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Les keynésiens et la courbe de Phillips: 1

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Les keynésiens et la courbe de Phillips:

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Introduction

En quels sens peut-on parler d’un mythe de la courbe de Phillips?

Un ensemble de croyances autour d’un évènement historique qui luidonne une importance particulière.

Et

Un récit imaginaire et dépourvu de réalité.

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• Pourquoi l’histoire de la courbe de Phillips est-elle si importante pour comprendre l’évolution de la macroéconomie?

• Une pièce centrale de l’histoire que se raconte les macroéconomistes: « la macroéconomie keynésienne qui domine jusqu’à la fin des années 1960 avait un talon d'Achille, sa foi dans la stabilité de la courbe de Phillips. Friedman a dévoilé le talon d’Achille et, une fois sa critique validée par la stagflation des années 1970, le keynésianisme a été balayé. »

=> Friedman a porté un coup fatal à la théorie keynésienne en montrant ses erreurs concernant la courbe de Phillips et le potentiel des politiques de stabilisation…

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• En quoi consiste la « foi des keynésiens »?

« Cette relation, que Samuelson et Solow baptisèrent la courbe de Phillips, devint rapidement centrale dans la pensée et la politique macroéconomiques. […] Une grande partie des discussions de politiques macroéconomique portait sur la question de savoir quel point de la courbe de Phillips choisir » (Blanchard et Cohen, 2009 : 207).

Courbe de Phillips centrale dans les réflexions des keynésiens

Courbe supposée stable et possibilité de choisir tout point sur la courbe : c’est l’arbitrage entre inflation et chômage.

Les keynésiens ont choisi une inflation forte pour obtenir un chômage faible et l’inflation a dérapé… => Leurs erreurs expliquent la stagflation!

Cette relation était la « pièce manquante » de la théorie keynésienne.

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Travaux depuis les années 2000 conduisent à nuancer cette version de l’histoire. Forder (2014) tout particulièrement.

C’est en grande partie un mythe au sens d’une histoire imaginaire!

Keynésien ont une compréhension plus fine de la courbe de Phillips que celle qui leur est généralement prêtée

La lutte contre l’inflation fait partie des priorités des macroéconomistes keynésiens après la seconde guerre mondiale.

La responsabilité des macroéconomistes keynésiens dans l’apparition de la stagflation est moins évidente qu’il n’y parait.

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1. La contribution de William A. Phillips (1958)

• Phillips étudie la relation entre taux de chômage et taux de variation des salaires sur près de 100 ans (1861-1957) et pour le Royaume-Unis.

• Méthode: Phillips détermine 6 points qui résument les données entre 1861 et 1913 (moyennes de sous-périodes). Il construit ensuite une courbe qui passe par ces six points.

• Il cherche ensuite à montrer que les données des périodes ultérieures gravitent toutes autour de la courbe initiale.

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Conclusion:

« le taux de variation des salaires peut être expliqué par le niveau du taux de chômage et par sa variation ».

Originalité de cette contribution?

1. Le fait d’affirmer que le taux de variation des salaires augmente que le taux de chômage baisse n’est pas original. De nombreux économistes ont examiné cette hypothèse avant Phillips et cela sur le plan empirique: Irving Fisher, Jan Tinbergen et Lawrence Klein pour en citer seulement trois. Mais la majorité des économistes des années 1950 pensent que le taux de chômage est un déterminant secondaire des salaires. Les salaires sont fixés en fonction d’un très grand nombres de facteurs socio-économiques qui varient au cours du temps. => En présentant le taux de chômage comme le seul déterminant des salaires, Phillips va à contre courant.

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2. Le point le plus original du papier de Phillips est l’affirmation d’une relation stable sur près d’une centaine d’années. Ce qui ajoute à la provocation précédente.

• Réception de l’article de Phillips:

James Forder montre que l’article est très critiqué et mal reçu. Ses deux conclusions principales sont rejetées par la majorité des économistes qui s’intéressent au processus de détermination des salaires: le taux de chômage n’est pas le seul déterminant et la courbe n’est pas stable à long terme.

La méthode empirique de Phillips est très sommaire et son traitement des données est cavaliers.

