pour toutes les activités et discussions avec les enfants : lesobjetsetdifférentsconceptsétaientnommésde lamanière lapluspréciseet laplusjustepossible.Lesenfantsadoraientcela,cevocabulaire«érudit»semblaitsatisfaire leur désir profond de communiquer et de nommer le monde avecprécision.

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Unenfantréaliselagradationdesdixbarres.

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MieuxentendreNousproposionségalementauxenfantsd’affinerleursperceptionsauditives:

àl’aidedeboîtesàbruits,dansunpremiertemps,offrantdeuxsériesidentiquesde sons différents (avec, à l’intérieur des boîtes : du sable très fin, de petitscailloux ou différentes sortes de graines). Les enfants devaient retrouver lesbruits similaires « cachés » dans chacune des deux séries, et les mettre parpaires. Ils pouvaient ensuite n’utiliser qu’une série de boîtes (la rouge ou lableue)eteffectuerunegradation,dubruitleplusfortaubruitleplusfaible–oul’inverse.

Unenfantde3ansréaliseunemiseenpaires«àl’oreille»aveclesboîtesàbruits.

Lesenfantspouvaient ensuitepréciser leursperceptionsauditives avecdeuxsériesdeclochettesoffrantchacune lagammededo (do,ré,mi, fa,sol, la,si,do). Les enfants mélangeaient toutes les clochettes des deux séries (ilsdisposaientainsidedeuxgammesdedo;avecdeuxdo,deuxré,deuxmi,deuxfa, deux sol, etc.) ; puis ils cherchaient les paires et les réunissaient (les réensemble, lesmi ensemble, etc.).Enparallèle, ilspouvaient également–et ilsadoraientça–mélangersurun tapis leshuitclochettesd’uneseulesérieet lesremettredansl’ordrepourreformerlefameux:do,ré,mi, fa,sol, la,si,do. Ils’agissaitalorsd’unegradationdusonleplusgraveausonleplusaigu.

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MieuxpercevoirparletoucherLes enfants exerçaient également leurs perceptions tactiles. À l’aide

d’échantillonsdetissusregroupésdansuneboîte,lesenfants,invitésàsemettreunbandeausurlesyeux,devaientretrouver,autoucher,parmitouslescouponséparpilléssuruntapis,lespairessimilaires.Lesenfantsadoraientcetteactivité,qu’ils réalisaient souvent à deux : un enfant éparpillait les bouts de tissus,pendantquesoncamarade,lesyeuxbandés,tentaitensuitedemettrelesmêmestissus ensemble. Nous leur donnions évidemment le nom de chaque paired’étoffes :soie,coton, lin, tulle,Lycra, feutrine,etc.Lamêmeactivitépouvaitêtreréaliséeavecdes tablettesrecouvertesdedifférentesmatières :au toucher,unbandeausurlesyeux,lesenfantsétaientconviésàmettreenpairesautoucherles tablettes identiques,qu’uncamaradeavaitmélangées aupréalable.Lenomde chaquematière était également donné :métal, liège, verre, ardoise, feutre,bois.

Unenfantde4ansréaliseunemiseenpaires«àl’oreille»aveclesclochettes:ilréunitlesdeuxdo,lesdeuxré,lesdeuxmi,etc.,sansforcémentcommencerparlesdo.L’importantàcestadeestqu’ils’exerceà

entendreetàreconnaîtrelesmêmessons.

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MieuxsentiretmieuxgoûterNous proposions également aux enfants de préciser leurs perceptions

gustativesetolfactives,maisdefaçonplus«vivante»,entestantrégulièrementavec les enfants des saveurs et des odeurs lors de nos regroupements. Parexemple,j’amenaisdelalavandeetlafaisaissentirauxenfants,jeprenaissoindelanommeretdedemanderauxenfantss’ilsavaientdéjàsentiunetelleodeur.Puis nous laissions ensuite la lavande dans la classe, près d’autres senteursamenées précédemment. Les enfants pouvaient les sentir à n’importe quelmomentdelajournée.Unpetitjeuamusantenregroupementcollectifconsistaitàdemanderponctuellementàunenfantdefermerlesyeux,puisàluifairesentirune des odeurs conservées dans la classe, et à l’inviter à la nommer s’il lareconnaissait.

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L’enfantaffinesessensenlesexerçantLaplupartdesjeunesenfantsde3ansnesaurontpasimmédiatementeffectuer

unegradationjustedescubes,despavésoudesbarres,nieffectuerunemiseenpaires des sons, des textures ou des couleurs identiques. Ils affinerontprogressivement leurs capacitésperceptives en s’exerçant et en regardant leurscamarades le faire. Nous observerons donc pour commencer des erreursflagrantes chez les enfants, et cela est tout à fait normal. Certains enfantspourront s’apercevoirqu’ils se trompent sinousattirons leur attention sur leurerreurdeperception,maispourd’autres,nousauronsbeaulaleurmontrer,ilsnela verront pas et nous regarderont l’air de ne pas comprendre, totalementsatisfaits d’eux-mêmes.Leur capacité de discriminationn’est pas encore assezdéveloppée.C’estuniquementparl’exercicerégulierqu’ilsverrontcequ’ilsnevoyaientpasauparavant : l’erreur flagrante,qu’ilsnepercevaientpasquelquesjoursavant,lesdérangeraimmédiatement.Cesactivitéscherchentàexercerladiscriminationdel’enfant:l’objectifn’est

donc pas qu’il réussisse tout de suite la mise en paires ou la gradation ; aucontraire, ils’agitdeluiproposeruneactivitésuffisammentdifficilepourqu’ilpuisse entraîner ses capacités de discrimination. Lorsque l’enfant parvientrapidementàréaliserunedecesactivitéssansfaired’erreurs,ladifficultén’estplus suffisamment importante pour lui : il ne pourra pas affiner davantage sescapacités sensorielles. Dans ce cas, une autre activité, d’une difficultésupérieure,devraitluiêtreproposée.La plupart des exercices sensoriels que nous avons évoqués – tour rose,

escaliermarron,barres rouges,couleurs,boîtesàbruits, tissus,etc.–sontplusdifficiles que les encastrements cylindriques, car ils ne permettent pas decontrôlemécanique de l’erreur. C’est l’enfant, par sonœil, sonoreille ou sontoucherentraîné,quiserendracompteprogressivementdeseserreurs.

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AffinersesperceptionsetredécouvrirlemondeEn lui suggérant de nommer et d’affiner ses perceptions sensorielles, ce

matériel permet à l’enfant demieux voir lemonde. Jeme souviens d’un petitgarçonkabylequineparlaitpasfrançaisàsonentréedanslaclasse.J’aiutilisélematériel des couleurs pour lui apporter rapidement le nom des couleursprimaires–rouge,jaune,bleu.Ils’estalorspassionnépourlesujet.Ildemandaitsansarrêt:«C’estquellecouleur?»enpointantdudoigtmachemise,alorsqueje lui parlais d’autre chose. Il était également fréquent qu’il s’immobilise enpleineconversationetcrieenapercevantunobjet:«Çac’estrouge!Céline,çac’est rouge ! » Il apprit les couleurs en un rien de temps. Les grands l’ontbeaucoup aidé en acceptant de les lui montrer – ses demandes étaient trèsinsistantesetpersuasives–etdelesluirépéterdenombreusesfois.Cetenfantad’ailleursrapidementparléfrançais.Enaffinantainsilessens,quisontl’intermédiaireentrelemondeetl’enfant,

nousluipermettonsd’affinersonintelligenceetsacompréhensiondumonde.Lematériel présenté ici peut tout à fait être remplacé par d’autres types de

dispositifs ou d’activités offrant la possibilité à l’enfant de préciser sesperceptions sensorielles et de les nommer. Je vous invite donc à explorer lespossibilités existantes, et à ne pas vous cantonner à ce matériel spécifique.L’important est de choisir unmatériel qui vous semble pertinent, clair, et quiretiennel’attentiondel’enfant.Vouspouvezvousfairepleinementconfianceeteffectuer une sélection d’activités librement, en vous laissant toujours guiderdans vos choix par la concentration et l’intérêt que l’activité suscitera chezl’enfant.

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Cesactivitésnesontqu’uncomplémentCematérielvientcompléterunevieréellevivante, richeetvariée :marcher

danslesable,surlamoquette,toucherdubois,fairedelapeinture,delapoterie,jouerdansl’eau,transporterdesmorceauxdeboispouraideràfaireunfeu–etdonccomparerleslongueurspourneprendrequelesplusfinesetlespluspetitespar exemple, préparer une salade de fruits et nommer toutes leurs bellescouleurs, écouter le chant des oiseaux en forêt et essayer de les reconnaître,ramasserdes feuillesmortesà l’automneet lesobserver, sentir lacoriandreoules rosesdans le jardin ; vivre, vivre et vivre, enpleineprésence à cemonde.Toutes ces expériences sensorielles si simples et si naturelles sont celles quinourrissentl’intelligenceplastiquedel’enfantenpleindéveloppement,etcesontelles qui sont irremplaçables. Lematériel n’offre pas le contenu à l’enfant, iloffrel’ordrepourcecontenu:illuipermetd’organiseretdenommercertainesimpressions que le monde lui a déjà apportées. L’essentiel du raffinementsensorieldel’enfantadonclieuendehorsdecesactivitésdidactiques:ils’agitdefavoriser lavie,etdeproposer,encomplément,desactivitésquipermettentd’ordonner et de s’approprier les informations sensorielles qu’elle offre àl’enfant.

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2.

Offrirlaculturedemanièresensorielle,claireetprogressive

Lematérielque jevaismaintenantbrièvementprésenter,également issudestravaux d’Itard, Séguin etMontessori, met en lumière demanière concrète etévidente des concepts abstraits souvent difficiles à transmettre aux enfants :géométrie, géographie, musique, mathématiques, ou encore le codealphabétique. Dans ce chapitre, nous aborderons les trois premiers domainescités,et,afindedévelopperdavantagelesdeuxderniers–lesmathématiquesetlelangage–,jeleurconsacreraileschapitres3(mathématiques)et4(langage).Cematérielculturelpossèdedenouveau l’immenseavantagede respecter le

fonctionnementcérébralhumain,enneproposantjamaisdedoubletâche.Ainsi,lecerveau,quinesaitpasfairedeuxchosesàlafois,n’ajamaisdeuxobjectifsàréaliser ou deux éléments à retenir en même temps. Là où le matériel deraffinement sensoriel, que je viens brièvement de vous présenter, isolait uneseulequalitéàexplorer,celui-cineproposequ’uneconnaissanceàs’approprier.Lorsqu’elleestacquise,uneautreluiestajoutéeaveclematérielsuivant.

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GéographieNousproposionsauxenfantsdegrandsrepèresgéographiques:planète,terre,

eau, continents, océans, pays. Nous introduisions tout d’abord ces différentesnotionsavecdeuxglobes.

Àgauchelepremierglobeprésentéauxenfants;àdroite,lesecond.

Nouscommencionsaveclepremierglobe.Aprèsavoir indiquéà l’enfantde3 ans que le globe représentait notre planète, nous attirions son attention surdeuxélémentsprincipaux:«Surlaplanète,tuvois,ilyadeuxchoses:ilyadel’eau, et il y a de la terre. »Nous l’aidions à fixer ce nouveau vocabulaire – terre/eau – par une leçon en trois temps de Séguin. Nous laissions ensuitel’enfantexplorerleglobe,laformedesparcellesdeterre,celledesocéans,fairetourner le globe et le reprendre autant de fois qu’il le souhaitait. Un jour, unjeune enfant me dit après l’avoir longuement regardé seul : « Céline, y abeaucoupd’eauquandmêmesurlaplanète!»Jeluirépondis:«Oui,c’estpourcela aussi que nous l’appelons la planète bleue. »Et il entra dans une granderéflexion.Sesconnexionsneuronalesdevaientêtreen traindes’activeràpleinrégime.Cematérielest siparfaitementclairqu’il suffitdedonner l’essentielàl’enfantpourluipermettreuneexplorationéclairée.Lelendemain,ouunautrejour,nousreprenionscepremierglobepourvérifier

quel’enfantsesouvenaitbiendecequiluiavaitétéprésenté.S’ilétaitcapable

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d’identifieraisémentlespartiesreprésentantlaterreetl’eau,nousluimontrionsl’autre globe. «Tu vois, il y a toujours l’eau, et il y a toujours la terre.Maisregarde, les êtres humains ont séparé la terre en différents continents : uncontinent… un autre continent », disais-je en pointant du doigt les différentscontinents,«unautrecontinent,unautrecontinentetencoreunautrecontinent.Tu le dis ? Continent ? –Continent », répondait l’enfant, totalement absorbé.«Lesêtreshumainsontégalementséparél’eauendifférentsocéans:unocéan,unocéan,unocéan…»,disais-jeenpointantdudoigtlesdifférentsocéans.«Tuledis?Océan?–Océan!»répondaitl’enfantgaiement.Nousfaisionsensuiteuneleçonentroistempspourfixercenouveauvocabulaire.Puisl’enfantavaitlapossibilitéd’exploreretdecontemplerlesdifférentscontinentsetleurséparationautantdetempsquesouhaité.Plustarddanslasemaine,nousreprenionscesecondglobe,etnousvérifiions

quel’enfantavaittoujoursenmémoirecenouveauvocabulaire.Jedemandaisenpointantdudoigtuncontinent:«Qu’est-cequec’est?–Uncontinent!»criaitparfois l’enfant. Jedéposais alors leglobe surun tapis ety joignaisunpuzzlereprésentantlaplanète,maiscettefois-cidefaçonplane:cequel’onappelleunpuzzle-planisphère–unesphèreplane.J’expliquaiscelasimplement:«Regarde.Ça,c’estunplanisphère:c’estlaplanète,maisquel’onaaplaniepourvoirtouslescontinentsenmêmetemps.Tulesreconnais?Tumemontresuncontinentsurleplanisphère?Unocéan?»Etl’enfantpointaitdudoigt,puisnommaitàson tour. À ce stade, il avait déjà perçu sensoriellement des concepts trèsabstraits.Ilsavaitqu’unplanisphèreestlareprésentationplanedelaplanète,etque celle-ci est composée de morceaux de terre séparés en continents et debeaucoup d’eau qu’on appelle aussi océans. Il était alors invité à réaliser lepuzzledescontinents.

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Quelquespetitsde3ansregardentunecamaraderéaliserlepuzzledescontinents.

Lapremière année, tout ce vocabulaire – continents, océans, planète, globe,planisphère–étaitnouveaupourtoutelaclasse,ilfallaitdoncl’introduireenlerépétantsouventeteninvitantlesenfantsàlerépéterrégulièrement.Néanmoins,dès l’année suivante, les enfants plus âgés l’avaient intégré et l’utilisaientfréquemment. Il était donc facilement assimilé par les nouveaux petits quiarrivaient.Ilm’estmêmearrivédeprésenterlepremierglobeàunjeuneenfant,qui me répondit presque offusqué : « Pourquoi tu me montres ça, Céline ?Joumana,ellem’adéjàmontré:regarde,çac’estlaterre,etçac’estl’eau.»Jeprenais toutdemême le tempsdevérifierque l’enfantavaitcomprisdequellereprésentationils’agissait:«Maistusaiscequec’est,ça?»dis-jeenmontrantlaplanète.«Bahoui!C’estlaplanète,c’estlàoùnousvivons!Etmoi,j’habitelà!»dit-elleenpointantuneîleduPacifique.«Pasexactement»,luirépondis-je en souriant et en regardantdu coinde l’œilAnnaqui riait. «Si tuveux, jepeuxdéjàtemontrersurquelmorceaudeterretuhabites.»Jeluiindiquaialorsle second globe. Je lui présentai la notion de continent comme je l’aiprécédemment expliqué. Et lorsqu’elle avait répété et retenu le mot«continent»,jeprenaissoindeluiexpliquerquenousvivionssurlecontinentreprésentéenrouge.Joie!disaitsonregard.Les enfants pouvaient ensuite associer aux continents les animaux les plus

représentatifsdechacund’entreeux.Nousleurprésentionslesanimauxenpetits

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groupes, nous parlions de leurs caractéristiques, et nous les associions à leurcontinent.Dupointdevuedelarichesselexicale,cepetitjeun’étaitpasinutile,trèspeud’enfantsdelaclasseconnaissaientà3anslenomdetouscesanimaux:lepanda,lagirafe,l’écureuil,l’ourspolaire,lekangourou,ouencorelaperrucheétaientdesmotstoutàfaitnouveaux.

Afindesatisfairel’enviepressantedesenfantsd’ensavoirplus,lesanimauxétaientrégulièrementchangés:lion,éléphantd’Afriqueetd’Asie,koala,etc.

Lorsque l’enfant avait suffisammentmanipulé les continents avec lepuzzle-planisphère,c’est-à-direaprèsenvironunesemaineoudeux,nousluidonnionslenomdescontinents:l’Europe,l’Afrique,l’AmériqueduNord,l’AmériqueduSud, l’Asie, l’Antarctique et l’Océanie.Nous utilisions à nouveau la leçon entroistempsdeSéguin.Lesnomsdescontinentsétaientprésentéstroispartrois,ilfallaitplusieursjourspourquelesenfantslesretiennenttous.Aprèsplusieursleçonsentroistempsrépartiessurquelquesjours,lorsqueles

nomsétaientbienacquis,nousprésentionslesdifférentspuzzlesdescontinents.Chaquecontinentavaitsonpuzzle:lespaysdechacunpouvaientêtreretirésetreplacés.Nous expliquions aux enfants que les continents sont divisés en pluspetitsmorceauxdeterreappelés«pays».Progressivement,nousdonnionsauxenfants le nom des pays – toujours avec des leçons en trois temps – encommençantparceuxquileurétaientfamiliers:laFrance,leMaroc,l’Algérie,leSénégal,laChine,l’Espagne,etc.

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Lesenfantspouvaientréaliserlepuzzledespaysdescontinentsàl’intérieurdusupportouàl’extérieur.Ilspouvaients’aiderd’unephotodupuzzleconstituépourtrouverl’emplacementdespays.

Àcestade,lesenfantsavaientenviron4ansetsavaientdéjàliredesmots,ilspouvaientdonclirelenomdespayssurlacartedecontrôle,etlesapprendrepareux-mêmes. À 5 ans, ils avaient donc une image mentale claire de ce quepouvaient être la planète, les continents, les océans et les pays. La premièreannée,jemesouviensd’unemamanquivintmevoiraprèslaclasse:«MonfilsmeparleduTogo,duBénin,ilditquecesontdespaysd’Afrique;etilmeparledel’AmériqueduSud,del’AmériqueduNord,ilmeditqu’ilyabeaucoupdeperruchesenAmériqueduSudetbeaucoupd’oursenAmériqueduNord.Ilmesoutientqu’ilapprendça ici,mais jene lecroispas.Alorscomme il insisteetquejenecomprendspasoùilpeutavoirapprisça,jeviensvousdemander.»Jeprisletempsdemontreràcettemamantoutelaprogressionquejeviensdevousexpliquer.Sonémotionfutgrandeendécouvrantquesonfilsn’inventaitrienetsavaitdéjàtoutcela.Ellemeconfia:«C’estincroyable,ilaseulement4ans!»Cequiestincroyable,àmonsens,c’estquetouslesenfantsde4ansn’aient

pas la possibilité d’être exposés à des repères géographiques aussi simples etclairs.Lorsquenous entronsdansunnouvel endroit, unemaisonpar exemple,quelqu’unnousfaitvisiterleslieuxafinquenousayonsdesrepèresletempsdenotre séjour. Pourquoi ne pas donner aux jeunes enfants – qui le demandentpourtant avec passion – une représentation claire de la planète sur laquelle ilsviventetrespirent?Dans laclasse, toutes lesoccasionsétaientbonnespour seprécipitervers le

meubledegéographieetsortirundespuzzlesdescontinentsouleplanisphère.Àchaque retour de vacances, les enfants voulaient voir sur quel continent se

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trouvaitlepaysoùilsavaientvoyagé:«LePortugal,c’estenEurope!JesuisalléeenEurope !»s’exclamait l’un.«Mais tuesdéjàenEurope, regarde.LaFranceet lePortugalsontsur lemêmecontinent.–Ah», répondait lepremieravecdéception.Unautre s’apercevaitalorsavecsurprisequ’ilavaitchangédecontinent en se rendant en Algérie. Il ne s’était pas rendu compte qu’il avaittraversé lamerenavion.Mais tousétaientfascinéspar le jeuneLucas,dont lamamanétaitjaponaise,etquiavaitpassél’étéauJapon.C’étaitleseulàêtreallésiloin.Nousvoyonsici,encoreunefois,quelematérielculturelnefaitquesoutenir

et compléter l’expérience réelle et vivantedes enfants.C’est lorsqu’il vient encomplément de leurs expériences vécues qu’il prend vraiment tout son sens.Utilisé demanière purement didactique, sans rapport avec un contexte vivant,aussiesthétiquesoit-il,cematérielneprésentequ’unintérêttrèsfaiblepourdesijeunesenfants.

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GéométrieAutourdenous, toutestgéométrique: lesbâtiments, laplupartdesobjets…

Que les enfants puissent s’approprier, explorer et nommer toutes les formesqu’ilsperçoiventestunenouvelleoccasiond’observerlemondeavecdavantagedeprécision.Pourmontrerauxenfantslesformesgéométriquesplanesetsolidesles plus courantes, nous avons à nouveau procédé d’une manière simple etconcrète.À l’aide de solides géométriques bleus, les enfants pouvaient manipuler et

exploreravecleurssenslaboule,lecône,lecube,l’ovoïde,l’ellipsoïde,lepavé,la pyramide à base carrée, la pyramide à base triangulaire et le cylindre. Ilsapprenaienttrèsrapidementcesnomsàl’aidedeplusieursleçonsentroistemps,avec une affection et une tendresse toutes particulières pour lesmots les pluscompliqués – ellipsoïde, ovoïde, pyramide à base carrée et pyramide à basetriangulaire–quifaisaientbrillerleurspetitsyeuxconquérants.Unefoiscesnomsacquis,lesenfantsaimaients’amuseràdeuxenplongeant

leursmains dans des sacs contenant les solidesminiatures : chacun des deuxenfantsplaçaitunsacautourdesoncou,et,lesmainsplongéesdanscettepocheauxtrésors,ilsattendaientqu’untroisièmecamaradeleurdise:«Lepremierquitrouve le pavé ! » Ils fouillaient alors le sac avec précipitation, et l’un d’euxsortaitlepavéetlebrandissait,victorieux.

Lessolidesgéométriques.

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En parallèle, à l’aide du cabinet de géométrie, offrant différents tiroirs, lespetitspouvaient,dès3ans,manipuler toutessortesdeformesplanes:untiroirproposaitdifférentestaillesdedisquesetderectangles,unautredifférentstypesde triangles, un autre des quadrilatères (trapèzes, parallélogrammes, losanges),unautredespolygones(pentagone,hexagone,heptagone,octogone,ennéagone,décagone), et enfin un dernier présentant toutes sortes de formes simples etrégulières bien connues en géométrie. Les enfants pouvaient prendre le tiroirqu’ilssouhaitaient,sortirlesformesplanesetleursupportsuruntapis,sortirlesformes de leur support et les y replacer. Petit à petit, nous leur donnionségalement lesnomsdeces formesgrâceàdifférentes leçonsen trois tempsdeSéguin.Encoreune fois, l’intérêtdecesactivités, c’estque lesenfantscomprennent

quelematérieldelaclassepermetunerelectureplusprécise,plusfineetexpertedu monde extérieur. Cette prise de conscience apparaît souvent de façonsoudaine,commesiunepetite lumières’éclairaitau-dessusde leur tête : ilsserendent compte que les fenêtres sont rectangulaires, que l’œuf de la poulepossède une forme ovoïdale, ou que les pieds des chaises – dont le styles’apparenteaudesigndesannées1960–dessinentuntrapèze.Nouslesaidionsbien évidemment à prendre conscience de ces petits détails en attirant leurattentiondessus.Toutefois,pourleurplusgrandejoie,certainsenfantsfaisaientcettedécouvertepareux-mêmes.

Lecabinetdegéométrie.

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Letiroirdespolygonesducabinetdegéométrie.

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MusiqueLorsquelesenfantsétaientsensibilisésauxnotesdelagammededo(do,ré,

mi,fa,sol,la,si,do)etétaientcapablesdereplacerrapidementlaséquencedansl’ordre – par l’intermédiaire des clochettes –, nous leur montrions commentcoderune suitede sons surunepetitepartition. Ils étaient ensuite capablesdedécoderetdejouerunenchaînementdenotespréparées.Ilspouvaientainsijouerunenchaînementdenotespréparé.Danscecas,lesenfantsplaçaientfaceàeuxune seule sériedeclochettes et les faisaient sonnerdans l’ordre indiquépar lapartition. Ils rejouaient souvent lamélodieplusieurs foispourautomatiser leurdécodage. Ils composaient également eux-mêmesde courtesmélodies avec leshuit notes à leur disposition à l’intention d’un camarade, qui était invité à lajouer une ou plusieurs fois de suite. Les enfants disposaient pour cela departitionslignéesvierges,surlesquellesilsdéposaienteux-mêmesdesjetonsenboispourplacerlesnotes.

Unenfantde5ansdécodeetjoueunepetitemélodie.

L’idéalseraitdepouvoiroffrirauxenfantsunesalledédiéeàlapratiquedelamusiquepournepasdéranger legroupe.Danscettesallepourraientse trouvertoutessortesdepetitsinstruments.Laprésenced’unadulteoud’unenfantexpertpour accompagner de temps à autre les petitsmusiciens en devenir dans leurs

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explorationsmusicalesseraitàmonsensunexcellentpoint.Nousavonsabordéicibrièvementlagéographie,lagéométrieetlamusique,

mais nous pouvons tout à fait proposer, de la même manière sensorielle etprogressive, un accès à la botanique, à la biologie, ou à tout autre domaineculturelsusceptibled’intéresserlesenfants.

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3.

Mathématiques1

Saviez-vousque lesnouveau-nésàpeineâgésdequelquesheurespossèdentdéjà un sens approximatif du nombre ? Cela semble difficile à croire, etpourtant…Des chercheurs ont fait écouter des suites de sons identiques – dequatreoudedouze sons–àdesnourrissons2. Ils étaient ensuiteplacésdevantdes images contenant soit quatre, soit douze points. À la grande surprise deschercheurs, les bébés regardaient bien plus longtemps les images contenant lemême nombre de points que le nombre de sons qu’ils avaient écoutés !Cetteexpérience indique que les nouveau-nés sont non seulement capables depercevoir lesquantités,maisqu’ilspeuventégalement lefaire«à l’oreille»et«àl’œil»!Et,contretouteattente,ilssontmêmecapablesd’associercesdeuxtypes de perception : la quantité de sons perçus à l’oreille est associée à laquantité de points perçus par la vue. Bien évidemment, à ce stade, les bébésseraientbienincapablesdefaireladifférenceentrequatreetcinqpointsouentredix et douze points, leur capacité de discrimination n’est pas aussi fine.C’estnéanmoinsexactementlegenred’expériencequifaitdireauxspécialistesdelacognition numérique que les nouveau-nés possèdent des capacités et desintuitions mathématiques précoces profondes. Grâce à ces intuitions innées, à4mois,alorsqu’ilsnesaventencorenimarcherniparler,lesbébéssontcapablesde percevoir une grossière erreur d’addition ou de soustraction 3 ! Deschercheursontplacé,sousleregardattentifdesenfants,unobjetdansuneboîteopaque.Puisilsenajoutaientunautre.Si,enouvrantlaboîte,iln’yavaitqu’unseulobjet–outrois!–,lesnouveau-néssemontraientstupéfaits.Ilssaventdoncintuitivementqueunplusunnefontniunnitrois,maisexactementdeux.Leursurpriseétait lamêmesideuxobjetsétaientplacésdanslaboîte,quel’unétaitensuiteretiré,maisque,enouvrantlecouvercle,ilenrestaittoujoursdeux.Lesbébés semblent donc également savoir intuitivement que le résultat de deuxmoinsunestégalàun.Cesensapproximatifdesquantitésaégalementététestéchezdesenfantsde

grandesectiondematernellequisesontmontréscapablesdediresi le résultat

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d’uneadditionoud’unesoustraction–beaucouptropdifficilespoureux–étaitjuste ou non, simplement en se basant sur leur intuition innée du nombre.L’expérimentateurdemandait:«Saraha21bonbons.Nousluiendonnons30deplus.Johna34bonbons.Quienaleplus?»Alorsqu’ilsn’avaientpasapprisàadditionnerdetelsnombres,lesenfantsétaientcapables,laplupartdutemps,derépondrecorrectementàlaquestion4.D’oùnousviendraitcetteintuitioninnéedunombre?Nousdisposons,dèsla

naissance, de circuits neuronaux spécifiques qui s’activent dès lors que nouspercevonsunequantité.Cescircuitsdotentl’êtrehumain,beaucoupplustôtquenousaurionspul’imaginer,c’est-à-diredèslanaissance,decapacitésintuitivestrès sophistiquées,quipréexistentà toutenseignement.L’écolen’adoncpasàconstruire les capacitésmathématiques de l’enfant à partir de rien, il possèdedéjàunsensinnédunombre.Ilestfondamentaldeprendrelamesured’unetelleinformation:l’enfantquientreàl’écolematernelleà3ansestnonseulementnéavecdesconnaissances intuitivesmathématiques,mais iladéjàeutroisansdeviepourlesaffiner.Ladernièreexpérienceévoquéeaveclesenfantsdegrandesection de maternelle montre que nous sous-estimons grandement leurscapacités. Au lieu d’accompagner les enfants dans le domaine desmathématiquescommes’ilsne«savaientrien»,etfinalement,prendrelerisquede les ennuyer et de perdre leur intérêt pour les nombres, la recherche encognition numérique nous invite, pour enseigner les mathématiques, à nousappuyersurcescapacitésapproximativesprécoces,etàlespréciser.Elle indique que c’est en dénombrant5 les quantités et en leur associant un

symbole (un chiffre) que l’être humain affine sa capacité de discriminationnumérique : à mesure que l’enfant fait cela, il devient capable de faire ladifférence entre des quantités proches telles que cinq et sept. La recherchepréciseégalementquecettediscriminationpeutencoreêtreperfectionnéeparlamanipulationdequantités–enlesadditionnantouenlessoustrayant,ainsiqu’ensituantlesnombresdemanièrelinéairesurunefrisenumérique.Comprendrelaprogression linéaire des quantités permet à l’enfant de saisir que le nombresuivantest toujoursplusgrandque leprécédent,etqu’ils sont séparésparuneseuleunité.C’estexactementdecettemanièrequenousavonsprocédéàGennevilliers :

nous savions que les enfants possédaient des connaissances intuitivessurprenantes, et nous les avons aidés à les préciser par le dénombrement,l’associationdesymbolesexacts(chiffres),lamanipulationdequantitésdeplusen plus importantes et le placement des nombres sur une frise numérique. Et,

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poursatisfairel’intelligenceplastiqueextraordinairedesenfants,nousleuravonsproposé très vite de très grandes quantités : ils pouvaient compter au-delàde 100, voire jusqu’à 1000, et avaient la possibilité de manipuler plusieursmilliers d’unités. Il semblerait que cet accès rapide aux grands nombres aitsatisfait,préciséetgalvanisél’intelligencemathématiqueintuitivedesenfants.Enprocédantdelasorte,lesenfantsdelaclasseontpudévelopperdanslajoie

et la facilitédegrandescapacitésmathématiques.Voiciunextraitdesrésultatsdestestsdeladeuxièmeannéed’expérimentation6:

Représentationcomplèteetunifiéeducodenumérique:Àlavuedes résultats, il estpossibled’affirmerque tous lesenfantspossèdentune

représentationsolideducodenumérique.Seulsdeuxenfantsn’obtiennentpaslesscoresmaximums aux deux épreuves.L’épreuve de décision numérique orale est réussie entotalitéparlesenfantsdegrandesectionetparunenfantdemoyennesection.OrcetteépreuveestétalonnéepourdesenfantsdeCE2.Lesenfantsquiobtiennentunscorede12/12 à cette épreuve ont non seulement lesmeilleurs résultats de leur classe d’âge,maiségalementdeceuxdelaclassedeCE2.

Comparaisondenombres:Encoreunefois,nousnepouvonsqueconstaterquetouslesenfantsrépondentavec

brioàcesdeuxépreuves,suggérantunemaîtriseétonnantepourleurâgedesgrandeursnumériques.

Conclusionpourlesépreuvesdemathématiques:Il est arrivé que certains enfants obtiennent des scores qui dépassent la limite

supérieure de leur classe d’âge. Ce phénomène est quasiment systématique pour lesépreuves de décision numérique et de comparaison des nombres.Lorsque les enfantsobtiennentlesscoresmaximumspourleurclassed’âge,ilestfréquentqu’ilsatteignentunniveaudefindeCP.TroisenfantsdegrandesectionsesituentmêmeparfoisparmilesmeilleursenfantsdeCE2.

Sansentrerdansledétaildelaprogressiondidactiqueniprésenter la totalitédu matériel utilisé en classe, voici les grandes étapes qui nous ont permisd’affinercesensinnédunombrechezlesenfants7.Nous utilisions ici encore lematériel didactique pensé par lesDr Séguin et

Montessori. Ce matériel possède l’immense qualité de préciser les intuitionsinnéesdunombredesenfantsparledénombrement,l’associationdesymbolesetlamanipulationdequantités«réelles»–avecbeaucoupdefinesse,declartéetderigueur.Chaquematérielisoleunedifficulté,proposeunseulobjectifclair,et

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ne présente pas de décorations distrayantes. L’attention de l’enfant esttotalementfocaliséesurlacompétenceàacquérir,cequi luipermetd’atteindrerapidementl’objectifproposé.Je n’ai connaissance d’aucun autre matériel didactique qui offre une telle

précisiondanssaprogressionmathématique,untelgéniedanslamatérialisationdes quantités, et qui soit d’une telle simplicité et d’une telle efficacité. C’estpourquoi jenepeuxqu’inviter lesenseignantsdematernelleetd’élémentaireàs’yintéresser.Ilestsirigoureusementconcretetprogressifqu’iléclairejusqu’àl’adultequi apprendà lemanipuler et qu’il peutmême, si celui-ci n’entretientpas de bonnes relations avec les mathématiques, le réconcilier avec cettediscipline.En complément de ce matériel, les enfants avaient à leur disposition une

longuefrisenumérique,allantjusqu’àplusde200.Elleleurpermettaitàlafoisdesatisfaireleurimmenseenviedecomptertoujoursplusloin,desefamiliariseraveclenomdeschiffresetleurcorrespondancegraphique,toutenleuroffrantlapossibilitéd’assimiler,de façonsensorielleet indirecte, leconceptde linéarité.Et, commenous l’avons précédemment évoqué, la recherche nousmontre quegrâceà la linéarité, l’enfantcomprendquechaquenombreest suivid’unautrenombrecomportantuneunitédeplus;ilaffineainsidemanièreconsidérablesacapacitéinnéedediscriminationdesquantités.

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DénombrerlesquantitésdeunàdixLa première activité que nous présentions était le matériel des barres

numériques.Aveccetteactivité,lesjeunesenfantsde3anspouvaientdénombrerprogressivementlesquantitésdeunàdixsurdixbarresdelongueurdifférentes.Lesenfantsétaientparailleurssensibilisésàcesdifférencesdelongueuraveclesbarresrouges.

Commepourlesbarresrouges,labarrelapluscourte,représentantlaquantité«un»mesuredixcentimètres,etlabarrelapluslongue,représentantlaquantité«dix»mesureunmètre.Lalongueurdes

barresaugmentededixcentimètresendixcentimètres.

Avec cematériel, chaque quantité – un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept,huit,neuf,dix–,dontlesunitéssontregroupéessurunemêmebarre,formeuntoutuni.Présenterlesnombresàl’enfantdecettemanièreestimportant:lorsquel’enfanttientdanssesmainslabarrequireprésentelaquantité«neuf»,iltientunobjetdeneufsunitésunies.Lesbarresnumériquesluidonnentainsiuneidéetrès claire du nombre : « trois, c’est trois unités ensemble » ; « quatre, c’estquatreunités ensemble».Nous invitions les enfants à dénombrer chacunedesbarresprogressivement deun àdix.Réussir à compter correctement toutes lesbarres pouvait parfois prendre plusieurs semaines, le temps que les enfantsapprennent àne« sauter»aucuneunité, tout encoordonnant l’avancementdeleurdoigtaveclasuiteoraledesnombresqu’ilsrécitentautomatiquementetquel’onappellecomptinenumérique.

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Annaaideunepetitefillede3ansàdénombrerlaquantité«quatre»degaucheàdroite,danslesensdel’écriture.

Avecuntelmatériel,lacompréhensiondunombreesttrèssimpleetefficace:nonseulementl’enfantperçoitlenombrecommeuntout,maisilpeutfacilementcomparer de manière concrète les différences de grandeur entre chacun : laquantité«dix»estreprésentéesouslaformed’unebarred’unmètrealorsquelaquantité « un » est représentée par une courte barre de dix centimètres, d’uneseule unité. L’enfant trépigne de joie devant la différence gigantesque qu’ilperçoit visuellement, sans même avoir besoin d’explication. En réalisantrégulièrement la gradation de ces barres et en les dénombrant de manièrerépétée, les enfants de3 ans sont rapidement capables depercevoir d’un coupd’œil ladifférenceentre laquantité«cinq»et laquantité«sept»,cedont ilsauraient été incapables quelques semaines auparavant. Grâce à ce matériel siclairetsiconcret,lescapacitésinnéesdesenfantss’affinent–beaucoupplusvitequecequel’onal’habituded’observertraditionnellement–,cequileurprocureunejoieetunesérénitépalpables.

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AssocierlessymbolesauxquantitésdeunàdixLorsquedénombrerétaitacquis,nous invitionsensuite lesenfantsàassocier

lessymbolesgraphiques(leschiffres1,2,3,4,5,6,7,8,9,10)auxquantitéscorrespondantes,enplaçantdepetitesplaquettesdeboischiffréessurlesbarres.

Unenfantde3ansetdemiassocieleschiffresauxquantitéscorrespondantes.

Afinquelesenfantspuissentréalisercetteassociationsymbole/quantité,nousleuravionsbienévidemmentprésentéenparallèleleschiffresde1à10,àl’aidedechiffresrugueux.Aveccematériel,lesenfantsnommaientleschiffresenlestraçantenmêmetemps.Cettedémarchemultisensoriellefacilitel’apprentissage:en effet, le cerveau apprend mieux lorsque nous faisons converger la mêmeinformation,danslemêmetemps,parl’intermédiairededifférentssens–visuel,tactile, auditif8. La recherche indique que ce type d’approche est hautementbénéfique pour tous les enfants, et qu’elle aide particulièrement ceux quiprésententdestroublesspécifiquesdel’apprentissage9.Lesenfantsmémorisentainsileschiffresdemanièreglobale:lechiffreestàlafoisunsymbole,untracéprécis(dansunsensetpasdansunautre)ainsiqu’unnom.Et,danslaclasse,ilsuffisaitauxenfantsquinesesouvenaientplusdunomd’unchiffredeletracerpourquesoudainlenomleurrevienneenmémoire.Àchaquefoisqu’unenfantnesesouvenaitplusdunomd’unchiffre,nousluidisions:«Essaiedeletracer,lenomtereviendrapeut-être»,et,latrèsgrandemajoritédutemps,lenomluirevenaitàl’esprit–avecparfoisunejoiebruyante.

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Unenfantde3ansnommeleschiffresenlestraçant.

Ainsi, lesbarresnumériquespermettentnonseulementauxenfantsd’affinerleur perception des quantités, mais également de leur associer un signegraphique. Ce signe – le chiffre – est fondamental : il code la quantité demanière abstraite, nous permettant ainsi de la manipuler aisément lorsd’additions, de soustractions, de divisions ou de multiplications. Cetteabstractiondonnedesailesànoscapacitésmathématiques.De la même façon que pour pouvoir lire et écrire, les enfants doivent

comprendre qu’un son est codé par un symbole graphique (une lettre), lesenfants doivent comprendre que le nombre est un tout d’unités regroupées, etquece«tout»estcodéparunsymbole(lechiffre).Lechiffrecodelesquantités,et la lettre code les sons. C’est cette compréhension qui ouvre la porte d’unepratique simple et libérée des mathématiques. Nul besoin d’explications pourdonnercetteclédecompréhensionauxenfants,ilsuffitdeleurdonneràvoirleschoses comme elles sont. Il s’agit simplement de leur présenter lesmathématiques d’une manière simple, épurée et intelligente. Le reste, le« déclic », a lieu automatiquement dans leurs petits cerveaux –même si pourcertains,unétayageponctuelestnécessaire.Ainsi, par exemple, il nous suffisait de placer les barres d’une certaine

manièrepourquelesenfantscomprennentspontanémentque9et1égale10;8et2égale10;7et3égale10;et6et4égale10.

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Laquantité«un»aétéplacéeàcôtédelaquantité«neuf»,cequipermetdevoirquecettecombinaisonéquivautàlaquantité«dix».Enplaçantensuitelaquantité«deux»àcôtédelaquantité«huit»,l’enfants’aperçoitquecettecombinaison(pourtantdifférentedelaprécédente)équivautégalementàlaquantité

«dix».Mêmechoseavec«sept»et«trois»,puisavec«six»et«quatre».

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ConstituerunequantitédeuneàdixunitésUne fois que les enfants commençaient à savoir dénombrer jusqu’àdix et à

associerlessymbolesauxquantités,l’étapesuivanteconsistaitàleurproposerlematériel des fuseaux. Cette fois-ci, les enfants construisaient eux-mêmes laquantitéavantdel’associerauxsymboles.Ladifficultéaugmentedonc,etl’enfantdevientplusactif:àprésent,c’està

luideconstituerlaquantité«un»,laquantité«deux»,laquantité«trois»,laquantité«quatre»,laquantité«cinq»,laquantité«six»,laquantité«sept»,laquantité«huit»,laquantité«neuf»,enréunissantlui-mêmelebonnombrede bâtonnets et en les disposant dans les cavités correspondantes surplombéesdessymboles1,2,3,4,5,6,7,8,9–et0.Constituerlaquantitén’estpasunetâcheaiséepour lesenfants tout justeâgésde4ans–certainsencoreenpetitesection de maternelle. En effet, dénombrer des unités séparées est bien plusdifficilequededénombrerdesunitésreliées,quinebougentpasetformentbloc.Ici, l’enfant doit mémoriser le nombre d’unités qu’il tient dans une main etcompteruneunitésupplémentairejusqu’àcequ’ilobtiennelaquantitévoulue–ettoutcelaengardanttoutescesinformationsenmémoirelorsquelesunités(icisous forme de bâtonnets) roulent sur la table… ! Nous invitions toujours lesenfants à « recompter » leurs quantités constituées pour vérifier leurdénombrement–ilyavaitrégulièrementdessautsd’unitésencoursderoute…letempsd’attraperunautrebâtonnet,l’enfantpouvaitoublierqu’ils’agissaitducinquièmebâtonnetetcomptait«6»,oubienrecomptait«4».

Unenfantde4ansconstituelesquantitésdebâtonnetsdeunàdix,etlesassocieauxchiffrescorrespondants,enveillantbienà«attacherensemble»lesunitésquicomposentlesquantités.

Nous invitions l’enfant à attacher ensemble les unités d’unemême quantité

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avec un élastique. Ce détail a toute son importance pour la compréhensionsensorielle du concept de quantité : il induit de manière concrète que c’estl’ensembledecesxunitésquiformelaquantité.Àcestade,lesenfantsontdéjàaffinédemanièretrèsefficaceleurscapacités

naturelles à percevoir les quantités : ils ont à peine 4 ans et sont capables deconstituer une collection allant de un à dix objets, de percevoir rapidement ladifférenceentrecesquantitésetdeleurassocierunsymbole.

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Compteretdénombrerau-delàde10Dès que la numération de un à dix était solidement acquise, les enfants

continuaientdepréciser,delamêmemanière,leurperceptiondesquantitésau-delàdedix.Toujoursparledénombrement,l’associationdesymbolesainsiquelamanipulationdequantités.Pournommeretformerdesquantitésde11à99, lesenfantsdisposaientdes

deuxtablespenséesparleDrÉdouardSéguin.

LapremièretabledeSéguinpermetauxenfantsd’apprendrelenomdessymboles«onze»,«douze»,«treize»jusqu’à«dix-neuf»parl’intermédiairedeleçonsentroistemps.Unefoislesnomsdessymbolesacquis,nousinvitionslesenfantsà«construire»etàassocierlaquantitécorrespondantàchacundeces

symboles.

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LasecondetabledeSéguinpermetd’apprendrelenomdesdizainesjusqu’à«quatre-vingt-dix»,parl’intermédiairedeleçonsentroistemps.Unefoislesnomsdesdizainesacquis,nousinvitionslesenfantsà«construire»desquantitéscomme«42».Grâceauxactivitésquenousverronsplusloin,ilssavaientquele

«4»indiquaitquatredizainesetnonquatreunités.

Les enfants étaient par ailleurs aidés dans leur acquisition du nom dessymboles,etdesdizaines,parunelonguefrisenumérique,allantjusqu’àplusde200–etfaisanttoutletourdelaclasse.

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Lesenfantss’entraînaientàcompterchacunedescasesdelafrisenumériquespontanémentplusieursfoisdanslajournée.Lesélansetlesconquêtesdesunsincitaientlesautresàallertoujoursplusloin.Ils

renforçaientetaugmentaientainsiàchaquefoisleurconnaissancedelacomptinenumérique,apprenantaupassagelenomdesdizaines–qu’ilsrépétaientquotidiennement.

Les enfants adoraient cette frise numérique car ils pouvaient s’entraîner àcompteravecl’aided’uncamarade,puis,lorsqu’ilssesentaientprêts,trèsfiers,ils insistaient pour nousmontrer jusqu’où ils pouvaient aller sans se tromper.Nous prenions alors le temps de les écouter, et il fallait parfois faire preuved’une grande patience lorsqu’un enfant souhaitait compter de 1 à 150 ! Nousplacionsalorslaphotodel’enfantsouslenombrejusqu’auquelilétaitparvenusanserreurousautdecase.C’est typiquement le genre d’activité que les enfants adorent et que vous

pouvez pratiquer à la maison. La frise numérique leur apporte de nombreuxbénéfices :connaissancede lacomptinenumérique,associationduvocabulaireavec les symboles correspondants et raffinement de la capacité à placer desnombres surun support linéaire.La rechercheencognitionnumérique indiqueclairementquel’utilisationd’unefriseentantquesupportpédagogiquepermetd’accroîtreconsidérablementlescompétencesmathématiquesdesenfants10.

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OffrirlecodedusystèmedécimalNous présentions très tôt aux enfants – dès qu’ils savaient compter jusqu’à

10–une idéedecequepouvait représenter laquantité«cent»ou laquantité«mille », avec dumatériel qui présentait le code de notre système décimal :l’unité,ladizaine,lacentaineetlemillier.Nousattirionsleurattentionsurlefaitqu’une dizaine compte dix unités, une centaine compte dix dizaines (ou 100unités), unmillier comptedixcentaines (ou1000unités).Les enfants avaientainsi, dès 4 ans, une représentation physique concrète – qu’ils pouvaientdénombrer–decesquantités.Cettereprésentationvenaitdirectementsatisfaire,souvent avec de grandes manifestations de joie, leur besoin de préciser leursintuitions très approximatives de ces grandes quantités. Les enfants ne nousdemandent-ils pas souvent : « C’est combien 100 ? C’est grand comment1 000 ? » Il fallait voir le visage de certains lorsque je leur disais en leurprésentantd’abordlacentaine,puislemillier:«Tiens,regarde:ça,c’estcent;et ça, c’est mille. » À défaut de pouvoir compter le millier dont les unitésn’étaientpastoutesvisibles,ilsselançaientsur-le-champdanslecomptagedesunités de la centaine. Nous proposions des activités en prolongement pourpermettreauxenfantsderetenircenouveauvocabulaire11.

Degaucheàdroite:l’unité,ladizaine,lacentaineetlemillier.

Lelendemain,nousmontrionsensuiteàl’enfantlessymbolescorrespondantsàcesdifférentesquantités:1,10,100,1000.Latrèsgrandemajoritédutemps,lesenfantsconnaissaientdéjàtantleconceptd’unité,dedizaine,decentaineetde millier que le nom des symboles associés : ils voyaient en effet toute lajournéeleurscamaradesplusâgéslesutiliser.

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Lessymbolescorrespondantauxquantitéspréalablementnommées.

Nous leurmontrions ensuite que si le symbole 1 000 représente unmillier,alors le symbole 3 000 représente trois milliers. Et de la même façon, si lesymbole 100 représente une centaine, alors le symbole 600 représente sixcentaines. Même chose pour les dizaines : si le symbole 10 représente unedizaine,alorslesymbole70représenteseptdizaines.Aprèscetteexplicationquin’avaitriendetrèscompliquépoureux,lesenfantsétaientrapidementcapablesd’associer x dizaines, x centaines ou x milliers avec les symboles graphiquescorrespondants.

Unenfantde4ansapprendàassocierquantitésetsymboles.

