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Université Robert Schuman, STRASBOURG 3 Année 2003/2004 DEA Droit des Affaires LES INCIDENCES DU DROIT COMMUNAUTAIRE SUR LA DÉTERMINATION DU BÉNÉFICE DE L’ENTREPRISE Mémoire en vue de l’obtention du DEA Droit des Affaires Par Térence WILHELM, Sous la direction de Monsieur le Professeur Philippe MARCHESSOU. 1

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Université Robert Schuman, STRASBOURG 3

Année 2003/2004

DEA Droit des Affaires

LES INCIDENCES DU DROIT

COMMUNAUTAIRE SUR LA DÉTERMINATION

DU BÉNÉFICE DE L’ENTREPRISE

Mémoire en vue de l’obtention du DEA Droit des Affaires

Par Térence WILHELM,

Sous la direction de Monsieur le Professeur Philippe MARCHESSOU.

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L’auteur tient à remercier :

* Monsieur le Professeur Philippe Marchessou, pour sa disponibilité et ses conseils. * Monsieur Arnaud Gérardin, Avocat au barreau de Strasbourg, Cabinet Francis Lefebvre, pour ses conseils et son avis sur la question. * Mademoiselle Stéphanie Oswald, pour son soutien et son aide précieuse.

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Je vois dans l’Europe une barbarie attentivement ordonnée, où l’idée de la civilisation et celle de l’ordre sont chaque jour confondues.

André Malraux, La tentation de l’Occident.

L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c'est-à-dire : un petit cap du continent asiatique ?

Paul Valéry, Variété, la crise de l’esprit.

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SOMMAIRE Une table des matières détaillée figure à la fin du mémoire. Introduction………………………………………………………………………………………………...5 Titre I : LA POLITIQUE COMMUNAUTAIRE DE DISTRIBUTION DES DIVIDENDES ……...20 Chapitre 1. Une volonté encourageante de lutter contre la double imposition entre Etats

membres……………………………………………………………………………………………………….21 Chapitre 2. Une dimension inédite de la directive……………………………………………………….33 Titre II : LES INCIDENCES DU PRINCIPE FONDAMENTAL DE LIBRE ETABLISSEMENT SUR LA FISCALITE DIRECTE DES ENTREPRISES……………………………………………….46 Chapitre 1. Les difficultés liées à l’absence de politique communautaire en matière de

compensation transfrontalière des pertes…………………………………………………………………47 Chapitre 2. Les incidences du droit communautaire sur les politiques nationales anti-évasion

fiscale…………………………………………………………………………………………………………..60

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LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS aff. Numéro de la jurisprudence soumise à la Cour de justice des Communautés

européennes ou au Tribunal de première instance. art. Article. ass. plén. Formation en assemblée plénière de la Cour de cassation. ass. Formation en assemblée du Conseil d’Etat. BF Bulletin fiscal Francis Lefebvre. BOI Bulletin officiel des impôts. Bull. Joly Bulletin Joly. C. cass. Cour de cassation. C.E Communauté européenne. CAA Cour administrative d’appel. CCIP Chambre de commerce et d’industrie de Paris. CE Conseil d’Etat. CEDELE Commission pour l’étude des Communautés européennes. CGI Code général des impôts. CJCE Cour de justice des Communautés européennes. COM Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen. Conv. Convention. DF Revue de Droit Fiscal. Gaz. Pal. Gazette du Palais. éd. Edition. IS Impôt sur les sociétés. JCP E Semaine juridique, édition droit des entreprises. JCP Semaine juridique, édition générale. JO (CE) Journal officiel des Communautés européennes. LPF Livre des procédures fiscales. R.A.E. Revue des affaires européennes. Rec. Recueil des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes et du

Tribunal de première instance. Rev. sociétés Revue des sociétés. RF Revue fiduciaire. RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires. RJF Revue de jurisprudence fiscale. RTDE Revue trimestrielle de droit européen. sect. Formation du Conseil d’Etat en section. TA Tribunal administratif. TCE Traité instituant la Communauté européenne. TUE Traité instituant l’Union européennes. UE Union européenne.

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Introduction Un constat s’applique très bien à la construction communautaire. Comme l’a dit un

européen avant l’heure : « On peut donner une première impulsion aux affaires, après elles vous entraînent »1. En partant d’une alliance réduite dans le domaine du charbon et de l’acier, l’Union est arrivée à un point de non-retour où elle ne peut que s’étendre, géographiquement et politiquement. Le récent conseil européen de Lisbonne aspire d’ailleurs à « faire de l’UE l’économie fondée sur la connaissance la plus compétitive du monde, d’ici à 2010 ». Mais un autre adage nous dit également « qu’il faut toujours avoir les moyens de ses ambitions ». Ceci implique que pour réaliser cette « économie », la Communauté doit se doter de politiques de plus en plus variées, qui échappent jusqu’à présent à son contrôle. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à penser que la construction européenne ne se fera pas sans un rapprochement des fiscalités de l’ensemble des Etats membres2. Ainsi, l’Europe économique qu’ambitionnent les instances communautaires doit forcément passer par l’attribution de pouvoirs en matière fiscale. La fiscalité est en effet un puissant outil entre les mains des gouvernants pour mener à bien des politiques diverses. Elle permet en premier lieu d’orienter les investissements vers des secteurs économiques à fort potentiel de rendement. En outre, l’Europe sociale dont on observe les prémisses en aura tout autant besoin, en ce que la fiscalité permet de stimuler l’emploi et de mener à bien des projets sociaux. Un Commissaire européen n’a d’ailleurs pas manqué de le rappeler3. Ainsi, en se polarisant sur l’Union économique et monétaire et la réalisation d’une zone de développements économiques homogène et équilibrée, la Communauté a fait de la fiscalité une étape obligatoire pour se construire. Sans cela elle ne pourra aller au bout de ses ambitions. Or, l’Union étant d’essence surtout économique, il est naturel que celle-ci s’occupe alors d’abord de la fiscalité des acteurs qui l’animent, à savoir les entreprises. L’Union est ainsi amenée à bâtir une politique économique commune en passant par la fiscalité qui touche les sociétés, mais également tous les établissements stables, agences ou succursales, qui y sont rattachés par des liens économiques. Il est ainsi intéressant d’observer dans quelle mesure les normes juridiques issues des instances communautaires, directives, règlements et dispositions du Traité, ont d’incidence sur la fiscalité des entreprises. En l’état des choses, il revient aux Etats membres de fixer librement la politique de détermination des bénéfices des entreprises, ce qui en fiscalité constitue la base imposable. Effectivement, la fiscalité constitue une compétence retenue des Etats membres. Elle ne rentre a priori pas dans le premier pilier communautaire, celui de l’intégration, qui suppose le transfert de compétences à la Communauté. Mais lorsque ces entreprises exercent une activité transfrontalière,

1 Napoléon Bonaparte, cité par Talleyrand, Mémoires, I. 2 Patrick Dibout, L’Europe et la fiscalité directe, in Petites Affiches, n° spécial Les Dossiers de l’Europe, La Fiscalité, n° 153, 23 déc. 1998, p. 8 et s. 3 Mario Monti, interview, in Petites Affiches, n° spécial Les Dossiers de l’Europe, précité p. 4 et s. Il exposait à ce sujet qu’on ne « peut construire en Europe une économie sociale de marché, quelle que soit la pondération donnée aux termes ‘social’ et ‘de marché’, sans un minimum de coordination fiscale. Car l’Etat ne pourra pas remplir un minimum de rôle social et de fonction de redistribution de la richesse si les bases mobiles de la fiscalité ne sont pas imposées »

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faisant par-là même intervenir la réglementation de plusieurs Etats membres, l’Union économique se trouve de facto concernée et a dès lors forcément son mot à dire. Aussi, si le droit fiscal prend une place d’importance croissante au sein de la construction communautaire, l’inverse n’en demeure pas moins vraie. Le droit communautaire s’intéresse lui aussi de plus en plus à la matière fiscale. Les instances communautaires l’ont d’ailleurs vite montré. Très tôt, dès 1962, la Commission avait mis en place un comité fiscal et financier chargé de définir les principes directeurs d’une politique économique et financière communautaire. Le rapport né de ces réflexions, connu sous le nom de « rapport Neumark », mentionne déjà la perspective de la réalisation d’un Marché intérieur, par l’accomplissement d’un certain nombre de mesures fiscales. Toutefois ces initiatives ont été froidement accueillies auprès des Etats membres d’alors. L’ambition communautaire s’est heurtée à la volonté des Etats de conserver leur souveraineté en matière fiscale. Et pour cause, la fiscalité apparaît comme un domaine essentiel tant pour les Etats que pour la Communauté. La fiscalité des entreprises est alors naturellement devenue un terrain de bataille entre eux et les instances européennes. On se retrouve ainsi dans une situation complexe, où d’un côté les Etats veulent demeurer maîtres de leur fiscalité, dans la mesure où celle-ci constitue la base même de leur organisation. De l’autre, la Communauté en a besoin pour poursuivre une politique économique cohérente. Ces velléités sont au cœur même des relations qu’entretiennent les Etats membres avec le droit communautaire.

1. Des enjeux différents pour les acteurs en présence. Les enjeux sont importants pour tous les acteurs en présence. Mais parce qu’ils sont différents les uns des autres, ces enjeux génèrent un conflit ouvert entre les Etats, les entreprises et la Communauté. Chacun cherchant à défendre sont propre intérêt. De surcroît, il faut garder à l’esprit que la fiscalité dissimule des enjeux tant économiques que politiques. Pour les Etats, il s’agit avant tout de contrôler les recettes budgétaires en gardant la main mise sur les entreprises qui relèvent de leur législation. Le but est, bien entendu, de couvrir le maximum de contribuables. La fiscalité directe tient ici une place de choix. Elle est une arme entre les mains de chaque Etat pour maintenir une économie compétitive, souvent au dépend des autres. D’une manière générale, tous les Etats cherchent à maintenir un niveau d’imposition le plus élevé possible, tout en attirant des capitaux vers eux et en dissuadant ces même capitaux de sortir de l’escarcelle de leur législation fiscale. Cette alchimie est très complexe et diffère d’un Etat à un autre. Les plus gros Etats ont, à l’image de la France, des besoins de financement plus importants que de plus petits. La maîtrise totale de la fiscalité directe permet ainsi de se prémunir contre les politiques plus attirantes de ces petits Etats, lesquels vivent des entreprises détournées de leur Etat d’origine. D’autre part, gardons à l’esprit que la fiscalité est un outil politique puissant. Preuve en est qu’il n’est pas rare de trouver des mesures en matière fiscale dans les programmes de campagnes politiques. Au premier plan figure d’ailleurs la fiscalité directe, qui permet d’alléger la charge fiscale pesant sur certains contribuables, qui sont autant d’électeurs. De plus, il convient de rappeler que la fiscalité apparaît à bien des égards comme le dernier bastion de la souveraineté nationale. Or, les récentes élections européennes ont révélé un sursaut national manifesté par un vote massif en faveur des « euros sceptiques » et des anti-européens. Plus que jamais, les Etats cherchent donc à conserver leurs pouvoirs dans des domaines aussi sensibles politiquement.

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Les entreprises ne partagent bien entendu pas le même raisonnement. Si celles-ci ne créent pas de droit, il est à noter qu’elles l’influencent de manière non négligeable. Leur intérêt est dès lors à prendre en compte tout aussi sérieusement que celui des Etats ou de la Communauté. Pour elles, il s’agit avant tout de profiter au maximum des perspectives qu’offre le Traité pour gagner de nouveaux marchés, tout en recherchant le « mieux disant fiscal ». C'est-à-dire le régime le plus accueillant. Les entreprises apparaissent, de ce point de vue, bien éloignées des préoccupations des Etats membres. Pour elles, il s’agit d’éviter le plus possible l’impôt, quitte à créer des montages juridiques complexes. Toutefois, ces entreprises se heurtent à la conjonction de vingt cinq régimes fiscaux différents. Cette situation est pour elles génératrice de coûts de mise en conformité non négligeables avec les législations des Etats intervenant dans leurs activités. Dès lors, on comprend que les entreprises attendent des instances communautaires et des Etats qu’ils favorisent davantage les transferts de capitaux et d’entreprises, et ce au détriment des Etats à fort niveau d’imposition. Ces préoccupations trouvent un écho dans les intérêts de la Communauté. Pour elle en effet, l’évolution nécessaire vers une zone de maturité ne se réalisera pas sans fondements solides parmi lesquels figure une certaine harmonisation fiscale. L’objectif de création d’un Marché unique passe par la suppression des entraves à la libre circulation des personnes, des capitaux et des marchandises. Or, la disparité des régimes fiscaux est créatrice d’obstacles à sa réalisation. On comprend ainsi que les instances communautaires cherchent à s’accaparer la fiscalité directe des entreprises afin de favoriser l’émergence d’une zone économique homogène sans entrave. Ces différents protagonistes poursuivent des intérêts manifestement différents et bien souvent difficilement conciliables les uns avec les autres. Cette conjonction d’intérêts est rendue d’autant plus difficile par la confrontation des ordres juridiques en présence.

2. Une cohabitation muée en confrontation des deux ordres juridiques national et communautaire.

Depuis que la Cour de justice des Communautés a érigé l’ensemble des normes et des institutions communautaires au rang d’ordre juridique par son célèbre arrêt Costa contre Enel, le paysage juridique a été profondément modifié4. Il se caractérise dorénavant par la cohabitation de deux ordres juridiques autonomes mais intimement liés, avec d’une part l’ordre juridique national, et de l’autre l’ordre juridique communautaire. Le problème est, que les entreprises qui exercent une activité transfrontalière sont placées entre les deux. D’un coté, elles relèvent de la législation de leur Etat d’appartenance. Mais de l’autre, elles se fondent dans le Marché unique. Cependant, la fiscalité a, du fait des enjeux qu’elle génère, provoqué une sorte de querelle intestine dont l’enjeu est sa maîtrise. La cohabitation de ces deux ordres juridiques s’est dès lors peu à peu transformée en confrontation, à mesure que les Etats et la Communauté cherchaient à tirer vers eux des prérogatives que l’autre revendiquait. Cette confrontation ne peut cependant être comprise que si on l’analyse à la lumière du jeu combiné des principes de subsidiarité et de primauté du droit communautaire. La subsidiarité est le principe régulateur de l’exercice des compétences entre la Communauté et ses Etats membres. Il est expressément consacré par le Traité CE, à son article 5, tel que modifié par le Traité de Maastricht, et s’applique dans les domaines qui ne sont pas de compétence exclusive de la Communauté. D’après ce principe, la Communauté ne peut intervenir qu’en cas d’insuffisance des Etats membres, et donc d’une action plus efficace au niveau communautaire. Cela revient en fait à laisser intact le principe de souveraineté des Etats en leur réservant un certain nombre de domaines 4 Ou « ordre juridique propre », CJCE 15 juill. 1964, Costa contre Enel, aff. 6/64, Rec. 1158, ou « ordre juridique communautaire », CJCE 31 mars 1971, Commission contre Conseil, 22/70, Rec. p. 263.

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sensibles qu’ils ne veulent pas leur voir échapper. Il en est ainsi de la fiscalité directe, qui est demeurée une compétence exclusive des Etats. Toutefois, les Etats ne peuvent légiférer dans ce domaine qu’à une condition très stricte, celle de respecter le droit communautaire. Formule lapidaire que ne manque d’ailleurs jamais de rappeler la Cour de justice. De plus, rien n’empêche les Etats de permettre à la Commission d’intervenir dans le domaine fiscal. Or, il s’avère que le droit communautaire dispose d’une force juridique supérieure au droit interne. Ceci vaut pour toutes les dispositions de droit originaire et dérivé. Les directives bien sûr, qui traduisent la volonté des Etats de déléguer leurs compétences. Mais de manière plus préoccupante, les décisions du juge du Luxembourg, qui vont s’imposer aux Etats souvent indépendamment de leur volonté. La subsidiarité s’efface alors pour laisser la place au principe de primauté. En France, cette primauté a été consacrée par l’ordre judiciaire dans l’arrêt Jacques Vabre5, et tire son fondement de l’article 55 de notre Constitution. De son côté, la juridiction administrative, après quelques hésitations, s’est rangée à ce principe6. Ceci donne son plein effet au droit issu du Traité de Rome. En matière fiscale, ce principe a connu sa première application concernant les règlements communautaires dans l’affaire Boisdet7. C’est ainsi tout le droit communautaire, primaire et dérivé, qui s’est assuré une véritable primauté sur les lois ordinaires, alors même que le droit dérivé échappe au contrôle du Conseil constitutionnel. Sa force est d’autant plus grande que, contrairement au droit international, le droit communautaire s’applique de plein droit aux Etats membres sans condition de réciprocité. Mais le risque est élevé pour les Etats membres de voir ce principe de primauté se retourner contre eux. On observe que le phénomène d’intégration crée des failles dans la souveraineté des Etats, dans lesquelles les instances communautaires ne manquent pas de s’engouffrer. La Cour de justice a, en outre, vite fait d’user de son rôle d’interprétation et de contrôle, pour justifier l’extension du droit communautaire à un domaine qui jusque là devait lui échapper. On comprend que les Etats cherchent alors inlassablement à opposer le principe de subsidiarité à chaque initiative communautaire en la matière, au risque parfois de bloquer le processus décisionnel. Comme le relève un auteur, cette tendance des Etats a donné lieu à un débat sur les contours de la subsidiarité au cours des années 1990 et sur sa portée réelle. Il reconnaît que le principe de subsidiarité a souvent été soulevé à mauvais escient pour contrer des initiatives de la Communauté, ralentissant de fait sa production législative8. Trop tard, semble lui répondre une autre voix. Selon une praticienne, « le droit communautaire s’éloigne de la seule relation hiérarchique qu’assoit le principe de primauté pour former un ordre fondamental commun aux Etats membres, dont ceux-ci viennent nourrir les espaces, telle une interface entre des normes d’origine différente »9. Ce faisant, on constate que le droit communautaire outrepasse le principe de subsidiarité et crée de nouvelles articulations entre le droit de l’Union et les droits nationaux. C’est ce que les instances communautaires ont pu qualifier de « destructive

5 Cass, plén. 24 mai 1975, Gaz. Pal. 1975, II, p. 470. 6 Voir CE, 20 oct. 1989, Nicolo, n° 108243, RJF 11/89, p. 1226. 7 CE, 24 sept. 1990, Boisdet, n° 58657, Rec. Lebon p. 251. 8 Voir Giuseppe Ciavarini Azzi, Le principe de subsidiarité et l’évolution de la législation communautaire : l’approche de la Commission, in R.A.E., 1998, p. 70. L’auteur relève qu’une application différente du principe de subsidiarité a contribué à la diminution du nombre des propositions formelles de la Commission depuis le début des années 1990, en passant de 61 propositions en 1990 à 8 en 1997. 9 Monique Luby, Le droit communautaire des sociétés en 2002 : coup de houle à l’horizon ?, Rev. Sociétés, mai 2003, chronique n°5, p. 8 et s.

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process », dont le titre évocateur résume bien le phénomène selon lequel des secteurs entiers tombent dans l’escarcelle du droit communautaire. Les Etats craignent ce phénomène, comme ils craignent la perte de leur liberté de légiférer en matière fiscale. L’Union européenne étant une union d’essence économique, il est légitime que les Etats redoutent avant tout une perte de leur compétence exclusive en matière de fiscalité des entreprises. Or ici et là, la Commission, le Conseil, divers Conseils européens des chefs d’Etat et de gouvernement, la Cour de justice ont mis l’accent sur la nécessité de satisfaire « les besoins des entreprises ». L’adoption récente du statut de la Société Européenne a d’ailleurs provoqué un sursaut en matière de fiscalité des sociétés, et a par-là même relancé le débat sur l’harmonisation fiscale10.

3. Une harmonisation inégale de la fiscalité des entreprises. En premier lieu, on peut s’interroger quant au point de savoir si l’harmonisation fiscale est un objectif du Traité. Or, force est de constater que les avis sont mitigés sur ce point. Un premier auteur affirme que « l’harmonisation fiscale figurait parmi les objectifs des pères fondateurs »11. A son soutient on peut avancer que le Traité comporte des articles relatifs à la fiscalité. Il est vrai que ceux-ci sont peu nombreux, mais ils ont au moins le mérite de servir de fondement juridique à l’harmonisation. Mais il semble plus opportun de dire que le Traité de Rome n’avait pas pour objectif l’harmonisation des fiscalités, sauf si elle était nécessaire à l’application des libertés fondamentales. On peut sans doute alors s’associer à un autre auteur, pour qui, « rien dans les traités ne conduit à un espace fiscal européen uniforme. Bien au contraire, un choix a été fait consistant à préserver la plus grande souveraineté nationale compatible avec l’intégration complète du Marché »12. Pour autant, l’harmonisation fiscale n’est de loin pas une chimère. Régulièrement, le débat sur son approfondissement est relancé par des juristes ou par les instances communautaires. D’une manière générale, on relève que l’idée d’une harmonisation ne plaît guère. A tel point que certains usent du terme plus conciliant de « rapprochement des législations fiscales ». Un praticien remarque tout de même que les textes contenus dans le Code général des impôts, et même la jurisprudence du juge français, « deviennent rapidement insuffisants dans la pratique de la fiscalité et qu’il importe de se référer à d’autres sources »13. Le fiscaliste connaît, et cela va en s’accentuant, l’importance du droit communautaire qui s’intègre dans le droit fiscal français. Cette intégration est le fruit d’une réflexion profonde sur nos systèmes de fiscalité au niveau communautaire, pour donner lieu à un régime commun à tous les Etats membres. Dès lors, si on ne peut nier l’existence d’une certaine harmonisation, le débat se déplace et porte désormais plus sur le point de savoir si cette harmonisation est ou non achevée. Or, il parait plus juste d’admettre que cette harmonisation est inégale selon que l’on se penche sur la fiscalité directe ou indirecte. En matière fiscale, la seule vraie immixtion du droit communautaire n’a été effective qu’en matière de TVA, dès 1977. Ceci s’explique par le fait que la constitution d'un Marché unique rendait impérative la mise en place d'un régime TVA communautaire et harmonisé. Près de trente ans plus 10 Règl. N° 2157/2001, complété par la directive 2001/86 du 8 oct. 2001 : JOCE n° L 294, 10 nov. 2001. 11 Fabrice Layer, La jurisprudence de la CJCE en matière de non-discrimination et les règles de fiscalité directe, in Petites Affiches, 29 nov. 2001, N°238, p. 12. 12 Didier Migaud, Rapport général au nom de la Commission des finances sur le projet de loi de finances pour 1999, tome I, volume I, Assemblée Nationale, Commission des finances, XIème législature, rapport d’information N°1111, D.I.A.N 39/98, 8 oct. 1998. 13 Philippe Losappio, Droit communautaire, droit national et régime fiscal : quelques illustrations pratiques, in Recueil Dalloz 1999, 13ème cahier, chronique p. 134 et s.

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tard, le constat est mitigé. Certes, le mécanisme de TVA intra communautaire est bien rodé, et on peut considérer que les 9/10ème des règles relatives à la TVA en dehors des taux ont déjà été harmonisées. Néanmoins, on est loin d’une harmonisation parfaite. Les différents Etats membres appliquent des taux disparates de TVA, ce qui a un effet certain sur la consommation dans ces pays. A côté de cela, la fiscalité directe des entreprises fait figure de parent pauvre. Au contraire de la fiscalité indirecte, le processus d’harmonisation semble être au milieu du gué. Cette inertie pourrait d’ailleurs mettre en péril le bon fonctionnement du Marché unique. Sans compter, en plus, qu’elle menace la zone euro encore fragile. Qui plus est, la fiscalité directe relève d’un dispositif décisionnel complexe et difficile à mettre en œuvre.

4. Les obstacles à l’harmonisation de la fiscalité directe. Il est nécessaire en premier lieu de relever que les dispositions du Traité CE relatives à la fiscalité des sociétés sont modestes. Les interventions de l’Union dans le domaine de la fiscalité des entreprises ne peuvent trouver pour fondement que les dispositions de l’article 94 nouveau. Cet article dispose en effet que « le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, arrête des directives pour le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres qui ont une incidence directe sur l’établissement ou le fonctionnement du Marché commun ». Il a été admis que cette disposition générale pouvait concerner la fiscalité, mais elle comporte plusieurs limites. D’une part, cet article ne peut être mis en œuvre que pour modifier les dispositions nationales qui ont une incidence directe sur le Marché commun. Les situations purement internes échappent pour ainsi dire au regard des instances communautaires. D’autre part, ce rapprochement ne peut se faire que par voie de directives, à l’exclusion des règlements. Cela vise à garantir aux Etats membres la maîtrise des modalités d’application du principe retenu au plan communautaire. Enfin, la directive ne peut être adoptée qu’à l’unanimité des Etats membres. Or, cette dernière limite pose de sérieux problèmes. Les instances communautaires en sont conscientes, et avaient un temps engagé des propositions de réforme pour préparer les institutions communautaires à l’élargissement de l’Union. Ainsi le 14 mars 2000, la Commission avait présenté à la Conférence intergouvernementale (CIG) sa position concernant le passage de l’unanimité à la majorité qualifiée pour la prise de décisions en matière fiscale. « En raison de l’obligation d’obtenir l’accord unanime des Etats membres sur les propositions européennes », argumente-t-elle, « il a été difficile ces dernières années de progresser, et cela même dans des domaines où des actions rapides seraient nécessaires pour assurer un bon fonctionnement du Marché intérieur et une application sans failles de l’abolition des barrières prévue dans les traités »14. Néanmoins, le Conseil européen qui s’est tenu à Nice du 7 au 9 décembre 2000, et qui a terminé la CIG en adoptant un nouveau traité, a décidé de maintenir la règle du vote à l’unanimité en ce qui concerne toutes les dispositions des traités relatives à la fiscalité. L’Estonie, nouvelle arrivée dans le concert européen, ainsi que la Grande-Bretagne, ont même d’ores et déjà annoncé leur volonté de défendre le vote à l’unanimité à la prochaine conférence intergouvernementale. On ne peut que regretter une telle inertie, tant le moment parait opportun. Car à partir du 1er janvier 2005, les 7000 sociétés européennes cotées en bourse devront appliquer les mêmes normes européennes de

14 Voir Les activités de l’Union européenne en 2000 en matière de fiscalité directe et indirecte, in Droit Fiscal 2001, N°15, p. 624.

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comptabilité. L’affaire reste tout de même à suivre, un Commissaire européen ayant encore récemment relancé le débat15. Ainsi malgré leurs divergences d’opinion, les Etats membres semblent faire l’unanimité sur un point, celui de refuser l’harmonisation en matière de fiscalité directe. Pour Tony Blair, Premier ministre de Grande-Bretagne, « l’harmonisation de la fiscalité ou de la protection sociale ne ferait pas le succès de l’Europe d’aujourd’hui. A l’heure où nous voulons que les économies aient plus de souplesse et de réactivité, harmoniser les systèmes fiscaux et sociaux serait un grand pas en arrière »16. La position du ministre anglais n’est pas une surprise. Les Britanniques se sont toujours farouchement opposés à un transfert trop rapide des prérogatives au profit de la Communauté européenne. Ils préfèrent au contraire jouer la carte nationale et faire marcher la concurrence entre les Etats. Le Ministre de Sa Majesté ajoute d’ailleurs : « obliger tout le monde à payer le même impôt viendrait vite à bout de la compétitivité de l’Europe entière, tuerait des emplois et étranglerait la croissance »17. Le point de vue français n’est guère très différent. Il reste celui exprimé, par exemple, dans une réponse ministérielle Gruillot en 1997, suite aux discussions sur l’adoption du paquet fiscal : « la France considère qu’une harmonisation générale du taux et des règles de détermination de l’assiette de l’impôt des sociétés n’est ni nécessaire, ni utile »18. Il est également à noter que les Etats ne sont pas les seuls à être opposés à une harmonisation complète de la fiscalité. Bon nombre d’entrepreneurs préfèrent faire jouer la concurrence fiscale entre les Etats membres pour encourager un nivellement par le bas. A l’harmonisation pure et simple, certains dirigeants ont eu l’occasion de se prononcer en faveur « d’une fiscalité juste d’un point de vue économique »19. Cela passe par une clarification des décisions européennes en la matière, mais pas forcément par une harmonisation complète. Celle-ci est de toute façon impossible en l’état actuel des choses. Il en résulte qu’en l’absence d’harmonisation, les Etats membres se livrent une concurrence impitoyable dans le domaine de la fiscalité directe des entreprises. Cette concurrence se manifeste par la disparité des taux d’imposition entre eux, et des mesures nationales qui sont susceptibles de s’apparenter à des aides d’Etats.

