les justifications du service public peuvent-elles

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LES JUSTIFICATIONS DU SERVICE PUBLIC PEUVENT-ELLES CONTENIR LE MARCHÉ ? Laurent Thévenot* *Centre d'Études de l'Emploi et Groupe de Sociologie Politique et Morale (EHESS-CNRS) in Lyon-Caen, A. et Champeil-Desplat V. (dir.), 2001, Services publics et droits fondamentaux dans la construction européenne, Paris, Dalloz.

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LES JUSTIFICATIONS DU SERVICE PUBLIC PEUVENT-ELLES CONTENIR LE MARCHÉ ?

Laurent Thévenot*

*Centre d'Études de l'Emploi et Groupe de Sociologie Politique et Morale (EHESS-CNRS)

in Lyon-Caen, A. et Champeil-Desplat V. (dir.), 2001, Services publics et droits fondamentaux dans la

construction européenne, Paris, Dalloz.

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Accompagnant un nouvel essor du libéralisme économique, les critiques adressées à l'État

visent aujourd'hui systématiquement les services publics. Elles s'étendent aux notions d’intérêt général ou de solidarité qui sont alors traitées comme des idéologies ayant fait leur temps, ou comme des valeurs idéalistes masquant le jeu sous-jacent des intérêts individuels. La position qui en résulte nourrit les critiques portées aussi bien à l'égard des entreprises publiques que des politiques ou des services publics. Elle soutient des réformes proposant de substituer une régulation concurrentielle par le marché à la régulation par l'État ou à d'autres formes civiques de gouvernement, pour la raison que la première serait simplement plus adéquate à satisfaire les véritables intérêts des personnes concernées. Corrélativement, les termes de "consommateur", voire de "client", sont préférés à ceux d’usager ou de citoyen.

Nous contesterons ici ces critiques. L'organisation selon des marchés concurrentiels n'est pas une méthode neutre ou polyvalente; les services publics ne proposent pas des services comme les autres. Pour ébranler ces critiques dans leurs fondements, nous devons prendre au sérieux non seulement les principes guidant les justifications avancées à l'appui des services publics mais aussi leur réalisme, c'est-à-dire les liens qui unissent ces justifications à des formes d'action ou d'organisation. Nous serons alors en mesure de rétablir les deux relations qui sont ignorées dans les critiques que nous venons de rappeler :

- la relation entre des valeurs d'intérêt général justifiant les services publics et des exigences pratiques d'action et d'organisation qui soumettent ces valeurs à une épreuve de réalité;

- la relation parallèle entre des actions ou des organisations concurrentielles et des justifications qui les soutiennent et supposent une certaine spécification du bien commun comme marché commun1.

Une approche réaliste de la place des justifications dans l'action suppose de prendre garde à ce double mouvement : la mise à l'épreuve des valeurs rapportées aux actions qu'elles organisent; la mise en valeur des organisations rapportées aux justifications qui les maintiennent. Il faut pour cela disposer d'un cadre d'analyse qui permette de faire le lien entre des définitions du bien commun et des dispositifs matériels qui les supportent, deux genres d'objets d'ordinaire traités selon des approches, voire des disciplines, différentes. A partir de l'identification des critiques et formes de justifications les plus légitimes (Boltanski et Thévenot, 1989, 1991), le programme d'enquête réalisé a inclus de nombreux dispositifs qui sont animés d'un esprit public, au-delà d'une définition statutaire de service public : collectivités locales (Lafaye 1989, 1990) , établissements scolaires (Derouet 1992), entreprises mutualistes (Wissler 1989a, 1989b) ou publiques (Bras 1995), politiques publiques (Bessy, Eymard-Duvernay, Gomel et Simonin 1995; de

1 Relevant de la philosophie politique et morale, l'économie politique donnait lieu à l'explicitation de ce bien commun

marchand ou à sa critique. Après transformation en science économique, le théorème du bien-être est la trace qui

subsiste de cette articulation entre le langage du bien commun et celui des lois scientifiques. L'usage ordinaire de la

théorie économique, y compris par les économistes, continue de faire souvent référence aux bienfaits du marché, ce

qui n'empêche pas en d'autres occasions de le traiter comme loi de nature.

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Foucauld et Thévenot 1995; Thévenot 1995a), normes de sécurité (Kessous 1997; Normand 1997; Thévenot 1993b, 1997b), associations (Boltanski 1993; Camus 1991), syndicats (Corcuff 1991), mouvements sociaux (Corcuff 1997), conflits environnementaux (Lafaye et Thévenot 1993; Thévenot 1996a). Nous voudrions en tirer ici quelques enseignements sur les justifications de l'action publique2.

Une première partie indique les bases de cette approche réaliste des justifications qui rompt avec leur réduction idéologique ou simplement idéaliste, et qui permet d'appréhender leurs relations à des dispositifs organisationnels ou de réfléchir à l'équipement spécifique construit par le droit. Une deuxième partie précise le rapport entre l'exigence de justice et l'équipement des sociétés, rapport qui fonde notre approche réaliste. Les grandeurs du service public sont examinées dans une troisième partie. Une quatrième partie porte enfin sur les conséquences à tirer en termes de dispositifs de régulation.

