les ingrÉdients de la chanson (ii) - media musique
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LES INGRÉDIENTS DE LACHANSON (II)
1er ingrédientPour réussir une chanson, lui donner une forme régulière ; on obtient ce résultatpar un travail sur la métrique, sur les rimes, sur la coupe des vers, bref, surl’organisation de la structure du texte.
Les formes plus libres de la poésie peuvent être envisagées, par exempleremplacer les rimes par des jeux d’assonance et employer des vers irréguliers.
2e ingrédientCombiner son texte autour d’une seule idée, pas, deux, pas trois, mais bien uneseule, pour ne pas donner l’impression de se disperser (on n’écrit pas une thèse !),qu’on développera sur trois minutes.
Attention, ce n’est pas que le thème choisi qui fait la chanson, mais ce sont lesmots utilisés, donc la qualité du matériau que nous emploierons. Il ne suffit pas derépéter je t’aime je t’aime je t’aime pour convaincre son auditoire, encore faut-ilenrober la sauce par les mots qui mettront en valeur ce je t’aime.
3e ingrédient
Utiliser les termes aussi bien pour leur sens, que pour les chocs qu’ils créententre eux et pour leur sonorité :
Il est tard au concert ce soir,
Le chanteur commence avant l’air
Le batteur baguette à l’envers
L’orchestre est démuni
Il est déjà minuit
ou encore Le Cor, Charles Trénet :
j’aime j’aime cet air-là
Ce poème qui fait ma joie
J’aime le son du cor le soir au fond des bois
J’aime le son du cor
J’aime le corps du son
J’aime le sort du con le soir au fond de moi…
La couleur des mots, associée à leur sens, est à rechercher en même temps que laconcision : gardez toujours à l’esprit qu’il va vous falloir convaincre l’auditeur etle faire tenir un peu plus de trois minutes de plaisir.
4e ingrédient Nous l’avons déjà évoqué plus haut, la chanson doit jouer avec les mots et lesidées d’aujourd’hui. Elle est donc par essence éphémère, même si l’on peutparfois l’associer à des événements passés de notre vie ; par exemple : j’ai connuma première copine sur Ne me quitte pas, mais le jour où elle m’a annoncé larupture pendant que mon mp3 jouait Je suis Venu te Dire que je m’en Vais alorsque l’auto radio débitait Mon beau Sapin, belle fin pour un arbre !
On peut dater assez précisément quand une chanson a été écrite, par l’usage desmots qu’on y trouve : Oublie ta peine, twiste et chante (Plus personne ne twistecomme en 1961).
Ou encore :
Y a pas un’ môm’ dans tout Pantruche (on ne dit plus ni Pantruche, ni Paname,mais seulement Paris).
Mais aussi par la façon de vivre les situations : Le Poinçonneur des Lilass’appellerait aujourd’hui Mets ton Ticket dans la Fente.
La chanson est donc datée sous le signe de la mode des noms de lieux, des nomsde rues, des prénoms et des objets qui ont déjà disparu ou qui disparaîtront.
5e ingrédient
Contrairement à la poésie, la chanson peut se permettre le langage parlé,l’élision : j’te manqu’ est familier ; employer un ton populaire sans en rougir,n’oublions pas que le marché du disque est un commerce de grandeconsommation et que l’œuvre doit être accessible au maximum de monde.
Par ailleurs, l’auteur peut volontairement rechercher la faute de français et larevendiquer. Par exemple dans la fausse chanson de marin de Renaud : Dès que levent soufflera, je repartira/Dès que les vents tourneront, nous nous en allerons(Dès que le Vent Soufflera, 1983).
Ou encore : Tell’ment si belle/Je l’aime tellement si fort (Elle a les yeux revolver,1985, A. Marc Lavoine).
Une vive fraîcheur juvénile transparaît dans cette dénégation ostensible de larègle, qui incarne une certaine atmosphère poétique.
6e ingrédient Le refrain.
Son but est de nous dire « enfoncez-vous bien cela dans le crâne ». Il agit donc sur
la répétition.
Chanter un refrain, c’est rabâcher la même chose.
Court ou long, il devra nous renseigner sur le sens de la chanson.
Répétitif, il jalonnera et bornera la carrure et le déroulement du morceau.
Il pourra conserver le même texte tout le long de la chanson :
Ne vous déplaise
En dansant la Javanaise
Nous nous aimions
Le temps d’une chanson
(La Javanaise, C. Serge Gainsbourg)
Il pourra introduire des variantes dans les différents refrains :
La bohème, la bohème
Ça voulait dire
On est heureux
La bohème, la bohème
Nous ne mangions qu’un jour sur deux.
La bohème, la bohème
Ça voulait dire
Tu es jolie
La bohème, la bohème
Et nous avions tous du génie.
La bohème, la bohème
Ça voulait dire
On a vingt ans
La bohème, la bohème
Et nous vivions de l’air du temps.
Le refrain pourra n’être composé que d’un seul vers répété immuable : Ne mequitte pas (J. Brel).
Dans le cas particulier de cette chanson, le vers est indifféremment intégré auxdébuts ou aux fins de couplets. Au contraire un vers unique peut être répété avec
des variantes :
Avec ma p’tit’ chanson, j’avais l’air d’un con, ma mère,
Avec mon petit pot, j’avais l’air d’un con ma mère,
Avec mon p’tit vélo, j’avais l’air d’un con, ma mère,
(Marinette, G. Brassens)
Le parolier, dans l’arsenal des ficelles, peut aussi se servir d’une expression-cléqui jalonnera la chanson :
Je me lève et je te bouscule
Tu n’te réveilles pas
Comme d’habitude
Sur toi je remonte le drap
J’ai peur que tu aies froid
Comme d’habitude
Ma main caresse tes cheveux
Presque malgré moi
Comme d’habitude
Mais toi tu me tournes le dos
Comme d’habitude
(Comme d’Habitude, C. François)
Certains refrains sont comme un coup de théâtre qui tombe et qui donne lasolution au sens réel des couplets, qui ne laissaient rien deviner du dénouement :
J’essaie d’oublier ta voix, tes mots savoureux
De cacher les photos de nos jours à deux,
De sentir ton odeur sur les draps capricieux
Et aussi m’évoquer nos moments délicieux,
Quand nous mêlions nos âmes amies
Pour l’éternité ou seulement pour la vie
Toi Mon autre moi.
Refrain
La vie t’appartenait elle s’est enfuie trop tôt
Et la nuit t’a recouverte de son manteau,
Tu me manques, tu me manques,
Tu me manques tant…
(Toi mon autre Moi, J-L Cataldo)
Au 1er couplet, on peut raisonnablement penser que son copain l’a quittée.
La protagoniste essaie d’oublier et elle parle au passé des jours heureux.
Tout en n’employant pas le mot heureux, on ne peut qu’y penser, à cause duvocabulaire et surtout des nombreuses sonorités en eu.
Quittée peut-être pour une autre ?
Mais le refrain arrive et la solution est donnée : la vie s’est enfuie et l’allégorie dela mort le confirme (la nuit t’a recouverte de son manteau).
Toutes combinaisons de ces procédés sont applicables à la majorité des styles etutilisés par les bons auteurs. Ne vous en privez pas !
Extrait du Volume V, Traité de l’Arrangement