Richard Lipsey (1960) cite le papier par qu’il se présente comme la vérification d’une théorie. Son article falsifie (Popper) le point de vue de Phillips en montrant que la relation s’est déplacée

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• Point important: Phillips conclut de son analyse qu’il est possible d’atteindre un taux de chômage de 2,5% avec un taux d’inflation nul dans le contexte du RU. => Il ne défend pas l’inflation, bien au contraire. => 2,5% pouvait être jugé comme un taux de chômage trop élevé à l’époque au RU. La norme était plutôt 1,5%.

Hypothèse: rémunération à la productivité marginale. �

�= ����

En taux de variation avec N et � constants:

�̇ = � −̇ �̇

Où �̇est l’augmentation de la productivité du travail. Si son rythme est de 3% on obtient le résultat de Phillips à partir de sa courbe.

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• Ce que note Forder c’est que la contribution de Phillips n’est pas jugée comme importante par la plupart des économistes de son époque. Elle est en réalité critiquée par ceux qui s’y intéresse.

• Samuelson et Solow contribuent à attirer l’attention sur lui et sont sans doute à l’origine de l’appellation « courbe de Phillips » mais ils sont aussi critiques.

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2. Le contexte des années 1950 et le problème de la relation entre inflation et chômage

• Le contexte de la fin des années 1950 (1956-1960): comment expliquer la persistance d’une inflation positive alors que le chômage monte?

• L’inflation par la demande (théoriequantitative et théoriekeynésienne) est discrédité commeexplication potentielle.

• Recours à “l’inflation par les coûts” (‘cost push inflation’) pour expliquer cette “nouvelle inflation”

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• Cost-push: économie US transformé par un taux de syndicalisation passé de 20% à 40% et maintient de très grandes entreprises => pouvoir de marché des syndicats et des entreprises explique pourquoi les salaires et les prix continuent à monter même quand le chômage monte et que la croissance recule.

• Sumner Slitcher : secteurs d’industrie hautement syndiqués fixent la norme salariale que respectent ensuite les secteurs plus faiblement syndiqués => biais en faveur de l’inflation mais ce n’est pas dangereux. Solution: imposer que les syndicats modèrent leurs revendications.

• Gottfried Haberler : la montée des salaires est un effet des excès de demande passés. Il faut un chômage élevé pour casser l’inflation en modifiant les anticipations des syndicats.

• Charles Schultze : « demand shift theory ». Si les salaires sont rigides dans certains secteurs, une réallocation de la demande sans changement de niveau de la demande agrégée peut créer de l’inflation. Les salaires et les prix augmentent là où la demande augmente et restent constants là où la demande chute.

=> Série de contributions à un débat politique très important. Comment expliquer et comment résoudre la « creeping inflation »?

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3. Analytical Aspects of Anti-Inflation Policy” (1960)

• “ Tout comme les généraux sont accusés de toujours mener les mauvaises guerres, les économistes ont été accusés de combattre les mauvaises inflations.” (S&S, 1960) => Enjeu de l’article: savoir si on peut déterminer les causes de l’inflation de la fin des années 1950 pour proposer un remède adéquat et qui préserve l’emploi.

• Inflation par les coûts contre inflation par la demande: des théories impossible à départager

• Caractéristique de l’approche de Samuelson et Solow: l’éclectisme. L’inflation est un phénomène complexe et multi-causal. Toutes les théories disponibles peuvent contribuer à son explication.

• Recours à la courbe de Phillips : une approche empirique faute de mieux ou un moyen utile d’organiser la réflexion d’après eux.

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=> Quelle est la nature de la relation entre le taux d’inflation et le taux de chômage aux Etats-Unis?

• « A guess » ou une courbe « estimée approximativement »

Comme Phillips, Samuelson et Solow est fondée construire une courbe à partir de la définition de quelques points “moyens” qui résument les données US qu’ils explorent. C’est rudimentaire.

Mais à l’oppose de Phillips, ils mettent de côté les données des années 1930 et concluent que la courbe s’est déplacée après la Grande Dépression.