1. LE REALISME DES JUSTIFICATIONS

Pour rendre compte des justifications avancées à l'appui de l'action, nous avons suivi une orientation attentive à la pluralité des ordres de justification légitime. Reconnaître l'ouverture pluraliste des jugements ordinaires diffère de l'effort inverse d'identification d'un système unifié de jugement, tel qu'on le voit dans les analyses inspirées de Luhmann, par exemple. La clôture judiciaire des arrêts et décisions fait défaut au mouvement ordinaire de critique et de justification. Michael Walzer (1997) a aussi proposé une théorie de la justice qui, contre celle de John Rawls (1987), porte attention à une pluralité de "sphères de justice"3. En identifiant une pluralité d'ordres de grandeur, nous n'avons pas cherché seulement à construire une typologie de formes légitimes d'évaluation mais à démontrer qu'elles satisfont toutes un ensemble de contraintes communes dont l'explicitation permet de dessiner les contours d'un sens de l'injustice qui diffère et du libéralisme politique, et du communautarisme, et de la théorie rawlsienne d'une justice procédurale4.

2 Nous nous limiterons ici aux justifications, sans envisager d'autres régimes pragmatiques que nous avons envisagés

ultérieurement et qui éclairent les rapports entre les appréciations selon un intérêt individuel et selon un bien

commun (Thévenot, 1996c). Sur un régime machiavélien alliant l'opportunité des moyens à la justification des fins,

voir Corcuff (1994). 3 Pour une confrontation portant notamment sur l'approche du politique, de l'Etat, et des acteurs des politiques

sociales, voir notamment : Ricœur (1995), Thévenot (1995a) et Walzer (1995), dans Affichard et de Foucauld (1995). 4 Ceci n'empêche pas d'intéressantes proximités avec les exigences mises en avant dans ces différents modèles

politiques. Nous avons déjà mentionné les liens avec le "libéralisme complexe" au sens de Walzer. On retrouve

aussi dans une partie de la matrice commune à tous les ordres de grandeur le deuxième principe de justice de

Rawls : l'accès ouvert à tous les états de grandeur et la relation entre la grandeur des grands et un bien commun

bénéficiant aux petits (Thévenot 1992, 1996c). Pour une comparaison avec d'autres figures du libéralisme politique

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Nous nous sommes rendu compte a posteriori d'une inspiration commune à la construction de

Walzer et à celle que nous avons élaborée avec Luc Boltanski, antécédent commun qui aide à réfléchir sur la nature critique de ce pluralisme : la pensée pascalienne de la pluralité des grandeurs et son analyse de la tyrannie comme débordement d’un ordre sur un autre. Cette pensée fait écho à la question qui nous occupe ici et dont s'est particulièrement soucié Walzer dans le contexte de la société américaine : comment contenir la tyrannie du marché lorsqu'il déborde au-delà des limites de sa sphère de validité pour régir la santé, l'éducation, l'environnement? Le sentiment d'abus de pouvoir et d'injustice que suscite ce débordement doit être rapporté aux limites de validité de chaque ordre, et au rapport critique qu'il entretient avec les autres. Si l'on reconnaît que l'action publique n'est pas réductible à la sphère du marché, hypothèse qui donne sa raison d'être aux réflexions publiées dans cet ouvrage, il y a lieu d'identifier des ordres et des sphères différents.

Justifier pour coordonner

Comment caractériser ces ordres et ces sphères? Walzer les rapporte à des institutions distribuant des "biens sociaux" : pouvoir politique, éducation, profit, etc. Notre position est différente et résulte d'une deuxième orientation majeure (Thévenot 1992). Nous avons pris nos distances par rapport à une conceptualisation de biens sociaux ou de valeurs qui les dissocie de l'action et de ses moyens, pour ne les rapprocher que dans l'opération de "distribution" de ces biens sur laquelle se concentre la justice distributive5.

A l'inverse, je proposerai d'inscrire la question des biens, des valeurs ou autres formes d'évaluation dans le cadre d'une coordination problématique de l'action. Les ordres de grandeur offrent des formes de jugement adéquates pour la dynamique de certaines coordinations qui réclament de fortes exigences de publicité. Les ordres sont des artifices confectionnés dans les sociétés humaines afin de faciliter ce genre de coordination. Une telle conception s'inspire de la conception artificialiste du droit, à ceci près qu'elle vise à couvrir des artifices conventionnels plus divers et donc des constructions différentes. En outre, plutôt que de se centrer sur des relations entre êtres humains, il s'agit d'être attentif à la façon dont ces artifices conventionnels gouvernent toutes sortes d'interdépendances entre des êtres humains des des artefacts matériels qu'ils ont confectionnés, ou avec des êtres de nature. Les artifices conventionnels permettent de qualifier des mondes dont chacun se maintient selon une modalité différente (par des manifestations inspirées, des gages de confiance, des signes dans l'opinion, des liens de solidarité mutuelle, des marchandises à échanger, des techniques industrielles). L'attention aux équipements qui servent de soutien aux différents ordres de justifications, lesquels ne sauraient plus dès lors être considérés

et de la démocratie, voir le travail comparatif effectué à partir d'enquêtes empiriques sur les figures du bien en

France et aux USA (Thévenot et Lamont 1998). 5 Cette dissociation entre des valeurs et des moyens utilisés dans une action orientée rationnellement vers ces valeurs

est particulièrement nette dans la théorie de l'action de Max Weber, et plus diffuse dans l'usage courant de la

notion de valeur.

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simplement comme des valeurs, des croyances ou des idéologies, permet de relier la réflexion sur la justification et l’analyse des organisations (Thévenot 1997a). Elle participe d'une économie des conventions qui analyse, dans les institutions et les organisations, une variété de modes de coordination irréductibles au seul marché concurrentiel (Revue économique, 1989). Elle rencontre aussi le souci de juristes de prolonger des droits par des garanties d'exercice, et donc de prendre garde aux normes d'organisations favorables à ces droits.