5. Une concurrence fiscale acharnée entre les Etats membres. La Commission a bien évidemment toujours été consciente de la coexistence de plusieurs régimes fiscaux différents. On en trouve trace ci et là dans les rapports Neumark de 1962 ou Ruding de 1992, dont les conclusions sont encore aujourd’hui des références pour les travaux communautaires. Néanmoins, au fil des années, ponctuées par les rapports de la Commission, s’est développé un thème nouveau, celui de « concurrence fiscale dommageable ». Il apparaît au Conseil Ecofin de Vérone, en avril 1996, qui a dégagé la nécessité de mettre un terme à la concurrence déloyale que se livrent les Etats membres, pour attirer les investissements internationaux. Et c’est cette seule concurrence que les instances communautaires entendent combattre. 15 Le Commissaire européen chargé de la fiscalité Fritz Bolkenstein propose pour la première fois de contourner la règle de l’unanimité sur le dossier de l’harmonisation fiscale. Pour lui, « il faut une coopération renforcée pour l’impôt sur les sociétés », Entretien avec Fritz Bolkenstein, Commissaire chargé de la fiscalité, in Le Monde, 20 févr. 2004, p. 6. 16 Point de vue de Tony Blair, Non à l’harmonisation fiscale, Les Echos, 3 nov. 2003. 17 Tony Blair, précité. 18 Réponse ministérielle, JO Sénat 13 nov. 1997, p. 3143, citée dans Bruno Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, éd. Francis Lefebvre, 5ème édition, p. 995. 19 Voir entretien avec D. Dechimel et B. Bacci (Vivendi), Petites Affiches, n° spécial Europe, 23 déc. 1998, n° 153, p. 30.

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Or, force est de constater que cette notion est assez floue. Au cours de ce conseil, les ministres ont adopté à l’unanimité un « paquet fiscal » de trois textes, dont un Code de conduite à destination des entreprises20. Celui-ci définit la concurrence fiscale dommageable comme « les mesures ayant, ou pouvant avoir une incidence sensible sur la localisation des activités économiques au sein de la Communauté », c'est-à-dire « les mesures fiscales établissant un niveau d’imposition effective nettement inférieure, y compris une imposition nulle, par rapport à ceux qui s’appliquent normalement dans l’Etat membre concerné »21. Pour le conseil, la concurrence fiscale dommageable parait donc se limiter à celle qui donne lieu à des discriminations. A contrario, la concurrence « saine » reçoit la bénédiction des instances européennes. Il s’agit de celle qui ne pratique pas de régimes de faveur par rapport au niveau d’imposition habituellement pratiqué. Selon ces instances, une certaine concurrence fiscale est une bonne chose, dans la mesure où elle empêche les gouvernements de dépenser trop d’argent, tandis que la baisse d’impôt favorise la création d’emplois, l’industrie et le commerce. Il s’agit là d’un concept surtout partagé par les instances communautaires, qui peut à la rigueur trouver un écho favorable auprès des entreprises, et selon lequel la concurrence serait saine, dès lors qu’elle force justement les Etats à revoir leurs velléités fiscales à la baisse. Mais ceux-ci ne le voient pas du même œil. Tout laisse à penser que toute concurrence fiscale est de facto dommageable pour les Etats, dans la mesure où elle détourne des capitaux de leur législation fiscale et force les Etats à niveler leurs régimes fiscaux par le bas. Ils sont, pour ainsi dire, contraints de faire des efforts en matière de fiscalité, pour baisser l’impôt. Or, certains Etats comme la France ont des besoins importants de financement, que seule une imposition élevée peut couvrir. On retrouve donc une fois encore ici la confrontation des enjeux qui animent la construction communautaire, entre les Etats, les entreprises et la Communauté. Dans la foulée de ce conseil, un comité composé de représentants de tous les Etats membres chargé d’évaluer les mesures fiscales ayant cours dans les Etats membres, et pouvant relever du Code de conduite, a été crée en 1998. Ce groupe a émis un rapport alarmant, connu sous le nom de rapport Primarolo du nom de sa présidente, dans lequel il recense les régimes fiscaux nationaux pouvant être considérés comme dommageables22. En tout, soixante six mesures ont été répertoriées, concernant tous les pays de l’Union d’alors23. En fait, ce rapport révèle tout bonnement que tous les Etats membres disposent de régimes fiscaux déloyaux, dont l’unique but est d’attirer des capitaux étrangers et de les dissuader de s’implanter dans d’autres Etats membres. Dans ce cas, le Code incite les Etats à « geler » les mesures dommageables existantes et à « démanteler » le cas échéant leur propre système24. Néanmoins, le Code de conduite n’a qu’une valeur symbolique. Ces engagements ne tiennent les Etats que politiquement, et non juridiquement, laissant ainsi ces dispositions complètement vides de toute contrainte. Mais si le Code n’a pas de force contraignante, le rapport Primarolo qui s’en est suivi a au moins le mérite d’exposer au grand jour la disparité des régimes fiscaux et leur effet néfaste sur le Marché commun. 20 Le Conseil a conclu que dans le souci d'adopter une approche globale, trois domaines ont été notamment mis en évidence, à savoir la fiscalité des entreprises, la fiscalité des revenus de l'épargne et le problème des retenues à la source sur les paiements transfrontaliers d'intérêts et de redevances entre entreprises. Pour d’avantages de détails sur le paquet fiscal, voir Dictionnaire Permanent Droit européen des Affaires, feuillet 55 (2 janvier 2003), p. 1218. 21 Paragraphes A et B du Code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises, JOCE, C2/1, du 6 janv. 1998. 22 Pour de plus amples informations, voir le rapport du groupe « Code de conduite » (fiscalité des entreprises), au Conseil Ecofin, disponible sur : http://europa.eu.int/comm/taxation_customs/taxation/law/primarolo/primarolo_fr.pdf 23 Les mesures fiscales dommageables sont disponibles, pays par pays, dans Dictionnaire Permanent, Droit européen des Affaires, feuillet 55 (2 janv. 2003), p. 1219. 24 Paragraphes A et B du Code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises, JOCE, C2/1, du 6 janv. 1998.

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L’entrée des nouveaux Etats dans l’Union n’est pas faite pour arranger les choses. Loin s’en faut. En exposant sa stratégie pour la fiscalité des sociétés, la Commission a eu l’occasion de fournir d’amples informations sur la pression fiscale réelle dans les différents Etats membres et, en général, sur les résultats de l’analyse des écarts de niveau d’imposition25. L’analyse quantitative montre que les variations sont importantes, tant au niveau de la charge fiscale effective, qu’à celui du traitement des investissements en provenance ou à destination des autres Etats membres. On constate en fait qu’au cours des dernières années, la plupart des pays nouveaux entrants ont entrepris d’importantes réformes fiscales en vue de se conformer aux principaux critères d’adhésion à l’UE. Toutefois, ces pays ne se sont pas encore totalement alignés sur l’acquis, du moins pour un certain nombre de points techniques spécifiques. La majorité de ces pays ont d’ailleurs demandé des mesures de transition. Il existe à l’heure actuelle de grandes différences entre les anciens Etats membres de l’UE et les nouveaux, pour chaque élément spécifique de leurs systèmes fiscaux. En particulier sur le plan de l’impôt sur les sociétés. Dans ce domaine, les taux appliqués dans les nouveaux Etats membres sont plus faibles que ceux appliqués par les anciens. Dans l’UE, le taux moyen d’imposition des entreprises atteignait 29,3 %. La France quant à elle applique son taux de 33 1/3 depuis de nombreuses années. A l’inverse, les nouveaux Etats membres appliquent une imposition qui défie toute concurrence. Pour exemple, Chypre applique désormais un taux d’imposition des sociétés de 10% depuis janvier 2003, la Hongrie un taux de 15% depuis janvier 200426. Ainsi, certains Etats pratiquent une législation qu’on pourrait qualifier de « dumping fiscal ». Législations d’autant plus problématiques qu’elles bénéficient de la bénédiction de la Commission. Un grand quotidien français avait d’ailleurs récemment interrogé un Commissaire européen chargé de la fiscalité au sujet des pratiques suivies par l’Irlande, en matière d’impôt sur les sociétés. A l’origine, la Commission s’intéressait au cas de cet Etat parce qu’il appliquait un taux réduit de 10% aux entreprises du secteur de l’aluminium, ce qui pouvait être assimilé à une aide d’Etat. Les Irlandais ont alors décidé d’appliquer à toutes les entreprises un taux unique de 12,5%. Et comme le relève le Commissaire : « on entre dans le champ des préférences nationales. Les instances communautaires n’ont pas de bases juridiques pour exiger des Etats qu’ils en changent […], car l’Union n’est pas un Etat et la politique fiscale est au cœur de la souveraineté des Etats nationaux »27. En d’autres termes, les instances communautaires n’ont pas de moyens juridiques, ni d’ailleurs la volonté, pour forcer tous ces pays à faible taux d’imposition à appliquer le même taux d’IS que la France. On peut alors se demander comment un pays comme le nôtre peut encore rester compétitif.

6. Les effets de la concurrence fiscale européenne sur la France. Il convient en premier lieu de relever qu’une stratégie de baisse des taux d’imposition des sociétés a été partagée par la plupart des pays européens. Si, en pratique, cette stratégie n’a pas toujours été suivie d’une baisse de la pression fiscale, on ne peut pour autant la considérer comme relevant d’un simple affichage. Dans la plupart des pays, elle semble avoir débouché sur des allégements fiscaux effectifs. Néanmoins, il ressort que l’Allemagne et la France ont la pression fiscale la plus forte. Un

25 Voir rapport de la Commission Vers un Marché intérieur sans entraves fiscales, communication de la Commission au Conseil, au Parlement et au Comité économique et social du 23 octobre 2001, COM (2001)582, résumée dans Droit Fiscal 2001, N°51, p. 1780 et s. 26 Voir La fiscalité en Europe, développements récents, Document de travail du Parlement européen, disponible sur www.europarl.eu.int/estudies/internet/workingpapers/econ/pdf/131_fr.pdf 27 Entretien avec Fritz Bolkenstein, Commissaire chargé de la fiscalité, in Le Monde, 21 févr. 2004.

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rapport du Sénat dénonce d’ailleurs la perte de compétitivité de notre pays à l’issue d’une décennie de réforme fiscale en Europe28. Ce rapport révèle que la France présente une attractivité fiscale insuffisante par rapport à ses voisins européens. La tendance n’est au demeurant pas prête à s’inverser, avec la venue des nouveaux entrants. Dans son chapitre consacré à l’impôt sur les sociétés, le Sénat dénonce que « sur la base du critère du taux implicite de taxation des entreprises, la France apparaît comme le deuxième pays le moins bien placé. Elle n’est précédée que par l’Italie, pays pour lequel ce ratio n’a qu’une signification limitée, en raison du nombre relativement faible d’entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés, du fait des particularités structurelles des entreprises italiennes, souvent individuelles »29. Par ailleurs, alors que dans de nombreux pays, une réduction de la pression fiscale est intervenue, la France a parcouru un chemin inverse. Il tend ainsi à ressortir de cette étude qu’une particularité française est de tenir moins compte du résultat des entreprises que ses concurrents. Ainsi, si les prélèvements sont à peu près identiques en France et en Allemagne pour les entreprises bénéficiaires, il y outre-Rhin une législation fiscale mieux adaptée aux performances des entreprises. Enfin la France est très mal classée dans la hiérarchie des pays fiscalement attrayants pour la localisation des filiales de sociétés mères, situées dans d’autres pays européens. Les taux moyens d’imposition de l’investissement dans une filiale installée en France sont particulièrement peu favorables à des implantations réalisées sur notre sol. Ainsi, au terme d’un classement des 15 anciens pays de l’Union, la France arrive en quatorzième position, si l’on compare les taux effectifs moyens d’imposition des quinze pays susceptibles d’accueillir une nouvelle filiale. Cependant un auteur appelle à ne pas céder au pessimisme. Toutes les entreprises n’iront pas à Chypre ou en Estonie. Il rappelle « qu’il y a d’autres critères pour investir : la langue, le marché, la qualification de la main d’œuvre »30. Encore oublie-t-il que ces critères sont peu utiles pour les sociétés de services. Cette concurrence donne ainsi lieu à l’émergence de véritables « paradis fiscaux », légitimés par la Communauté, parfois même encouragés, mais tout de même encadrés par des initiatives récentes de la Commission, pour éviter la concurrence déloyale.

7. Le peu d’initiatives concrétisées en matière de fiscalité des entreprises. La Commission prend très au sérieux la réalisation du Marché unique. Pour ce faire, elle multiplie les initiatives en matière de fiscalité directe des entreprises, relançant par-là même le débat sur l’harmonisation. D’une manière générale, elle entend lutter contre toute entrave à la réalisation du Marché. Elle a donc très tôt fait preuve d’ambition, des propositions détaillées pour l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés ont d’ailleurs été formulées dès les premières années d’existence de la Communauté européenne. Le rapport Neumark31 de 1962 recommandait que les systèmes fiscaux des entreprises soient harmonisés selon un système de double imposition, comportant un taux d’imposition plus faible sur les profits distribués, c'est-à-dire les dividendes, que sur les profits non distribués. En 1970, le rapport Van den Tempel32 préconisait un système classique d’imposition des sociétés dans toute la Communauté. Et en 1975, la Commission elle-même a présenté une

28 J. Bourdin et P. Marini, Une décennie de réformes fiscales en Europe, la France à la traîne, Rapport du Sénat, Commission des Finances, délégation pour la planification, n° 343, 2002-2003. 29 Rapport du Sénat, précité, p. 44. 30 Entretien avec Fritz Bolkenstein, précité. 31Rapport du Comité fiscal et financier, CEE, 1962. 32Impôt sur les sociétés et impôt sur le revenu dans les Communautés européennes, Luxembourg, 1970.

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proposition relative à un système commun d’imputation partielle, avec des taux compris entre 45 et 55 %33. Toutefois, aucune de ces ambitions n’ont été suivies. Il faut attendre 1990 pour voir se concrétiser les premières initiatives de la Commission en matière de fiscalité directe des entreprises, avec l’adoption du « paquet fiscal ». Celui-ci est le fruit de vingt années de discussions et est constitué de deux directives et d’une convention. La première directive traite des fusions et des opérations assimilées, la seconde est relative aux dividendes intracommunautaires, tandis que la convention est destinée à éliminer les doubles impositions en cas de correction des bénéfices entre entreprises associées34. Il s’agit là de la première et unique concrétisation de la volonté de la Commission d’intervenir dans le domaine de la fiscalité directe des entreprises. En somme, ces initiatives font suite aux nouvelles orientations de la Commission quant à l’harmonisation des régimes d’imposition des entreprises des Etats membres, notamment compte tenu du principe de subsidiarité. Considérant désormais que les Etats devaient rester libres de déterminer leur régime d’imposition, elle en est arrivée à la conclusion que l’action communautaire doit se concentrer sur les moyens indispensables pour l’achèvement du Marché intérieur35. Aussi ces initiatives font toutes échos à la même ambition. Celle de supprimer les entraves à la réalisation du Marché intérieur, imputables à la confrontation de tous les régimes fiscaux nationaux. Elles entendent aussi clairement jeter les bases d’une fiscalité commune aux groupes de sociétés établis sur le territoire communautaire. Force est de constater que les petites sociétés ont été oubliées des discussions. Ces dispositions s’inscrivent en effet, à un degré différent, dans une même idée de favoriser les regroupements de sociétés de la Communauté, et ce afin de créer des conditions analogues à celles d’un Marché intérieur. Les Etats ont donc dû mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à ces orientations. D’une manière générale, ces dispositions entendent supprimer les doubles impositions imputables à la coexistence de plusieurs régimes fiscaux nationaux. En ce qui concerne la directive « mère-fille », elle vise à supprimer la double imposition des bénéfices distribués sous forme de dividendes par une filiale d’un Etat membre à sa société mère établie dans un autre Etat membre. La directive « fusion » quant à elle permet de différer la taxation des plus-values constatées lors d’opérations transfrontalières de restructuration d’entreprises réalisées sous forme de fusions, scissions, apports partiels d’actifs ou échange d’actions. L’imposition de la plus-value est différée jusqu’au moment de la réalisation effective des actifs concernés. Enfin, la convention garantie l’élimination, dans un délai déterminé, des doubles impositions, en cas de correction des bénéfices économiques qui se produisent à la charge d’un groupe. Notamment lorsqu’une administration fiscale augmente les bénéfices qu’une entreprise a réalisés, par des opérations effectuées avec une entreprise associée située dans un autre Etat membre, sans que les bénéfices de cette dernière soient réduits de manière correspondante.

33Proposition de la Commission 75/392 du 23 juill. 1975, JOCE n° C-253 du 5 nov. 1975. Cette proposition a ensuite été rejetée en 1990 par la Commission elle-même. 34 Directive 90/435/CEE du 23 juill. 1990, relative aux distributions de dividendes entre entreprises associées, JOCE L225, 20 août 1990 p. 0006-0009 ; Directive 90/434/CEE relative au régime commun applicable aux fusions, scissions, apports partiels d’actifs et échanges d’actions intéressant les sociétés d’Etats membres différents, JOCE L225, 20 août 1990 p. 0001-0005 ; Convention 90/436/CEE, JOCE L225, 20 août 1990, p. 0009-0012. 35 Dans cette communication elle a critiqué elle-même l’approche qu’elle avait retenue en 1975, jugeant qu’elle s’inspirait d’une conception centralisée de l’harmonisation fiscale et de l’UE. La nouvelle approche, définie notamment sous l’orientation du Conseil, privilégie la coordination et le rapprochement des politiques plutôt que le recours systématique à l’harmonisation. La priorité porte donc désormais sur la suppression des obstacles fiscaux à la réalisation du Marché et notamment sur la suppression des doubles impositions. Voir Bruno Gouthière, in Les impôts dans les affaires internationales, éd. Francis Lefebvre, 5ème éd. p. 976.

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Parce qu’il demeure la seule intervention réelle des instances communautaires dans la fiscalité des entreprises, ce paquet est un pas significatif pour la construction de la Communauté. On ne peut dès lors décemment pas aborder les effets du droit communautaire sur la fiscalité des entreprises sans citer ces dispositions. Mais on peut néanmoins tirer deux conséquences majeures de l’application de ces normes. D’une part, elles n’ont connu qu’un succès relatif. Seule la directive « mère-fille » a trouvé un écho auprès des entreprises. La directive « fusion » est très peu appliquée et souffre incontestablement de sa vacuité certaine. A l’inverse, la directive « mère-fille » relève d’une logique intéressante pour les groupes, mais mérite d’être d’avantage approfondie. Ceci a été fait à l’occasion d’une directive de modification en 2003 et des efforts du juge communautaire36. D’autre part, la Commission parait s’attaquer à des problèmes d’avantage identifiables, et concernant principalement les groupes de sociétés au sein de la Communauté. C'est-à-dire ceux qui exercent une activité transfrontalière. Les PME sont en effet généralement peu concernées par ces domaines. Notons toutefois que concernant ces dernières, des efforts notables ont été accomplis par la suite. En effet, les PME constituent l’unique terrain sur lequel la Commission paraît rechercher une certaine harmonisation. Cet intérêt s’est traduit par une communication au Conseil et au Parlement, accompagnée d’une recommandation à l’intention des Etats membres sur le mode d’imposition des entreprises « de petite et moyenne dimension »37. Les orientations retenues ont pour objet de créer un environnement fiscal favorable à leur création et à leur développement. Cependant, le droit communautaire s’applique plus favorablement aux groupes de sociétés. Ceci tient à leur propension à exercer une activité transfrontalière. Les effets du droit communautaire sur ces dernières se révèlent ainsi plus intéressant d’observer. Dans un souci de précision, nous concentrerons alors notre réflexion sur les groupes. La Commission partage d’ailleurs ce point de vue, comme en attestent ses initiatives dans ce domaine. Toutefois, force est de constater que ses initiatives, aussi louables sont-elles, sont trop souvent vaines.

8. Une stratégie intéressante mais non suivie d’effets par les Etats. La Commission a élaboré une stratégie au fil des rapports qui relève d’une logique intéressante. Toutefois, les Etats sont demeurés sourds aux mesures proposées, contribuant ainsi à creuser les divergences de régimes fiscaux et, partant, à l’émergence du phénomène de Tax Shopping. On trouve les prémisses de cette stratégie dans le rapport Ruding du nom de l’ancien ministre des finances néerlandais qui présidait le comité38. Mais il faut attendre les années 2000 pour voir de réelles avancées. Les questions étudiées par ce comité étant restées pertinentes et d’actualité, les gouvernements des Etats membres ont demandé à la Commission de préparer une étude analytique de l’impôt sur les sociétés au sein de l’Union européenne. Les travaux de celle-ci ont donné 36 Directive 2003/123/CE du 22 déc. 2003 modifiant la directive 90/435/CEE concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents, JOCE L7/41, 13 janv. 2004. 37 Communication du 25 mai 1994 et recommandation 94/390/CEE, JOCE L177, 9 juill. 1994. Celles-ci font suite au Conseil européen d’Edimbourg des 11 et 12 décembre 1992, qui a insisté sur la nécessité des mesures en faveur des entreprises et particulièrement des PME. 38 Pour d’avantages de précisions, voir Les orientations européennes en matière de fiscalité directe des entreprises (Rapport Ruding et Communications du Conseil des CE du 24 juin 1992), in Droit Fiscal 1992, N° 30, p. 1288 et s. ; Rapport du comité d’experts indépendants sur la fiscalité des entreprises, Droit Fiscal 1993, N° 13, p. 624 et s ; P. Dibout, L’harmonisation européenne de la fiscalité directe des entreprises, analyses et perspectives du rapport Ruding, in Droit Fiscal 1993, N° 13, p. 624 et s.

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naissance en 2001 à deux rapports importants, tant par la taille que par la substance. Le premier consiste à examiner les différences en matière d’imposition des entreprises au sein de la Communauté. Le second tente de trouver des options favorables à soutenir pour privilégier une saine concurrence fiscale. Ces rapports sont justement nommés « La fiscalité des entreprises dans le Marché intérieur » et « Vers un Marché intérieur sans entraves fiscales »39. Dans le premier rapport, la Commission définit les obstacles fiscaux qui freinent encore les activités économiques transfrontalières sur le Marché intérieur. La description des obstacles étant passablement large, la Commission s’est concentrée sur les impôts et les coûts de mise en conformité complémentaires, qui résultent de l’organisation d’une activité transfrontalière. Il ressort de l’étude que l’existence au sein du Marché de 15 systèmes fiscaux différents constitue la cause sous-jacente des entraves relevées. En outre, chaque Etat disposait déjà de ses propres règles de détermination des bénéfices imposables. L’élargissement imminent de l’Union rendait d’autant plus urgente la nécessité de traiter tous ces problèmes. Ainsi dans le second rapport, la Commission s’est attachée à bâtir une stratégie à deux niveaux. En premier lieu, elle souhaite instaurer un régime commun d’imposition des sociétés, moyennant la définition d’une assiette consolidée de l’impôt dans le Marché intérieur. Un mémo de la Commission rappelle à ce titre la distinction avec le rapport Ruding, qui a servi de base à l’étude, et qui ne recommandait que l’harmonisation de certains éléments de base d’imposition40. En outre, pour que la mise en place de cette base d’imposition soit un succès, il faut également se pencher sur les obstacles spécifiques. La Commission juge donc judicieux de « commencer par des mesures ciblées, sans perdre de vue l’approche globale ». Les travaux sur les obstacles spécifiques sous-tendront ceux sur l’approche globale et permettront rapidement d’atteindre des résultats tangibles pour l’UE. La Commission entend à court terme réformer des questions ponctuelles importantes, comme l’extension des directives sur les dividendes et les fusions, la compensation transfrontalière des pertes, le prix de transfert et les conventions en matière de double imposition. Dans un second temps, la Commission entend bien continuer la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. Pour ce faire, elle veut participer d’avantage aux travaux de l’OCDE. Des réformes fiscales majeures ont d’ailleurs été entreprises dans des territoires associés ou dépendants d’Etats membres de l’UE, notamment les Antilles néerlandaises, l’Ile de Man et Gibraltar. Le Luxembourg est également directement visé, en tant que membre de l’OCDE et « abstentionniste permanent » des recommandations de l’organisation. Ceci fait suite à la publication de « la liste noire » de l’OCDE, qui énumère les territoires fiscaux non coopératifs. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le Parlement européen se réfère directement aux travaux de l’OCDE pour exposer les développements récents, intervenus en matière de fiscalité européenne41. Ceci traduit la volonté de plus en plus présente de l’Union d’élaborer une version communautaire de la convention modèle OCDE et de son commentaire, version qui satisferait aux exigences spécifiques de l’appartenance à l’Union. Ces différentes stratégies ont depuis lors été reprises dans les travaux ultérieurs des instances communautaires42 et ont fait l’objet de commentaires encourageants par les acteurs économiques43. 39 La fiscalité des entreprises dans le marché intérieur, Office des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg, 2002, SEC 2001, disponible sur le portail de l’Union européenne, et Vers un Marché intérieur sans entraves fiscales, in Droit Fiscal, 1991, n° 51, p. 1780 et s. 40 Voir Mémo/01/335, Bruxelles 23 oct. 2001, disponible sur le portail de l’UE, à la question « quelle est la différence entre les résultats et les conclusions du rapport Ruding de 1992 et ceux de la présente communication et étude ? ». 41 Voir Fiscalité en Europe : développements récents, document de travail du PE, direction générale des études, série affaires économiques, ECON 131 FR 03 2003, disponible sur le site de la Commission. 42 Voir depuis La stratégie de la Commission en matière de fiscalité des entreprises, in Les Cahiers fiscaux européens, disponible sur http://www.fontaneau.com/cfe750.htm ; Fiscalité en Europe : développements récents, document de

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Mais aucune des initiatives récentes de la Commission n’a réussi à trouver l’appui des Etats. Les effets du droit communautaire sur la fiscalité directe des entreprises semblent donc bien limités. En outre, le débat sur l’harmonisation est au point mort. Sur le plan technique, la Commission dispose d’une équipe « fiscalité directe » d’une dizaine de personnes seulement. Son action normative est donc de fait très limitée. Reste que la Commission n’est pas le seul organe législatif. La Cour de justice des Communautés contribue activement elle aussi à la production de normes.