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« Le plus intéressant est l’impression très forte que la relation, telle qu’elle est, a légèrement mais nettement glissé vers le haut dans les années 1940 et 1950. » (Samuelson et Solow, 1960 : 189)

Le résultat est aussi différent de celui de Phillips car une inflation nulle (stabilité des prix) suppose un taux de chômage à 5,5% aux EU contre 2,5% au RU (d’après Phillips). • Comment interpréter ces résultats? => La thèse d’un changement de

régime:“Une période de forte demande et de prix croissants influence les attitudes, les anticipations et même les institutions en créant un biais favorable à davantage d’inflation.” (1960: 185)La période d’après guerre est dominée par une inflation positive (‘creepinginflation’) alors que l’inflation moyenne était nulle par le passé. Ceci est expliqué par la mise en place d’outils de politique économique nouveaux qui ont transformé les anticipations des acteurs de l’économie. => Les salaires ne baissent plus en phase de récession car on anticipe une reprise rapide.

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• Fait-on face à un danger de dérapage de l’inflation? S&S sont plutôt optimistes :

“A la différence d’autres économistes, nous ne concluons pas que, à moins qu’un coup d’arrêt soit porté au phénomène, le taux d’inflation doit accélérer. Nous laissons la question ouverte mais il est possible qu’une inflation rampante [‘creeping’] conduise seulement à une inflation rampante.” (1960: 185)

Remarque: ce que ces économistes envisagent est un régime proche de celui que nous avons connu depuis la fin des années 1980 avec un taux d’inflation positif mais modéré et stable.

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• Comment résoudre le dilemme inflation-chômage?

L’idée qui parcourt le texte est celle d’un dilemme politique. Peut-on avoir le plein emploi sans un excès d’inflation? C’est ce problème que résume la courbe de Phillips tracé par Samuelson et Solow et qui fait apparaître l’idée d’un arbitrage (« menu of choice ») avec deux options:

• Option B:

- Taux de chômage de 3%

- Taux d’inflation de 4,5%

• Option A

- Taux d’inflation de 0%

- Taux de chômage de 5,5%

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• Problème: Samuelson et Solow introduisent-ils l’idée d’un arbitrage entre inflation et chômage telle qu’elle est généralement présentée?

1. Ils ne supposent pas que la courbe de Phillips est stable. Sa position dépend en particulier de la politique adoptée:

« Il serait faux, cependant, de penser que menu de la figure 2 qui relie les prix et les taux de chômage atteignables conservera la même forme à long terme. Ce que nous ferons sur le plan politique pendant les prochaines années pourrait le faire se déplacer d’une certaine façon. » (1960: 193)

2. Ils opposent clairement deux options. L’option A est critiquée car, d’après eux, elle fait courir le risque d’une hausse du taux de chômage à long terme. Laisser monter le taux de chômage pour stabiliser les prix pourrait provoquer ce qu’on appelle aujourd’hui un effet d’hystérèse:

« Une économie de basse pression pourrait produire en son sein et au file du temps des niveaux de chômage structurel toujours plus élevés. Le résultat serait un déplacement vers le haut de notre menu de choix avec la nécessité d’un chômage toujours plus élevé pour maintenir les prix stables. » (p. 193)

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L’option conservatrice en matière de politique économique (politique d’austérité) risque d’enfoncer l’économie dans la dépression.

Ce qu’il recommande est donc clairement l’option B mais plutôt un taux de chômage de 4% (celui qui sera retenu par l’administration Kennedy) conduisant à un taux d’inflation de 2%. Mais…

3. Il ne s’agit pas simplement de glisser le long de la courbe! La politique de plein emploi doit s’accompagner d’une politique structurelle qui déplace la courbe de Phillips vers le bas pour limiter l’inflation:

« Nous n’avons pas discuté les options en matière de réformes institutionnelles capable de réduire le manque d’harmonie entre le plein emploi et la stabilité des prix. Celles-ci pourraient inclure des mesures comme les contrôles directes des prix et des salaires, des législation anti-syndicales et anti-trusts, et tout un ensemble de mesures susceptibles de déplacer la courbe de Phillips américaine vers le bas et vers la gauche. » (p. 194)

En d’autres termes, il s’agit d’obtenir plein emploi et inflation basse en réduisant le chômage structurel:

“Quelles décisions politiques pourraient réduire le taux de chômage critique à partir duquel les salaires commencent à croître ou à croître trop vite?” (1960: 187)

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• Limites de l’analyse de Samuelson et Solow- Un texte de circonstance qui se contente d’admettre l’absence de théorie

précise pour expliquer la relation entre inflation et chômage en défendant une approche éclectique ou multi-causale du phénomène.