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ManipulerdegrandesquantitésLesenfantsavaientensuite lapossibilité,aveccemêmematériel,deréaliser

des additions de manière très concrète : deux enfants prenaient chacun unplateau individuel et y déposaient des quantités. Un des enfants prenait parexemple dans son plateau un millier, deux centaines, cinq dizaines et quatreunités,etassociait,danssonplateau,lesbonssymboles–1000,200,50et4–àchacunedecesquantités.Enpositionnantcorrectementlessymboleslesunssurlesautres,l’enfantpouvaitlire1254.Imaginonsquesoncamaradeaitchoisidesoncôtélaquantité2422.Lesenfantsrassemblaientensuiteleursquantitéssuruntapis,enprenantsoindeplacerleurssymboles1254et2422enhautdutapispoursesouvenirdestermesdel’addition.Untroisièmecamaradedénombraitlasommedecetteadditionencommençantparlesunités.Noustenionsàcequelesenfantsutilisentlemotexact«somme»pourévoquerlerésultatdel’addition.Ce troisième enfant dénombrait alors le nombre d’unités, de dizaines, decentaines et demilliers rassemblés, puis allait, pour chacune de ces quantités,chercher le bon symbole : 3 000, 600, 70, et 6, qui font 3 676. Les enfantsapprenaientprogressivementàformulerlerésultatàhautevoixchacunleurtour–etilsadoraientcela:«1254plus2422égale3676».Grâce au comptage sur la frise numérique que les enfants réalisaient

quotidiennement, ils connaissaient les noms des dizaines. Ils étaient doncrapidement capables – avec néanmoins un peu d’aide – de lire ces grandsnombres.Lorsquelasommeinduisaituneretenue,nousfaisionsremarquerauxenfants:«Tuascomptédixunités.Regarde»,puisnousplacionsunedizaineàcôté. « Dix unités, c’est une dizaine. Il faut mettre cette dizaine avec lesdizaines. » L’enfant plaçait alors cette nouvelle dizaine avec les autres etrecomptaitlesunités.Ilpoursuivaitaveclesdizaines.S’ilcomptaitdixdizaines,nousluirappelionsquedixdizainesformentunecentaine:nousdisposionslesdixdizainescôteàcôteetl’enfant«voyait»lacentaine.Mêmechoseavecdixcentainesposéeslesunessurlesautres:l’enfant«voyait»lemillier.Unefoisleconceptd’additioncompris,ilétaittrèsfacilepourlesenfantsde

réaliser une multiplication : il suffisait que trois enfants choisissent la mêmequantité,1254parexemple:1254+1254+1254.Nousleurexpliquionsalorsque lamultiplication est un type d’addition particulière : « Il s’agit demettreensemblelesmêmesquantités.»Lesenfantsplaçaientensuiteleurssymbolesenhaut du tapis et nous les invitions à formuler correctement le produit de lamultiplication:«3fois1254égale3762.»Les enfants pouvaient également réaliser des soustractions ou des divisions,

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demanière aussi simple et concrète. Pour la soustraction, un enfant présentaitunequantité (parexemple4843)etuncamaradeprésentaitdes symboles (parexemple378)notifiantlaquantitéqu’ilsouhaitait«retirer»chezsoncamarade.Ensemble,ilslisaientladifférencedelasoustraction.Pourladivision,unenfantprésentaitunegrandequantitéqu’ildivisaitéquitablemententredeuxcamarades(outrois).Lesenfants lisaient lerésultatdeladivisionenprenantbiensoindesignalerlereste.

Uneenfantdéplacesondoigtpours’aiderà«lire»leproduitdelamultiplicationquedeuxoutroisdesescamaradesontchoisiederéaliser.

En affinant leurs intuitions innées du nombre, les enfants de la classe ontacquis des compétences mathématiques solides : à 5 ans, la plupart étaientcapablesdefaire–etdecomprendre–leconceptd’addition,desoustraction,demultiplicationetdedivisionàplusieurschiffres. Ilsétaient toutà faitcapablesd’expliquer aux plus jeunes la manière dont ils procédaient. La majoritécommençaient par ailleurs à faire le calcul de ces grandes additions dans leurtête : lorsque deux enfants s’amusaient à faire une addition ensemble etproposaientàhautevoixàleurtroisièmecamarade«4000+3200»,unenfantassisplus loinetcoloriantunmandala,parexemple,pouvait toutàfaitspoilerinvolontairement le travail de ses deux camarades en disant à haute voix :«7200!»

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SoutenirlesélansspontanésRésumons l’impact de cette intuition mathématique précoce sur l’approche

pédagogique : la recherche12 nous indique que c’est par le dénombrement (deplus en plus poussé), par l’association de symboles graphiques (contenant deplusenplusdechiffres)etparlamanipulationconcrètedequantités(deplusenplusimportantes)quelesenfantspourrontpréciserleursensinnédesquantitésetconstruire des bases mathématiques solides. Et ils ne demandent que ça !Lorsqu’unjeuneenfantdemande:«Combiençafait30,maman?100c’estplusgrand que 30 ? Et aussi plus grand que 1 000 ? », il cherche à préciser sesintuitionsinnéesdunombre,ilestenquêtederepères.Ilnousappartientdeleslui donner de façon concrète en lui montrant à quoi peuvent correspondre detellesquantités,enl’invitantàlesmanipuler,àlescomparer,etpourquoipasàlesplacersurunefrisemurale.Pourl’enfant,affinersacompréhensionintuitivedu nombre n’est pas plus compliqué que d’apprendre les règles implicites dusubjonctif en nous écoutant parler au quotidien : l’enfant possède des circuitsneuronauxquileprédisposenttantaulangagequ’ausensdunombre.Et,s’ilnenous viendrait pas à l’esprit de nous interdire d’utiliser le subjonctif devantl’enfantsousprétextequec’esttropcomplexepourlui,nousnedevrionspasluicacherdespansentiersdelaculturemathématiquequ’ildemandepourtantavecpassion,sousprétextequ’ellenoussembledifficileàexpliqueretàcomprendre.Jetiensnéanmoinsàpréciserquel’intuitioninnéedesquantitésquepossèdent

lesenfants,ainsique les résultats trèssurprenantsobtenusenmathématiquesàGennevilliers,nesontcertainementpasuneinvitationàfairedenosenfantsdesprodiges desmathématiques dès lamaternelle.Tous les enfants de4 ou5 ansn’ontpas,àmonsens,àsavoirfairedesdivisionsàquatrechiffrespours’assurerd’un avenir heureux. Chaque enfant possède des capacités et des centresd’intérêt différents ; il ne s’agit donc pas d’attendre que tous développent lemêmeniveaudecompétencedanstouslesdomaines–etencoremoinsaumêmemoment.Cequecesrésultatssoulignentenrevanche–etils’agitlàducœurdemonmessage–,c’estquenousavonstrèsprobablementettrèslargementsous-estimé jusqu’à présent les capacités étonnantes de l’être humain dans sespremières années de vie, notamment dans ses capacités mathématiquesintuitives,etque,s’iléchoueàl’école,cen’estpeut-êtrepasparcequelestâchesquenousluiproposonssonttropdifficilespourlui,maisparcequ’ellesnesontprobablement pas à la hauteur de ses grandes capacités. L’enfant s’épuise àréaliser des tâches qui ne l’intéressent pas et qui sont indignes de sa grandeintelligence. Tous n’iront pas si loin si tôt, et c’est très bien ; mais tous

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ambitionnentnéanmoinsbeaucoupplusquecequenousavonsl’habitudedeleurproposer.Lorsqu’ils entrent en classematernelle, les enfantsdoivent trouverune frise

faisant au moins une fois le tour de la classe, allant jusqu’à 200, 300, voire1000 !Leur intelligencevivante,auxcapacités immensesencore incomprises,doit être nourrie. Leur enthousiasme, conservé. Il s’agit là de leur plus grandtrésoretdenotreplusgranderesponsabilité.Car,plustard,lesenfantssauront–peut-être–fairedesopérations,maisilslesferontautomatiquementpournousfaire plaisir, sans forcément comprendre d’ailleurs ce qu’ils sont en train defaire;etilsleferontdansl’effortetlacontrainte.Ilsneleferontpluspoureux,les yeux brillants et fiers, trois, quatre, dix fois de suite, sans s’arrêter et eninterpellant avec joie les plus jeunes pour leur montrer comment faire. Nousauronsperduenroutel’essentiel:cetteforceendogènedynamiqueetvivantequidirigelesplusgrandesconquêteshumaines.Quesepasserait-ilsinousforcionsainsi un enfant de 12 mois, s’élançant pour marcher et explorer sonenvironnement:«Attends!d’abord,fais-moidesexercicesdepieds“flexes”ettendus, et pas plus de trente cette année. C’est l’année prochaine que tuapprendrasàmarcher.»Samotricitéen seraitvivementcontrariée.Lorsque lavies’élancepourconquérirlemonde,quisommes-nouspourlafreiner?Dequeldroit ?Au nom de quoi ?Du programme scolaire ? Il est vraiment temps derevoirnospriorités.Car,lorsquenouslimitonsl’enfantaunomd’unprogrammepréétabliinadaptéauxenthousiasmesindividuels,cen’estpasl’enfantquenouslimitons, ce n’est pas lui que nous étouffons, mais cette énergie vivanteendogène, ce mélange de joie, de fierté, ce sentiment d’invincibilité et depuissance qui porte la formation de son intelligence et les plus grandesinnovationsdenotresociété.Nousn’avonspasenfacedenousdes«élèves»oudes « apprenants ». Nous avons en face de nous des êtres humains, doués,vivants,musparuneforceintérieureviveetdesconnaissancessophistiquéesquenous sommes encore loin de comprendre. Nous sommes les élèves. Nousignoronsencoretantdechosespouraccompagneraumieuxledéveloppementdel’intelligence. Essayons donc de guider l’enfant en conservant toujours unepostured’observationetd’étude:soyonshumbles.Nousneconnaissonsencorequetrèspeusescapacitésetsonfonctionnement.Je ne le répéterai jamais assez : nous ne connaissons pas les potentiels

humains et nous ne pouvons pas les connaître car nous avons limité leurdéveloppementparnoscroyancescollectiveserronées.C’estexactementcequeje souhaitais montrer en menant cette expérimentation au sein d’une zonesensible et défavorisée : il est maintenant temps que nous regardions cet êtremerveilleuxqu’estl’enfantavecl’humilitélaplusgrande.«Jenesaispasquels

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sontlessecretsquerecèletonêtresilumineux,devrions-nousdireàl’enfant,jecomprends encore à peine comment tu fonctionnes, mais je sais que tonintelligence est puissante, ordonnée et brillante. Je serai là pour te guider etveilleràceque–jamais–cequetupossèdesnesoitpiétiné.Jenesaispascequetudétiens,maisjesuislàpourt’aideràlerévéler.»Autreprécision:lesrésultatsdelaclassequenousavonsévoquésnesontpas

une invitation à se ruer sur lematériel didactique que nous avons brièvementprésenté. Soyons clairs : bien que construit avec génie, il peut n’avoir aucuneffet significatif s’il est utilisé de manière très scolaire, froide, sansenthousiasme,etsanslesinteractionsporteusesquiexistentnaturellemententreles enfants d’âges différents.Au sein de la classe, cematériel n’a été, commetout autre matériel didactique, qu’un soutien. Une aide offrant des activitésjoyeusesetenthousiasmantesàl’intelligenceconquérantedesjeunesenfants.Ilfutuneaideparticulièrementintelligente,j’enconviens.Néanmoins,l’essentiel,cequiaréellementpermisauxenfantsdes’épanouirautant,c’estlelienpositif,collaboratif,bienveillantetconfiantentrelesenfants;toutcequ’ilsontoséfaireparce qu’ils se sentaient aimés, considérés, respectés ; tout ce qu’ils ont osédemander, partager, prendre le temps de se montrer entre eux. Ce paramètrehumainfaitréellementladifférence.Cen’estpasdunouveaumatérielqu’ilfautfaireentrerenprioritédanslesclasses,maisdelavie,del’amour,delafoi,delalibertéetdel’enthousiasme.Surceterreaufertile,denouvellesactivitéspeuventêtre introduites tout à fait progressivement. Avant de bouleverser tout lefonctionnementdidactiqueetpédagogiqued’uneclasse,ilmesembleessentieletprioritaire que l’adulte s’engage dans une posture favorisant dans sa classe laconnexionhumainepositive.Ils’agitréellementdupilierfondateurdelaréussitedel’expériencedeGennevilliers.Ilestfondamentaldecomprendrequedépenserunefortunepouracquérircematérielsansparveniràconstitueretàanimerungroupe d’enfants d’âges différents autonomes, collaboratifs et généreux, seraittrèsregrettable.

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4.

L’entréedanslalectureetdansl’écritureLesmotsquenousemployons

pourparlersontcomposésd’unesuccessiondesons,et,afindegarder

unetracedenotrelangageoral,lesêtreshumainsquinousontprécédésont

réaliséuneconquêtemerveilleuse:ilsontcréédessignesgraphiques–les

lettres–pourreprésenterlesdifférentssonsetlesfigersurlepapier.C’estainsiquenousnoussommesmisàécrire–c’est-à-direàcoderlessonsensignesgraphiques–etque,dansunsecondtemps,nousnoussommesmisàlire,c’est-à-direàfairelechemininverseetàdécoderlessignesgraphiquesensons.

Cettecorrespondancegrapho-

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phonémiques’appellelecodealphabétique.

Contrairementà l’apprentissagedu langageoral,quiestnaturellement induitparuneprédispositionbiologique, il sembleraitquenousnepossédionspasdecircuits neuronaux spécifiquement dédiés au traitement du code alphabétique,c’est-à-direàlalectureetàl’écriture.Lesrecherchesactuellesenneurosciencescognitives indiquentque,pour lire,notrecerveaurecycle1unerégioncérébraleinitialementdestinéeàuntoutautreusage:lareconnaissancedesvisagesetdesobjets.Lorsquenousapprenonslalecture,cettezonesemetàencoderleslettresquenousapprenons,cequinouspermetensuitede les reconnaître rapidement.Cetterégionestalorsprogressivementenvahieparl’encodagedelettres,puisdecentainesdemots.Afinquenousneperdionspasnotrecapacitéàreconnaîtrelesvisages de notre environnement, notre cerveau se réorganise et installe lescircuitsdelareconnaissancedesvisagesailleurs,dansuneautrepartieducortex.L’autonomieetl’intelligencedelanaturenesont-ellespasfascinantes?

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LireréorganisenotrecerveauLe recyclagedecescircuits induitnéanmoinsquelquescontraintes.Pour les

comprendre, des chercheurs en neurosciences cognitives, tels que StanislasDehaeneetsonéquipeauseindulaboratoireNeurospin,ontscannéparIRMdetrès nombreux enfants et adultes, lettrés et illettrés, francophones ou nonfrancophones, issusdemilieuxfavorisésoudéfavorisés,afindecomprendre latransformation progressive de ces circuits ainsi que leurs mécanismes defonctionnement. Bien entendu, cette recherche doit encore être précisée etdéveloppée,maisellenousrévèledéjàdeprécieusesinformations.Unedécouverteessentielleestque l’associationentre lesonet la lettredoit

êtreexplicite.Eneffet,nousauronsbeaucroiserrégulièrementunindividudanslemétro,sipersonnenenousleprésenteexplicitement,nouslesalueronspeut-êtreàchaquerencontre,maisnousseronsbienincapablesdelenommer:pourassocier un nom à une personne, il ne nous suffit pas de la voir, il faut quequelqu’un nous donne son nom.De lamême façon, un enfant aura beau voirrégulièrement une lettre, il la reconnaîtra certes, mais sera bien incapable deconnaître lesonqu’elleproduitsipersonneneleluidit!Parconséquent,faireapprendredesmotsetdesphrasesparcœuràl’enfantpourl’inciteràdécouvrirseul le son des lettres est une erreur. Autant placer régulièrement quelqu’undevantunemêmefoule,leforceràregardertouscesvisagesenespérantque,parmagie,lenomdetouscesgensluiviendraàl’esprit.Sicettepersonneparvientfinalementàassocierdesnomsàquelquesvisages,etàsesentirunpeumoinsperdue face à cette foule qu’elle reconnaît sans pouvoir la nommer, ce serauniquement parce que certains lui auront gentiment soufflé leur nom. De lamêmemanière,unenfantquidoitapprendredesmotsetdesphrasesparcœurpour apprendre à lire, y parviendra sans doute, avec effort, peine et patience,maisceseragrâceàl’aidedesesparentsquiaurontbienvoululuisoufflerlesonde quelques lettres le soir lorsqu’il faisait ses devoirs. Grâce à un effortsurdimensionné de son esprit câblé pour déceler les régularités de sonenvironnement, ildécouvriraseul lesassociations lettres-sonsquine luiaurontpas été clairement explicitées. Ses compétences en lecture seront trèscertainement lacunaires,et sesparentsgarderontunbienmauvaissouvenirdesefforts qu’ils auront dû exigerde leur enfant – eux-mêmesne comprenant pasl’intérêtd’une telledémarche.De soncôté, lepetit aura trèsprobablement étérebuté par la lecture. « L’expérimentation pédagogique dans les classes leconfirme : les enfants à qui l’on enseigne explicitement quelles lettrescorrespondent à quels sons apprennent plus vite à lire et comprennent mieux

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l’écritqued’autresenfantsàquionlaissedécouvrirleprincipealphabétique»,écritStanislasDehaene2.Notonsquecerecyclageneuronaln’estpassansquelquespetitsinconvénients

pour les enfants : enmaternelle, la région cérébrale impliquée dans la lecturen’estpasencoretotalement«recyclée»pourlareconnaissancedeslettres.Ellecontinue d’identifier les objets et les visages. Cette cohabitation transitoireprovoqueunpetittélescopage.Eneffet,lorsquecetterégionspécialiséepourlareconnaissancedesobjetsetdesvisagesperçoitleprofildroitetleprofilgauchede lamême personne, elle donne l’information à la conscience qu’il s’agit dumêmeindividu.Ainsi,lorsdecettepériodedetransition,lorsquel’enfantperçoitla lettrepet la lettreq,enminusculed’imprimerie,cetterégionducerveauluidonnel’informationqu’ils’agitdelamêmechose.Cetteconfusionesttoutàfaitnormale.Leschercheursontconstatéqu’elleatteignaitunpicentre5et6ans.Danslaclassematernelle,nousl’avonsconstatéauxalentoursde4ans/4ansetdemi, puisque les enfants entraient dans la lecture en deuxième année dematernelle et spécialisaient ainsi plus tôt leurs circuits neuronaux3. Il est doncfort probable que les enfants ne perçoivent pas immédiatement la différenceentrecertaines lettresdont la symétrieenmiroir estparfaite.Nombreux serontceuxquiécrirontégalementenmiroir,etdedroiteàgauche,sansaucunsouci.C’estnormal:pourleurcerveau,ils’agitencoreexactementdelamêmechose.

L’écritureetlaconfusionenmiroirdisparaîtrontàmesurequelescircuitssespécialiseront pour la reconnaissance des lettres. Cette phase doit êtreaccompagnée,maisnedoitpasêtrepréoccupante.Ilfaudraveiller,enrevanche,àcequelephénomènenepersistepastroplongtemps.

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LesgrandsprincipesdelalectureLe code alphabétique doit être explicitement donné à l’enfant. Il s’agit du

premiergrandprincipedel’apprentissagedela lecture: ilfautdonnerlessonsdeslettresàl’enfantsanslelaisserlesdécouvrirparlui-même.Néanmoins, avantdedonner le sondes lettres, la sciencede la lecturenous

informequ’ilestfondamentald’aiderl’enfantàentendrelessonsdanslesmots.Il s’agit de l’aider à discriminer les plus petites unités de sons (appeléesphonèmes)quicomposentsalangue.Parexemple,lemotcheval[ʃ][ə][v][a][l]contientcinqphonèmes;lemotchat[ʃ][a]encontientdeux.Cetteaptitudeà entendre les phonèmes qui composent les mots s’appelle la consciencephonémique : la qualité de cette conscience chez l’enfant est l’élément le plusprédictif de ses capacités futures de lecture. Traditionnellement, ledéveloppement de cette conscience passe d’abord par la discrimination desyllabes : le mot « cheval » contient deux syllabes, « che-val » ; le mot« pantalon » en contient trois, « pan-ta-lon ». Les enfants de maternelleapprennentàentendrelessyllabesdanslesmots,et,entreautres,àlescompter.Puis,progressivement,enfindedernièreannéedematernelleengénéral,ilssontconviés à discriminer les phonèmes contenus dans les syllabes.Au sein de laclasse maternelle de Gennevilliers, nous n’avons pas réalisé ce détour par lasyllabe,etavonsdirectement invité lesenfantsàdiscriminer lesphonèmes.Eneffet,d’aprèsl’observationquej’aipumenerauprèsdenombreuxenfants,issustant de milieux favorisés que de milieux défavorisés, francophones ou nonfrancophones,etd’après lesnombreusesexpériencesquiont fait leurpreuve–notammentauseindesclassesMontessorienFranceainsiqu’àl’étranger–,ilapparaîtclairementquelesenfantsnesemblentpasavoirbesoind’undétourparlasyllabe,etqu’aucontraire,celui-cifreinel’entréedanslecodealphabétique.Aprèsavoirétéentraînésàdistinguerlessyllabesdanslesmotspendantpresquetroisannéesdematernelle,lesenfantsfinissentparlesconsidérercommeuntoutindivisibleetseretrouventendifficulté lorsqu’ils’agitde lesséparerenunitésdesonspluspetitesquivontêtrecodéespardeslettres.Nousvoulonsmenerlesenfants avec sûretévers lagrandeportede la lecture,mais enprocédantde lasorte, nous les perdons dans les couloirs de la didactique.N’oublions pas queleurcerveauestcâblépouranalyseretsespécialiserauxunitéssonoresdeleurlangue, et qu’ils ont déjà réalisé cet exercice sans effort lors de leur premièreannée de vie – sans aucun enseignement formel. Il s’agit donc ici d’attirerl’attentiondesenfantssurcespetitesunitéssonores–queleurintelligenceadéjàanalyséesetencodées–etdelesameneràleurconscience.

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Enprocédant de la sorte, j’ai pu observer un enthousiasme chez les enfantsquenesuscitepasledécoupagedesmotsensyllabes.Ilsembleque,poureux,cette recherche minutieuse des sons fasse totalement sens : la joie qu’ilsmanifestentencomprenantquelesmotsqu’ilsprononcentsontcomposésdetoutpetitssonss’apparenteàladécouverted’unconcept-clé,unesorted’«Eurêka!»linguistique.Cettedémarche immédiatementphonémiqueplutôtquesyllabiquepeutnoussemblercompliquée,ànousadultes,etilestnormald’avoirleréflexedeproposer uneprogression intellectuellement plus douce à nos yeux.Mais ilfaut se rendre à l’évidence : les résultats ne sont pas satisfaisants. Et surtout,nousoublionsquel’intelligencedel’enfantfonctionneàcemoment-làdefaçoncomplexeetsophistiquée.Nousl’avonsmentionnéprécédemment,lesétudesdeces dernières années montrent le contraire de ce que nous avons longtempspensé:lesenfantsn’apprennentpasleurlanguedefaçonlinéaire–duniveauleplus simple auplus complexe ; tous les niveaux semblent s’engrammerdès ledépart. Si, dans les premiers mois de vie, lors de cette période créatrice delangage, par souci de simplifier la tâche aux enfants, nous leur avions parléuniquementensyllabes,puisenmots,puisensuiteenphrases…ilsauraientétébienincapablesà3ansdeparlercorrectement.Entendrelessonsdanslesmotsn’est pas plus compliqué que de comprendre intuitivement et sans aucuneexplication les règles grammaticales et syntaxiques de sa langue. Cela esttotalement contre-intuitif, les enfants semblent si immatures…Or, il se cachedans leurs petits crânes des mécanismes d’apprentissage d’une puissance etd’unecomplexitéinégalées,quileurpermettentd’embrasserlemondedanstoutesasubtilité.Ilestfortprobablequenousleurcompliquonslatâcheencherchantàlafaciliter.Les nombreuses recherches scientifiques visant à examiner l’efficacité de

méthodes reprenant cesdeuxprincipes fondamentaux–enseignement explicitedes correspondances entre les sons et les lettres et développement de laconscience phonémique – indiquent que cette démarche est de loin la plusappropriée pour tous les enfants, aussi bien les enfants dyslexiques que lesenfantsneprésentantaucuntroubledesapprentissages4.Un autre grand principe révélé par la science de la lecture est l’importance

d’accompagner l’entrée dans la lecture de manière douce et progressive, enorchestrant intelligemment les nouvelles difficultés que nous présentons. Il estpar exemple conseillé de commencer la lecture par desmots simples, puis decomplexifier progressivement les mots proposés, en ajoutant par la suitel’enseignementdeslettresmuettesetdesmots-outils(est,et,dix,etc.).

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LadémarcheutiliséeàGennevilliersEntendre les sons qui composent les mots, donner explicitement leur

correspondancegraphique(lettres),etaugmentertrèsprogressivementleniveaudesdifficultésen lecture : tels sontexactement les troisaxespédagogiquessurlesquelsnousnoussommesappuyéspouraider lesenfantsàconquérir lecodealphabétiqueetentreravecjoiedanslalecture.Pourcefaire,nousavonsrepriscertainsoutilspédagogiquesdéveloppésparleDrMariaMontessori,enveillantà lesadapterauxspécificitésde la languefrançaise.MariaMontessoriavaiteneffet initialement développé sonmatériel de langage pour la langue italienne.Néanmoins,jetiensàpréciserdenouveauquecematérielnefutqu’uneaide,unmoyendesoutenirl’élandesenfants:lelevierpédagogiqueessentieletcentralpouraccompagneraussi efficacement lesenfantsdans laconquêteautomatiséedu code fut la qualité et la régularité de l’étayage humain individualisé etbienveillant.C’estd’ailleurspourquoij’aichoisideneproposerauxenfantsdelaclassequecinqousixactivitéspédagogiques(certainesn’étantpasmêmeunpassage obligatoire) pour entrer dans la lecture, étalées sur deux annéesscolaires. La dernière année de maternelle, la plupart des enfants lisaient desalbums. Les autres continuaient d’utiliser les activités pédagogiques. N’ayantque peu d’activités-supports, nous avons pu très fortement recentrer latransmission de l’entrée dans la lecture par l’intermédiaire du lien humainporteur,individualiséetchaleureux.Dèslapremièreannée,lesrésultatsdestestsindiquaientqueneufenfantssur

lesquinzedemoyennesectionétaiententrésdanslalecture,ainsiqu’unenfantdepetitesection.Lerapportdestestsindiqueque,«enmoyenne,enconsciencephonologique, les enfants sont très au-dessus de la norme5 ». En effet, lesenfants montraient une conscience phonémique très fine, habituellementconstatée chez les enfants lecteurs de CP, puisque nous ne faisions pas dedétourspaslasyllabe.À la fin de la deuxième année, la totalité des grands ainsi que 90 % des

enfantsdemoyennesectionétaientégalemententrésdanslalecture.Lesenfantsdévoraient lesalbumsdejeunesse : toutes lesdeuxsemaines,unecinquantained’albums devaient être empruntés à la bibliothèquemunicipale pour satisfaireleur envie de lecture. Ils emportaient chaque soir un ou plusieurs livres à lamaison pour les lire tranquillement, et surprenaient leurs parents à préférer lalectureauxjeuxvidéoetà la télévision.Nousavonsconstatéauquotidienquecettegrandeaviditéde lectureaparailleursentraînéunenetteaméliorationduniveaudelangage,tantpourlevocabulairequepourlasyntaxe.Lerapportdes

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testsdedeuxièmeannéeindiquequelesenfants«affichentunecompréhensiondu texte qu’ils viennent de lire au moins aussi bonne qu’un élève moyen deCE1».Latroisièmeannée,lesenfantslecteursdelaclasseontpassédestestsIRMau

seindulaboratoiredeStanislasDehaene.L’analysedesrésultatsn’estpasencoreterminée,mais lesdonnéessemblentd’oresetdéjà indiqueruneréorganisationcérébraleautourdelalecturestrictementnormale,présentantnéanmoinsunanetdemid’avance6.

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Premiergrandprincipe:entendrelessonsSans trop entrer dans les détails, voici comment nous avons procédé à

Gennevillierspourdévelopperlaconsciencephonémiquedesenfants.Dansunejolie boîte étaient disposés de tout petits objets achetés enmagasin de jouets.Nousavionsparexemple:unvélo,dufil,unsac,unéléphant,unchapeau,unours, une vis, une jupe, un bébé, une échelle, un saxophone, un piano, uncamion, une chaise, un berceau, un ananas, un chat, un lapin, etc. Ces objetsétaientrégulièrementchangésafindenepaslasserlesenfants,etnousfaisionsensortedetoujoursproposerunegrandevariétédesonsàentendrenotammentsurlephonèmed’attaque(lepremier)oulephonèmefinal(ledernier).Voicicommentjeprocédais:j’invitaisl’enfantàprendrelaboîted’objetset

nousnousinstallionsàunetableousuruntapis.Laplupartdutemps,deuxoutrois enfants s’approchaient pour observer ; ils bénéficiaient ainsi de cetteprésentation de façon informelle. Les premières fois, l’objectif était d’attirerl’attentionde l’enfant sur lepremier sondesmots.Afindenepascommenceravecunedifficultétropélevée,jechoisissaistroisobjetsdontlessonsd’attaqueétaientparticulièrementcontrastés,tantauniveaudusonquedupositionnementdelabouche:telsquechat,lit,ananas.Endéposantlesobjetsunparunsurlatable,j’exagéraislaprononciationdel’attaque,ainsiquelepositionnementdelabouche pour tenter de faire apparaître le son le plus clairement possible àl’enfant : « chhhhhhhat » ; « llllllllllllit » ; « aaaaaaaananas ». Après avoirprononcé chaquemot, je demandais à l’enfant de répéter de lamêmemanièrequemoipourqu’ilprenneégalementconsciencedusonetdupositionnementdesabouche.Pourlesenfantsayantdesdifficultésàentendrelessons,ilm’arrivaitrégulièrement d’associer un geste à un son : par exemple, pour le son [g] degâteau,jeplaçaismesdoigtssurmagorgepoursignifierquelesonvibraitàcetendroit7.Cetteapprochemultisensoriellefacilitaiténormémentladiscriminationet la reproduction des sons difficiles – notamment chez les non-francophones.Unefoislestroisobjetspositionnéssurlatable,nousrépétionsuneouplusieursfoisleurnom,toujoursdelamêmemanière,afindesensibiliserlesenfantsauxdifférentssonsd’attaque.

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Aumomentoùj’aipriscettephoto,laboîtecontenait:unlit,unebassine,uncochon,uneroue,unefraise,unchien,uneluge,unefourmi,unevis,uneorange,unseau,unpanier,unecléetunvélo.

Jedemandaisensuiteàl’enfant:«Peux-tumedonnerl’objetquicommenceparcccchh?»Laplupartdutemps,celafonctionnaitdupremiercoupsij’avaisvraiment pris la peinedebienprononcer les sons lors de la présentation et devérifier que les enfants les prononçaient également de façon précise et« exagérée ». Je continuais : « Peux-tume donner l’objet qui commence parlllll ? » ; et enfin : « Peux-tume donner l’objet qui commence par aaaaa ? »Nousrecommencionsensuiteavecd’autresobjets,enaugmentantladifficultéaufildesjours,c’est-à-direenproposantdesobjetsauxsonsd’attaquedemoinsenmoinscontrastés:ilpouvaits’agirdejupe,chapeauetseau.Quelquesjoursouquelquessemainesplustard,lorsquel’enfantétaitcapable

d’identifier facilement les sons d’attaque de tous les mots que nous luiprésentions,jetentaisdeportersonattentionsurlessonsfinaux,commeleson[m] dans rame. Je commençais d’abord avec des sons contrastés :« oursssssss » ; « motoooooooo » ; « chaaaaaaat » ; puis, plus tard, nousrecommencions avec des sons moins contrastés : « caggggggge » ;«hachhhhhhhhe»;«chaissssssse».Laprésentationdecetteactivitéavaitlieuplusieurs fois dans la journée, avec différents enfants bien évidemment, et ce,touslesjours.Cetexerciceétaitprésentéauxenfantsde3ansdèsleurentréedanslaclasse

maternelle. Certains commençaient le jour même avec beaucoupd’enthousiasme, d’autres après quelques semaines, le temps que leurenthousiasme se manifeste. Il est communément admis qu’il faut attendred’avoir une bonne maîtrise de la langue avant d’effectuer des jeuxphonologiques.Or les enfants qui nemaîtrisaient pas correctement le langageoral, voire qui présentaient des troubles du langage parlé – bégaiement,confusion entre les sons – ou qui ne parlaient tout simplement pas français,étaient trèsdemandeursde ces activités.Lespremiers temps, ayantmoi-mêmecespréjugésentête,j’invitaiscesenfantsàpatienterunpeuavantdeparticiperà

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cetyped’activités.Maisauboutdequelquesjours,leurenvieétaitsifortequ’ilsallaienteux-mêmeschercher lematérieletdemandaientauxplusgrandsde lesaider.Jedécidaidoncdesuivrelavolontédesenfantsetd’abandonnermesidéespréconçues.Et j’eus raisonde le faire : cesenfantsont largementbénéficiédel’approche phonémique qui a comme éclairé de grands principes phonétiquesqueleurcerveau–pourcertainsdéjàspécialisédansuneautrelangue–n’avaitpasétécapabledepercevoirdansleflotdulangagecourant.Ilsprécisaientainsila perception et la prononciation des sons du langage, notamment grâce auxmouvements de la bouche et des lèvres, rendus évidents. Contrairement auxidées reçues, ces petits exercices amusants et informels sont donc directementvenusaffinerl’expertiselinguistiquedecesenfants.En parallèle, lorsque nous étions en regroupement collectif, j’interrogeais

quotidiennement trois ou quatre enfants plus âgés : « Yasmine, qu’entends-tudans“pantalon”?–[p][ɑ][t][a][l][ɔ]»,répondaitl’enfant,quidénombraitenmêmetempslessonssursesdoigts :«Six,çafaitsixsons!»Cespetits jeuxquotidiens, qui ne duraient jamais plus de trois ou quatre minutes, affinaient,l’air de rien, la conscience phonémique des plus petits. Cette décompositionfinissait en effet par leur sembler naturelle. Vous vous demandez trèscertainement comment les plus grands ont développé une consciencephonémiquesiprécise.Ellesedéveloppeaveclesprochainesactivités.

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DonnerlecodealphabétiqueLorsque les enfants commençaient à pouvoir isoler les sons en position

d’attaque et en position finale dans les mots, nous présentions les signesgraphiques qui les représentaient : les lettres de l’alphabet, ainsi que desgroupementsde lettres tels que«ou», « in», «oi », « ch», «on», « an»,«gn»et«ai».Eneffet,cesdigrammes8codentdessonsdelalanguefrançaisequeleslettressimplesdel’alphabetnecodentpas.Lesigne«é»étaitégalementprésenté.Nousdonnionsainsiauxenfantsunsignegraphiquepourchacundessons de la langue française. Tous ces signes étaient présentés en cursive (enattaché),découpésdansdupapierémeri,etcolléssurdesplanchettesdebois.Je disais alors à l’enfant : « Tu te souviens que dans “mmmmmmoto”, on

entend [m] ? Eh bien, regarde, je vais temontrer comment on écrit [m]. » Jeplaçais alors la lettre «m»devant l’enfant, la traçais enprononçant le son etinvitaisl’enfantàfairedemême.Noussavonsaujourd’hui,grâceàdesétudes–etparlapratique–quetracerla

lettreenlaprononçantrenforcedemanièretrèsnettelamémorisationàlafoisdutracéetduson.«Combiner laprononciationet le tracés’avèreuneexcellenteméthode»,est-ilaffirmédansleformidableouvrageApprendreàlire,dirigéparStanislas Dehaene. C’est également ce qu’affirment les experts des troublesspécifiquesdesapprentissages9 :plus l’apprentissageestmultisensoriel,plus ilestefficace.Laplupartdutemps,troissignesétaientprésentésenmêmetempsàl’enfant

pouruneleçonentroistemps.Ilpouvaits’agirdetroislettres,oudedeuxlettresetundigramme.

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Lorsquenousprésentionsleslettresàl’enfant,nousprenionssoindedonnerle son le plus fréquemment codé par la lettre (dans le cas où cette lettre estutilisée pour coder plusieurs sons). Par exemple, pour la lettre « c », nousdonnionsàl’enfantleson[k]commedanscamion,aulieudedonnerleson[s]commedanscitron,carlalettre«c»codeplussouventleson[k]queleson[s].Vousnoterezqu’àcestade,lenomdelalettren’estpasdonnéauxenfants.Il

esteneffetvivementrecommandéparlarecherchedebienséparerlenomdelalettre et le son qu’elle produit, au risque d’induire des erreurs de lecture chezl’enfant:eneffet,sil’enfantpensequelalettre«p»codeleson«pé»,quelalettre«c»codeleson«cé»,ouquelalettre«s»codeleson«ès»,illiralemotpic«péicé»,lemotsac«èsacé»ouencorelemotfil«éfièl».Pourévitertouteconfusion,nousnedonnionsàl’enfantquelesondeslettres.Nousavonsrigoureusement respecté ce principe, car nous avons pu faire l’expérience desdifficultésque l’enseignementdunomde la lettre (avantceluiduson)pouvaitengendrer chez les enfants : la première année, à Gennevilliers, nous avonsaccueilli des enfants de moyenne section qui avaient effectué un an dematernelle traditionnelle en petite section, et ils avaient, comme cela se faittraditionnellement, appris le nom de quelques lettres plutôt que leur son.Lorsqu’ils s’élançaient pour lire, leur élan se trouvait entravé par leur premierapprentissage:pourlire«mur»,ilslisaient«èmuèr»,etbienévidemment,ilsn’accédaientpasausensdumotetnevoyaientpasl’intérêtdelire.Ilfallutuncertaintempspourleurfairecomprendrequelalettre«m»fait[mmmmmm]et

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non«èm».Pourcesenfants,ledémarragedelalectureétaitclairementparasitéparcetapprentissagequi,pourcertains,étaitmalheureusementdéjàsolidementancré.Lorsqu’ilssavaient lire, lesenfantsapprenaientensuitenaturellementlenom

des lettres, grâce à des comptines notamment ; mais uniquement lorsque lalectureétaitautomatiséeetqu’iln’yavaitplusaucunrisquedeconfusion.Tantquel’enfantnelisaitpasavecfluidité,nousn’évoquionsjamaisavecluilenomdeslettres.Ainsi,nousnedisionspasaujeuneenfant:«Voicilalettre“éf”quifaitfffff»,nousdisions:«Voici“ffff”.»Nousprésentionsdecettemanièretoutesleslettresdel’alphabet,ainsiquele

signe«é»etlesdigrammes(«ou»,«an»,«oi»,«ch»,«on»,«in»,«gn»,« ai »). Le « é » et les digrammes étaient présentés exactement de la mêmefaçon:«Tutesouviensquedans“chhhhhhhhat”onentend“chhhh”?Ehbienregarde,“cccchhhhh”,ças’écritcommeça.»Unjoli«ch»rugueux,collésuruneplanchettedebois,étaitalorsprésentéàl’enfant.Jetraçaisledigrammeenprononçant le son, et invitais l’enfant à faire demême. Les enfants adoraientcertainsdecesdigrammes,commele«ch»oule«ou»,quicodentdessonstrèsfréquentsenfrançais.Nouslesleurprésentionstrèsrapidement,parfoisdèsla première fois, et ils les retenaient aisément. La présentation des digrammespeut sembler précoce et pourtant, cette démarche est vivement conseillée parl’éminente linguiste et directrice de recherche émérite Liliane Sprenger-Charolles,quiconseilleparailleursdelesmontreràl’enfantcommeunemêmeunitégraphique.Cequenousavonsfait.Pour la lettre«h»,nousdisions :«Cette lettrene faitaucunbruit, elleest

muette.»Lesenfants la traçaientenserrant les lèvresouavecundoigtdevantleurbouchepourindiquerqu’ellenefaisaitaucunbruit.Parl’intermédiairedeslettresetdesdigrammesrugueux,chacundessonsde

la langue que l’enfant avait appréhendés avec les petits objets étaient commematérialisés:ilpouvaitlesvoiretlestoucher.Bienévidemment,lespremièresfois,nousprésentionsleslettresetdigrammesdontlesonétaitfacileàentendreetà reproduire.Ainsi,biensouvent, il s’agissaitde«a»,« i»,«o»,«m»,«ch»«ou»,«s»,«l».Ilestparailleurstrèsimportantdeveilleràprésentercessonsauxenfantssans«e»final:«mmm»,«chhh»,«ssss»plutôtque«mmmme»,«che»,«sssse»…Sinon,lorsquel’enfanttenteradelirelemotmur,parexemple,ildécodera:«mmmmmeuuur»aulieude«mmmmur».Cequientraveconsidérablementl’accèsausensetfreinel’enfantdanssaconquête.Prononcer les consonnes sans ajouter de « e » final peut demander un peud’entraînement,mais il est essentiel de faire cet effort.Notre imprécisionpeutdeveniruneentraveàsonentréedanslalecture.

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LatransmissionentreenfantsLes enfants apprécient beaucoup de montrer les lettres à leurs petits

camaradesoudelestraceràdeux: ilschoisissentunelettreetchacunsignelalettreavecsondoigt,toutenprononçantlesonqu’ellecode.Cettehorizontalitéde l’apprentissage est d’une efficacité redoutable, les enfants passent denombreux moments toute la journée à jouer ensemble aux lettres… Ilsapprennenttrèsvite.Unenseignementverticaletcontrôlantnepeutatteindreunetelle efficacité. Ilm’est arrivéplusieurs fois deprésenter quelques lettres à unenfantde3ansquiledemandait,maisqui,finalement,n’étaitpasvraimentprêt:ilneretenaitpaslessons.Jel’orientaisalorsversd’autresactivités.Laplupartdutemps,ilcontinuaittoutdemêmeàtracerleslettresavecd’autresenfants.Et,lorsque quelques semaines plus tard, je m’asseyais à ses côtés pour tenter ànouveaudelesluiprésenter, jefussurpriseparlenombredelettresqu’ilavaitappris«seul».Lemêmephénomèneseproduisaitentredeuxprésentationsde lettres : si le

lundijeprésentaistroislettresàunenfantetquejeluienprésentaistroisautreslelendemain,ilsuffisaitqu’entre-tempsl’enfantsesoitamuséavecuncamaradeàtracerleslettrespourqu’ilenconnaissedéjàplusquelaveille!Dansuncasencoreplusextrême,lapremièreannée,unjeuneenfantde3ans,Ilyes,voulaitque je lui apprenne à lire : il souhaitait faire comme les enfants demoyennesection qui commençaient pour la plupart à lire des albums de jeunesse avecpassion. C’était la première année d’expérimentation, et ce petit me semblaitvraiment trop jeune pour cet apprentissage. Je l’orientai donc vers d’autresactivitéssusceptiblesdereprésenterpourluiundéfitoutaussiimportantmais– àmon sens – plus accessible. J’avais jugé qu’il ne retiendrait pas le son deslettres,alorsmêmequejen’avaispasessayédelesluiprésenter.Ilinsistasansdoutetroisouquatrefois,et,voyantquejenel’aideraispas,illefittoutseul.Unmatin, il sortit les lettres rugueuses, les aligna sur un tapis de façon trèsordonnée,enchoisituneetselevapourallerdemanderàunenfantdemoyennesection le son de la lettre. L’enfant traça la lettre en prononçant le son. Ilyesretourna à son tapis et fit de même. Je regardai la scène avec tendresse,continuantdepenserquec’était trop tôt ;néanmoins, je laissai faire.Lorsqu’ilrecommençalesdeuxjourssuivants,etquejem’aperçusqu’ilretenaittrèsbienle son des lettres, je décidai de filmer sa conquête, et ce fut unemerveilleuseidéecar,auboutdetroissemaines,cepetitconnaissaitsuffisammentdelettrespour décoder un mot. Lorsqu’il se sentit prêt, il prit spontanément de courtsticketsdelecturesurlesquelsétaientinscritesdepetitesactionsàeffectuer(cette

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activitédelectureétaitdestinéeauxplusgrands,déjàentrésdanslalecture).Jemeprécipitaialorspourprendremacaméraavecl’idéedemontreràsamamanlacourageusetentativedesonfils.Maisquellenefutpasmasurpriselorsqu’ilparvintàdécodercequ’ilyavaitécritsurleticket10!Leticketqu’ilavaitentreses mains indiquait : « Chante ! » (avec deux digrammes qu’il lut commen’importequellelettre).«Chhhhhaaannnte.Chante!»dit-ilvictorieux,levisageilluminépar la joieet la fierté.Et ilchanta. Ilpoursuivitainsiavec le restedetickets,medonnantainsiuneleçonquejenesuispasprèsd’oublier11.Latrèsgrandemajoritédesenfantsnelisentpasaprèsmanipulationdeslettres

rugueuses;lesétapessuivantessontsouventnécessaires.Maiscetteexpériencerappellequ’iln’yapasderègles,etqu’ilestfondamentaldepermettreàchaqueenfantdesuivresesélansendogènesetpassionnés.

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RenforcerlacompréhensionducodeLorsquel’enfantconnaissaituncertainnombredesignes,nousluiproposions

de composer lui-même des mots avec des lettres et des digrammes mobiles.Cetteactivitéluipermettaitdes’approprierefficacementlecodealphabétiqueenlemanipulantactivement–toutenétantparailleurslibéréd’ungestegraphiquequ’ilnepeutpasencoreréaliseràcetâge.Nousl’invitions,pourcommencer,àcomposer le mot d’un des objets qui se trouvait dans la boîte d’objets aveclesquels il était habitué à analyser les sons. Nous l’aidions par exemple àcomposer lemotsac.Nous l’invitionsàécouter lepremier sondumot,puisàplacersur le tapis la lettrecorrespondanteàceson. Ilplaçaitdoncun«s». Ilentendaitensuite[a],etplaçaitlalettre«a»àdroitedu«s»;enfin,ilentendaitleson[k]final,etplaçaitlalettre«c»aprèsle«a».Lorsqu’il fait cela, l’enfant compose : il code la suite de sons en signes

graphiques, en respectant le code culturel latin qui veut que les signes soientinscritsdegaucheàdroite.Cetteconventionspatialen’estd’ailleurspasdutoutévidenteaudébut,néanmoinsilsl’intègrentrapidement.Pourcommencer, lesenfantspouvaientutiliser lespetitsobjets.Néanmoins,

nous les invitions rapidementàcomposerdesmotsoudesgroupesdemotsde« domaines » qui les intéressaient personnellement. Je leur proposais parexempledecoder lenomdescouleurs,d’animaux,dedinosaures, lesprénomsdes personnes de leur famille. À ce stade, peu importe que les mots soientcorrectementorthographiéspuisquel’enfantnepeutpasserelire.L’essentielestqu’il puisse s’amuser à coder. S’il écrit « sak », il a atteint l’objectif del’activité:ilanonseulemententendutouslessonsquicomposaientlemot,maisilaégalementsuplacerdeslettresquicodaientcessons,etce,danslebonordre,c’est-à-diredegaucheàdroite!L’enfantde4ansquifaitcelavientderéaliserun tripleexploit.C’estuniquement lorsqu’il seracapabledese relirequenousveilleronsàcequelesmotssoientcorrectementorthographiés.

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Unenfantvientdecomposerlesmots«cochon»et«vis»,àl’aidedelettresetdedigrammesmobiles.