9. Le rôle supplétif de la Cour de justice des Communautés. En l’absence de solutions politiques, un auteur rappelle que les contribuables n’ont eu d’autre choix que de recourir à l’action judiciaire pour se prémunir contre les règles discriminatoires et contourner les obstacles fiscaux44. Or, appliquer le droit communautaire exige d’interpréter des concepts nouveaux, des « notions communautaires relevant du droit privé »45. Dans le Traité, ce rôle est attribué à la Cour qui, selon l’article 220, remplit les deux tâches prioritaires d’interpréter le droit communautaire et de garantir son application uniforme dans l’ensemble de l’Union. Depuis le traité de Maastricht, force est de constater que le juge du Luxembourg a pris son rôle très au sérieux en faisant véritablement preuve d’activisme. En outre, la Cour ne souffre pas des carences qui affectent la Commission. Pour des raisons d’efficacité, la CJCE est une institution indépendante et apolitique. Aucune règle de l’unanimité, aucune dépendance aux Etats ne vient entraver ses travaux. Elle a donc entendu jouer un rôle décisif dans l’harmonisation de la fiscalité indirecte, notamment en éclairant la notion « d’activité économique »46. Depuis une dizaine d’années, elle entend également braver la réticence des Etats à agir sur le terrain de la fiscalité directe des entreprises. C’est ainsi que la CJCE a constitué une vaste jurisprudence en matière de compatibilité des règles fiscales nationales avec le Traité et le droit dérivé. Mais outre les questions de droit qu’elle a tranchées, la Cour a reconnu et confirmé qu’un certain nombre de principes généraux de droit sont inhérents à l’ordre juridique de la Communauté. Ainsi, une part importante de la jurisprudence du juge du Luxembourg est relative aux dispositions du Traité qui établissent le Marché intérieur, à savoir les libertés de circulation, d’établissement et de prestations de services. A elles quatre, elles couvrent toutes les formes d’activités et d’investissements transfrontaliers. Et conjointement avec le principe de non-discrimination, elles interdisent les dispositions fiscales qui constituent des entraves à l’activité économique transfrontalière dans le Marché intérieur.

travail du PE précité ; Un Marché intérieur sans obstacles liés à la fiscalité des entreprises : réalisation, initiatives en cours et défis restant, Communication de la Commission au Conseil, au PE et au Conseil économique et social européen, COM 2003, 726 final, 24 nov. 2003, disponible sur le site de la Commission. 43 Voir sur le sujet Bernard Irion, La communication de la Commission européenne : « vers un Marché intérieur sans entraves fiscales », des options favorables aux entreprises à soutenir pour privilégier une saine concurrence des systèmes fiscaux européens, 30 mai 2002, in Rapport de la CCI de Paris, disponible sur http://www3.ccip.fr/etudes/archrap/pdf02/iri0205.pdf44 Voir Dominique Berlin, L’entreprise face au pouvoir fiscal, in L’entreprise dans le Marché unique européen, Travaux de la CEDECE, La documentation française, p. 363 et s. 45 Jean Schmidt, L’internationalisation du droit fiscal interne en raison de l’introduction de notions communautaires relevant du droit privé, in Mélanges Loussouarn, p. 355 et s. 46 Voir CJCE 20 juin 1991, Polysar Investments, aff. 60/90/CEE, RJF 10-91, n° 1324.

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10. Au final, des interventions limitées mais lourdes de conséquences.

L’union de ces deux instances communautaires a bouleversé la hiérarchie des normes en matière de fiscalité directe des entreprises. La procédure étant bloquée devant la Commission, la CJCE s’évertue à étendre les incidences du droit communautaire sur les systèmes juridiques nationaux. Le plus souvent à leurs dépends. On observe désormais que la Cour intervient de manière croissante dans les politiques fiscales qui jusqu’à présent revenaient aux Etats membres, par application stricte du principe de subsidiarité. Divers domaines touchant à la détermination des bénéfices des entreprises semblent ainsi avoir été profondément modifiés sous l’effet du droit communautaire. De cette union ressort deux domaines majeurs, qui ont eu des effets certains sur la fiscalité interne des entreprises. En premier lieu, la Commission a réussi à imposer une vraie politique commune de distribution de dividendes entre sociétés liées, par le biais de la directive mère-filiale (titre I). Cette directive a certes souffert du poids des âges, elle n’en demeure pas moins la seule directive en matière de fiscalité directe des entreprises qui a fait ses preuves. Les autres dispositions du paquet fiscal de 1990, seules mesures à avoir été prises en matière de fiscalité directe des entreprises, n’ont pas été poussées assez loin. La directive fusion est en effet beaucoup trop neutre, et l’aborder conduirait à faire un catalogue de ses effets sur les régimes fiscaux nationaux. Nous préférerons la réflexion juridique, aussi nous exclurons son étude. Quant à la convention de Bruxelles, si elle est évoquée dans la seconde partie, elle n’en demeure pas moins une norme d’essence internationale et non européenne, qui ne trouve que peu de place dans une réflexion communautaire. Au demeurant, le succès de la directive mère-filiale est le fruit de l’action combinée de la Commission et de la Cour de justice. La première a opéré un toilettage de cette norme, tandis que la CJCE n’a pas hésité à étendre les dispositions du Traité pour en redessiner le champ. C’est justement en usant de son rôle interprétatif avec un zèle indéniable que le juge communautaire a permis d’affecter des pans entiers de la fiscalité nationale par son application du Traité. Pour ce faire, il est parti de la notion d’entrave, qui constitue le pivot du système de jurisprudence communautaire, véritable sésame ouvrant à l’application des libertés fondamentales. En premier vient le principe de libre établissement, qui est sans conteste la liberté fondamentale la plus ancienne et la plus utilisée. C’est en outre la première à avoir été déclarée d’application inconditionnelle, dès 198647. Les autres libertés peinent encore à s’imposer. La liberté d’établissement gagne donc à être davantage connue, comme en atteste la richesse de la jurisprudence de la Cour à son égard, en matière de fiscalité directe des entreprises (titre II). Les incidences du droit communautaires sur la détermination du bénéfice se sont ainsi multipliées, en partant de la directive du paquet fiscal de 1990, jusqu’à intervenir dans les régimes fiscaux les plus retranchés par l’utilisation du juge du libre établissement. Une question persistante sera donc posée en filigrane au fil des développements, celle de savoir si l’harmonisation de la fiscalité directe des entreprises est en voie de se réaliser, entraînant avec elle les derniers souffles d’une souveraineté nationale déjà haletante.

47 CJCE 28 janv. 1986, Commission contre France, aff.270/83, RJF II/86, n° 1020.

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Titre I : La politique communautaire de distribution des dividendes.

******* La directive du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents se situe dans la perspective de la réalisation du Marché intérieur. A ce titre, elle est destinée à faciliter la construction de grands groupes de sociétés européens capables de rivaliser avec les plus grands consortiums des pays tiers, notamment américains. Or, la diversité des législations fiscales nationales emporte des entraves manifestes à la construction de groupes transfrontaliers. Peu nombreux sont les Etats qui disposent en effet d’un régime mère-filiale lorsque les filiales sont étrangères. En outre, ces régimes se sont souvent révélés insuffisants pour garantir une exonération totale pour la société mère. La coexistence de taux divers de retenue à la source et de régimes fiscaux aux champs d’applications variables a dès lors provoqué de fortes distorsions de concurrence, lesquelles influent par ailleurs sur les stratégies d’investissement au sein de la Communauté. C’est précisément pour remédier à ces distorsions de concurrence qu’a été adoptée la directive mère-fille, au terme de discussions rendues délicates du fait des réticences des Etats à abandonner à la Communauté un pan de leur souveraineté fiscale. La directive instaure ainsi un dispositif propre à lutter contre la double imposition d’un même flux occasionné par une distribution de dividendes entre sociétés liées (chap. I). C’est là une avancée considérable dans la construction de l’Europe fiscale. Néanmoins, la latitude laissée aux Etats a pu empêcher le régime commun de produire tous ses effets. Il est alors dévolu au juge communautaire d’intervenir pour assurer le plein effet de ce régime commun, ce qui a conduit à modifier considérablement l’efficacité de la directive sur les régimes nationaux (chap. II).

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Chapitre 1. Une volonté encourageante de lutter contre la double imposition entre Etats membres. Après l’échec d’un projet daté de 1969, la Commission est revenue à un dispositif de lutte contre la double imposition. Mais celui-ci apparaît trop timoré et laisse trop de marge aux Etats membres. Les carences qui en résultent conduisent à faire du régime commun un dispositif insuffisamment uniforme. Les termes employés pour délimiter le champ d’application témoignent de cette insuffisance (partie I). Cela n’a pour autant pas empêché la directive mère-fille de produire des effets encourageants dans les Etats membres pour construire davantage le Marché commun (partie II).

I. Un champ d’application du régime commun tracé à la hâte. Après près de vingt années de travaux et de réflexions, on aurait pu s’attendre à une meilleure délimitation du champ d’application du régime commun. Il ressort au contraire que tant les sociétés et les distributions visées par la directive (partie A) que le critère de détention qui caractérise les sociétés liées (partie B) ont été insuffisamment définis par le rédacteur. Fort heureusement, la Cour de justice des communautés a pu y apporter quelques précisions.

A. Un régime applicable à des sociétés et à des distributions mal définies. Le manque de clarté qui entoure la définition des sociétés concernées (1) et des distributions de dividendes (2) risque de jeter le trouble sur le bénéfice du régime commun.

1. Le manque de précisions entourant les sociétés d’Etats membres différents. Les deux directives du paquet fiscal font référence à la même définition de la « société d’un Etat membre ». Trois critères semblent la définir, contenus à l’article 2, indépendamment du fait qu’il s’agisse d’une société mère ou d’une filiale : la forme juridique, le domicile et le régime fiscal. Cette définition se doit d’être scrupuleusement délimitée, sans quoi certaines sociétés ne pourraient se prévaloir du régime de faveur institué par la directive. En tout état de cause, la directive ne vise que les sociétés liées, c’est-à-dire celles s’intégrant dans une politique de groupe. Les sociétés isolées demeurent couvertes par le seul droit national. En premier lieu, la directive mère-filiale limite sa portée aux sociétés figurant sur la liste annexée à la directive. Pour la France, sont ainsi pour l’instant visées les sociétés anonymes, les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés en commandite par actions ainsi que les établissements et entreprises publics à caractère industriel et commercial48. A contrario, certaines sociétés non visées vont sortir du régime, jusqu’à la transposition effective de la directive de modification. Il s’agit des sociétés ayant choisi une forme apparue après 1990 ou qui, pour une raison ou une autre, ne font pas 48 On remarque ici que le droit européen ne fait pas de différence entre les sociétés de droit privé et public, la dualité de juridiction étant un concept purement national qui échappe à bon nombre d’autres Etats.

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partie de la liste d’origine. Sont ainsi encore concernées nos sociétés par actions simplifiées (SAS). De même les sociétés de personnes, lesquelles dans certains Etats sont soumises à l’impôt sur les sociétés, soit directement soit sur option comme en France, échappent pour l’instant au champ d’application de la directive. Même si la législation nationale et les conventions bilatérales de double imposition font que les bénéfices qu’elles distribuent sont fiscalement considérés comme des dividendes49. La directive s’applique en outre aux sociétés liées lesquelles, « selon la législation fiscale d’un Etat membre, sont considérées comme ayant dans cet Etat leur domicile fiscal et qui, aux termes d’une convention en matière de double imposition conclue avec un Etat tiers, ne sont pas considérées comme ayant leur domicile fiscal hors de la Communauté » (art. 2§2). Comme le relève à juste titre un auteur, « la notion de domicile fiscal, préférée sans raison apparente à celle de résidence habituellement retenue en fiscalité internationale, n’est toutefois pas définie par la directive. Celle-ci se contente en effet de renvoyer au droit interne et conventionnel »50. Si, comme cela parait plus logique, le domicile fiscal est interprété au sens de sa résidence, la conséquence est double. Cela signifie tout d’abord qu’une société constituée selon la loi d’un Etat non-membre de la Communauté pourrait éventuellement bénéficier du régime commun, si elle dispose dans la Communauté d’un siège effectif de direction. A l’inverse, on admet que cette disposition vise très logiquement à considérer comme « non communautaires » des sociétés qui, même créées conformément à la législation d’un Etat membre seraient, en réalité, gérées, dirigées et contrôlées dans un Etat tiers, et par conséquent traitées comme un résident de cet Etat pour l’application des conventions fiscales. En revanche, quelle que soit l’interprétation, la directive telle qu’elle s’applique actuellement ne couvre pas les participations détenues par des établissements stables sans personnalité morale. Il faudra en effet attendre la transposition de la directive de modification pour que les établissements stables puissent bénéficier du même traitement lorsqu’ils réceptionnent une distribution de bénéfices que celui qui s’applique entre deux sociétés liées. Le régime fiscal de la société détermine, en troisième lieu, son inclusion dans le champ d’application de la directive. Il faut, en effet, que la société, mère ou filiale, soit assujettie, sans possibilité d’option et sans être exonérée, à l’impôt sur les sociétés en France ou son équivalent dans les autres Etats membres. Cela conduit donc encore à l’heure actuelle à exclure, en France, les sociétés de capitaux qui sont assujetties à l’impôt sur les sociétés sur option comme les sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée, ou qui bénéficie d’un régime légal d’exonération, même temporaire, comme les sociétés implantées dans les zones d’entreprises. La rédaction de la directive sur ce point soulève une difficulté particulière d’interprétation à l’égard des sociétés assujetties à l’impôt sur les sociétés, mais exonérées au titre de telle ou telle catégorie de revenus. L’assujettissement sans exonération prévu par la directive laisse donc planer le doute quant à son application aux S.I.C.A.V51 ou plus généralement aux sociétés holding dites « pures ». En effet, une société holding française, disposant exclusivement de revenus tirés de participations dans des filiales étrangères, n’acquitterait pas d’impôt sur les sociétés au titre de ces revenus. On peut 49 On retiendra que pour résoudre ce problème, la Commission avait présenté le 26 juillet 1993 une première proposition de directive en vue d’amender la directive « mères filles » en l’étendant à toutes les sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, indépendamment de leur forme sociale. Cependant, les discussions au sein du Conseil sont arrivées à une impasse à la mi-1997. 50 Patrick Dibout, La directive communautaire du 23 juillet 1990 relative au régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents, in Droit Fiscal 1991, N° 11, p. 477 et s. 51 Les SICAV sont exonérées d'IS pour les bénéfices tirés de leur activité de gestion de portefeuille de valeurs mobilières. L'exonération est maintenue lorsque la société ne réalise aucune distribution, sachant que l'obligation de distribution a été supprimée pour tous les produits, CGI, art. 208, 1er bis A.

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légitimement s’interroger dans ce cas sur le point de savoir si la directive 90/435 lui est applicable. Le doute est permis lorsqu’on prend la directive au mot. Pour autant, il semble plus probable que ces sociétés ne devraient pas être exclues du régime commun, si ce n’est rien que pour assurer au dispositif communautaire son plein effet. Si la société holding a, par exemple, la forme d’une société anonyme, elle est assujettie à l’impôt sur les sociétés sans possibilité d’option et sans être exonérée en tant que telle. Ce sont seulement les revenus perçus sous la forme de dividendes qui sont, à proprement parler, exonérés, et non la société. Qui plus est, si la société perçoit des revenus d’une autre nature, ceux-ci sont de toute façon imposables à l’impôt sur les sociétés52. Au-delà des sociétés concernées, les opérations qui les unissent sont aussi sujettes aux doutes.

2. La notion essentielle mais mal définie de bénéfices distribués. Dans les considérants de la directive, on trouve une référence faite à la nécessité d’exonérer de retenue à la source les bénéfices qu’une filiale distribue à sa société mère. Compte tenu de la quasi-exhaustivité du droit communautaire, on pouvait s’attendre à ce que la notion de bénéfice distribué soit définie avec une relative précision. Tel n’a pas été le cas. Le bénéfice du régime commun est donc suspendu à une notion de distribution subordonnée à la définition qu’en donnent les Etats membres. Faute de définition exhaustive, le fait que les Etats puissent avoir des approches différentes de la notion de distribution de bénéfices montre les limites du régime commun. Il est intéressant d’observer que cette notion de distribution a dès lors fait l’objet d’interprétations. La question inhérente était de savoir s’il fallait attribuer à la notion de « bénéfices » une conception extensive, ou au contraire limitée. L’enjeu est évidemment de taille. En modulant la conception qu’ils se font de la distribution de bénéfices, les Etats peuvent faire échapper au droit communautaire un certain nombre de flux entre sociétés liées réparties sur tout le territoire communautaire. Aussi, les Etats interrogés sur la notion de bénéfice ont souvent répondu par des conceptions qui leur sont proches en droit interne. En droit français, l’article 119 ter du CGI fait référence aux « dividendes distribués », ce qui est une notion plus restrictive que celle de « revenus distribués » visés aux articles 109 à 117 du même code. Il en résulte que les distributions déguisées ou occultes restent soumises à la retenue à la source. Qui plus est, ceci conduit également à considérer que par symétrie avec le régime « mère-fille » applicable en France, le bénéfice du régime commun est subordonné à la distribution de sommes à la mère en sa qualité d’associée, suite à une décision régulière de l’assemblée des actionnaires. Un auteur a pu souligner la différence avec d’autres Etats53. La Belgique et les Pays-Bas ont, au contraire de la France, donné à la notion de bénéfices distribués une acception large. Dans ces deux pays, toutes les distributions sont concernées, qu’elles soient régulières ou non. De même que le boni de liquidation. Pourtant le texte communautaire exclut expressément du régime commun, il est vrai sans que l’on saisisse bien pourquoi, les bénéfices distribués à la société mère à l’occasion de la liquidation de la filiale. En fait, la notion même de bénéfice génère de nombreux problèmes, si ce n’est pour la seule raison qu’il comporte une double définition comptable et fiscale. Cette dualité de définition est présente dans la plupart des Etats membres. Certes, la rédaction de l’article premier pourrait justifier une 52 Bruno Gouthière, L’introduction de la Directive mères-filles en droit interne : France, Pays Bas et Belgique, in Bulletin Fiscal, Chronique, N° 3/92, p. 145. 53 Bruno Gouthière, précité.

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conception large, incluant dans le champ d’application du régime commun tous les « dividendes et autres bénéfices ». Toutefois, l’article 4§1 tend à démentir cette approche. Il précise que le régime communautaire s’applique « lorsqu’une société mère reçoit, à titre d’associée de sa société filiale, des bénéfices distribués ». Il faut donc comme en France que les distributions soient liées à la qualité d’associé de la société mère pour qu’elles soient couvertes par le régime commun. L’application par chaque Etat de sa propre conception des distributions de bénéfices risque de fragiliser les sociétés, lesquelles seraient tributaires d’une interprétation plus ou moins étroite selon leur Etat de situation. La société à laquelle serait refusée le bénéfice du régime commun ne saurait de plus agir en justice pour mauvaise interprétation de la directive, puisque celle-ci ne comporte pas de définition des bénéfices distribués, et laisse donc place au droit interne, conformément au principe de subsidiarité. A supposer que cette société forme un recours contentieux devant les juridictions nationales tendant à la saisine, à titre préjudiciel, de la Cour de justice des Communautés en vue de l’interprétation de la notion litigieuse, cette démarche aurait des chances d’être avortée. Le juge national pourrait en effet considérer que la question est dépourvue de pertinence. D’autant que quand bien même le juge du Luxembourg serait saisi, il n’est pas certain qu’il accepte d’interpréter la notion de bénéfices distribués, en l’absence de règles de référence à ce sujet. Mais les incertitudes qu’ont soulevé le texte initial ne s’arrêtent pas là. Elles touchent également le critère de détention qui lie les sociétés concernées.

B. Un critère de détention en proie aux doutes. La Commission s’est contentée de caractériser les sociétés liées par une « participation minimale de 25% du capital » (1) pendant une période « d’au moins deux ans » (2). Ces deux critères appellent eux aussi un certain nombre de précisions.

1. La détention de 25% dans une société d’un autre Etat membre. Les conditions de la reconnaissance des qualités de société mère et filiale sont précisées à l’article 3§1 de l’actuelle directive. Celui-ci se lit comme suit :« a) La qualité de société mère est reconnue au moins à toute société d’un Etat membre qui remplit les conditions énoncées à l’article 2 et qui détient, dans le capital d’une société d’un autre Etat membre remplissant les mêmes conditions, une participation minimale de 25% »54. La société filiale est alors, bien entendu, celle dans le capital de laquelle la participation est détenue. Le critère de principe est donc ici un seuil de participation. Etabli par compromis, ce seuil de 25% correspond, en fait, au niveau de participation le plus fréquemment retenu par les conventions fiscales bilatérales entre Etats membres, pour l’application d’un régime particulier aux dividendes distribués par une société d’un Etat contractant à une société de l’autre Etat. Néanmoins, la rédaction hasardeuse de la directive selon laquelle la qualité de société mère est reconnue « au moins » à toute société d’un Etat membre détenant une participation suffisante laissait penser que ce seuil de 25% était une norme de référence. Dans cette optique, ce 54 Notons toutefois que la directive ouvre aux Etats une double faculté de dérogation, contenue à l’article 3, paragraphe 2. C’est ainsi qu’elle leur permet de « remplacer, par voie d’accord bilatéral, le critère de participation dans le capital par celui de la détention des droits de votes ». Ceci correspond en réalité à la situation prévue par la plupart des conventions bilatérales conclues par les pays anglo-saxons.

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seuil n’exclurait pas l’application dans un Etat d’un seuil de participation inférieur. Or, force est de constater que plusieurs Etats membres appliquent des seuils plus faibles de 5% ou de 10% du capital de la filiale, de manière à limiter la double imposition des dividendes reçus. C’est le cas de la France, dont le régime national « mère-fille » est applicable dès l’obtention d’un seuil de 5% dans le capital de la filiale. Aussi, il n’est pas exclu que l’Etat membre de la société mère et celui de la fille aient des interprétations divergentes du seuil de participation. Tel peut être le cas si l’un admet un seuil de 10%, tandis que l’autre exige un seuil minimal plus élevé. Il peut donc y avoir ici une application unilatérale du régime commun par un des deux Etats, si la participation ne satisfait pas aux deux exigences cumulativement. Un auteur rappelle à juste titre que rien dans la directive de 1990 ne permet d’exclure une telle situation, puisque l’application de ce texte n’est pas liée à un parallélisme parfait des législations, ni à un accord des administrations nationales concernées55. On comprend dès lors que le régime commun a sans doute de ce point encore été trop timoré. Sa rédaction trop hasardeuse risque de laisser aux Etats membres une marge trop importante, ce qui tend par-là même à retirer au texte communautaire un peu de son effet utile. La directive de modification a assimilé le risque qui menace l’application efficace du droit communautaire. Elle a entrepris de réduire progressivement le seuil de détention, afin de le rabaisser au niveau des seuils retenus en droit national. Le but est évidemment de généraliser les bénéfices induits par les règles communes adoptées en 1990. Dès lors, la nouvelle directive prévoit que la qualité de société mère est reconnue « à toute société d’un Etat membre […] qui détient, dans le capital d’une autre société d’un autre Etat membre remplissant les mêmes conditions, une participation minimale de 20% »56. Puis progressivement, afin d’étendre les avantages de la directive 90/435/CEE, le seuil de participation à partir duquel une société sera réputée être une société mère sera ramenée de 20% à 10%. Ainsi, à partir du 1er janvier 2007, le pourcentage minimal de participation sera de 15%. A partir du 1er janvier 2009, il sera de 10%. D’autre part, ces seuils ne concernent uniquement que des participations directes. Comme l’a relevé la Commission, la seule prise en compte des participations directes peut avoir des implications non souhaitables sur l’organisation interne des groupes. Sans compter que cela peut être à l’origine de problèmes transfrontaliers, particulièrement dans le cas de restructuration. Car les participations indirectes ne sont pas comprises dans le calcul du seuil de la filiale57. Du point de vue des Etats, cette situation a le mérite de ne pas rendre l’application de la directive plus complexe pour les administrations fiscales nationales. La directive de modification a toutefois été attentive aux problèmes rencontrés par les groupes organisés en chaîne de sociétés. La nouvelle rédaction permet ainsi à la société mère qui s’est vu remettre des bénéfices distribués par le canal de sa chaîne de filiales de bénéficier du régime commun. Dans le cas du crédit d’impôt, la société holding devrait donc pouvoir déduire tout impôt payé par n’importe laquelle des filiales, pour autant que toutes les sociétés liées respectent les conditions imposées par la directive. Reste que le bénéfice du régime commun est également subordonné à une durée de détention.

55 Patrick Dibout, La directive communautaire du 23 juillet 1990 relative au régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’Etats membres différents, précité, point 18. 56 Nouvel art. 1, paragraphe 3, a). 57 Vers un Marché intérieur sans entraves fiscales, communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social du 23 oct. 2001, COM 2001-582 final, p. 238.

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2. La subordination du régime commun à une durée de détention. La directive permet aux Etats membres de subordonner son application à la détention ininterrompue de la participation pendant une période « d’au moins deux ans ». Tous les pays ont compris la référence au délai de deux ans comme permettant un véritable « délai de carence », autorisant les Etats membres à ne pas appliquer le régime commun pendant une période de deux années. Néanmoins, il est sans doute plus opportun de penser que la volonté des rédacteurs était davantage de considérer ce délai comme un délai « de conservation », comme il en existe un en France, en matière de régime mère-filiale. En outre, on déduit de la rédaction du texte que les Etats n’ont pas l’obligation de subordonner l’application de la directive à une telle condition. Ce n’est pour eux qu’une simple faculté, ce qui leur laisse en pratique une large marge de manœuvre. Les délais retenus par les différents pays seront donc là encore assez variables. Néanmoins, du fait d’une rédaction hésitante, cette condition de durée a dû faire l’objet de l’intervention du juge du Luxembourg. En l’absence de précisions, la question était posée quant à savoir si cette participation devait être effective ou si les sociétés mères pouvaient simplement s’engager à détenir leurs participations de 25% pendant ce délai. La question a été tranchée par la Cour dans son arrêt Denkavit International BV, du 17 octobre 199658. En l’espèce, il s’agissait de trois sociétés de droit néerlandais, détenant chacune une participation dans le capital d’une filiale allemande, et qui contestaient devant les juridictions allemandes les conditions dans lesquelles les retenues à la source furent appliquées par l’administration fiscale, à l’occasion de distributions de bénéfices par leurs filiales. Ces sociétés détenaient la participation requise de 25% et entraient dès lors dans le champ d’application de la directive mère-filiale. La difficulté résidait dans la condition de durée de cette participation. La loi allemande, laquelle a régulièrement transposé la directive au 1er janvier 1992, subordonne l’application des dispositions de la directive à la condition que les sociétés mères aient détenu, à la date de la distribution, la participation de 25% depuis au moins un an. A défaut, le fisc allemand applique le taux normal de retenue à la source de 15%59. Dans ce contexte, les sociétés néerlandaises, qui avaient perçu des dividendes quelques mois après leur prise de participation, se sont vues refuser le bénéfice des dispositions de la directive. Elles demandent néanmoins aux juridictions allemandes la restitution de l’excédant de retenues. La question inhérente à cette affaire était de savoir si le bénéfice de l’avantage fiscal implique un simple engagement de conservation de la participation pris par les sociétés mères, qui ouvre droit à lui seul à l’exemption fiscale. C’est ce que prétendaient les sociétés. Au contraire, l’Etat était-il en droit de subordonner le bénéfice de l’avantage fiscal à une période de conservation effective, écoulée au moment de la distribution. C’est ce que considérait la quasi-totalité des Etats membres, pour limiter les abus et faciliter les contrôles. Au final, la Cour a jugé « qu’un Etat ne peut pas subordonner l’octroi de l’avantage fiscal à la condition qu’au moment de la distribution de bénéfices,

58 CJCE, 17 oct. 1996, Denkavit International BV, VITIC Amterdam BV, Voormeer BV, N° 283/94, 291/94 et 292/94, Rec. N° 5063. 59 Il faut souligner que l’Allemagne bénéficiait du régime dérogatoire visé à l’article 5, paragraphe 3 et pouvait, aussi longtemps qu’elle soumettait les bénéfices distribués à un taux d’impôt sur les sociétés inférieur d’au moins 11 points à celui applicable aux bénéfices non distribués, mais au plus tard jusqu’au milieu de l’année 1996, percevoir, à titre d’impôt compensatoire, une retenue à la source de 5% sur les bénéfices distribués par ses sociétés filiales.