- Ceci se traduit par un angle mort dans l’analyse de l’arbitrage qui clôt l’article. Samuelson et Solow affirment clairement que toute politique économique est susceptible de déplacer la courbe de Phillips mais ils n’ont pas de théorie simple pour expliquer comment la courbe se déplace. Lorsqu’ils analysent l’option A (celle de leurs adversaires républicains), ils envisagent la possibilité que la courbe se déplace à gauche comme à droite. Ils invoquent ensuite une sorte de principe de précaution face au danger d’une montée du chômage. Mais ils ne discutent pas l’option B de façon symétrique. Ils notent la possibilité de déplacer la courbe vers le bas en accompagnement d’une politique de plein emploi mais ne considèrent tout simplement pas la possibilité que la courbe se déplace vers le haut dans ce cas. La possibilité que la politique de plein emploi provoque un dérapage de l’inflation est passée sous silence.

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• Eléments de conclusion: La contribution de Samuelson et Solow à l’histoire de la courbe de Phillips peut paraître ambiguë. D’un côté, ils introduisent nettement l’idée d’un arbitrage le long de la courbe de Phillips et ils contribuent à populariser la courbe de Phillips en la présentant comme un outil utile pour réfléchir à la relation entre chômage et inflation. (Ils la redéfinissent comme une relation entre taux d’inflation et taux de chômage). D’un autre côté, le message centrale de leur article est le caractère instable de cette relation dont la position dépend de la structure de l’économie et de la politique suivie. L’arbitrage tel qu’ils le conçoivent n’est pas un simple glissement le long de la courbe. Tout mouvement le long de la courbe peut déplacer la courbe elle-même! C’est un problème qu’il faut considérer avec soin. Sur le plan politique, ils défendent le plein emploi (4% de taux de chômage) mais aussi la préservation d’une inflation modérée.

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4. La courbe de Phillips entre 1960 et 1968Je m’appuie ici sur le travail réalisé par James Forder (2014) et sur la lecture de George Perry, doctorant de Solow, qui publie un ouvrage sur la relation entre chômage, salaires et inflation en 1966.

Thèse Forder: la courbe de Phillips a peu de succès dans les années 1960. La courbe de Phillips fait du taux de chômage l’unique déterminant de la variation du taux de salaire et, partant, de l’inflation. Or, pour la majorité des économistes, la variation des salaires ne peut pas être expliquée uniquement à partir du taux de chômage. => Beaucoup de travaux cherchent à expliquer les salaires et les prix de façon empirique. Peu citent Phillips et lorsqu’ils le citent c’est le plus souvent de façon critique.

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• Illustration avec l’ouvrage de George Perry (1966)

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6. Milton Friedman (1968) et sa critique de la courbe de Phillips• “Le rôle de la politique monétaire” ou l’adresse présidentielle de Friedman

à l’AEA le 29 décembre 1967. Un texte merveilleusement écrit qui offre une histoire de la pensée économique du point de vue de Friedman. Il relie l’excès de confiance des économistes de la fin des années 1920, doté de la Fed, et celui des économistes keynésiens de la fin des années 1960 avec un Walter Heller qui croit pouvoir parler de « fine tuning ». Le texte est une charge contre une politique monétaire qui vise à contrôler le niveau d’emploi en maintenant des taux d’intérêts bas. Il se conclut par un plaidoyer en faveur de la politique recommandée par Milton Friedman: une règle de croissance de la masse monétaire imposée à la banque centrale. • La critique de la courbe de Phillips n’est qu’un court passage du texte mais

elle a eu un retentissement énorme.

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• L’argument de Friedman peut être compris comme une réponse à Samuelson et Solow

- Discussion d’une cible de chômage de 3% cad l’option B de l’article de Samuelson et Solow: que se passe-t-il si la Fed chercher à fixer le taux de chômage à 3% alors que ce taux est inférieure au taux de chômage naturel.