2. JUSTIFICATIONS LEGITIMES DANS DES MONDES EQUIPES

L'analyse des justifications requiert de comprendre ce qui leur confère une légitimité, à la différence d'autres argumentations qui en sont dépourvues. Les travaux réalisés en amont du colloque qui est à l'origine de cette publication me permettront d'introduire cette question. Un groupe de travail a réuni pendant un an des juristes européens afin de confronter les arguments qui sont avancés pour justifier l'intervention des collectivités publiques dans la production de biens et services, et les catégories juridiques dans lesquelles ces interventions sont pensées6. Le terme "justifier" a reçu des compréhensions très variées de la part des experts, ce qui peut nous aider à préciser le sens plus restreint auquel nous nous sommes limités dans l'analyse des ordres de grandeur. Présentant la situation allemande, Ingolf Pernice avait notamment mentionné des justifications dites historiques (les événements ayant conduit à la nationalisation des chemins de fer), financières (l'intérêt des communes à participer aux approvisionnements d'énergie, de façon à financer d'autres activités déficitaires) ou encore d'opportunité (postes intéressants pour placer d'anciens responsables politiques, tels ceux des entreprises fournissant l'électricité). Sans mettre en question la force de ces raisons qui rendent toutes compte de la perpétuation des services publics, notons qu'elles relèvent de grammaires argumentatives différentes : causalité explicative pour les justifications historiques (qui peuvent cependant être mises en valeur dans un ordre de grandeur magnifiant la tradition); intérêt local d'une organisation communale; intérêt particulier d'individus. Aucun de ces motifs ne répond aux exigences d'un régime public de justification qui suppose d'intégrer l'argumentation dans une figure du bien commun. C'est le cas, en revanche, d'autres raisons avancées par Ingolf Pernice et qu'il désigne comme "sociales" (permettre la redistribution des revenus et le contrôle des prix), "économiques" (assurer l'approvisionnement des régions rurales les moins favorisées), "culturelles" (garantir des services culturels et une éducation minimale pour tous). Au-delà d'une diversité apparente tenant à des domaines d'intervention différents, ces derniers arguments peuvent être rapportés à un même ordre de grandeur civique sur lequel nous reviendrons car il joue un rôle prépondérant dans les justifications des services publics.

6 Voir la présentation de ce groupe et de ses travaux dans le chapitre ****.

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Le traitement en justice des attaches aux personnes et aux choses

Cette notion d'épreuve, et la place qu'elle accorde à des objets - dûment qualifiés - pour dire l'ordinaire du juste et de l'injuste, sont originales par rapport aux formulation du droit ou des théories de justice. Il s'agit de rendre compte des inquiétudes ordinaires quant au pouvoir et aux dépendances que confèrent les attaches des êtres humains à d'autres êtres, qui sont plus diverses que celles saisies par le droit de propriété ou la justice distributive. Ayant confectionné des équipements ou des artifices techniques, s'étant emparé de la nature, l'être humain se trouve dépendant, et non autonome comme le juriste ou le philosophe politique et moral se plaisent à le considérer (Thévenot 1996a). Le traiter en individu autonome est inapproprié pour saisir certains rapports entre les personnes et les choses. Dans le souci de comprendre l'édification de tels rapports, je préférerai partir de l'hypothèse d'attaches multiples plutôt que d'un présupposé d'autonomie, en ayant garde de ne pas me limiter aux attachements à des groupes sociaux que privilégient trop exclusivement les sciences sociales7.

Ces attaches font dépendre les êtres humains d'autres êtres de nature ou d'artifice. Elles induisent des asymétries de puissance. Une fois constituée une commune mesure (première étape de la confection d'une grandeur par la mise en équivalence), les asymétries locales deviennent inégalités générales et suscitent des tensions avec une exigence de commune dignité. Chaque ordre de justification peut dès lors être envisagé comme une construction politique répondant à l'exigence suivante : inscrire dans la question du juste une forme parmi d'autres de dépendance des êtres humains à d'autres êtres, et notamment à l'ameublement matériel des mondes sociaux. Chaque ordre de grandeur est destiné à traiter selon un régime de justice un mode de dépendance qui a pu être historiquement généralisé. Il conduit à intégrer, dans une qualité de l'être humain (d'efficacité, de réputation, de notoriété, etc.) compatible avec son égale dignité, un certain rapport avec des ressources et des équipements.

Illustrons ce propos à partir d'exemples concernant les services publics. Une partie importante de ces services est constituée de réseaux : poste, télécommunications, audiovisuel, transports, énergie, etc. On sait que les infrastructures de réseau compliquent la privatisation du bien ou du service et sa marchandisation. Les différents accès des personnes au service peuvent se traduire par des asymétries et inégalités, mais ils participent aussi d'une forme de bien commun en raison des effets propres de solidarités de réseau que l'économie tend à réduire à la catégorie fourre-tout d'externalité. Lorsque les services en réseau concernent des attaches jugées primordiales pour les capacités de l'être humain (pour sa santé, sa sécurité, sa socialisation par l'éducation et l'information), on comprend qu'un traitement en justice de ces attaches au réseau oriente vers des figures de solidarité civique plutôt que de concurrence marchande.