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LedéclenchementspontanédelalectureAprèsquelquesjoursouquelquessemaines,selonlesenfantsetleurrégularité

d’utilisation de l’alphabet mobile, le codage commençait progressivement às’automatiser.Et,dèslorsquelecodagedemandemoinsd’effortsàl’enfant, ilcommencera à se relire spontanément : « cheeeeevaaaal », « sssso »,« pooouuuupé », « llllllaaaapiiinn », « mmmaaaaammman », dira l’enfant àhautevoixendécodantunàun lesmotsqu’ilvientdecomposer. Il seraentrédanslalecturesanss’enrendrecompte,leplusnaturellementdumonde,etserabiensurprissivousbondissezdejoie.Lorsquelesenfantscommençaientàrelirespontanément les mots qu’ils composaient la première année à Gennevilliers,j’étais toujours très émue et très surprise de la facilité avec laquelle lephénomène se produisait. Je disais à l’enfant, en exprimant une grande joie :«Maistusaislire!»,etl’enfantmeregardaitavecuneincompréhensiontotale,neparvenantpasàpercevoirpourquoicequ’ilvenaitde faireprovoquaitchezmoi un tel enthousiasme. Je pense que les enfants ne se rendaient même pascompte qu’ils venaient d’entrer dans la lecture sans effort. Ils le faisaient toutsimplementcommeletout-petitarticulesonpremiermotparcequ’ilestprêtàlefaire.Jemesouviensqu’unjour,j’étaisassiseausoldevantuntapisavecunenfant,

l’aidant à coder quelques mots qu’il aimait. Il s’agissait des prénoms de sesfrèresetsœurs.Unenfantde4ans,Younes,passealorsàcôtédutapis,et,touten poursuivant son chemin, dit à haute voix les mots que nous venions decomposer. Jeme retourne, émue et surprise : je nem’étais pasmême aperçueque cet enfant savait lire. La maman de Younes me raconta la même année,amuséeetfière,qu’ilavaitparailleursapprisàlireàsonfrèrejumeau,Amine,qui était dans une autre classe de l’école enmoyenne section.Younes n’avaitrien fait d’extraordinaire, il lui avait simplement donné la clé du codealphabétique : le sondes lettres.Et comme il lisait déjàde courts albumsà lamaison avec beaucoup de plaisir (Younes aimait les livres particulièrementdrôles),sonfrèrevoulaitlireaussi.Lespremièresfoisquej’aiobservécedéclenchementspontanédelalecture,

ce fut pour moi une immense émotion : lire n’avait aucune raison d’être unpassagecompliquéetcraintpartous.Cen’étaitqu’uneconquêtedeplus,facile,pourl’êtresurdouéqu’estlejeuneêtrehumain.Ladifficultévenaitdoncaprioridenotrefaçondeprésenter l’apprentissagede la lectureauxenfants,etnondeleurs capacités. Je voyais déjà le nombre immense d’enseignants soulagés parcette nouvelle, et je me réjouissais pour la multitude d’enfants qui seraient

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épargnéspardesexercicessystématiques,épuisantsetinefficaces.Souvent,lorsquejesentaisqu’unenfantétaitsurlepointdelire(notamment

parcequ’il commençait àbienautomatiser la compositiondemots), jeprenaisunpetitplateausurlequelétaientdisposésquelquespetitscarrésdepapier,ainsiqu’uncrayonetuneagrafeuse.Jedéposaisceplateausurunetableetm’asseyaisavecl’enfant.J’écrivaisalorsunpetitmotphonétique12simpletelquemur,vis,oulavabo,etluitendaislemorceaudepapierenluidisant:«Tiens,jet’aiécritun secret, est-ce que tu veux le lire ? » Le visage de l’enfant s’illuminait, ilramenaitprécieusementlepapierprèsdelui,etessayaitdedécoder:«vvvvvviiiiiiisssss,vis!»Pourm’assurerdesacompréhension,jeluidisais:«Oui!Tupeuxallerchercherçadanslaclassepourplacercequej’aiécritsurlepapier,àcôtédupapier?»L’enfanttraversaitalorsgaiementlaclasseensautillantpours’emparerd’unevis(quisetrouvaitdanslaboîtedujeud’analysedessons).Jerecommençais quatre ou cinq fois, l’enfant lisait et se déplaçait pour allerchercherlesobjetsdontj’écrivaislenom.J’agrafaisensuitelescarrésdepapierensembleetl’enfantlesemportaitfièrementàlamaison.Les enfants relisaient souvent ce petit trophée avidement seuls, ou devant

leursparents, qu’ils sollicitaient égalementpour leur écriredenouveauxpetitssecrets. Certains parentsme disaient lematin : «On a écrit des petits secretstoutelasoirée!Ilnevoulaitpasarrêter.»

Voicicequifutlematérielcentralpermettantauxenfantsd’entrerrapidementetavecenthousiasmedanslalecture:dupapier,uncrayonpourécrire(etuncrayonrougepourécrirelesdigrammeslespremièresfois),unepairedeciseauxpourquejepuissecouperlesmorceauxdepapier,uneagrafeusepourlivrerletrésorauxenfants;ainsiqu’unrouleaudescotch(àdéfautdepouvoiramenercertainsobjetssurlatable–

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commec’étaitlecaspourmur,jupeoulavabo–,jeproposaisauxenfantsd’allercollerlepapierdirectementsurl’objetqu’ildésignait).

Les enfants qui découvrent la lecture de cette manière simple et vivanteréagissent comme s’ils découvraient un code secret magique, qui, entransformantleslettres(oulesgroupesdelettres)ensons, leurpermetd’entrerdans la pensée de l’autre sansmême que cet autre ait eu à dire un seulmot.Lorsque, par exemple, j’écrivais pour la première fois unmot sur un bout depapier àunenfant, sansouvrir labouche, simplementenécrivant, et,qu’en ledécodant,l’enfantaccédaitàcequej’avaispenséalorsmêmequejen’avaispasparlé,c’étaitpourluiladécouverted’unvéritablecodesecretouvrantlesportesd’unnouveaumoyende communication. Je peuxvous assurer que lorsque lesenfants perçoivent l’écriture et la lecturepour ce qu’elles sont, c’est-à-dire unmodedecommunication très ingénieux–plutôtquecommeun labeur imposé,dénuédesensetdeliensocial–,ilsontlesentimentd’uneconquêteabsolumentpassionnante. Après cette découverte, certains ne s’arrêtent plus pendantplusieursjours:ilsdemandentconstammentàliredepetitsmessagessecretsouen écrivent eux-mêmes à leurs camarades, parfois en essayant d’expliquer sadécouverteàunenfantplusjeune–quinecomprendpastoutàfaitcequesonaînétentedeluienseigner,maisquil’écoutetoutdemême.Enparallèledecetteacquisition, lamotricité des enfants a eu le temps demûrir, et comme ils ontlonguementtouchéleslettreslesmoisprécédents,ilssaventlestracersansplusavoir àutiliserd’alphabetmobilepourmatérialiser leurs idées.Àce stade, lesenfants écrivaient en « phonétique », mais, à mesure qu’ils entraient dans lalectureetqu’ilslisaientrégulièrement,ilsapprenaientprogressivementlescodesde l’orthographe française. Ils entrent alors dans la lecture comme dans lelangageoral,c’est-à-direavecundésirbrûlantdepratiquer.Touteécrituredevientalorsmatièreàdécoder:lespanneauxpublicitaires,les

paquetsdecéréales,labouteilledeshampoingpendantlebain,etmêmelesSMSdesparents. Ils veulent tout lirepour comprendre lesmessages cachés.Et peuimportequeleslettresscriptneleuraientpasétéprésentéesàcemoment-là,ilscherchent à les décoder comme un archéologue essaierait de décrypter deshiéroglyphesàpartirdesconnaissancesqu’ilpossède.Dèslorsquelesenfantsétaiententrésdanslalecture,soitspontanémentense

relisant après avoir composédesmots avec l’alphabetmobile, soit après avoirbénéficié de petits mots écrits sur des bouts de papier, ils pouvaient utiliserprogressivement une douzaine de pochettes de lecture, parmi lesquelles : 1.quatrepochettesdemotscourtsphonétiquessansdigrammes,dontdeuxavecdes

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lettresmuettesgrisées ;2.unepochettepardigramme(«on»,«ou»,«ch»,«an»,«oi»,«gn»,«asi»,«in»).Chacunedesdouzepochettescontenaitunedizained’images,auxquellesl’enfantdevaitassocierlemotcorrespondant.Pource matériel, la qualité des images, ainsi que le choix d’une majorité de motsconnusparl’enfantétaientessentielspourcapterleurintérêt.

Lesdouzepochettesdelecture.

Uneenfantde4ansdécodedesmotsinscritssurdesticketsetprésentantunelettremuette(grisée).Unefoislemotcompris,ellel’associeàlabonneimage.

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Aveclespochettesdelecture,lesenfantsréalisentlamêmetâchequelorsqueje leur écrivais depetits secrets : ils doivent lireunmot et l’associer à l’objetqu’ildésigne.Celaestuntoutpetitpeuplusabstraitcarilnes’agitplusd’objetsréelsmaisd’images,maiscelaneposeaucunsouciauxenfants,danslamesureoù ils sont au préalable passés par une étape « vivante » et très concrète.Cespochettesdelectureneviennentquesoutenircequelesenfantstravaillentdanslelienhumain.Ellesnereprésententpasréellementuneactivitépédagogique.Lemomentpédagogiqueest celuiquenouspartageonsquotidiennementensembledans la joie, le lien et la bonne humeur.Ces activités sont des compléments :ellesn’auraientquepeud’intérêtutiliséesseules.Enparallèle,eneffet,jecontinuaisrégulièrementetquotidiennementàécrire

des mots aux enfants de manière individuelle, en respectant le niveau deprogressionauquelilssesituaient.Parexemple,siunepetitefillelisaittrèsbienledigramme«ch»dans lesmots,maispas forcément le«on», jeprenais leplateauetluiécrivaisdesmotsavecledigramme«on».Ellepouvaitensuiteseperfectionnerseuleaveclapochettedudigramme«on».

Annaécritdesmotsavecledigramme«on»àunenfantde4ans.Aprèsluiavoirécritunedizainedemots–ouplussil’enfantsouhaitepoursuivre–,ellerassemblelespapiersetlesagrafeavantdelesdonneràl’enfant.Ilpeutensuite,enparallèle,pourseperfectionner,utiliserseullapochettedudigramme«on».

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Dudécodageàl’automatisationAprès être entrés dans la lecture, les enfants passent par une étape de

décodagequidemandeuntrèsgroseffortd’attention.Pourunmotaussisimplequesac,parexemple,ilfautd’abordreconnaîtrelalettre«s»etluiassocierlesoncorrespondant,[s],puisreconnaîtrelalettre«a»etluiassocierleson[a];etenfin, reconnaître la lettre«c»et lui associer le son [k].C’estenprononçantcettesuccessiondesonsàhautevoix(«sssssssssaaaaaaac»)etenl’entendantque l’enfant reconnaîtra le mot : sac ! Ce démarrage en lecture s’appelle ledécodage. Cette première étape demande un effort conscient ainsi qu’uneattention considérable à l’enfant. Néanmoins, progressivement, le décodages’automatiseetdemandedemoinsenmoinsd’effortconscient.Quelquessemainesplustard,lorsquel’enfantverraunmotqu’iladéjàlu,son

cerveauanalyserabeaucoupplusrapidementlasuccessiondelettresetdesons,sans demander d’effort conscient particulier. Ainsi, plus l’enfant lira, plus lesmots qu’il aura lus seront reconnus et décodés à très grande vitesse par soncerveau;onparled’automatisation,ouencoredevoiedirectedelecture.C’est-à-direque,commevous, iln’auraplusl’impressiondedécodermaisd’accéderdirectementausensdumotsanspasserparlacasededéchiffrage.C’estcequiseproduit a priori pour vous lorsque vous lisez mes mots actuellement : vousaccédez directement au sens en suivant lesmots des yeux, vous n’avezmêmepluslasensationdedécoder–etpourtant,larechercheesttrèsclaire:c’estbiencequefaitvotrecerveau,maisillefaitextrêmementrapidement.Lecerveaunereconnaîtpaslesmotsdemanièreglobale,il lesdécodeavecplusoumoinsderapidité.

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LiredesmotsLedécodageestuneétapecoûteuselorsdelaquelle lescircuitscérébrauxse

recyclent et se spécialisent pour la lecture. Ce n’est qu’un passage – plus oumoinsrapideselonlesenfants–quidoitmeneràunelectureautomatisée.Afind’aider les enfants à ne pas se décourager et à passer rapidement à l’étapesuivante,jepartageaisquotidiennementdespetitsmessagesaveceuxensuivantleurprogressionindividuelle,cequipermettaitdesouteniretd’encourageravecune grande puissance leurs avancées et l’automatisation de la lecture. Jedemandais à Anna de m’aider dans cette tâche en écrivant égalementquotidiennement de petits messages aux enfants qui étaient entrés dans lalecture. Accompagner ce passage de la manière la plus efficace et joyeusepossibleétaituneprioritéauseindelaclassedeGennevilliers:noustenionsàsoutenir l’élan des enfants dans cette étape parfois laborieuse avec un étayagetotalementindividualisépourêtreauplusprèsdesbesoins,delapersonnalitéetduniveaudechaqueenfant.La plupart des parents, fortement sollicités par leur enfant lors de cette

période,lesaidaientégalementavecjoie.

Unepetitefillede4ans,entréerécemmentdanslalecture,décodedesmotsphonétiquesqu’Annavientdeluiécrire.

Tous les jours et plusieurs fois dans la journée, je proposais ce tempsd’échange complice lors duquel j’écrivais une dizaine de mots que j’agrafais

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ensuite en augmentant progressivement la difficulté. Lorsque les motsprésentaient des lettres muettes (ce qui est très fréquent en français), je lessoulignais simplementavantde tendre lemessageà l’enfant,qui savaitquecesigneindiquaitlaprésenced’unelettreànepasprononcer:barre,vis,mur,vélo,jupe,tapis,sol,pot,sac,cube,chaton,etc.Lesenfantsréclamaientcesinstantschaleureux, que je tenais, je le répète, à rendre aussi amusants etenthousiasmantsquepossible.C’estcetterégularitéquotidiennedelecturevécuedanslelienetl’allégressequipermitauxenfantsdepasserrapidementl’étapededécodageetd’entrerréellementdanslalecture.Cesmomentsdepartagesuivaientuneprogressionindividualisée,néanmoins

totalement invisible pour l’enfant, qui n’avait absolument pas l’impression desuivreuncheminementdidactique,ilavaitsimplementlasensationdevivreunmomentdepartage,dejoieetderéussite!Lesgrandsprenaientunimmenseplaisiràécriredebrefsmessagesauxplus

petitsqui–detoutefaçon–lesharcelaientpourqu’ilslefassent:«Aya,tupeuxm’écriredespetitssecrets?S’ilteplaît,justeun.»Bienévidemment,legrandsolliciténes’ensortaitjamaisavecunseulmotàécrire.Pours’amuseràlire,lesjeunesenfantsavaientégalementàleurdispositionun

petit meuble avec des tiroirs numérotés ou thématisés (continents, solidesgéométriques,objetsdelaclasse,etc.),danslesquelsétaientrangéesdesfeuillescontenant une dizaine de mots. L’enfant lisait les mots, les découpait et lescollait sur les objets correspondants dans la classe. Un tiroir contenant despapiersavec lesprénomsdesenfantsde laclasseétaitégalementproposé : lesenfantsadoraientdécouperetscotcherleprénomdeleurscamaradessurlebrasoulebustedel’enfantdésigné.Unautretiroirproposaitdesnomsd’animaux,àscotchersurdepetitesfigurinesdisposéesdansunpanier.Ily eutbeaucoupdevisitesd’inspecteurs,de scientifiques,de journalistes à

Gennevilliers.Chaquefois, ilsrepartaientavecdespapierscolléssurleurjupe,leurpantalon,leursac,etc.Ilss’enapercevaient–oupas!Certainsserendaientcomptequ’ilsavaientservidesupportpédagogiquelesoir,enrentrantchezeuxetm’envoyaient,ravis,unpetitmessagedesurprise.

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Unenfantde4ansscotchelenomdessolidessurlesobjetscorrespondants.

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LiredesphrasesLorsque lesenfantsavaientsuffisammentautomatisé la lectured’unmot(de

trois syllabes), je leur écrivais des phrases courtes.Ces phrases les conviaientsouvent par écrit à effectuer une action, ce quimepermettait dem’assurer deleur compréhension. Elles se complexifiaient progressivement : « Ris ! » ;«Roule!»;«Dis:trois!»;«Sonneunecloche!»;«Roulesurletapis!»;«Salueuncamarade!»;«Regardeleplafond!»;«Traverselaclasse,ouvrelaporteetreferme-la.»Différentesinvitationsdéjàécritesdecetypeétaientàleurdispositionsurdes

ticketsimprimésetplastifiés.Ainsi,lesenfantspouvaient,enparallèle,prendreces tickets et s’amuser seuls ou avec un camarade. Progressivement, ilscomprenaient les règles implicitesdes lettresmuettes, iln’étaitplusnécessairedelessouligner.Delamêmefaçon,sur les ticketspréparés, les lettresmuettesétaientgrisées;mais,àmesurequelesenfantsutilisaientdesticketsdeplusenplus longs, celan’étaitplusnécessaire.Parfoismême, lorsqu’ils écrivaientdesactions à effectuer à leur camarade, ils écrivaient d’eux-mêmes les lettresmuettes finalesqu’ilsavaient régulièrement lues. Jemesouviensavoirété trèssurprise,unjour,enramassantunpapiertombéausol:«Faismoiunbisoue»,était-il inscrit.Nonseulementl’enfantavaitplacéle«s»aubonendroit,maissoncerveau,câblépourdétecterlesrégularités,avaitjugépertinentd’ajouterun« e » à bisou. En effet, dans la classe, les mots joue, roue et boue étaientcourants, car ils étaient présentés dans la pochette de lecture du digramme«ou».Lecerveaudel’enfantyavaitdoncvuunerégularité,unerègleimplicite.

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Ungarçonde4anslitunticketpréparél’invitantàeffectueruneaction.Leslettresmuettes,àcestade,sontencoregriséespournepasgênerledécodage.

Jusqu’ici,lessupportsdidactiques–pochettesdelectureetticketsdelecture–étaientécritsenécriturecursive(enattaché)afind’offrirauxenfantsleslettrestelles qu’ils les avaient découvertes. Néanmoins, et on ne sait pas vraimentpourquoi ni comment, les neuroscientifiques spécialistes de la lecture ontconstatéquelorsquelalectureestautomatiséeetquelesenfantssontcapablesdelire aisément des phrases, leur cerveau est capable de décoder tous types degraphie.Eteneffet,lorsquelesenfantsdelaclasseétaientcapablesdeliredesphrasesenattaché,ilssavaientégalementlirelescript(minusculeoumajuscule)sansquenousayonseuàleleurenseigner.Eneffet,sachantliredesphrases,ilsessayaientspontanémentdelireseulsouavecuncamaradedesimagierssimplesde la bibliothèque écrits en script. Ils découvraient et décryptaient seuls – ouavec l’aide des plus grands – cette nouvelle graphie. Lorsqu’ils nereconnaissaient pasune lettre ouungroupede lettres, ils venaient simplementmedemander:«Céline,c’estquoi,ça?»endésignantlalettreinconnue.Jeleurapportaislaréponseetilsrepartaientpoursuivreplusloinleurlecture.À cette étape, alors qu’ils commençaient à prendre naturellement de petits

livres, les enfants étaient confrontés à des graphies nouvelles, comme « ph »,«eau»,«au»,«est»,«et»,quicodaientdessonsqu’ilsconnaissaientdéjàmaissousd’autresformesécrites,plussimples.Ilfallaitdoncleurprésenterceshomophones13.Nousavionsuneactivitéàceteffet.Néanmoins,jen’ai,entroisannées,présentécetteactivitéque troisouquatre fois : lesenfantsapprenaientlessonscodésparcesgraphiesdemanièreinformelle,enlisantleslivresqu’ilsaimaient.Nous n’avions pas plus dematériel didactique pour la lecture.Une fois les

basesjetées,notreénergieetnotreattentionétaienttournéesversl’animationetl’entretiend’unebellebibliothèque,offrantdesniveauxetdesthèmesdelecturepouvantsatisfairelesenviesetlesbesoinsdechaqueenfant.

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LiredeslivresUne fois par semaine, nous allions chercher de nouveaux livres à la

bibliothèque municipale. Nous ne choisissions pas les livres uniquement auregard de leur intérêt didactique. Je dirais même que nous les choisissionsprincipalement au regard de l’enthousiasme que le livre était susceptible deprovoquer chez les enfants plutôt que chez nous ou chez l’inspecteur decirconscription. Il s’agit là d’un point capital : en effet, une fois le décodageacquis,sileslivresn’intéressentninemotiventlesenfants,l’automatisationneseferapas.Ilestmêmefortementprobablequeleurcapacitéàdécoderrégresse.ÀGennevilliers,nousavions remarquéque les livres lesplusefficacespour

permettre l’automatisation de la lecture étaient les livres qui faisaient rire lesenfants : les enfants les relisaientdesdizainesde foisde suite avecparfoisdegrands éclats de rire partagés avec leurs camarades. La série des « Papas »d’AlainLeSaux,ainsiquelesdifférentsalbumsdeStéphanieBlakeoudeMarioRamos, remportaient un immense succès. Il ne s’agit pas, bien entendu, deréduire la palette littéraire à ce genre d’albums,mais de proposer une grandevariété de thèmes, d’illustrations et de tons répondant aux intérêts individuels.L’enthousiasme des enfants doit être le phare guidant nos recherches dansl’océandelalittératurejeunesse.Labibliothèquedevintrapidementunpointnévralgiquedelaclasse.C’estici

que les enfants se donnaient mutuellement envie de lire, développaient denombreuxliens,riaientetdiscutaient.Nousveillionsàcequececoinlecturesoitlumineux, spacieux, confortableet invite à l’ordreet aucalme. Ilproposaitunnombre de livres suffisant pour attirer la curiosité des enfants, sans être tropimportantafindenepasinviteraudésordre.Jelisaiségalementdenombreusesnouvelleshistoireslorsdesregroupements

quotidiens : il s’agissait d’une lecture vivante, non didactique ; je lisais sansm’arrêteravecunegrandethéâtralitéetbeaucoupd’humour.Lesenfantsétaientsuspendus à mes lèvres, et l’envie de lire et de se laisser absorber par unehistoire grandissait en eux. Je ne m’arrêtais pas à toutes les pages pour leurdemandercequ’ilsavaientcompris–jelefaisaislorsquec’étaitnécessaire,bienévidemment–,maisl’objectifétaitdeleurfaireressentirquelalecturepouvaitlestransporterversdesmondesextraordinaires.Parfois, jedemandaisàAnnade lireavecgrandiloquence les répliquesd’un

personnage pendant que je faisais le narrateur. Les enfants reprenaientspontanémentcefonctionnementets’isolaientàdeuxoutroisautourd’unetablepourlireleslivresàplusieursvoix:unenfantfaisaitlenarrateur,etdeuxautres

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lesvoixdespersonnages,parexemple.Ilsriaient,sedisputaientunpeuparfoiségalementlorsquel’und’entreeuxlisaitlarépliquedel’autre,maislasituationétaitvitedésamorcéeparl’enviedepoursuivre.Quellejoie,quelleenviedelireet de partager leurs découvertes ! Certains passaient leur journée à lire etcontinuaientensuiteàlamaison.Àlagrandesurprisedeleursparents,laplupartne souhaitaient plus regarder la télévision : ils suppliaient leursparentsd’alleremprunterdes livresà labibliothèque.Unemaman témoignedansunevidéo :«Sielleramènedixlivres,ellelitlesdixlesoirmême.[…]EllelitmieuxquesonfrèrequiestenCM2!»Unpapaexpliqueégalement:«Lesoir,c’estellequilitunehistoiredanslelitdesamère!»Les enfants préparaient donc leurs lectures seuls ou à plusieurs et me

demandaient ensuite s’ils pouvaient eux aussi lire une histoire pendant leregroupementcollectif.Quotidiennement–oupresque–,unenfantouunpetitgrouped’enfantslisaitunehistoireàleurscamarades–etavecleton14!

Unepetitefillelitunehistoireàsescamaradespendantleregroupementcollectif.

Je rappelleque les enfantsde la classeont atteint ceniveaude lecture avecessentiellementsixmatériels(pourleurstroisannéesdematernelle):despetitsobjets pour analyser les sons, des lettres rugueuses, un alphabet mobile, unedizaine de pochettes de lecture, quelques mots à scotcher, et quelques livretsprésentantdeshomophones(etencore,ceux-ciétaientpeuutilisés).L’essentieldu«matérielpédagogique»étaithumain.C’est l’étayagevivant, individuelet

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dynamiquequej’aipuapporterauxenfants,renforcéparceluid’Anna,quileurapermisd’entrerdans la lectureavec joieetdes’emparerdesdizainesde livresquenousleuroffrionschaquesemaine.Danssoncoursdel’année2015surlesfondamentaux théoriques de l’apprentissage, Stanislas Dehaene, éminentspécialistedelasciencedelalecture,confirmequecetteapprochevivanteetnondidactiqueest essentielle. Il invite lesenseignantsà focaliser leurattention surl’enseignement du code pour commencer, mais lorsque la compréhension ducode est suffisante, il précise qu’il ne s’agit pas forcément de proposer unemyriaded’activitéspédagogiques,maissimplementdefavoriserl’enviedelire,encréantdesconditionsenthousiasmantesauseindesquelles l’enfantpeutêtreactif.De la même façon que l’être humain apprend et intègre naturellement les

irrégularitésdel’oralenentendantparleretenparlant,ilapprendnaturellementlesirrégularitésdel’écritenentendantlireetenlisant.

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L’entréespontanéedansl’écritureLes lettres et digrammes rugueux préparent directement aux gestes de

l’écriture.Enlestraçant,legestes’engrammedanslecerveaudel’enfant.C’estpour cela que les lettres et digrammes rugueux sont présentés en cursive :l’enfant prépare ainsi naturellement et sans effort sa main à la graphie de saculture. Cette graphie diffère d’ailleurs selon les cultures : les Anglais, parexemple,écriventenscriptetnonenattaché.Iln’yadoncpasd’intérêtpoureuxàapprendreletracédeslettresenattaché.Actuellement, en France, nous introduisons l’écriture aux enfants en leur

faisantapprendrel’écriture«enbâton»(majusculesd’imprimerie),alorsqu’ilsn’aurontniàécrire,niréellementàlireaveccettegraphie.Et,pourpreuve,aprèsleurs trois années de maternelle, nous leur demandons d’abandonner cetteécriture, en se fâchant parfois lorsqu’ils peinent à le faire. Si nous enseignonsl’écriture«bâton»depuisdesdécennies,c’esttrèscertainementparcequ’ilnousa semblé que des lignes droites étaient plus aisées à réaliser qu’une écriturecirculaire.En cequimeconcerne, jen’ai jamaisvud’enfantde3 ans remplirspontanémentunepageblanchede traitsverticauxetde traitshorizontaux : ilsgribouillent naturellement de façon circulaire, en faisant des boucles et desboucles…Or,àl’entréeenmaternelle,tracerdesligneshorizontalesetverticalesdemande des capacitésmotrices et inhibitrices qu’ils ne possèdent pas encore.Cette simplification est une croyance intellectuelle qui en réalité complique latâche,entraveetfreinel’acquisitiondel’écriture,quisemblealorslaborieuseàl’enfant.Ilestfortprobablequ’ilsedétournedecetteconquête.Pour soutenir le développement de l’écriture des enfants, il semble au

contraire plus pertinent de raffiner naturellement ce geste circulaire en offrantauxenfants lapossibilitéde tracer les lettresavec leursdoigts.Et lorsque leurcapacitémotrice le leurpermet, ils tracentspontanémentet sanseffort legesteque leurcerveauapréalablementengrammé.Nulbesoinde fairedes lignesde«a»enattaché:ayantfaitmécaniquementmaintesetmaintesfoislegeste,unefoisquelacoordinationmotricedesenfantsestmature,ilstracentspontanémentetcorrectementlalettreauxalentoursde4ans.Etcomme,aumêmemoment,ilsavaientapprisàcomposerdesmots,enplaçantdeslettresmobileslesunesàlasuite des autres, beaucoup écrivaient spontanément des mots entiers sur desbouts de papiers volants : leur prénom, ceux de leurs camarades, ou d’autresmots–encursive.Nousretrouvionsdanslaclassedesdizainesdepetitspapiersavecdesessaisspontanésd’écriture,sanssavoirjamaisquienétaitl’auteur.

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Undespremiersessaisspontanésd’écritured’unenfantde4ans.Ilademandéàécrireseulsonprénomderrièrelelivretdeticketsqu’Annaluiavaitremisalorsquejefilmaisleuréchange.Notonsqu’ilutiliseunKmajuscule,carnousavionsfaitlechoixdanslaclassed’écrirelesmajusculesnonpasencursivesmais

encapitalesd’imprimerie.

Lorsque l’écriture sedéclenchait spontanémentchez lesenfants, ilne restaitplusalorsqu’àlesaideràaffinerleurtracé.Nousutilisionspourceladescahiers,quelesenfantsétaientravisd’utiliser:ilss’entraînaientàécriredeslettres,puisdesmots,puisdesphrases (qu’ils recopiaient souventdesalbumsde jeunesse)entredeuxlignes.Lahauteurdecelignagediminuaitprogressivement;quelquesenfantsde5ansont terminé l’annéedegrandesectionavecun interlignagedetroismillimètres.Alorsque lesenfantsn’avaientpratiquéaucunexercice formeletdirectifde

graphisme, le rapport des tests de la première année indique néanmoins que,chez tous lesenfantsde laclasse,« laprécisionvisuo-motriceapparaît trèsenavanceparrapportàlanorme».Lesseulesactivitésde«graphisme»quenousproposions, préparant directement leurmain à l’écriture, étaient des coloriageslibresdemandalas,desformesàdétoureretàcolorier,oudupoinçonnage.Lesenfantsde3ans1/2,4anslesappréciaientbeaucoup.

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L’importanceduvocabulaireLorsquel’enfantdécode–«aaaaaaarrrrrrmmmmoirrrrrrrre»–,ilprononceles

sonsàhautevoixetessaiedelesassembler.Ilestaidédanscetassemblageparsonvocabulairepersonnel.Silemot«armoire»faitpartiedesonvocabulaire,ilauraundéclic:«Armoire!Ilyaécritarmoire!»S’ilneconnaîtpaslemot,iln’aurapasdedéclic,mêmes’ilacorrectementassemblétouslessons; ilvousregardera avec de grands yeux et ne comprendra pas ce qu’il aura pourtant lucorrectement.Lespremierspasen lecture sont eneffet fortement soutenusparcette partie « déductive », et par conséquent, par la richesse du vocabulaire.Aprèslalectureetl’accèsausens,lecerveauenregistrealorscemotetlesensassocié.Laprochaine fois, il liraplus rapidementcemot.À l’inverse, l’enfantquin’aurapaseuaccèsausensserafortementfreinédanssaprogression,etsonintérêt pour la lecture faiblira. Comme je l’ai plusieurs fois mentionné, larichesse, la précision et la diversité du vocabulaire tenaient donc une placeessentielledanslaclasse.Dèslorsquelesenfantssaventlire,lalectureparticipedefaçonconsidérableà

l’enrichissementduvocabulaire.Pluslesenfantslisent,plusleurlexiques’étend.Et celui de leur entourage aussi : par leurs lectures généreuses, ils faisaientdécouvrirdenombreuxmotsauxplusjeunes,quiécoutaientleurshistoiresavecune admiration béate, tout en se ressaisissant parfois et en coupant leurscamarades en plein milieu de leurs récits – plus qu’ils ne le feraient avecl’adulte–pourdemander :«Younes, çaveutdirequoicemot?» Ici encore,l’acquisition du vocabulaire était vivante, active, interactive, dynamique,éminemmentsociale.

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L’importancedulienhumainPrendre le temps d’offrir à chaque enfant des moments privilégiés à deux,

totalementpersonnalisés,oùtoutenotreattentionetnotrebienveillanceluisontconsacrées, n’a pas de prix. Notre capacité à entrer en relation avec chaqueenfant et à susciter chez lui enthousiasme et confiance est le premier et leprincipallevierd’épanouissementdesonintelligence.Lematérielnejouequ’unrôle de soutien : il guide l’enseignant sur les étapes fondamentales et soutientl’activitédesenfantsenproposantdesobjectifspertinentsetadaptés.Maisunefois que nous avons intégré les objectifs de ces supports didactiques, nouspourrions presque nous en passer. Gardons toujours cela en tête : le matérieln’est qu’une béquille ingénieuse sur laquelle nous nous appuyons pour aiderl’enfant ;mais la relation positive, soutenante, complice et respectueuse entrel’adulteetl’enfantestlepiliercentralpourencouragerl’épanouissementdesonintelligence.Nousreviendronsplus loinsurcepoint,maisnotons toutdesuitequ’ils’agitdulevieressentieldontnousavonsusésanslimitesàGennevilliers:letemps,lapatience,lerespectetl’accueildesindividualités,desintérêtsetdesrythmesdechacunétaientaucentredenospréoccupations.

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Lireets’émanciperJetermineraicechapitreenrappelantquetransmettreànosenfantslacapacité

et le goût de lire n’est pas un détail. La lecture n’organise pas seulement lapensée, elle n’est pas seulement une clé d’insertion sociale et de réussiteprofessionnelle,non:lacapacitédelireestlibératrice,elledonnel’autonomieetla liberté de conquérir seul n’importe quel savoir. Personne d’autre quel’individului-mêmenesaitmieuxquelui laconnaissancequi luimanquepourse réaliser, et la lecture est le moyen par excellence pour conquérir cetteconnaissance par soi-même en toute liberté. Notre tâche n’est pas d’emmenerl’enfantverscequenousimaginonsqu’ilest–ousouhaitonsqu’ilsoit–niverssesmanquessupposés,maisplutôtdeluidonnerlesmoyensderesterconnectéàcequ’ilestetdesatisfaireparlui-mêmesesélanscréateurs.L’amourestl’undeces moyens, la lecture en est un autre. Nous avons donc une granderesponsabilité. Outre notre soutien inconditionnel, bienveillant et porteur, unedes tâches essentielles qui nous incombe est de livrer ce code alphabétiquelibérateur à l’enfant, avec la délicatesse, le sérieux et l’émerveillement aveclesquelsnouslivrerionsuntrésorséculaireàdeshéritiers.Nous ne disposons sans doute pas de circuits neuronaux spécialisés pour la

lecture,maissilanatureestprêteàréorganisernotrecortexcérébralpourcéderlaplaced’unréseauaussiimportantqueceluidelareconnaissancedesvisagesetdesobjetsàcetapprentissage,c’estqu’ildoitréellements’agird’uneacquisitionfondamentalepourl’épanouissementetl’évolutiondel’humanité.

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ÀlamaisonOnme demande souvent si cematériel didactique de raffinement des sens,

d’accès à la culture, aux mathématiques, à lecture et à l’écriture, peut êtreproposéàlamaison,encomplémentdel’école,oupourfairel’écoleàlamaison.J’espère,àtraverscelivre,avoirréussiàtransmettredesélémentsderéponseenrappelant que l’essentiel n’est pas le matériel – que ce soit à la maison ou àl’école–maistouteslesexpériencesvivantes,riches,immersivesetréellesquenouspourronsoffrirànosenfants:échangeretvivreavecdesêtreshumainsauxpersonnalités, aux connaissances et aux âges si différents ; lire denombreuseshistoires,auxtonalitésetauxcouleursvariées;chanter,peindre,sculpter,fairedespliagesetdel’origami,dessiner,danser,jouerlibrement,fairedelamusique,rire,voyager,nager,observerlesanimaux,lesinsectes,lanature;fairedesjeuxdeconstruction libres,bâtirdevraies cabanesdans la forêt, ouencoreprendretoutsimplementletempsdenerienfaireetderêvasser.Tantàl’écolequ’àlamaison,ilseraitintéressantdeproposerauxenfants,sur

la base du volontariat, de s’inscrire à des ateliers en petits groupes : soin desanimaux,plantations,peinture,poterie,sculpture,escalade,théâtre,chant,judo,musique, pratique spécifique d’un instrument, danse, cuisine, bricolage,astronomie,explorationdelanature,yoga,etc.Àl’école,cesatelierspourraientêtreproposéstoutelasemainepardesintervenantsextérieursoupardesparentsexpertsdansundecesdomaines.Ce sont toutes ces activités dynamiques, proposées dans un cadre social

soutenant et chaleureux, à partir desquelles l’enfant explore, qui sontéminemmentprécieusespourlaformationdesonintelligence.Cesontellesquinourrissentsonintelligenceplastiqueconquérante,ellesquisontirremplaçables,etpourlesquellesnousdevonsnousbattre,afinquenosenfantsenbénéficient.Lematérieldidactiquevientseulementencomplément.Iln’estqu’uneaide,unmoyen de rendre certaines expériences réelles encore plus passionnantes et delespréciser.Ainsi,sivoussongezàpréparerunaccompagnementdidactiqueàlamaison,

pensez bien qu’il n’aura d’intérêt pour l’intelligence puissante de l’enfant ques’il affine les intuitions développées dans le monde et s’il donne accès àdavantagedecompréhensiondesexpériencesréelles.Lesensestàl’intelligenceceque l’oxygèneest ànotreorganisme.Lesactivitésquenousproposonsà lamaison doivent impérativement être en lien avec la vie réelle pour éveillerl’enthousiasmedesonintelligence.Unautreélémentdoitêtreprisencompte:lematérieldidactiquen’aquepeu

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d’intérêtlorsqu’ilestprésentéàunenfantseul,carc’esttouteunecommunautéd’enfants d’âges différents qui le fait vivre. À la maison, vous aurez tout lematériel et vous aurez certainement dépensé une fortune, mais il manqueral’essentiel, c’est-à-dire tout l’écosystème qui lui donne sa profondeur et sonintérêt : des enfants plus jeunes auxquels votre enfant pourrait montrer lesactivités– consolidant ainsi ses acquis–, ainsiquedes enfantsplus âgésqu’ilpourrait observer avec admiration, auxquels il pourrait demander de l’aide etdesquels il pourrait apprendre énormément. Aucun adulte ne peut entrer encompétitionavecceteffetsocialcatalyseur.Unseuladulte,mêmedeux,mêmetrois, disposant pourtant de tout le matériel, ne pourraient jamais rendre cematérielaussivivantetefficacequelarichessed’unmélangedesâges.Enrésumé,recréeruneclasseà lamaisonaveccematérielpourunoudeux

enfantsneme semblepas réellementpertinent.L’expérienced’uneamiequi afaitlechoixdel’écoleàlamaisonpoursonpetitgarçonde3ansm’aconfirmécelavoiciquelquesannées.Elleavaitinvestibeaucoupd’argentpouracquérircematériel et organiser un bel et lumineux espace d’activité. Mais son petit nes’intéressaitpasvraimentauxactivitésproposées,etilpassaitpeudetempsdanscetespace,cequidésolaitsamaman.Ilmanquaitl’effetcatalyseurd’ungrouped’enfants. À la place de l’émulation de groupe, le petit percevait l’immenseattentedesamaman,quivoulait luienseignerbeaucoupdechoses.Or,malgrétoutsonamourettoutsonjolimatériel,monamienepouvait,seule,apporterlapuissancedeladiversitéetdelarichessesocialeàsongarçon.Je pense qu’un bon compromis serait de sélectionner les activités et le

matériellespluspertinentspoursoutenirlesélansindividuelsdenosenfants,enveillant toujoursà les fairevivreautantquepossibledans ladynamiqued’unecommunauté humaine galvanisante, et toujours en complément d’expériencesriches, complexes, intuitives et non didactiques dans le monde. J’invite doncchacunàfairesespropreschoix,sespropresexpériences,sespropreserreurs,etàtoujoursselaisserguiderparl’enthousiasmeetlajoiemanifestesdel’enfant.

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III.

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Soutenirledéveloppementdescompétences-soclesdel’intelligence

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1.

Lespériodessensibles

Nousavonsvudans lapremièrepartiedece livreque l’intelligenceestuneunité particulièrement dynamique qui change sa structure en fonction de nosexpériences.Nous avons expliqué ensuite que cette plasticité est extrêmementforteetpuissammentfondatricechezlejeuneenfant.Danslatroisièmepartiedece livre, nous allons voir que tout au long de cette maturation fulgurante, lecerveau traverse différentes périodes dites « sensibles ». Il s’agit demomentsdurantlesquelsdescompétencesspécifiquessemettentenplace.Ellesinduisentaufoisonnementdeconnexionsd’uncircuitcérébralparticulier.Touslesenfantsparlent, touchent à tout, se mettent debout, ou veulent faire les choses seuls,approximativementauxmêmesmoments.Pourchacundecesprogrèssuccessifs,lecerveauorchestre,demanièretrèsorganiséeetuniverselle,ledéveloppementde son précâblage immature. Lorsque l’enfant traverse la période sensible dedéveloppement du langage, par exemple, les connexions synaptiques dans lesairesdulangagesontextraordinairementnombreuses:ilestalorsfascinéparnosparoles,lesmotsquenousemployons,leschansonsquenousluifredonnons;ilestpousséàrecueillirlesinformationsextérieuresquivontnourrircescircuitsenpleinépanouissement.Lorsqu’iltraverselapériodededéveloppementsensoriel,ilexplorelemondeàtraverssessens,il«toucheàtout».Ces périodes sensibles s’ouvrent progressivement et atteignent en quelques

mois un pic de plasticité où les connexions d’une région cérébrale sontremarquablementnombreuses:lorsdecesmomentsincandescentsdeformation,l’apprentissageestrapide,facile,joyeuxetsolide–si,bienévidemment,l’enfantpeutréaliserlesexpériencesspécifiquesquesonintelligenceluiréclame.Puislenombre de connexions neuronales diminue progressivement, et la périodesensible s’éloigne : le même apprentissage demandera ensuite à l’enfant uneffort conscient, répété et souvent contraignant puisque les circuits sontbeaucoup moins plastiques. Les apprentissages sont donc plus lents, pluscoûteuxetplusdifficiles.Cespériodesconstituentparconséquentdevéritablesfenêtres d’opportunités à connaître et à ne pas manquer. La recherche nousindiquequecequiseconstruitlorsdecespériodesconstituelabasesurlaquelle

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les compétences futures de l’enfant seront déployées et raffinées.De lamêmefaçonque laqualitédes fondationsdétermine lastabilitéd’unemaison,cequel’enfantconstruitlorsdecesfenêtresplastiquesportelaqualitédesescapacitésfutures.«Derrière cela, explique StanislasDehaene dans son cours sur la plasticité

cérébrale au Collège de France, il y a la découverte que les interventions del’environnement n’ont pas le même effet sur l’organisme selon le momentauquel elles ont lieu1. » Il nous faut donc être alertes et offrir aux enfants lesélémentsqueleurdéveloppementexige,aumomentoùillesexige:niavant,niaprès–maispendant.Avantcespériodes,toutexercice,mêmeintensif,n’aquepeud’effet;après, l’organeoulafonctionperdentpeuàpeudeleurplasticité,rendant par là l’apprentissage de plus en plus difficile à mesure que l’ons’éloignedecemomentprivilégié.

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ReconnaîtrecespériodesfondatricesLa première chose qui devrait nous alerter sur la présence d’une période

sensible est l’intérêtmarqué du jeune enfant pour un élément ou une activité,ainsiquelarapiditéetlafacilitéd’apprentissagequ’ilmanifeste.Ainsi,lorsquenous le voyons très attentif, très rapide dans son apprentissage, il est fortprobablequ’iltraverseunepériodedecréationd’unpotentiellatentetquecelui-cidemandeàêtrenourri.Et, lorsque lemariage entre lesbesoins internes et les réponses externes est

approprié, l’enfant manifeste une satisfaction et un apaisement singuliers ; ilrayonne d’un enthousiasme lumineux. Concentration, fascination, rapidité,facilité,satisfactionjoyeuseetapaisementsontdesindicateursexternespositifsdelaprésenced’unepériodesensible.

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DeuxpériodessensiblesdelapremièreannéedevieLorsdesapremièreannéedesavie, l’enfanttraversedeuxgrandespériodes

de sensibilité au cours desquelles les circuits du langage ainsi que les circuitssensorielsfoisonnentdeconnexionsetmûrissentàgrandevitesse.Avez-vousdéjàremarquélaconcentrationintenseaveclaquellelebébéécoute

lesmotsquenousluiadressonsavectendresse?Avez-vousdéjàobservécommeilsourit,etcommenosparolessemblentremplirsoncœurdejoie?Cevifintérêtconcentré et cette joiemanifeste indiquent que le bébé traverse déjà, quelquesheuresseulementaprèssanaissance,unepériodedefortesensibilitéaulangage.Cettesensibilitéà la langueacommencéavantmêmesanaissance,et,dèssonarrivéeaumonde,nouspouvonslaconstater:lenouveau-néestdéjàentrainde«capter»quelquechosede la languedesonmilieupourcréerdulangage.Larecherche nous révèle que, lorsque nous nous adressons à un nouveau-né, lamusicalité et les sons de nos paroles sont déjà en train d’activer les circuitsneuronauxquileprédisposentaulangage2.C’estd’ailleurspourcetteraisonque,depuisdesmillénaires,nouschantonsdejoliesberceusesànosenfants.Grâceàces « enseignements » dont nous sommes à peine conscients, et qui lesréjouissenttotalement,lesnouveau-néssontcapablesdèsquatrejoursdeviedereconnaîtrelamusicalitéparticulièredeleurlanguematernelle,etdelapréféreràcelledesautreslangues3!Lapériodesensibledelangageestdonctrèsprécoce:ellecommenceavantla

naissanceet atteintunpicdeplasticitéavantmême l’âgede1an.Ainsi, alorsqu’ilsneparlentpasencore,lesenfantsemmagasinentdéjàlesrégularitésetlesimpressionsdeleurlangueavecunegrandepuissance.Ilscommencerontàdireleurspremiersmots sur labasedes informationsqu’ils aurontpu recueillir lesmois précédents. L’activité intérieure, non visible, précède et préparesecrètement les aptitudes de l’enfant. Ce temps de maturation discret estfondamental.L’excellentenouvelleestquelaplupartdesparentslesaventdéjàinconsciemment,carmalgréeux,ilsnepeuvents’empêcherdecommentertoutceque fait leurenfant lorsdesapremièreannéedevie.Ces informationssontpassionnantes : elles nous confirment encore une fois que la posturepédagogiquequenousadoptons instinctivement enversnosenfantsnousguidevers un étayage adapté ; nous avons raison de faire ce que nous faisons déjàspontanément,etnousdevonsnousfairedavantageconfiance.Lapremièreannéedevie,lebébétraverseégalementuneautregrandepériode

sensible, encore plus précoce : celle du développement sensoriel. Très tôt, ilexploreégalementavidementetavecuneconcentrationsingulièrelemondequi

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l’entoure.Ilobserve,touche,goûte,écoute…Lorsdecettepériode,nousavonsbeaucoup de difficultés à l’empêcher de toucher à tout et de tout mettre à labouche. Or cela est tout à fait normal, car le bébé travaille à construire lesfondationsdesonintelligence.Ildoitrecueillirungrandnombred’informationssurlemondeparlecanaldesessens,etnousauronsbeauluiinterdiredetouchertel objet ou de mettre cet autre à la bouche, il doit le faire pour nourrir sonintelligenceenpleindéveloppement.Cettepériodedeconstructionlangagièreetsensorielleestfulgurante:dès10

mois, le nombre de connexions diminue fortement pour atteindreprogressivement,à3ans,unniveauquasimentéquivalentàceluidel’adulte!À3ans,donc, lorsque l’enfantentreà l’écolematernelle, il adéjàposé ses

fondations langagièresetsensorielles : iln’estplusdansunephasedecréationde ces compétences, il entre dans une phase de raffinement de ce qui a étépréalablement construit. La période de formation incandescente, fulgurante,fondatricedescapacitéssensoriellesetlangagièresestprincipalementcelledelapremièreannéedevie,lorsdelaquellel’enfantestpousséàexplorerlemondeetà boire nos paroles avec une passion vive et urgente : cette période érige lesfondations sur lesquelles l’intelligence humaine va prendre appui pour sedéployer.

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Lorsdesapremièreannéedevie,l’enfanttraversedeuxgrandespériodesderecueild’impressionssensoriellesetlangagières.Cerecueilserviradebaseaudéploiementdel’intelligencefuture4.

Ne voyons néanmoins surtout pas dans cette information une invitation àsurstimuler nos enfants de langage ou d’impressions sensorielles lors de leurpremièreannéedevie.Commeje l’aimentionnédans lapremièrepartiedecelivre, ces informationsnous rappellent surtout l’importancede soutenir tout ceque fait déjà spontanément l’enfant : il suffit simplement de faciliter sesexplorationsspontanéesauseind’unenvironnementréel,sécuriséetdequalité,et de favoriser les interactions langagières quotidiennes et chaleureuses qu’ilaime tant. Il ne s’agit pas de faire plus, mais de prendre conscience del’importance de toutes ces petites choses quotidiennes que nous faisons déjànaturellementavecl’enfant,etdelesprotéger.AuseindelaclassematernelledeGennevilliers,commejel’aiprécédemment

mentionnédenombreusesfois,nousavonsaccordéune importancecapitaleaulangage. Il suffit de regarder le graphique de la page précédente pourcomprendrepourquoicelafutessentiel.Nousvoulionsprofiteraumaximumdesbénéficesde la fenêtreplastiquedudéveloppement langagier, qui, à3 ans, est

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déjà en train de se refermer.Cela ne signifie pas que, passé cette période, lesenfants ne pourront pas étoffer leurs capacités langagières – ils le pourronttoujours,grâceàlaplasticitéducerveauhumainquiperduretoutaulongdelavie.Néanmoins,cequiseconstruitlorsdecespériodesnedemandeaucuneffortets’engrammesolidement.Lesenfantspeuventensuitepoursuivrelaformationdeleurintelligencesurdesbasessolides.Inutile de vouloir imposer notre programme, la nature a déjà le sien : les

potentielshumainsembryonnairesdontlebébéestdépositairevontchercheràseconstruire lors de périodes sensibles déterminées. Tous les enfants du mondevontexplorersensoriellementlemondeavecpassionetremettreimmédiatementàlabouchecetobjetquenousluiavonsconfisqué;tousvontsemettredeboutàpeuprèsaumêmeâge,et tousvonts’élancerpourfaireleurspremierspasauxalentoursde1an.Tousvontmontrerdès lanaissanceunevivesensibilitéà lalanguede leurenvironnement, etvivreunevéritableexplosionde langageauxalentoursde2ans.

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LedéveloppementdescompétencesexécutivesCestempsdematurationuniverselsnousapparaissentcommeévidents,nous

savonsquelesenfantsmarchentetparlentauxmêmespériodesdeleurvie.Ceque nous savons beaucoup moins, c’est que d’autres potentiels, comme lescompétencesditesexécutives, qui représententpourtant les compétences-soclesdenotre intelligence,sans lesquelles l’êtrehumainnepourrait toutsimplementpas fonctionner correctement, sedéveloppent égalementdès lapremière annéedevie,avecunecroissancefulguranteentre3et5ans.

Lescompétencesexécutivessedéveloppentpeuaprèslanaissance.Ilestessentieldesoutenirleurdéveloppementdèslapremièreannéedevie.Lapériodede3à5ansreprésenteunefenêtred’opportunité

importantelorsdelaquelleellescroissenttrèsrapidement5.