- Une volonté de clarifier le concept de taux de chômage structurel évoqué dans le texte de 1960 mais sans aucune définition précise. Friedman le définit comme le taux auquel les anticipations des prix de l’ensemble des acteurs du marché du travail se vérifie.

- Friedman envisage le scénario oublié de l’article de 1960: la politique monétaire vise le point B sur la courbe de Phillips et ceci déclenche un mouvement de la courbe vers le haut.

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• Argument de Friedman:

Accroissement de l’offre de monnaie => Accroissement des prix non anticipés par les travailleurs => Travailleurs croient voir leur salaire réel augmenter et acceptent de travailler plus / Employeurs tirent profit de la baisse du salaire réel en augmentant la production => A court terme, une hausse des prix ou de taux d’inflation réduit le taux de chômage => les travailleurs finissent par comprendre leur erreur et demandent un rattrapage des salaires sur l’inflation => retour au taux d’emploi naturel

La seule façon de préserver un taux de chômage à 3% consiste à tromper sans cesse les travailleurs en accélérant l’inflation, cad en élevant le taux de croissance de la masse monétaire.

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• Evaluation de l’argument de Friedman:

- Puissance de l’argument / Samuelson et Solow: Une approche théorique simple (mono-causale) face à l’approche empirique et à l’éclectisme de Samuelson et Solow.

- Un argument qui semble validé par les faits en 1970 lorsque le taux de chômage et le taux d’inflation augmentent de concert en rupture avec l’évolution des années 1960.

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• Limites de l’argument : - Ce qui apparaitra clairement par la suite est le fait que Friedman raisonne

au plein emploi ou à partir d’un marche du travail concurrentiel à l’équilibre. Dans ces conditions, il montre qu’une politique keynésienne au plein emploi peut avoir un effet inflationniste. Un tel résultat n’aurait été contesté par aucun keynésien.

- Problème: les keynésiens des années 1960 ont-ils visé un taux de chômage inférieur au taux de chômage naturel de l’économie? Les keynésiens au commande (Tobin, Solow) vont contester cela. En effet, ils demandent une hausse des impôts dès 1966. Mais, comme l’indique l’historien Michael Bernstein (2001), la politique économique est décidée au Pentagone à la fin des années 1960. La guerre du Vietnam entraîne un accroissement vertigineux des dépenses publiques. Ainsi la hausse des impôts intervient seulement en juillet 1968. - Le concept de taux de chômage est-il théoriquement fondé? Dans l’analyse de Friedman, il s’agit d’un pur effet de rhétorique: « le chômage dû aux imperfection dans un modèle walrassien ». Problème: il n’y a ni chômage ni imperfection dans un modèle walrassien… Un modèle walrassien contient en général une pluralité d’équilibre. A priori, il n’y a donc pas de taux d’emploi naturel vers lequel l’économie reviendrait automatiquement.

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7. La réaction des keynésiens à l’attaque de Friedman et la genèse d’un keynésianisme modifié

Une réponse sur le terrain empirique. Solow (1969) et Robert Gordon (1970) par exemple estime des relations de Phillips contenant le taux d’inflation anticipé parmi les déterminants du taux d’inflation. Si le coefficient devant le taux d’inflation anticipé est égal à un, l’hypothèse « accélérationniste » de Friedman est validée. Or les premiers travaux aboutissent à un coefficient égal à 0,4, loin de la valeur nécessaire.

De façon générale, les keynésiens envisagent la stagflation au prisme de la grille de lecture qui est la leur. L’inflation est un phénomène complexe qui est provoqué par une multiplicité de causes. Or les causes possibles dans les années 1970 sont nombreuses: excès de la politique de dépense publique liée à la guerre du Vietnam, transformation du marché du travail avec l’arrivée de la génération du Baby boom et des femmes (hausse du taux de chômage structurel ou déplacement de la courbe de Phillips vers le haut), chocs d’offre ou inflation par les coûts (hausse du prix du pétrole mais aussi des biens agricoles) qui ont le même effet.

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• Deux positions vont néanmoins émerger progressivement au sein du camp keynésien.

- Quelques keynésiens ne cèdent pas à la thèse de Friedman. C’est le cas de Robert Solow qui va contester le concept de taux de chômage naturel en invoquant la possibilité d’équilibres multiples et le fait que le marché du travail est institué. Il est scandalisé par la politique qui commence à viser un taux de chômage de 5% au début des années 1970 (Nixon). On peut aussi citer George Perry ou James Tobin.