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la société mère ait détenu la participation minimale de 25% dans le capital de sa filiale pendant une période minimale fixée par cet Etat »60. Comme l’a rappelé un auteur : « certes, l’article 3§2, 2ème tiret, prévoit que le bénéfice de l’avantage fiscal est subordonné à la conservation de la participation dans le capital de la filiale pendant une période ininterrompue d’au moins deux ans. Mais rien n’indique dans le texte qu’une certaine période doit être écoulée pour que l’avantage fiscal soit acquis »61. Cette solution, qui infirme les pratiques de la plupart des Etats, repose sur les objectifs même de la directive. Il s’agit d’éliminer toute pénalisation de la coopération entre sociétés d’Etats membres différents par rapport à la coopération entre sociétés d’un même Etat membre. L’exigence d’un délai de conservation dissuaderait les sociétés de prendre des participations, puisqu’elles seraient obligées de retarder les distributions de bénéfices pour prétendre à l’exemption d’impôt. Enfin, la Cour avance un autre argument, plus sémantique cette fois-ci. Elle rappelle que dans toutes les versions linguistiques, le verbe « conserver » est conjugué au présent et non au passé. Cette formulation impliquerait l’absence de toute condition relative à la détention antérieure des titres. Reste que le juge communautaire n’a pas été totalement insensible aux arguments invoqués par les Etats. Il leur permet en effet de prévoir des mesures de contrôle, à condition qu’elles soient différentes du délai de conservation minimal ouvrant droit à des distributions en franchise d’impôt. Mais cette réserve apparaît quelque peu ambiguë, car la nature exacte de ces mesures de contrôle n’est pas précisée dans l’arrêt. Alors que l’avocat général avait précisé l’étendue exacte des pouvoirs de contrôle dévolue aux Etats membres. Malgré ces imprécisions, le régime commun trouve quand même à s’appliquer à un certain nombre de sociétés. Une fois accordée, il se distingue par le choix qu’il offre à l’Etat de la société mère quant à la manière de traiter les dividendes perçus.

II. Les incidences du régime commun sur les sociétés liées. Le régime commun constitue indéniablement une avancée significative vers la neutralité fiscale (partie A). A ce titre, la directive mérite d’être saluée. Toutefois, le principe de souveraineté a permis aux Etats de conserver un pouvoir fiscal en prélevant un paiement anticipé de l’impôt sur les sociétés. Ce pouvoir a, du fait de ses enjeux, donné lieu à une définition parfois erronée de la part des Etats membres (partie B).

A. Un pas significatif vers la neutralité fiscale. Le cœur du régime commun consiste à laisser à l’Etat de la société mère le choix entre l’imposition suivie d’une imputation ou de l’exemption des bénéfices distribués (1). Mais dans ce dernier cas, l’Etat ne perd pas toute possibilité de prélever un impôt. Il peut encore interdire la déduction des charges liées à la participation dans une filiale (2).

60 Point 32 de la jurisprudence. 61 Jean-Pierre Maublanc, Chronique fiscale communautaire, fiscalité des sociétés mères et filiales, in Revue du Marché commun et de l’Union européenne, N° 433, nov-déc. 1999, p. 708.

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1. La nature du choix laissé à l’Etat de la société mère. Tandis que le projet initial de directive de 1969 prévoyait la seule exemption des bénéfices reçus, le texte définitif offre aux Etats membres une solution alternative. En effet, l’article 4 offre aux Etats membres de la société mère la possibilité soit de s’abstenir d’imposer ces bénéfices, soit de les imposer, mais en autorisant la société mère à imputer sur cet impôt l’impôt déjà payé en amont. Cette imputation est limitée sans surprise au montant de l’impôt à payer aux services fiscaux de l’Etat de la société mère. La France a fait le choix de l’exonération, comme semble plutôt y inviter la directive. On note toutefois que l’élimination de la double imposition des dividendes y était déjà assurée de façon satisfaisante par le régime national. Il faut voir dans cette alternative une expression particulièrement forte du compromis qui a permis l’adoption de la directive. Elle permet en effet aux Etats membres de rester chacun sur ses positions établies en matière de traitement des dividendes d’origine étrangère. Ainsi, les Etats membres continuent de se diviser en deux groupes. D’un coté, il y a ceux qui pratiquent l’exemption totale ou partielle (Belgique, Danemark, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas). De l’autre, ceux qui pratiquent un système d’imputation (Allemagne, Espagne, Grèce, Irlande, Portugal, Royaume-Uni). Néanmoins, cette alternative n’est pas dénuée de critiques. Tout d’abord parce que le choix offert aux Etats n’assure pas un régime homogène, mais au contraire une diversité de situations incompatibles avec un régime qui se veut pourtant commun. D’autre part, concernant la méthode de l’imputation, la limitation du montant de l’impôt à imputer peut être pénalisant pour les entreprises. En effet, si le taux d’imposition est plus élevé dans l’Etat de la société mère que dans celui de la filiale, la société mère devra supporter une imposition effective du dividende, avec toutes les formalités administratives qui s’y rattachent. Il s’agit alors d’un système plus lourd et moins neutre que celui de l’exemption. L’application du système d’imputation implique habituellement des procédures complexes et lentes qui constituent en elles-mêmes un frein à l’investissement à l’étranger. La société mère sera dans cette situation soumise à des coûts de mise en conformité susceptibles de décourager celle-ci d’investir dans un autre Etat membre. On constate que cette dualité de systèmes est une marque supplémentaire de la volonté des Etats de ne pas abandonner leur fiscalité directe aux mains de la Communauté. On peut penser ici que l’objectif de la directive n’a pas été tout à fait rempli. En outre, la directive prévoit également l’interdiction formelle pour l’Etat membre de la société mère de percevoir une retenue à la source sur les bénéfices que cette société reçoit de sa filiale. Il est donc prohibé de percevoir une retenue à la source lors de l’entrée des bénéfices distribués dans l’Etat de la société mère. Bien que rare, cette situation ne relève pas de l’hypothèse d’école, puisque la France a appliqué une retenue à la source au taux de 33 1/3 jusqu’en 1965. Même dans le cas du système de l’exemption, la neutralité fiscale n’est pas totale pour autant. Les Etats ont conservé la faculté de réintégrer les charges au niveau de la société mère.

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2. La possibilité de réintégrer les charges. Lorsque l’Etat choisit la méthode de l’exemption, l’exonération des bénéfices peut ne pas être totale entre les mains de la société mère. La directive retient expressément la possibilité de fixer une quote-part de frais et charges à retrancher des produits nets de participations couverts par le régime commun (Article 4§2). Du point de vue français, cette possibilité est prévue à l’article 216 du CGI62. Si, poursuit la directive, « les frais de gestion se rapportant à la participation sont fixés forfaitairement, le montant forfaitaire ne peut excéder 5% des bénéfices distribués par la filiale ». Cette quote-part de frais et charges trouve sa raison d’être dans le fait que la société mère a dû supporter des frais pour sa gestion, qui ont été déduits de son bénéfice comptable, alors même que les profits correspondants sont exonérés d’impôt. Ceci justifie la réintégration des frais lors de la détermination du résultat fiscal. Le fait que des frais de gestion soient déductibles du revenu auquel ils se rapportent est généralement accepté. Toutefois, lorsque c’est la méthode du taux forfaitaire qui est adoptée, elle fait parfois l’objet de critiques, dans la mesure où les sociétés qui exposent des frais de gestion inférieurs à 5% ne peuvent pas déduire leurs frais réels. A la lumière de ce principe, on observe que cette latitude octroyée aux Etats est susceptible d’entraver le plein effet du régime commun. En effet, si les dividendes perçus par une société sont d’abord inclus dans ses produits imposables, et ensuite déduits du résultat, les dividendes exonérés sont susceptibles d’être définitivement perdus en cas de situation déficitaire de la mère. Ces dividendes ne pourront donc naturellement pas être déduits, ni utilisés au titre de report en avant ou en arrière. Le mécanisme n’aboutissant pas à l’exonération réelle des dividendes, on peut penser que cette situation est en contrariété avec l’objectif de la directive. On remarquera dans le système français, ce qui est une caractéristique intéressante, que les intérêts et autres charges liées à l’acquisition des participations sont déductibles des résultats imposables. Et ce alors même qu’ils auraient été affectés uniquement à l’acquisition de participations, dont les produits sont exonérés en vertu du régime des sociétés mères. Ce régime n’est toutefois pas isolé. La Belgique applique également l’exonération de 95% des dividendes reçus et les charges liées à la participation sont aussi déductibles. D’autre part, on remarque que même si la directive ne concerne que l’exonération des dividendes perçus et ne mentionne aucunement les gains en capital, les Pays-Bas et la Belgique se caractérisent par l’exonération des plus-values de cessions de participation. La situation des sociétés mères devrait être quelque peu améliorée en France, du fait de la suppression de l’avoir fiscal, qui viendra minorer à due concurrence l’assiette de la quote-part de frais et charges de 5%. Une incertitude subsiste toutefois quant à la date d’entrée en vigueur de cette modification, qui n’est pas indiquée dans le texte de la loi de finances pour 2004. Par analogie avec la situation des autres actionnaires personnes morales, on peut supposer que l’avoir fiscal ne devrait plus être retenu dans la base de calcul de la quote-part de frais et charges afférente à des exercices clos à compter du 1er janvier 2005. Le montant des dividendes redistribués avant impôt reçus par les actionnaires devrait être sensiblement le même, en ce qui concerne les distributions de source

62 « Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges. La quote-part de frais et charges visée au premier alinéa est fixée uniformément à 5 % du produit total des participations, crédit d'impôt compris. Cette quote-part ne peut toutefois excéder, pour chaque période d'imposition, le montant total des frais et charges de toute nature exposés par la société participante au cours de la même période ».

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française, du fait de la suppression de l’avoir fiscal et du précompte. En revanche, la redistribution de dividendes de source étrangère bénéficiera d’un régime beaucoup plus favorable que dans le passé du fait de la suppression du précompte. L’objectif de neutralité fiscale n’a tout de même pas retiré toute latitude fiscale aux Etats. Ils peuvent encore prélever un « paiement anticipé » qui échappe au régime commun. Mais il suffirait d’une application erronée de ce principe pour que les Etats basculent brutalement dans le régime commun.

B. Le risque pour les Etats d’une mauvaise délimitation de la notion de « paiement anticipé ».

La notion de paiement anticipé constitue une notion fondamentale, car elle constitue une limite à l’interdiction de prélever une retenue à la source. Mais faute de définition précise dans la directive, les Etats appliquent leurs propres approches de cette notion, qui se sont d’ailleurs souvent révélées incorrectes (1). Par ailleurs, la France a connu une réforme qui a conduit à la suppression du précompte. Il sera ainsi intéressant de se pencher sur sa situation nouvelle au regard de la directive (2).

1. Les approches nationales de la notion de paiement anticipé de plus en plus critiquées.

L’article 7§1 précise que ne constitue pas une retenue à la source « le paiement anticipé ou préalable (précompte) de l’impôt sur les sociétés à l’Etat membre où est située la filiale, effectuée en relation avec la distribution des bénéfices à la société mère ». En optant pour une formulation générale, assortie de la mention entre parenthèse du seul précompte, les Etats membres ont plus nourri les incertitudes qu’ils ne les ont levées. S’agissant de cette notion, la Cour ne donne pas de définition positive, qui permettrait d’en délimiter le champ d’application de façon exhaustive. Dans un arrêt Athinaïki Zythopoiia, la Cour relève simplement que l’impossibilité d’imputer les pertes antérieures sur l’imposition grecque, quand bien même le droit hellénique consacre le principe général de report en avant, est le signe que cette imposition n’est pas de nature similaire à l’impôt sur les sociétés63. Partant de là, cette imposition ne peut constituer un paiement anticipé de cet impôt. Cette analyse de paiement anticipé ou préalable de l’impôt sur les sociétés est peut-être à rapprocher de la notion « d’avance sur impôt sur les sociétés » dégagée dans les conclusions de l’avocat général Fennelly dans l’affaire Schmid64. Faute de définition exhaustive du paiement anticipé, on doit se référer à la définition nationale du précompte, ou de tout terme figurant entre parenthèses dans les différentes versions. Or, au vu de la doctrine, il semble que l’intention des rédacteurs de la directive ait été de ranger le précompte au rang des seules impositions qui ne doivent pas être considérées comme des retenues à

63 CJCE, 4 oct. 2001, Athinaiki Zythopoiia, aff. C-294/99, RJF 1/2002, n° 127, p. 91. 64 B.W., note sous CJCE, 18 janv. 2001, Schmid, aff. C-113/99, in Droit Fiscal, 2001, N°9, p. 369. La Cour avait à se prononcer sur la compatibilité de l’impôt minimal sur les sociétés autrichiennes avec la directive N° 69/335/CE du 17 juillet 1969 concernant les impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux. L’avocat général avait relevé à cette occasion, pour qualifier l’imposition d’avance sur l’impôt sur les sociétés, la possibilité d’imputer cette imposition sur l’impôt sur les sociétés (point 17).

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la source65. D’autant que cette intention trouve à se vérifier dans le fait que la mention du précompte figure expressément entre parenthèses dans l’article 7§1. Néanmoins, si la mention figure en français dans d’autres versions linguistiques de la directive, notamment les versions anglaises et finlandaises, les autres versions présentent un terme inscrit dans la langue de rédaction. De plus, d’autres versions ne contiennent aucun terme entre parenthèses. Or, on sait que la Cour s’attache à donner une définition uniforme des termes figurant dans les différentes versions linguistiques. Pour ce faire, il se fonde sur l’économie générale et la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément66. On pourrait donc penser que la notion de précompte, telle qu’elle figure dans la directive, constitue une notion communautaire dont la Cour est en position de délimiter les contours. Les notions nationales pourraient ainsi échapper à la notion visée dans la directive, et par voie de conséquence, se trouver « hors la loi » par rapport au droit communautaire. Cette idée est renforcée par le fait que le droit communautaire a, par le passé, eu l’occasion de définir le précompte. Il a pu considérer en effet, que « dans la mesure où une société distribue des dividendes provenant de bénéfices qui n’ont pas supporté l’impôt sur les sociétés, l’Etat membre de cette société perçoit un impôt compensatoire égal au crédit d’impôt attaché à ces dividendes. Lorsque ces dividendes proviennent de bénéfices qui ont été soumis à une imposition réduite, l’impôt compensatoire est également perçu mais peut être réduit à due concurrence »67. Reste que la France fait figure d’exception du fait de la suppression du précompte.

2. Le cas particulier de la France. En France, depuis la suppression du précompte mobilier par la loi de finance pour 2004, l’exception prévue par l’article 7§1 ne couvre plus que les impôts payés « par anticipation, ou préalablement » sur les sociétés. L’objectif avancé de la réforme de la loi de finance pour 2004 paraissait toutefois d’avantage viser la suppression des charges budgétaires liées au remboursement de l’avoir fiscal aux non-résidents, qu’à mettre le mécanisme français de neutralisation de la double imposition économique des bénéfices de sociétés en conformité avec le droit communautaire. De toute manière, l’ancien précompte mobilier prévu en droit français était sans doute contraire à l’exonération des retenues à la source. En effet, le précompte mobilier n’était pas, à proprement parler, un « paiement anticipé ou préalable de l’impôt sur les sociétés ». Mais plutôt un gage que l’avoir fiscal attaché au dividende a bien eu pour contre partie le prélèvement d’un impôt sur les sociétés à un taux normal68. Effectivement, il n’était pas légalement imputable sur l’impôt sur les sociétés69. La violation du droit communautaire parait encore plus manifeste en ce qui concerne le précompte versé en cas de distribution de bénéfices de plus de cinq ans. En effet, il semble difficilement concevable que le précompte versé à raison de bénéfices déjà taxés au taux normal

65 En ce sens, voir Claire Acard et Antoine Rosnet, Directive mère-fille : interdiction des mesures d’effet équivalent à une retenue à la source, la CJCE persiste et signe, in Droit Fiscal, 2002, n° 9, p. 393 et s. 66 Il y a de multiple exemple dans diverses matières. Toutefois, la dernière manifestation de cette volonté est à trouver dans CJCE, 13 avr. 2000, WN, aff. C-420/98, note de B.W. in Droit Fiscal 2000, N° 27 et CJCE, 24 fév. 2000, Commission c/ République française, aff. C-434/97. 67 Art. 9, paragraphe 1, de la proposition de directive concernant l’harmonisation des systèmes d’impôt sur les sociétés et des régimes de retenues à la source sur les dividendes, JOCE C, 5 nov. 1975, retirée le 23 avr. 1990. 68 Voir Bruno Gouthière, L’introduction de la directive mères filles en droit interne : France Pays Bas Belgique, précité. 69 Ce n’est qu’en raison d’une tolérance administrative que le précompte pouvait s’imputer sur l’impôt sur les sociétés en cas de la distribution de la réserve spéciale des plus values à long terme, doctrine administrative 4H-2133, N° 34, 1er mars 1995.

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corresponde à la notion de paiement anticipé ou préalable. Même si cette disposition poursuit l’objectif de favoriser la distribution de bénéfices. Ce précompte constitue en fait une imposition complémentaire de la filiale, dont le seul fait générateur est la distribution de bénéfices. Certes, le débat n’est plus d’actualité depuis que le précompte mobilier a été supprimé en même temps que l’avoir fiscal. Mais les Etats membres tentés de reproduire l’ancien schéma français sont désormais avertis du risque encouru.

*** En définitive, on constate que les carences de la directive empêchent celle-ci de réaliser pleinement son objectif d’anéantir la double imposition. Les Etats membres quant à eux profitent de la latitude qui leur est accordée pour asseoir leur souveraineté fiscale à la moindre occasion. Le régime commun parait ainsi perdre du terrain. Mais c’est sans compter le rôle de la Cour de justice des Communautés. Par ses travaux, elle redessine la réelle dimension du régime commun, telle qu’instituée par la directive de 1990.

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Chapitre 2 : Une dimension inédite de la directive. La directive comporte un certain nombre de zones d’ombres. Les Etats en ont donc profité pour réduire l’application du régime commun et appliquer leurs propres systèmes aux opérations transfrontalières. En cela, on serait tenté de conclure que la Commission a échoué à appliquer et à construire une véritable politique de distribution des bénéfices à l’échelle communautaire (partie I). C’est toutefois sans compter l’appui du juge du Luxembourg, lequel, sous couvert d’interprétation et d’application des exigences du Traité, a considérablement renforcé la force juridique de la directive (partie II).

I. Un régime juridique des distributions encore fragile. Le régime commun n’est pas parfaitement uniforme. Lors de l’élaboration de la directive, la Commission a fait trop de concessions au profit des Etats membres. Sans doute sous prétexte de sauvegarder leur souveraineté. Sans doute aussi pour ne pas voir le projet écarté comme celui de 1969, jugé trop ambitieux (partie A). Ceci conduit à laisser une trop grande place aux ordres nationaux et internationaux, lesquels sont alors forcés de cohabiter avec l’ordre communautaire (partie B).

A. Une trop grande latitude laissée aux Etats. Deux limites majeures empêchent le régime commun de s’appliquer de manière parfaitement uniforme. Il s’agit des clauses que les Etats peuvent passer pour contrer une application jugée abusive du régime commun (1), ainsi que le choix laissé à l’Etat de la société mère, entre exemption et imputation (2).

1. Les clauses nationales anti-abus. L’article 1§2 de la directive prévoit expressément que « la présente directive ne fait pas obstacle à l’application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d’éviter les fraudes et abus ». Ceci conduit à écarter le régime commun lorsque les relations entre les sociétés liées sont révélatrices de fraude ou d’abus, sans que cependant ces notions soient précisées par la directive70. La jurisprudence Denkavit a, à ce propos, rappelé que les Etats membres peuvent prévoir des mesures de contrôle, à condition qu’elles soient différentes du délai de conservation minimum ouvrant droit à des distributions en franchise d’impôt71. 70 Ces notions ont toutefois fait l’objet d’une définition particulièrement restrictive, concernant des arrêts rendus sur la compatibilité des politiques nationales anti abus. Voir CJCE, 16 juill. 1998, Imperial Chemical Industries, aff. 264/96, RJF 11/98, n° 1382, qui fait référence aux « montages purement artificiels, dont le but serait de contourner la loi fiscale ». Voir Titre II ; chapitre II, p. 66. 71 CJCE, 17 oct. 1996, Denkavit International BV, VITIC Amterdam BV, Voormeer BV, N° 283/94, 291/94 et 292/94, Rec. N° 5063, précité. En l’espèce, les Etats membres faisaient valoir que l’exigence d’un délai de conservation effective des participations dans le capital de leur filiale leur permettait de prévenir les abus.

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La France a quant à elle interprété l’article 1§2 de la directive de manière particulièrement large, et peut-être même incorrecte. L’article 119 ter 3ème du CGI dispose en effet que l’exonération n’est pas applicable lorsque les dividendes distribués bénéficient à une personne morale, contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’Etats non-membres de la Communauté. A moins que cette personne morale ne justifie que la chaîne de participations n’a pas pour objet principal, ou comme un des objets principaux, de tirer avantage des dispositions de l’exonération. En d’autres termes, la France institue un véritable mécanisme de présomption de fraude, dès lors que la société est détenue par des résidents d’Etats tiers à la Communauté. Comme le souligne un auteur, il s’agit là d’une exclusion qui n’est pas prévue par la directive, et qui est sans doute critiquable en ce qu’elle établit une discrimination probablement contraire au Traité de Rome, en fonction de l’origine des capitaux qui composent les sociétés européennes72. Selon lui, « on comprend certes le souci qui a animé le législateur, qui est visiblement celui d’éviter des pratiques qu’on pourrait qualifier de ‘directive shopping’ par analogie avec la pratique bien connue du ‘treaty shopping’, afin de bénéficier d’un meilleur régime de retenue à la source. On ne peut cependant s’empêcher de remarquer que, si la directive avait entendu procéder à une telle exclusion, elle l’aurait expressément indiqué ». Ce n’est effectivement pas à un Etat membre qu’il appartient, isolément, de réduire abusivement le champ d’application de la directive. Par ailleurs, la Commission et les instances professionnelles semblent être du même avis. Toutes deux déplorent l’attitude des Etats qui soumettent le bénéfice du régime commun à des conditions qui ne sont pas prévues par celle-ci. Notamment la présomption de fraude ou d’évasion fiscale telle qu’appliquée par la France73. L’existence de telles dispositions aussi restrictives dans la législation nationale réduit la portée de la directive. Ceci montre qu’il y a lieu de contrôler plus en profondeur la conformité de la transposition de la directive dans le droit national, et plus particulièrement les dispositions qui découlent de sa clause relative à l’évasion et la fraude fiscale. La Cour de Justice a eu l’occasion de souligner dans son arrêt Leur Bloem que l’évasion et la fraude fiscale doivent être jugées au cas par cas74. Bien que cette jurisprudence s’applique à la directive fusion, l’analyse de la Cour devrait pouvoir s’appliquer à la directive mère-filiales. Pour ce qui concerne l’établissement d’une présomption de fraude ou d’évasion fiscale, l’arrêt rendu dans cette affaire permet aux Etats membres de considérer que certaines opérations constituent une présomption de fraude ou d’évasion fiscale pour autant que le contribuable ait la possibilité d’apporter la preuve du contraire. Une présomption globale d’évasion ou de fraude fiscale parait cependant excessive. Elle conduirait à une situation où toute participation de non-résidents dans le capital d’une société de la Communauté constituerait une présomption de fraude ou d’évasion fiscale. Qui plus est, il semble que le simple fait d’avoir des actionnaires extérieurs à la Communauté ne peut constituer une base suffisante à la présomption de fraude ou d’évasion fiscale. Néanmoins cette latitude laissée aux Etats n’est pas le seul reproche que l’on puisse formuler à l’égard de la directive. Celle-ci ne semble pas entièrement atteindre son objectif de lutte contre la double imposition. Ceci est en partie dû au choix laissé à l’Etat de la société mère, qui exclut de fait une application uniforme du régime.

72 Bruno Gouthière, in L’introduction de la Directive mères filiales en droit interne : France, Pays-Bas et Belgique, précité. 73 Vers un Marché intérieur sans entraves fiscales, communication 2001-582, p. 239 et Bernard Irion, au nom de la CCIP, Vers un marché intérieur sans entraves fiscales, des options favorables aux entreprises à soutenir pour privilégier une saine concurrence des systèmes fiscaux européens, 30 mai 2002. 74 CJCE, 17 juill. 1997, Leur Bloem, aff. C-28/95, Rec. I-4161.

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2. Le choix entre exemption et imputation, facteur de complexité. Le régime tel qu’issu de la directive de 1990 s’est rapidement révélé trop timoré dans un certain nombre de domaines. Par comparaison avec le seul régime français des relations mères-filiales, le régime commun est plus étroit, en ce qui concerne les critères de formes juridiques, de nationalité et de régime fiscal des sociétés. La directive de modification apparaît dès lors nécessaire de ce point de vue. Toutefois, l’objectif du régime commun mériterait sans doute une réforme en profondeur davantage qu’un simple nettoyage. A ce titre, force est de constater que la coexistence des deux systèmes d’élimination de la double imposition prévue par la directive génère beaucoup de complexité. L’adoption d’une méthode unique faciliterait grandement la mise en œuvre du régime commun. En outre, dans une logique communautariste, les discussions relatives au choix entre les deux systèmes n’auraient pas lieu d’exister. Elles seraient plutôt un débat interne sur la répartition régionale des nouveaux investissements. Au regard des résultats, il est permis d’avancer que la logique du Marché unique plaide davantage en faveur de la méthode de l’exemption, que de celle de l’imputation. Certes, on comprend aisément qu’il tienne à cœur à l’Etat de la société mère d’imposer celle-ci. Cependant, on constate que ce régime est constitutif d’obstacles à l’investissement. Ceux-ci se traduisent par des coûts liés au retard de trésorerie et aux tâches administratives souvent complexes. Ces coûts sont, à n’en pas douter, autant d’entraves à la réalisation d’un marché commun, en ce qu’ils dissuadent l’établissement dans certains Etats. Les plus petites entreprises sont les plus touchées par ce phénomène, du fait des moyens moindres dont elles disposent par rapport aux grands groupes. En outre, la Commission européenne a eu l’occasion de relever que lorsque l’Etat d’origine de la mère lève un impôt complémentaire, pour arriver à une imposition totale égale à son propre niveau d’imposition, les entreprises qui ont des activités dans un autre Etat membre, à travers un établissement stable, sont plus imposées que celles qui y sont déjà établies75. Dans cette optique, il serait sans doute souhaitable que la règle de l’exemption devienne la règle de principe. La neutralité par rapport aux importations de capitaux serait ainsi assurée entre tous les Etats membres. L’impôt serait alors prélevé au taux de l’établissement stable et les sociétés non-résidentes opéreraient à armes égales par rapport aux entreprises domestiques, en ce qui concerne la fiscalité. Malheureusement, la réalité pousse à déclarer cette vision utopique, et ce pour deux raisons majeures. En premier lieu, une telle réforme ne trouverait pas d’écho auprès des Etats, du fait de l’incursion trop marquée du droit communautaire dans leur souveraineté fiscale. D’autre part, trop d’Etats membres prévoient encore l’octroi de crédit d’impôt dans leurs conventions fiscales bilatérales. L’adoption uniforme du système de l’exemption les plongerait dans un système dual selon l’ordre juridique dans lequel ils se trouvent, ce qui ne manquerait pas de créer davantage de complexité. Ceci tend d’ailleurs à renforcer la difficulté dans laquelle s’inscrit la cohabitation entre les dispositions nationales, internationales et communautaires.