Les compétences exécutives sont les compétences qui permettent à l’êtrehumain d’être autonome et d’atteindre les objectifs qu’il se fixe de manièreorganisée,contrôléeetplanifiée.Lorsqu’ellessedéveloppent,l’enfantestpousséà agir par lui-même pour les exercer. Il repousse alors fermement notre aide,d’abordavecsamainlorsqu’ilnepeutpasencoreparler,puis, lorsqu’ilpeutle

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faire,ilordonneavecassurance:«Moitoutseul.»Sinoussavonsrespectercebesoin, et que nous aidons l’enfant à faire seul au quotidien dès le plus jeuneâge, ildévelopperaalorsnaturellementcesfonctionsessentielles.Nousverronsen effet que ces compétences sont souvent plus prédictives pour la réussiteglobale,professionnelleetsociale,queleQI.Soutenir le développement de ces compétences-socles au sein de la classe

maternelle deGennevilliers fut une de nos grandes préoccupations, et une desclésquinouspermitd’avoirunimpactsipositifauprèsdesenfants.

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2.

Lescompétencesexécutives

Lesfonctionsexécutivessontessentielles,cesontlescompétencescognitivesquinouspermettentdefonctionner,d’agirdefaçonorganiséepouratteindrenosobjectifs.Lesexpertsenrelèventtroisprincipales:–lamémoiredetravail,quireprésentelacapacitéàgarderuneinformationen

mémoiresuruntempscourt;– le contrôle inhibiteur, qui représente la capacité à se contrôler, à se

concentreretàinhiberlesdistractions;–laflexibilitécognitive,quireprésentelacapacitéàdétecterseserreurs,àles

corrigeretàsemontrercréatif.Lorsquenoussouhaitonsentreprendrequelquechose,qu’ils’agissedefairela

vaisselle, de résoudre un exercice de mathématiques, de faire une déclarationd’amour,dedialoguer,d’apprendreàjouerdupianooud’inventerunsystèmedenettoyagepournosocéanspollués,nousavonsbesoindecestroiscompétences.Il nous faut, pour atteindre notre but, quel qu’il soit : une bonnemémoire detravail, pour mémoriser et organiser les différentes informations ; un boncontrôle inhibiteur, pour rester concentré, contrôler nos impulsions, nosémotions, ou avoir les gestes inappropriés ; et enfin, une certaine flexibilitécognitive,pourajusternosstratégiesencasd’erreur,fairepreuvedeflexibilitéetdecréativité.Cestroiscompétencessoutiennenttoutenotreintelligenced’actionet notre pouvoir d’impact dans le monde. Elles nous offrent la possibilité deréalisertoutcequenotreintelligencecommande,d’agiravecsuccèsetdenagerenconfiancedanslegrandbaindelavie.À l’école, les enseignants sont souvent confrontés à des enfants ayant peu

développé leurscompétencesexécutives.S’ilspossèdentuncontrôle inhibiteurfaible, lamoindredistraction lesdéconcentre, attendre leur tourpourparleroupouragirleurestdifficile,ilsontdumalàcontrôlerleursémotions,sedisputentfacilement avec leurs camarades, font plus facilement preuve de violence, etmontrent peu de persévérance. Si leur mémoire de travail n’est pas assezdéveloppée,ilsoublientlaconsigne,ilsontdumalàorganiserleursactionsetne

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se souviennent pas du sens du paragraphe qu’ils viennent de lire. Enfin, s’ilsmanquentdeflexibilitécognitive,ilsontdegrandesdifficultésàréorganiserleuractionencasdebesoin,sedécouragentvitesileurstratégienefonctionnepasetn’identifient pas forcément leurs erreurs. « Même lorsque deux enfantsseulement possèdent des compétences exécutives sous-développées, expliqueTheCenteronTheDevelopingChilddel’universitéHarvard,uneclasseentièrepeut être désorganisée, et un temps précieux détourné des activitésd’apprentissage.Celapeut avoir un impactprofond sur le climatgénéralde laclasse et est souvent rapporté par les enseignants comme étant une sourced’exaspération et de burn-out1. » Ces enfants se sentent eux-mêmesdésavantagésparrapportàleurscamarades:ilsnesontpascapablesdesuivrelacomplexité d’un jeu, par exemple, et peuvent ainsi êtremis à l’écart par leurspairs.Àl’inverse,lesenfantsayantdéveloppéunebonnemémoiredetravail,unbon

contrôle inhibiteur et une bonne flexibilité obtiennent de meilleuresperformances scolaires, et, une fois adultes, réussissent mieux leurs examens,entrentdansdemeilleuresuniversités,obtiennentdesemploisplussatisfaisants,ont des relations sociales stables, unemeilleure santé et sontmoins sujets auxaddictionsalimentairesetauxdrogues.Maisau-delàdecela,etc’estcequinousintéresse vraiment, ils ont lesmoyens d’apprendre tout ce qu’ils souhaitent etd’atteindre les objectifs qu’ils se fixent dans la vie. Ces compétences sontd’ailleurs considérées par les experts comme les fondations biologiques del’apprentissage.TheCenteronTheDevelopingChilddeHarvardnotedansunrapport:«Veniràl’écoleavecunebasesolidedecesfonctionsexécutivesestplusimportantpourlesenfantsquedeconnaîtreleurslettresetleurschiffres2.»

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Lesfondationsbiologiquesdel’apprentissageLorsquecescompétencessontsolidementdéveloppées,unenfantestcapable

de retenir des informations, de s’organiser, de se contrôler, de percevoir seserreursetde lescorriger ; il trouvedessolutions innovantess’il le faut,et faitpreuve de persévérance. C’est pourquoi, au sein de la classe maternelle deGennevilliers, le développement de ces compétences était prioritaire. Nousn’hésitionspasàpasseruntempsconsidérablesurleurdéveloppement,retardants’illefallaitdeplusieursmoislaprésentationd’activitésprésentantdesobjectifsplus«scolaires»commelesactivitésmathématiquesoulesactivitésdelangage.Lesenfantsn’auraientdetoutefaçonpasretenuleursenseignements.Ilfallaitseconcentrersurl’essentiel,lerestepouvaitattendre.Ilétaittrèsfrappantdeconstaterqu’unefoiscescompétencesexécutivesplus

épanouies,c’est-à-direlorsquelesenfantsétaientcapablesd’agirpareux-mêmesauquotidiendemanièreordonnée,sansavoirconstammentbesoinde l’aidedel’adulte, ils s’appropriaient les savoirs fondamentauxavecbeaucoupd’aisance,de rapidité et de plaisir. Finalement, comme le répète souvent l’éminentescientifiqueAdeleDiamond3,spécialisteinternationaledudéveloppementdecescompétences, la meilleure façon d’aider nos enfants à acquérir les savoirs«scolaires»,c’estdenepassefocalisersurleurenseignement,maisdefaciliterledéveloppementdescompétencesexécutivesquipermettrontauxenfantsdelesconquérirefficacement.

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PlusprédictivesqueleQIDe nombreuses études montrent que le niveau de développement de ces

compétences est souvent plus prédictif de la réussite et de l’épanouissementglobal que leQI.Une étude très connue (sous le nomde «Themarshmallowtest4»)visaitàmesurerlelienentreleniveaudecontrôleinhibiteuretlaréussiteàl’âgeadulte.Cinqcentsenfantsde4ansontététestésdelamanièresuivante:unchamallowétaitplacédevantl’enfant,puisl’expérimentateurlelaissaitseul,assis devant le chamallow, une quinzaine de minutes, en précisant avant dequitterlapièce:«Situnemangespaslechamallowpendantmonabsence,tuenauras un de plus àmon retour. » Tous les enfants n’ont pas fait preuve de lamêmepatience:certainsonteudegrandesdifficultésàdifférerleursatisfactionimmédiate,etàattendre le retourde l’expérimentateur.Or,cequenous révèlecette expérience, c’est que les enfants ayant réussi à attendre et à différer leurplaisir immédiat pour obtenir davantage n’avaient pas forcément leQI le plusélevé.Plusieursannéesaprès,cesont lesenfantsquiavaient susecontrôleretmontrer des capacités d’autorégulation plus fortes à 4 ans qui avaient le plusd’amisàl’adolescence,géraientlemieuxleurstress,possédaientunemeilleureestime d’eux-mêmes, s’exprimaient mieux, entraient dans les meilleuresuniversités et, à l’âge adulte, avaientdes emploisplus satisfaisants. Ils avaientpar ailleurs moins de problèmes d’alcool ou de drogue à l’âge de 32 ans, etétaientenmeilleuresanté–etce,quelquesoitleurQI.«Offrir auxenfants lesmoyensde construire ces compétences à lamaison,

danslesprogrammesd’éducationprécoces,etdanstouslesautrescontextesoùils vivent régulièrement, est l’une des plus importantes responsabilités de lasociété », explique The Center on The Developing Child de Harvard. Car,« contrairement aux croyances populaires, apprendre à se contrôler, à êtreattentif et à mémoriser consciemment des informations n’arrive pasautomatiquement lorsque les enfants grandissent5 ». Aussi fondamentales quesoientcescompétences,nousn’ensommespaspourvusàlanaissance.Commepour le langage, et pour toutes nos compétences embryonnaires, nous sommesnésaveclepotentieldelesdévelopper–oupas–,selonlespossibilitésquenousauronsdelesexercer.Et l’excellente nouvelle, encore une fois, c’est que, pour permettre le plein

épanouissement de ces compétences, il suffit tout simplement de soutenirl’activitéspontanéedel’enfantetdenepasl’entraver.Nulbesoind’inventerdesméthodespédagogiquesvenuesd’unautremonde:lorsqu’ilchercheàfairepar

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lui-même, nous devons nous tenir prêts à l’aider et à l’encourager. Cet élanspontané d’indépendance est la manifestation extérieure d’une maturationintérieurecréatrice,sensibleetrapide.Nousverronsplusprécisémentplusloincommentnousavonsaidélesenfants

à développer ces compétences essentielles lors de leurs trois années dematernelle.Avant cela, je tiens à préciser unpoint important que la recherchem’avaitpourtantappris«intellectuellement»,maisqu’ilmefalluttroisannéesd’expérience pour intégrer et comprendre véritablement. Je pense qu’il s’agitd’une information-clé, que je n’avais pas perçue comme telle avantGennevilliers.

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DemeilleuresrelationssocialesDotés de bonnes compétences exécutives, nous nous éveillons également

socialement. Nous sommes plus à même de contrôler nos émotions, de lesexprimer, d’analyser les situations, de gérer notre stress et de répondre auxsituationsconflictuellespardeschoixappropriés et justes.Nous sommesdoncplus àmêmede vivre des relations sociales harmonieuses, durables, stables etépanouies ; la recherche est très claire sur ce point.Cette informationm’avaitquasiment semblé anecdotique avant mon expérience avec les enfants de laclasse.Ellemesemblait«évidente».Orladifférenceestgrandeentredesmotsposéssurlepapieretl’expérience

réelleauprèsd’enfantsde3,4et5ansayantdéveloppédebonnescompétencesexécutives:quedesijeunesenfantssoientcapablesdesecontrôler,deprendredu recul dans les situations conflictuelles ou émotionnelles, d’analyser etd’exprimer leurs émotions avec calme, n’a rien d’évident. Cela est mêmesurprenant.Jesavaisquecelaseproduirait,celameparaissaittoutàfaitlogique,maisjen’avaispasprislamesureréelled’unetelleinformation.Jefussurprise–autantquelesparents–parceschangementsdecomportement.Nousn’avionspascherchéàcréerdescapacitéssocialessidéveloppéeschezlesenfants,cefutunedesconséquencesdubondéveloppementde leurscompétencesexécutives.Ladirectriceducentreaérédel’écolemeconfiaunjourdevantlacaméra:«Ilya souvent de nouveaux animateurs dans l’école,mais très vite, ils repèrent lesenfants de la classe dans la cour à leur comportement : ils sont plus calmes àl’extérieur, ilsn’ontpaspeurdenous, ilsnousparlentd’égal à égal, et saventgérerleursconflitspareux-mêmessansavoirconstammentrecoursàl’adulte.»

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3.

Favoriserl’autonomieauquotidien

Lorsquecescompétencessedéveloppent, lesenfantsveulenttoutfaire«pareux-mêmes».Ilsveulentmarcherseulsmêmes’ilssaventàpeinetenirdebout,ilsrepoussentnotremainpourmangerseulsalorsqu’ilssaventàpeinetenirleurcuillère. Ilsveulentmettre leursvêtementsseuls,mettre leurschaussuresseuls,passerlebalai,sortirlelingedelamachineàlaverpournousaideràl’étendre,ils essaientmême spontanément de plier quelques serviettes ; ils veulent fairedeschosesconcrètes,réelles,quiengagentpleinementleurintelligenced’action.Toutes ces activités simples leur permettent en effet d’exercer de manièreoptimale leurs compétences exécutives en plein développement : les enfantsdoiventmémoriser une suite d’actions sur un temps court et les planifier pouratteindreleurobjectif;ilsdoiventcontrôlerleursgestes,leursimpatiencesetlesdistractions extérieures ; et surtout, ces activités réelles dénoncent les erreursimmédiatement,cequipermetauxenfantsderapidementréajusterleurstratégieet de faire preuve de flexibilité : si la chaussure est mal mise, l’enfant leremarqueetdoittrouverunesolution;silesvêtementstombentdel’étendoir,illevoitetdoit trouvercomment les faire tenir.Cesactivitésexercentdoncnonseulement la mémoire de travail et le contrôle inhibiteur des enfants, maiségalementleurflexibilitécognitive:ilsperçoiventleurserreursdefaçontoutàfaitneutre,cherchentdessolutionsetpersévèrentenfaisantparfoispreuved’unegrandecréativité.Une étude longitudinale1 confirme qu’en permettant aux enfants de réaliser

des activités quotidiennes de ce type, nous leur donnons plus de chance dedevenirdesadultesautonomesetépanouis–etce, indépendammentdumilieusocialauseinduquelilsgrandissent.LachercheuseMartyRossmannaétudiélestyledeviedequatre-vingt-quatreenfantsde3ans,puislesasuivisàl’âgede10ans,16anset25ans.Lesrésultatssontétonnants:ceuxquiavaientparticipéauxtâchesménagèresdès3ansavaientunemaîtrised’eux-mêmes,unsensdesresponsabilités et une autonomie plus développés à l’âge adulte que ceux quin’en avaient pas effectué, ou qui n’avaient commencé qu’à l’adolescence. Ils

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avaient également de meilleures relations avec leur famille et leurs amis, demeilleures performances académiques, et étaient plus indépendantsfinancièrement. La chercheuse en conclut que la participation aux tâchesdomestiquesdèsl’âgede3ansavaitétéuncritèredéterminant–davantagequelesscoresdeQI–pourlaréussiteàl’âgeadulte.Autorisonsdoncnosenfantsde3ans,quinedemandentqueça,àpasserlebalai!Les jeunes enfants ne sont pas particulièrement maniaques, toutes ces

pratiques quotidiennes nourrissent leur intelligence exécutive en pleindéveloppement. Entre 3 et 5 ans, l’enfant recherche ces activités comme lepapillonrecherche lenectarde lafleurdeprintemps.Enseignants,n’avez-vouspasremarquécommelespetitssebousculentpourramasseruncrayonquevousavezfaittomber,pourdistribuerdescahiersavantlasortiedesclasses,oupouressuyer la tablepleinedepeinture?Leur intelligenced’actioncrie famine. Ilssontprêtsàmentiretàsebousculerpourêtreceluiquidistribueralesassiettesencartonpourlegoûter.L’écoleplacelesenfantsdansunesituationabsurdeoù,privésd’activitésactivesetréellespendantlapériodededéveloppementdeleurintelligenced’action,ilssontdisputésà6ansparcequ’ilsn’ontaucunecapacitéà mémoriser, à planifier, à faire preuve d’autonomie, d’autodiscipline, deflexibilitéetdecréativité…L’exigence du jeune enfant à vouloir absolument faire par lui-même n’est

doncniuncaprice,niunemanie,niunhasard,niuntraitdecaractère:ils’agitd’une manifestation de l’intelligence qui demande à s’exercer. Et lorsqu’elles’exerce,n’essayezpasdefaireàsaplace,vousvousexposeriezàunelevéedeboucliers.L’intelligenceenpleindéveloppementsedéfendradevousavecuneforceinsoupçonnée.

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Quandl’intelligencesedéfenddenousLaissez-moi vous raconter une anecdote qui illustre très bien cela. Dans la

classe,ilyavaitunenfantde3anshabituéàcequel’onfassetoutàsaplace.Lematin,ils’asseyaitsurlebancdanslecouloir,totalementpassif,lecorpsmouetleregarddanslevague,s’abandonnantàl’adultequiluiretiraitseschaussuresetluimettaitseschaussons.Danslaclasse,ilselaissaittotalementaller,secognantdans les chaises en marchant, tombant souvent, incapable de choisir par lui-même une activité adaptée et constructive. Faire par lui-même ne l’intéressaitplus vraiment, et la moindre difficulté le décourageait. Il passait son temps àennuyersescamaradesetàabîmerlematérieldelaclasse.Jedécidaiunjourdedemanderàl’adultequil’accompagnaitlematindelelaisseravecmoià8h20,avantl’entréeenclasse:jem’occuperaisdel’aideràretirerseschaussuresetseschaussons et à ranger ses affaires. Je pris également le temps d’expliquer auparentpourquoijefaisaiscela:jesouhaitaisaidersonenfantàfaireseulpourluipermettred’apprendremieuxenclasseetdemieuxsecontrôler…Ceparentmetrouvatrèsfarfelue,maisaccepta.Lesjoursquisuivirent,lematin,lemidietàlasortiedesclasses,jerestailà,

aux côtés de l’enfant, lui montrant comment se déchausser et se chausser,commentrangersesaffaires,enespérantquecelaréveillechezluil’envied’agirseul.Aprèsseulementdeuxjours,ilrepritgoûtàfaireseul.Ilsemblaitjoyeuxdefaire quelque chose par lui-même. Et déjà, en classe, son comportementcommençaitprogressivementàsetransformer.Ilétaitpluscalme,prenaitplaisiràchoisirlui-mêmeuneoudeuxactivitésetpersévéraitdavantage.Ils’agitlàdugrandavantagedespériodessensibles :pendantque l’enfant traversecepicdeplasticité,toutestpossible,ettrèsvite.C’étaitunegrandevictoirepourmoi.Cetenfant était reconnecté à son élan intérieur qui le poussait à développer sonintelligenceparsapropreactivité.Néanmoins, le troisième jour, à midi, alors que l’enfant était sorti dans le

couloiravantsescamaradespoursechausserseulsanssepresser,j’entendisuncriperçant. Il s’agissaitd’uncri siprimalque jen’avaispasmêmereconnu lavoixdupetitgarçon.Sagrand-mèreétaitarrivéeavantquelaclochenesonne,et,pressée,elleluiavaitarrachéseschaussuresdesmainsetavaittentédelesluimettreelle-même.Lepetitavaitreprissessouliersetétaitpartiencourantverslasortiedel’écoleenlesserrantcontrelui,lagrand-mèreàsestrousses–etmoi,derrière,essayantde les rattraper tous lesdeux.L’enfants’arrêtaàmi-chemin,surlebancducouloird’uneautreclasse,pleurantetredoutantunnouvelassautdesagrand-mère,quinetardapas:«Méchant!Jevaistemettreteschaussures,

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onestpressé!»Jedisàlagrand-mère:«Jecroisqu’ilveutseulementlefairelui-même,c’estimportantpourlui.Ilveutquevouslelaissiezfaire.»Etjemeplaçai entre l’enfant et elle : « Vas-y, mets tes chaussures, ta grand-mère vaattendre,jerestelà.»Bienquesanglotant,lepetits’apaisaetmitseschaussuresaveclaplusgrandeapplication,sousleregardcoléreuxetimpatientdesagrand-mère.Cetteanecdote illustrebien lanatureréelledesréactionsquenouspourrions

parfoisprendrepourdescaprices.Lorsquenousmanquonsdetempsetquenousrefusons de laisser un jeune enfant boutonner seul sa veste, s’il protesteviolemment,cen’est pas lui qui se dresse face à notremaladresse, c’est toutel’intelligence de l’Homme qui gronde car elle trouve une entrave à sondéveloppement. Il s’agit d’un indicateur négatif de la présence d’une périodesensible.Et,soyonsclairs:mêmesivotreenfantvousaimeetvousrespecte,ilsebattradetoutessesforcescontrevouspoursuivresesdirectivesbiologiques.MariaMontessoricomparecesmomentsderébellionintenseauxpousséesde

fièvre alarmantes et caractéristiques des jeunes enfants. «On sait que c’est leproprede l’enfantd’avoircesélévations impressionnantesde températurepourdepetitesmaladiesquilaisseraientl’adulteàl’étatquasinormal:uneespècedefièvre fantastique qui disparaît aussi facilement qu’elle est venue. Eh bien, ilpeut, sur leplanpsychique, seproduiredesagitationsaussiviolentespourdescausesinfimes,enrapportaveclasensibilitéexceptionnelledel’enfant2.»

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NepasentraverPermettre à l’enfant d’épanouir pleinement ses compétences exécutives, qui

sontfondamentalespourlaformationdesonintelligence,estàlaportéedetous.Ilsuffitsimplementdenepasempêcher,maisaucontrairedefavoriserl’activitéspontanée, créatrice et formatrice à laquelle l’enfant est naturellement poussé.TheCenteronTheDevelopingChilddel’universitéHarvardesttrèsclairsurcepoint:lesenvironnementsfavorablesaubondéveloppementexécutifdesenfantssontceuxdanslesquelsl’adulteamèneprécocementetprogressivementl’enfantvers une autonomie de plus en plus maîtrisée, en l’aidant par exemple às’habillerseul,àexprimerclairementsesidées,àfairedeschoixauquotidien,àpliersesvêtements,àpréparerunesaladedefruits;ouencoreenl’encourageantàaiderunenfantplusjeunequelui–toutensachantprogressivements’effaceret se mettre en retrait. En effet, lors de cette période, il est fondamentald’apprendre à ne pas être trop invasif : il n’y a que l’enfant, par sa propreactivité, qui puisse construire son intelligence exécutive. Nous, adultes, nepouvons pas construire son intelligence à sa place parnotreactivité ; nous nepouvonsquel’aider,dès leplus jeuneâge,àfaire lui-mêmecequ’ilpeut fairelui-même, en l’accompagnant, en l’encourageant, puis en s’effaçantprogressivement. Rien de plus. Nul besoin d’aller chercher des activitésextraordinaires:danslespremièresannéesdevie,l’ordinaireestextraordinaire.Alors que jem’apprêtais à écrire cette partie du livre, j’ai été témoind’une

scène très représentative de cette période : dans la rue, un enfant de 2 ansenvironmarchaitauxcôtésdesongrand-pèreenlui tenant lamain.Ilsallaientdescendre un escalier que je m’apprêtais à monter. Nous allions donc nouscroiser. Lorsqu’ils s’engagèrent sur la première marche, le grand-père tenaittoujourslamaindesonpetit-filspourl’aideràdescendreentoutesécurité.Or,ilsuffisait de voir le regard émerveillé et conquérant du petit garçon pourcomprendrequ’il tenterait rapidementdesedégagerducontrôledesongrand-pèrepourexercerde façon toutà fait stimulante sacapacitéd’action.C’esteneffetcequ’ilseproduisit:iltirasursapropremainpourinvitersongrand-pèreàla lâcher.Cedernier faisant de la résistance, l’injonctionne tardapas : «Moitoutseul!»ditlepetitd’untonassuré.Legrand-pèrelâchalamaindesonpetit-filsavecprécaution,maisavecconfiance.L’enfants’accrochaspontanémentàlarampe pour assurer sa propre sécurité, et descendit lesmarches à son rythmesousleregardetlaprésencesoutenantedesongrand-père.Unescènepourtantsisimple m’apparut doublement émouvante. Deux grandes forces de la naturerayonnaient:lavolontéspontanéequipousselejeuneêtrehumainàconquérirle

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monde par sa propre activité, et l’amour qui conduisait cet adulte à attendrepatiemmentlafindelaconquêtedel’enfant.

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L’autonomieauquotidiendanslaclassePuisqu’à cet âge l’enfant construit les fonctions essentielles de son

intelligenceparsonactivitéautonomeaccompagnée,favoriserl’autonomiefutlepremiercritèresurlequellaclassematernelledeGennevilliersfutpensée:toutl’environnement, ainsi que l’étayage humain, devait permettre, soutenir etfaciliterl’autonomiedesenfants.Nousaidionsetencouragions lesenfantsàêtreautonomes toute la journée :

ilsdevaientchoisirseulslesactivitésqu’ilsvoulaienteffectuer(parmicellesquileuravaientétéprésentées),etnouslesencouragionsà lesmenerseuls jusqu’àleur terme. Nous nous rendions bien évidemment disponibles dès qu’ils enavaientbesoin,maisilsdevaientveillereux-mêmesàrangerensuiteàsaplacelematérielqu’ilsavaientutilisé.Nouslesencouragionsàs’habillerseulsaprès lasieste, à se laver lesmains seuls sansmettred’eau au sol, à aller aux toilettesseuls,àdérouleretroulerdemanièreordonnéeleurtapisdetravail,àsemoucherseuls lorsque cela était nécessaire, à balayer les petits morceaux de papierstombés au sol après leur activité dedécoupage, à laver seul une table salie depeinture, à retirer lapoussièrequi recouvre lematérieldidactique, à retirer lessaletés présentes sur un tapis d’activités en le brossant, à ranger et plier eux-mêmes leurs affaires, à ranger leur chaise délicatement, à marcher encontournant les tapis au sol, ou encore à ouvrir et fermer la porte de la classeavecdélicatesse,etc.Nousprenions tout le tempsnécessairepouraccompagner ledéveloppement

del’autonomiedesenfants,danslesmoindresgestesquotidiens.Car,lorsquelesenfants étaient autonomes, lorsqu’ils étaient capables demémoriser différentesactions,delesorganiser,desecontrôler,depersévéreretdecorrigereux-mêmesleurs erreurs sans faire appel à l’adulte, ils s’apaisaient, devenaient plussociables – plus joyeux aussi ! – et entraient ensuite très rapidement dans lesapprentissages fondamentaux. Par conséquent, nous consacrions la majeurepartie de notre temps à montrer tous les gestes nécessaires à l’autonomie,individuellement.Nousn’étionspaspresséesdeprésenterdesactivitésdidactiquesculturelles,

surtout la première année : la plupart des enfants n’étaient pas ou très peuautonomes,ilsétaientincapablesdefairedeschoixpareux-mêmesoudemeneruneactivitéàtermeseuls,etilsavaientdegrandesdifficultésàseconcentreretàmémoriser.Laprioritéétaitdoncailleurs.Nousavonsattendujusqu’àsixmoisavantdeprésenterleslettresdel’alphabetàcertainsenfantsdemoyennesection.Jemesouviensd’unepetite fille trèsvive,parlantetbougeantbeaucoup,mais

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absolument incapable de retenir quoi que ce soit, ni de s’exprimer clairement.Elleerraitdanslaclasse,nesachantpaschoisiruneactivitéparmicellesquiluiavaient été présentées, et lorsqu’elle le faisait, elle ne la terminait pas. J’avaisbienessayéde luimontrerquelquesactivitésdemathématiquesoude langage,mais elle ne retenait rien. Cette petite fille avait un retard important : ellecomptait difficilement par rapport aux enfants de son âge et ne connaissaitaucune lettre. Je dois reconnaître que j’étais inquiète, et, malgré mesconnaissances théoriques, jecontinuais–parpeurqu’ellenedéveloppepas lessavoirs de base – à lui présenter régulièrement les premières semaines desactivités de langage et demathématiques.En vain. J’avais beaucoup demal àobtenirsonattention,etlelendemain,ellenesesouvenaitquasimentderien.Jene pus donc qu’attendre, faire confiance et focaliser mon étayage sur ledéveloppementdesonautonomie.Pendant six longs mois, cette petite fille ne se consacra qu’à des activités

pratiques:elleprenaitsoindesplantes, lavait lestablesetpassaitbeaucoupdetempsàs’occuperdespluspetits.Elleappritégalementàréaliserdesnœudsetàfairedelapeintureenlaissantensuitelechevaletcommeneuf.Progressivement,son comportement changeait, se structurait. Un jour, elle me demanda de luiprésenter les lettres.Ce que je fis. Elle avait encore beaucoup de difficultés àretenir les lettres – par rapport à ses camarades. Je lui en présentais donc detempsentemps,maissanstropinsister.Néanmoins,lorsqu’unedesesmeilleuresamies,quiétaitdans laclasse,entrademanièrefulgurantedans la lecture,ellevoulutlireàsontour.Vousserezsansdoutenombreuxànepasmecroire,maisvoici ce qui se produisit : en quelques jours cette petite, qui avaitmaintenantdavantagelesmoyenscognitifsd’atteindrelesobjectifsqu’ellesefixait,appritàlire,seule,enprofitantdeséchangesquotidiensavecsonamie.Etellelefitsansaucunedifficulté…cequinemanquapasdenouslaissertotalementstupéfaites,Annaetmoi.Et,jesuisémueenl’écrivantetenmeremémorantavecvouslesdifficultésinitialesdecettepetitefille,ellefutl’undesenfantsquilisaitleplusfluidement et le plus facilement de la classe. Sa mère en témoignait avecsurprise:«EllelitmieuxquesonfrèrequiestenCM2!»

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PrendreletempsdemontrerclairementLorsquenousmontrions lesgestesde l’autonomieauxenfants, lorsquenous

montrionsparexemplecommentdérouleretrangeruntapisd’activités,nouslefaisions de manière claire, lente, précise, logique afin de permettre à l’enfant«d’absorber» lesgestesdemanièreoptimale.Et,pouruneplusgrandeclartécognitive, nous évitions le langage, nousmontrions les gestes sans parler. Eneffet, parler lors de la démonstration parasiterait l’assimilation des gestes encréant une double tâche (écouter et regarder). Cela aurait dévié l’attention del’enfantsurcequenousluidisionsplutôtquesurcequenousluimontrions.Or,l’objectif principal de telles démonstrations est de permettre la transmissionefficaced’ungestepourfaciliterl’autonomie.Nousnommionsbienévidemmenttoutdemêmetoutlematérielavantladémonstration,etéchangionsensuiteavecl’enfant lorsque cela était nécessaire. Mais, pour les petits, nous prenionsvraimentsoindeséparerlesdeuxtâches:ounousparlions,ounousfaisions.Eneffet,poureux,cesdeuxactivitésdemandentuneffortcognitifintense,ilfallaitdonclesdissocierpouréviteruntélescopagecognitif,etpermettrel’assimilationetdesgestesetduvocabulaire.Lors de ces démonstrations lentes et silencieuses, les enfants étaient alors

totalementconcentréssurnosgestes,fascinés,hypnotisés;certainsneclignaientmêmeplusdesyeux,laboucheentrouverte,toutletempsdeladémonstration.Afind’exercerdemanièreoptimale leur contrôle inhibiteur et leurmémoire

de travail, nous demandions aux enfants d’attendre la fin de la démonstrationpourlareproduire.«D’abordjetemontre,aprèsc’esttoiquilefais.»L’enfantdevait ainsi inhibersondésirde faire jusqu’à la finde laprésentation, tout engardant enmémoire la successiondegestes à exécuter et lebut à atteindre. Ilentraînait alors de façon extrêmement efficace et son contrôle inhibiteur et samémoiredetravail.

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Annamontreàunpetitcommentroulercorrectementsontapis.L’enfantestensuitelibred’essayerseul.

Les premières fois, la plupart des enfants avaient des difficultés à réussircorrectementlasuccessiondesgestesquenousleurprésentions,néanmoinsnousleslaissionss’exercerettrouverdessolutionsseuls.Nousn’aidionslesenfantsque s’ils nous sollicitaient ou s’ils étaient sur le point de se décourager.Nousn’intervenions pas avant cela, car tout le temps que les enfants passaient àessayerdetrouverdessolutionspareux-mêmesétaitdutempsqu’ilspassaientàexercer–demanièreredoutablementefficace–leurscompétencesexécutives.

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Lesenfantsneparviennentpasimmédiatementàreproduire–demanièresiordonnée–lesgestesquenousleuravonsmontrés.Maisavecdutemps,delaconfiance,del’exerciceetdelapersévérance,ilsyarrivent.

Nousdonnionségalement l’objectifavantchaquepetitedémonstration:«Jevais temontrer comment rouler ton tapis. » Il s’agit d’un point très importantcar,sansobjectif,l’enfantn’abesoinnidegarderenmémoirelesinformations,ni de les planifier, ni de rester flexible dans ses stratégies, puisque de toutefaçon,iln’yaaucunbutdéfini.Néanmoins,nenousytromponspas.L’objectifprincipaldecesactivitésn’estpasextérieur,ilestintérieur.

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L’objectifestintérieurL’objectif premier n’est pas que l’enfant roule correctement son tapis, lave,

verse de l’eau,mette ses chaussures ou plie du linge – tout cela parfaitement.L’objectif principal de ces activités est de fournir des situations qui luipermettentd’exercersescompétencesexécutivesenessayantdelaver,devisser,de se chausser ou de plier parfaitement un tissu.L’essentiel, c’est tout ce quel’enfant construit en lui en cherchant à atteindre le but que nous lui avonsformulé,c’est l’effortqu’ildéploie.C’estpourquoi ilest importantde toujoursproposerà l’enfantuneactivitéqu’iln’arriverapas immédiatementà réussiretqui luidemanderauneffortexécutif important–enveillant toutdemêmeàceque celui-ci ne soit pas décourageant. Notons qu’un enfant qui réussiraitimmédiatement l’activité proposée, sans aucune difficulté, doit avoir lapossibilité de s’exercer avec une activité d’une difficulté plus stimulante aurisquedes’ennuyeretdecommencer,pourcertains,àembêterleurscamarades.Ilestparailleurs très importantdenepas interrompre l’enfantqui répètede

nombreusesfoissonactivitémêmesi l’objectifextérieurestatteint :unenfantquilavemêmepourlatroisièmefoisdesuiteunetabledéjàparfaitementpropre,ouboutonneetdéboutonnepour ladixièmefoisdesuite lemêmebouton,doitpouvoircontinuersansêtredérangé.Carcequilemobiliseentièrement,cen’estpas la finalité, cen’est pasque la table soit propreou lebouton attaché,maistoutel’activitéenelle-mêmequiluipermetd’exercersonintelligenceexécutiveen pleine formation. Lorsqu’ils répètent ainsi, les enfants semblent totalementabsorbés par leur activité. Certainsmême ne nous entendaient même plus lesappeler lorsquevenait lemomentdese regrouper.Ce typedesituations risqued’ailleurs de se produire souvent avec les enfants de cet âge : lorsqu’ilsdéveloppent leurscompétencesexécutives, ils sontpoussésà s’exercer commeils sont poussés à explorer de manière irrépressible lorsque leurs circuitssensorielssedéveloppent.Leurengagementetleurconcentrationsontétonnants.

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NotrepostureLorsquenosenfantscherchentàfaireseuls,notrepremièreresponsabilité–et

notregrand travail !–estde réfrénernotre réflexeàvouloir lesaiderà«bienfaire»,car,enagissantdelasorte,nouscourt-circuitonsleuractivitécréatrice.Ils’agit pour nous de parvenir à montrer aux enfants quelques gestes-clés aupréalable, puis de les laisser faire seuls, en restant à leurs côtés afin de leurapporter une aide discrète et non invasive, puis de progressivement s’effacer.Cetteposturereprésentepournousunvéritablejeud’équilibriste:ilfautpouvoirapporteruneaidequioriente,maisquin’entravepas.Àmonsens,laqualitédecetétayagerésideentroispoints:–montrerclairementlesgestes-clés;–laisserensuitel’enfantpratiquerettrouverdessolutionsàsonproblème;–luiapporteruneaidediscrète(unindice),avantqu’ilnesedécourage.Cetteposturedemandeunpeudepratique,maiselleestincontournable.Car,

aussi paradoxal que cela puisse sembler, un enfant n’apprend pas à faire seul,tout seul ; l’enfant a besoin de notre aide pour conquérir solidement sonindépendance.Ilabesoinquenousluiapportionsleséléments-cléspourensuitepouvoirlesexplorerseul,etilabesoindenotreprésenceetdenotreregardpourprendredesrisques.Notreprésence,donc,estindispensable.Maisilluiesttoutaussi indispensable que nous sachions ne pas nous substituer à son activité,apprendreàtrouverlabonnedistance,ennousmettantdeplusenplusenretrait.TheCenteronTheDevelopingChilddeHarvardexpliqueclairementqueplusl’adulte encourageetaide l’enfant à conquérir sonautonomie, en luimontrantcommentfairepuisens’effaçantprogressivement,plusl’enfantauradechanced’épanouirpleinementlesfonctionscognitivesessentiellesdesonintelligence.

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L’exactitudeNousprésentionstoujourslesgestesdemanièreexacte:eneffet,l’exactitude

génèreunimmenseplaisirchezl’enfant,carelledéfiedemanière trèsefficaceses compétences exécutives en plein développement. Pour atteindre la mêmeexactitude que celle que nous leur proposions, les enfants devaientmémoriserdavantage l’ordre et la précision des gestes ; davantage les contrôler, et lescorrigeravecprécision.Plusunenfantéprouvaitdedifficultéàseconcentrerouàmaîtrisersesgestes

etsesémotions,plusnouschoisissionsuneactivitéquiallait luidemanderunegrande précision, et nous exagérions par ailleurs l’exactitude lors de notredémonstration : l’exactitude attirait son attention, lui demandait une totaleconcentration.Certainss’engageaientdanslareproductiondecesgesteslamaintremblante,tantilsessayaientdecontrôlerlesleurs.Lesenfantsdéveloppaientprogressivementunmeilleurcontrôleinhibiteur,ce

qui rejaillissait sur leur capacité à contrôler leurs émotions et à faire preuved’autodiscipline. Cette transformation pouvait être assez rapide. En quelquessemainesparfois,desenfantsagités,auxcomportementsunpeubrusquesetnoncontrôlés, incapables de patienter quelques secondes pour ne pas couper laparole à un camarade, devenaient beaucoup plus calmes, plus attentifs, etfaisaient preuve d’un autocontrôle dont ils auraient été incapables quelquessemainesauparavant.Dèslapremièreannée,ils’agitdelatransformationquiaété le plus observée par les parents : le calme et la discipline nouvelle etspontanéedeleursenfants,mêmeàlamaison.Jen’aiaucundouteconcernantlefaitquecetteévolutionpositivesoitdueàlapratiquedecesactivitésréellesetquotidiennes.

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UnaccompagnementindividuelLesdémonstrationsétaientindividuelles,commeonl’avu.Pourquoi?Parce

qu’à3ans,lecontrôleinhibiteuretlamémoiredetravaild’unenfantsontencorefaibles. Si la présentation avait lieu avec deux ou trois camarades, l’enfantoublierait les gestes montrés par l’adulte le temps que les autres les réalisentchacunà leur tour ; iln’auraitparailleurspas lacapacitédepatienterpendantque deux ou trois autres de ses camarades s’exercent. La démonstrationindividuelle offre en revanche une difficulté intéressante mais pasdécourageante:l’enfantpeutmémoriseretapprendreàsecontrôlerletempsdelaprésentation.Enfin,ladémonstrationindividuellepermetd’apporteruneaideadaptée à chaque enfant, ce que ne permet pas – ou beaucoup moins – laprésentation en petits groupes. Nous pouvons ainsi rapidement identifier lesenfants qui ont des difficultés à se contrôler, à mémoriser sur des périodescourtes ou à modifier leur stratégie lorsqu’elle ne fonctionne pas. Avec cesenfants-là, il faut être davantage patient, confiant, les encourager plus que lesautres,etlesinvitertouslesjoursàfairecetyped’exercicespourleurpermettred’entraîner, de développer, et de maîtriser progressivement ces compétencesexécutives.Bienévidemment,cetteindividualisationtotaledemandeunegrandeautonomiedelapartdesautresenfantslorsqu’ils’agitd’uneclassematernelle.Cetteautonomiedugroupeclassedemandedutempspoursemettreenplace.ÀGennevilliers,cefutletravaild’uneannéeentière3.

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SeperfectionnerseulNous attirions également l’attention de l’enfant sur un élément qui allait

pouvoir l’inviter à réajuster son geste de manière autonome : par exemple,lorsquejemontraisauxenfantscommentmarcherdanslaclasse,j’insistaissurlefaitque j’évitais les tapis.Ainsi, lorsque l’enfantmarchait surun tapis lorsdeses déplacements, cela lui offrait un signal d’erreur immédiat qui l’invitait àcontrôler davantage ses mouvements. Même chose pour les autresdémonstrations:lorsquejeprésentaiscommentrouleruntapis,j’insistaissurlefait qu’une fois roulé, mon tapis pouvait tenir à la verticale ; si le tapis del’enfantnetenaitpasàlaverticaleunefoisroulé,ilsavaitqu’ilétaitmalroulé(nousutilisionsdepetitstapissouples,maissuffisammentrigidespourteniràlaverticale une fois roulés). L’enfant détectait alors seul son erreur lorsqu’ilpratiquait,ilpouvaitsecorrigerefficacementsansavoirbesoindenotreretour.L’erreur ainsi dénoncée génère parfois chez les enfants un élan de

perfectionnementspontané:ilsrépètentdenombreusesfoisjusqu’àneplusfaired’erreurs.Dans la classe, j’ai vu certains enfants roulerunedizainede foisdesuite leur tapis, jusqu’à ce qu’il tienne parfaitement debout.Dès lors, la seuletâche qui incombe à l’adulte est de ne pas interrompre et de protéger cetterépétitionconstructrice.

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ActivitéspratiquesquotidiennesNous invitions lesenfantsà réaliserdesactivitéspratiques trèsquotidiennes

et, entre autres, à prendre soin eux-mêmes de leur classe.Nousmettions pourcela à leur disposition des objets réels, que nous choisissions cassables :contrairement à un objet en plastique, un objet qui casse offre un retourimmédiatpourungestetropbrusqueetinvitel’enfantàréajustersesstratégiesetàdavantagecontrôlersesgestes.C’estgrâceàcegenredepetitsdétailsquelesenfantsont rapidementdéveloppédesgestesdélicats,ordonnésetprécis.Nousveillionségalementàcequelematérielsoitesthétiquepourattirerleurattentionet leur volonté d’en prendre soin, et, bien évidemment, nous faisions en sortequ’ilsoitadaptéàleurtailleetàleurforce.Lesenfantsavaientparexempleàleurdispositiondeschiffonsouunplumeau

pour«fairelapoussière»surlesétagères.Commetoujours,nousleurmontrionscommentprocéderetnousleslaissionsensuitefaireseuls:d’abordilsretiraientles différents objets présents sur l’étagère et les posaient sur un tapis, puis ilspassaientuncoupdechiffonoudeplumeausurlematérieletsurlesétagères.Ilsconstataient ensuite avec plaisir, en voyant la poussière retirée, l’efficacité deleurgeste.Puisilsreplaçaientlesactivitésàleurplace(qu’ilsavaientmémoriséeaupréalable).Uneactivitéaussisimpleetquotidiennequecelle-cisollicitedemanièretrès

importante les compétences exécutives des enfants : ils doiventmémoriser lesdifférentesétapes,s’organiserettoutrangeràsaplace.Pourunenfantde3ans,ilpeuts’agird’unvéritabledéfi.Jemesouviensd’unindicateurimparablequimepermettaitdesavoir«oùen

étaient » les enfants dans leur développement de ces compétences : lorsqu’unenfantétaitcapable,aprèsavoirpeintsur lechevalet individueldepeinture,delaisser le matériel tout à fait propre, de ranger son œuvre pleine de peinturefraîcheaubonendroitpourlafairesécher,etce,sanstachersescamaradesetenlaissantl’évierdelaclasseetl’épongeparfaitementpropres,noussavionsqu’ilavait développé de solides compétences exécutives. La corrélation étaitétonnante:lesenfantsquiétaientcapablesdecelaentraientsouventfacilementdans les apprentissages, étaient calmes, et avaient la plupart du temps desrelationssocialesapaiséesetdurables.Ils’agitd’undétailquipeutsemblertoutàfaitanecdotique,maispournous,lelienétaittrèsclair.Unplateauétaitégalementàladispositiondesenfantsavectoutlenécessaire

pourprendresoindesplantesdelaclasse.Lesenfantsenchoisissaientunequin’avait pas été arrosée récemment, ils binaient un peu la terre, coupaient les

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feuillesmortes,retiraientlapoussièresurlesfeuillesavecuneépongehumide,etl’arrosaientdélicatement.Ilslaremettaientensuiteàsaplaceenvérifiantquelecache-potnecontenaitpasd’excédentd’eau,puispouvaientprendresoind’uneautre plante. J’aimais donner le nom des plantes lors des présentations :spathiphyllum, gardénia, ficus, caoutchouc… certains enfants appréciaientbeaucoupcela.Lesenfantsadoraientprendresoind’ungrandcaoutchoucquitrônaitdansla

classe : ils passaient un chiffon humide sur ses larges feuilles pour les fairebriller.Lerésultatétait trèsgratifiant!D’autresplateauxoumatérielsétaientàleurdispositionpour astiquer lesmiroirs de la classe, pournettoyer les tables,pourbalayer, pour coudre,pour laver lespetits chiffonsqu’ils avaientutilisés,les étendre, les plier puis les ranger.De petites brosses leur étaient proposéespournettoyerlestapisindividuelsd’activitésquienavaientbesoin4.

Unenfantde3ansretirelapoussièredesfeuillesdelaplanteavecuneépongehumide.

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Unenfantde4anss’exerceàunpointdecouturesimpleavecdelatoiledecanevas.L’objectifétantdecomplexifierpeuàpeul’activitéetd’amenerprogressivementl’enfantàcoudreensembledesboutsde

tissus.

Unenfantde3ansramassedesboutsdepapierstombésausolaprèsuneactivitédedécoupageetqu’ilapréalablementrassemblésaveclebalai.

Les jeunes enfants de 3 et 4 ans se passionnaient véritablement pour cesactivités5. Les capacités qu’ils développaient rapidement en les réalisant – concentration, organisation, mémoire, persévérance, confiance en soi,flexibilité – se généralisaient en même temps à tous les domainesd’apprentissage. Ils devenaient capables de se contrôler et d’inhiber lesdistractions pour se concentrer sur n’importe quelle tâche, faisaient preuve deconfianceeneux,d’unespritd’initiativeassuréetd’unegrandeautonomie:ilstrouvaient des solutions efficaces et pertinentes à toutes les difficultés qu’ilsrencontraient. Progressivement, ils nous sollicitaient de moins en moins. Enprenant eux-mêmes en charge leur environnement par des activités réelles et

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quotidiennes,lesenfantsdéveloppaientuneintelligencefonctionnellesolide.Pour les enfants de 5 ans et plus, nousn’avonspas eu le tempsde le faire,

maisilauraitététrèsintéressantdeproposerdesactivitésoffrantunedifficultéplusmotivante:tresser,tricoter,construiredescabanesoudepetitsmeublesenbois, confectionner des petits vêtements, etc. Un plateau d’argile pourraitégalementêtreproposépourréaliserdesvases,despots,voiredesbriques,qui,une fois séchées et peintes permettraient de construire des petites maisons àl’extérieur.

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S’exerceràungesteUne des grandes idées de Maria Montessori, que nous avons reprise à

Gennevilliers,estquelesenfantsontbesoindes’exerceràcertainsgestesavantdes’engagerdansdesactivitésparfoiscompliquéespoureux.Avantdepouvoirse servirunverred’eau seulà table,parexemple,debien tenir sacuillère,des’habillerseul,defixerdulingeavecdespincesàlingesurunétendoir,d’arroseruneplante,depresseruneépongedansl’éviersansmettredel’eauparterre,oude découper correctement du papier, l’enfant a besoin de s’entraîner. Nousproposionsdonctoutessortesd’activités,précises,réellesetquotidiennes,pourpermettreauxenfantsdes’exerceràdesgestessimples,demanièreisolée.Etilsadoraient cela. Il fallait voir avec quel sérieux, quelle joie et quel calme ilseffectuaientcesgestes. Ils rayonnaientd’assurance,dedignitéetdeconfiance.La plupart des enfants s’apaisaient, leurs gestes devenaient plus calmes etordonnés,leurcaractèreplusstable:quelquechoseàl’intérieurd’euxavaitéténourrietcalmé.L’exercice de ces gestes permettait aux enfants, engagés dans une activité

ordonnée proposant un objectif clair, d’exercer de manière très efficace leurscompétencesexécutives.Jetiensàattirervotreattentionsurunpoint.Ilestimportantquecesactivités

pratiques offrent un but relié à un geste culturel : si l’enfant transvase deslentilles d’une coupelle à l’autre avec une pince à épiler, oumet desmarronsdansuneboîteàœufsavecunepinceàcornichons,celanefaitpassenspourlui.Il s’agit alors simplement d’une activité visant à exercer le contrôle visuo-moteur,sanslienintelligentaveclaculturedumilieuetsansrespectdeladignitéet de la sensibilité de l’intelligence humaine. Il me semble primordial quel’objectif proposé fasse sens culturellement. Si l’on exerce l’intelligence del’enfantdansunsensquin’en faitpas, ilne fautpass’étonnerde levoir faireensuite n’importe quoi. Point de didactique bête et méchante. Recherchons lesens,lavie,ladimension,laprofondeur.