7 Sur les conséquences à tirer en matière de conceptualisation de l'action comme engagement, voir Thévenot 1998.

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3. GRANDEURS DU SERVICE PUBLIC

Le paradoxe d'un service public de l'ordre marchand : défendre la concurrence pour l'intérêt

général du consommateur

Le marché concurrentiel figure au nombre des ordres de justification : il permet des coordinations à partir d'une forme commune d'évaluation par le prix, ainsi qu’une dynamique de remise en question de l'évaluation (par la concurrence) comme dans chaque ordre de grandeur. La coordination marchande n’est pas une technique, une méthode ou une procédure axiologiquement neutre : elle s'inscrit dans une spécification du bien commun. Cette thèse nous a valu deux types d'attaques croisées. Les premières sont formulées par certains économistes soucieux de réaffirmer la neutralité scientifique de leur discipline en mettant en avant, à la suite de Walras, une efficacité naturelle du marché due à ses lois. Les secondes proviennent de critiques accoutumés à dénoncer l'irréalisme du modèle de marché concurrentiel8. La reconnaissance d'une "grandeur" marchande nous paraît néanmoins indispensable pour comprendre la place du marché parmi les divers modes de coordinations disponibles dans nos sociétés, pour déterminer les limites de sa validité et relativiser sa portée en critiquant ses débordements.

L’effort pour promouvoir, au niveau européen, un pluralisme des formes de coordination et de leurs justifications doit précisément se garder d’une neutralisation du marché, et de l’idée corrélative qu’il est possible d’utiliser le marché à d’autres fins que la sienne propre. Les textes de référence européens sont orientés par l'idée que la concurrence est un principe supérieur commun et nous sommes nombreux, dans cet ouvrage, à nous interroger sur la possibilité que ces textes incluent d'autres principes ou droits venant balancer celui de la concurrence autrement qu'à titre d'exception. Mais la situation est plus dommageable encore lorsque la coordination concurrentielle est conçue, non comme un principe supérieur commun auquel d'autres pourraient être opposés dans le cadre d'un pluralisme démocratique, mais comme une contrainte ou une loi de nature s'imposant à tous en toutes situations. Certains propos de juges chargés de l'application de ces textes vont parfois dangereusement dans cette direction, qui fait cependant l'objet d'âpres débats au sein de la communauté scientifique des économistes.

La contribution de John Bell et Patrick Birkinshaw sur le service public britannique nous montre une situation dans laquelle cette grandeur du marché est si bien établie, en raison d'un très ancien équipement juridique libéral9 et surtout d'actes récents de mise sur le marché d'activités publiques, que le dernier noyau dur de l'action publique n'apparaît qu'au titre d'exceptions à la possibilité de marchandisation : pouvoir judiciaire, pouvoir réglementaire et activités portant

8 Ce feu croisé est au demeurant typique de la schématisation présente des débats politiques qui ne pêchent pas

seulement aujourd'hui par "pensée unique", mais souvent aussi par "pensée duelle" si l'on peut dire. 9 Tout différent est le cas espagnol où la constitution récente de 1978 d'un "Etat social" (voir la contribution de

Elisenda Malaret-Garcia) soutient l'intérêt économique des consommateurs parmi une liste d'autres droits relevant

clairement de justifications non marchandes : santé et sécurité, enseignement, environnement...

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atteinte aux libertés fondamentales. En revanche, les justifications de l'action publique, telles qu'elles apparaissent dans les missions de l'officier public indépendant qu'est le Régulateur, incluent l'ordre marchand. Non seulement les agents du service public doivent se soumettre à une épreuve du marché ("market testing") en étant mis en concurrence avec des opérateurs privés afin de procurer au consommateur le service au moindre prix, mais le Régulateur doit veiller au respect de la concurrence entre opérateurs privés. Comme d'autres institutions de support de la concurrence, celle-ci montre que le marché doit être traité comme un bien commun, non comme une loi de nature, et que son fonctionnement doit être soutenu par une large ensemble d'équipements pouvant même inclure des services publics.

La grandeur civique du service public : remédier solidairement à des inégalités de dépendances

La confrontation des différentes justifications des services publics, dans l'investigation menée auprès de juristes européens, fait apparaître la place dominante de l'ordre que nous avons appelé civique dans l'identification des grandeurs (Boltanski et Thévenot 1991). En amont de la disparité d'interventions sectorielles qui servent souvent aux détracteurs de motif pour dénier toute cohérence à la notion de service public, on observe un fondement commun à une grande partie des justifications avancées. Il ne s'agit pas d'une valeur que partageraient certains individus particulièrement altruistes, mais d'une référence commune dont savent se saisir tous les acteurs pour procéder à certaines qualifications10. Cet ordre spécifie la commune dignité en terme d’égalité d'accès à un même intérêt général; l'épreuve civique se traduit alors par des mouvements de solidarité remédiant aux sources d'inégalités. Cet ordre est supporté pas des instruments de solidarité et pas seulement par des règles égalitaires, même si l'instrument réglementaire reste un équipement majeur de cet ordre. Selon la lecture que j'ai proposée plus haut des ordres de grandeur en les envisageant comme des inscriptions dans un régime de justification de dépendances aux choses, l'ordre civique vise à repousser les attaches créatrices d'inégalités, avec la nature notamment (sexe, santé, sécurité, disparités territoriales), et à rétablir au moyen de mesures de solidarité une commune dignité menacée par les inégalités résultant de ces attaches. L'égalité d'accès, l'un des principes du service public français11, conduit dans différents pays à des exigences de peréquation tarifaire, de service universel, de desserte égale sur tout le territoire, d'accessibilité pouvant requérir une attention particulière à des handicaps (Danemark, Grande

10 Dans une enquête comparative France - États-Unis sur les justifications invoquées lors de conflits suscités par des

projets d'aménagement, on a pu constater l'importance de cet ordre civique, y compris dans une culture américaine

qui accorde une place centrale à la grandeur marchande (Thévenot 1996a, 1996d). Une différence importante tient

d'ailleurs à ce que le compromis civique-marchand est profondément frayé aux États-Unis alors qu'il est très

problématique en France. 11 Notons qu'un deuxième principe, d'ordre industriel, d'adaptation et de mutabilité du service public afin de suivre le

progrès techniques, est lui spécifique à la France. Sa composition avec le principe d'égalité participe du compromis

civique-industriel qui est prééminent dans l'État français et ses institutions (et auquel le droit social apporte un

soutien significatif).