75 La fiscalité des entreprises dans l’UE, Rapport des services de la Commission SEC 2001, 1681 final, p. 334.

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B. Une cohabitation entre les dispositions nationales, internationales et communautaires au détriment du régime commun.

Au milieu de l’ordre juridique national et international, les deux ne jouant pas toujours le jeu de la directive, l’ordre juridique communautaire a dû faire entendre sa voix et réaffirmer à de nombreuses reprises son principe fondamental d’interdiction de prélever une retenue à la source (1). Mais son dispositif s’est heurté au mécanisme de l’avoir fiscal (2).

1. Des Etats ne jouant pas le jeu du régime commun.

C’est sans surprise que l’on découvre que l’article 7§2 de la directive de 1990 prévoit la possibilité d’appliquer des dispositions conventionnelles poursuivant le même objectif que la directive. C’est là une manifestation du principe de subsidiarité. Mais il s’est avéré que certains Etats ont usé de leur faculté de se lier conventionnellement pour dissimuler dans leurs conventions des mécanismes de retenue à la source. Ainsi, lors de la transposition de la directive en droit français, le législateur avait considéré que l’exonération de retenue à la source ne s’appliquait pas lorsque la société mère a droit, en vertu d’une convention fiscale bilatérale, à un paiement du Trésor français égal à l’avoir fiscal ou à une fraction de celui-ci. Dans ce cas, l’article 119 ter-2e prévoyait que la retenue à la source prévue dans la convention pouvait être prélevée sur le montant cumulé des dividendes et du crédit d’impôt. Dans ce cas, le montant de la retenue à la source ainsi calculé n’excédait pas le montant du crédit d’impôt. D’autres Etats prévoyaient le même régime. La question de la compatibilité de cette pratique méritait donc que la doctrine et le juge du Luxembourg s’y attardent. Dans la mesure où ces conventions fiscales entre Etats membres permettent à la retenue à la source de s’imputer sur le montant cumulé du paiement du Trésor et des dividendes, un auteur a fait valoir que cette disposition était contraire à l’esprit de la directive76. En effet, tout porte à croire que cette disposition permet le maintient de la perception d’une retenue à la source sur les dividendes. Pour les Etats, la question de la compatibilité de ce mécanisme avec le droit communautaire ne semble faire aucun doute. Il est vrai que l’actionnaire reçoit, de toute façon, un montant supérieur au dividende lui-même. Néanmoins, par ce raisonnement, les Etats semblent se protéger derrière un argument davantage économique que véritablement juridique. Force est de constater que les entreprises se voient imposées sur le dividende proprement dit. On peut penser que ce n’est sans doute que par commodité que l’administration amalgame les paiements sur le remboursement de l’avoir fiscal et les dividendes versés. La Cour de justice a eu l’occasion de prendre position sur ce point et, par la même occasion, de réaffirmer la force du régime commun, dans son arrêt Océ Van der Grinten NV77. Elle en a également profité pour rappeler une fois encore l’obligation faite aux Etats de s’abstenir de toute mesure, susceptible de mettre en péril la réalisation des buts du Traité78. En l’espèce, trois questions 76 Bruno Gouthière, L’introduction de la directive mère-filles en droit interne : France, Pays-Bas et Belgique, BF 3/92, p. 148. 77 CJCE, 25 sept. 2003, aff. C-58/01, Océ Van der Grinten NV c/ Inland Revenue Commissionners, JOCE C, 5 mai 2001, p. 4. 78 Art. 5 al. 2 du Traité.

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préjudicielles ont été soulevées, dans le cadre d’un recours opposant une société de droit néerlandais résidant aux Pays-Bas et détenant 100% du capital d’une société de droit anglais, à propos de l’imposition au Royaume-Uni des dividendes que sa filiale lui a distribués. Cette imposition résulte de la convention fiscale liant les deux pays, selon laquelle « lorsqu'un résident des Pays-Bas a droit à un avoir fiscal au titre d'un [...] dividende versé par une société résidant au Royaume-Uni […], l'impôt peut également être perçu au Royaume-Uni, et conformément à la législation du Royaume-Uni, sur le total du montant ou de la valeur de ce dividende et du montant de cet avoir fiscal à un taux n'excédant pas 5 % ». La question était de savoir si le prélèvement de 5% est constitutif d’une retenue à la source et, le cas échéant, si ce prélèvement peut être justifié par la voie conventionnelle offerte aux Etats membres pour supprimer la double imposition économique des dividendes. La Cour tranche le litige dans ce qui nous parait être un jugement de Salomon. Elle considère en effet « qu'une imposition […], en tant qu'elle frappe les dividendes versés par la filiale à sa société mère résidant dans un autre État membre, constitue une retenue à la source sur les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère, au sens de l'article 5§1 de la directive. En revanche, en tant qu'elle frappe l'avoir fiscal auquel cette distribution de dividendes donne droit au Royaume-Uni, la même imposition ne constitue pas une retenue à la source interdite » (point 60). Dès lors, comme l’avait pressenti une partie de la doctrine, les deux paiements doivent être clairement dissociés sur le plan juridique79. L’article 7§2 a donc pour objet d’autoriser les retenues à la source uniquement sur les crédits d’impôts que les Etats octroient aux non-résidents. A l’inverse, la Cour exclut qu’une telle retenue puisse être prélevée sur les dividendes eux-mêmes. Par cette décision, la Cour a donc dû rappeler les Etats resquilleurs à l’ordre, en réaffirmant l’interdiction prévue par le régime commun. Elle révèle en outre les tentatives des Etats membres de soustraire leurs entreprises au bénéfice de la directive, en continuant de leur appliquer leurs propres systèmes d’imposition. On constate enfin que l’avoir fiscal prend une dimension inédite. Désormais, celui-ci se présente comme le pivot de la relation entre le droit communautaire et international.

2. L’avoir fiscal comme limite au régime commun. Dans la jurisprudence Océ NV, le juge a suivi les recommandations de l’avocat général Antonio Tizzano. Ce dernier préconisait en effet de déterminer la nature de l'imposition de 5% de manière séparée, selon qu'elle frappe les dividendes ou, au contraire, l'avoir fiscal. Il en a déduit que le paiement incriminé revêtait en fait deux facettes. Or, seule l’une d’elles a été évincée par le droit communautaire. L’autre s’est maintenue en l’état. Il est alors permis de s’interroger quant à la réelle efficacité du régime commun, dans la mesure où, finalement, il ne connaît pas une application parfaite et uniforme entre les Etats membres. L’avocat général a ainsi eu l’occasion de constater que pour la partie qui frappe le dividende, l'impôt en question constitue une retenue à la source interdite par le régime commun80. Néanmoins, l’autre facette du paiement, celui qui porte sur l’avoir fiscal, ne semble pas suivre la même logique. La question était de savoir si, à la lumière des critères indiqués par la Cour dans un arrêt Epson Europe,

79 Bruno Gouthière, précité, Claire Acard et Antoine Rosnet, Directive mère-fille : interdiction des mesures d’effet équivalent à une retenue à la source, la CJCE persiste et signe, in Droit Fiscal, 2002, n° 9, p. 393 et s. 80 « L'interdiction de retenue à la source, prévue à l'article 5, paragraphe 1, couvre également l'hypothèse d'un impôt tel que celui en cause en l'espèce, dans la mesure où cet impôt frappe les dividendes perçus par la société mère néerlandaise, en affectant le revenu que cette dernière tire de sa participation dans le capital de sa filiale établie au Royaume-Uni », conclusions de l’avocat général, point 22.

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l'imposition de l'avoir fiscal constituait une imposition sur un bénéfice distribué81. Ceci aurait conduit de facto à considérer ce paiement comme une retenue à la source. Dans ce cas, l'imposition successive des revenus de la société mère dans l'Etat de son siège aurait donné lieu à une double imposition économique. Mais selon l’avocat général, cette hypothèse est à écarter, et ce pour deux raisons. En premier lieu, l'avoir fiscal ne saurait être considéré comme un bénéfice distribué par la filiale. En effet, pour l’avocat général, ce bonus fiscal ne constitue pas un « rendement des titres » de la filiale, mais un instrument fiscal qui ne confère aucun revenu nouveau aux détenteurs de ces titres. Son effet est uniquement d'éviter, dans une certaine mesure, les effets négatifs de l'imposition du revenu généré par la participation au capital de la société, qui a émis les titres82. D'autre part, la réduction partielle du montant dudit avoir, au titre de l'imposition de 5 % dont il est grevé, ne peut d'aucune manière emporter une double imposition économique des bénéfices réalisés par la filiale et perçus par la société mère83. En somme, ceci conduirait à laisser une vaste place au droit conventionnel des Etats membres. On serait alors tenté d’en déduire que les Etats ont conservé leur pleine capacité en matière de droit conventionnel, ce qui reviendrait à leur reconnaître une pleine souveraineté. C’est du moins ce que semble retenir le juge, selon lequel : « l'article 7§2, de la directive doit être interprété en ce sens qu'il autorise une imposition telle que le prélèvement de 5 % prévu par la convention relative à la double imposition en cause au principal, même si ce prélèvement, en ce qu'il s'applique aux dividendes versés par la filiale à sa société mère, constitue une retenue à la source au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la même directive » (point 89). L’avocat général parait d’ailleurs partager le même avis84. Toutefois, il parait d’avantage opportun de reconnaître que tous deux ont admis que si la directive autorise les Etats à recourir aux conventions bilatérales, ce n’est que dans la mesure où celles-ci posent un cadre au moins équivalent à celui contenu dans la directive de 1990. En somme, ils ne font que rappeler le principe de primauté du droit communautaire sur les conventions bilatérales entre Etats membres, tel que contenu à l’article 10. Mais, détail intéressant, cet article fait référence aux buts poursuivis par le Traité. Or, en l’espèce, il s’agit des buts poursuivis par une directive, c'est-à-dire une norme de droit dérivé. Le Traité quant à lui ne fait référence à la lutte contre la double imposition que dans le cadre de son article 293, lequel prévoit le recours aux conventions bilatérales. Est-ce à dire que la directive reçoit une force juridique renforcée ? On peut le penser, dans la mesure où le juge la confronte directement à une convention bilatérale. Qui plus est pour réduire la portée de celle-ci. Cet arrêt parait donc plutôt porter une nouvelle atteinte à la liberté conventionnelle des Etats membres qu’il ne la conforte. En dépit des apparences, le régime commun se trouve donc confirmé à l’égard des Etats membres, et ce malgré les carences qu’il contient. Le juge communautaire a d’ailleurs beaucoup œuvré pour renforcer sa force juridique dans les systèmes nationaux. 81 CJCE, 8 juin 2000, aff. 375/98, Epson Europe BV, Rec. I, 4243, conclusion Cosmas, RJF 9-10/2000, N° 1186. 82 Océ NV, précité, conclusions point 32. 83 En effet, « l'imposition au Royaume-Uni du bonus payé par le fisc anglais à la société mère n'affecte d'aucune manière la neutralité fiscale de la distribution des dividendes, étant donné qu'elle ne frappe pas la distribution des dividendes de la filiale et qu'elle n'en diminue pas la valeur pour celui à qui ils sont versés », conclusions, point 34. 84 Il fonde en effet sa position sur la volonté de ne pas priver l’article 7, paragraphe 2 de tout effet utile. « Il n'y aurait en effet aucun sens «à préserver» les dispositions des conventions qui visent à atténuer la double imposition, seulement si celles-ci sont totalement conformes aux dispositions matérielles de la directive: ainsi interprété, l'article 7, paragraphe 2, constituerait une disposition totalement redondante », point 49.

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II. Une force juridique renforcée par les efforts du juge communautaire. Faute pour la Commission d’avoir élaboré un régime parfaitement uniforme, la Cour de justice des Communautés est intervenue pour donner son plein effet aux dispositions de la directive. Elle a ainsi eu l’occasion d’en étendre le champ, en interprétant de manière extensive les notions principales, notamment la notion de retenue à la source interdite (partie A). Ce faisant, elle semble avoir donner à la directive une dimension nouvelle, au-delà des limites initialement prévues (partie B).

A. La notion extensive de retenue à la source. La notion de retenue à la source n’est pas définie avec précision dans la directive de 1990. Fort heureusement, le juge communautaire est intervenu pour en préciser les contours d’une manière assez extensive (1). A tel point qu’il a eu l’occasion d’étendre le régime d’interdiction à des mesures jugées comme ayant des effets équivalents à de telles retenues (2).

1. La notion de retenue à la source précisée par le juge communautaire. Contrairement au projet initial de directive de 1969 qui donnait une liste indicative des impositions considérées comme des retenues à la source prohibées, la notion de retenue à la source n’est pas définie de façon positive par la directive finalement adoptée. En effet, le texte précise seulement à l’article 7 que « le paiement anticipé ou préalable (précompte) de l’impôt sur les sociétés à l’Etat membre où est située la filiale, effectué en liaison avec la distribution des bénéfices de la société » ne constitue pas une retenue à la source au sens de l’article 5 de la directive. La retenue à la source est donc uniquement définie a contrario. Dans une telle situation, il était évidemment difficile de cerner efficacement le champ du régime commun, et à plus forte raison l’interdiction de prélever une retenue à la source. Une définition restreinte aurait conduit à limiter le bénéfice du régime institué par la directive mère-fille à peu de groupes de sociétés. On peut sans doute expliquer cette absence de définition positive par la réticence des Etats à voir disparaître leur faculté d’imposer librement les sociétés liées. S’ils avaient entendu laisser toute latitude à la Commission pour interdire les impositions susceptibles d’entraver les régimes de groupes, ils auraient à n’en pas douter permis à celle-ci de dégager une définition claire. Ils auraient au moins permis de reprendre les termes du projet initial de 1969. Leur choix tend plutôt à laisser penser qu’ils étaient, une fois encore, trop avares de leur souveraineté fiscale. Il est donc revenu à la Cour de justice des Communautés, dans son rôle interprétatif, de se prononcer sur le sujet. Elle l’a fait la première fois dans un arrêt dit « Epson »85, en faisant le choix d’une interprétation extensive, au dépends des Etats membres. Saisie d’un recours en interprétation sur la disposition de la directive qui autorisait temporairement le Portugal à prélever une retenue à la source plafonnée, la CJCE avait rappelé que, selon sa jurisprudence constante, la qualification d’une imposition, d’une taxe, d’un droit ou d’un prélèvement au regard du droit communautaire appartient

85 CJCE, 8 juin 2000, aff. 375/98, Epson Europe BV, Rec. I, 4243, conclusions Cosmas. Voir à ce sujet RJF 9-10/2000, N° 1186.

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à la Cour86. Elle seule est en mesure de se prononcer en fonction des caractéristiques objectives de l’imposition en cause, et ce indépendamment de la qualification qui lui est donnée en droit national. Ce faisant, le juge a coupé court aux arguments des Etats qui, derrière le Portugal, invoquaient leur faculté de tracer les contours de leur fiscalité directe. En l’espèce, l’arrêt Epson avait à décider si était soumis à l’interdiction un impôt sur les successions frappant les transmissions à titre gratuit d’actions de sociétés, lors de chaque distribution de dividendes, par des sociétés établies au Portugal. Le gouvernement portugais prétendait que cet impôt ne frappait pas le rendement, mais la valeur du titre, et constituait de ce fait un impôt sur les transmissions patrimoniales à titre gratuit, bien qu’il soit calculé sur la base des revenus. La Cour a dès lors souligné que « les termes ‘retenue à la source’ n’étaient pas limités à certains types d’impositions nationales précises ». Constatant que cet impôt était dû en cas de distribution de dividendes et assis sur le montant de ces distributions, la CJCE avait estimé qu’une telle imposition constituait une retenue à la source interdite par le régime commun. La Cour a ainsi opté pour une interprétation téléologique, propre à donner son plein effet à l’obligation d’exonérer les distributions de retenues à la source. Elle considère, en effet, que l’objectif d’encourager la coopération des sociétés liées serait compromis si les Etats membres pouvaient délibérément priver ces sociétés du bénéfice des dispositions de la directive, « en les soumettant à des impositions qui ont, à l’instar de l’impôt portugais sur les successions et donations, le même effet qu’une imposition sur le revenu » (point 24). Par conséquent, le juge du Luxembourg a jeté les bases d’une définition de la retenue à la source, susceptible de porter atteinte à la souveraineté fiscale des Etats membres. Ceux-ci sont donc désormais contraints de passer en revue toutes leurs impositions peu ou prou susceptibles d’entraver le régime commun des distributions de dividendes. Ceci est d’autant plus vrai, que la Cour a par ailleurs condamné les impositions ayant un effet équivalent à une retenue à la source, sans en être pour autant directement.

2. L’extension du régime d’interdiction aux mesures ayant un effet équivalent à une retenue à la source.

L’approche matérielle de la notion de retenue à la source, initiée dans l’arrêt Epson, a par la suite été confirmée dans un arrêt Athinaïki Zythopoiia87 du 4 octobre 2001. En l’espèce, le problème théorique était celui de savoir s’il y a retenue à la source au sens de l’article 5§1, « lorsqu'une disposition de droit national prévoit, en cas de distribution de bénéfices par une filiale (SA ou société similaire) à sa société mère, que, pour déterminer le revenu imposable de la filiale, on prend en considération les bénéfices nets totaux réalisés par celle-ci, y compris les revenus qui ont été soumis à une imposition spéciale, entraînant l'extinction de la dette fiscale ainsi que les revenus non imposables. Alors que ces deux catégories de revenus ne seraient pas imposables, sur la base de la législation nationale, s'ils étaient restés au sein de la filiale et n'avaient pas été distribués à la société mère » (question préjudicielle, point 22 de l’arrêt). Une explication s’impose. En d’autres termes, conformément à la législation grecque, les bénéfices de sociétés exonérés d’impôt sur le revenu, ou soumis à un impôt réduit, étaient, si la société procédait à une distribution de dividendes au cours de la même année, convertis en montant brut d’impôt et réintégrés dans 86 Voir aussi CJCE, 13 fév. 1996, aff. C-197/94 et C-252/94, Sté Bautiaa et autres c/ Directeur des services fiscaux des Landes et Sté française maritime c/ Directeur des services fiscaux du Finistère, Rec. CJCE, I, p. 505. 87 CJCE, 4 oct. 2001, aff. 294/99, Athinaïki Zythopoiia AE, dans RJF 1/2002, p. 91, N° 127.

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l’assiette de l’impôt sur le revenu taxée au taux de droit commun de la société distributrice (après déduction, le cas échéant, de l’impôt au taux réduit acquitté initialement, art. 99 et 106 du Code de l’impôt sur le revenu grec). Pour qualifier l’imposition grecque en cause de retenue à la source, le juge complète sa jurisprudence développée dans l’arrêt Epson. La circonstance que le redevable de l’imposition soit la filiale, et non la société mère comme c’était le cas dans l’arrêt Epson, n’a pas été jugée déterminante. Dans les deux cas, la société mère supporte économiquement la charge fiscale, qui réduit d’autant le montant net des dividendes qu’elle reçoit. Du point de vue du fait générateur, l’imposition est déclenchée par la distribution de dividendes, ou de toute autre rémunération perçue au titre des droits sociaux88. D’autre part, l’assiette de l’impôt est directement fonction de l’importance de la distribution opérée. Pour la Cour, ces deux éléments reflètent la volonté de l’Etat membre de prélever la distribution directement à sa source. Certains auteurs prolongent même le raisonnement. Ils considèrent que la Cour ne limite pas la qualification de retenue à la source aux seules impositions dues en cas de distributions de dividendes89. Elle semble en effet inclure également les impositions ayant un fait générateur alternatif, lorsqu’en pratique la société y est assujettie en raison du fait générateur « distribution ». Cependant, à l’instar de l’arrêt Epson, ces deux éléments paraissent moins être des critères cumulatifs d’une définition de retenue à la source que des indices d’une mesure d’effet équivalent à une telle retenue. Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que la Cour fonde sa définition d’une notion de droit communautaire en analysant au cas par cas si une mesure ne s’y apparente pas dans ses effets90. En effet, c’est probablement le même souci d’éviter que les Etats puissent contourner la prohibition de la retenue à la source, par l’instauration ou le maintient d’impositions ayant un effet équivalent, qui a conduit la CJCE à qualifier de retenue à la source le rehaussement d’impôt sur les sociétés frappant les sociétés grecques91. Cette approche correspond d’ailleurs à celle dégagée par l’avocat général Siegbert Alber dans ses conclusions92. Ce dernier résume ainsi parfaitement la position de la Cour pour laquelle, « selon l'interprétation large, la notion de retenue à la source comprend toute réglementation fiscale, qui entraîne une imposition des distributions des bénéfices effectuées par une société filiale se trouvant sur le territoire national, à destination de la société mère se trouvant à l'étranger. La désignation concrète ou l'organisation de l'impôt importent peu. D'ailleurs, les Etats membres ne sont pas autorisés à instituer, à cet égard, des dispositions équivalant, en pratique, à une retenue à la source. On constate donc que, dans le champ d'application de la directive, sont interdites toutes les dispositions fiscales qui lient à la distribution de bénéfices des charges fiscales particulières, qui n'existeraient pas en l'absence de cette distribution de bénéfices[…]». En apportant une définition extensive de la retenue à la source, le juge du Luxembourg semble être allé au-delà de l’objectif du législateur communautaire. D’autres arrêts ont par ailleurs étendu

88 L'imposition en cause porte, en effet, sur « des revenus qui ne sont taxés qu'en cas de distribution de dividendes et dans la limite des dividendes versés » (point 29). 89 Claire Acard et Antoine Rosnet in Directive mère fille : interdiction des mesures d’effet équivalent à une retenue à la source, la CJCE persiste et signe, Revue de Droit Fiscal, année 2002, N°9, p. 393. 90 Voir notamment la première précision de la notion de « mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’importation » dans CJCE, 11 juill. 1974, Dassonville, aff. C- 8/74, Rec. 1974, p. 837, point 5. 91 Claire Acard et Antoine Rosnet, précité. 92 En effet selon lui, si l’imposition de la société filiale ne saurait en principe constituer une retenue à la source au sens de la directive, ce n’est que sous la réserve que cette imposition ne constitue pas une disposition équivalant en pratique à une retenue à la source (point 27 des conclusions).

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fortement le champ d’application de la directive, lui apportant par-là même une dimension juridique nouvelle.

B. Une application au-delà des limites de la directive telles que prévues par la Commission.

Le régime commun a pris une dimension nouvelle grâce aux efforts du juge communautaire. Celui-ci a eu l’occasion d’en prolonger les effets par l’application des dispositions relatives à la liberté d’établissement (1), de manière tellement extensive qu’elle pose la question de savoir si le régime commun ne s’est pas étendu au point de s’appliquer dans des situations purement internes (2).

1. La combinaison du régime commun avec le respect du libre établissement. Par application conjointe des principes de subsidiarité et de souveraineté, les Etats demeurent a priori libres de créer et de conserver des politiques nationales de distribution de dividendes. D’ailleurs, de nombreux Etats avaient déjà, à l’instar de la France, un régime des groupes, avant même que la directive soit transposée dans leur législation. Toutefois, la Cour de justice des Communautés est intervenue pour rappeler que le maintien de ces régimes nationaux ne dispense pas les Etats d’appliquer le régime commun de manière à lui garantir tout son effet utile. Ceci implique que les régimes nationaux de distribution de dividendes ne doivent pas encourager les investissements dans des groupes purement nationaux, aux dépends des groupes communautaires. Autrement dit, les politiques nationales ne doivent en aucun cas dissuader les sociétés liées de s’établir sur tout le territoire communautaire, par des discriminations fiscales en raison de la nationalité. Ceci conduirait en effet à vider le régime commun de son contenu. Cette règle a été rappelée à l’occasion de plusieurs arrêts qui ne portent pourtant pas sur le respect de la directive mère-fille, mais de celui du principe de libre établissement. En premier lieu, les affaires Metallgesellschaft et Hoechst traitent le même problème93. En l’espèce, il s’agissait de l’obligation faite aux sociétés résidentes du Royaume-Uni de payer de manière anticipée l’impôt sur les sociétés au titre des dividendes versés à leur mère. Les deux sociétés Metallgesellschaft et Hoechst, en tant que filiales britanniques de sociétés mères étrangères, ont donc été soumises à l’advance corporation tax anglais (ACT), du fait des distributions de dividendes à leurs mères. Cependant, elles s’étaient toutes deux vues refuser la possibilité de bénéficier d’un régime d’imposition de groupe, au motif que ce régime était ouvert aux seules filiales de sociétés mères ayant leur siège au Royaume-Uni. Elles étaient en fait privées d’un avantage de trésorerie. Ces affaires posaient le problème de la conjonction de deux régimes de groupes, l’un national, l’autre communautaire, ce dernier étant traité différemment. La Cour s’est donc placée sur le terrain de l’article 43 du Traité relatif à la liberté d’établissement, pour reconnaître que ce traitement des groupes était constitutif d’une discrimination en fonction du lieu du siège de la société. En l’espèce, le dispositif national dissuadait l’établissement de société liée sur le territoire d’autres Etats membres. En effet, « admettre que l’Etat membre d’établissement puisse librement appliquer un

93 CJCE, 8 mars 2001, Metallgesellschaft, aff. 397/98 et Hoechst, aff. 410/98, RJF 5/01, n° 734.

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traitement différent, du seul fait que le siège d’une société est situé dans un autre Etat membre, viderait l’article 43 du Traité de son contenu » (point 42). Ces affaires sont lourdes de conséquences pour les Etats. Elles conduisent finalement à faire du régime commun de distribution de dividendes le meilleur régime qu’il soit. En effet, les régimes nationaux ne peuvent prévoir de dispositions fiscales susceptibles d’en faire des régimes plus attrayants que le régime communautaire. La directive se voit donc renforcée au contact du libre établissement, alors même qu’aucune référence n’est faite au respect du régime commun. La directive semble avoir été respectée, dans la mesure où l’impôt réclamé ne s’apparentait pas à une retenue à la source prohibée, mais était un paiement anticipé expressément prévu94. Par conséquent, l’Etat membre n’a pas été condamné pour non-respect du régime commun. Mais parce qu’en maintenant en l’état son dispositif national, il défavorisait l’application des dispositions de la directive mère-fille. Cette jurisprudence n’est pour autant pas isolée. L’affaire Bosal en est un autre exemple95. Sauf que dans celle-ci, la restriction était plus dissimulée. De surcroît, la discrimination relevée portait sur l’Etat du siège de la société filiale. En effet, la société néerlandaise Bosal s’était vue refuser la déductibilité sur ses résultats de sommes correspondants au montant de frais liés à sa participation dans ses filiales communautaires. La loi néerlandaise subordonne une telle déductibilité à la preuve que ces frais servent indirectement à la réalisation de bénéfices imposables aux Pays-Bas. Toutefois, l’application de cette loi ne conduisait pas à exiger que les filiales dans le capital desquelles la société mère détenait une participation soient établies sur le territoire néerlandais. Mais en fait qu’elles disposent d’un établissement stable situé là-bas. La Cour a à juste titre relevé la discrimination déguisée. Puisque normalement, les filiales étrangères ne réaliseront pas de bénéfices imposables aux Pays-Bas96. Ainsi cet arrêt rejoint ceux des affaires Metallgesellschaft et Hoechst. Dans toutes ces affaires, le bénéfice du régime commun est mis en retrait par rapport aux régimes nationaux. Les pessimistes diraient que les régimes nationaux sont condamnés à traiter les contribuables aussi mal que le régime issu de la directive de 1990. En réalité, cette jurisprudence conduit à faire en sorte que les régimes nationaux s’effacent au profit du régime commun. Ceci est d’autant plus vrai que dans toutes les affaires précitées, le juge a été amené à déclarer que les situations des sociétés liées domestiques et communautaires se trouvaient dans des situations similaires. En filigrane, c’est le débat sur l’effet de la directive dans des situations purement internes qui se trouve relancé.