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Degaucheàdroiteetdehautenbas:verserdel’eaudansunetasse,verserdel’eaudansdeuxverres,boutonnerdepetitsboutons,fairedesnœuds,fairedesboucles,boutonnerdesboutons-pression,

enclencherunefermetureàglissière,plierdutissu,tenirunecuillère,découperdupapier,verseravecunpichet,presseruneépongeavecprécision.

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ManipulerdevraisobjetsVousaurezcertainementobservélapassiondesjeunesenfantspourlesobjets

denotrequotidien.Eneffet, outre leurvolontéd’explorer sensoriellement leurmilieu,lesenfantssontattirésparcesactivitésquilesinvitentsouventàexercerleurscompétencesexécutives.Quin’ajamaisditàsonenfantquitendaitlamainverscetteboîteàbijouxaumécanismed’ouverturesipassionnant:«Netouchepas à ça » ?Voyez comme l’enfant est attiré par les clés desmeubles et desportes,etvoyezcommeilpasseraitvolontiersdesheuresàviderlesplacardsdela cuisine alors que sa chambre est pleine de jouets. Aucun jouet ne sauraitégaler l’intérêt de ces objets réels. Boîtes en plastique, dînette en plastique,alimentsenplastique,fauxobjets,faussescuisines,fauxinstrumentsdemusiqueetautressubstitutsdenotreréalitéserontbientôtcassés,égarésououbliés.Nosenfantss’enlasserontviteetilenfaudrad’autres,pluscolorés,pluscecioupluscela.La spirale infernale s’enclenchera : cene sera jamaisassez.Etc’estbiennormal, leur intelligence ne peut s’exercer avec de tels objets : ils simulent laréalité sans jamais atteindre l’intérêt d’un objet utilisé par l’adulte, tout enfrustrantl’intelligenceexécutiveenpleindéveloppementquinepeutque«fairesemblant».Nous lui disons : « non » et le renvoyons à ces distractions : « Prends tes

jouets!»Etilsepliederage,crie,pleure;sonintelligenceaffaméevientd’êtrefrustrée. Nous entrons alors en lutte avec lui, dans un immensemalentendu :l’enfantneveutpasnousembêterninousdésobéir, ilveutsenourrir.Sinoussouhaitonsqu’ilnemanipulepaslesobjetsquinoussontprécieux,pourquoinepas lui en offrir d’autres, moins précieux mais tout aussi quotidiens etpassionnants?C’estainsiqueMariaMontessorieutl’idéedeproposerauxtout-petitstoutes

sortesdeboîtesetd’objetsréels,surdepetitsplateauxoudansdespetitspaniers,que les enfants pouvaient manipuler et explorer à volonté : un petit paniercontenaitquelquesclésetcadenasquelesenfantspouvaientouvriretfermer,unautre proposait des boulons à visser et à dévisser, un autre différents types deflacons,unautreencoredifférentessortesdeboîtesauxmécanismesd’ouvertureet de fermeture différents6. Lorsque les enfants réalisent ces activités, leurscircuitsneuronauxs’organisentetseréorganisentàmesurequ’ilsapprennentetcomprennent comment leur environnement fonctionne.Rapidement les enfantsdéveloppentuneassuranceetunemaîtrisedeleurgestequileuroffredavantaged’autonomie. Jamais ils ne pourraient atteindre cette dextérité et cetteintelligenceassuréeetvivifiéeavecdesjouetsenplastique.

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Dînettes, jouets et cuisine en plastique seront bientôt délaissés au profitd’activitésréelles,nourrissantesetvraimentsatisfaisantes.Recentrons-noussurl’essentiel : avant d’avoir besoin de jouets, nos enfants ont besoin d’êtreaccueillisdansnosvies. Il fautbiencomprendrecela.Cequecherche le jeuneenfant,cen’estfondamentalementpasunedistraction.Ilestcâblépourexplorer,comprendreet conquérir lemonde.Ne ledistrayonspasconstammentdecettegrandemissionqui lui incombe.Et voyez avecquel sérieux il la réalise. Il nes’agit pas là d’une volonté individuelle,mais d’un élan naturel universel – lanaturepousse le jeuneêtrehumainàcomprendre lemondeet leshabitudesdesongroupesocial,parsapropreactivité.Etlorsqu’ilalapossibilitédelefaire,celaluiprocureunesatisfactionimmensequiletranscende,lemetenjoie,lefaitrayonnerets’épanouir.

Unenfantcherchelacléadaptéeaucadenasqu’ilachoisi.

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Unenfantde3ansetdemiessaiedefairecorrespondrelesbonsécrousaveclestigesfiletéesadaptées.

Surunplateaud’explorationindividuelproposantdesflaconsauxmécanismesd’ouverturedifférents,unenfantenachoisiun,qu’ilessaied’ouvrir.

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Aiderl’enfantàs’exprimerRéussir à exprimer ses pensées joue un rôle très important dans le

développement des compétences exécutives : l’enfant doit faire appel à samémoire de travail pour retenir ses idées le temps de les organiser et de lesformuler, faire preuvede contrôle inhibiteur pour réguler son impatience et safrustration;etmettreenœuvresaflexibilitépourreformulersondiscoursetlerendreplusprécissisoninterlocuteurnelecomprendpas.Pourunjeuneenfant,prendre le temps de s’exprimer de manière précise est un moyenremarquablement efficace pour développer les fonctions essentielles de sonintelligence –mémoire de travail, contrôle inhibiteur et flexibilité cognitive –,quisontalorssollicitéesdemanièreoptimale.Ilestdonctrèsimportantdeprendreletempsd’écouterlesenfants,etdeleur

laisser le temps de formuler ce qu’ils ont à dire sans les presser7. Cela peutsembler une perte de temps considérable, mais il s’agit du meilleurinvestissementdetempsquenouspuissionsfaire;surcepointlarechercheestformelle:soutenirl’enfantdanssavolontédeparlerestl’undesmoyenslesplusefficaces pour lui permettre de développer son intelligence exécutive, saconfianceenlui,sapenséelogique,ainsiquesonvocabulaire.Cette démarche fut centrale dans la classe : tout enfant ayant besoin

d’exprimer quelque chose ou de raconter un événement trouvait toute notreattention, et ses camarades savaient qu’il était inutile de nous déranger ou denous interpeller, car notre présence et notre bienveillance étaient alorsentièrement dirigées vers lui. Ils savaient et respectaient cela parce que nousfaisions lamêmechosepour tous. Ilsne s’offusquaientdonc jamais ; certains,même,extérieursàlascène,nemanquaientpasderappeleràceluiquiinsistaitpourinterrompreladiscussion:«Maisarrête,tuvoisbienqueWilliamessaiedeparleràCéline.Attends!»Cetteattenteétaitparailleursentièrementbénéfiquepourceluiquidevaitpatienter:ildevaitsollicitersoncontrôleinhibiteur.

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Aiderl’enfantàpatienterAfind’aiderlesenfantsàpatienterlorsquenousétionsoccupéesavecunautre

enfant,nous les invitionsàposerdélicatement leurmainsurnotreépaule,sansparler.Ainsi,sansmêmeavoirétéinterpellées,interrompuesetdérangées,noussavionsqu’unautreenfantnoussollicitait.Lesenfantssavaientquenousétionsprévenues et que nous leur donnerions toute notre attention une fois que nousaurionsterminénotretâcheounotreéchange.Toustrouvaientdessolutionspourcalmer leur impatience : certains se tortillaient, certains s’éloignaient en nousguettant de loin, et certains décidaient d’écouter l’échange. Mais pour cesderniers, il arrivait que, lorsque je tournais enfin la tête et demandais : «Oui,Fayssal ? Que voulais-tu ? », il me regarde les yeux ronds… Absorbé parl’échange auquel il avait assisté, il avait tout simplement oublié l’objet de saproprerequête.Ilretournaitalorsàsonactivitéet,sil’idéeluirevenaitsoudain,ilsedirigeaitversmoiàtoutevitesseavecungrandsourire.Biensûr,jeprenaisimmédiatement le temps cette fois-ci de l’écouter avant que son idée ne luiéchappedenouveau.Poser lamainsilencieusementsurnotreépaulelorsquenousétionsoccupées

étaitunfonctionnementtrèssimplequiavaitpourtantlegrandavantagedefairetravailler demanière particulièrement puissante le développement exécutif desenfants : ilsdevaient apprendrenon seulement àpatienter,mais aussi àgarderleuridéeentêtependanttoutletempsdel’attente,sansselaisserdistraireparlaconversationquisedéroulaitdevanteux.Pourunenfantde3ans,ils’agitd’uneactivitéincroyablementcomplexe.Néanmoins,progressivement,ilsarrivaientàsemontrer étonnamment patients, centrés et capables de garder leurs idées entêtependantdelongsmoments.Lesplustenacesétaientcapablesd’attendredixlonguesminutes. La plupart des enfants, lassés d’attendre que je terminemonéchangeavecunautre,décidaientdetrouverseulsunesolutionàleurproblème;non pas en allant demander à Anna, qui la plupart du temps était égalementoccupéedesoncôté,maisendemandantàuncamaradeouenréfléchissanttoutsimplementunpeu.Ilsexerçaientdoncàcemoment-làleurflexibilitécognitive.Cettemanièredefonctionner,enprenantletempsdes’occuperentièrementd’unenfantàlafois,aréellementfavorisél’autonomieetledéveloppementexécutifdetous.Nousavionsainsilapossibilitéetletempsdesoutenirpasàpasl’effortdel’un,cequiobligeaitlesautresàsecontrôler,àmémoriseretàfairepreuvedeflexibilitécognitive!Nombreuses sont aujourd’hui les études, commecelle duMarshmallow,qui

suggèrentquel’exerciceducontrôleinhibiteurestcentralpouraiderlesenfants

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à développer et à entretenir de bonnes relations sociales, faire preuve depersévérance et atteindre les objectifs qu’ils se fixent. Il est par ailleurslargement prouvé que la capacité d’autorégulation précoce a un lien plus fortaveclaréussitescolairequeleQI,commenousl’avonsvuprécédemment.Sansaller jusqu’à focaliser notre attention sur ce point, je pense qu’il s’agit d’unecompétence-clé:prendreletempsd’aiderunenfantàdéveloppersapatienceetsacapacitéàsecontrôler,c’estluirendreuntrèsgrandservice.Maisencoreunefois, soyons vigilants, cet apprentissage ne se fait pas seul, il est fondamentalqu’ilpuisseseréaliseravecl’aideetl’étayagebienveillantetpatientdel’adulte.

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DévelopperunboncontrôleinhibiteurJ’avais l’habitude en classe de proposer de nombreuses activités collectives

courtes et amusantes, permettant régulièrement aux enfants d’exercer leurcontrôle inhibiteur.Nousenavons rapidementvu leseffets extraordinairementpositifs.Jevousinviteàlesessayeraveclesjeunesenfants,etvousconstaterezleplaisirquecesactivitésgénèrentchezeux:ellesviennenteneffetexercerunecompétence en plein développement et la réponse neurobiologique estimmédiate:satisfactionetjoie.

Deuxenfantsmarchentsurlaligne.

Nousavionsparexemplescotchéausolunegrandeellipseavecdel’adhésifcoloré.Nous invitions les jeunesenfantsà retirer leurschaussonsetàmarchersur la ligne, plaçant délicatement un pied devant l’autre. Les enfants adorentcetteactivité,qu’ilsontd’ailleurstendanceàfairespontanémentdanslarue:ilsaiment marcher sur les lignes, les poutres, les troncs s’arbres, les rebords detrottoirs… et exercent ainsi sans le savoir leurs capacités motrices et leurcontrôle inhibiteur. Pour certains, notamment les plus petits, il s’agissait d’unvéritabletravaild’équilibriste!Lecontrôlequecetteactivitépourtanttrèssimpledemandeestungrandchallenge.Lorsque l’enfant commenceà sedéplacerplus facilement sur la ligne, il est

possible de compliquer la tâche en l’invitant à poser un objet sur sa tête ou àteniruneclochettequinedoitpassonner.Lesenfantsdoiventalorsfairepreuvededavantagededélicatesseetdecontrôle.Ilsapprécientcettedifficultéquidéfiegrandementleurcontrôleinhibiteurtoutenfournissantunsignald’erreurclair:

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sil’objettombeousilaclochettetinte,lesgestesdoiventêtreplusdélicats.Lesenfantsfontalorsdenombreuxtoursd’ellipsepourseperfectionner.Enregroupementcollectif,jeproposaisrégulièrementd’autrestypesdepetits

exercices visant à entraîner le contrôle inhibiteur des enfants : il s’agissaitd’exercices d’inhibition motrice. Je bougeais par exemple mes deux mainspendant quelques secondes puis ajoutais unmouvement de tête ; j’invitais lesenfantsà suivremesgestes.Aprèsquelques secondes, j’arrêtais lemouvementdesmainsetpoursuivaisceluidelatête.Jecontinuaisainsi,montrantdesgesteset invitant à en inhiber certains, pendant deux ou trois minutes. Les enfantsaimaientbeaucoupcesjeuxetjeprenaissoindenejamaislesfairedurerplusdequelquesminutespournepasleslasser.Progressivement,toujoursenregroupement,jeproposaisensuitedesexercices

d’inhibitionmotrice totale qui allaient par la suite nousmener à une pratiquerégulièred’exercicesde«présenceàsoi».Alorsquelesenfantsétaientassisentailleurautourdel’ellipse,jelesinvitaisàfermerlesyeuxetàplacerleursmainssur leurs genoux ou entre leurs jambes, à leur convenance, puis j’éteignais lalumière. Je reprenais place parmi eux et, en les guidant avecma voix, je leurdemandais de rendre totalement immobile chacune des parties de leur corps.J’attiraisleurattentionsurleursmainsposéessurleursgenoux,ainsiquesurlesdifférentespartiesde leurvisage, leursbras, leurspieds,etc.Lorsqu’ilsétaientparfaitement immobiles, j’attirais leur attention sur leur ventre qui, lui, segonflaitetsedégonflaitdélicatement.Lesenfantsentraientalorsdansungrandcalme,et le silences’installaitdans laclasse.Nousentendionsalorsdesbruitsimperceptibleshabituellement:lesondel’aiguilledessecondesdel’horlogedelaclasse,unemoucheégarée,ouencorelavoixétoufféedumaîtredelaclassed’àcôté. J’invitais les enfants à écouter ces sons, enguidant leur attention surl’un, puis sur l’autre. De nombreuses études montrent aujourd’hui que desexercices de ce type, s’apparentant à une approche méditative de pleineconscience, développent de manière considérable le contrôle inhibiteur desenfants et génèrent des changements remarquablement positifs dans leur viequotidienne, tant au niveau scolaire que social. Les enfants entrent plusfacilement dans les apprentissages, leur attention se développe, ils sont plus àmême de gérer leur stress et leurs émotions, et leurs relations sociales s’entrouventnettementapaisées.Uneétudemontrequ’unepratiquedecinqjours,àraisondevingtminutesd’entraînementquotidien,peutsuffirepourobtenirdesrésultatssignificatifs8.C’esteneffetcequenousavonsconstatéavecbeaucoupdesurprisedans la

classe.Cesexercices réguliersdecontrôle,d’attentionetdepleineconscience,recentraientprogressivementlesenfants:àmesurequenouslespratiquions,les

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enfantsétaientglobalementpluscalmes, leursgestessemblaientplusmaîtrisés,ilssedéplaçaientavecunecertainegrâce,prenaientlesobjetsavecdavantagededélicatesse,déplaçaient leurschaisesdemanièreplus raffinéeet leurs relationssociales étaient plus apaisées. Ils devenaientmaîtres de leursmouvements, deleursémotions,etétaientparailleursplusalertesetsensiblesauxbruits:unfondsonorequ’ilsnesemblaientpasentendreauparavantdanslaclasselesdérangeaitmaintenant. Certains commencèrent à me demander pendant la matinée :«Céline,jetrouvequ’ilyatropdebruit,tupeuxdemanderauxenfantsdefaireattention ? » J’étais surprise car, étantmoi-même très sensible au bruit, je netrouvaispasquelevolumesonorefûtsiélevé.Néanmoins,jenemanquaispasdedemander:«Lesenfants,pouvez-vousécouterlessonsdelaclasses’ilvousplaît?»Jefusimpressionnéeparlecontrôledontétaientcapableslesenfants:àpeine avais-je demandé cela, et sans même avoir besoin de lever la voix, latotalitédelaclasse–saufunoudeuxpetitsquinecomprenaientpascequisepassait– s’immobilisait et écoutait.Nousn’entendionsalorsplusque lesdeuxplusjeunesquicontinuaientdeparleroudemarcher,sansserendrecomptequetoutelaclasses’étaitimmobilisée.J’invitaisensuitelesenfantsàreprendreleuractivitéavecplusdecalme.Notonsparailleursquedesjeuxaussisimplesque«1,2,3soleil»,«Jacques

adit»ou«Nioui,ninon»sontdebonsmoyensd’exercerlecontrôleinhibiteurdes enfants de manière ludique9. Ce type de jeux sollicitant les capacitésd’autocontrôle des enfants est spontanément utilisé avec plaisir dans denombreuses cultures, par des enfants du même âge ; il s’agit donc biend’activitésquirépondentàunbesoind’exerciced’unecompétencecognitiveendéveloppement.

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L’émergenced’uneautodisciplinecritiqueJemesouviensd’unematinéeoùStanislasDehaeneetManuelaPiazzaétaient

présentsavecnous.Pendantquelesenfantsétaientautonomes,nouséchangionsavecpassion,etsansnousenrendrecompte,nousparlionsdeplusenplusfortetparticipions à augmenter le volume sonore de la classe. Un enfant me le fitremarquer. La classe était en effet assez bruyante : les enfants étaientphysiquement calmes,mais tous parlaient fort puisquenos voix couvraient lesleurs.Jesuggéraidoncauxenfantsdes’immobiliseretd’écouterlessonsdelaclasseafindefaireredescendrelevolumesonore.Touss’immobilisèrentenuninstant. Je me souviens de l’expression de Manuela, qui avait été trèsimpressionnéeparcette«obéissance»immédiateettotale,obtenueparunfiletde voix à peine élevé. Néanmoins, cette capacité à répondre à ma demanden’étaitpasdel’obéissance;jamaisjen’aicherchéàconstruirechezcesenfantsla capacité à répondre aux injonctions extérieures. S’ils répondaientfavorablement et immédiatement à ma demande, c’était pour deux raisons :d’abord ils aimaient le silence, et adoraient l’éprouver ; ensuite ils étaientcapables (grâce aux entraînements de leur contrôle inhibiteur, entre autres) derépondreàleurenviedel’écouterens’immobilisanttotalement.Autrementdit,cesenfantsvoulaientcequejeleurdemandais,etétaientcapablesdelefaire.Mais les enfants n’étaient pasobéissants : si ce que je leur demandais leur

semblait juste, alors ils répondaientpositivementet immédiatement.Mais si lademande d’un adulte n’était ni juste, ni intéressante, ni positive, ils n’yrépondaientpasfavorablement.Certainss’ensortaientavecunpoli:«Jesuisentrain de faire autre chose pour lemoment. »Commevous l’imaginez, cela nemanquapasd’arriver lorsdevisitesd’inspecteurs.Lorsqu’unenfant roulaituntapisetqu’un inspecteurdemandaitpourévaluer l’enfant :«Dis-moi,qu’es-tuentraindefaire?»,laplupartdesenfants,unpeudécontenancés,répondaient:«Jeroulemontapis.»Maiscertains,nevoyantpasl’intérêtdecettequestion,etpercevant la volontéd’évaluation, ne répondaient tout simplement pas. Je suiscertainequelesenfantssentaientqu’ilnes’agissaitpasdequestionssincèresetintéressées, mais de petits tests visant à les évaluer – et ils ne tenaient pas àl’être.C’est pourquoi le mot « obéissance » n’est pas tout à fait approprié. Les

enfantsétaient«droitsdansleursbottes»,prêtsàrendreimmédiatementservicelorsque cela était juste ; mais il aurait fallu s’accrocher pour leur faire fairequelque chose qui ne leur semblait pas pertinent.Mon cœur s’emplissait dansces moments-là d’une fierté extraordinaire. Ils étaient justes, centrés, assurés.

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Comment avaient-ils appris cela ? Je ne saurais le dire.Cela faisait partie desqualités qui émergeaient àmesure que leur intelligence se déployait selon sespropreslois.Annaetmoiremarquionsnéanmoinsqueplusunenfantdéveloppaitsescompétencesexécutives,plusilsavaitfairepreuvedesenscritique.Jetrouvecela extraordinaire : en même temps qu’il devenait capable de tout faire, ilapprenaitàfaireletrietàjugerdelapertinenceoudubien-fondédesactionsquiseprésentaientàlui.Jemesouviensde lapremière foisqu’unenfant réponditdéfavorablementà

l’une demes demandes : un petit me sollicitait et, comme j’étais occupée, jedemandaiàungrandde l’aider.Legrandmerépondit :«Céline,moiaussi jesuis occupé pour l’instant, tu peux demander à un autre grand ? » J’eusl’impressiond’unedouchefroidetantletonétaitassuréetirrévocable.Jereprismesesprits,regardaicequ’ilfaisaitetsouris…Ils’agissaitd’unemanifestationde l’autonomie à laquelle je n’avais jamais songé : évidemment, ces enfantsavaient autant le droit que moi d’être occupés, et il se trouve que cet enfantl’était réellement, totalement engagé dans une activité mathématique quidemandaittoutesonattentionetsaréflexion.Jerépondis:«Ahoui,eneffet,jen’avaispasvu.Tuasraison.Jevaisdemanderàunautreenfant.»Aprèsavoirterminésonactivité, ilvintprèsdemoipoursavoircequ’ilpouvait fairepourm’aider.J’étaisheureusedecetteassurancejustequelesenfantsdéveloppaient.Lorsqu’un enfant ne répond pas favorablement à nos demandes, nous nous

sentonsoffensés.Etpourtant,c’estsansdoutequenotredemanden’estpastrèsadaptée. Et si nous parvenons à en prendre conscience et à réajuster nosdemandesetnosattentes,alorsnousnousengageonssur lavoied’unerelationharmonieuse.Cetteautodisciplineémancipatricenaîtde l’intérieur, ilest inutiledevouloir

l’imposer de l’extérieur par des raisonnements, des remontrances ou despunitions.Elleémergede l’intérieurvers l’extérieur, lorsque l’enfantest laissélibred’agiretdesuivrecesélansendogènesconstructeurs.

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Respecterlebesoind’ordreLes jeunes enfants traversent une période de grande sensibilité à l’ordre, au

coursde laquelle ils sontparticulièrementattachésà lacatégorisation ; chaquechosedoitêtreàsaplace,rangéeavecdesobjetsquiluiressemblent,etutiliséed’unecertainemanièreetnond’uneautre.Cettephasesembleaiderlesenfantsàdévelopperunsenslogiqueinhérentàl’intelligencehumaine.Elleatteintunpicde sensibilité aux alentours de 2 ans et nourrit le développement descompétences exécutives : les enfants doivent organiser, faire des choix, etparfoislescorrigerpouratteindreunniveaud’ordreetdelogiquesatisfaisant.LeDrMariaMontessori avait identifié cette période, et je suis certaine que tousceuxquiviventavecdejeunesenfantslaconnaissentégalement.Alorsmêmequenousnel’invitonspasàlefaire,letrèsjeuneenfantcherche

spontanémentàorganiser lemondedefaçontrèsordonnéeet très logique.Leschercheurssesontaperçusquede tout jeunesenfants rangeaientspontanémentensemblelesobjetsquiprésentaientdesressemblancesoudespointscommuns,et qu’ils séparaient spontanément les objets qui ne se ressemblaient pas. Lorsd’une étude, des objets étaient proposés à des tout-petits de 18 mois, parexemplequatrechevauxenplastiquedifférents,mélangésàquatrecrayons.Leschercheurstendaientensuitelesmainsverslesenfants,paumesversleplafond,sans riendire.Lesenfantsde18moisplaçaient systématiquement leschevauxdans une main, et les crayons dans l’autre ! Les chercheurs précisent qu’unepetitefilleparticulièrementpréciseetméticuleusearemarquéqu’undescrayonsavaitperdusapointe:ellearegardéavecattentionlespaumesd’Alison(AlisonGopnik, la psychologue) avant d’attraper lamain de samère pour en faire unendroitséparépourcetobjetparticulieretdéfectueux10.Cette catégorisation est spontanée et universelle ; elle semble construire

l’esprit logique dont nous bénéficions plus tard. En effet, ce sens qui sembleinhérent à l’intelligence humaine continue de nous inciter, à l’âge adulte, àmettre de l’ordre dans tout ce que nous faisons : quand nous organisons nosclasseurs–lespapiersdelaSécuritésocialevontavecceuxdelamutuelle,lesfacturesvontdansunautreclasseur–oulorsquenousrangeonsnotrecuisine– les casseroles vont ici, les ustensiles là. Et pourquoi pas l’inverse ? Chacunpossède ses propres liens logiques, qui, attention, ont besoin d’être respectéssouspeinededéstabiliser le propriétaire des lieux.N’avez-vouspasdéjà dit àvotreconjoint:«Maispourquoiranges-tulescouverclesici?Leurplace,c’estlà!»Etilvousacertainementrépondu:«Ahoui,etpourquoi?Moijetrouvequec’estpluslogiquedelesmettreici.»Etcelanousagace.Notreorganisation

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intérieureestdérangée.Nousmettonsdel’ordrepartout:àlamaison,autravail,dans notre emploi du temps, dans nos savoirs et même dans nos relationssociales ; nous organisons et catégorisons notre monde extérieur pour nousrepéreretstructurernotrepensée.Très tôt, les enfants font la même chose pour construire leur sens logique,

structurer leur esprit et s’approprier leur environnement extérieur : ils rangent,alignent et organisent par lien logique ou ressemblance leurs jouets, leschaussuresde l’entrée, les couverts, et tout cequ’ils peuvent attraper.Commenous, ils n’organisent pas uniquement les objets, mais aussi leur quotidien :«Nan,c’estpastoimamanquilitcettehistoire,c’estpapa»,ditl’enfantennousprenantlelivredesmainspourlerendreàsonpère,cardanssatêtecettehistoireestassociéeàsonpère;«Nan!C’estpascommeçamaman,c’estcommeça»,et il reprend nos gestes pour nous montrer comment fait la maîtresse ou sonpapa;ouencore:«Nan!Ça,çanevapaslà,çavalà»,etildéplacedetroiscentimètresunobjetposésurlereborddelabaignoire…Toutescesmanifestationsnesontnidescaprices,nidesmanies.Ils’agiten

réalité de l’intelligence logique qui s’exprime, comme la nôtre – mais demanièrebeaucoupplusprononcéecarlaleurestentraindeseconstruire.Gare,donc,àceluioucellequiviendraitbrisercetélandel’enfant,ilouelles’exposeàunerébellionaussiviolentequecetordrelogiqueestnécessaireàl’enfantlorsdecettepériodedesavie.Si le parent décide qu’il s’agit d’un caprice et que cet objetdoit être placé

ailleurs, il entre alors dans une lutte avec l’intelligence logique en pleindéveloppementdesonenfant.S’ilacceptemomentanémentcerangement,mêmes’il lui semble incongru, il permet à son enfant de développer librement sonintelligence logique. Bien sûr, il s’agit pour le parent de distinguer cesmanifestationsspontanéesde l’intelligence logiquedecellesquin’ensontpas.Undesindicateurslesplussûrs,c’estlaconcentrationquel’enfantmanifeste:sivousvoyezvotreenfantextrêmementconcentrémenersonactivitéavecsérieux,vous pouvez être certain qu’il s’agit d’une activité constructrice, qui doit êtrerespectée.Si vous avez de jeunes enfants, observez-les bien. Jusqu’à 3 ans, tous ces

rituels d’ordre revêtent une importance capitale à leurs yeux. Lorsque nousdécouvrons ce phénomène sans en avoir été avertis, nous pouvons penser quenos enfants se transforment en maniaques rigides et tyranniques. Absolumentpas.Auxalentoursde4ans, lorsque l’enfantapuconstruire lesbasesdecetteintelligence logique, sa période d’hypersensibilité à l’ordre se dissipe et laissel’empreinted’uneintelligencelogiqueharmonieuse–etheureusement,bienplussouple.Bienévidemment, lorsquenousnesommespasprévenus,cettepériode

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créatricesurprend.Cefut lecasd’uneamie, lorsquesonfilsavaitexactement2ans.Il rangeait

tout. Et il le faisait de manière vraiment très ordonnée… Il ne s’agissait pasuniquement pour lui de placer les objets de manière parfaitement alignée, ilfallait un rangement logique par couleurs ou par ressemblance physique.Monamie, qui assume parfaitement le fait d’être plutôt désordonnée, s’étonnait devoir son petitmanifester un tel besoin de logique, et ne comprenait pas où ilavait pu « attraper » cette manie. Surprise et amusée, elle prit en photo lesœuvres spontanées de son fils et les partagea par mail à un groupe restreintd’amis pour exprimer sa surprise : « On a un psychopathe maniaque à lamaison»,disaitlecommentaireaccompagnantlaphoto.

Personne n’avait pu enseigner à son fils une telle façon de ranger, etcertainementpasmonamieni sonmari. Ilne s’agissaiten faitnullementd’unenseignement ou d’un processus d’imitation, mais bien de l’expression del’espritlogiqueentraindeseconstruire:lejeuneenfantestunêtred’ordreetderituel.À Gennevilliers, nous l’avons remarqué chez tous les enfants. Ils allaient

spontanément ranger le matériel à leur place, surtout les plus jeunes. Ilspouvaientd’ailleursentrerdansdevéritablescrisesdecolèresiuncamaradeouunobstaclematériel lesenempêchait.Ledésordre leurétait insupportable.Onauraitditqu’ilvenait troublerprofondément leurordremental. Jemesouviensqu’unaprès-midi,dans laclasse, troisenfants réalisaientensembleuneactivitédemathématiques,suruntapis.Toutsemblaitsedéroulerpaisiblement,jusqu’àcequeleplusjeune,âgéde3ans,commenceàs’agiter.Ilvoulaitabsolumentseplacer entre ses deux camarades devant le tapis sur lequel était déposé lematériel. Ses camarades refusaient visiblement sa demande.Lepetit semit encolère et pleura. Je pris ce comportement pour un rapport de force, et luiproposai de reformuler sa demande plus délicatement à ses camarades. Sescamarades refusèrent ànouveau.Le jeunegarçoncommençaalorsà sangloter.Ses pleurs exprimaient une profonde détresse. J’étais très surprise, et luidemandaipourquoiilvoulaitcetteplaceetpasuneautre.Ilréponditàplusieursreprises : « Parce que c’est celle-là que je veux. » Sa réponse confirmait ma

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croyance:jepensaisqu’ils’agissaitd’un«caprice».Mais,levoyantànouveaupleurer à chaudes larmes, et le sentant véritablement désorienté, je reposai laquestion différemment : « Dis-moi, pourquoi cette place est importante pourtoi?»Ilmemontraalorslematérielsurletapisetdit:«C’estparcequesurletapis,monmatérielestaumilieu,ici,alorsjedoisêtreaumilieuaussi,etAyoubici, et Souleyman là », dit-il totalement effondré, et pointant le matériel dechacunsurletapis.Faceàcetteexplication,etsansquejeledemande,sesdeuxcamarades, Ayoub et Souleyman, se repositionnèrent immédiatement à « labonne » place. L’argument de l’ordre fut souverain, et ne fit l’objet d’aucunecontestation.Lorsdecettepériode,l’enfantobéitàunélanendogène«créateur»:quelque

choses’élaboreenlui.Ils’agitdoncdereconnaîtrecettepériodeconstructriceetde la respecter, engardant bien en têteque cen’est qu’unpassage, un état deconscience sensible transitoire, quiparticipe très certainement au renforcementdusenslogique,etqui,enpoussantl’enfantàfairedeschoixetàorganisersonenvironnement, luipermetdesollicitersescompétencesd’action.Unefoisquecequidoitêtreconstruitestconstruit,cettesensibilitéaiguëdisparaîtenlaissantderrièreelleunespritplusclairetplusstructuré.

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4.

Plusdeliberté

L’épanouissementdel’intelligenced’actionexigeunminimumdeliberté.Sil’enfant suit strictement une consigne ou les indications très dirigistes d’unadulte,ilnepeutpascorrectementdéveloppersescompétencesexécutivesquinesont pas sollicitées : ce n’est plus lui qui organise, fait des choix, détecte seserreurs, mais le cadre extérieur. C’est pourquoi, pour toutes les activitéspratiques etdidactiquesquenousavonsévoquéesdans ce livre,nousveillionsuniquementàmontrerlesgestesetconcepts-clésetlaissionsensuitelesenfantslibres d’explorer. La démarche était donc structurante – mais pas dirigée. Ils’agitd’unpointcapital.Carc’estprincipalementpar l’explorationet l’activitélibres que l’enfant sollicite pleinement les fonctions essentielles de sonintelligence.Sisonactivitéestorchestréedel’extérieur,l’enfantn’aplusàfairedechoix,seserreurssontdétectéesdel’extérieur,etc’estl’adultequiluisuggèresouventcommentlescorriger.

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Moinsd’activitésdirigées

Une étude1 très intéressante confirme cela en montrant que les enfants quiconsacrentleplusdetempsàdesactivitéstrèsdirigéessurletempsextrascolaire–courstrèsstructurésdepianooudesport,etdevoirs–développentdemoinsbonnes compétences exécutives que ceuxqui, après l’école, s’adonnent au jeulibre, aux rencontres entre amis ou en famille, à la lecture ou au dessin. Cesderniers, libérés d’une structure et d’un contrôle extérieur qui assument ledéroulement de l’action à leur place, sont alors plus à même de se fixer desobjectifs personnels et de trouver le meilleur moyen de les atteindreefficacement.Leurscompétencesd’actionsontnaturellementmisesàl’épreuve.Jenepensepasqu’ils’agissepourautantd’abandonnerlespratiquesmusicaleset sportives, bien au contraire – ce sont des activités très importantes pour ledéveloppement cérébral harmonieux de l’enfant.Néanmoins, elles gagneraientsansdouteàêtremoinsdirectives.Pour illustrer cela, jevoudraisvous raconteruneanecdote. Jedînaisun soir

avecuneamieetsafamille.Monamieaunpetitgarçon,quiavaitenviron4anslorsdenotredîner.Ilyavaitégalementunejeunefillede14ansànotretable,quiprenaitdescoursdepianodepuisplusieursannéesàraisondedeuxheurespar semaine.Alors que nous prenions le dessert, j’entendis jouer unemélodiemagnifiqueaupiano.Pendantuninstant,jecrusqu’ils’agissaitdelajeunefille,mais jevisqu’ellesetrouvaitencoreànotretable.Jemeretourneet jevois lepetitgarçonde4ansfaisantcourirsesdoigtssurleclavier,avecuneaisanceetunrythmestupéfiants.Jeluidemandeenreprenantmesespritscequ’iljoue.Ilmeditqu’ilnesaitpas,qu’ilestentraind’inventer.Deuxièmechocpourmoi.Jedemandeàmonamiesisonfilsprenddesleçonsdepiano,ellemeditquenon,qu’ilpassebeaucoupdetempsàjouerseul,ouparfoisàdeux,avecquelqu’undeplusavancéquelui.Cetenfantbénéficiaitdoncdecoursinformels,nondirigés,lors desquels quelqu’un lui apportait des connaissances de base à partirdesquellesilétaitlibred’explorer.Lajeunefille,pourtantassidueetappliquée,et bénéficiant de plusieurs années de leçons dirigées, ne parvenait pas à joueraveclafluidité,l’aisanceetlalibertémanifestesdecetenfantde4ans.J’ai toujours été convaincue que lesmeilleurs apprentissages sont ceux que

l’onréaliseseul,avec l’aide indirecteetnon intrusivede l’autre : j’enavais ladémonstrationcriante.Qu’avaitfaitcetenfant?Riendeplusqued’explorer,etdesuivresonenthousiasmequil’avaitamenéàunegrandevolontéendogènedeperfectionnement.Qu’avait fait l’adulte ?Rien de plus que de permettre à cetenfantdesuivresonélanenluiapportantunétayageinformel.

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Les enfants s’engagent par ailleurs naturellement dans des activités nondirigées de ce type. Et remarquons comme ils lèvent les yeux au ciel si noustentons de rendre formels cesmoments de conquête naturelle.Nous pourrionsparler « d’activités spontanées », qui semblent être finalement des injonctionsintérieuresfacilitantlebondéveloppementdel’enfant.Notretâcheprincipale,ànousadultes,consistecertainementessentiellementà reconnaîtrecesélansetànepas les entraver.Celapeutnousdemanderuneffort colossal : nousdevonstravailler notre propre contrôle inhibiteur, prendre conscience que les enfantssontguidésdemanièreendogènepardesdirectivesbiologiquescontrelesquellesnousnepouvonspasentrerencompétition,etfaireconfiance.Nenousytromponspas,sinosenfantsontl’air«denerienapprendre»etde

nefaireque«s’amuser»lorsqu’ilssontlaisséspluslibresd’agiretd’explorer,ils sont pourtant bel et bien en train de construire quelque chose : leurconcentration témoigne qu’une élaboration intérieure est en cours. Bienévidemment, il ne s’agit pas d’abandonner les enfants à une autoéducationtotalementlibre,jenecroispasàcela,etcommenousl’avonsmentionnédanslapremière partie, la pédagogie pure de la découverte a clairement montré seslimites.L’enfantestcâblépourchercher l’étayaged’unexpertetapprendredelui.Ilnepeutpass’enpasserpourapprendre.Ildoitpouvoirs’appuyersurcettebase pour explorer et apprendre. Il s’agit donc d’offrir un étayage et uneguidance ponctuels, qui orientent sans être intrusifs. L’effort cognitif,l’engagement réflexif, c’est l’enfant qui doit le vivre. Notre tâche et notredifficulté principale sont de reconnaître, et ne pas interférer avec son activitécréatrice.Attention, jemets immédiatement un bémol sur les activités numériques ou

lesjeuxvidéoqui,certes,attirentl’attentiondesenfants,maisilsembleraitquece soit pour de très mauvaises raisons : ces activités agissent sur les circuitscérébrauxdelarécompense,déchargentdefortesdosesdedopamineetrendenttout simplement les enfants « accros ». S’ils en demandent, ce n’est pasforcémentparcequecelaestbonpoureux.Ilnes’agitpasnécessairementd’unélanspontanémaistrèscertainementd’unedépendance.Ànous,donc,derestertrèsvigilantsetdesavoirfaireladifférenceentrelesdeux.Ilestimportantdeleséloigner autant que possible, lorsqu’ils sont jeunes, de ce genre d’objetsnumériquesquiabîment leursystèmeattentionnel,perturbent laqualitéde leursommeil,etlesdévientdesactivitésquileursontréellementconstructives.Fairela cuisine, lire, chanter, danser, jouer au football,monterunepiècede théâtre,construire un circuit électrique, grimper aux arbres, construire des cabanes àl’extérieur, bricoler des objets à partir de matériaux trouvés dans le jardin,participer spontanément aux tâches ménagères sont autant d’activités qui

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développent non seulement les fonctions essentielles de leur intelligence,maiségalementleurscompétencessociales,motricesetcréatives.

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Plusdenatureetdevie2

Lesimplefaitd’allermarcherenforêtavecunenfantenvuederamasserdespommesdepin,delamousseetdesfeuillesmortespourconstituerunherbieretun panier de botanique lui permet d’être actif et d’engager son intelligenced’action. Ilvachercher,étudier lespossibilités, fairedeschoixet les revoirencas de besoin. S’arrêter près d’un lac et y jeter quelques cailloux ou desbrindilles, c’est se rendre compte que tous les éléments ne font pas le mêmebruit,quecertainsflottentetd’autrescoulent…Cetteactivitépourtantsisimpleincitelesjeunesenfantsàengagerleurréflexionetleurintelligence.Pourquoi?Parcequenousallonsparleraveceux,lesécouter,commentercequisepasse.Etlorsquenous faisonscela, lorsquenousaidons lesenfantsàexprimercequ’ilspensent et à nommer ce qu’ils observent, nous permettons de manièreextrêmementefficaceàleurintelligenceexécutivedesedévelopper.Marchersurun terrain naturel en regardant où poser le pied pour ne pas glisser, faire depetites randonnées,marcher sur des rochers, jouer librement dans la nature oubien grimper aux arbres… renforce également considérablement sescompétencesexécutivesenl’obligeantàfairedeschoix,àanticiper,àorganisersesgestesetàprendredesrisquesmesurés.Le jeu libre dans la nature apparaît par ailleurs comme étant un temps

essentielpourdévelopperlacréativitéetlesfonctionsexécutivesdel’enfant.Ilaétémontréquelesenfantsquijouaientrégulièrementetlibrementdanslanatureavec leurs camarades, se rêvantpar exemplemousquetairesoupirates, avaientdemeilleurescapacitéspourrésoudredesproblèmescarilsproposaientsouventdessolutionsinnovantes.Leurimaginationainsidéveloppéeleurpermetdefairedavantage preuve de créativité et de flexibilité. Laissons donc à nos enfantsbâtons,cailloux,terre,herbesfolles,feuilles,fleurs,écorces,pommesdepin–etdutemps,pourjouer,inventer,construire,etseraconterdegrandeshistoires.

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5.

Protégerl’enfantdustresstoxique

Nousavonsdéjàabordécepointdanslapremièrepartiedecelivre,maisilestbon de le rappeler tant cela est important. Afin de permettre aux enfants dedévelopperuneintelligenceunifiéeetharmonieuse,ilestfondamentaldel’aiderà réguler son stress. Il est également capital de lui éviter les situationstraumatisantes,violentesphysiquementouverbalement,ethumiliantes.

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Protégerl’enfantdelaviolenceNous l’avons vu, les situations de stress intense répétées et/ou prolongées

abîment le cerveau immature de l’enfant, et particulièrement les circuits quisous-tendentlescompétencesexécutives.Cescircuitssesituenteneffetdanslapartie la plus vulnérable de son cerveau, le cortex préfrontal. Il suffitsimplement, à l’âge adulte, que nous soyons stressés, malades, fatigués, enmauvaisesantéouquenousnefassionspasassezd’exercicephysiquepourquenoscompétencesexécutives,situéesdanscettezoneparticulièrementvulnérable,en pâtissent.Dans cesmoments-là, nous avons beaucoup plus de difficultés ànous organiser, à nous concentrer, à persévérer, à mémoriser. Nous sommesbeaucoup plus irritables, et beaucoupmoins flexibles.Or, nous l’avons dit, lecerveau de l’enfant est immature, et le stress chez lui n’occasionne passeulement un trouble passager ; lorsqu’il est répété et prolongé, il abîmedirectement ses circuits fondamentaux. Ainsi, chaque fois que l’enfant estsoumis à une situation intense de stress, son intelligence immature peut s’entrouver grandement fragilisée, et, si cette situation se répète, ses capacitésd’autorégulation et d’action à l’âge adulte risquent d’être gravement altérées.SelonleDrCatherineGueguen,«unstressimportantdanslapetiteenfanceagitsurlecortexpréfrontaletpeutentraînerunedestructiondesneurones.Ilentravealorssamaturationetdiminuesonvolume1.»Lecortexpréfrontaldevientalorshypoactifet,àl’âgeadulte,l’êtrehumainferafaceàdegrandesdifficultéspourcalmer ses émotions, ses impulsions, et gérer son stress. L’imagerie cérébralerévèleque lesadultesviolents,anxieux,colériques, impulsifs, faisantfaceàdegrandes peurs ont une activité faible de leur cortex préfrontal comme cela estobservé pendant la petite enfance lorsque le cerveau est immature2. CatherineGueguen explique que l’une des causes de ce mauvais développement est àmettreen lienavec laviolencequecesadultesontsubiependant leurenfance.Les coups et les mots blessants infligés par les adultes censés le protéger,l’indifférence, l’abandon, blessent et abîment le cerveau du jeune être humaincâblépourserelierpositivementetchaleureusementàl’autre.Heureusement,lecerveauhumainestcapablederésilience3.Ilpeutréparer–

avec beaucoup d’effort, de constance, et grâce à des relations humainessoutenantes et positives – certains dommages causés pendant sa périoded’immaturité cérébrale. The Center on The Developing Child de Harvardprévienttoutdemêmequesilarésiliencepeutêtreenclenchéeàn’importequelâge, le plus tôt est toujours le mieux. En effet, c’est lorsqu’il est encore trèsplastiquequelecerveaualeplusdefacilitéderésilience.

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«Lefacteurlepluscommunpourfairepreuvederésilienceestaminimadepouvoirbénéficierd’unerelationstableetengagéeavecunparentsoutenant,unéducateurouunautre adulte.Ces relations fournissent un étayage personnalisé, structurant, et l’appuinécessaire pour protéger les enfants de perturbations de développement. Ce type derelations construit par ailleurs des capacités-clés – telles que l’aptitude à organiser, àcontrôler et à réguler sescomportements–quipermettent auxenfantsde faire faceàl’adversitéetdes’épanouir.Cettecombinaisonderelationssoutenantes,deconstructionde capacités d’adaptation, et d’expériences positives représente les fondations de larésilience4.»

Larechercheestdoncextrêmementclaire:lesenvironnementsquipermettentà l’enfant de développer de bonnes compétences exécutives ne sont passeulementceuxquipermettentl’autonomiedel’enfant,cesontégalementceuxquisauront lepréserverdelaviolencephysiqueouverbale,descris,desstressintensesrépétéset/ouprolongés.Denombreusesétudesontaujourd’huimontrésans l’ombre d’un doute que l’exposition précoce à des environnementshautementstressantsestassociéeàunmauvaisdéveloppementdelamémoiredetravail,del’attentionetducontrôleinhibiteur5.

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Aiderl’enfantàgérersesémotionsleprotègeIl est par ailleurs essentiel, pour protéger les compétences-socles de

l’intelligence du jeune être humain, non seulement de lui éviter les situationshumiliantes, les coups physiques et psychiques, mais également de l’aider àgérerlessituationsémotionnellesperturbantesoulesstressdelaviequotidiennequ’il traverse, en lui fournissant un étayage adapté.Nous l’avons vu, il s’agittout d’abord de rassurer l’enfant par notre présence affectueuse afin de fairerapidement redescendre son tauxde cortisolvia la sécrétionde la bienfaisanteocytocine. De cette manière, nous protégeons rapidement l’intelligence del’enfant. Il s’agitensuitede l’aiderànommersonémotionpourcalmerencoredavantagesonsystèmed’alerte.Enaidantensuitel’enfantàanalyserlasituation,àprendredu recul et à trouverune solution, nousparticiponsdirectement à lamaturation du cortex préfrontal et au développement de ses compétencesexécutives.Cescircuitspréfrontauxainsiépanouis, l’enfant seraensuiteplusàmêmedefairefaceauxstressetàsesémotionsintenses.Prenonsl’exempled’unenfantquiseseraitfâchéavecuncamaradeparceque

cedernier luiaprissonvélodans lacour.Vous leretrouvezenpleurs–ou lepoinglevé,prêtàpasseràl’attaque.Commençonsparluipermettredesecalmerpar notre présence bienveillante, en l’écoutant, en le consolant, en le prenantdansnosbrass’ilenmontrelebesoin.Puis,unefoislecalmerevenudanssonpetitorganisme,nouspouvons l’aideràsecalmerdavantage touten favorisantl’utilisationdesescircuitspréfrontaux:invitons-leàidentifieretànommersonémotion:«Est-cequetuestriste?Encolère?Fatigué?»Aidons-leensuiteàcomprendre pourquoi il ressent cela. « Est-ce que tu es triste parce queThéophilet’avaitpromisdetelaisserlevéloetqu’ilnel’apasfait?»Invitons-le ensuite àexprimer son émotion à son camarade : «Tudevraispeut-être luidire ce que tu ressens, qu’en penses-tu ? » Et s’il n’y parvient pas seul,soumettons-luiunephraseàdireàsoncamarade:«Tupourraisluidire:“Jemesens triste parce que tu avais promis deme donner ton vélo et tu ne l’as pasfait.”»Sicelaestpossible,invitons-leàproposerunesolution,etaidons-leàlaformulers’iln’yparvientpas:«Tupeuxpeut-êtreluidemanderdefaireencoreuntouretdeteledonnerensuite?»Sisoncamarades’yopposaitànouveau– ce qui est rare lorsque celui-ci perçoit l’émotionde l’autre –, ilm’arrivait deprendreladécisionjusteàsaplace:«Oui,ilvateledonnerlorsqu’ilaurafaitundernier tourde lacour,merciThéophile.»Bientôt, l’enfantquin’avaitpassouhaitéprêterlevéloseraenmesuredelefairelorsquesescircuitspréfrontauxserontplusmaturesetqu’ildévelopperaempathieetcontrôledesoi.