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Bretagne). Relèvent de cet ordre de justification les protections en matière de santé et de sécurité que l'on retrouve en général au fondement de services publics. On notera le cas de l'Espagne où la constitution de 1978 d'un "État social" permet, comme l'a souligné Elisenda Malaret-Garcia dans sa contribution, une interprétation moins individualiste des droits fondamentaux tenant compte d'une idée d'égalité sociale, et une spécification de droits en matière de santé, de sécurité, d'éducation12.

L'analyse en termes d'ordres de justification permet de dissocier justification civique et État, en évitant la confusion entre les deux termes qui, spécialement répandue en France, nuit au débat européen sur les services publics. Il ne s'agit pas pour autant de se joindre aux proclamations de la fin de l'État Providence et de dévaluer le rôle de l'État dans les dispositifs d'inspiration civique, d'éducation, de santé ou de protection sociale. Mais il y lieu d'identifier ce qui, dans la régulation par l'État, garantit mal que les mesures et leur application soient soumises à une épreuve critique largement ouverte. Symétriquement, il importe de reconnaître les dispositifs non étatiques, notamment associatifs, qui supportent l'orientation civique dans la société, ou encore les mouvements sociaux tels que ceux de décembre 1995 qui comportent également une relance de cette critique civique.

Le geste civique de solidarité s'étend potentiellement à l'humanité sans être limité à une communauté de référence plus restreinte. On le voit clairement dans le geste de solidarité internationale. Cependant, les mécanismes institutionnels de solidarité mis en place par des États ont généralement une extension limitée à une nation13. En période de crise, la couverture nationale de ces mécanismes favorise des clôtures xénophobes et, finalement, les mises en question de la notion civique de solidarité. Les visées solidaristes des politiques sociales sont alors minées au profit d'une visée différente d'aide préférentielle aux plus proches, ou de mutualité à l'intérieur d'ensembles plus restreints. C'est ainsi qu'on en arrive, dans des arguments xénophobes, à une délimitation clairement non civique d'une population de "Français de souche" qui serait seule "digne de" bénéficier des politiques sociales.

Comme tous les ordres de grandeur, l’ordre civique tire sa capacité à la coordination de ce qu'il permet une décentralisation du jugement dans des situations particulières. Le marché n’a pas le monopole de cette décentralisation (Affichard 1997). S’il est justifié de s’opposer à l’abus de pouvoir de l'État "à la française"14 au nom de l’exigence de décentralisation, il serait erroné d’en

12 Une grandeur "verte" traitant des attaches à la nature (Lafaye et Thévenot 1993; Thévenot 1996a) tend aujourd'hui à

s'autonomiser progressivement de la grandeur civique et elle est souvent invoquée au fondement de services

publics. 13 La comparaison de l'expression de cette grandeur civique en France et aux États-Unis a fait ressortir que, dans ce

dernier cas, le civisme est plus nettement supporté par des droits qui sont eux-mêmes associés à la nation via leur

support dans la constitution américaine. 14 La critique de la chose publique visant ses aspects "bureaucratiques" doit être précisée dans ce sens : l'abus de

pouvoir, selon le sens ordinaire du juste, ne tient pas seulement à cette concentration de l’expertise civique, mais

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conclure le rejet du civisme lui-même, et son remplacement par la régulation marchande comme le proposent certains acteurs (Camus, Corcuff, Lafaye, 1993). Il faut vivre dans un pays particulièrement centralisé, où le civisme se confond fâcheusement avec l'État, pour penser que l'ordre civique est un ordre central par nature, ce qu'entretient la schématisation culturelle d'un "républicanisme français" mais qui ne résiste pas à une analyse plus diversifiée des formes de civisme au sein de la société française, ni a fortiori à une comparaison internationale (Thévenot 1996a; Thévenot et Lamont 1998; Thévenot, Moody, et Lafaye 1998). Les travaux du Centre d'Études de l’Emploi sur les politiques sociales décentralisées et en partenariat (Simonin Gomel et Schmidt 1994, Simonin 1995, Barbier 1997) montrent clairement le mouvement critique qui met en question la confusion entre civisme et règles d'État, et qui amène à prendre en considération les voix d'acteurs divers s'exprimant dans d’autres dispositifs porteurs de l’épreuve civique, notamment le tissu associatif (Marchal 1992) fortement engagé dans la partie décentralisée des politiques sociales. Des associations comportant une forte composante civique contribuent à la reconnaissance de droits nouveaux tels que le droit au logement (Doidy 1997).

Un travail effectué sur les Caisses d'Allocations Familiales (Adjerad 1997) nous montre que cette épreuve civique se déploie à trois niveaux au moins : au niveau de la justification des mesures prises par l'État et de leur légitimité; au niveau des règles de fonctionnement des organismes mettant en application les mesures; au niveau des agents dans leurs relations avec les usagers. Une préoccupation civique d'exercice effectif des droits des usagers se manifeste ainsi dans le souci exprimé par l'agent de corriger des inégalités d'accès aux prestations et de procéder à une "segmentation civique" des usagers. Il en résulte une tension avec une "segmentation industrielle" qui, lourdement instrumentée dans l'organisation technique des Caisses, met en valeur les allocations les plus faciles à gérer et correspond à des critères d'évaluation privilégiés par les indicateurs courants de gestion. La préoccupation civique de solidarité se manifeste également dans le traitement personnalisé des bénéficiaires, lorsqu'est recherchée la continuité dans les paiements et l'ouverture de droits anticipés face à des situations d'urgence. L'accueil social est alors animé d'un souci préventif (id., p.189)15.