- De jeunes keynésiens, liés au MIT où enseigne Solow, vont adhérer à la thèse « accélérationniste » de Friedman et au concept de taux ce chômage naturel. C’est le cas de deux figures majeures de la génération montante: Robert Gordon et Stanley Fischer. Tous les deux ont en commun d’enseigner à l’Université de Chicago (où se trouve Friedman) au début des années 1970. En 1978, chacun d’eux publie un manuel de macroéconomie qui intègre les concepts de Friedman à la présentation d’un modèle offre globale-demande globale. Ces manuels inaugurent la présentation que l’on retrouve dans tous les manuels d’introduction les plus utilisés en macroéconomie (Blanchard, Krugman, Mankiw…).

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- Comment expliquer cette conversion? Le cas de Gordon est bien documenté. Ce dernier fait face à des estimations empiriques de la courbe de Phillips qui vont de plus en plus dans le sens de Friedman à mesure que les années 1970 avances. Le coefficient sur le taux d’inflation anticipé s’approche de 1 et valide l’hypothèse d’un taux de chômage naturel. Ceci a joué un rôle considérable. On constate aussi la difficulté d’échapper à la logique de l’argument de Friedman.

- Un keynésianisme modifié. Gordon et Fischer n’abandonnent pas entièrement le camp keynésien. Ils supposent comme Friedman que l’économie revient automatiquement vers un taux de chômage naturel. Mais ils soulignent la lenteur de ce processus ou « l’inertie de l’inflation ». L’inertie des ajustements macroéconomiques laisse une place à la politique monétaire qui peut contribuer à stabiliser l’activité et l’emploi. Ils admettent par contre les arguments de Friedman concernant la politique budgétaire. Celle-ci ayant des effets lents et incertains, mieux vaut éviter de l’utiliser hors cas exceptionnels.

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Conclusion• En réalité, dans les années 1950 et 1960, la majorité des économistes croit qu’il n’est pas possible

d’expliquer le niveau de l’inflation uniquement à partir de l’état du marché du travail (taux de chômage). La variation des prix et des salaires est fonction des institutions qui encadrent le marché du travail (lois, normes, syndicats…). En l’absence de théorie qui permettent de dépasser cette complexité, on recourt à l’estimation d’équations multifactorielles pour expliquer la détermination des salaires. Dans ce contexte, l’approche de Phillips est généralement rejetée comme insuffisante et ses résultats sont jugés faux.

• Milton Friedman joue un rôle crucial en déplaçant le terrain de la controverse entre monétaristes et keynésiens sur le terrain de la courbe de Phillips. Face au bouleversement des années 1970, son analyse simple des ressorts de la relation entre chômage et inflation va exercer une fascination irrésistible pour toute une génération de jeunes économistes. A l’explication complexe et multifactorielle d’économistes comme Solow ou Perry se substitue une explication simple et logique de l’inflation: excès de création monétaire et erreurs d’anticipations.

• Friedman déclenche une révision majeure de l’approche du marché du travail en macroéconomie. Avec son analyse, puis les modèles de Lucas, la vision d’un marché du travail spécifique et encadré par des institutions complexes cède le pas à une vision microéconomique plus standard.

• Les jeunes économistes du MIT qui vont inventer le nouveau keynésianisme deviennent les défenseur de la courbe de Phillips à la Friedman face aux nouveaux classiques qui affirment l’absence d’arbitrage entre inflation et chômage même à court terme.

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Page 33: Les keynésienset la courbede Phillips...1. La contribution de William A. Phillips (1958) •Phillips étudie la relation entre taux de chômage et taux de variation des salaires sur

• La question de la courbe de Phillips retrouve une actualité après la crise de 2008. Alors que le taux de chômage se met à baisser aux Etats-Unis ou en Europe au lendemain de la crise, des économistes prédisent une inflation qui ne vient pas. La courbe de Phillips a-t-elle disparue? Ces faits redonnent de l’intérêt à l’approche empiriques des années 1960 qui reconnaissait le caractère plastique, institué et multifactoriel, des équations déterminant la variation des salaires.

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