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Denotrecôté,donc,patienceetconfiance.Sachezquecegenred’événementest pour nous, adultes, un indicateur redoutable du niveau de développementpréfrontaldel’enfant:plusilestcapable,ensituationdeconflit,des’exprimer,de faire preuve de contrôle et de créativité, plus cela indique un bondéveloppementdessescompétencesexécutives.Àl’inverse,moins l’enfantestcapable de se contrôler, de prendre la bonne décision et de faire preuved’empathie,oudes’exprimer,pluscelaindiqueundéveloppementexécutifquidemande à être soutenu. Pour un enseignant, la cour de récréation peutvéritablement s’apparenter à un observatoire, ainsi qu’à un lieu parfait poursaisirtouteslesoccasionsdefavoriserledéveloppementdecescompétences.Lapremièreannée,ainsiquechaquedébutd’année,lorsquenousaccueillions

denouveauxpetits,ilfallaitfairepreuvedepatienceetd’unegrandeconstance.Lesenfantsnemaîtrisaientpas leursémotions, leurscolères, leurs frustrations,et, en cas de conflit – comme cela se produisait souvent –, il arrivaitrégulièrement qu’un enfant prenne un coup sur la tête ou que du matériel setransformeenarmedeguerre.Lapremièreannée,jemesouviensavoirarrêtéunenfanthorsdelui,brandissantunebarrerougepourmenaceruncamarade.Cessituations sont des occasions extraordinaires à ne pas rater, elles sont mêmeindispensables:ils’agitd’unmomentparfaitpouraiderlesenfantsàapprendreà gérer leurs différends avec calme, en prenant du recul. Et les premièressemaines de l’année 2011, nous fûmes gâtées : il nous était particulièrementdifficilederesterplusdequelquesminutesauprèsd’unenfantpourluiprésenterindividuellement une activité. Souvent, ses camarades nous interpellaientbruyammentensechamaillant:ildevenaittrèscompliquépourtoutlemondedeseconcentrer!

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Comprendresesémotionsetmieuxcomprendrel’autreAiderlesenfantsàcomprendrecequ’ilsressententleurpermetnonseulement

de s’apaiser,mais également dedévelopperdegrandes capacités empathiques.La recherche indique en effet que les aptitudes empathiques sont d’abordfondées sur une connaissance de soi et de ses propres émotions : être capabled’identifier ce que l’on ressent permet de comprendre plus facilement ce queressententlesautres.TaniaSinger,spécialistedesneurosciencessociales,écrit6:

«Uneséried’expériencessurl’empathienousaégalementapprisunechose:lesgensquinecomprennentpas leursémotionset leurspropresétatsd’espritmontrentunmanqued’activationdesrégionscérébralesliéesàl’empathie.Afindetémoignerdel’empathieenversl’autre,ilnousfauttoutd’abordcomprendrenospropresémotions.[…]Unentraînementaudéveloppementdel’empathiedevraitdonccommencerparl’apprentissagedelareconnaissanceetlacompréhensiondesétatsémotionnels.[…]»

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6.

Retouràsoi

Nous avons vu au début de cette troisième partie que les compétencesexécutives des enfants croissent à très grande vitesse entre 3 et 5 ans, maisqu’elles commencent déjà à se développer auparavant. Ainsi, les enfants qui,pendantleurstroispremièresannéesdevie,ontpuagirpareux-mêmesaveclaguidance respectueuse et non invasive de l’adulte, sont la plupart du temps, à3 ans, « centrés », ils ont développé de bonnes compétences exécutives : ilssaventmieuxsecontrôlerqued’autresenfants,réussissentparexempleànepascouper la parole lorsque nous le leur demandons, ils sont confiants, pleinsd’allant, ils savent se fixer des objectifs, prendre des risques adaptés à leurspossibilités,ilsfontpreuvedepersévéranceetdecréativité.Ilsn’ontpaspeurdel’adulte, ils s’adaptent facilement aux situations nouvelles, et savent coopéreravec les autres. Leur caractère est fort, ils savent ce qu’ils veulent et sontcapables de l’obtenir par leurs propres moyens. Les enfants n’ayant passuffisammenteulapossibilitéd’agirpareux-mêmesmontrentsouventà3ansdefaibles compétences exécutives. Ils contrôlent peu leursmouvements, sont lespremiers à suivre la bêtise d’un camarade, se découragent facilement, sontfacilement distraits, coupent constamment la parole et sont difficilementcapables de s’en empêcher, ils sont traversés par de grandes tempêtesémotionnelles, ils sontagités,parfois impulsifs,peuventmanquerdeconfianceetvouloirêtreassistésconstammentparl’adulte.Néanmoins, àmesure que ces enfants agissent par eux-mêmes et retrouvent

plaisiràlefaire,leurcomportementetleurcaractère«senormalisent»,commele disaitMariaMontessori, qui n’hésitait pas à affirmer que ce caractère peuconfiant, agité, désordonné, était en réalité un symptôme plus qu’un étatphysiologique naturel, dénonçant un faible développement des compétencesexécutives.Selonelle,cesenfantssontenréalité«maladesfonctionnellement».Maissinousleuroffronsl’opportunitéd’exercerrégulièrementetefficacementleur intelligence d’action en faisant notamment travailler de concert leurintelligenceetleursmainslorsd’activitésquotidiennesetpratiquesquifontsenspour eux, alors ils semettent progressivement à retrouver des comportements

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centrés, maîtrisés, assurés. Ils passent d’un état de désordre, d’agitation, dedépendance,etd’imitationnonconstructive,àunétatd’autodiscipline,d’ordre,decalme,d’indépendance,deconfianceetdecréativité.Il est donc absolument fondamental que les enfants qui n’ont pas eu la

possibilité de développer correctement les compétences-socles de leurintelligencelorsdeleurstroispremièresannéesdevie,puissent,durantlestroisannées qui suivent, bénéficier d’un environnement qui les encourage – fermement s’il le faut – à construire leur intelligence avec leurs mains, et às’engagerdansdesactivitésréellesquiréveillentleurenthousiasmeetleurenviedefairepareux-mêmes.Ils’agitdelaplusgranderesponsabilitédecequel’onappelle l’école maternelle. Le soutien du développement de l’intelligenced’action par l’activité ordonnée et intrinsèquementmotivée de l’enfant devraitêtresaprincipalepriorité.Nousdevrionsàcepropos,etparsoucidecohérence,larenommer:l’enfant

de3ansnerecherchepaslematernage;ilacertesbesoind’unebaseaffectivesolide que l’école doit pouvoir également lui offrir, mais surtout, il souhaiteconquérir son indépendance avec la plus grande urgence et la plus grandedétermination. Et, pour le soutenir dans cette tâche, il s’agit de lui rendre saliberté, de reconnaître qu’il est celui qui formera son intelligence, et de luipermettredecontinueràsuivrelaguidanceémancipatricedesonenthousiasme.Simplement en faisant cela et en nous rendant disponibles pour l’aider à yparvenir, le jeune être humain épanouira sa capacité à agir dans le monde, àatteindresesobjectifsetàseréaliserpleinement.Jenedoutepasunseulinstantquelemondeenseraalorsmerveilleusementtransformé.Lorsquenous avonsdémarré l’expérimentationdeGennevilliers, lamajorité

desenfantspossédaitdescompétencesexécutivessous-développées.Laplupartétaientincapablesdemémoriser,desecontrôler,d’êtresattentifs.Ilsselaissaientdistraire à lamoindreoccasion et faisaient preuvedepeudepersévérance.Et,commelaclassereposaitsurunfonctionnementoùlesenfantsétaientautonomesdumatinausoir,cesous-développementexécutifsautaitauxyeux:iln’yavaitplusdecadreimposantunordreextérieuravecdesactivitéschoisiesetdirigéespar l’adulte, ou avec une organisation hautement ficelée, rythmée par deshoraireschronométrés…Sanscecadreextérieurdirigeantchacundeleurgeste,les enfants étaient comme des bateaux sans gouvernail traversant une meragitée : ils s’entrechoquaient et se blessaient. Faisant preuve de peud’autodiscipline,lesenfantss’entraînaientlesunslesautresdansleurdésordre;l’agressivité, le chahut, les pleurs et le matériel cassé (ou dérobé) étaientmonnaie courante. Lorsque nous retirons ce cadre que nousmaintenons, nousadultes,avecuneénergiefolle,etqui«tient»lesenfantsdumatinausoir,tout

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s’écroule. Nous sommes alors face à la réalité. Et cette réalité n’est pasreluisante.Nousobservonsdesenfantsqui,séparésd’eux-mêmes,errentdanslemondeenattendantdeslimitesextérieures,incapablesdes’enfixereux-mêmes.Avecdutemps,delarigueur,unegrandefermeté,ainsiqu’uneénormedosedebienveillanceetdeconfiance,nousavonspuaider lesenfantsà remontercettepente difficile, et, je dois le reconnaître, ce fut une aventure souvent ardue1.Néanmoins, à mesure que les enfants ont pu exercer leurs compétencesexécutives en agissantpar eux-mêmesdemanièreorganisée librement toute lajournée, guidés par notre étayage, et en prenant le temps de s’exprimer demanière claire et précise autant que possible, ils ont progressivement etradicalement changé de caractère. Ils maîtrisaient leur corps, devenaientgracieux, savaient s’occuper d’eux-mêmes et des autres, ils se montraientsociables, calmes, généreux. Nous avons même constaté des transformationsphysiques:ilssemblaientenmeilleuresantéetétaientplusrayonnants.Je terminerai cette troisième partie en rappelant que, pour accompagner

l’enfant de manière optimale et bienveillante, il est fondamental que nous,adultes, disposions également de compétences exécutives solides etopérationnelles : nous avons besoin d’une bonne mémoire de travail pourenregistrer les informations les plus importantes pour chaque enfant, d’unebonne flexibilité cognitive pour ajuster nos stratégies et répondre de façonappropriée(etsouventcréative)auxbesoins individuelset,surtout,nousavonssouventvraimentbesoind’unboncontrôle inhibiteurpourgéreret régulernosémotions tellesque la colère, la frustrationou l’impatience.Or, répétons-le, larecherche explique très clairement combien le stress, la fatigue, lamaladie, latristesse,l’isolementsocial,lemanquedesportdiminuentladisponibilitédenoscompétences exécutives. Si nous sommes fatigués, tristes, isolés, malades, enmauvaisesanté,nousnepourronspasrépondreconvenablementauxbesoinsdesenfants : nous n’aurons pas assez d’énergie, nous ne parviendrons pas àorganiser nos priorités, nous serons sans doute rapidement submergés, nousmanquerons de patience, nous serons plus irritables, nous contrôlerons moinsbiennosémotions.Et, enclasse,nousnenous souviendronspeut-êtrepasquenous devions insister pour que tel enfant prenne cette activité qui l’intéressaittant la veille, ou que nous devions encourager tel autre à reprendre ses essaispourfairedesnœuds;nousauronsplusdemalàêtrepleinementdisponiblesetàapporteruneréponseappropriéeauxdifficultésquerencontrerontlesenfants.Prendresoindenotresantéetdenotreétatpsychiqueestdoncfondamental.

Noussommes leséléments lesplus importantsde l’environnementde l’enfant.

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C’est avant tout nous, à travers notre présence, notre disponibilité et notreintelligence, qui allons pouvoir aider individuellement et collectivement nosenfants à être autonomes. La première règle essentielle et incontournableconsiste donc à prendre soin de nous. Il faut en avoir conscience, c’est lemeilleur service que nous puissions rendre à nos enfants : reposons-nous,mangeons sainement, faisons du sport, ayons une vie sociale épanouie. Lesenfantsontbesoindenotreénergie,denotrebienveillance,denotreréactivité,denotrepatienceetdenotrepleineprésencepourdévelopperleurautonomie.Ilsnepourrontconquérirsolidementleurindépendancequesinoussommesréellement« opérationnels » pour les guider individuellement et collectivement sur cechemin.Je ne peux par ailleurs que conseiller aux enseignants qui décident de

transformer leurpratiquedeclassede le faireprogressivement,de se fixerdesobjectifsadaptésàleurrythmeetàleurspossibilitéssanssemettredepressioninutile. Protégez-vous du stress, ne vous en imposez pas davantage ; il mesemble qu’il s’agit là d’un point fondamental. Guider efficacement etcorrectement nos enfants implique que nous puissions nous recentrer, et«redevenirpleinementprésentsànous-mêmes».SelonleCenteronTheDevelopingChilddel’universitéHarvard:

« Favoriser le développement d’un bon fonctionnement exécutif implique unaccompagnement sensible et approprié ainsi qu’un enseignement individualisé. Cetaccompagnement doit avoir lieu au sein d’environnements qui offrent la possibilité àl’enfantdefairedeschoix,dedirigersespropresactivités tandisquel’adultes’effaceprogressivement.Danscesenvironnements,l’adulteoffreunsoutienefficaceetprécoceà la régulation émotionnelle. Ce sont des environnements qui impliquent par ailleursuneattentionpartagéesoutenue,ainsiqueladisponibilitéd’adultesquinesontpassousunepression telle qu’ils endeviennent incapables dedégager du temps et d’aider lesenfantsàsolliciterleurscompétencesenpleindéveloppement2.»

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IV.

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Lesecret,c’estl’amour

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L

’amourn’estpaslepremiermotquivientàl’espritlorsquel’onabordelesujetdel’apprentissage,etils’agitd’uneerreurfondamentale.Qu’onseledise,qu’onl’écrive en lettres d’or sur les façades de nos écoles : l’amour est le levier del’âme humaine. Nous sommes câblés pour la rencontre chaleureuse etempathiqueavecl’autre,et,lorsquenousobéissonsàcettegrandeloidictéeparnotreintelligence,alorstoutdevientpossible–etilnes’agitpaslàd’unevisionidéalisteetnaïve.«Naïfs»ceuxquineressententplusenleurcœurl’évidence:un simple regard bienveillant, une main tendue, un sourire, une écouteempathiqueet toutnotremétabolismeemprunte lavoiede larégénération, tantphysiquequepsychique.

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1.

Lapuissancedelareliance1

«Et sinouspouvionsétudier lesgensdepuis leuradolescence jusqu’à leursvieillesannéespourvoirvraimentcequilesmaintientheureuxetenforme?»demande Robert Waldinger2, psychiatre et professeur à l’université Harvard.C’est précisément le défi qu’il a relevé : « The Study ofAdultDevelopment,menéepar l’universitéHarvard3, est sansdoute laplus longueétudesur lavieadulte jamaisréalisée.Pendantsoixante-quinzeans,deschercheursontsuivi lavie de 724 hommes, année après année, questionnant leur travail, leur vie defamille, leur santé, sanssavoircomment leursviesallaient tourner.Desétudescomme celle-là sont extrêmement rares. Presque tous les projets de ce genretombentà l’eauenmoinsd’unedécennie,parceque tropdegensabandonnentl’étude,parceque lefinancementde larecherches’arrête,ouencoreparcequeleschercheurspassentàautrechose,oubienmeurent–etquepersonneneprendlerelais.Mais,grâceàunepartdechance,combinéeà la ténacitédeplusieursgénérationsdechercheurs,cetteétudeaperduré.»L’étudeportaitsurdeuxgroupesdeplusieurscentainesd’hommesdemilieux

sociaux très différents : des étudiants de Harvard et des adolescents trèsdéfavorisés de Boston. Soixante-quinze ans plus tard, la conclusion est sansappel :«Lemessage leplusévidentestque lesbonnes relationsnous rendentplusheureuxetenmeilleuresanté.C’esttout»,résumeledirecteurdel’étude.Quel’onsoitricheounon,quel’onréussisseounonsurleplanprofessionnel,que l’on soit en bonne santé ou non, « il s’avère que les personnes les plusconnectéessocialementàleurfamille,àleursamis,àleurcommunauté,sontlespersonnes les plus heureuses : elles sont physiquement en meilleure santé etviventpluslongtempsquecellesquisontmoinsbienentourées[…].Àl’inverse,expérimenter lasolitudeapparaîtcommetoxique.Lesgensquisontplus isolésdesautresquecequ’ilssouhaiteraients’avèrentêtremoinsheureux, leursantédéclineplustôtenmilieudevie,leurscapacitéscérébralesdéclinentplusvite,etils ont des vies plus courtes que les gens bien entourés. » À long terme, lesentimentd’isolement«noustue»,conclutRobertWaldinger.

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L’étudeindiqueégalementquelamémoiredespersonnesquisesententbienentourées«resteaiguiséepluslongtemps»,etquecellesquiontlesentimentdene pouvoir compter sur personne « expérimentent des déclins précoces de lamémoire».Le sentiment de reliance et ses bénéfices sont nécessaires pour le bon

fonctionnementdesêtreséminemmentsociauxquenoussommes.Mais l’étudedeHarvardnousrassure :«Cesbonnesrelationsn’ontpasàêtre lisses tout letemps. Certains de nos couples octogénaires pouvaient se disputercontinuellement,maistantqu’ilssavaientpouvoircompterl’unsurl’autreencasdecoupdur,cesdisputesn’avaientpasd’effetsnégatifssurleurmémoire.»

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Lachimiedulien4

Lorsque nous nous mettons en lien avec autrui de manière généreuse,chaleureuse, empathique, tout notre organisme s’épanouit et se régénère avecune puissance extraordinaire.Un regard encourageant, unemain tendue à unepersonne en difficulté, et tout, absolument tout, passe au vert – tant dansl’organisme de celui qui donne que dans l’organisme de celui qui reçoit : lerythme cardiaque s’apaise, la pression sanguine se régule, le systèmeimmunitaires’active,ladigestionestoptimisée.Et,danslecerveaudetouteslespersonnesimpliquéesdanslarelationpositive,denouveauxneuronessecréent,notammentdanslescircuitsdelamémoire,del’empathie,dusensmoraletdelaprise de décision. Les connexions neuronales fleurissent, nos capacitésd’apprentissage,nosaptitudesempathiques,notresensmoraletnotrecapacitéàprendre des décisions appropriées se renforcent. Ainsi, lorsque nous sommeschaleureuxetbienveillantsenversunenfant(maiségalementenversunadulte),nous agissons de manière puissamment positive tant sur sa santé que sur sescapacitéscognitives,socialesetmorales.DanslaclassematernelledeGennevilliers,nousavonsusésansmodérationde

ce levier : nous avons adopté une posture accueillante, chaleureuse etempathique,enveillantbienévidemmenttoujoursàposerleslimitesclairesd’uncadrestructurant.Àmonsens,cetteposturefut,pourlesenfantsdelaclasse,unvéritablecatalyseurcognitif,moraletsocial.

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Lareliance,récompenséed’unpointdevuemoléculaireToutnotrefonctionnementbiologiquenousencourageàlabienveillanceetà

la reliance : lorsque nous sommes généreux5, altruistes6, justes7, confiants8enverslesautres,notrecerveaunousrécompenseenlibérantdeladopamine.Ladopamine agit sur les circuits cérébraux de la récompense, provoquant unedécharge d’enthousiasme, d’élan et de plaisir qui nous encourage àrecommencer.L’allantoffertparlalibérationdedopaminedonneégalementdesailesànotrecréativité,nousnoussentonsplusforts,plus«capables».Auseindelaclasse,Annaetmoiavonsclairementressenticeseffets:nous

relier auxenfants (et auxparents)paruneposturebienveillante et accueillantenous « portait » littéralement. Nous ressentions élan, enthousiasme, légèreté,plaisir.Nousétionspresséesderetournerauprèsdesenfants.Cetterécompenseendogèneparticulièrementpuissantenouspermit de conservernotreposture etnotre élan malgré les difficultés liées à l’installation pédagogique etadministrativedel’expérience.

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LareliancenousfaitdubienetnousrendplusempathiquesLorsque nous nous relions positivement à l’autre, notre cerveau sécrète

également de l’ocytocine, qui procure un profond sentiment de confiance,d’attachementetdebien-être.Nousreliernous«faitdubien».Lalibérationd’ocytocinenousrendparailleursplusattentifsauxintentionset

auxémotionsdesautres.Elledéveloppenoscapacitésempathiques,cequinouspermet de nous relier encore davantage. Nous entrons alors dans un cerclevertueux puissant où l’empathie génère l’empathie : en étant généreux etcompatissants, nous augmentons nos propres capacités empathiques. Nousaugmentonségalementcellesdesautres:lorsquenoussommesbienveillants,lecerveau de la personne à qui nous nous adressons libère également del’ocytocine ; elle aussi se sent « bien » et développe de meilleures capacitésempathiques.Nouspossédonsainsiunpouvoirdecontagionpuissant:notrebienveillance,

notre humanité ont une conséquence chimique immédiate dans l’intimité desfibres cérébrales des autres. Nicholas Christakis, sociologue et physicien derenommée internationale, explique9 que le comportement bienveillant etcoopératifd’unepersonnepeutinfluencerpositivementjusqu’àtroisniveauxdepersonnes au sein d’un réseau, c’est-à-dire qu’une personne chaleureuse etbienveillante peut transmettre ce comportement à l’ami d’un ami d’un ami – même sans avoir jamais vu ce dernier. L’amour nourrit l’esprit, élèvel’intelligence et la créativité, et l’excellente nouvelle, c’est qu’il possède ungrandpouvoirdecontagion10.L’ocytocine,généréeparnosrelationschaleureuses,déclencheparailleursla

libération d’endorphines, qui favorisent une sensation de bien-être et élève leniveau de sérotonine qui stabilise notre humeur et nous offre davantage decontrôle sur nos émotions.Toutes les personnes impliquées dans une situationchaleureuse vivent cette succession de conséquences bienfaisantes : bien-être,confiance,développementdescapacitésempathiques,humeurplusstable.Le moindre geste de solidarité ou de compréhension provoque déjà la

sécrétion d’ocytocine, et le cercle vertueux est alors enclenché : celui quipropose son aide ressent une légèreté, un ancrage et une joie incomparables,tandis que celui qui reçoit s’apaise, reprend confiance et voit sa douleursoulagée.

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Laséparationabîmeetfreineledéveloppementdel’empathie11

Àl’inverse,lescomportementsasociauxquinousséparentlesunsdesautres,telsque le rejet, l’égoïsme, laviolence, le jugement, lacompétition, lemépris,l’indifférence, l’humiliation, l’agressivité génèrent souffrance, mal-être,démotivation,dépression,maladieetdégénérescence.S’ilyabienunechosequetoutes mes lectures et recherches m’ont fait comprendre, c’est que tous cescomportements contraires à l’élan de reliance sont totalement délétères à touspointsdevue.Tout,absolumenttoutpasseaurougedansnotreorganismeetsedéséquilibre.Au lieu de sécréter des molécules bienfaisantes, nous sommes en proie au

stress et notre organisme libère notamment du cortisol, qui place tout notresystème en état d’alerte : notre rythme cardiaque s’accélère, notre pressionsanguine augmente, l’efficacité de notre système immunitaire diminue, notrecapacité digestive est freinée.Commenous l’avons vu précédemment, si cettesituationdestressseprolonge,notreétatdesantédégénère.Le cortisol s’attaque par ailleurs à nos structures cérébrales : le

développementdenouveauxneuronesestfreiné,voireentravé,leursconnexionségalement,notammentdanslescircuitsdelamémoire.L’étudedeHarvardcitéeprécédemment indique en effet que lespersonnesqui se sentent isolées« sontcellesquiexpérimententdesdéclinsprécocesde lamémoire».Lescircuitsdel’empathie,delaprisededécision,dusensmoralsontégalementimpactés.Noscapacitésd’apprentissage,nosaptitudesempathiques,notresensmoraletnotrecapacitéàprendredesdécisionsdéclinent.

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Encasd’isolement,notreorganismetirelasonnetted’alarmeLesentimentd’êtrereliéàl’autreestsifondamentalpournotresantéetnotre

intelligencequ’encasderejetparnospairs,notresystèmetireimmédiatementlasonnetted’alarme:dansnotrecerveau,unezones’active–lamêmequecelledeladouleurphysique12.Sesentirrejetéfaitmal.Lorsqu’unenfantde3ansentredans une crise interminable de sanglots parce que deux de ses camarades neveulent pas jouer avec lui, il ne fait pas de cinéma : il traverse une immensesouffrance, qu’il est incapable de réguler seul ; son organisme est en étatd’alerte.Et,bienquelasociétécontemporainenouspousseànousséparerlesunsdes

autres, nous n’y sommes pas encouragés biologiquement : lorsque nous avonsdes comportements qui risquent de nous mener à l’isolement, lorsque noussommes égoïstes, injustes, compétitifs, individualistes, notre cerveau ne libèrepasdedopamineetlescircuitsdelarécompensenesontpasactivés13.Notrenatureestéminemmentsociale.Toutnotreorganismenous lecrie : je

vous invite à regarder sur Internet les vidéos des « expériences des visagesneutres14»pourvousenconvaincre.Cesexpériencesbienconnuesmontrentunparentquiinteragitnormalementavecsonbébé:illuisourit,luiparle,letouche.Puis il adopte une expression faciale neutre et immobile, continue de regarderson bébé mais sans répondre ni à ses sollicitations ni à ses regards. Le bébécommenceparessayerd’attirersonattentionpardesmouesadorables,puistapedesmains,sourit,pointedudoigt.Constatantquesesstratégiesdeséductionnefonctionnentpas, ilcommenceàdétourner leregard,s’agite,pleureetexprimeunegrandeangoisse.Dès notre naissance, nous recherchons la connexion avec l’autre, et si ce

contact disparaît, nous sommes en grande détresse. Pour l’être éminemmentsocialquivientdenaître,l’amourn’estvraimentpasuneoption;ils’agitd’unbesoinvital.

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LarelianceauseindelaclassedeGennevilliersAvant de commencer l’expérience de Gennevilliers, même si j’étais

convaincue, comme tous, des bénéfices du lien humain, j’étais loin dem’imaginer la réelle puissance de cette reliance : lorsque, dans un mêmeenvironnement, tout est pensé pour favoriser continuellement la rencontrepositive,l’entraide,laconfiance,lacompréhensionetl’empathie,lesenfantsserelient,collaborent,échangent,rient,partagenttoutelajournée.Dèslors,pardonde le direde cettemanière,mais c’est comme si nous entrionsdansune autredimension,jen’aipasd’autresmots.Nousredécouvronsl’êtrehumain,sanatureprofonde,sescapacitésréelles.J’aiétéplusque surprise : stupéfaitepar la transformationdesenfantsde la

classe. Tout a commencé à fleurir en eux : leurs capacités cognitives, leurmémoire, leurs capacités empathiques, leurs capacités sociales, la joie,l’enthousiasme, la stabilité relationnelleet émotionnelle, la créativité, etmêmeleur confiance en eux (et en l’autre). Alors que la plupart des enfants étaientarrivéslapremièreannéepeuconfiants,timides,n’osantpasparleràunadulte,au bout de quelquesmois leurs parents racontaient qu’ils étaient devenus sûrsd’eux,sûrsdesautres,confiants,ouvertsetpleinsd’allant.Il fallaitmaintenantles retenirdedire joyeusement«Bonjour !»à tous lespassants.Leurhumeurétait également stabilisée, ils étaient beaucoup plus calmes et heureux. Unemaman, qui travaillait tard le soir et que je n’avais par conséquent jamaisréellement vue à la sortie de l’école, vint un soir alors que j’étais en train derangerlaclasse.«Qu’est-cequevousavezfaitàmonfils?Jenelereconnaisplus. Il est calme, ouvert, posé, autonome, généreux. Il passe son temps àm’aideretàaidersesfrères.Ilparlebien,ilfaitattentionàcequ’ildit.Vousluiavezfaitquoi?Expliquez-moi»,medit-elleavecétonnement.Dans la classe, puisque nous connaissions les puissants bénéfices du lien

empathique et chaleureux, nous avons allègrement usé de ce levierextraordinairequ’est l’amour.Dès lepremier jour, et durant tous ceuxquiontsuivi,nousavonsveillé àentourerchaqueenfantd’unebienveillanceengagée,soutenante, juste et chaleureuse. Lorsque nous étions avec un enfant, noustâchions d’être pleinement présentes à la relation, et d’accueillir sonindividualité.Nous croyions en chaque enfant et, dans lesmoments difficiles,nouslessoutenionscommeleferaitunentraîneursportif:«Tuvasyarriver,jen’aiaucundoute,jeresteraiàcôtédetoitouslesjourss’illefaut.Noussommesune équipe, je suis avec toi. Nous allons y arriver. » Nous pouvions passerplusieursjoursquasiexclusivementaveccertainsenfantspourqu’ilsneperdent

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pas confiance. Ils pouvaient compter sur nous, et nous nous imposions ladisciplinedetenirlespromessesquenousleurfaisions.Cen’était pas évident tous les jours, bien évidemment, nous aussi pouvions

être fatiguées, tristes, en colère, agacées, irritées. Mais nous faisions notremaximum. Les enfants de la classe n’ont pas tous dépassé haut la main lesexigences du programme national – lamajorité oui ; d’autres, qui avaient desretards considérables, ont aumoins rattrapé la norme, ce qui représentait déjàune amélioration remarquable et inattendue. Néanmoins, ce que nous avonsremarqué avec les parents, c’est que grâce à cette ambiance chaleureuse,individualiséeetconfiante, tous lesenfantsontpu reprendreconfianceeneux.Cefutànosyeuxl’élémentleplusprécieux.Cettepostureaimante,confianteetsoutenantes’estrapidementpropagéeentre

les enfants. Dès les premières semaines, je fus surprise d’entendre certainsd’entre eux reprendre nos façons de nous comporter ou de parler. Lorsqu’unenfantétaittristeoumêmefâché–etdoncparfoisfoncièrementdésagréable–,ilyavaittoujoursuncamaradepourluidire,enluiprenantdélicatementlamain:«Qu’est-cequetuas?Tuesencolère?Tuestriste?»Ilsreproduisaientnoscomportements,enselesappropriantetenyapportantparfoisunecréativitéetuneintelligenceextrêmementpertinentes.«Tuasl’airtriste,disaientcertainsàuncamaradeàpeineplusâgéqu’euxquinesemblaitpasenforme,qu’est-cequisepasse?»Etsilecamaradenerépondaitpas,ilspoursuivaientenluiprenantlamain:«Resteunpeuavecmoisituveux.»Mais,laplupartdutemps,l’enfantinterrogéserépandaitenexplications:ilracontaittoutcequiluiétaitarrivé.Ilsessayaientalorsensembledetrouverunesolution.Annaetmoifûmesvraimenttrès touchéesparcesscènes lespremièresfoisqu’ellessedéroulèrentsousnosyeux. Quelle joie de constater que la chaleur et la bienveillance qui nousanimaientgagnaientprogressivementlesenfants!Leurs comportements empathiques s’adressaient également à nous. Je me

souviens d’une semaine où j’étais particulièrement stressée – j’avais mêmeplusieurs fois laissé échapper quelques larmes dans les bras d’Anna. Lahiérarchieadministrativenousmenaitlaviedure.Laclassemenaçaitdefermeràtoutmoment,etlesmenacesethumiliationsverbalesdel’inspectionacadémiqueétaient si nombreuses que je songeais sérieusement à porter plainte pourharcèlement moral. Dans ces moments, les enfants étaient d’une grandeprévenance et prenaient soin de solliciter davantage Anna pour les détailspratiques. Ils me réservaient de grandes marques de tendresse, venantdélicatementmeprendrelamain,ouposerlatêtesurmonépaule.Unjour,alorsquej’étaissurlepointdetoutabandonner,épuiséeparl’énergie

quejedevaisdéployerhorsdelaclassepourfairetenircetteexpériencejusqu’à

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latroisièmeannéepromise,etdécouragéepardesremarquesdésobligeantes,unenfantestvenuprèsdemoi.J’étaisassise,pensive,prèsd’ungrouped’enfantsenactivité.Ilm’aprisedanssesbrasetm’adit:«TusaisCéline,moijet’aime.Situveux,tupeuxmeparler.»Sonaffectionm’adonnéunréconfortinattendu.Jel’aiserréfortdansmesbras,etl’airemercié.Jevenaismoi-mêmed’éprouverl’extraordinaire pouvoir de l’affection empathique, de la compassion et del’amoursincère.Jepensepouvoiraffirmerquel’amourfutlapierreangulairedelaréussitede

l’expériencedeGennevilliers.Jesuiscertainequelaconfiance,l’empathieetlafoi que nous manifestions aux enfants ont littéralement embrasé leurintelligence, leurmémoire, leur humeur, leur santé et leurs qualités sociales etmorales.Lestestsn’ontpaspulemesurer,maisjen’aiaucundoutesurcepoint.Uneétude finlandaise récentenommée«TheFirstStepsStudy»montreen

effetque l’attitudechaleureuseetempathiquede l’adulteestplusdéterminantepour la réussite scolaire que les outils pédagogiques utilisés et même qu’unnombrerestreintd’enfantsparclasse15.Lesdonnéesdecetteétudesontsolides:les interactions de plusieurs milliers d’enfants avec leurs professeurs ont étésuiviespendantplusdedixans.Nourrisd’activitésréellesdanslesquellesilspouvaientlibrements’engager,et

nourrisd’amouretd’affectiontoutelajournéeauseindelaclasse,lesenfantssesontmisàrayonneret,aussi incroyablequecelapuisseparaître, ilssemblaientmême enmeilleure santé ; ils étaient plus beaux, plus lumineux. Ces enfantsétaientaimésetentourésdans leurcercle familialpar leurs frères, leurssœurs,leurscousins,leurscousinesetleursparents.Leursfamillesétaientchaleureuses,attentives,aimantesetfaisaienttoujourspreuved’unegrandedisponibilitépourles aider. Mais il semble que bénéficier en parallèle de la reliance et del’affectionportéesparungroupesocialplusélargidetrentepetitsêtreshumainsd’âges différents, tout en ayant la possibilité de se nourrir d’activités qui lesmotivaient(aumomentoùelles lesmotivaient),aconsidérablementparticipéàleurépanouissement.

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CréeruncadrepropiceaulienIl ne suffit pas de mettre des enfants dans une même pièce et de les

accompagner à être autonomes pour favoriser la reliance sociale. Il s’agit toutd’abord de réunir des enfants d’âges différents. Or, traditionnellement, nousclassonslesenfantsparannéedenaissance.Imaginonslaviolenceémotionnelleetsocialequenous imposonsàunenfantde3ansen leplaçantdans lamêmepièce que trente autres enfants de 3 ans, aussi peu autonomes que lui et nesachantpasmieuxs’exprimerousecontrôler…Quelniveaudestresssonpetitorganismedoit-ilaffronter?Iln’estpasétonnantqu’ils’accrocheauxjambesdesesparentspournepasaller à l’école. Il s’agitdonc toutd’abordde respecterunedesrèglesfondamentalesdelanature,quiveutquel’êtrehumainapprenneet s’entoure d’êtres qui n’ont pas lemême âge que lui : qui sont un peu plusjeunesouunpeuplusâgés,cequiluipermetàlafoisd’enseignerunpeu,toutenmodélisantlecomportementd’unaînéquilefascine.Lemélangedesâges,pourimportantqu’ilsoit,n’estpasnonplussuffisant.Il

est ensuite primordial de créer les conditions qui vont permettre et porter larencontre entre les enfants.Unede ces conditions, nous l’avonsmentionnédenombreusesfois,estlacapacitédel’adulteàencouragerleséchangespositifsetla compréhension entre les enfants. Une autre, absolument essentielle à monsens, est la capacité de l’adulte à poser les limites d’un cadre structurant etsécurisant.Les enfants doivent percevoir sans aucune ambiguïté qu’au sein de cet

environnement où ils sont libres d’agir, l’adulte veille à ce que l’intégrité dechacun soit toujours respectée. ÀGennevilliers, dès qu’un enfant outrepassaitdélibérément les règles explicites de la classe, en ne respectant pas sescamarades ou en abîmant volontairement du matériel, par exemple, notreréponseétaitimmédiateettrèsferme:«Ça,c’estnon.Jenesuispasd’accord.Lorsquetufaiscela(etnousdécrivionslascènedemanièreneutrepournepasque l’enfant se sente jugé), ton camarade est dérangé/lematériel est abîmé. »Nousexigionsensuiteunesolution:«Jetedemanded’arrêterimmédiatementetdeveniravecmoi,nousallonstrouverensembleuneactivitéquivateplaire.»Nous veillions toujours ensuite à proposer une activité qui intéressait l’enfantpour réorienter sagrandeénergieauservicedesondéveloppement.Laplupartdutemps,eneffet, ils’agissaitd’enfantsquineréussissaientpasà trouveruneactivité satisfaisante, et qui libéraient leur énergie inutilisée comme ils lepouvaient. Chez certains, ces comportements pouvaient se manifesterrégulièrement en début d’année, lorsqu’ils découvraient la classe. Un temps

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d’adaptationétaitnécessaire,illeurfallaitapprendreàêtreautonomes.Danscessituations,nouspratiquionsuneautoritéjusteetassurée.Nousétions

bienveillantes, respectueuses,mais fermes.L’enfantn’avaitpas lechoix.Nousn’hésitionspasàhausserletonsinousjugionscelanécessaire.Àmesurequelesenfants développaient leurs compétences exécutives et s’engageaient dans desactivités qui les intéressaient, ces comportements diminuaient progressivementpourdisparaîtreensuitecomplètement16.

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Delareliance,etnondeladépendanceL’amouretlesdifférentsnomsquenousdonnonsàcesentiment–altruisme,

bienveillance, tolérance, confiance, générosité, compassion – ne sont pas desoptionspédagogiquesousociétalesintéressantespourl’avenir.Cesvaleurssontleberceaudelasanté,del’intelligence,deshautesqualitésmoralesetsociales,de la stabilité et de l’intelligence émotionnelle, de l’enthousiasme et de lacréativité.L’amour et ses différentesmanifestations sont incontournables pourquisouhaiteaccompagnerledéveloppementharmonieuxetfertiledel’Humanitéde demain.Nous nepouvons pas nous épanouir au sein d’environnements quinousséparentetnousdressentlesunscontrelesautres.Cen’esttoutbonnementpasphysiologique.Caralors,nousavonstoutmaisilnousmanquel’essentiel:lachaleuretlasécuritéd’unegrandefamillehumaine.AuseindelaclassematernelledeGennevilliers,nousavonstentéderecréer

cesentimentd’«unité».Iln’yavaitniélèvesnimaître:uniquementdesenfantsetdesadultes,toussurlechemindel’autonomieindividuelleetcollective.Lesenfantsnem’appelaientpas«maîtresse»et jene les appelaispas«élèves».Nous nous appelions par notre prénom. Personne ne détenait la légitimité dejuger l’autre, pas même l’adulte. Nous passions nos journées dans une unitéhorizontale, comme celle que l’on ressent au sein d’une grande famille quisouhaitelemeilleuràchacundesesmembresetquiaidechacunàl’obtenir.Néanmoins,cefonctionnementhorizontalpaisiblenes’estpasmisenplacedu

jouraulendemain.Certainsenfantsayantpasséuneannéedematernelleauseind’un système « classique » ont eu besoin de toute une année scolaire pour serecentrersureux-mêmes,surleursenviesetleurspropresjugements.Habituésàun système vertical, où la vie de classe est régie par les directives et lesappréciations de l’adulte, certains enfants restaient « accrochés » à notrejugement, attendant nos injonctions et nos appréciations. Se réadapter à unfonctionnement horizontal fut pour certains d’entre eux d’une très grandedifficulté.J’ailongtempshésité,lorsquejepréparaismoninterventionTEDxen201317, à parler de ce phénomène, qui ne manqua pas de me surprendre lapremièreannée.J’ai finalement fait lechoixd’unsujetplus large,mais jesuisheureuse de pouvoir maintenant partager avec vous une anecdote qui m’aprofondémentmarquéeausujetdesappréciations.Lorsque nous avons commencé en 2011, la classe était constituée de deux

niveauxd’âge:desenfantsdepetiteetdemoyennesection,âgésrespectivementde3etde4ans.Lesenfantsdemoyennesectionavaientdoncdéjà«pratiqué»l’enseignement traditionnel lors d’une première année de maternelle. Dès le

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moisdeseptembre,jeproposaiauxenfantsunenvironnementauseinduquelilspouvaient librement choisir les activités qui leur avaient été individuellementprésentées. Ils étaient donc invités à être autonomes. Je m’attendais bienévidemmentàcequelesenfantsde4anssoientplusautonomesquelespetits.Quellenefutpasmasurprisedeconstaterquelaplupartdespetits,quin’étaientjamais allés à l’école, choisissaient leurs activités et les pratiquaient dans leurcoinavecconcentrationetjoie,faisantpreuved’autonomie,alorsquelesenfantsqui avaientdéjà été à l’école avaientunmal fouà comprendre l’intérêtmêmed’un tel fonctionnement.Sinousne leurdisionspasquoi faire, ilsne savaientpas quelle activité choisir. Non seulement ils n’avaient pas vraiment d’envieparticulière,mais ils avaientmêmepeur, vis-à-vis demoi, de faire lemauvaischoix : ils étaient perdus. Et, lorsqu’ils choisissaient enfin une activité, ilsguettaient avidement mon regard, attendant que je valide leur choix et leurtravail.Ilsvenaientconstammentprèsdemoietmedemandaient:«C’estbien,Céline ? » Ils attendaient et recherchaient la validation extérieure, le : «C’estbien.»Jelesrenvoyaisalorsàleurproprejugement:«Ettoi,est-cequetuescontentdetoi?Tuveuxcontinueroutuveuxenresterlà?»Jevoyais,àleurregardétonné,quemaréponselesdécontenançait.Quelquesenfantsontpurapidementcouperce liendedépendance,car,bien

quedéstabiliséslespremièresfoisparmaréponse,ilsretournaientrapidementàleur travail, jugeant qu’ils pouvaient se perfectionner davantage. Ils entraientalorsdansdelongsmomentsdeconcentrationets’amélioraienttrèsvite.Jamaisjen’auraispuobtenirceschangementsenle leurdemandantmoi-même.Ilsnepurentlefairequeparcequ’ilsl’avaienteux-mêmesjugénécessaire.Cesenfantsredevenaientviteautonomes:ilsvenaientalorsmemontrerleurtravaildetempsàautreavecungrandsourireetn’attendaientdemoinijugementnivalidation,mais simplement que je regarde. Ce que je faisais : je me réjouissais trèssincèrementmaisdemanièreneutre,c’est-à-direendécrivantcequejevoyaisetsans ymettre de jugement de valeur : «Waouh…Tu as colorié la totalité dumandalaavecdubleu,durougeetduviolet!Tuescontent?»Ilsfaisaientouidelatêteenaffichantunsourirerayonnant,etrepartaientpourcontinuer.Bienévidemment,lesenfantsquigrandissentontbesoindenotreregardpour

seconstruire,etilsleréclament:«Regarde,maman!Regarde,jetiensdeboutsurletroncd’arbre!»Maisilestimportant,afindenepaslesrendredépendantsde notre jugement, que ce regard reste un : « J’ai vu ! » plutôt qu’un : « Jevalide.»LafaçondontnousprocédionsàGennevilliersconsistaitàleurmontrernotrejoiedelesvoircontentsd’eux-mêmeset,plutôtquedejugerleuracteparun : « C’est bien », qui rend rapidement les enfants dépendants, nous nousimposionsladisciplinededécrirecequ’ilsfaisaient:«Tuesmontésurletronc

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d’arbre, et tu tiens en équilibre !Waouh ! Je vois que tu es content, je suiscontente pour toi ! » Il s’agit de porter l’enthousiasme de l’enfant en seréjouissantaveclui.Lessemainespassant,jem’apercevaisquelesenfantsdemoyennesectionqui

avaient le plus de difficultés à faire seuls et à y prendre du plaisir étaient les«bonséléments».Ilsétaientincapables,pendantplusieurstrèslongsmois,deserecentrer sur leurs propres envies et de prendre plaisir à effectuer une activitéseuls,sansavoirenretouruneappréciationdemapart.Jerevoisencorecertainsd’entreeuxseplongerdansuneactivitéetseredresserlorsquejepassaisàcôté,espérantquejedise:«C’estbien!»Cequejenefaisaispas.Ilsfinissaientalorspar se leverde leurchaisepourvenir jusqu’àmoi,pensantque jene lesavaispeut-être pas vus, et ils me posaient la question : « Céline, est-ce que c’estbien?»Ilmefallutbeaucoupde tempspouraiderces«bonséléments»àseséparerdu jugement tout-puissantde l’adulteetà se reconnecterdenouveauàleur jugementpersonnel. J’aivraimentcruque,pourcertainsdecesenfants, ilétaittroptard.Plusilsétaient«scolaires»,toujourslespremiersàrépondreauxquestionsetauxdemandesdel’adulte,etplusilsavaientdedifficultésàchoisirleursactivitésetàjugerpareux-mêmeslerésultat.Jevoyaisleurregardencoinguettermesexpressions.Jemeforçaisàêtretotalementneutre.Certainsenfantsontsouffertdecettesituation.Vraiment,jenevouslecache

pas, et en y repensantmaintenant, je dois reconnaître que j’ai la gorge qui seserre.Lespectacledecespremièressemainesétaitvraimentdésolant.Ilsavaient4 ans, et ils étaient déjà complètement décentrés d’eux-mêmes, accrochés aujugement arbitraire de l’adulte, et passionnés non par l’exploration et ladécouvertemaispar la possibilité de fairemieuxque le voisin et d’augmenterleur capital sympathie auprès de lamaîtresse. Et, pendant ce temps, je revoisencorelespetits,totalementinconscientsdecequetraversaientlesplusgrands,consacrer de longs moments, tout seuls dans leur coin ou à plusieurs, à desactivités qui les passionnaient. Ils ne prêtaient guère attention à moi, ilsévoluaientàleurrythmedanslajoie,laconcentrationetl’exploration.Je dois le reconnaître, si je n’ai pas douté une seule seconde que tous ces

enfants pourtant issus de milieux défavorisés réussiraient à assimiler lesapprentissagesfondamentaux,voireàêtreenavancesurleprogramme,ilyeutdenombreuxmomentsoùjedoutaisréellementdepouvoirrendreàcertainsleurautonomie. Et, je dois vous le dire, les aider à lire ou à compter n’avait plusaucun intérêt pour moi s’ils ne le faisaient pas pour eux, avec une joie, uneliberté et une autonomie totales.Afin de leur rendre la liberté que le systèmescolaire leur avait prise, nous avions trouvé une solution qui a sembléfonctionner : nous ne manquions pas une seule occasion de nous réjouir

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explicitement, pour eux, lorsque nous les voyions intéressés par une activité :«Ah, je vois que tu es content de faire cette activité ! J’aime te voir contentcommeça.J’espèrequetutrouverasd’autresactivitésquiteplaisentautant.»Etcommenousnousréjouissionspourleseffortsetlesréussitesdetous,quellequesoitleurcomplexité,progressivement,lesenfantsdemoyennesectionontarrêtédesecomparer,etleursélansspontanésempathiquesontpusedéployer.Unefoiscetteautonomierétablie,cesenfantsn’étaientpluslesmêmes.Leur

caractère changeait, ils se fixaient des objectifs ambitieux que nous n’aurionsjamaisoséleursuggérer,ilss’épanouissaientetarrêtaientdesecomparerlesunsaux autres.Quel travail, quelle patience et quelle énergie celam’a demandé !Commecefutdifficiledevoircertainsdecesenfantssansrepèresmeguetter,complètementdécontenancésparcenouveaufonctionnementdeclassedénuédegratificationextérieure, etneparvenantpasà se reconnecterà leur systèmedegratification intérieure. Ilm’aura fallu trouver le justemélange de fermeté, dedétermination,deconfiance,depatienceetdebienveillance.Et,jetiensàledire,j’airégulièrementfaitdeserreurs:cesontellesquim’ontpermisdecomprendreetdepréciser, lesmoispassant, lapostureet les réponses lesplusappropriéespourlesenfants.Quel soulagement lorsque je pris conscience, peut-être au mois de février,

environcinqmoisaprèsledémarragedel’expérience,quelamajoritédesgrandsavaient de nouveau renoué avec leurs élans intérieurs. Libérée de ce lien dedépendance,l’ambiancedelaclassepouvaitenfindevenirpaisible,harmonieuse,horizontale.Nouspouvionsnousrencontrer,etnoussentirunis.Un jour, je dus m’absenter. Faute de remplaçant, les enfants avaient été

répartisdansdifférentesclasses.Lelendemainmatin,uneenseignantemetenditdespapiersetmedit :«Tiens,cesont lesactivitésque j’aidonnéeshierà tes“élèves”quandilsétaientdansmaclasse.Jelesaicorrigées,tupeuxdirectementlescollerdanslescahiers.»C’étaittrèsgentildesapart,très«carré»,etjelaremerciaipourcela.Jeregardailesboutsdepapiers:ils’agissaitd’untravaildegraphisme destiné aux enfants demoyenne section ; ils avaient dû reproduiredifférentes formes afin d’exercer leur main à l’écriture. Au feutre rouge,l’enseignanteavaitcorrigéletravaildecesenfantsde4ans–qui,soyonsclairs,n’auraient pas été capables de faire mieux après ce coup de feutre rougeculpabilisant. Elle avait par ailleurs écrit de sa plus belle écriture sur un despapiers(leplusréussi):«BravoLéa18!C’esttrèsbien!»Jenepeuxpasledireautrement:cetteinscriptionmefitmal.Jevenaisjustementdepasserplusieurslongsmoisàrendreàcettepetitefilletantsonautonomiequesabienveillanceàl’égarddesautresenfants.Etlà,j’avaissouslesyeuxl’armeducrime.Jamais,jamaisjen’auraisimaginélepoidsdechacundecesmotsécritsaufeutrerouge,

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sijen’avaispas,aupréalable,passédelongsmoisàtenterderendreàce«bonélément»sonenviedefaireseuleetsescapacitésempathiques.Pour permettre aux enfants de vivre la reliance sociale et ses effets

puissammentbénéfiques,ilfallutd’abordcoupercesliensdedépendanceetlesreconnecteràeux-mêmes.Lorsquecelafutfait,ilnerestaitplusqu’àsoutenircequisemanifestait,tantd’unpointdevuecognitifqued’unpointdevuesocialetmoral.