La justification de services rendus dans un ordre domestique de la confiance : une solidarité de

proximité

Compensant des inégalités, la solidarité civique participe d'une aide. Cependant, cette aide procède d'une relation rendue anonyme par le détour d'un intérêt général et d'une égalité formelle16. Elle se différencie en cela d'une variété d'autres formes d'aides, d'arrangements ou

aussi au compromis très prégnant en France avec une expertise d'ordre industriel sur ce qui fait "progrès",

expertise elle-même fortement concentrée dans certaines mains. 15 Sur la tâche civique des agents engagés dans les politiques sociales, voir: Walzer 1995 et Thévenot 1995a. 16 Ainsi, un professeur français peut refuser une aide pour une classe de neige, proposée par la section locale du

Rotary Club à certains enfants défavorisés, pour le motif qu'elle porte atteinte à la dignité des familles en ce qu'elle

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d'accommodements qui prennent en compte la personne ou le familier. Pour traiter de cette variété, il a fallu prolonger notre investigation du régime de justification par celle d'autres régimes pragmatiques requérant des engagements de proximité (Boltanski 1990, 1993; Thévenot 1990, 1993b, 1994, 1996c, 1997e)17. Sans entrer ici dans le détail de cette exploration, on ne peut complètement l'ignorer en raison de ce que le service public implique de service de proximité, de service personnalisé supposant fidélisation et confiance, même si l'on s'en tient à ses délimitations strictes18.

Parmi les ordres de justification, nous avons identifié un ordre domestique de la confiance qui contribue à monter en généralité des relations personnelles et des gages de confiance, en les inscrivant dans des qualifications de bien commun. Après de nombreux travaux empiriques explorant la place de cet ordre dans les organisations, nous sommes en meilleure posture pour préciser les limites de cet ordre par rapport à une variété de liens personnels souvent abusivement rapportés à cette grandeur domestique. La mise en ordre domestique repose sur des relations mettant en valeur le proche autant que l'antériorité, mais elle suppose de dépasser les clôtures locales du face-à-face, de l'aide personnelle, de l'amitié, du cercle ou du réseau de personnes de confiance. Elle suppose de rendre généralisable à tous, c'est-à-dire acceptable et criticable vis-à-vis d'un tiers, un jugement de confiance et de réputation. Ainsi, dans le fonctionnement d'une collectivité locale, on pourra repérer des "arrangements" correspondant à des services rendus qui ne sont pas publiquement justifiables19, mais aussi de nombreuses qualifications de personnes et de choses qui visent, à l'inverse, à une justification de bien commun (Lafaye 1989, 1990; Corcuff et Lafaye 1996). La place de cette qualification domestique explique la vigueur des tensions suscitées par un mouvement de “modernisation” des services publics, qui a pris dans la période récente le sens d’un engagement marchand prononcé.

Les services publics entretenant un important réseau d'agents en contact avec les usagers, tels que le réseau des facteurs à La Poste, comportent une abondance de services personnels, particulièrement en milieu rural. Ces services sont hautement valorisés par les agents qui les effectuent et qui les justifient en général selon une grandeur domestique, ou parfois civique comme solidarité avec des usagers de milieux défavorisés; les usagers qui en bénéficient y voient également une dimension importante du service public (Bras 1995). Cependant, ces services ne

est destinée personnellement à une famille que le Club a choisie en dehors de toute procédure publique, ou en

l'absence de détour par le collectif de la classe (Camus 1991). 17 Sur les situations de face à face, exigées notamment par la mise en pratique des règles de service public, voir :

Corcuff et Depraz (1993), Eymard-Duvernay et Marchal (1994, 1997). Pour un cadre général d'analyse de la relation

d'agapè qui suspend l'équivalence en justice, voir Boltanski 1990. 18 Sans comprendre l'ensemble des services de proximité placés au centre de la réflexion sur "l'économie solidaire" :

Eme et Laville, 1994; Laville 1995. 19 Étendus à grande échelle et soldés par d'importants flux financiers, les services rendus peuvent relever d'une

corruption qui est, en Italie, le motif avancé avec le plus de force pour privatiser des services publics (voir la

contribution de Erminio Ferrari).

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sont généralement pas reconnus par la direction qui les tient pour "hors cadre". Sont dénoncés un "pouvoir discrétionnaire du facteur" qui "s'arrange" et établit des "relations personnalisées", ou la montée en généralité elle-même stigmatisée comme "œuvre sociale" sortant des attributions de l'entreprise. Sous la pression de l'impératif marchand, une réponse a consisté à "marchandiser" ces services pour les faire entrer dans le cadre, en concevant de nouvelles prestations payantes (plusieurs passages à domicile pour les lettres recommandées). On passe alors de "rendre service" à "fournir un service" (id.) et le changement de qualification et de dispositif rompt le mode d'engagement antérieur, même s'il peut intéresser une nouvelle clientèle. Dans quelques projets pionniers, on a cherché en revanche des compromis en intégrant ces services rendus en milieu rural à des populations isolées, dans le cadre de "nouvelles solidarités" de proximité prises en charge en partenariat avec des collectivités locales (id.).