2. Une incursion du droit communautaire dans des situations purement internes. Le régime commun n’est censé s’appliquer qu’à des situations qui contiennent un élément d’extranéité. C'est-à-dire entre sociétés liées d’Etats membres différents. A l’inverse, les situations purement internes doivent normalement n’être régies que par le droit national dont elles relèvent. Or, la mission de la Cour est d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du Traité.

94 Par ailleurs, le fait générateur de l’impôt réclamé n’est pas la distribution de dividendes, et l’assiette ne porte pas sur ceux-ci. 95 CJCE, 18 sept. 2003, Bosal Holding BV c/ Staatssecretaris van Financïen, aff. C-168/01, RJF 12/03, n° 1466. 96 En effet, la limitation législative constitue une « entrave à la constitution de filiales dans d’autres Etats membres. En effet, au vu de cette limitation, une société mère pourrait être dissuadée par l’intermédiaire d’une filiale établie dans un autre Etat membre puisque normalement de telles filiales ne réaliseront pas bénéfices imposables aux Pays-Bas », point 27 de l’arrêt.

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De ce fait, le juge est allé encore plus loin que le simple contrôle du respect du libre établissement. Il s’est déclaré compétent pour interpréter une disposition de droit national, régissant une situation purement interne, dès lors que celle-ci reprenait littéralement les termes d’une directive. Cette attitude est issue d’une jurisprudence Leur Bloem, à propos de la directive fusion contenue dans le paquet fiscal au même titre que la directive mère-fille97. En l’espèce, la législation néerlandaise sur les fusions de sociétés avait transposé dans le droit interne les dispositions de la directive communautaire précitée, sans opérer de distinction entre les fusions opérées entre sociétés établies, d’une part, uniquement aux Pays-Bas et d’autre part, dans différents Etats membres. La Cour s’est alors reconnue une compétence interprétative non limitée aux difficultés d’application directe du droit communautaire. Pourtant, le litige au principal portait sur une disposition de droit interne, qui s’appliquait de surcroît dans un contexte purement national. Comme le rappelle justement un auteur, l’opération de fusion ne concernait qu’indirectement l’application du droit communautaire. En effet cette opération ne visait pas des fusions effectuées entre sociétés d’Etats membres différents, seules concernées par l’intitulé de la directive98. Il est tout à fait imaginable qu’à terme, la même jurisprudence s’applique en matière de distribution de dividendes. Si un Etat venait à aligner son régime national sur les termes de la directive mère-fille, le juge pourrait réitérer son incursion dans une situation purement interne, au motif d’une bonne administration de la justice. La portée de cette jurisprudence est donc très lourde pour les Etats. Certes, il existe un intérêt communautaire certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation, les notions reprises du droit communautaire reçoivent une interprétation uniforme. La cohérence dans l’application du droit et la non-discrimination entre opérations économiques internes et communautaires impliquent, en effet, une interprétation et une application homogène du droit communautaire. Néanmoins, cet arrêt n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes. En premier lieu, des revirements de jurisprudence sont concevables au niveau de la CJCE. Il risque en plus d’exister une divergence de jurisprudence entre les juridictions nationales et la Cour. En tout cas, force est de constater que cette solution remet en question la dualité des ordres juridiques. Plus largement, elle conduit à reconnaître la compétence de la Cour chaque fois qu’un élément de droit communautaire a pu inspirer le législateur pour l’édiction d’une disposition nationale. Même si la difficulté d’interprétation est limitée à une situation purement interne. C’est à n’en pas douter une conséquence de la hiérarchie des normes, fondée sur la supériorité du droit communautaire. Reste que les Etats n’adhèrent bien sur pas à cette attitude de la Cour. Un auteur a eu l’occasion de rappeler que la France a refusé de reconnaître l’application de la directive fusion aux situations purement internes, postérieurement à l’arrêt Leur Bloem99. Peut-être que les réticences du juge interne se mueront en véritable hostilité, voir en ignorance totale, lorsqu’il s’agira d’une question liée à un litige de pur droit interne. Il n’empêche que la décision Leur Bloem a encore été confirmée par un arrêt de 2002. Ceci est la preuve que le juge communautaire entend bien pousser l’harmonisation fiscale jusque dans les régimes nationaux des Etats100.

97 CJCE, 17 juill. 1997, Leur Bloem, aff. 28/95, Rec. p. 4161. 98 Jean-Pierre Maublanc, Fiscalité directe des sociétés, extension du droit communautaire au droit conventionnel et aux situations internes, in Revue du Marché commun de l’Union européenne, mars 2000, n° 436, p. 173 et s. 99 Patrice Lefèvre-Pearon, Restructurations internes et droit européen, in Option Finance, n° 739, 2 juin 2003, rubrique Fiscal, à propos d’une décision CAA Nantes, 20 nov. 2002. 100 Voir B. E-V, commentaire de CJCE, 15 janv. 2002, Andersen og Jensen ApS, aff. C-43/00, in JCP E, 9 janv. 2003, N°2, commentaire 65, p. 76.

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*** La coopération de la Commission avec la Cour de justice a ainsi permis l’émergence d’une véritable politique commune en matière de distribution de dividendes. Grâce aux efforts de la CJCE, la directive a dépassé ses carences, afin de laisser s’exprimer son plein effet. Il faut sans doute y voir une bonne nouvelle tant pour les entreprises, lesquelles bénéficient désormais d’un réel dispositif de distribution de bénéfices, que pour la Communauté, qui s’est ainsi imposée dans la fiscalité directe des sociétés. Reste que les Etats voient leurs pouvoirs limités dans ce domaine, ce qui ne manque pas de relancer le débat sur la souveraineté. Ce débat n’est pas prêt de tarir, surtout quand on y intègre les interventions de la Cour en faveur de l’harmonisation fiscale sous couvert du respect des libertés fondamentales du Traité.

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Titre 2 : Les incidences du principe fondamental de libre établissement sur la fiscalité directe des entreprises.

******* La liberté d’établissement est au cœur de la construction de l’Europe fiscale, sans doute davantage que la liberté de circulation des capitaux ou de prestations de services. Ceci s’explique avant tout par le fait qu’avant même d’exercer une activité économique, les entreprises devront s’établir dans un Etat. On constate ainsi que dans le domaine de la fiscalité des entreprises, la jurisprudence de la Cour est plus abondante en matière de libre établissement. De plus, c’est le premier principe à avoir été reconnu d’effet direct par le juge. Le libre établissement est consacré aux articles 43 à 48 du Traité CE. Il prévoit pour les personnes physiques et morales, la possibilité de s’implanter librement sur tout le territoire communautaire, soit de manière directe, soit par la création de filiales, d’agences ou de succursales, et dans les mêmes conditions que l’établissement sur le territoire national. Ce principe est donc intimement lié à celui de non-discrimination, qui instaure une égalité de traitement en faveur des acteurs économiques placés dans des situations similaires. Cette combinaison de principes assure au libre établissement une force juridique très puissante. D’autant qu’il prime sur le droit national en tant que disposition de droit originaire. Or, les arrêts de la Cour de justice révèlent une conception extensive de cette liberté. Elle semble désormais agir comme un véritable sésame du droit communautaire, pour briser les régimes nationaux qui conduisent, directement ou indirectement, à dissuader une entreprise de s’établir sur le territoire d’un Etat membre. La référence au libre établissement est donc naturellement devenue une aide précieuse pour les groupes de sociétés désireux d’exercer une activité transfrontalière. Il a ainsi permis de suppléer à l’absence de politique communautaire en matière de compensation transfrontalière des pertes. Car cette lacune dissuadait les sociétés de s’établir sur le territoire d’autres Etats membres (chap. I). Pour les mêmes raisons, la liberté d’établissement a porté un coup dur aux politiques fiscales nationales de lutte contre l’évasion fiscale (chap. II).

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Chapitre 1 : Les difficultés liées à l’absence de politique communautaire en matière de compensation transfrontalière des pertes. Lorsqu’une entreprise réalise des pertes, elle souhaite pouvoir en bénéficier par le biais d’une imputation de celles-ci sur un bénéfice éventuel. Pour ce faire, le traitement fiscal des pertes comporte, dans tous les Etats membres, un double volet. Une première distinction est à opérer selon que les pertes proviennent de sociétés liées ou des liens que peut entretenir une société avec son établissement stable. Une autre distinction repose sur l’origine des pertes, selon qu’elles sont domestiques ou étrangères. Cette double distinction génère des doubles impositions pour les entreprises désireuses d’exercer une activité transfrontalière. Ainsi, tant que les sociétés ne seront pas imposées sur un bénéfice consolidé à l’échelle communautaire, le Marché unique ne sera pas pleinement réalisé (partie I). Il s’agit alors de passer outre l’inertie des Etats membres en jetant les bases de règles communes (partie II).

I. Une absence de politique communautaire incompatible avec le principe de Marché unique.

La situation actuelle dans l’UE induit une imposition des bénéfices des sociétés qui n’est pas conforme au résultat global de leur activité, dès le moment où elles ont investi à l’étranger. Les sociétés souffrent donc beaucoup de l’absence d’un régime commun en la matière (partie A), ce qui les décourage de s’établir sur le territoire de l’Union (partie B).

A. L’absence de régime commun en matière de compensation des pertes. Les experts attachés aux services de la Commission ont très tôt déposé un projet de directive visant à créer un régime commun de compensation. Mais une fois encore, la réticence des Etats à abandonner à la construction communautaire un pan de leur fiscalité directe a eu raison de ce projet (1). Il a depuis été oublié dans une certaine indifférence. Désormais le paysage juridique et économique en matière de compensation des pertes est caractérisé par la conjonction d’une multitude de régimes nationaux, ce qui participe aux distorsions de concurrence entre Etats membres (2).

1. L’échec du projet de directive de la Commission. En 1991, la Commission a déposé auprès du Conseil une proposition de directive visant à l’imputation des pertes étrangères sur les bénéfices consolidés des groupes de sociétés communautaires101. Le projet était ambitieux. Il avait vocation à s’appliquer à toute entreprise résidente d’un Etat membre, assujettie à l’impôt sur les sociétés ou sur le revenu des particuliers

101 Proposition de directive relative à un régime de prise en compte par les entreprises des pertes subies par leurs établissements stables et filiales situés dans d’autres Etats membres, COM 90/595, dans JOCE du 28 févr. 1991, p. 30.

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dans un autre Etat membre, du fait de ses activités exercées de manière transfrontalière102. Aussi prenait-elle en compte tous les moyens d’exercice d’une activité dans un autre Etat. Que ce soit par le biais d’un établissement stable (agence ou succursale) ou d’une filiale. Conformément à cette proposition, les administrations fiscales auraient été tenues de reconnaître et d’admettre la déductibilité des pertes subies par les entreprises situées dans un autre Etat membre. Sous réserve, bien sûr, de respecter les conditions d’admissibilité par les sociétés. Le dessein de la directive était tout à fait intéressant, puisqu’il ambitionnait de créer un véritable espace économique homogène, affranchi des frontières économiques et juridiques des différents Etats, favorisant ainsi les réseaux d’entreprises au sein de l’Union. En cela, la proposition de directive aurait mis un terme au clivage traditionnel entre les systèmes de mondialité et de territorialité de l’impôt, bien que ce dernier système ne soit qu’une spécificité française. Ceci aurait en outre permis de développer les implantations dans tous les pays européens, et couplée à la libre circulation des capitaux, de renforcer encore un peu plus l’attractivité de la zone euro. La proposition prévoyait d’ailleurs que si les avantages prévus par la directive devaient être octroyés par les Etats membres à des établissements stables et des filiales situées hors de l’UE, leurs conditions n’auraient pu être plus favorables que celles accordées au sein de l’UE. Toutefois, les Etats ne le voyaient vraisemblablement pas du même œil. Faciliter les implantations à l’étranger aurait conduit à fragiliser un peu plus les Etats qui, à l’instar de la France, disposent d’un niveau général de prélèvements obligatoires supérieur à la moyenne européenne. Partant du constat d’un auteur quant aux effets défavorables de l’harmonisation fiscale sur le budget de la France103, cette directive aurait fait office de coup de massue. En effet, faciliter les implantations à l’étranger aurait conduit à aider les délocalisations dans des Etats à fiscalité privilégiée, rendant inopérant le dispositif de l’article 209 B du Code général des impôts, pourtant déjà mis à mal104. Par ailleurs, le projet de directive présentait des lacunes évidentes. Le régime de compensation qu’il contenait n’était décemment pas viable. C’est là une autre raison de son abandon. Tout d’abord, les méthodes de compensation ne sont pas claires. Le projet ne tranche pas entre la méthode de l’imputation et la méthode de déduction des pertes, suivie de la réincorporation des bénéfices subséquents. Ces méthodes sont d’ores et déjà de pratique courante pour les établissements stables dans la plupart des Etats membres et ne constituent donc pas une réelle avancée en la matière. En ce qui concerne les filiales, la directive paraissait opter pour la seule méthode de déduction/réintégration. Mais elle laissait en fait aux Etats la liberté d’adopter d’autres méthodes, telles que celle de la consolidation105. Mais les critiques ne s’arrêtent pas là. Le calcul des revenus de l’entreprise, établissement stable ou filiale, n’était pas uniformisé. Il relevait au contraire des règles de l’Etat dans lequel elle se situe. Qui plus est, la proposition ne donnait aucune indication sur le calcul des pertes dans les cas où une entreprise a, à la fois, un établissement stable et des filiales, ou plusieurs filiales, dans un autre Etat

102 Cette proposition de directive englobait en effet explicitement les sociétés de personnes dans son champ d’application, quand bien même certains arguments incitent à la prudence en cette matière. En effet, bien qu’il paraisse souhaitable de traiter également les sociétés de personnes et de capitaux lorsque celles-ci se trouvent dans des situations comparables, les difficultés techniques qui y sont associées ne permettent pas de tirer de conclusion précise. Ceci a pu constituer un facteur supplémentaire de complexité, contribuant ainsi au rejet de la proposition. 103 Christian Lopez, L’harmonisation fiscale : un élan ou une limite à la construction européenne ?, in Petites Affiches, 27 mars 2000, N° 61, p. 5 et s. 104 Les incidences du droit communautaire sur les politiques anti évasion fiscale sont traitées dans le titre 2, chapitre 2, p. 61. 105 Toutes ces méthodes sont clairement listées et expliquées dans l’ouvrage de Bruno Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, éd. Francis Lefebvre, 1998.

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membre. Finalement, la proposition ne précisait pas si les entreprises peuvent prétendre à la déduction des pertes sur une base globale ou par pays, ni comment traiter le problème des exercices fiscaux qui peuvent être différents selon les Etats membres. Dans ces conditions, on constate bien que ce projet, aussi louable fut-il, était promis à l’échec. Il n’a d’ailleurs fait l’objet que d’une seule discussion entre Etats membres dans le groupe de travail compétent du Conseil, avant de sombrer dans les limbes du droit communautaire. Il a d’ailleurs depuis été définitivement retiré par la Commission le 21 décembre 2001. Les régimes fiscaux nationaux, bien que très disparates, continuent donc de s’appliquer, il faut reconnaître, dans une certaine impunité, dans la mesure où ils contribuent aux distorsions de concurrence.

2. Les distorsions de concurrence dues à la diversité des régimes nationaux. Les sociétés et succursales établies dans plusieurs Etats membres vont se heurter aux différences, parfois flagrantes, de traitement des pertes étrangères applicable dans chaque Etat membre. Or, la conjonction de vingt-cinq régimes fiscaux différents est génératrice de distorsions fiscales. Ces différences, multiples, préjugent des enjeux considérables pour les sociétés concernées, et participent à la course au mieux disant fiscal. En atteste la possibilité reconnue par certains Etats d’imputer les pertes sur des exercices antérieurs, ou la variabilité de la durée du report des pertes106. De même, en ce qui concerne le seuil de détention dans les filiales107 avec, en filigrane, la possibilité d’amalgamer ou non des participations indirectes. A ce titre, la France fait pâle figure. Certes, après près de quinze années d’application, le régime dit « d’intégration fiscale » peut apparaître comme une sécurité et un outil d’équité pour les groupes. Ceci en ce qu’il permet à la fois d’atténuer les effets fiscaux des opérations intragroupes et de compenser les différents résultats. Néanmoins, dans une étude exhaustive, un auteur a à juste titre révélé l’étendue des limites que présente ce régime108. Outre le fait que sa gestion peut s’avérer lourde et complexe, le traitement des déficits est rendu pénalisant par rapport aux règles de droit commun d’autres Etats membres. Le régime de compensation des pertes des succursales ne fait pas exception. En effet, le système de territorialité empêche la possibilité de consolider un bénéfice avec les pertes des établissements stables situés à l’étranger. Il peine ainsi à rivaliser avec les régimes d’autres Etats membres, grecs et hollandais notamment, lesquels sont davantage enclins à constituer des réseaux d’entreprises. Il existe alors un risque de voir fuir des investissements vers des Etats plus accueillants. Les entreprises font rarement preuve de civisme lorsqu’il s’agit d’éviter l’impôt. Le pessimisme pousse donc à craindre des montages de plus en plus sophistiqués, localisés dans de petits Etats proches, afin de faire remonter des pertes jusqu’à la société mère afin de dégager un résultat en franchise d’impôts. Pour ce faire, elles sont aidées par la volonté affichée de la Commission de créer un marché unique, fondé sur la libre circulation et le libre établissement. Face à la combinaison de ces deux enjeux, les Etats comme la France peinent à faire entendre leur voix. Leur politique de forte taxation, menée pour maintenir un niveau budgétaire acceptable, ne trouve pas d’écho. S’en suit une nouvelle manifestation de la course au mieux disant fiscal, matérialisée par le phénomène de Law Shopping. 106 Illimitée en Belgique, au Danemark, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas et au Royaume-Uni, elle est de 5 ans en France. 107 100% pour le Danemark, 99% pour le Luxembourg et les Pays-bas, 95% pour la France, contre 51% pour l’Allemagne. 108 Voir Patrick Morgenstern, L’intégration fiscale, avantages et pièges, in Option Finance, N° 646, 11 juin 2001, p. 31.

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Pour palier ces différences de traitement, les Etats ont tissé entre eux un réseau complexe de conventions bilatérales, le plus souvent fondées sur le modèle OCDE. Toutes entendent supprimer tant les effets de double imposition, que de non-imposition109. Toutefois, loin d’être la panacée, les divergences entre ces conventions sont elles-mêmes susceptibles de générer des distorsions. D’une part, tous les Etats ne sont pas également liés. Certains, comme la France, disposent d’un vaste réseau de conventions. D’autres, à l’instar de la Grèce, sont peu liés par le droit international. D’autre part, le contenu même de ces conventions peut différer. Au phénomène de Law Shopping se substitue un autre phénomène, tout aussi sauvage, celui de Treaty Shopping. Certes, si les Etats membres demeurent libres de fixer les facteurs de rattachement pour répartir les compétences fiscales, il est d’acceptation courante qu’ils ne peuvent pour autant s’affranchir des règles communautaires110. Cependant, cela n’empêche pas les compensations d’être très différentes, même dans le cas d’opérations identiques au départ d’un même Etat. Il en résulte un résultat similaire à celui exposé précédemment. D’une opération à l’autre, des distorsions de concurrence peuvent apparaître entre des entreprises, qui ont pourtant leurs activités sur le même marché de l’Union. Dans certains cas, cela conduit même à un traitement discriminatoire. Cet état de fait n’est pas satisfaisant. Les distorsions de concurrence ont un effet destructeur sur les Etats à forts besoins de financement. Si le phénomène de Law Shopping profite à un certain nombre d’Etats, il décourage l’établissement des entreprises dans d’autres.

B. Un double frein à l’établissement dans un autre Etat membre. L’absence de régime commun génère des coûts importants pour les sociétés (1). Pour limiter ces mêmes coûts, celles-ci sont contraintes d’opter pour une forme d’activité et une localisation particulière (2).

1. Les coûts engendrés par la conjonction des divers régimes nationaux de compensation.

Les coûts liés à l’absence de régime commun peuvent être non négligeables et s’avérer dissuasifs de l’exercice d’une activité transfrontalière. D’une manière générale, on identifie deux sources onéreuses. Premièrement, les réseaux d’entreprises sont soumis à des coûts de mise en conformité avec les administrations fiscales nationales. Ces coûts peuvent s’avérer importants, surtout pour les grands groupes. Ils résultent de l’obligation qu’ont les entreprises d’identifier les structures susceptibles de bénéficier du schéma national de compensation. Ils sont également liés au rassemblement de la documentation, la justification de ces compensations lors des contrôles, etc.…

109 Il est à noter que la Communauté européenne s’est elle-même dotée d’un dispositif de convention relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées (Conv. N.90/436/CEE du 23 juill. 1990, JOCE N° L 225, 20 août 1990, p. 10). A mi-chemin entre le droit international et communautaire, cette convention peine à supplanter les conventions bilatérales préexistantes entre les Etats membres. 110 Pour un exemple récent, CJCE 21 sept. 1999, Cie de Saint Gobin, aff. C-307/97 : Rec. CJCE 1999, I, p. 6161, concernant l’extension du bénéfice de conventions internationales à des succursales d’une société d’un autre Etat membre, in Vers un Marché intérieur sans entraves fiscales, précité.

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D’autre part, il n’est pas rare que les entreprises soient soumises à des doubles impositions. En 2001, une enquête relative aux pertes sur les activités transfrontalières au sein de l’UE a été menée par la Fédération des entreprises suédoises et incorporée aux travaux de la Commission111. Cette enquête révèle que, pour 96% des sociétés qui y ont participé et qui ont connu des pertes transfrontalières, l’imputation de celles-ci sur les bénéfices d’autres sociétés du groupe n’a pas été possible. Le cas échéant, l’imputation n’a été que partielle. Toujours selon cette même étude, dans 56% des cas concernés, il y a eu double imposition définitive. La Commission rappelle que ce constat est transposable à toutes les sociétés exerçant une activité transfrontalière112. Pourtant, les entreprises concernées auraient pu faire des économies considérables. Il aurait suffi qu’il leur soit possible d’imputer les pertes subies par les filiales sur les bénéfices de la société mère étrangère. Il en est de même pour les réseaux d’agences et de succursales. A l’heure actuelle, un grand nombre d’entreprises situées dans l’UE paient des impôts élevés dans certains Etats membres, tandis que leur résultat consolidé au niveau de l’Union est négatif. Cette situation est un constat d’échec du Marché commun. Les sommes à la charge des sociétés peuvent en effet décourager l’établissement dans d’autres Etats de la Communauté. Ceux-là continuent d’ailleurs d’appliquer leur législation nationale, ce qui pousse bien souvent les entreprises à opter pour une forme d’activité, ou une localisation particulière, afin de « limiter la casse ».

2. Les incidences sur le choix de la forme et de la localisation de l’établissement. La compensation des pertes est un élément important pour les entreprises. Car la manière de traiter les pertes influence les décisions d’investissement. En effet, pour limiter les coûts liés à l’absence de régime commun, les entreprises seront bien souvent obligées de se constituer, d’une part, sous une forme particulière et, d’autre part, dans un Etat spécifique. Bien sûr, les entreprises sont toujours libres de choisir la forme et l’Etat qu’elles souhaitent. Mais parce qu’il est susceptible de conduire à une double imposition, ce choix est tronqué. Les entreprises sont dissuadées de se tourner vers certaines formes d’activité et certains Etats. C’est alors toute la liberté d’établissement qui se trouve hypothéquée. En ce qui concerne la localisation des entreprises, on observe que les investissements domestiques sont très souvent favorisés. Ceci constitue indéniablement un obstacle indirect au Marché commun. En l’absence de déduction transfrontalière, les investissements dans les Etats où existe déjà une assiette fiscale, particulièrement les Etats les plus grands, vont nécessairement être privilégiés. En outre, la compensation des pertes est en général possible qu’au niveau domestique. Tous les Etats ne prévoient pas de mécanisme de compensation transfrontalière. Lorsque c’est le cas, la compensation sera souvent plus complexe à mettre en œuvre. Certaines entreprises sont donc, de fait, dissuadées de s’établir sur certains marchés. D’autre part, comme l’a relevé un auteur, les entreprises sont souvent contraintes d’exercer une activité sous une forme plutôt qu’une autre113. C’est encore un frein au libre établissement. 111 La fédération des entreprises suédoises a fait une enquête auprès de ses membres pour évaluer l’ampleur de cette entrave spécifique. Elle compte environ 600 membres. L’enquête s’est faite par envoi d’un questionnaire relatif à la fréquence des pertes sur activité transfrontalière et la mesure dans laquelle il était possible d’imputer celles-ci sur des bénéfices réalisés dans d’autres Etats membres. 112 Vers un Marché intérieur sans entraves fiscales, p. 260. 113 Pour une étude précise quant au choix d’une forme d’établissement secondaire, voir P Dibout, Liberté d’établissement, conventions fiscales et entreprises multinationales, in Droit Fiscal 2000, N°11, p. 474 et s. et Bruno Gouthière, Les impôts dans la fiscalité internationale, p. 162.

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Malheureusement, force est de constater que la Cour n’a, dans ce domaine, pas été d’un grand secours. Dans plusieurs arrêts, le juge précise que l’établissement stable d’une société d’un Etat membre doit bénéficier des mêmes avantages que les sociétés nationales114. Cependant, dans ces affaires, la Cour s’est contentée de se placer sur le terrain de la non-discrimination. Autrement dit, rien n’empêche les Etats d’appliquer un régime de compensation peu attrayant, voire dissuasif, pourvu qu’il ne soit pas discriminatoire. Il lui suffit encore une fois de traiter les étrangers aussi mal que ses nationaux. Mais pour assurer le plein effet de la liberté d’établissement, il aurait fallu que la Cour refuse que les régimes fiscaux nationaux affectent le libre choix de la forme de l’établissement secondaire. Car sans être discriminatoires, ces régimes nationaux dissuadent largement les entreprises de se constituer sous une forme plus qu’une autre. De plus, la Cour refuse de recenser les différences positives et négatives de la situation faite aux succursales, par rapport aux filiales. Les Etats sont donc libres d’encourager soit l’une, soit l’autre forme. On a ainsi longtemps pu observer que les régimes nationaux encourageaient les montages juridiques sous forme de filiales115. Aujourd’hui encore, des textes fiscaux internes pénalisent davantage les établissements stables. On trouve là deux raisons, toutes deux liées à l’absence de personnalité morale. Tout d’abord, la situation d’un établissement est très souvent plus complexe que celle d’une filiale dans ses relations avec le siège. La succursale est tenue de procéder à des retraitements comptables et fiscaux, en particulier quant à la distinction des produits et des charges. Cette obligation n’existerait pas sans l’unité de la personnalité juridique. D’autre part, il n’est pas rare que des textes fiscaux internes pénalisent les entreprises non-résidentes. Or, la succursale et l’agence sont, par hypothèse, toujours non-résidentes. Elles sont le prolongement d’une société qui détermine leur résidence et réalisent leur activité à l’étranger116. A l’inverse, les succursales se révèlent parfois plus attrayantes que les filiales. Lorsqu’une nouvelle activité est entreprise à l’étranger, les pertes prévisibles au démarrage sont souvent substantielles. La possibilité offerte alors par les succursales, de procéder à la compensation des pertes dans certains Etats, va inciter les entreprises à opter pour cette possibilité, plutôt que de recourir immédiatement à la constitution sous forme de filiale. Par la suite, il n’est pas rare de voir des établissements stables transformés en filiales, lorsqu’ils deviennent rentables. Enfin, à cela s’ajoute le fait que, dans beaucoup de cas, les entreprises n’aient pas le choix entre les deux formes juridiques possibles d’organisation d’une activité étrangère. Que ce soit pour des raisons spécifiques à certains secteurs d’activité ou pour d’autres raisons. Ces formes imposées ne sont en outre pas toujours justifiées par des raisons d’intérêt général. Dans tous les cas, l’interaction des différents régimes fiscaux est source d’entraves. Le choix d’investir dans tel Etat, sous telle forme, risque de conduire à une double imposition économique. Quand la consolidation est possible, les pertes étrangères sont bien souvent compensées plus tard que les pertes domestiques. Le coût financier qui en résulte, lié au retard de trésorerie, est souvent considérable pour les entreprises. C’est dire que l’absence de régime commun est un frein certain à

114 CJCE, 21 sept. 1999, Cie de Saint Gobin, précité, et CJCE, 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, aff. 317/97, RJF 7/99, n° 948, concernant le bénéfice du traitement des sociétés d’un Etat membre aux succursales établies sur ce même Etat, de sociétés d’un autre Etat membre. 115 Ainsi, l’Etat français orientait les sociétés étrangères d’assurance, désireuses de s’implanter en France, vers la technique de la filiale (CJCE, 28 janv. 1986, Commission contre France, aff. 270/83, Rec. CJCE 1986, p. 273). Pour d’autres exemples, voir J Shapira, G. Le Talec, J-B. Blaise et L. Idot, in Droit européen des Affaires, PUF 1999, tome 2, p. 605 116 La Cour qualifie d’ailleurs l’agence ou la succursale « d’un centre d’opérations qui se manifeste durablement vers l’extérieur comme le prolongement d’un maison mère », CJCE, 22 nov. 1978, Somafer, aff. 33/78, Rec. 1978, p. 2183.