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2.

Soutenirl’expressiondestendancessocialesinnées

Entantqu’êtressociaux,noussommesprédisposésàlareliance:lorsquenoussommes livrés aumonde, à la naissance, nous sommes câblés pour entrer enrésonanceavecl’autreetprédisposésàagirdemanière justeetéthique,cequinouspermetdevivreensembledansunecertaineharmonie.Nousdisposonseneffetdecapacitésempathiquesetd’unsensmoralaigus,quisemanifestentdèslespremiersmoisdevie.N’est-cepasuneexcellentenouvelle?Nousn’avonsdoncpas àcréer l’empathie, le sensmoralou l’altruismechez l’enfant, il naîtdéjàavec.Nousn’avonsqu’àsoutenirledéveloppementdecesqualitésmoraleset sociales, encommençant toutd’abordpar les reconnaître, en lesnourrissantensuitepositivement,etenfinenleurlaissantlaplacedes’exprimer.

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DescapacitésempathiquesinnéesQue la personne avec qui nous échangeons soit heureuse, joyeuse,

bienveillante, furieuse, tristeouanxieuse, sesémotions résonnentennous. Il aétémontré, en effet, que le simple fait d’écouterquelqu’unparler active, dansnotrecerveau,lesmêmeszonesquedanslesien.Lorsqu’unêtrehumainsouffre,unezonespécifiqueàladouleurs’activedanssoncerveau;et,lorsquenouslevoyonssouffrir,cettemêmezones’activedanslenôtre:voirquelqu’unsouffrirfaitsouffrir.Les émotions de l’autre, qu’elles soient agréables ou pénibles, pénètrent

malgrénousdans l’intimitédenotreboîtecrânienne.Quelquechosede l’autreexiste en nous. Cette résonance empathique existe dès la naissance : uneexpériencemontrequ’ilsuffitqu’unnourrissond’unjourseulemententendelespleursd’unautrenourrissonpourqu’ils’unisseenchœuràsapeine1.Ces capacités empathiques innées nous conduisent spontanément à des

comportements altruistes : nous avons naturellement tendance à tenter desoulager la peine de l’autre, uniquement dans son intérêt et sans en tirer debénéficespersonnels–hormisceluigénéréparlajoiedeluivenirenaide.

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L’élanaltruistespontanéAudébutdelavie,lavolontéd’aiderl’autren’estpastoujourstrèsadaptée:à

14ou15mois,lesenfantstententdeconsolerunautreenfantenluidonnantunjouetouunnounoursquilesréconforteraiteux-mêmess’ilsétaienttristes,sansprendreencomptelapréférencedel’autre.Ilsontencoredumalàcomprendreque le besoin de l’autre puisse être différent du leur. La chercheuse AlisonGopnik racontequ’après avoir passéune trèsmauvaise journée au laboratoire,elles’effondrasurlecanapédesonsalonetsemitàpleurer.Sonfils,quin’avaitpastoutàfait2ans,observaitlascène.Voulantaidersamère,ilserenditdanslasalledebainset revint avecuneboîtepleinedepansements,qu’il lui collaunpeupartout2.L’élanaltruisteestbienprésent,mêmesilespremierstemps,l’aiden’estpas

toujours très adaptée. La recherche montre néanmoins que, si nous attironsrégulièrementl’attentiondel’enfantsurlesbesoinset lesintentionsdesautres,etquenousl’aidonsàlescomprendre, l’enfantferaprogressivementpreuvedecomportements altruistes raffinés ; il apportera des aides de plus en plusappropriées3.L’éducation la plus efficace pour développer de grandes qualitésaltruistesetempathiqueschezlesenfantsseraitdonc,selonleschercheurs,cellequiprésupposeuneprédispositionaltruistechezl’enfantetquilanourrit4.Unesériepassionnanted’expériences5menéesparFélixWarnekenetMichael

Tomasello confirme les élans altruistes spontanés du jeune enfant. Dès qu’ilcommenceàmarcheretàsedéplacerseul,ilaidenaturellement.Leschercheursont placé des bébés de 14 mois, chacun à son tour, dans une salle avec unepersonnequ’ilsneconnaissaientpas.Cettepersonne réalisaituneactivitédansson coin, sans faire attention à l’enfant. Elle écrivait, étendait du linge ouessayaitderangerdeslivresdansunplacard.Siellefaisaittomberparterresoncrayonouunepinceàlingeetqu’elleneparvenaitpasàlesrécupérer,lesjeunesenfants,quisavaientpourtantàpeinemarcher,accouraientspontanémentàsonsecourssansquerienneleuraitétédemandé6.Mêmechosesielleneparvenaitpasàouvrirleplacardpourrangerseslivres.Surprisparcesrésultatssansappel,les chercheurs ont compliqué la tâche, etmis à l’épreuve l’altruisme du jeuneêtre humain. L’expérience a donc été répétée, mais cette fois-ci, des objetsencombrantsontétéplacésausol,entrel’enfantet l’adulte.L’enfantsachantàpeinemarcherdevaitainsifournirungroseffortpourvenirenaideàl’adulteendifficulté. Ces obstacles allaient-ils freiner son élan altruiste ? La réponse estnon.Àlagrandesurprisedeschercheurs,lesenfantsenjambaientlesobstacleset

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continuaient de venir en l’aide à l’adulte ! Les expérimentateurs, interpellés,décidèrentalorsd’éprouverencoredavantagelesardeursaltruistesdesenfants:ilsmirent à leur disposition des jouets passionnants, comme unemerveilleusepiscine à balles. Le désir d’aider serait-il plus fort que celui de jouer ? Laréponse fut oui : lorsqu’ils percevaient la difficulté de l’adulte, les bébésabandonnaient leur jouet, traversaient la pièce en escaladant tant bienquemallesobstaclesausoletvenaientenaideà l’adulte,pourretournerensuiteà leurjeupassionnant.Cequiestfrappant,c’estqu’aucunedemanden’avaitétéfaiteauxenfants.Il

s’agissait chaque fois d’un élan réellement spontané. Matthieu Ricard, moinebouddhiste et chercheur engénétique cellulaire, confirmedansunouvragequirecense les études internationales sur le sujet que cette inclinaison altruiste estnaturelleetuniverselle,qu’elleestobservéecheztouslesenfantsdecetâge,etce, dans toutes les cultures7. L’altruisme n’est donc pas un apprentissageculturel,maisunevéritabletendanceinnée.Aufond,nouslesavionsdéjàdansnos cœurs,mais il est vraiment réjouissant que la recherche le confirme. Il nes’agitdoncpournousquedesouteniretdenourrircettetendancequis’exprimespontanémentetquipréexisteàtoutenseignement.Cetravailde«soutien»nenousdemanderapasdegrosefforts:lajoieetla

satisfaction que les enfants retirent de leurs gestes généreux sont immenses !Eux-mêmes recherchent ces situations d’entraide qui leur font du bien. Nousl’avonsvu,eneffet:encasdecomportementsprosociaux,lecerveausécrètedeladopamine,quiagitsur lescircuitsde la récompenseetprocureplaisir,bien-être et enthousiasme8 ! Une expérience montre la force de cette récompenseintérieure:unenfantdemoinsde2ansàquil’ondonneunbonbonéprouveunejoieplusimportantes’ildécidededonnercebonbonàunautreenfantplutôtquedelegarderpourlui-même9.

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NotretendanceprosocialeenrayéeEnnousséparantlesunsdesautres,notresociétécontemporaineafortement

tendanceànousdévierdenotrenatureéminemmentsocialeetnousinciteàdescomportementsindividualistes,injustes,compétitifs–quisontd’ailleursentraindenousrendremalades.Mais,encasdegranddanger–attentats,catastrophesnaturelles,accidents–,notrenatureprofonderefaitsurfaceetnoussommesalorssurprisparlagrandeurdel’esprithumain:aprèss’êtremisesàl’abri,lepremierréflexe des personnes impliquées dans de tels désastres – lorsqu’elles en ontencorelescapacitésphysiquesetmentales–,c’estdetendrelamain.Uncentreuniqueaumonde10étudiedepuisplusdetrenteanslescomportementshumainsqui émergent juste après ce type de catastrophes. Les conclusions sont trèsclaires : on observe massivement des élans altruistes ; les comportementségoïstes,voireagressifssontextrêmementmarginauxcontrairementàcequelesmédias tendent à nous faire croire. Certaines personnes mettent leur vie endanger pour en aider d’autres qu’elles ne connaissent même pas ; d’autresprêtent le peu qu’il leur reste : argent, voiture, maison, etc. Observer cesmanifestations altruistes nous fait du bien : il suffit de constater le nombre defois qu’a été visionnée sur Internet une vidéo montrant un geste altruisteinattendud’unindividuenversunautre.Tendrelamainàunêtredanslebesoingénère un sentiment si étrange… une légèreté, une présence merveilleuse, lasensationsurprenanteettrèsparadoxaledefaireunpasverssoi-même.Etc’estcertainementcequenousfaisons.Enoffrantdel’aideàl’autre,enluimontrantnotrebienveillance,nousnousréunissonsavecnotrenatureprofonde.Cettetendancenaturellementprosocialepeutnéanmoinsêtreabîméependant

l’enfance.Pour le cerveaudu jeuneêtrehumainencore immature, laviolence,surtoutsielleestrépétée–lesgifles,lesinsultes,lesjugements,leshumiliations,les:«Tais-toi!»–agitcommedescoupsdecouteauxquilaissentdescicatricesdans le maillage cérébral ; ils tracent des sillons, des automatismes, quel’intelligenceestsusceptibled’emprunterparlasuite.Lesétudessurlesujetsonttrèsclaires11:l’atrophiedel’empathiechezl’individuestliéeàlafaçondontilaététraitépendantl’enfanceparsonentourage,etàlafaçondontilaobservésonentouragesecomporteravec lesautres.Nousnaissonsempathiques,maisnousnaissons également avec un mécanisme puissant d’apprentissage, et nousmodélisons très vite les comportements de l’autre – les meilleurs comme lespires.Ilyapeudetemps,j’aiobservéunescènedanslemétroparisien.Unedame

entre dans la rame avec son fils d’à peine 3 ans, qui la devance et prend la

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dernière place assise disponible. Elle lui demande de se lever de façon trèssèche.L’enfant,quiavait l’airfatigué,seserrecontrelapersonneassiseàcôtédeluipourlaisserunpeudeplaceàsamaman.Furieuse,elleattrapesonfils,lemet debout, et dit à voix haute devant tout lemonde : «Tuvas rester deboutjusqu’àlafinduvoyage,çat’apprendra!Moijesuisassise,jesuisbien,maistoituvasrestercommeçatoutlevoyage.– Maman, s’il te plaît, je peux venir sur tes genoux ? » demande-t-il en

sanglotantetengrimpantsurlesgenouxdesamère.Mais elle le repousse : « Tu restes debout, jeme fiche que tu sois bien ou

non.»L’enfant redouble alors de pleurs, qu’il essaie malgré tout de retenir. Ce

n’étaitpaslechagrinquibouleversaitl’enfant,maislacolère.Lacolèredeceluiquel’onhumiliepubliquementetinjustement,lacolèredufaiblequidoitsetaireface à l’irrespect imposé par la force. Nul besoin de coups pour abîmer. Ceshumiliations laissent des traces. La recherche montre que ce type decomportements insultants, dégradants, dépourvus de bienveillance et porteursd’une grande violence altèrent gravement la capacité empathique de l’enfant,dans l’immédiat et pour le futur. Cette dame cherchait certainement à fairecomprendre à son fils qu’elle voulait qu’il lui obéisse tout de suite et qu’il nenégocie pas.Or, sans le vouloir, elle était en train de lui enseigner tout à faitautrechose:laforcelégitimel’humiliation–mêmeenversceuxquel’onaime,etmêmelorsqu’ilssouffrent.

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DesintuitionsmoralesinnéesLes jeunes enfants aident spontanément un adulte en difficulté qu’ils ne

connaissent pourtant pas. Néanmoins, la recherche nous révèle que, face àl’épreuve de la morale, l’altruisme devient hautement sélectif : les enfantspréfèrent,dès l’âgede3ans,aider lespersonnesgentillesplutôtquecellesquifontdumalauxautres12.L’êtrehumainnaîtrait-ilégalementavecdesintuitionsmoralesetéthiques?Toutsembleindiquerqueoui.Lesrecherchesrécentesmontrentquenousnaissonstousavecunecapacitéà

distinguerlebiendumal,etàpréférerspontanémentlebien.C’estentoutcascequ’affirmePaulBloom,psychologuecognitifàl’universitéYale13,ainsiquedenombreuxpsychologuescognitifsqui testentactuellementde tout jeunesbébéssurcesujet.Uneséried’expériencesarévéléquedesbébésdeseulement6moisétaientcapablesdedistinguerlebiendumaletdeclairementpréférerlebien.Cesbébésontétéplacés individuellement faceàun théâtredemarionnettes.

Ilsobservaientalorslascènesuivante:unefigurinerougeessaiedegravirunecollineencarton-pâte.Ellen’yparvientpas.Apparaît alorsuneautre figurine,bleue, qui l’aide à monter en la poussant. La scène se rejoue ensuitedifféremment:lafigurinerougeneparvienttoujourspasàgrimpersurlacolline,et cette fois-ci une figurine jaune apparaît en haut de la colline et empêche lafigurine rouge de monter, en la repoussant vers le bas. L’expérimentateurprésenteensuiteàl’enfantlesdeuxfigurines–lableueetlajaune–sansaucuncommentaire. Il invite l’enfantàchoisircellequ’ilpréfère.Lerésultatestsansappel:presque100%desbébésde6moispréfèrentlesfigurinesquionteuuncomportement prosocial et qui ont aidé la figurine jaune à gravir la colline14.Bien évidemment, pour être certains qu’il ne s’agit pas d’une préférence decouleur, les expérimentateurs changeaient constamment la couleur des figures.Et,peuimportesacouleur,c’esttoujourslafigurine«gentille»quiestchoisieparl’enfant.L’expériencefutrépétéeavecunscénariodifférent,présentantcettefois-cides

peluchesjouantàselanceruneballe,etavecdesbébésencoreplusjeunes–âgésde 3 mois15. Le résultat est à nouveau sans appel : presque 90 % des bébéspréfèrentlapeluchequiajouéetéchangégentimentdesballes,etsedétournentde la peluche qui a gardé la balle pour elle seule.Dès3mois de vie, le bébéhumainpossèdedoncdéjàunemoralerudimentaire,quisemblepréexisteràtoutenseignement:nonseulementilpréfèrelesindividusquisecomportentdefaçonpositiveetcoopérative,maisilmontreparailleursuneréelleaversionpourceux

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dontlaconduiteestégoïsteetnégative.Eneffet,sil’expérienceestrépétéeavecunpersonnageneutre–quinefaitnibiennimal–etunpersonnage«mauvais»,qui se comporte mal, les bébés préfèrent encore le personnage neutre ! Leuraversionnaturellepourle«mauvais»eststupéfiante.Les scientifiques qui ont mené ces expériences au sein de l’institut Max-

PlanckdeLeipzigontétéfortsurprisparlapuissancedecesensmoralchezlesjeunesenfants.Ilsontdoncsouhaitélemettreàl’épreuve.L’expérienceaalorsétérenouveléeavecdesenfantsde1an,maiscettefois-ci,àlafindelascène,lorsqueétaitofferteàl’enfantlapossibilitédechoisirunedesdeuxpeluches,lebon personnage donnait une friandise à l’enfant, alors que lemauvais, lui, enoffraitdeux.Lagourmandiseallait-elleprendreledessus?Aussisurprenantquecelapuissesembler,lesjeunesenfantspréfèrentencoresepriverd’unefriandise,etchoisirle«bon»personnage!Le seul élément qui oriente leur préférence vers une peluche au mauvais

comportement est le sentiment d’affinité : les bébés préfèrent la «mauvaise »peluche s’ils se sentent reliés à elle par un point commun. Lorsque, avant lasaynète, l’expérimentateur demande à l’enfant s’il préfère les Cheerios ou lesGolden Grahams, et qu’il présente les deux peluches en précisant que lamauvaise préfère lemême type de céréales que lui, alors huit enfants sur dixchoisissentlapelucheau«mauvais»comportement.Pourlesjeunesenfants,lespointscommunsprévalentsurlamoraleetlejugementnégatif.C’estpourquoi,danslaclasse, lorsqu’ilarrivaitauxenfantsdesefâcherentreeuxetdenepasêtred’accord,nousévitions«laséparation»,enlesaidantplutôtàsesouvenirdetoutcequ’ilsavaientencommun.Laconséquenceétaitsouventimmédiate:l’enfantoffensé,quiavaitpumettredesmotssursonémotion,l’exprimeràsoncamarade, et convoquer tout ce qui le reliait à l’autre, repartait jouer de plusbelleaveclui.Ladisputenesemblaitavoirétéqu’undétail.Celamesurprenaitbeaucoup, ilsuffisaitparfoisdequelquessecondespourqu’ilsreprennent leursjeuxenriant,levisageencoremouillédelarmes.Sil’onveilleàrenforcercequilesunit,larancœurnetientpaslongtempsdanslecœurdesenfants.Nous passons beaucoup de temps et consacrons beaucoup d’énergie à

inculquer le sentiment de bien et de mal à nos enfants. Or ces expériencesmontrentqu’ilsviennentaumondeaveccesconnaissances,etqu’ils’agitencoreunefoisnonpasdecréerquoiquecesoitàpartirderien,maissimplementdereconnaîtrecescapacitésprécocesetdesoutenirleurdéveloppementenplaçantl’enfantdansdesconditionsoùellespourronts’épanouirettrouverdesexemplesinspirants.Uneétudemontrequedesenfantsdematernelle saventque frapperest«mal»,etleuropinionnechangepassiunadulteleurassurequec’esttoutà

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faitacceptable16.Ilssontdonccapablesdesavoirpareux-mêmessiunacteestjusteounon.Ilslesaventdansleurscœurs.Cesensmoralestsiprégnantqu’àl’âgeadulte,lorsquenoussommestémoinsd’unacteinjusteouimmoral,lazonedenotrecerveauquis’activeestlamêmequecellequis’activeencasdedégoûtliéàuneodeurouàunesaveur17.Nous ne sommes donc pas des êtres prédestinés à vivre isolés les uns des

autres, dans un climat d’injustice, d’incompréhension, d’individualisme etd’immoralité. Nous devons prendre conscience qu’une de nos grandesresponsabilitésestdereconnaîtrecettenatureaimanteetjustedel’enfantpourlaporteretlaguider.

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Souteniravecdesrécompenses?Comment donc soutenir et épanouir ces potentiels sociaux embryonnaires ?

Faut-il récompenser nos enfants lorsqu’ils se montrent généreux ou altruistespourlesencourager?Tomasello&Warnekenont souhaitéobserver l’impactdes récompenses sur

lesélansaltruistesdesenfants.Lesvoicidonc repartispourunenouvelle séried’expériences18,avecdejeunesenfantsde20mois.Cettefois,l’expérimentateurrécompense par un jouet, de manière aléatoire, les enfants qui ont eu uncomportement altruiste : certains enfants étaient donc récompensés, d’autresnon.Le résultat estvraiment très interpellant : contre toute attente, les enfantsquin’avaientpasétérécompenséscontinuaientd’aider,etceuxquil’avaientétéaidaient beaucoup moins par la suite. La gratification extérieure venait toutsimplement court-circuiter la gratification intérieure. Le plaisir devenaitextrinsèqueetnonplusintrinsèque.Etvisiblement,ceplaisirartificielextérieurest beaucoupmoins fort que la récompense biologique naturelle intérieure : iln’encouragepaslesenfantsàpoursuivre.Danscetteexpérience,lesenfantsdontle systèmede récompense endogène n’avait pas été court-circuité continuaientgaiementetspontanémentd’aiderlesadultesendifficulté.Nous procédons malheureusement exactement de la sorte pour

l’apprentissage:l’enfantquiapprendseul,ensuivantsacuriositéspontanée,estnaturellement récompensé par de la libération de dopamine qui lui procuresatisfaction, joie,enthousiasme,optimisesamémoireet l’inciteàconstammentexplorerpourtoutcomprendre.Nulbesoindelerécompenserpourfairemieux,son système de récompense intérieur lui donne déjà des ailes, il est prêt àconquériretàrésoudretouslesmystères.Lesobjectifsqu’ilsefixelui-mêmeensuivantsesélansintérieurssontsiambitieuxquenousn’aurionsjamaisoséleslui proposer. Puis l’enfant entre à l’école maternelle. Il se retrouve alors laplupart du temps coupé de ce système de récompense intérieure : il doitmaintenant apprendre laborieusement au rythme des injonctions d’unprogrammescolaireetaurégimederécompensesextérieuresquesontlesnoteset les appréciations. Tout son système de joie et de guidance intérieures’effondre : non seulement l’enfant ne fait plus ce qui le motive, mais s’ilréussissaitmalgrétoutàtrouverunemotivationintérieurepourfairecequenousexigeonsdelui,celle-ciseraitneutraliséeparnosrécompensesexogènes.Dansdetellesconditions,bienquelejeuneêtrehumainsoitcâblépourcela,

apprendrenel’intéresseplusetluicoûte;ilenlèveraitpresquelesyeuxauciel.Ainsi,auseindelaclassematernelledeGennevilliers,nousavonsveilléàne

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pas court-circuiter les élans endogènes des enfants. Ils pouvaient tout d’abordsuivre leurs propres intérêts au moment où ils se présentaient sans suivre unprogramme extérieur prédéterminé. Ensuite, ils n’étaient pas récompensés nimatériellement(pardescartes,desbonbonsoudesbonspoints)niverbalement(par des appréciations positives). Je suis intimement convaincue que cettemanièredeprocéderapermisauxenfantsderesterconnectésavecleursystèmede récompense intérieure et d’apprendre beaucoup plus vite (et beaucoup plussolidement).Ilsallaientàl’écolepoureux,pourapprendre–etnonparcequ’ilsyétaientobligés.Leurjoieetleurpassionpourl’écoleétaientsurprenantes.Undesprincipauxretoursdesparents,quevouspourrezconstaterenregardant lestémoignagesvidéo19,futleurétonnementlesjoursoùiln’yavaitpasécole–lesjoursfériés,lesvacancesoucertainsmercredissansécole:leursenfantsétaientfrustrés, voire désespérés. Une maman raconte que, pendant les vacances defévrier,safillecomptaitlesjoursavecimpatiencejusqu’àlareprisedescours;une autre que son fils pleurait tellement un jeudi férié qu’elle a dû l’amenerdevant la grille fermée pour qu’il se rende à l’évidence ; une autre mamantémoigne : «Monproblèmeavec cette classe, c’est quand elle estmalade : jedoismefâcherpourqu’elleresteaulit,elleveutquandmêmealleràl’école.»Nombreux furent les parents qui constatèrent avec beaucoup de surprise cephénomène.Et,quecelasoitclair,lesenfantsnepleuraientpaspournousvoir,Anna et moi, mais pour être dans la classe et faire leurs activités avec leurscamarades.

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ReconnaîtrelesprédispositionssocialesetlesnourrirpositivementCommentdoncnourrircesprédispositionssocialesetmoralesinnéessinous

ne pouvons pas les récompenser ? Afin de soutenir efficacement ledéveloppement de comportements altruistes chez l’enfant, la recherche nousindiquequ’ils’agit:–dereconnaîtrel’existenced’uneprédispositioninnée,etdoncdeconsidérer

les enfants comme naturellement empathiques et altruistes. Ainsi, les enfantsmontrent naturellement plus de comportements bienveillants et généreux àl’égardd’autrui20;–denourrirsoi-mêmepositivementcetteprédispositionauquotidien,enétant

tout d’abord affectueux, bienveillant et empathique envers l’enfant21, maiségalementenverslesautres22.Desétudesmontrenteneffetunecorrélationtrèsclaireentreleniveaudegénérositédecertainsadultesetceluideleursparents:pluslemodèleparentalestgénéreux,plusl’enfantl’estégalement23;– d’offrir des situations à l’enfant où il aura la possibilité d’avoir

régulièrementdescomportementsaltruistes : se sentir responsabledubien-êtred’unautre(ensituationdetutoratdansuneclassed’âgesmélangésparexemple)estunecomposanteessentielledudéveloppementdel’altruisme24.Ces trois dimensions faisaient partie du quotidien des enfants pendant trois

annéesauseinde laclassematernelledeGennevilliers.Ledéveloppementdescomportements altruistes fut remarquable et remarqué dès les premiers moisavecbeaucoupdesurpriseparlesparentsdesenfants.La recherche indique par ailleurs que l’enfant a plus de probabilités de

développeruneforteconsciencemoralelorsquesesparentsassurentnéanmoinsdes limitesclaireset justes, touten respectant sonautonomieeten l’invitantàrespecter la leur25. Nous avons tenté de proposer aux enfants de la classe cecadre de bienveillance et de respect des règles, et il semblerait, au regard desqualitésmoralesquiontfleurichezeux,quenotreeffortaitportésesfruits.

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Quesontdevenuslesenfantsdelaclasse?Il s’agit d’une question quim’est souvent posée. Je crois qu’il y a derrière

cette interrogation la crainte que les enfants aient «mal vécu » le retour à unsystèmetraditionnel,notammentenélémentaire.Sesont-ilsadaptésauxactivitésimposées ? À l’autonomie limitée ? Ont-ils conservé leurs compétencessociales ? Sont-ils toujours aussi généreux et empathiques ? Ont-ils de bonsrésultatsscolaires?D’aprèsmes échanges avec les parents et leurs enfants, ces derniers ont en

quelquesortefaitl’expériencequeviventlesjeunesenfantsquiintègrentpourlapremière fois (à 3 ans) l’école traditionnelle en maternelle : au début, c’estdifficile,puisprogressivement, ils s’adaptent àcesnouvellesconditions–plusoumoinsbienselonlescas.CommepourtouslesenfantsdeFrancequivontàl’école,certainsviventbiencetteadaptationforcée,d’autresbeaucoupmoins.Pour tous les enfants de la classe ayant ensuite intégré des classes

traditionnelles,ilressortclairementdespremierstempsqu’ilsauraientaiméêtreplus libres, plus autonomes, et qu’ils ont regretté la démarche active etindividualisée de leurs années dematernelle. Une petite fille a ainsi dit à sesparentslespremièressemainesdeCP:«C’étaitplusamusantavant,onn’étaitpasassisàlatableàécrire,onapprenaitenjouant.Etaussimaintenantquandjecomprendspasquelquechose, jeveuxpasdemanderà lamaîtressecarellevacroirequej’aipasécouté!»Les erreurs ou les incompréhensions « mal vues » par l’adulte furent

surmontées pour la plupart. Pour d’autres, cela leur fit perdre leurs moyens,notamment un petit garçon : « Mon fils avait commencé à lire à 4 ans, enmoyenne section dematernelle, explique unemaman, il était heureux, joyeux,fier.MaismaintenantenCP,ilapeurdefairedeserreursetd’êtredisputéparlamaîtressequandillit…Ilsaitlire,illefaitàlamaison;maisàl’école,ilnelitpas,ilapeurdesetromper.»La plupart des enfants, malgré ces difficultés des premiers temps, sont

désormaisentêtedeleurclasse:leursparentsm’envoientfièrementdescopiesde leur livret scolaire.Cesdocuments soulignent par ailleurs que les capacitésprosocialesqu’ilsontdéveloppéesenmaternelleontétélargementconservées:ilsaidentbeaucoupleurscamarades.Voicilesretoursquem’ontdonnéscertainsparents:

« Kenza s’est très bien adaptée dès le CP. Elle continue d’aider énormément lescopains qui ont des difficultés, c’est d’ailleurs pour ça qu’elle sera à la rentrée en

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doubleniveauCE1/CE2pouraider lesCE1 l’après-midi.Son livretestexcellent,elleparticipebeaucoup.Elleesttoujoursaussiautonome,épanouieetjoyeuse.Jen’aiaucunproblème pour qu’elle aille à l’école, elle aime y aller ! Le soir, contrairement à sesfrèresetsœurs,jen’aipasbesoindevérifiersesdevoirs,ilssonttoujoursparfaitementfaits.»

« Ces deux années de maternelle ont eu un impact très positif sur la scolarité deSouleyman,ellesluiontapportéunetrèsgrandeconfianceenlui.C’estaujourd’huiunenfantquiasoifd’apprendre,quiestsûrdesesaptitudesintellectuellesetn’apaspeurdeprendredes risques. Ilnecessede s’automotiver afind’atteindre sonpotentiel.Sascolaritéenélémentairesepassetrèsbien,sesnotessontexcellentes.»

«Rienàsignalerpourmafille,toutsepassevraimenttrèsbien.Sesnotessonttrèsbonnes. Elle est toujours aussi joyeuse, épanouie, autonome, volontaire. Elle aidetoujoursautantlesautresenfants.»

«Toutvabienpourmonfils,ilaimealleràl’école,s’amuseravecsescopains,sonlivretestgénial.Jesuisfière.Vousvoulezquejevousenvoieunephotocopie?»

«Pourl’entréeenCP,mêmesilesrésultatsontététrèsbons,commeentémoignentles appréciations de l’enseignante, il n’en reste pas moins que le caractère collectifdéveloppé parKamilya a posé des problèmes en début d’année, avec des remarquescomme : “S’occupe trop des autres enfants.” En fin d’année, cette caractéristique acependantétéadmisecommeétantuneattitudebienveillanteetgénéreuse.»

Chez certains en effet, la difficulté d’adaptation fut essentiellement d’ordresocial : les enfants peinaient à contenir leurs élans d’entraide,mais ils ont dûapprendreàlefairecarceux-cidérangeaientl’organisationdeclasse.Une autre difficulté relevée par certains parents fut le manque de sens et

d’individualisation.

«L’annéedeCPestungrandchangementpourtouslesenfants,etpournotreenfantelle a été bien appréhendée. Néanmoins, j’ai ressenti que ma fille ne semblait pastoujours trouver de “résonance” avec ce que l’on lui demandait d’intégrer, un peucommesiellepensait:“Iln’yapasdesensàcequejefais.”Deplus,noyéedansunrythme “unique”, l’épanouissement personnel et l’expression auxquels elle avait pugoûterauparavantsemblaientavoirétémisdecôté.»

Cemanqued’adaptationauxbesoinsindividuelsacausédegrandesdifficultésà certains enfants. Je pense notamment à ceux présentant des troublesparticuliers d’apprentissage ou de langage. Ne bénéficiant plus d’une aide

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totalement individualisée au sein de la classe, et ne pouvant par ailleurs plusoffrir leurs connaissances à des plus petits qu’eux, ils ont beaucoup perduconfianceeneuxetontcommencéàsesentir«différents»–«endehorsdelanorme ». Alors qu’auparavant, puisque tous les enfants approfondissaient lessujetsproposésàleurrythme,danslajoie,seulsouavecl’aidedel’autre,ilssesentaient tous uniques. La norme, c’était la différence et non pas laressemblance.

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3.

Vivreensemblepourapprendreàvivreensemble

Au sein de la classe maternelle de Gennevilliers, les enfants passaient leurjournée ensemble, ils s’entraidaient, se connaissaient vraiment très bien etacceptaient sans se poser aucune question les personnalités si différentes dechacun. Plutôt que de se comparer et de se juger, ils étaient tolérants et trèsprotecteurslesunsenverslesautres.Commentavons-nouscréécetteharmonie?En n’empêchant tout simplement pas qu’elle se produise.Au lieu d’apprendreauxenfantsàvivreensembledemanièrethéorique,nousleuravonspermisdelefaire toutsimplementenvivantensemble : ilsétaient libres toute la journéedes’organiser entre eux, d’interagir et de se rencontrer. Ils faisaient ainsil’expérience des relations, des émotions qu’elles suscitent, de la meilleuremanière de résoudre les différends, etc. Cette vie commune en autonomie, enprésence d’enfants plus jeunes et plus âgés, leur a permis de développer uneintelligencesocialeetémotionnelleremarquable.Bien sûr, les débuts ne sont pas évidents.À 3 ans, certains enfants arrivent

déjàavecdesmodèlescomportementauxqu’ilsontapprisde leurentourageetquisontparfoisviolents:certainspouvaientinsultergrossièrementetdemanièrehumilianteuncamaradequi lesavaitbousculésparmégarde;d’autreslevaientfacilement la main d’un air menaçant en situation de conflit. Dans cescirconstances,maréponseétait immédiateetferme.Lesenfantsdevaientsentirquemêmeuneoncedecescomportementsméprisantsethumiliantsneseraitpastolérée. Nous leur donnions tout de suite une autre façon – pacifique etrespectueuse–d’exprimerleursémotions.Parfois, il ne s’agissaitmêmepasde l’expressiond’une émotion,maisd’un

simple automatisme. Je me souviens d’une petite fille de 3 ans qui disaitconstammentauxcamaradesquis’approchaientd’elle:«T’esgrave,toi»,«Tumefaischierputain».Ellefutfortsurprisequandjeluidisfermement:«Jenetoléreraipasquetut’adressesdecettemanièreàtescamarades,c’estinsultantet

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désagréable.Jenecroispasquetuaimeraisquel’onteparlecommeça.Tupeuxdire : “Jepréfère travailler seule s’il teplaît”, tune trouvespasquec’estplusagréable à entendre ? » Elle me disait oui de la tête. Il fallut souvent, trèssouvent,lareprendrelespremièressemainesenluisuggérantsurlemomentuneautrefaçondeformulersesdemandes.Maisavecdutemps,delaconfiance,dela fermeté et de la bienveillance, les enfants changent, remplacent desautomatismes qu’eux-mêmes ressentent finalement comme inadaptés, etévoluentensemble.Jenevouslecachepas:lespremiersmoisfurentdifficiles.Et,commejele

mentionnais précédemment, afin d’aider les enfants à « revenir à eux », il estfondamental d’être soi-même bien « présent à soi ». Face à ces enfants quipeuventsesentirperdus,coupésde leursdirectives intérieures, il fautêtresoi-même la structure, le repère.Nousdevonsêtre ancrés,droits, fermes, justes etconfiantsentoutescirconstances.C’estungrandtravailsursoi,jelerépète,maisquime semble incontournable.Nous formons un écosystèmehumain, nous nepouvonspasdemanderauxenfantsdechangerd’attitudesanschangerlesnôtres.Au sein de la classe, l’exemple de nos propres comportements fut vraiment

déterminant.Nosfaçonsd’agiretdeparlerétaientmodéliséesparlesenfantssixheures par jour. Nous avions donc la grande responsabilité d’influencerpositivement leur structuration cérébrale. Il est d’ailleurs primordial que lesadultes qui souhaitent accompagner positivement le développement social etaffectif des enfants puissent apprendre en quoi consiste une communicationconsciente et empathique. La façon dont nous nous exprimons génère parfois,sansquenous le sachionsouquenous levoulions,un jugementquibloque lacommunication et induit une séparation avec l’autre. Ce que l’on appelle la«communicationnonviolente»,ouCNV,quiavulejourdanslesannées1970,permet d’apprendre à s’exprimer avec la plus grande prévenance, en restanttoujoursenlienempathiqueavecl’autremêmedanslesrelationsdeconflit.llmesemble essentiel que chacun ait l’opportunité de se familiariser avec ceprocessusquifavoriselacoopérationetledialogue,pourensuiteletransmettreindirectementànosenfants.Lorsquenouséchangeonsaveceuxoudevanteux,noussommesentraindeleurapprendreàéchangeravecnousetaveclesautres.J’inviteceuxquisouhaitents’informersurcesujetàlirel’ouvrageLesmotssontdesfenêtres(oubiencesontdesmurs),duDrMarshallRosenberg1.Commeill’explique lui-mêmedans son livre, cette forme de communication « n’innovepas,ettoussesprincipessontconnusdepuisdessiècles».Ils’agitsimplementde faire remonter à notre conscience ce que nous avons oublié pourcommuniquerdemanièreharmonieuse,consciente,empathiqueetnonviolente.Enparallèle,commejel’aidéjàmentionnéplusieursfois,nousdonnionsaux

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enfants les outils pour gérer leurs inévitables conflits, en les aidant à secomprendre mutuellement et à proposer une solution pour donner une issuepositiveàlasituationlorsquecelaétaitpossible.Laforcedelaconnexionetdelabienveillancereprésentelesoclesurlequel

toutenvironnementsouhaitantaccompagnerlepleinépanouissementdel’enfantdoit s’ériger. Peu importe le matériel dont nous disposons, l’espace que nousoffrons.Cequi feraréellement ladifférence,c’est la forceet laqualitédu lienhumainquiexisteraentrelesenfants,etaveclesadultes.Biensûr,dumatérieletdesactivitéssontnécessairesenquantitéetendiversitésuffisantespourfaciliterl’autonomieetlelibrechoixenthousiaste.Néanmoins,jelerépète,unefoiscesactivitésenplace, ilest fondamentald’offrirauxenfants toutenotrehumanité,notreamour,notreconfiance;etquerésonneeneuxlemeilleurdenous-mêmes.Ces hauts sentiments portent et élèvent l’intelligence comme rien d’autre nesaurait lefaire.Si l’êtrehumainreçoitcettenourriturepsychiquependanttoutesonenfance,alorscequel’onappellelafraternité,l’altruismeoulacompassiondeviennent,àl’âgeadulte,nonplusuneffort,maisunétatd’êtrenaturel.

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ConclusionAidonsl’êtrehumainàrévélersabelle

etlumineusenature

L

es découvertes des scientifiques qui étudient le développement humain sontabsolumentgalvanisantes.Magratitudeenverstousceschercheursestimmense.Leurtravailnousrappelle–caraufond,nelesavions-nouspasdéjà?–quelejeuneenfantestunêtred’amour,unélandebontéincarnéquirechercheetaimeavanttoutlebon,etfroncelessourcilsdevantlemauvais.Regardonsnosenfantset rappelons-nous qu’ils sont faits de joie, d’amour, d’empathie. Ils sontfondamentalementmuspardesélansaltruistes,généreux,cesontdes sauveursdumonde,d’ardentsdéfenseursdesplusdémunis.Nouslesavons–maisnousl’oublions.Nous l’oublionsparcequeces êtresmerveilleuxet lumineuxentrent ensuite

dans un système qui va façonner leur intelligence plastique sur un modèleindividualiste et compétitif. Nous pourrons toujours essayer, ensuite, de fairerenaîtrecequenousavonsétouffé,maisauprixdequelsefforts?Commentnepascomprendrequenousinhibonsetdévionslescomportementsprosociauxdèsleplusjeuneâge–etquenouscontinuonsàlefaireàl’âgeadulte?Commentnepasvoirquenous semonscequenousdéploronspar la suite?Enn’obéissantpasàcette loiquiexigeque lesêtreshumainss’épanouissentdans la reliance,nousvivonscollectivementensous-régimeempathique,maiségalementensous-régimecognitif,ensous-régimemétabolique,etensous-régimecréatif…Nousméconnaissonsnospotentielsréels.La coopération, la générosité, l’altruisme, la chaleur humaine, ne devraient

plus être des alternatives ou des options séduisantes et « oxygénantes ». Cesvaleurs devraient être le socle de tout environnement ayant l’ambitiond’accueilliretd’épanouirlaviehumaine.Lareliancepositiveàl’autren’estpasnégociable, elle est la clédevoûtede l’épanouissement individuel et collectif.Aucun enseignant, aucunmanuel scolaire, aucune institution éducative, aucun

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matériel didactique, rien – rien – ne peut rivaliser avec l’élan et la forceintérieurequ’ellegénère:cettereliancefaitdesmiracles,épanouit,faitinnover,élèvelesespritsetouvrenaturellementlescœurs.Arrêtons d’inventer mille et une innovations pédagogiques, mille et une

méthodes : les solutions sont beaucoup plus simples, mais elles demandentmalheureusement une réelle remise en question de notre posture. Offrons auxenfants ce qu’ils demandent, c’est-à-dire la liberté d’être actifs au sein d’unenvironnement riche, où ils peuvent vivre entre eux et avec nous, dans desrelations de confiance et de bienveillance. C’est tout ce que l’esprit humainréclame.Maislesenfantssontsouventrappelésàl’ordre:«Arrêtedediscuteravectoncopain»,«Non,tunetemetspasàcôtéd’untel,vousallezencorerirependant toute l’heure », «Ne l’aide pas, laisse-le se débrouiller tout seul »…Toutcommel’ondéploieuneénergieextraordinaireàarracher les jolies fleursqui,avecuneforcedeviemerveilleuse,parviennentàpousserentrelesdallesdenos allées, nous déployons collectivement une énergie colossale à étouffer lesélanssociauxdesenfantsquisemanifestentpourtantdansdesconditionsarides.Nous nous battons contre les lois de la nature, et cela nous épuise – nous nepouvonspasressortirvainqueursdecettelutteabsurde.Laissonsnosenfantsrireensemble,inventerensemble,sechamaillerensemble:respirons,etconservonsnotreénergiepourregarderlespectacledelaviehumainequis’épanouit.Ilestfondamental de comprendre que notre tâche principale n’est pas « de fairequelque chose », et d’inventer une autre nouvelle « méthode » ; il nousappartient essentiellement de ne pas interférer avec celle de l’enfant, et derespecter ses lois et directives intérieures. Notre rôle d’adulte consistevéritablementàlesconnaîtreafindenepluslescourt-circuiter.Jesuisparailleursintimementconvaincuequeceslois,aveclesquellesnous

négocions constamment pour notre plus grand malheur, cherchent pourtant ànous guider vers des horizons de paix, de joie, d’harmonie et de grandesconquêtesintellectuellesetsociales.Ilm’asouventétérétorquéavecunbrindeméprisetdecondescendance:«Vousêtesfraîcheetnaïve,mademoiselle…Sivraimentleschosesétaientsisimples,çasesaurait.»Ehbiennon,çanesesaitpas, et je vais même vous dire : il est temps de se retrousser lesmanches etd’œuvrer pour que ces vérités simples rayonnent, car, en les ignorant, noussommescollectivemententraindefairefausseroute.Etn’attendonspasdenosgouvernementsqu’ilstravaillentd’eux-mêmesdans

cesens.N’attendonspasqu’ilsexigentdenosmairiesqu’ellesrefleurissent lescoursd’école,qu’ellespermettentquelasiestesoitaccessibleàtouslesenfantsquiledemandent,ouencorequ’ellesfacilitentlemélangedesâges.N’attendonspas. Faisons-le simplement nous-mêmes. Enseignants, ATSEM, directeurs

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d’école,voicimonmessage.Vousêteslesexperts.Vousêtessurleterraindepuisdes années. Vous savez déjà intuitivement ce qu’il faudrait faire pour nosenfants.C’est tout l’objetdece livre :vousdirequevos intuitionssont justes,quevousavezraison,etvousencourageràpoursuivreleschangementsquevousavezdéjàinitiés.Noussommesdeplusenplusnombreux.Avançons,chacunàson rythme, apportons les améliorations qui nous semblent possibles etnécessaires, progressivement. Travaillons en lien avec les mairies et lescirconscriptions pour recréer des lieux d’apprentissage vivants, dynamiques etpropices à l’épanouissementde tous– tant celuides enseignantsqueceluidesenfants.Permettreauxexpertsduterrain–enseignants,ATSEM,directeurs–defaire

leurtravailenmettantenœuvrecequ’ilspensentêtrelemieuxpournosenfantsest un levier déterminant pour relever notre école. Le plus souvent, sans aideinstitutionnelle,cesonteuxquicontiennentcommeilslepeuventdestorrentsdecolèreetdesrivièresdesouffrance.Ennelessoutenantpasavecamitié,chaleuretbienveillance,nousperdonscequenousavonsdepluscher,leurforceetleurenthousiasmeféconds.Nousparlonssouventdesenfants,maislesenseignantssontéreintés,ilsn’en

peuvent plus de ces réformes incessantes et de ce manque de liberté et deconfianceavéré.Ilsontbesoineuxaussideconfiance.Uneconfiancesincèreetengagée.Cellequiditoui,quisoutient,faciliteetencourage.Jenevoispaspourle moment d’autre chemin pour relever notre école. Les enseignants ont dessolutions. Laissons-les les concrétiser.Qu’avons-nous donc à perdre ? Soyonshonnêtes. Ce sont eux qui tiennent la maison pendant que là-haut, ça sechamaille. Reconnaissons-le enfin et laissons-les, eux qui connaissent l’écoledans ses moindres recoins, l’embellir et l’aménager. Cette confiance sincèredécupleralesforces,élèveralesespritsetouvriradesportesinsoupçonnées.Celivre,vousl’aurezcompris,apourobjectifdemettreenlumièrelesgrands

principesd’apprentissageetd’épanouissementafind’attirer,danslecadredelanécessaire évolution de l’éducation, votre attention sur l’essentiel : le jeuneenfantdoitnourrirsonintelligenceincroyablementplastiqueenvivantaucontactdumonde,etenréalisantdemanièreautonome,auseind’unenvironnementbienorganisé,desexpériencesvariéesqui lemotivent, tout enétant entouréd’êtreshumainsd’âgesdifférentsqui lesoutiennentet luifontconfiance.Unefoiscesgrandsprincipesprisencompte, il s’agitdecomposeravec lescontraintesquisontlesnôtresetquisontdifférentesd’unfoyeroud’uneécoleàl’autre.Iln’estmêmepasnécessaired’offrir la totalitédecesparamètres.Auseindelaclassematernelle de Gennevilliers, par exemple, les contraintes institutionnelles et

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environnementalesnenousontpaspermisdemettrelesenfantsenlienavecunenaturericheetapaisante,etnousnedisposionsquedel’espacedelaclasse,quilimitait considérablement l’offre des activités autonomes. Néanmoins, entravaillant sur certaines de ces clés – une autonomie importante, des activitésdidactiques ambitieuses, esthétiques, claires et progressives ; des interactionsnombreusesetpositivesentreenfantsd’âgesdifférents–ainsiqu’enoffrantuneposturedel’adultehorizontale,nonjugeanteetsoutenante,nousavonspuavoirunimpacttrèspositifsurledéveloppementetl’épanouissementdesenfants.Cetteexpérienceestdoncunencouragementàavancerprogressivement,selon

les possibilités et les ressources de chacun, sans semettre de pression inutile.Gardonsbienentêtequel’importantn’estpasdeproposerimmédiatementauxenfants un environnement parfait, mais de tendre sereinement vers desconditionsdeplus enplus favorables, en se laissant le temps, sans se faire demal.Atteindrelaperfectionn’estpaslebut:cequicompte,c’estl’élan,lajoieetlavolontéd’avancer.Etsurtout,n’allonspastropvite,nousavonsbeaucoupdechosesàapprendre

en chemin. Toutes les expériences et les erreurs que nous réaliserons pouratteindrenotreobjectifsontindispensables,ellessontunpassageessentielpourapprendreetcomprendre lesmécanismesquisoutiennent le fonctionnementdece nouveau système. Nous allons ainsi, comme le font les enfants,progressivementréajusternosmodèlesinternesetnoscroyances.Laissons-nousle tempsdevivrececheminement.Necouronspas,noussommesdéjàarrivés,nous sommes déjà au bon endroit. Respirons et faisons simplement le passuivant.Nombreuxsontlesenseignantsdematernellequiœuvrentdéjàencesens.Et

ilsnesontpasseuls.Depuisdesannées,desenseignantsd’écolesélémentaires,decollègesetdelycéescherchentégalement,danslaplusgrandebienveillance,àproposerdesconditionsd’apprentissageplusphysiologiques,plusadaptéesauxlois naturelles de l’enfant, en favorisant notamment l’autonomie et lemélangedesâges1.J’espèrequecelivredonneral’impulsionàceuxquihésitentencore.Jevous

le dis avec toute mon amitié et avec la fraternité la plus sincère : laissez lesenfantsserévéleràvous.Leurrayonnementsurprend.Leurcréativité,leurjoie,leur amour, leur générosité sont débordants. Lorsqu’un enfant commence àépanouir ce qu’il est, ses caractères humains universels et son unicitéindividuelle, c’est comme assister au lever du soleil. Vous êtes spectateurs etvous êtes profondément touchés. Le rayonnement de ces esprits librescommenceraparvoustransformervous.J’étaisloind’imaginerl’empreintequecesenfantslaisseraientsurmoi.J’aivul’êtrehumain,salumière,l’amouretla

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joiequiletraversent.Etsurtout,j’aicomprisunechosefondamentale:toutcelane peut pas être enseigné. Nous devons simplement lui laisser la place des’exprimer,etleguideravecl’admirationetlerespectlesplusprofonds.Vous, parents, qui lisez ce livre et qui pensez que votre enfant est

extraordinaire,particulièrementdouéetunique :vousavez raison.Nosenfantssont doués, extraordinaires et uniques. Et si notre école n’est pas capable demettre un genou à terre et de servir l’expression de cette humanité naissante,alors elle se prépare à de grandes difficultés. Car l’être humain ne peut plusattendre,sespotentielsdoiventmaintenantêtrelibérésetrayonnerdeleurpleinepuissance.«Tues,devrions-nousdireàl’enfant,unêtrenaturellementdouéderaisonnement, d’empathie, d’imagination, de créativité, de générosité ; je n’airienàcréermoi-mêmeentoi, tupossèdesdéjàtoutcelaàl’intérieur.Lesmoispassant,poussépar les loisde lanature, tuvasvouloirardemment,de tout tonêtre,développercespotentielsquit’ontétédonnésàtanaissance,tuvasvouloirmarcher, parler, explorer le monde, aider les autres, avoir des copains, techamailler,mener tes propresprojets.Tout cela, tu voudras le faire seul, et tuauras raison, car c’est toi-même,par tespropresexpériencesqui transformerasces promesses initiales en une intelligence unique et solide. Mais, dans cettegrandeconquêtedetonhumanitéindividuelle,jeserailàpourt’aider.Jesauraireconnaîtrelagrandeurdetonintelligenceetsesbesoins,jesaurailarespecter,laguider–fermementlorsquecelaseranécessaire,sois-encertain.Mondésirleplus cher est que tu puisses révéler ce que tu portes, l’épanouir pleinement etéclairerlemondedetonintelligenceetdesabeauté.»Surcechemin,l’expériencedeGennevilliersconstitueunpointdedépart–et

nond’arrivée.Quechacunsesentelibrederetenircequiluisemblepertinentetd’oublier le reste.Dès lorsquenousavonscompris les lois fondamentalesquiconditionnentl’épanouissementdel’enfant,faisons-nousconfiancepourtrouverchacun les meilleures applications pratiques selon les moyens dont nousdisposons,enveillantànepassombrerdanslepiègedudogmatisme.Rendons-noustoujoursprêtsàremettreenquestionnosconnaissancesàlalumièredelapratique, de nos intuitions et des découvertes en sciences du développementhumain. Que l’expérience de Gennevilliers soit une inspiration et non unmodèle.Qu’ellevousdonnel’élanetlaconfiance

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Remerciements

J

e tiens à exprimer ma profonde gratitude aux personnes œuvrant – ou ayantœuvré – au sein du ministère de l’Éducation nationale pour le soutieninstitutionnel et moral qu’elles m’ont apporté : Jean-Michel Blanquer, Jean-BaptistedeFroment,ChristopheKerrero,ÉricDebarbieux,CarolineVeltcheff,MarcPierreMancel,ChristianForestierainsiqu’OlivierNoblecourt.JetienségalementàremerciertrèschaleureusementettrèssincèrementMuriel

Bouchon,CorinneBoubet,ChristinePodvin,AméliePoulin,SandrineGallienne,ChristianMaréchal, pour les échanges riches et constructifs quim’ont aidée àdémarrer rapidement l’expérimentation ; l’équipe éducative de l’école Jean-Lurçat, qui a fait son possible pour accueillir ce projet malgré le manque decadrage institutionnel ; ainsi que Laurent Cros, François Taddéi, LaurentBigorgne, Jean-Paul Delevoye, pour leur soutien. Je remercie égalementvivement Stanislas Dehaene, Manuela Piazza, Catherine Gueguen, CatherineBillard, Michel Fayol, Joëlle Proust, Jacques Lecomte et Liliane Sprenger-Charolles–personnalitésscientifiquesavecquij’aieul’opportunitéd’avoirdesdiscussionsextrêmementenrichissantesetencourageantes.JeremercieavecunegrandeémotionlesparentsdesenfantsdeGennevilliers,

pour leur confiance, leur amitié, leur soutien et leurs personnalités sichaleureuses. Je remercie leurs merveilleux enfants pour tout ce qu’ils m’ontenseignésanslesavoir,pourtouscesmomentsquenousavonspartagésdanslerespect et l’affection, mais également pour leur patience surprenante et leursattentions réconfortantes lorsque les aléas quotidiens liés aux résistancesinstitutionnellesm’empêchaientd’êtrepleinementprésenteetdisponibleàleurscôtés.Jeremercietoutel’équipedeséditionsdesArènespoursavolontédem’aider

à partager largement cette expérience. Merci à Laurent Beccaria, ainsi qu’àCatherine Meyer, dont la confiance, la bienveillance et la prévenanceextraordinairesm’ontportéepourl’écrituredecelivre.Merci à Karine, Élodie, Aude, Fabien, Matthieu et Oussama, qui m’ont

apporté un soutien inestimable, ainsi qu’àAnnaBischpour son engagement àmes côtés depuis maintenant plus de cinq ans, et sans qui ce livre aurait

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difficilementvulejour.Merci à Stephen, dont le soutien quotidien, le calme et la sérénité m’ont

permisdesurmonterlesépreuveslesplusdifficilesdecetteexpérience.Merciàmesparentspourleurgrandehumanité,quin’acessédem’inspirer,

ainsi qu’àmes sœurs,Virginie etÉmilie, dont la présencedansmavie emplitmoncœurdejoieetdefierté.Merci au Dr Maria Montessori pour l’héritage exigeant et sensible qu’elle

nouslègue,etquiasuguidermonregardetmonattentionsurl’essentiel.Enfin,merci aux nombreux enseignants quiœuvrent au quotidien et depuis

desannéespournosenfants.