Les engagements de proximité que nous avons envisagés dans cette section sont faiblement pris en compte dans les justifications les plus officielles des services publics. Et cependant leur identification aide à comprendre la défense des services publics de la part des usagers et des agents, défense trop souvent stigmatisée comme un repli frileux sur des "avantages acquis"20 dans certaines lectures des mouvements sociaux récents.

4. L'ADEQUATION DES DISPOSITIFS DE REGULATION AUX DIFFERENTES JUSTIFICATIONS

Nous aborderons, pour terminer, les formes de régulation des services publics qui doivent présider à leur évaluation. Notre approche des justifications, loin d'une réduction rhétorique, s'ordonne autour de l'épreuve de réalité à laquelle sont soumis les arguments dans la critique, et donc autour des dispositifs concrets d'évaluation. D'un ordre à l'autre diffèrent les informations jugées pertinentes, les éléments qualifiés pour le jugement, la temporalité et la spatialité de l'appréciation. Pour ne dire qu'un mot des temporalités, soulignons la différence entre la constitution du temps dans les jugements industriel, civique, marchand, domestique, vert, tous impliqués comme nous l'avons vu dans l'évaluation de services publics. Le temps industriel est un temps du progrès orienté vers l'avenir selon la figure d'un plan de moyen terme qui conventionnalise la temporalité de l'action normale dirigée vers un but (Thévenot 1995b). Le jugement civique a une forme d'atemporalité dont témoigne bien l'instrument qu'est la règle, éternelle tant qu'elle n'est pas abrogée et dont la désuétude n'est guère affirmée. Le temps marchand est, à l'inverse, d'extrême court terme et centré sur le présent. Le temps domestique, en revanche est constitué (reconstitué faudrait-il dire plus exactement) dans un regard tourné vers le précédent. Enfin point n'est besoin d'insister sur la temporalité de très long terme portée par la grandeur "verte".

Cette analyse précise d'une pluralité de formes d'évaluation congruentes avec des ordres de justification différents est utile à la réflexion sur les dispositifs de régulation. On comprend bien

20 Pour une critique circonstanciée de la critique du corporatisme, voir Corcuff 1997.

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que la régulation ne pourra être identique selon la grandeur qui est mise en avant; inversement, il y a lieu d'être attentif aux qualifications, et donc en amont aux justifications, qui sont enfermées dans certaines formes d'évaluation. La satisfaction de court terme du client ne saurait être posée comme évaluation d'ordre supérieur à tous les autres. La dérégulation de l'électricité aux États-Unis peut ainsi conduire une agence de service public à renoncer à un projet d'infrastructure hydraulique producteur d'énergie renouvelable, pour éviter un engagement de long terme face à un marché de l'électricité qui connaît d'importantes fluctuations de court terme. Une centrale thermique consommatrice d'énergie fossile, moins coûteuse en investissement, apparaîtra plus flexible (Thévenot 1996a).

Les "chartes du citoyen" ("Citizen's Charter"), lancées en Grande Bretagne au début des années 90 (voir la contribution de John Bell et Patrick Birkinshaw), transfèrent aux services publics des instruments de régulation confectionnés pour le management d'entreprises privées. Ces instruments participent d'une politique de la qualité qui contribue à faire pénétrer dans les unités de production l'épreuve du marché et les exigences de la clientèle. On notera cependant que la politique de la qualité peut également comporter d'autres justifications que celles du marché, et qui sont visibles dans les procédures d'enquête ou de critique (Thévenot 1993a). Les chartes restent d'autant moins lettre morte ou simples annonces de marketing qu'elles suscitent une épreuve critique et des plaintes, ce qui est le cas des chartes du citoyen, ou qu'elles se prolongent par un "conseil des consommateurs" ("Consumer Council") qui peut contribuer à inclure des exigences civiques dans les "codes de bonne conduite" ("Codes of Practice") de l'organisme21.

Comme le propose Claude Martinand (1994), une bonne régulation des services publics en Europe doit être recherchée en dehors de l'alternative posée entre la régulation "bureaucratique" de ministères de tutelle du modèle français, et la régulation par autorité indépendante du modèle britannique. Ces deux modèles souffrent, souligne-t-il, du risque de "capture" du régulateur par l'opérateur ("agency capture") dans "un face-à-face naviguant entre le conflit et la complaisance". On peut rapporter ce risque à une asymétrie d'information, comme le fait l'économie des contrats et de la relation principal-agent. L'analyse que je propose vise à dépasser la seule reconnaissance d'asymétries dans l'accès aux mêmes informations générales, pour mettre en évidence une variété de "formats d'information" pertinents pour des modes de coordination différents (Thévenot 1997b). Elle ouvre sur une plus grande variété d'engagements et de formes de connaissance que celles supposées par l'unique coordination contractuelle. Cette analyse rend compte notamment de la spécificité des coordinations collectives soumises à critiques et justifications publiques qui sont impliquées dans des organes de régulation faisant appel à une pluralité d'acteurs. C'est une telle régulation que défend Martinand lorsqu'il demande que soient associés l'ensemble des acteurs concernés, de manière à permettre la confrontation des différents intérêts et points de vue et à favoriser la recherche d'équilibres et de compromis. J'ajouterai que cette confrontation ne s'effectue

21 John Bell et Patrick Birkinshaw mentionnent ainsi le rôle des représentants de consommateurs, au sein du conseil de

consommateurs des services du gaz, dans l'élaboration de codes destinés à assurer un bon service pour les

personnes âgées ou non voyantes.