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la réalisation du Marché unique. Cela n’a pas échappé aux instances communautaires, qui tentent de constituer une politique commune de compensation.

II. L’ébauche d’une politique commune de compensation transfrontalière des pertes.

La Commission a très tôt conclu que l’absence de compensation transfrontalière des pertes est un obstacle majeur à la réalisation de l’Union. Elle constitue à ce titre une action prioritaire. Devant l’inertie des Etats membres, il est naturellement revenu au juge communautaire de palier cette carence (partie A). Son action a été lourde de conséquence pour les Etats. Elle a notamment inscrit la France dans un nouveau paysage fiscal qui se dessine progressivement (partie B).

A. La CJCE au soutien d’un régime commun. Dans un premier temps, le juge communautaire s’est efforcé de garantir les compensations des pertes de succursales établies dans d’autres Etats membres que le siège (1). Le problème d’étendre ce même régime au profit des filiales demeure posé. Une issue positive est toutefois perceptible au travers de l’affaire Marks & Spencer, pendante devant la Cour (2).

1. La consolidation par les établissements stables à l’épreuve du principe de libre établissement.

La Cour a été saisie pour la première fois d’une question intéressant les compensations transfrontalières des pertes dans l’affaire Futura Participations117. Il s’agissait en l’espèce de la succursale luxembourgeoise Singer de la société anonyme Futura SA, dont le siège est à Paris. L’entreprise Singer, qui a la qualité de contribuable non résident au Luxembourg, contestait le fait que, pour reporter les pertes, les revenus doivent être réalisés et comptabilisés au Luxembourg. Elle arguait que l’exigence d’une telle condition méconnaissait la liberté d’établissement. La Cour a reconnu la contrainte liée à cette obligation. Toutefois, le juge a débouté la requérante au motif que l’obligation est également exigée pour les contribuables résidents118. La solution a donc été rendue au dépend de l’entreprise requérante. Mais on observe néanmoins une avancée notable. La Cour de justice s’est reconnue compétente pour connaître de la possibilité qu’ont les Etats de limiter l’imputation des pertes d’une succursale étrangère. Qui plus est, la Cour reconnaît que les régimes de consolidation et de liberté d’établissement sont intimement liés. Partant, il est fort à parier qu’aujourd’hui la solution serait différente. Les jurisprudences communautaires récentes dissocient en effet l’entrave au libre établissement et la discrimination

117 CJCE, 15 mai 1997, Futura Participations SA et Singer, aff. N° 250/95, Rec. p. 2471. 118 L’avocat général, M. Otto Lenz, rappelle en effet, « Un tel régime, qui est conforme au principe fiscal de territorialité, ne saurait être considéré comme comportant une discrimination, ostensible ou déguisée, interdite par le Traité » (point 26). Ce rappel à la notion de territorialité peut aujourd’hui surprendre, compte tenu du mouvement vers la suppression progressive du système de territorialité, voir 1. L’avenir du principe de territorialité, p. 58.

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opérée par une disposition nationale119. Autrement dit, il suffit qu’une mesure interne dissuade un contribuable de s’établir dans un autre Etat membre pour que cette mesure soit sanctionnée par la Cour, alors même qu’aucune discrimination n’a été relevée. Or, la législation luxembourgeoise en cause rend moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement par les sociétés établies dans d’autres Etats membres. Ces entreprises pourraient alors renoncer à l’acquisition, à la création ou au maintient d’un établissement dans l’Etat qui édicte ces mesures. Pour la Cour, cette situation est contraire aux dispositions du Traité120. Plus significative a été la seconde occasion de la Cour de se prononcer sur ce problème, trois ans plus tard, dans l’affaire AMID121. En l’espèce, la législation fiscale belge prévoyait un ordre d’imputation des pertes qui avait pour effet, dans le cas de la société belge AMID, que ses pertes devaient être compensées, non par ses bénéfices ultérieurs, mais par les bénéfices de son établissement stable luxembourgeois. En vertu de la convention bilatérale liant les deux Etats, les revenus de AMID, provenant de son établissement stable au Luxembourg, sont exonérés d'impôts en Belgique. En contre partie, la compensation de la perte belge avec le bénéfice luxembourgeois n'est pas possible dans le cadre de l'impôt luxembourgeois des sociétés. AMID a donc, dans sa déclaration à l'impôt belge des sociétés, porté sa perte belge en déduction de ses bénéfices belges ultérieurs, ce qu’a contesté l’administration fiscale belge. Pourtant, les périples de la société AMID n’auraient jamais eu lieu si elle n’avait disposé que d’établissements en Belgique. C’est donc la liberté d’établissement qui se voyait hypothéquée, puisque la législation belge désavantageait les sociétés ayant des succursales à l'étranger, par rapport aux sociétés n'ayant que des succursales domestiques122. La Cour a rendu une solution considérable. Sous couvert de libre établissement, le juge communautaire impose la faculté de reporter les pertes subies dans l’Etat membre d’origine, sur les bénéfices réalisés par une succursale dans un autre Etat membre. Il faut y voir les prémisses d’un régime général de compensation, même si la solution est sans doute contestable. En effet, selon certains auteurs, à résultat égal, la règle belge d’imputation des pertes n’a pas pour effet qu’une société ayant un établissement en Belgique et un établissement à l’étranger paie plus d’impôt en Belgique, qu’une société ayant deux établissements belges123. En outre, la législation litigieuse peut créer des situations avantageuses pour une entreprise. Dans le cas où le siège serait bénéficiaire et que l’établissement luxembourgeois a subi des pertes, celles-ci pourraient être imputées tant sur les bénéfices du siège, que sur ses bénéfices ultérieurs luxembourgeois. Mais si la règle d’imputation des pertes est condamnable, c’est parce qu’elle établit des distinctions incohérentes, selon que les résultats de leurs différents établissements sont déficitaires ou bénéficiaires. Cette solution constitue donc un début prometteur. Elle pourrait avoir des implications plus larges, dans une situation où les pertes d’une filiale étrangère ne sont actuellement pas imputables sur les bénéfices domestiques, tandis que celles tant des établissements stables étrangers

119 Sur la question, voir Olivier Fouquet, L’harmonisation européenne de la fiscalité par le juge, in Revue administrative N° 325, p. 55, et CJCE, 18 sept. 2003, Bosal Holding, aff. C-168/01, point 27. 120 CJCE, 12 déc. 2002, Lankhorst-Hohorst GmbH c/ Finanzamt Steinfurt, aff. C-324/00, Rec. P. I-11779, point 32. 121 CJCE, 14 déc. 2000, AMID contre Belgische Staat, aff. C-141/99. 122 En effet, la Cour rappelle « AMID avait été soumise à l'impôt des sociétés sur les bénéfices réalisés tant en Belgique que dans son établissement stable luxembourgeois, sans jamais pouvoir déduire du bénéfice imposable les pertes subies en Belgique en 1981. Or, si AMID avait eu sa succursale non pas au Luxembourg mais en Belgique, les pertes subies par cette société en Belgique en 1981 auraient pu être déduites de son revenu imposable », point 15. 123 Voir J. Kirkpatrick et D. Garabedian, in Le régime fiscal des sociétés en Belgique, 3ème édition, Bruxelles, Bruylant, 2003, p. 470.

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que des filiales domestiques le sont. L’affaire Marks & Spencer, pendante devant la Cour, peut apporter un début de réponse.

2. Les conséquences prévisibles de la jurisprudence Marks & Spencer, pendante devant la Cour.

La Cour de justice des Communautés est actuellement saisie d’une affaire Marks & Spencer, dont l’issue risque de retentir dans les milieux juridiques comme un coup de massue porté aux régimes fiscaux nationaux, notamment français124. L’affaire oppose la société mère du groupe Marks & Spencer à l’administration fiscale britannique, laquelle lui refuse le bénéfice du group relief. Ce dispositif d’intégration permet à une filiale de transférer ses pertes à sa mère, à la condition que les filiales étrangères exercent une partie de leur activité au Royaume-Uni, au travers d’une succursale ou d’une agence. Mais cette condition n’est pas due pour les filiales résidentes. Elles peuvent librement rapatrier les pertes des succursales étrangères par le jeu du principe de mondialité. A priori donc, c’est la liberté établissement qui est menacée. La condition exigée est en effet susceptible de décourager les implantations à l’étranger, quand elle n’est pas exigée pour les filiales domestiques. En substrat, la question qui se pose est de savoir si les juges consacreront la possibilité d’étendre le bénéfice d’un régime d’intégration aux filiales étrangères, comme il le fait déjà pour les filiales domestiques et les succursales. Cela conduirait à consacrer une compensation généralisée des pertes à travers les frontières. Un auteur a tenté d’anticiper la solution. Il prévoit que la Cour sera sensible à une double comparaison, entre les filiales et les succursales étrangères d’une part, et entre les filiales résidentes et étrangères d’autre part125. Il rappelle à ce titre que le réflexe serait de considérer, à l’instar des special commissioners britanniques, que les succursales et les filiales sont placées dans des situations différentes. En effet, la filiale constituant une entité juridique autonome, elle ne peut, d’une manière générale, imputer ses pertes sur les profits de la mère britannique. Qu’elle soit étrangère ou domestique, dans les deux cas les pertes demeurent au niveau de la filiale. Néanmoins, la question n’est pas de savoir si les succursales étrangères et les filiales étrangères doivent, de façon générale, être traitées de façon identique, mais plus précisément si le système britannique de group relief doit s’appliquer aux pertes subies par les filiales étrangères, comme il le fait pour les succursales étrangères. Or, quand on les place dans un régime de groupe, les succursales et filiales étrangères revêtent les mêmes caractéristiques. Les relations entre la mère et les filiales, comme le siège et les succursales, sont étroitement comparables. Dans les deux cas les pertes étrangères peuvent être retranchées des bénéfices de la société britannique126. L’auteur en conclue que les relations mères-filles et siège-succursales sont indiscutablement analogues, même dans une optique transfrontalière127. Par conséquent, la nécessité d’appliquer un 124 CJCE, Marks & Spencer, aff. C-446/03. 125 Voir Daniel Gutmann, La fiscalité française des groupes de sociétés à l’épreuve du droit communautaire, réflexions sur l’affaire « Marks & Spencer » pendante devant la Cour, in Droit Fiscal, 2004, N° 14, p. 681 et s. 126 Ainsi comme le rappelle l’auteur, « l’intégration fiscale apporte donc, par essence, une exception au principe selon lequel les filiales et les succursales sont dans une situation totalement différente ». Daniel Gutmann, précité. 127 La combinaison de ce système avec les règles du droit international devrait suffire à faire taire l’administration fiscale britannique, qui ne devrait pas manquer de relever que le système de group relief repose sur une base territoriale. En effet, on ne peut nier que le système de consolidation britannique s’applique à des situations avant tout transfrontalières,

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traitement identique à des situations comparables obligera à terme le Royaume-Uni à étendre son régime d’intégration aux filiales établies dans un autre Etat membre. Si cette solution est consacrée, elle aura aussi de fortes répercussions en France. Elle contredira le juge fiscal interne, qui a encore récemment marqué sa volonté de distinguer partiellement les filiales des succursales, dans le traitement des pertes. Cette « affaire Télécoise » a, à juste titre, été déjà vivement critiquée par la doctrine128. Mais l’analyse ne s’arrête pas là. Le juge communautaire sera sans doute tenté de prolonger son raisonnement et de déclarer comparables les situations des filiales résidentes et étrangères. En effet, on conçoit mal qu’une telle distinction demeure dans une optique communautaire. Deux arguments sont à l’œuvre. D’une part, traiter différemment les filiales résidentes et étrangères tend à décourager les établissements dans d’autres Etats membres. Il est commun pour tous les régimes nationaux de privilégier les sociétés résidentes ayant leur siège dans leur Etat. Néanmoins, une telle différence de traitement va sans doute interpeller le juge communautaire, soucieux de réaliser le Marché unique. D’autre part, on peut s’attendre à ce que le juge retienne une approche davantage politique qu’économique. Sans doute retiendra-t-il que le Marché unique repose, par essence, sur l’idée que l’investissement dans un autre Etat membre est comparable à l’investissement local129. Ainsi, selon toute vraisemblance, la Cour devrait admettre la possibilité pour toutes les entreprises, de consolider leurs bénéfices avec les pertes réalisées par les filiales et les succursales étrangères. Exactement comme elles le font au niveau national. A contrario, il se pourrait donc fortement qu’il existe demain un régime international de consolidation à deux vitesses. Un premier, d’essence communautaire, sans agrément pour les filiales intégrées dans l’Union. Puis un autre, soumis à agrément, pour les filiales communautaires et extra communautaires non intégrées. Si cette solution est consacrée, la fiscalité directe aura fait un grand pas vers l’harmonisation. Ce sera alors tout le paysage fiscal tel que nous le connaissons qui s’en trouvera modifié.

puisqu’il permet aux sociétés mères de rapatrier indirectement, par le biais des filiales domestiques, les pertes des succursales situées à l’étranger. 128 Voir C. Acard, Chronique Fiscale, à propos de l’arrêt du Conseil d’Etat, CE 16 mai 2003, Affaire Société Télécoise, n° 22295, in Banque et Droit, juill.-août 2003, N°90, p. 71 et s. Il ressort que si les sociétés françaises peuvent déduire les pertes résultant des aides accordées aux succursales étrangères, ce n’est qu’à l’unique condition que ces déductions revêtent un caractère commercial. La déduction liée aux filiales étrangères est en outre possible si elles revêtent un caractère financier. 129 Cette idée existe déjà en filigrane dans CJCE, 18 sept. 2003, aff. C-168/01, Bosal Holding, point 39 : « l'argument selon lequel le traitement fiscal différencié des sociétés mères serait justifié par le fait que les filiales qui réalisent des bénéfices imposables aux Pays-Bas et celles qui n'en font pas ne se trouveraient pas dans des situations comparables est dénué de pertinence. En effet, la différence de traitement fiscal en cause concerne les sociétés mères selon qu'elles disposent ou non de filiales réalisant des bénéfices imposables aux Pays-Bas, alors même que ces sociétés mères sont toutes établies dans cet État membre. Or, en ce qui concerne la situation fiscale de ces dernières au regard des bénéfices de leurs filiales, force est de constater que ceux-ci ne sont pas imposables dans le chef de ces sociétés, qu'ils proviennent de filiales imposables aux Pays-Bas ou d'autres filiales ».

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B. La modification prévisible du paysage fiscal. Les sursauts des instances communautaires, à commencer par la Cour de justice des Communautés, laissent prévoir une modification en profondeur du paysage fiscal. On devine dans l’évolution jurisprudentielle une disparition quasi inéluctable de la territorialité de l’impôt des sociétés, ce qui nous touche directement en France (1). De son coté, la Commission s’active pour trouver des solutions à l’absence de régime commun de compensation transfrontalière des pertes (2).

1. Quel avenir pour le principe de territorialité de l’impôt ? Le système de territorialité de l’impôt repose sur une idée simple. Une société résidente n’est imposée que sur les bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées dans son pays de résidence, et sur ceux dont l’imposition est attribuée à son pays de résidence par une convention internationale. Il institue donc, de fait, une différence de traitement, entre les entreprises résidentes et étrangères. La question est de savoir si ce système a encore sa place dans une logique de marché unique. A titre liminaire, on rappellera que ce système a déjà été sérieusement malmené par le passé. La France, qui applique ce régime, y a déjà posé un certain nombre d’entorses législatives et jurisprudentielles. Le législateur le premier a prévu des exceptions130. Mais leur champ d’application restreint n’affecte pas beaucoup ce qui demeure aujourd’hui un des grands principes français de la fiscalité internationale. Le juge également, dans sa jurisprudence Télécoise, a permis l’imputation des pertes en provenance de succursales étrangères131. Enfin, de moins en moins de pays appliquent encore ce système, ce qui témoigne de son recul132. Mais si le phénomène de mondialisation a pu, par le passé, porter des coups de canifs à ce régime, l’issue annoncée de l’affaire Marks & Spencer risque de donner l’estocade ! Des fiscalistes de tous horizons s’accordent d’ailleurs à dire que les jours du principe de territorialité sont désormais comptés133. A ce titre, un auteur a néanmoins rappelé que la similitude entre les succursales étrangères et les filiales étrangères, bien que pertinente, ne saurait affecter notre droit interne français134. En effet, les instances nationales pourraient arguer que la France traite exactement de la même manière les filiales étrangères et les succursales étrangères dans le cadre de l’intégration fiscale. Toutes deux ne peuvent transférer leurs pertes à des sociétés résidentes. Cependant, dans un élan que l’on pourrait qualifier de « jusqu’au-boutiste », la solution de l’affaire Marks & Spencer exigera sûrement des Etats membres qu’ils traitent de la même manière les filiales étrangères et les filiales résidentes. Par 130 L’article 39 octiès du CGI prévoit ainsi la possibilité de constituer des provisions destinées à couvrir les charges ou les pertes des premières années d’implantation à l’étranger. Le régime du bénéfice consolidé permet quant à lui à certaines entreprises françaises de consolider sur agrément et sous certaines conditions. 131 CE 16 mai 2003, Société Télécoise, n° 22295, précité. 132 La France mais également quelques rares Etats appliquent encore ce régime, à l’instar de certains pays d’Afrique francophones, l’Afrique du Sud, ou encore le Paraguay. 133 Pour un argumentaire détaillé, voir Les enjeux fiscaux de demain : l’avenir de la territorialité de l’impôt sur les sociétés, compte rendu partiel de la conférence annuelle organisée le 11 décembre 2003 par l’Alliance Fiscale et les Echos Conférences, in Droit Fiscal, 2004, N° 24, p. 981 et s. 134 D. Gutmann, La fiscalité française des groupes de sociétés à l’épreuve du droit communautaire, réflexions sur l’affaire « Marks & Spencer » pendante devant la CJCE, précité.

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souci de cohérence, la Cour estimera nécessairement que la possibilité pour les succursales résidentes d’imputer leurs pertes sur les résultats de la société doit également être étendue aux succursales établies à l’étranger. Ce faisant, cette décision achèverait de ruiner le principe de territorialité de l’impôt. La France devra donc à terme faire sienne le principe de mondialité. Mais la Cour n’est pas la seule à vouloir faire avancer la politique communautaire de compensation des pertes. La Commission a de son coté émis un certain nombre de propositions.

2. Les pistes possibles retenues par la Commission. Si les Etats veulent rester maîtres de leur destinée et ne pas la laisser entre les mains de la Cour, il leur appartient d’établir des règles communes en matière fiscale. Trois ans après avoir été retiré, le projet sur la compensation des pertes pourrait renaître de ses cendres, en prenant en compte la décision attendue de l’affaire Marks & Spencer. La Commission propose ainsi de remettre à jour ledit projet, en revisitant bon nombre de ces principes d’origine. Un grand nombre de difficultés relatives au projet de 1991 tenait aux différentes définitions des notions essentielles et du concept de « pertes » dans les Etats membres. On peut donc penser qu’une harmonisation, au moins partielle, serait nécessaire en la matière. Pour ce faire, les services de la Commission suggèrent de se fonder sur une ancienne proposition de directive de la Commission datant de 1984135. Ce projet prévoyait la possibilité d’imputer les pertes sur les trois exercices fiscaux antérieurs, ainsi qu’un report en avant illimité de celles-ci dans la législation des Etats membres136. Sans doute serait-il opportun de reprendre cette proposition, de concevoir des règles harmonisées en matière de définition des pertes et de délais de compensation, et après adoption de celles-ci, de construire sur cette base la seconde étape de la compensation des pertes, telle que prévue dans l’ancien projet de 1991. Une autre approche serait de transposer à l’échelle communautaire des systèmes de consolidation qui ont déjà fait leurs preuves dans certains Etats. Il en va ainsi du système danois, qui permet effectivement de compenser des pertes occasionnées au cours d’une activité transfrontalière. Ce régime est fondé sur la reconnaissance des seules règles fiscales de l’Etat de la mère en matière de définitions et de calcul des pertes, des seuils de participation, etc…Selon ce système, la somme totale nette des bénéfices imposables de chacune des sociétés, calculés selon les règles danoises, constitue le bénéfice imposable des sociétés comprises dans le régime d’imposition commune. L’impôt est dû par la société mère danoise. Les impôts payés à l’étranger par les filiales intégrées seront, par la suite, imputés sur l’impôt danois, par le mécanisme du crédit d’impôt. De ce fait, la compensation des pertes est immédiate. Les services de la Commission proposent de concevoir un régime européen semblable au régime danois, tout en le complétant par des règles relatives aux pertes des établissements stables. Enfin, une solution annexe consisterait à copier le régime américain des groupes, connu sous l’appellation de « check the box ». Il s’agit là de la manifestation la plus poussée du système de mondialité, puisque conformément à ce régime, les Etats-Unis permettent à leurs sociétés résidentes de traiter leurs filiales étrangères comme des partnerships. Ce faisant, leurs résultats tombent dans 135 Vers un Marché intérieur sans entraves fiscales, p. 275. 136 COM (84) 404, proposition de directive concernant l’harmonisation des législations des Etats membres relatives au régime fiscal du report des pertes des entreprises, JOCE 253, 20 sept. 1984, retirée le 20 nov. 1996 (JOCE 2, 04 janv. 1997, p. 1.

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l’escarcelle fiscale américaine. Autrement dit, ceci conduit à une véritable consolidation mondiale des bénéfices. Si la solution de l’affaire Marks & Spencer est rendue telle qu’on si attend, le principe de territorialité disparaîtra. Rien n’empêchera alors les Etats membres d’adopter un régime comme celui en vigueur outre Atlantique.

*** Tous ces régimes ne sont pas parfaits et les contribuables redoublent d’ingéniosité pour utiliser leurs failles dans une optique d’évasion fiscale. Pour contrer ce phénomène, les Etats ont développé des politiques de lutte contre l’évasion fiscale. Reste à savoir si celles-ci sont compatibles avec le principe de libre établissement.

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Chapitre 2 : Les incidences du droit communautaire sur les politiques nationales anti-évasion fiscale. Les contribuables redoublent d’ingéniosité pour fuir des régimes fiscaux pesants et rejoindre des Etats à fiscalité plus accueillante. Pour lutter contre ce phénomène, les Etats ont tous élaborés, à des degrés divers, des mécanismes de lutte contre l’évasion fiscale. Mais à trop vouloir se protéger les uns des autres, les Etats entravent les activités internationales. Et si la Communauté européenne entend lutter contre la concurrence fiscale dommageable, ce n’est pas pour autant qu’elle adhère aux dispositifs nationaux. Aussi, la conception de l’évasion fiscale n’est pas la même selon les instances nationales et communautaires, en particulier au regard du libre établissement (partie I). Pour les premières, il s’agit de lutter contre les délocalisations de capitaux. Pour les secondes, il s’agit de profiter des libertés fondamentales du Traité. Cette différence d'appréciations est au cœur de débats animés, portant sur des points sensibles. En atteste la problématique liée aux prix de transfert, que la Commission et l’OCDE tentent de résoudre (partie II).

I. Le concept d’évasion fiscale à la lumière du libre établissement. Le concept d’évasion fiscale est purement national. Il se couple difficilement avec un principe d’essence communautaire. Le premier vise à dissuader les implantations dans certains Etats, le second vise exactement l’inverse. Mais le libre établissement prime. Ceci revient à dire deux choses. D’abord, les entreprises sont libres de rechercher l’Etat le mieux disant fiscalement (partie A). De plus, les politiques nationales dissuasives sont écartées, à l’instar du régime français de lutte contre l’évasion fiscale (partie B).

A. A la recherche d’un Delaware européen. L’expression vient de l’attitude de ce petit état des Etats-Unis, qui a voulu attirer les sièges sociaux grâce à une législation aussi peu contraignante que possible. En réalité, l’effet Delaware est inhérent à tout espace libéral et décloisonné composé de plusieurs Etats. Il devient inévitable quand, comme dans la Communauté, le juge reconnaît un droit fondamental de sortir librement de leur Etat d’origine (1) et d’exercer une activité en contournant, s’il y a lieu, la législation de cet Etat (2).

1. L’interdiction d’empêcher les sorties d’entreprises. Pendant longtemps, l’application du principe de libre établissement se limitait à l’interdiction pour les Etats membres de dresser des obstacles à l’entrée des entreprises sur leur territoire. Les rédacteurs du Traité avaient sans doute en vue la tendance naturelle des Etats à se protéger contre l’implantation de sociétés étrangères. Néanmoins, afin de ne pas priver d’effet utile le principe de libre établissement, le juge communautaire a justement étendu ce principe aux « restrictions à la

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sortie »137. Dès lors, l’article 43 du Traité s’oppose tout autant à ce qu’un Etat membre fasse obstacle à l’établissement de ses propres ressortissants dans un autre Etat membre. Les restrictions à l’entrée et à la sortie relèvent toutes deux d’une même logique protectionniste. En cela elles portent tout autant atteinte à la réalisation du Marché unique. La jurisprudence Daily Mail a, la première, inauguré cette autre facette du libre établissement138. En l’espèce, un groupe de presse britannique souhaitait transférer son siège aux Pays-Bas. Le but poursuivi d’optimisation fiscale était clairement affiché et ni le juge, ni l’administration fiscale britannique n’étaient dupes. Mais cette dernière interdisait aux sociétés de cesser d’avoir leur résidence au Royaume-Uni sans une autorisation du Trésor, laquelle était subordonnée à l’imposition des plus values latentes. L’issue de l’arrêt n’a pas été favorable à la société, mais a au moins permis de dégager un principe nouveau. L’article 43 du Traité garantit aussi bien le droit de partir que d’entrer dans un Etat membre139. Le considérant de principe a depuis été largement consacré140, jusqu’à la retentissante issue de l’affaire Lasteyrie du Saillant, dont les faits sont très similaires, si ce n’est qu’ils concernent une personne physique141. Elle consacre pleinement la liberté de sortir d’un Etat membre sans s’en voir empêcher par des mesures fiscales. Il n’y a aucun doute que cette solution s’appliquera dans les mêmes termes en ce qui concerne les sociétés. C’est là un grand service que rend le juge aux sociétés. Par ces décisions, il consacre la liberté de délocaliser des entreprises et, pourquoi pas, vers des Etats membres à fiscalité privilégiée. Cette lecture inversée des dispositions de l’article 43 TCE ne peut qu’être approuvée au regard des objectifs du Traité. Même si les Etats membres sortent une fois de plus lésés par l’initiative du juge communautaire. Non seulement ils perdent une possibilité de conserver un tissu économique stable en dissuadant les délocalisations, mais ils perdent également de l’emprise sur leurs propres nationaux. En l’espèce, l’exception tenant à la nécessité d’une application cohérente des systèmes fiscaux n’a pas été retenue. Le gouvernement britannique n’invoquait en effet qu’un risque d’évasion fiscale. Mais ce risque ne se confond pas avec l’exigence de garantir la cohérence d’un système fiscal. Les autres justifications jusque là retenues par la Cour ne semblent pas non plus recevoir d’écho. Que n’en déplaise au juge interne, qui un temps a pu faire de la résistance142. L’application extensive du libre établissement prime, et semble en plus constituer une entorse à ce qu’il convient d’appeler des discriminations à rebours. Dorénavant, le Traité de Rome peut être invoqué par une société contre son propre fisc, et limite bien le pouvoir de chaque Etat d’imposer les bénéfices de ses propres nationaux. Mais la consécration du Tax Shopping ne serait pas totale si le juge communautaire ne permettait pas librement de contourner volontairement une loi nationale, pour des raisons fiscales.