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Annexe

Surlesitewww.celinealvarez.orgdeCélineAlvarezetdesonéquipe,vouspouvezaccéderàdavantaged’informationssurl’organisationpédagogiquedelaclassematernelledeGennevilliersconcernant:•lesregroupementscollectifs,•lessuivisdesenfants,•l’emploidutemps,

• la posture de l’adulte, • la posture de l’ATSEM, • l’organisation del’environnement-classe, • les différentes étapes d’installation, • les différentesétapesdel’autonomie,•lalisteexhaustivedumatérielutilisé,•lesrelationsaveclesparents,etc.

Vousyretrouverezégalementlesvidéos:• des témoignages de parents, • des résumés en images des deux premières

années,•desactivitésdidactiques.

VouspouvezégalementvousabonneràlachaîneYouTubedeCélineAlvarez.

Vousyretrouvereztouteslesvidéosdesactivitésetdesesconférences.

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Notes

Etsinousrepensionsl’écoleàpartirdesloisnaturellesdel’apprentissage?1.Rapport2007duHautConseildel’éducation.2. Ainsi, 25 % des enfants ont des acquis fragiles en lecture, écriture et mathématiques, et 15 %

n’atteignentpasmêmelesacquisdebasedanscesdomainesfondamentaux.3. Mattea Battaglia et Aurélie Collas, « Classement Pisa : la France championne des inégalités

scolaires»,LeMonde,3décembre2013.4.Plusd’informationspratiquessurlesitewww.celinealvarez.org5.JeanItardestconnupoursontravailauprèsdeVictor,«l’enfantsauvagedel’Aveyron».6.Extraitdurapportd’analysedesrésultats,rédigéparl’associationAgirpourl’école.7.Vouspouvezlesvisionnersurwww.celinealvarez.orgousurmachaîneYouTube.8.StanislasDehaeneévoquecespremiersrésultatsdanssaconférence,prononcéeauCollègedeFrance

etdisponibleenligne,«Apprentissagedelalecture:apportdessciencescognitives».9.www.lamaternelledesenfants.wordpress.com

I.L’intelligenceplastiquedel’êtrehumain

1.Laplasticitécérébrale1.Épigénétique(dugrecancienépí,«au-dessusde»,etdegénétique).L’épigénétiqueestladiscipline

quiétudielesmécanismesmoléculairesmodulantl’expressiondupatrimoinegénétiqueenfonctionducontexte.

2.Souventmaltraduitenfrançaisparlemot«ambiance».3. Hart,B.&Risley,T.R. (2003), «TheEarlyCatastrophe :The30MillionWordGapbyAge3»,

AmericanEducator,p.4-9.4.Snowling,M.,Hulme,C.&Nash,H.M.etal.(2015),«TheFoundationsofLiteracyDevelopmentin

ChildrenatFamilialRiskofDyslexia»,PsychologicalScience,26(12),p.1877-1886.5. Center on the Developing Child (2009), « Five Numbers to Remember About Early Childhood

Development(Brief)».6.Shlain,T.(2012),«BrainPower:FromNeuronstoNetworks»,TEDConferences,LLC.7.Nelson,C.A.,Zeanah,C.H.,Fox,N.A.,Marshall,P.J.,Smyke,A.T.&Guthrie,D.(2007),«Cognitive

RecoveryinSociallyDeprivedYoungChildren:TheBucharestEarlyInterventionProject»,Science,318(5858),p.1937-1940.

8. Pena, M., Werker, J.-F. & Dehaene-Lambertz, G. (2012), « Earlier Speech Exposure Does notAccelerateSpeechAcquisition»,JournalofNeuroscience,32(33),p.11159-11163.

9.Article«BrainArchitecture»,disponiblesurlesiteduCenterontheDevelopingChilddel’universitéHarvard.Noustraduisons.

10. La notion d’étayage est définie par Jérôme Bruner, psychologue du développement, comme«l’ensembledesinteractionsd’assistancedel’adultepermettantàl’enfantd’apprendreàorganisersesconduitesafindepouvoirrésoudreseulunproblèmequ’ilnesavaitpasrésoudreaudépart».

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11. Friederici,A.D.,Mueller,J.&Oberecker,R. (2011),«Precursors toNaturalGrammarLearning :PreliminaryEvidencefrom4-Month-OldInfants»,PLoSONE,6(3),e17920.

12. Voir Yudhijit Bhattacharjee, « Les secrets du cerveau des bébés », National Geographic,16septembre2015.

13.Luo,Y.,Kaufman,L.&Baillargeon,R.(2009),«YoungInfants’ReasoningAboutEventsInvolvingInert and Self-Propelled Objects », Cognitive Psychology, 58 (4), p. 441-486 ; Stahl, A.E. &Feigenson, L. (2015), «Observing theUnexpected Enhances Infants’ Learning and Exploration »,Science,348(6230),p.91-94.

14.Moore,M.K.,Borton,R.&Darby,B.L.(1978),«VisualTrackinginYoungInfants:EvidenceforObjectIdentityorObjectPermanence?»,JournalofExperimentalChildPsychology,25(2),p.183-198 ; Bower, T. G. R. (1978), Le Développement psychologique de la première enfance, PierreMardaga ; Baillargeon, R., & Graber, M. (1987), « Where’s the rabbit? 5.5-month-old infants’representationoftheheightofahiddenobject»,CognitiveDevelopment,2,p.375-392;Spelke,E.S.,Breinlinger, K., Macomber, J., & Jacobson, K. (1992), « Origins of knowledge », PsychologicalReview, 99, p. 605-632 ;Munakata, Y.,McClelland, J. L., Johnson,M. H. & Siegler, R. (1997),«RethinkingInfantKnowledge:TowardanAdaptativeProcessAccountofSuccessesandFailuresinObjectPermanentTasks»,PsychologicalReview,104(4),p.686-713;Haith,M.(1998),«WhoPuttheCoginInfantCognition?IsRichInterpretationtooCostly?»,InfantBehaviourandDevelopment,21,p.167-179;Meltzoff,A.N.&Moore,M.K.(1998),«ObjectRepresentation,Identity,andtheParadoxofEarlyPermanence:StepsTowardaNewFramework»,InfantBehaviorandDevelopment,21(2),p.201-235.Voirégalementlelivred’AlisonGopnik(2005),Commentpensentlesbébés,LePommier,«Poche»,p.101.

2.Lesloisnaturellesdel’apprentissage1.Gopnik,A.(2010),LeBébéphilosophe,LePommier.2.Dehaene,S.(17février2015),«Fondementscognitifsdesapprentissagesscolaires.Lamémoireetson

optimisation»,coursauCollègedeFrance,disponibleenligne.3.Endogène:quiestproduitparlastructureelle-mêmeendehorsdetoutapportextérieur,paropposition

àexogène.4.Freeman,S.,Eddy,S.L.,McDonough,M.,Smith,M.K.,Okoroafor,N.,Jordt,H.&Wenderoth,M.P.

(2014), « Active Learning Increases Student Performance in Science, Engineering, andMathematics»,PNAS,111(23),p.8410-8415.

5.Mayer,R.E.(2004),«ShouldThereBeaThree-StrikesRuleAgainstPureDiscoveryLearning?TheCaseforGuidedMethodsofInstruction»,TheAmericanPsychologist,59(1),p.14-19.

6. Baldwin, D.A., Markman, E.M., Bill, B., Desjardins, R.N., Irwin, J.-M. & Tidball, G. (1996),« Infants’ Reliance on a Social Criterion for Establishing Word-Object Relations », ChildDevelopment,67(6),p.3135-3153.

7. Kuhl,P.K.,Tsao,F.M.&Liu,H.M.(2003),«Foreign-LanguageExperienceinInfancy:EffectsofShort-TermExposureandSocial InteractiononPhoneticLearning»,ProcNatlAcadSciUSA,100(15),p.9096-101.

8.«Lessecretsducerveaudesbébés»,artcit.9.Tenenbaum,E.J.,Sobel,D.M.,Sheinkopf,S.J.,Malle,B.F.&Morgan,J.-L.(2015),«Attentiontothe

MouthandGazeFollowinginInfancyPredictLanguageDevelopment»,JChildLang.,18,p.1-18;Carpenter, M., Nagell, K. & Tomasello, M. (1998), « Social Cognition, Joint Attention, andCommunicativeCompetenceFrom9to15MonthsofAge»,MonogrSocResChildDev.,63(4),p.i-vi,1-143.

10.GopnikA.,MeltzoffA.&KuhlP.(2005),Commentpensentlesbébés?,op.cit.,p.277.11.DesmurgetM.(2012),TVlobotomie,MaxMilo.12.Csibra,G.&Gergely,G.(2009),«NaturalPedagogy»,TrendsCognSci,13(4),p.148-153.

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13. Howe,N.,DellaPorta,S.,Recchia,H.,Funamoto,A.&Ross,H.(2015),«“ThisBirdCan’tDoIt‘causethisBirdDoesn’tSwiminWater”:SiblingTeachingduringNaturalisticHomeObservationsinEarlyChildhood»,JournalofCognitionandDevelopment,16(2),p.314-332.

14.Lesapprentissagessesituantdanslazoneproximalededéveloppementdel’enfantsontceuxqu’ilnepeutpasréaliserseulmaisqu’ilpeutatteindreavecunpeud’aide.

15. Ces compétences fondamentales sont dites « exécutives ». Nous les aborderons dans la troisièmepartiedecelivre.

16.Motivationquiémanedel’organisme,élanintérieurspontané.17. Rescorla, R. A. &Wagner, A. R. (1972),A theory of Pavlovian conditioning: Variations in the

effectivenessofreinforcementandnonreinforcement,ClassicalConditioningII,CurrentResearchandTheory(EdsBlackAH,ProkasyWF),AppletonCenturyCrofts,p.64-99.

18. Donato, F., Rompani, S.B. & Caroni, P. (2013), « Parvalbumin-Expressing Basketcell NetworkPlasticityInducedbyExperienceRegulatesAdultLearning»,Nature,504(7479),p.272-276.

19.HanscomA.,«TheUnsafeChild:LessOutdoorPlayisCausingMoreHarmthanGood»,articledu6mai2015pourlapassionnanteassociationChildren&NatureNetwork.

20. Technologies de l’information et de la communication, telles que Internet, les ordinateurs, lestablettes…

21.Pyle,R.M.(2001),TheRiseandFallofNaturalHistory,Orion.22. D’Amore, C., Charles, C. & Louv, R. (2015), « Thriving Through Nature : Fostering Children’s

Executive Function Skills », Children & Nature Network ; Fjørtoft, I. (2001), « The NaturalEnvironment as aPlayground forChildren :The Impact ofOutdoorPlayActivities inPre-PrimarySchoolChildren»,EarlyChildhoodEducationJournal,29(2);Louv,R.(2008,2005),LastChildinthe Woods : Saving Our Children from Nature-Deficit Disorder, Chapel Hill, Algonquin Books ;Charles,C.&Louv,R.(2009),«Children’sNatureDeficit:WhatWeKnow–andDon’tKnow»,Children&NatureNetwork.

23. Gillet,T.,«Uneenfanceplus simplepourraitprotégernospetits contre les troublespsychiques»,HuffingtonPost,12avril2016.

24.Fisher,A.V.,Godwin,K.E.&Seltman,H.(2014),«VisualEnvironment,AttentionAllocation,andLearning in Young Children : When TooMuch of a Good Thing May Be Bad », PsychologicalScience.

25.Payne,K.J.(2010),SimplicityParenting:UsingtheExtraordinaryPowerofLesstoRaiseCalmer,Happier,andMoreSecureKids,BallantineBooks.

26.Immordino-Yang,M.H.,ChristodoulouJ.A.&SinghV.(2012),«RestIsNotIdleness:ImplicationsoftheBrain’sDefaultModeforHumanDevelopmentandEducation»,PerspectivesonPsychologicalScience,7,p.352.

27. Seehagen, S., Konrad, C., Herbert, J.-S. & Schneider, S. (2014), « Timely Sleep FacilitatesDeclarativeMemoryConsolidationinInfants»,PNAS;Kurdziel,L.,Duclos,K.&Spencer,R.M.C.(2013), « Sleep Spindles inMidday Naps Enhance Learning in Preschool Children »,Proc. Natl.Acad.Sci.USA,110,p.17267-17272.

28. Prehn-Kristensen,A.,Munz,M.,Göder,R.,Wilhelm, I.,Korr,K.,Vahl,W.&Baving,L. (2014),« Transcranial OscillatoryDirect Current StimulationDuring Sleep ImprovesDeclarativeMemoryConsolidation inChildrenWithAttention-Deficit/HyperactivityDisorder to aLevelComparable toHealthyControls»,BrainStimulation.

29. Choi, J. et al. (2012), « Reduced Fractional Anisotropy in the Visual Limbic Pathway of YoungAdultsWitnessingDomesticViolenceinChildhood»,Neuroimage,59(2),p.1071-1079.

30.Choi,J.,Jeong,B.,Rohan,M.L.,Polcari,A.M.&Teicher,M.H.(2009),«PreliminaryEvidenceforWhite Matter Tract Abnormalities in Young Adults Exposed to Parental Verbal Abuse », Biol.Psychiatry, 65 (3), p. 227-234 ; Teicher, M.H. et al. (2010), « Hurtful Words : Association ofExposure to Peer Verbal Abuse with Elevated Psychiatric Symptom Scores and Corpus CallosumAbnormalities»,Am.J.Psychiatry,67(12),p.1464-1471.

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31. Lieberman, M.D. et al. (2007), « Putting feelings into words: Affect labeling disrupts amygdaleactivityinresponsetoactivitystimuli»,PsychologicalScience,18,p.421-428.

32. Teicher,M.H. et al. (2012), «Childhoodmaltreatment is associatedwith reduced volume in thehippocampalsubfieldsCA3,dentategyrus,andsubiculum»,PNAS,109(9),p.E563-E572.

33. Gueguen, C. (2014), Pour une enfance heureuse : repenser l’éducation à la lumière desneurosciences,RobertLaffont.

3.L’esquissedeGennevilliers1. Vous pouvez visionner précisément l’organisation de l’espace sur la vidéo « Réorganisez votre

classe»,disponiblesurwww.celinealvarez.org2.Cephénomènes’appellelacognitionincarnéeouembodiedcognition.3. J’invite lesenseignantsqui souhaitenten savoirdavantage sur ledéroulementdes regroupementsà

visionnerlavidéo«Regroupements»surlesitewww.celinealvarez.org4.Louv,R.(2008,2005),LastChildintheWoods:SavingOurChildrenfromNature–DeficitDisorder,

ChapelHill,AlgonquinBooks;Charles,C.,Louv,R.(2009),«Children’sNatureDeficit:WhatWeKnow–andDon’tKnow»,Children&NatureNetwork.

5. Aurélie a participé au séminaire des 24 et 25 août 2015, « Fondamentaux théoriques pour unetransition pédagogique », qui s’est déroulé à l’université Paris-VIII. La totalité du séminaire estdisponible à cette adresse : www.celinealvarez.org, sous forme de dix-huit vidéos (six heures devisionnage).

6.Écolesituéeenmilieusocio-économiqueparticulièrementdéfavorisé.7.Dehaene,S.(3février2015),«Fondementscognitifsdesapprentissagesscolaires.L’engagementactif,

lacuriositéetlacorrectiondeserreurs»,coursauCollègedeFrance.8. Les tableaux de suivi que nous avions en classe seront prochainement partagés sur le site internet

www.celinealvarez.org,pourlesenseignantsquisouhaitents’eninspirer.9.WinnicottD.W.[1958](1975),LaCapacitéd’êtreseul,inDelapédiatrieàlapsychanalyse,Payot,

«PetiteBibliothèquePayot»,p.205-213.10. Crockenberg S. & Litman C. (1990), « Autonomy as Competence in 2-Year-Olds : Maternal

CorrelatesofChildDefiance,ComplianceandSelf-Assertion»,DevelopmentalPsychology,26 (6),p.961-971.

11. Csíkszentmihályi,M. (1988),OptimalExperiencePsychologicalStudiesofFlowinConsciousness,CambridgeUniversityPress,p.323.

12. Rosenthal R., Jacobson L.F. (1968), « Teacher Expectation for the Disadvantaged », ScientificAmerican,218(4),p.19-23.

13.Lesvidéosdecesprésentations«préliminaires»sontdisponiblessurwww.celinealvarez.org14.MariaMontessori,L’Enfantdanslafamille(2007),DescléedeBrouwer,p.135.15.Gueguen,C.,Pouruneenfanceheureuse:repenserl’éducationàlalumièredesneurosciences,op.

cit.16.Voirlavidéo«Réorganisezvotreclasse»,surlesitewww.celinealvarez.org

II.L’aidedidactique1.MariaMontessori,«Educationbasedonpsychology»,conférenceprononcéele4septembre1946,in

The1946LondonLectures(2012),Laren(Pays-Bas),Montessori-PiersonPublishingCompany.2.Ibid.3. Vouspourrezensuitevisionnercesactivitésprésentées sous formedevidéos surnotre site internet

www.celinealvarez.org

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1.Affinersesperceptionssensorielles

1.Dehaene,S.(13janvier2015),«Fondementscognitifsdesapprentissagesscolaires.L’attentionetlecontrôleexécutif»,coursauCollègedeFrance.

2. Cettemiseenpairesdessoixante-quatrenuancesdemandel’utilisationdedeux«boîtesdecouleursno 3 ». Cette activité est suggérée par Maria Montessori dans son livre Dr Montessori’s ownhandbook.

3. Plus d’informations sur les contenus des regroupements collectifs sur le site internetwww.celinealvarez.org

4.Meltzoff,A.N.,Kuhl,P.K.,Movellan,J.&Sejnowski,T.J.(2009),«FoundationsforaNewScienceofLearning»,Science (NewYork,N.Y.),325(5938),p.284-288(doi :10.1126/science.1175626) ;Dehaene,S.,«Fondementscognitifsdesapprentissagesscolaires.L’attentionetlecontrôleexécutif»,courscité.

3.Mathématiques1.Dehaene,S.(3mars2015),«Fondementscognitifsdesapprentissagesscolaires.Fondementscognitifs

de l’apprentissage des mathématiques », conférence au Collège de France ; Piazza,M.(20novembre2012),«Legoûtdesnombresetcommentl’acquérir»,colloqueSciencescognitives&ÉducationauCollègedeFrance.

2.Izard,V.,Sann,C.,Spelke,E.S.,Streri,A.(2009),«NewbornInfantsPerceiveAbstractNumbers»,PNAS,106(25),p.10382-10385.

3. Wynn, K. (1992), « Addition and Substraction by Human Infants », Nature, 358, p. 749-750 ;McCrink, K. & Wynn, K. (2004), « Large-Number Addition and Subtraction by 9 Month-OldInfants»,Psychol.Sci,15(11),p.776-781.

4. Gilmore,C.K.,McCarthy, S.E.&Spelke,E.S. (2007), «SymbolicArithmetic knowledgeWithoutInstruction»,Nature,447(7144),p.589-591;Gilmore,C.K.,McCarthy,S.E.&Spelke,E.S.(2010),« Non-Symbolic Arithmetic Abilities and Mathematics Achievement in the First Year of FormalSchooling»,Cognition,115(3),p.394-406.

5.Dénombrersignifiefairelecomptedesunitéscomposantunensembleparl’intermédiairenotammentducomptage.

6. Lechoixdes testsmathématiquesprésentésauxenfantsaétéréaliséparManuelaPiazza.Les tests,l’analysedesdonnéesetlecompterendudesrésultatsontétéeffectuésparBenoîtCharlieux,docteuren psychologie cognitive. Je rappelle qu’en raison d’une interdiction institutionnelle formelle, cestestsontdûêtrepasséshorsdutempsscolaireetqueseuleunequinzained’enfantsdelaclasseontpuseprésenteralapassation.

7.Lalisteexhaustivedecematérielestprésentéesurlesitewww.celinealvarez.org8. Dyslexia International – Sharing expertise : formation en ligne très intéressante – qui reprend

globalement ce que nous avons évoqué dans ce livre – pour accompagner au mieux les enfantsdyslexiquesàentrerdanslalecture:dyslexia-international.org

9.GentazE.,Colé,P.&Bara,F.(2003),«Évaluationd’entraînementsmultisensorielsdepréparationlalecturepour les enfants engrande sectiondematernelle : une étude sur la contributiondu systèmehaptiquemanuel»,L’Annéepsychologique,4,p.561-584;Bara,F.,Gentaz,E.,Colé,P.&Sprenger-Charolles, L. (2004), « The Visuo-Haptic and Haptic Exploration of Letters Increases theKindergarten-Children’sReadingAcquisition »,CognitiveDevelopment, 19, p. 433-449 ;Bara, F.,Gentaz,E.,Colé,P.&Sprenger-Charolles,L.(2004),«Leseffetsdesentraînementsphonologiquesetmultisensorielsdestinésàfavoriserl’apprentissagedelalecturechezlesjeunesenfants»,Enfance,4,(56), PUF ;Gentaz,E.&Collignon,H. (2004), «Apprendre à lire avec les doigts »,Médecine et

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Enfance.10.Piazza,M.,«Legoûtdesnombresetcommentl’acquérir»,colloquecité.11.Touteslesactivitésserontenlignesousformedevidéossurlesitewww.celinealvarez.org12. Dehaene, S., « Fondements cognitifs des apprentissages scolaires. Fondements cognitifs de

l’apprentissage desmathématiques », cours cité ; Piazza,M., « Le goût des nombres et commentl’acquérir»,colloquecité;Dehaene,S.(2010),LaBossedesmaths,OdileJacob.

4.L’entréedanslalectureetdansl’écriture1. Dehaene, S. (24 février 2015), « Fondements cognitifs des apprentissages scolaires. Fondements

cognitifsdelalecture»,coursauCollègedeFrance(lecoursestaccessibleenligne);Dehaene,S.,Dehaene-Lambertz,G.,Gentaz,E.,Huron,C.&Sprenger-Charolles,L.(2011),Apprendreàlire:dessciencescognitivesalasalledeclasse,OdileJacob.

2. Dehaene,S.,Dehaene-Lambertz,G.,Gentaz,E.,Huron,C.&Sprenger-Charolles,L.,Apprendreàlire:dessciencescognitivesàlasalledeclasse,op.cit.

3.LesIRMréaliséessurlesenfantslecteursdelaclassemontrentquelescircuitsdelalectureétaientenplaceavecaumoinsunand’avance.Cespremiersrésultatssontdonnésdanslaconférencesuivante,donnéeauCollègedeFrance:Dehaene,S.(13novembre2014),«L’apportdesciencescognitivesal’école:quellesformationpourlesenseignants?».

4.DyslexiaInternational–Sharingexpertise(www.dyslexia-international.org);Dehaene,S.,Dehaene-Lambertz,G.,Gentaz,E.,Huron,C.&Sprenger-Charolles,L.(2011),Apprendreàlire:dessciencescognitivesàlasalledeclasse,op.cit.

5. Ils’agissaitdetestsscientifiquesétalonnés,dontlapassationaétéréaliséepardespsychologuesduCNRSdeGrenoble.

6.StanislasDehaeneévoquecespremiersrésultatsdanssaconférenceintitulée«Fondementscognitifsdelalecture»,issueducours2015«Fondementscognitifsdesapprentissagesscolaires»donnéauCollègedeFrance,courscité.Laconférenceestaccessibleenligne,surlesiteduCollègedeFrance.

7. Les vidéos des présentations des activités de langage seront mises en ligne sur le sitewww.celinealvarez.org

8.Undigrammeestunensemblededeuxlettrescodantunson.9.DyslexiaInternational–Sharingexpertise.www.dyslexia-international.org10.Lavidéoestdisponiblesurlesiteinternet.11.Cettevidéoestdisponiblesurlesitewww.celinealvarez.org,ainsiquesurmachaîneYouTube.12. Unmot phonétique est unmot où toutes les lettres se prononcent – comme lesmots de la langue

espagnole,parexemple.Unelettreégaleunson,iln’yapasde«piège».13.Sicesactivitésdelecturevousintéressent,etquevoussouhaitezensavoirdavantage,vouspouvezles

retrouver sur notre site internet, détaillées et présentées sous forme de vidéos avec les enfants autravail.Vouspourrezégalementtéléchargerlesfichiersdesactivités.

14.Vidéosdisponiblessurlesitewww.celinealvarez.org

III.Soutenirledéveloppementdescompétences-soclesdel’intelligence

1.Lespériodessensibles1. Dehaene, S. (6 janvier 2015), « Fondements cognitifs des apprentissages scolaires. Éducation,

plasticitécérébraleetrecyclageneuronal»,coursauCollègedeFrance.

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2. Dehaene-Lambertz,G. (2004),«Basescérébralesde l’acquisitiondu langage : apportde laneuro-imagerie»,Revuedepsychiatriedel’enfantetdel’adolescent,52,p.452-459.

3. Mehler, J., Lambertz G., Juszyk, P.W. & Amiel-Tison, C. (1986), « Discrimination de la languematernelleparlenouveau-né.Comptesrendusdel’Académiedessciences»,série3,Sciencesdelavie,303,(15),p.637-640.

4.GraphiqueinspirédugraphiquescientifiquedeLawsonParkerintitulé«NeuralNetwork»,in«TheFirst Year » (janvier 2015), National Geographic. Sources : Charles Nelson, Harvard MedicalSchool ; Pat Levitt, Children’s Hospital, Los Angeles ; également présent dans le document duNational Scientific Council on the Developing Child (2007), «The Timing and Quality of EarlyExperiencesCombinetoShapeBrainArchitecture:WorkingPaper5»;Nelson,C.A.(2000),FromNeuronstoNeighborhoods,NationalAcademyPress.

5.Source:CenteronTheDevelopingChild(2012),«ExecutiveFunction(InBrief)».

2.Lescompétencesexécutives1. CenteronTheDevelopingChildatHarvardUniversity(2011),«BuildingTheBrain’s“AirTraffic

Control”System:HowEarlyExperiencesShapeTheDevelopmentofExecutiveFunction,WorkingPaper11».

2.Ibid.3. Voir ses passionnantes et chaleureuses conférences sur Internet, notamment :Diamond,A. (2014),

« Turning Some Ideas on Their Head », TEDx ; Diamond, A. (2013), « Cultivating theMind »,conférenceprononcéelorsducolloqueinternational«Heart-Mind2013».

4.Mischel,W.,Ebbesen,E.B.,RaskoffZeiss&A.(1972),«CognitiveandAttentionalMechanismsinDelayofGratification»,JournalofPersonalityandSocialPsychology,21,(2),p.204-218.

5.NationalScientificCouncilOnTheDevelopingChild,«BuildingTheBrain’s“AirTrafficControl”System :HowEarlyExperiences ShapeTheDevelopment ofExecutiveFunction :WorkingPaper11»,art.cit.

3.Favoriserl’autonomieauquotidien1.Wallace,J.-B.(13mars2015),«WhyChildrenNeedsChores»,TheWallStreetJournal(enligne).2.Montessori,M.(2006),L’Enfant,DescléedeBrouwer.3.Enseignants,sivoussouhaitezensavoirdavantagesurlamiseenplaced’unfonctionnementfondésur

l’autonomiedesenfants,jevousinviteàvousrendresurmonsiteinternet:www.celinealvarez.org4. Les activités pratiques que nous avons présentées en classe sont disponibles en vidéos sur le site

www.celinealvarez.org5.Ibid.6.Ibid.7.CenterontheDevelopingChildatHarvardUniversity,«BuildingtheBrain’s“AirTrafficControl”

System:HowEarlyExperiencesShapetheDevelopmentofExecutiveFunction,WorkingPaper11»,art.cit.

8. Tang, Y. Y. et al. (2007), « Short-Term Meditation Training Improves Attention and Self-Regulation»,ProceedingsoftheNationalAcademyofSciences,104,43,p.17152-17156.

9.CenterontheDevelopingChildatHarvardUniversity,«BuildingtheBrain’s“AirTrafficControl”System:HowEarlyExperiencesShapetheDevelopmentofExecutiveFunction,WorkingPaper11»,art.cit.

10.Gopnik,A.,Meltzoff,A.,Kuhl,P.,Commentpensentlesbébés?,op.cit.

4.Plusdeliberté

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1. Barker, J.E., Semenov,A.D.,Michaelson, L., Provan, L.S., Snyder,H.R.&Munakata,Y. (2014),« Less-Structured Time in Children’s Daily Lives Predicts Self-Directed Executive functioning »,FrontiersinPsychology,5,593,p.1-16.

2. D’Amore, C., Charles, C., Louv, R. (2015), « Thriving Through Nature : Fostering Children’sExecutiveFunctionSkills»,art.cit.

5.Protégerl’enfantdustresstoxique1. Gueguen,C.,Pouruneenfanceheureuse:repenserl’éducationàlalumièredesneurosciences,op.

cit.2. Coccaro, E.F., Sripada, C.S., Yanowitch, R.N.& Phan, K.L. (2011), « Corticolimbic Function in

ImpulsiveAggressiveBehavior»,BiologicalPsychiatry,69,(12),p.1153-1159.3. En physique, la notion de « résilience » représente l’aptitude d’un corps à résister aux chocs et à

reprendresastructureinitiale.Enpsychologie,elledésignelacapacitéd’unindividuàsurmonterlesmomentsdouloureuxdel’existenceetàsedévelopper,endépitdel’adversité.

4.CenterontheDevelopingChild(2015),«TheScienceofResilience(InBrief)».5. Lengua,L.J.,Honorado,E.&Bush,N.R. (2007),«ContextualRiskandParentingasPredictorsof

EffortfulControlandSocialCompetenceinPreschoolChildren»,JournalofAppliedDevelopmentalPsychology,28,(1),p.40-55;Maughan,A.&Cicchetti,D.(2002),«ImpactofChildmaltreatmentand Interadult Violence on Children’s Emotion Regulation Abilities and SocioemotionalAdjustment»,ChildDevelopment,73, (5),p.1525-1542 ;O’Connor,T.G.,Rutter,M.,Beckett,C.,Keaveney, L. & Kreppner, J.-M. (2000), « The Effects of Global Severe Privation on CognitiveCompetence : Extension and Longitudinal Follow-Up »,ChildDevelopment, 71, (2), p. 376-390 ;CenterontheDevelopingChildatHarvardUniversity,«BuildingtheBrain’s“AirTrafficControl”System:HowEarlyExperiencesShapetheDevelopmentofExecutiveFunction,WorkingPaper11»,art.cit.

6.Ricard,M.&Singer,T.(2015),Versunesociétéaltruiste,Éd.Allary.

6.Retouràsoi1.Voirlavidéo«Étapesdel’autonomie»surwww.celinealvarez.org2.CenterontheDevelopingChildatHarvardUniversity,«BuildingtheBrain’s“AirTrafficControl”

System…»,art.cit.

IV.Lesecret,c’estl’amour

1.Lapuissancedelareliance1.TermeinventéparlesociologuebelgeMarcelBolleDeBal,etreprisparlesociologueetphilosophe

françaisEdgarMorin.Lanotionderelianceest«active»,ellesignifiel’actederelieroudeserelier,ou le résultatdecetacte, soit« le sentimentou l’étatde reliance».VoirBolleDeBal,M. (2003),«Reliance,déliance,liance:émergencedetroisnotionssociologiques»,Sociétés,2,(80),p.99-131.

2.Waldinger,R.(2015),«WhatMakesaGoodLife?LessonsFromtheLongestStudyonHappiness»,TEDxBeaconStreet.

3. Waldinger, R., « The Study of Adult Development, Harvard Second Generation Study ». Plusd’informationssurlesiteinternetducentrederecherche,http://www.adultdevelopmentstudy.org

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4. Voir l’ouvrage suivant, qui proposeune excellente synthèsedes travaux scientifiques sur le sujet :Gueguen,C.,Pouruneenfanceheureuse:repenserl’éducationàlalumièredesneurosciences,op.cit.

5. Harbaugh,W.,Mayr, U. & Burghart, D. (2007), « Neural Responses to Taxation and VoluntaryGivingRevealMotives for CharitableDonations », Science, 316, (5831), p. 1622-1625 ;Moll, J.,Krueger, F., Zahn,R., Pardini,M., deOliveira-Souza,R.&Grafman, J. (2006), «HumanFronto-MesolimbicNetworksGuideDecisionsAbout CharitableDonation »,Proceedings of the NationalAcademyofScience,103,p.15623-15628.

6.Lecomte,J.(2012),LaBontéhumaine,OdileJacob;Moll,J.,Krueger,F.,Zahn,R.,Pardini,M.,deOliveira-Souza, R.&Grafman, J., «Human Fronto-MesolimbicNetworksGuideDecisionsAboutCharitableDonation », art. cit. ;Thoits, P.A.&Hewitt,L.N. (2001), «VolunteerWork andWell-Being»,JournalofHealthandSocialBehavior,42,p.115-131;Aknin,L.B.,Dunn,E.W.&Norton,M.I.(2011),«HappinessRunsinaCircularMotion:EvidenceforaPositiveFeedbackLoopBetweenaProsocialSpendingHappiness»,Journalofhappinessstudies.

7.Tabibnia,G.,Satpute,A.B.&Lieberman,M.D.(2008),«TheSunnySideofFairness:PreferenceforFairness Activates Reward Circuitry (and Disregarding Unfairness Activates Self-ControlCircuitry) », Psychological Science, 19, p. 339-347 ; Tabibnia, G. & Lieberman, M.D. (2007),«FairnessandCooperationareRewarding:EvidencefromSocialCognitiveNeuroscience»,Annalsof theNewYorkAcademy of Sciences, 1118, p. 90-101 ; SanfeyA.G.,Rilling J.K.,Aronson J.A.,Nystrom L.E. & Cohen J.D. (2003), « The Neural Basis of Economic Decision-Making in theUltimatumGame»,Science,300,p.1755-1758.

8. King-Casas, B., Tomlin, D., Anen, C., Camerer, C.F., Quartz, S.R.,Montague, P.R. (avril 2005),«GettingtoKnowYou:ReputationandTrustinaTwo-PersonEconomicExchange»,Science,308,(5718),p.78-83.

9. DansGilman, S., deLestrade,T. (2015),Vers unmonde altruiste ?, documentaire de 91minutes,productionArteFrance,ViaDécouvertes.

10. Schnall, S., Roper, J. & Fessler, D.M.T. (2010), « Elevation Leads to Altruistic Behavior »,PsychologicalScience,21,p.315-320.

11.Lanzetta,J.&Englis,B.(1989),«ExpectationsofCooperationandCompetitioninTheirEffectsonObserver’sVicariousEmotionalResponses»,JournalofPersonalityandSocialPsychology,p.543-554.

12. Eisenberger,N.I., Lieberman,M.D.&Williams,K.D. (2003), «DoesRejectionHurt ?An fMRIStudyofSocialExclusion»,Science,302,p.290-292.

13.Rilling,J.,Gutman,D.,Zeh,T.,Pagnoni,G.&Berns,G.etal.,(2002),«ANeuralBasisforSocialCooperation»,Neuron,35,(2),p.395-405.

14. Voir les«StillFaceExperiments» envidéo sur Internet, ainsique l’étude suivante :Tronick,E.,Adamson, L.B., Als, H. & Brazelton, T.B. (1975), « Infant Emotions in Normal and PertubatedInteractions », document présenté à la réunion bisanuelle de la Society for Research in ChildDevelopment,Denver,CO.

15. Siekkinen, M., « Empathetic Teachers Enhance Children’s Motivation for Learning », articledisponiblesurlesiteinternetdel’UniversityofEasternFinland.L’étude«TheFirstStepsStudy»estencoreencours.

16.Sivoussouhaitezensavoirdavantagesurl’accompagnementdespremierstemps,lorsquelesenfantsne sont pas encore tout à fait autonomes, vous pouvez visionner la vidéo « Les étapes del’autonomie»surlesitewww.celinealvarez.org

17. Alvarez, C. (2014), « Pour une refondation de l’école guidée par nos enfants », TEDxIsereRiver,Grenoble.

18.Leprénomaétéchangé.

2.Soutenirl’expressiondestendancessocialesinnées

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2.Soutenirl’expressiondestendancessocialesinnées1. Martin,G.B.&Clark,R.D.(1987),«DistressCryinginNeonates :SpeciesandPeerSpecificity»,

DevelopmentalPsychology,18,p.3-9.2.Gopnik,A.,Meltzoff,A.&Kuhl,P.,Commentpensentlesbébés?,op.cit.,p.64.3.Zahn-Waxler,C.,Radke-Yarrow,M.,Wagner,E.&Chapman,M.(1992),«DevelopmentofConcern

forOthers»,DevelopmentalPsychology,28,p.126-136 ;Svetlova,M.,Nichols,S.R.&Brownell,C.A.(2010),«Toddlers’ProsocialBehavior:FromInstrumentaltoEmpathictoAltruisticHelping»,Child Development, 81, (6), p. 1814-1827 ; Hoffman, M. (janvier 2008), « Empathie etdéveloppement moral. Les émotions morales et la justice », Presses universitaires de Grenoble,coll.«Viessociales»,p.100.

4. Warneken, F., Tomasello, M. (2009), « The Roots of Human Altruism », Bristish Journal ofPsychology,100,p.455-471.

5. Ibid. ;Warneken, F.& Tomasello,M. (2006), «AltruisticHelping inHuman Infants andYoungChimpanzees »,Science, 311, p. 1301-1303 ;Warneken, F. (2013), «YoungChildren ProactivelyRemedyUnnoticedAccidents»,Cognition,126,(1),p.101-108.

6.VoirlesvidéosdecertainesdecesexpériencessurlesiteduLaboratoryforDevelopmentalStudiesofHarvardUniversity,https://software.rc.fas.harvard.edu/lds/research/warneken/video-clips/

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FilmsdocumentairesBELLAR,C.(2014),Êtreetdevenir,99minutes,PourquoiPasProductions.AUST, S.T. (2011), The Finland Phenomenon. Inside the World’s Most Surprising School System,62minutes,TrueSouthStudios.ILMAN, S.,DELESTRADE,T. (2015),Versunmondealtruiste ?, 91minutes, productionArteFrance,Via

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Découvertes.

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Tabledesmatières

Etsinousrepensionsl’écoleàpartirdesloisnaturellesdel’apprentissage?

CarteblancheàGennevilliersUnhéritagepédagogiquePremiersrésultatsLadeuxièmeannéeLadernièreannéeL’après-GennevilliersToutemagratitudeauxchercheurs

I.L’intelligenceplastiquedel’êtrehumain

1.LaplasticitécérébraleLagrandeimmaturitécérébraledel’enfantLequotidiendel’enfantstructuresoncerveauVivreprèsd’unenfant,c’estparticiperàsaspécialisationcérébraleLapériodecritiquedesdeuxpremièresannéesLanécessitéd’unenvironnementaimantL’enfantapprendsimplementenvivant

2.Lesloisnaturellesdel’apprentissageApprendreparsesexpériencesactivesL’indispensableguidancedel’autreL’indispensablemélangedesâgesLamotivationendogèneL’importancedel’erreurLarichessedumonderéelRenoueraveclanatureUnenvironnementriche,maispassurchargéPrendreletempsdenerienfaireetderêvasserL’importancedusommeilL’enfantretientcequifaitsensL’importancedujeulibreLatoxicitédustressLabienveillance

3.L’esquissedeGennevilliersUnejournéetypeUnliensocialsolide

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L’adultelibéréLaposturedel’adulteLespremiersgestesdel’autonomieUnespaceordonné

II.L’aidedidactique

1.AffinersesperceptionssensoriellesMisesenpairesetgradationsNommersesperceptionsaveclaleçonentroistempsMieuxvoirMieuxentendreMieuxpercevoirparletoucherMieuxsentiretmieuxgoûterL’enfantaffinesessensenlesexerçantAffinersesperceptionsetredécouvrirlemondeCesactivitésnesontqu’uncomplément

2.Offrirlaculturedemanièresensorielle,claireetprogressiveGéographieGéométrieMusique

3.MathématiquesDénombrerlesquantitésdeunàdixAssocierlessymbolesauxquantitésdeunàdixConstituerunequantitédeuneàdixunitésCompteretdénombrerau-delàde10OffrirlecodedusystèmedécimalManipulerdegrandesquantitésSoutenirlesélansspontanés

4.L’entréedanslalectureetdansl’écritureLireréorganisenotrecerveauLesgrandsprincipesdelalectureLadémarcheutiliséeàGennevilliersPremiergrandprincipe:entendrelessonsDonnerlecodealphabétiqueLatransmissionentreenfantsRenforcerlacompréhensionducodeLedéclenchementspontanédelalectureDudécodageàl’automatisationLiredesmotsLiredesphrasesLiredeslivresL’entréespontanéedansl’écriture

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L’importanceduvocabulaireL’importancedulienhumainLireets’émanciperÀlamaison

III.Soutenirledéveloppementdescompétences-soclesdel’intelligence

1.LespériodessensiblesReconnaîtrecespériodesfondatricesDeuxpériodessensiblesdelapremièreannéedevieLedéveloppementdescompétencesexécutives

2.LescompétencesexécutivesLesfondationsbiologiquesdel’apprentissagePlusprédictivesqueleQIDemeilleuresrelationssociales

3.Favoriserl’autonomieauquotidienQuandl’intelligencesedéfenddenousNepasentraverL’autonomieauquotidiendanslaclassePrendreletempsdemontrerclairementL’objectifestintérieurNotrepostureL’exactitudeUnaccompagnementindividuelSeperfectionnerseulActivitéspratiquesquotidiennesS’exerceràungesteManipulerdevraisobjetsAiderl’enfantàs’exprimerAiderl’enfantàpatienterDévelopperunboncontrôleinhibiteurL’émergenced’uneautodisciplinecritiqueRespecterlebesoind’ordre

4.PlusdelibertéMoinsd’activitésdirigéesPlusdenatureetdevie

5.Protégerl’enfantdustresstoxiqueProtégerl’enfantdelaviolenceAiderl’enfantàgérersesémotionsleprotègeComprendresesémotionsetmieuxcomprendrel’autre

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6.Retouràsoi

IV.Lesecret,c’estl’amour

1.LapuissancedelarelianceLachimiedulienLareliance,récompenséed’unpointdevuemoléculaireLareliancenousfaitdubienetnousrendplusempathiquesLaséparationabîmeetfreineledéveloppementdel’empathieEncasd’isolement,notreorganismetirelasonnetted’alarmeLarelianceauseindelaclassedeGennevilliersCréeruncadrepropiceaulienDelareliance,etnondeladépendance

2.Soutenirl’expressiondestendancessocialesinnéesDescapacitésempathiquesinnéesL’élanaltruistespontanéNotretendanceprosocialeenrayéeDesintuitionsmoralesinnéesSouteniravecdesrécompenses?ReconnaîtrelesprédispositionssocialesetlesnourrirpositivementQuesontdevenuslesenfantsdelaclasse?

3.Vivreensemblepourapprendreàvivreensemble

Conclusion.Aidonsl’êtrehumainàrévélersabelleetlumineusenature

Remerciements

Annexe

Notes

Bibliographie

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L’EXEMPLAIREQUEVOUSTENEZENTRELESMAINSAÉTÉRENDUPOSSIBLEGRÂCEAUTRAVAILDETOUTEUNEÉQUIPE.

MISEENPAGE:SoftOffice

COUVERTURE:QuintinLeedsPHOTOGRAVURE:FrançoisCorneloup(Point11)RÉVISION:ClotildeMeyeretNathalieMahéo

FABRICATION:MarieBaird-SmithetMaudeSapinCOMMERCIAL:PierreBottura

COMMUNICATION:IsabelleMazzaschiavecAdèleHybreRELATIONSLIBRAIRES:Jean-BaptisteNoailhat

RUEJACOBDIFFUSION:ÉliseLacaze(direction),KatiaBerry(grandSud-Est),François-MarieBironneau(NordetEst),CharlotteKnibiehly(Parisetrégionparisienne),ChristelleGuilleminot(grandSud-Ouest),LaureSagot(grandOuest)etDianeMaretheu(coordination),avecChristineLagarde(ProLivre),BéatriceCousinetLaurenceDemurger(équipeEnseignes),FabienneAudinetetBenoîtLemaire(LDS),BernadetteGildemynetRichardVanOverbroeck(Belgique),NathalieLarocheetAlodieAuderset

(Suisse),KamelYahiaetKimlyEar(GrandExport)DISTRIBUTION:Hachette

DROITSFRANCEETJURIDIQUE:GeoffroyFauchier-MagnanDROITSÉTRANGERS:CatherineFarin

ENVOISAUXJOURNALISTESETLIBRAIRES:PatrickDarchyLIBRAIRIEDU27RUEJACOB:LaurenceZarraANIMATIONDU27RUEJACOB:ArianeGeffard

COMPTABILITÉETDROITSD’AUTEUR:ChristelleLemonnieravecCamilleBreynaertSERVICESGÉNÉRAUX:IsadoraMonteiroDosReis

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ISBNpapier:978-2-35204-550-2ISBNnumérique:978-2-35204-582-3Dépôtlégal:Septembre2016Cette édition électroniquedu livreLes lois naturelles de l’enfanta été réalisée le 22 août 2016parSoftOffice.