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pas seulement dans le format d'intérêts mais dans celui, préparé pour la confrontation publique, de justifications. Les dispositifs de coordination doivent donc être confectionnés pour favoriser ce régime de confrontation publique et de compromis entre justifications.

Droits fondamentaux et garanties d'exercice

Dans l'appareil de régulation, le droit occupe bien évidemment une place centrale. Nous pourrions donc adresser au dispositif juridique la même interrogation qui vient de porter sur les justifications extra juridiques des services publics. Contentons-nous ici de deux remarques sur le recours à la catégorie de droit fondamental et de garantie d'exercice, en tirant des conclusions de notre parcours.

Nous avons constaté tout d'abord la nécessité de fonder le service public sur un socle aussi solide que le libre-échangisme, de façon à maintenir un véritable pluralisme et à éviter le biais de formes d'évaluation et de régulation dominées par l'ordre marchand. De ce point de vue, la notion de droit fondamental est bien adaptée puisqu'elle est tout à fait ouverte à un pluralisme de droits de même niveau, parmi lesquels peut d'ailleurs se situer une garantie de concurrence pour le consommateur. Pour aller plus loin dans le questionnement, il faudrait se demander si la notion de droit fondamental de l'individu saisit aussi bien chacune des dépendances de l'être humain qui donnent lieu à qualification selon un ordre de justification. Si bien apprêté pour saisir un rapport d'appropriation privative, le droit de l'individu capte-t-il avec le même bonheur d'autres genres d'attaches de l'être humain à un environnement de nature ou d'artifice. Dans les justifications ordinaires, les hommes dotent de qualités ou de capacités normales, non seulement les personnes, mais encore des êtres non humains. Les juristes aussi étendent les droits à des personnes morales, mais cette extension suffit-elle pour comprendre la variété des dépendances traitées notamment dans l'ordre civique ?

Les dispositifs de garantie d’exercice des droits constituent autant de délégations de la légitimité du juge (même si celui-ci peut toujours statuer en dernier recours) et permettent de composer avec des ordres de justification différents. Ils se multiplient aujourd’hui dans l’espace extrajudiciaire, notamment dans la mise en œuvre de politiques sociales au niveau local (qui réunissent entrepreneurs, assistantes sociales, représentants de ministères…), ou dans des instances de régulation (comités de normalisation européens…). Ces dispositifs, qui ne sont ni des entreprises ni l'État, sont devenus des lieux cruciaux de formation de la légitimité. Ils réclament aujourd’hui une analyse politique qui ne se limite pas au vocabulaire managérial de la qualité mais qui prenne en compte l'exigence de composition entre une pluralité d’ordres de justification. Les chartes de citoyens transportent dans les services publics des dispositifs implantés dans les entreprises privées pour organiser les relations avec la clientèle autour de définitions de la qualité des produits et services22. Il faut concevoir des dispositifs composites de coordination (Thévenot 1996c) selon un modèle différent de celui procédant des politiques de qualité qui tendent aujourd'hui à se substituer à la politique tout court dans un gouvernement par les

22 Sur l'ampleur d'un nouveau gouvernement par les normes de qualité, voir : Thévenot 1997b.

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normes (Thévenot 1997b). Les modèles qui mettent l'accent sur la discussion ou sur les procédures ne suffisent pas pour garantir que les dispositifs assurent une composition des justifications et qu'ils empêchent que la composante civique ne soit sacrifiée (Thévenot 1995c)23. Pour analyser la mise en place de ces garanties, il faut développer une véritable pragmatique des espaces publics.

* * *

Nous sommes maintenant en mesure de conclure sur la question qui donne son titre à cette contribution : "Les justifications du service public peuvent-elles contenir le marché ?" J'ai retenu le terme "contenir" pour la combinaison qu'il offre de significations et le témoignage qu'il porte sur certaines ambiguïtés des débats européens autour de la notion de service public.

Dans un premier sens, on se demandera si, ou l'on affirmera que, les services publics peuvent comporter une orientation concurrentielle. Nous avons vu que, dans les pays européens les plus inspirés par une économie politique libérale, la justification d'un service public incluait de fait la libre concurrence. Cette orientation, pour ne pas rester un slogan, doit se traduire dans des dispositifs appropriés qui mettent en place l'épreuve du marché. Et c'est là que le défaut de prise en compte de la pluralité des ordres de justification fait venir un risque grave : l'impératif de concurrence, au lieu d'être englobé par la notion de service public, en vient à l'englober, selon une capacité globalisante de la coordination marchande que l'on mesure bien aujourd'hui. Plus précisément, il faut veiller à ce que les qualifications marchandes des services ou des clients entrent au moins en compromis avec d'autres ordres de justification plus caractéristiques du service public, au premier rang desquels l'ordre civique. Cela doit se traduire très concrètement dans le type d'organisation que l'on met en place pour fournir ces services. La spécification des services publics doit aller au-delà de ces compromis. Dans le second sens du terme contenir, elle conduira à endiguer, à brider l'expansion générale de l'ordre marchand. Cela suppose de reconnaître pleinement les autres ordres de justifications qui fondent la notion de service public, au lieu de ne les envisager qu'en tant que dérogations au principe de concurrence. Cela suppose aussi de s'assurer que des dispositifs adéquats soient mis en place, dans l'ordre juridique des droits fondamentaux comme dans celui des procédures et organisations arrêtant la définition des services publics et leur mise à disposition, et qu'ils soient propres à empêcher la tyrannie du marché.

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23 Pour une discussion critique des modèles de procéduralisation, voir Thévenot 1997c.

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