137 Selon les termes de l’avocat général Giuseppe Tesauro, dans ses conclusions à propos de l’affaire Daily Mail, CJCE, 27 sept. 1988, aff. 81/87, Rec. p. 5483. 138 CJCE, 27 sept. 1988, Daily Mail, aff. 81/87, précité. 139 Ainsi le juge déclare au point 16 : « bien que, selon leur libellé, ces dispositions visent à assurer le bénéfice du traitement national dans l’Etat membre d’accueil, elles s’opposent également à ce que l’Etat d’origine entrave l’établissement dans un autre Etat membre d’un de ses ressortissant ou société […] ». 140 Les termes du considérant de principe ont été repris dans CJCE, 14 juill. 1994, Mattéo Peralta, aff. 379/92, Rec. p. I-3487, CJCE, 16 juill. 1998, Imperial Chemical Industries, aff. 264/96, RJF 11/98, n° 1382. 141 CJCE 11 mars 2004, Hugues de Lasteyrie du Saillant, aff. C-9/02, non encore publié au recueil. 142 Voir CE, ass. 27 juill. 1979, Syndicat national des fabricants de spiritueux consommés à l’eau, Recueil Lebon, p. 335, selon laquelle l’interdiction des discriminations ne saurait « limiter les pouvoirs dont les autorités nationales sont investies à l’égard de leurs propres nationaux ».

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2. L’absence de fraude en cas de contournement de la législation d’un Etat membre.

Le libre établissement autorise le jeu du choix de la règle de droit grâce au passage facile des frontières. C’est ce qu’un auteur résume dans les termes suivants : « la règle du jeu en matière de droit d’établissement des entreprises est le libre choix des meilleures cartes, même s’il faut aller chercher celles-ci dans un Etat membre non concerné par l’activité économique des entreprises en cause »143. Ce principe a été révélé par l’affaire Centros, dont l’issue est transposable à la matière fiscale144. En l’espèce, la Cour de justice a admis pour des ressortissants danois, de constituer au Royaume-Uni une société sans activité commerciale145. Les contribuables danois entendaient en fait obtenir au Danemark l’immatriculation d’une succursale, laquelle aurait permis à la société d’exercer l’ensemble de son activité. La raison de ce montage est clairement avouée : la législation britannique étant moins contraignante, il s’agissait pour les investisseurs de contourner leur droit national. Si, en l’espèce, les ressortissants danois cherchaient à éviter la législation relative au capital social, rien n’empêche la solution de produire les mêmes effets à la matière fiscale. Dans les deux cas il y a Law Shopping. Les faits parlent d’eux-mêmes. Sans doute avaient-ils des relents de fraude. La Cour ne les ignora d’ailleurs pas, mais ne vit pas la fraude partout où on la dénonçait. Au contraire, le juge européen affirme : « les articles 52 et 58 du Traité ( nouvellement 43 et 48) s’opposent à ce qu’un Etat refuse l’immatriculation d’une succursale d’une société constituée en conformité avec la législation d’un autre Etat membre, dans lequel elle a son siège, sans exercer d’activité commerciale, lorsque la succursale est destinée à permettre à la société en cause d’exercer l’ensemble de son activité […] en évitant de constituer une société, et en éludant ainsi l’application des règles plus contraignantes » (point 39). Certes, le juge reconnaît que la liberté d’établissement ne peut être susceptible « d’abus », sauf à remettre en question l’existence même de l’Union146. Mais comme l’a justement souligné un auteur, les limites proposées par la Cour risquent en pratique de s’avérer d’une absolue vacuité147. Aussi, en réalité, la Cour consacre pleinement le principe de Law Shopping. En effet, le droit communautaire conduit à la compétition entre les lois nationales pour choisir le lieu d’implantation des sociétés. Il conduit également à ce stade au contournement des droits des Etats par leurs propres nationaux. Néanmoins, agir de la sorte n’est pas frauder aux yeux du juge du Luxembourg. C’est au contraire justement utiliser la liberté offerte par le Traité, qui donne l’opportunité à chacun des ressortissants de l’UE de choisir le lieu à partir duquel il va s’insérer sur le marché européen. La construction européenne sera à nouveau accusée de favoriser le nivellement par le bas, la concurrence dévastatrice entre les législations nationales, les délocalisations abusives, et plus généralement la fraude. Mais comme le rappelle l’avocat général La Pergola, elle permet également 143 Claude Ducouloux-Favard, Fraude et droit d’établissement dans l’Union européenne, in Petites Affiches, 12 nov. 1999, n° 226, p. 9. 144 CJCE, 9 mars 1999, Centros Ltd c/ Erhvervs- og Selskabsstyrelsen, aff. C-212/97, Rec. I p. 1459. 145 « Il est sans importance que la société n’ait été constituée dans le premier Etat membre qu’en vue de s’établir dans le second Etat où serait exercé l’essentiel, voire l’ensemble de ses activités économiques », point 17 de l’arrêt. 146 Point 27 de l’arrêt. 147 J-P Dom, Société à l’étranger et succursale chez soi : le Law Shopping communautaire, note sous CJCE, 9 mars 1999, Centros Ltd, aff. C-212/97, in Bull. Joly Sociétés, juin 1999, §157, p. 705.

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aux sociétés de circuler aisément sur tout le territoire de l’Union, ce qui est l’essence même d’un Marché unique148. Mais qu’en est-il pour notre Etat ? La France, avec un régime fiscal assez contraignant et un dispositif administratif lourd, pourra à terme paraître peu attractive. Ceci a déjà pu conduire de grands groupes à s’établir ailleurs. Pour se prémunir contre l’évasion fiscale, la France a mis en place des mécanismes de protection, dont la validité nous parait douteuse au regard du droit communautaire et compte tenu des décisions récentes.

B. Le droit français à l’aune du droit communautaire. L’interprétation extensive du libre établissement risque de fragiliser le régime protectionniste français. Le pilier de sa politique de lutte contre l’évasion fiscale, codifié à l’article 209B du CGI est directement menacé (1). D’autant que les justifications que pourraient avancer les instances nationales pour se dédouaner ont de fortes chances d’échouer (2).

1. L’article 209 B directement menacé par le droit communautaire. L’article 209B du CGI prévoit la possibilité pour l’administration fiscale française d’imposer en France les résultats d’une filiale implantée dans un « paradis fiscal ». Il constitue en cela une exception au principe de territorialité de l’impôt, puisqu’il permet d’imposer un bénéfice réalisé à l’étranger, indépendamment de toute distribution. La compatibilité de ce dispositif avec le Traité, au titre de la détention de filiales situées dans la Communauté, n’a toujours pas donné lieu à jurisprudence. Une procédure en manquement a néanmoins été ouverte par la Commission, laquelle reproche à la France son application sans discernement de l’article 209B aux sociétés captives de réassurance luxembourgeoises. On peut donc prétendre sans crainte que ce mécanisme s’avère contraire avec les libertés communautaires. A titre liminaire, notons que l’administration française est relativement peu disserte sur la question. Elle s’est simplement bornée à indiquer qu’il n’est « pas possible de considérer » que la liberté d’établissement exclue l’application de dispositions destinées à lutter contre l’évasion fiscale, lorsque celle-ci motive l’implantation dans un Etat membre149. Cependant, un auteur relève à juste titre que l’administration ne développe par pour autant un raisonnement qui soutiendrait le point de vue de la compatibilité150. La question demeure donc ouverte. La jurisprudence de la Cour de justice peut certainement apporter un élément de réponse, lorsqu’elle est éclairée à la lumière de l’affaire ICI151. Plusieurs auteurs ont d’ailleurs relevé l’analogie existante entre les faits de cette affaire et les conditions d’application de l’article 209B152. 148 Point 20 de ses conclusions. 149 Instruction administrative du 6 mars 1992, BOI 4H-9-92, Instr. 10 588, in Droit Fiscal 1992, n° 17, dont l’objet a été de commenter la loi de finance rectificative pour 1990 qui a durci les conditions d’application de la clause de sauvegarde. 150 B. Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, éd. Francis Lefebvre, n° 2525-1, p. 764. 151 CJCE, 16 juill. 1998, Imperial Chemical Indistries, aff. 264/96, RJF 11/98, n° 1382. 152 J. Turot, L’article 209B est-il soluble dans le droit communautaire ?, in RJF 12/98, p. 940 ; P. Dibout, Territorialité de l’impôt, répression de l’évasion fiscale et liberté d’établissement dans la Communauté européenne, in Droit Fiscal 1998, N°48, p. 1475 et s., à propos de l’arrêt ICI.

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Le débat portait sur la compatibilité avec l’article 43 TCE de la législation britannique. Celle-ci appliquait un régime fiscal différent et défavorable aux sociétés mères ayant usé de leur droit d’établissement à titre secondaire, en investissant dans des filiales à l’étranger, par rapport aux groupes essentiellement constitués au Royaume-Uni. Le gouvernement de sa Majesté justifiait cette différence de traitement par la volonté de lutter contre l’évasion fiscale. La Cour a très logiquement considéré que la législation britannique est discriminatoire. Elle incite en effet les sociétés à investir prioritairement dans leur Etat de résidence. De plus, en dissuadant d’investir dans des sociétés d’autres Etats membres, cette législation freine le libre établissement. S’en est suivi le considérant crucial repris de l’affaire du Daily Mail, qui condamne l’entrave à la sortie (point 21). De la même manière, le dispositif français de lutte contre l’évasion fiscale vient à priver de son effet utile le principe de libre établissement. En premier lieu, le dispositif conduit à générer une classique entrave à la sortie. Dès son origine, l’article 209B a eu pour objet de dissuader les entreprises françaises de s’implanter hors de France, dans les Etats à régime fiscal privilégié. Ce qui peut bien concerner, le cas échéant, le territoire d’un autre Etat membre. D’autre part, il parait concevable de soutenir, à l’instar de la législation britannique, que l’article 209B institue un traitement fiscal différencié des sociétés françaises, selon les modalités d’exercice de la liberté d’établissement et le lieu de leur implantation. Les sociétés ayant choisi d’investir dans des entreprises domestiques, fussent-elles dans une zone à fiscalité privilégiée comme les zones franches urbaines, seront plus favorablement traitées que les structures communautaires. Notons qu’un auteur a émis des réserves quant à l’extension absolue de la décision ICI au régime français153. Mais l’état actuel du droit communautaire nous permet toutefois d’écarter ces réserves, faisant par-là même échec à l’article 209B. D’abord, cet auteur s’interroge quant à savoir si une filiale sans activité d’entreprise peut être considérée comme un établissement au sens du Traité. En se fondant sur l’alinéa second de l’article 43, il prétendait que toute structure extra-territoriale ne pouvait se draper dans la liberté d’établissement. Pour cela, l’entreprise devait exercer une activité réelle et s’intégrer dans une économie nationale. A l’époque des faits, la question pouvait effectivement se poser. Dorénavant, l’arrêt Centros nous permet d’y couper court. La Cour de justice a en effet considéré qu’usent de leur droit de libre établissement, des contribuables constituant une société inactive154. Elle a en cela suivi les conclusions de son avocat général155. De plus, on peut considérer que soumettre le bénéfice du libre établissement à l’exercice effectif d’une activité économique reviendrait à soustraire les holdings « pures » de l’article 43 TCE. Il parait en fait plus opportun d’admettre que la liberté d’établissement profite à une entreprise qui poursuit un but lucratif. Or, il s’avère justement que l’optimisation fiscale en est un. Plus intéressante est la seconde réserve émise par l’auteur. Il pose la question de savoir si la jurisprudence communautaire fait une distinction, pour le bénéfice de l’article 43, entre la prise de participation active et le simple investissement en capital des filiales. La question mérite d’être posée. Mais quand bien même le seuil français de 10% visé par l’article 209B peut ne pas suffire pour exercer une véritable influence, ce dispositif ne devrait pas pouvoir échapper aux exigences communautaires. En effet, par application de la théorie dite « de l’accessoire », développée dans des jurisprudences antérieures, la libre circulation des capitaux est susceptible de prendre le relais du libre établissement.

153 J. Turot, précité. 154 CJCE, 9 mars 1999, Centros Ltd c/ Erhvervs- og Selskabsstyrelsen, précité. 155 « Le critère consistant à exiger l’exercice d’une activité effective dans le chef de la société serait, en dehors même de son caractère discutable sur le fonds, d’application problématique, en raison de son caractère indéterminé », point 17 des conclusions.

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Ainsi, si la détention de participations dans la filiale en cause permet d’exercer une véritable influence sur les décisions sociales, le régime à appliquer est celui du libre établissement156. Or, nous avons vu plus haut que ce régime est entravé par l’application de l’article 209B. Il opère en effet une restriction à la sortie et introduit une discrimination à l’égard de sociétés situées dans certains Etats membres. Si, au contraire, la détention de parts dans la filiale étrangère s’avère insuffisante pour exercer un quelconque contrôle, le libre établissement cède sa place à la libre circulation des capitaux157. Mais l’article 209B conduit à ce que le contribuable renonce à prendre des participations, ou à acquérir des titres dans des sociétés soumises à un régime fiscal privilégié. Là encore, le droit communautaire s’y oppose. La Cour a effectivement reconnu à la libre circulation des capitaux une portée équivalente à celle du libre établissement158. Un auteur a d’ailleurs depuis démontré qu’un dispositif protectionniste comme celui institué par l’article 209B s’y oppose expressément159. L’article 209B ne semble donc pas satisfaire aux exigences communautaires. Reste à savoir si l’Etat français pourra invoquer une mesure impérieuse d’intérêt général pour se dédouaner de l’atteinte au Marché intérieur.

2. Le manque de justifications susceptibles de couvrir l’entrave du 209 B. Les libertés fondamentales du Traité ne sont pas absolues. Elles souffrent d’exceptions justifiées par la protection de l’intérêt général des Etats membres. Exceptions au demeurant très limitées, si l’on en croit le peu de décisions de la Cour favorables aux Etats en matière fiscale. Il faut dire que le juge applique le droit communautaire de manière quasi-mécanique. Pour être retenues, ces mesures d’intérêt général doivent passer pour nécessaires et proportionnées. Il ne sera donc pas aisé de justifier l’incompatibilité de l’article 209B avec le droit communautaire. Une des rares et premières justifications retenue par la Cour fut la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal160. Le gouvernement français serait sans doute avisé d’invoquer celle-ci pour passer entre les mailles du droit communautaire. Néanmoins, cette justification a peu de chances d’aboutir. Si cet argument a pu un temps être invoqué pour la fiscalité des particuliers, il est depuis tombé en désuétude. La Cour écarte désormais systématiquement cette justification. Qui plus est, l’article 209B ne participe pas à la cohérence fiscale. Son but est en effet tout autre, puisqu’il consiste à lutter contre l’évasion des contribuables.

156 Ce principe a été affirmé dans CJCE, 13 avr. 2000, Baars, aff. C-251/98. 157 L’annexe I de la directive CE 88/361 du 24 juillet 1968 (JOCE n° L178, p.5) apparente ainsi comme mouvement de capitaux susceptible d’être couvert par le régime de libre circulation des capitaux « I- les investissements directs, qui incluent la participation à des entreprises nouvelles ou existantes en vue de créer ou de maintenir des liens économiques durables ». 158 CJCE, 6 juin 2000, Verkooijen, aff. C-35/98. 159 P. Dibout, La fiscalité à l’épreuve de la liberté de circulation des capitaux, in Droit Fiscal 2000, N° 42, p. 1365 et s. 160 CJCE, 28 janv. 1992, Bachmann, aff. C-204/90, Rec. 1992 I p. 249, à propos de l’application aux résidents d’une législation nationale subordonnant la déductibilité de certaines cotisations à la condition qu’elles aient été versées dans l’Etat concerné. La Cour a considéré que l’objectif poursuivi par la législation belge consistait à permettre que la perte de recettes fiscales, due à la déduction des cotisations d’assurance sur la vie, puisse être compensée par l’impôt appliqué aux pensions dues par les assureurs.

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Certains prétendront que dans son arrêt ICI, la Cour a eu l’occasion d’admettre la justification de lutter contre l’évasion fiscale. Cependant, la définition communautaire qui en est faite est différente de la conception nationale, a fortiori française. Pour le juge du Luxembourg, il s’agit de lutter contre les « montages juridiques purement artificiels »161. Il faut y voir une conception restrictive, qui ne parait pas correspondre à la vocation multiple de l’article 209B. En effet, le dispositif français vise deux objectifs majeurs, qui ne se confondent pas avec la conception de la Cour. En premier lieu, le but du dispositif de l’article 209B est d’empêcher les bénéfices de sortir de l’escarcelle fiscale française, pour se réfugier dans des Etats à faible niveau d’imposition. Autrement dit, il conduit à refuser la perte de recettes fiscales françaises au profit d’un autre Etat. Or, il est de jurisprudence constante, que la perte de recettes fiscales n’est pas un argument recevable162. En second lieu, le mécanisme français entend empêcher la fuite des entreprises vers des Etats fiscalement plus accueillants. Cet objectif ne saurait trouver écho auprès de la CJCE, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, parce que toute sortie du territoire fiscal français ne constitue pas une évasion, contrairement à l’axiome qui sous-tend l’article 209B. D’autre part, un Etat ne peut entraver l’établissement de ses ressortissants dans un autre Etat membre, en mettant simplement en lumière les différences existantes entre son régime fiscal et celui de l’Etat d’accueil. En l’absence d’harmonisation des taux à l’échelle communautaire, les Etats sont libres de pratiquer le niveau d’imposition qu’ils souhaitent. Le gouvernement ne pourra donc pas invoquer un risque d’évasion fiscale lorsqu’un contribuable profite de cette différence de traitement. La France a d’ailleurs déjà fait les frais de cette règle de principe devant la Cour de justice163. Dans ce cas, que sont les « montages purement artificiels » visés par Cour ? Apparemment, pas grand-chose. Il nous semble que cette notion est d’une vacuité certaine, la Cour ayant déjà fermé la porte à toute interprétation possible par des jurisprudences antérieures. Ainsi, il ne peut pas s’agir de l’établissement d’une société dans un autre Etat membre, même uniquement motivé par des raisons fiscales. C’est en tout cas ce qui découle de l’affaire du Daily Mail, qui a autorisé de tels montages, pourtant largement frauduleux164. Les créations de « coquilles vides » ne sont pas plus mises au ban du droit communautaire. L’arrêt Centros a consacré la possibilité d’user du libre établissement, pour créer une société sans activité dans un Etat, dont la législation est plus souple. Si le choix concernait à l’époque la constitution du capital social, rien n’empêche la Cour d’étendre ce raisonnement à la matière fiscale. On peut ainsi se demander si un critère aussi restrictif que celui développé par l’affaire ICI trouvera un jour une application positive.

161 Point 26 : « En ce qui concerne la justification fondée sur le risque d'évasion fiscale, il suffit de souligner que la législation en cause au principal n'a pas pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la loi fiscale du Royaume-Uni, […] ». 162 Pour exemple, CJCE, 18 sept. 2003, Bosal, aff. C-168/01, RJF 12/03, n° 1466 : « Il découle de la jurisprudence de la Cour qu'une telle justification ne figure pas au nombre des raisons énoncées à l'article 56, paragraphe 1, du traité CE (devenu, après modification, article 46, paragraphe 1, CE) et ne constitue pas une raison impérieuse d'intérêt général pouvant être invoquée pour justifier une restriction de la liberté d'établissement », point 42. 163 CJCE, 28 janv. 1986, Commission c/ France, aff. 270/83, Rec. p. 273, dans laquelle le juge affirme : « A cet égard, il y a lieu d’abord de constater que l’absence d’une harmonisation des dispositions législatives des Etats membres en matière d’impôt sur les société ne peut pas justifier la différence de traitement en question […]. De même, le risque d’évasion fiscale ne saurait être invoqué dans ce contexte », point 23. 164 CJCE, 27 sept. 1988, Daily Mail, aff. 81/87, Rec. p. 5483.

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Reste que certains auteurs ont soutenu la thèse inverse165. Selon eux, les montages visés par l’arrêt ICI sont ceux qui ont vocation à contourner la législation nationale. Toutefois, leurs positions étaient soutenues avant l’issue de Centros. De plus, ils admettent dans tous les cas que la clause de sauvegarde de l’article 209B est de toute façon disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi. En effet, ce principe conduit à ce que les Etats supportent la charge de la démonstration de l’existence de la fraude. L’article 209B établit au contraire une présomption contre les contribuables, sans obliger l’administration de démontrer que l’entité étrangère constitue un montage artificiel destiné à la fraude ou l’évasion fiscale. Dès lors, il nous paraît concevable qu’une société établisse une filiale dans un Etat membre à fiscalité privilégiée, même dépourvue de toute activité réelle, et dont le but avéré est de contourner la législation nationale. Rien ne justifierait une position de la Cour différente en matière fiscale. D’abord parce que les instances communautaires considèrent comme saine la concurrence fiscale entre Etats. Mais plus généralement, parce que le phénomène de Tax Shopping contribue à la construction d’un Marché unique. En définitive, on peut s’attendre à ce que l’article 209B succombe aux effets de la primauté du Traité. Banni de l’ordre communautaire, il ne pourra continuer à agir que dans la sphère du droit international. Or, même dans ce cas de figure, le droit interne y a déjà apposé quelques sérieuses entorses166. C’est alors tout un pilier de la fiscalité française qui risque de s’effondrer. Mais la chasse aux paradis fiscaux n’est pas la seule à succomber au droit communautaire. La chasse aux prix de transfert est également de plus en plus analysée sous la loupe de la Cour.

II. La problématique des prix de transfert dans l’ordre communautaire. Les prix de transfert révèlent un paradoxe flagrant : les instances communautaires semblent se désintéresser de la création d’un régime commun dans ce domaine, alors que la réalisation de l’Union économique le réclame fortement (partie A). A l’heure actuelle, seule l’OCDE a accouché de principes généraux, dont l’application fluctuante ne règle pas tous les problèmes. En effet, les Etats, à l’instar de la France, continuent à appliquer des régimes dont la compatibilité avec les dispositions communautaires est douteuse (partie B).

A. Un régime à réformer d’urgence au niveau communautaire. Les prix de transfert sont caractérisés par la conjonction des différents régimes fiscaux nationaux, lesquels peinent trop souvent à trouver un terrain d’entente. Cette situation génère des doubles impositions (1). Les mécanismes de règlements des conflits, développés à cet égard, souffrent malheureusement d’une réelle inefficacité (2). 165 P. Dibout, Territorialité de l’impôt, répression de l’évasion fiscale et liberté d’établissement dans la Communauté européenne et J. Turot, L’article 209B est-il soluble dans le droit communautaire ?, précités. Selon eux, la clause de sauvegarde met à la charge de la société de prouver la réalité économique de son établissement. Or, il apparaît contraire à tous les principes que le contribuable se voit réclamer la preuve qu’il n’a pas commis d’abus de droit. 166 Sur la question, voir note sous arrêt CE ass, 28 juin 2002, Schneider Electric, n° 232276, par C. Acard, in Banque et Droit, 1er juill. 2002, N° 84, p. 56.

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1. La double imposition engendrée par la conjonction des politiques nationales de prix de transfert.

Les entreprises situées sur le territoire d’un Etat membre sont susceptibles de transférer des bénéfices dans d’autres Etats de l’Union. Ceci peut avoir lieu en dehors de toute volonté de réaliser une évasion fiscale. Mais les Etats ne partagent pas le même point de vue que les entreprises. Ils n’y voient souvent qu’un risque de pertes supplémentaire. A ce titre, ils soumettent ces transferts à un régime restrictif, parfois dissuasif. Sous prétexte de lutter contre l’évasion fiscale, les administrations nationales vont réintégrer ces bénéfices dans l’assiette de l’entreprise domestique. Pour autant, ces bénéfices ne seront pas toujours exonérés dans l’Etat de destination. Ces pratiques sont autant d’entraves à la réalisation du Marché intérieur. En effet, elles génèrent des coûts exorbitants de mise en conformité. Pire encore, elles conduisent trop souvent à des cas de double imposition. Par conséquent, les entreprises sont dissuadées de s’établir dans d’autres Etats membres. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’elles s’orientent alors vers des investissements dans des pays tiers, au détriment de l’Union. Le problème est que les intérêts concomitants des Etats, des entreprises et de l’Union ne se rejoignent pas. Devant le risque de planification fiscale, les Etats membres ont développé des mesures de contrôle accrues. Chaque administration veut s’assurer d’avoir une part équitable du « gâteau fiscal ». Les entreprises concernées prétendent, de leur côté, que les transferts sont faits essentiellement pour des raisons économiques et non pour diminuer leur charge fiscale. Enfin, la Commission se contente de reconnaître que la situation actuelle en matière de prix de transfert nuit à l’achèvement du Marché. Mais elle est victime de l’inertie de ses propres services. Elle n’a jusqu’à présent pas enregistré de réelle progression vers la réalisation d’un régime commun. Ainsi, aucune politique communautaire n’est en vigueur actuellement en matière de prix de transfert. Seule l’OCDE s’est attachée à développer des principes généraux. Elle y voit un des domaines les plus importants pour l’avenir, en matière de fiscalité internationale et a fortiori pour le Marché intérieur167. Selon les schémas élaborés par l’OCDE, les prix de transfert doivent être conformes à un principe de pleine concurrence. Ceci est supposé conduire à un concept cohérent et sain, afin d’établir l’attribution correcte des bénéfices entre les différents Etats. L’objectif est de lutter efficacement contre les phénomènes de double imposition et de non-imposition. Cependant, au vu des résultats, on peut se demander si ces moyens traditionnels, tels qu’appliqués par les administrations fiscales, sont encore appropriés et efficaces. A ce titre, il convient de souligner que les principes directeurs élaborés par l’OCDE ne sont pas toujours d’une grande clarté. Des applications et des interprétations différentes demeurent entre Etats membres et dans leurs rapports avec les entreprises. Actuellement, les régimes relatifs aux prix de transfert, en vigueur dans l’Union, ne sont pas identiques. Les entreprises sont donc confrontées à plusieurs mécanismes différents. Comme les prix de transfert font, par définition, intervenir deux administrations, des conceptions différentes vont générer des doubles impositions des entreprises168.

167 Voir OCDE, Principes applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales, Paris, 1995 disponibles http://www.oecd.org/dataoecd/56/39/1922470.pdf. 168 Les petites et moyennes entreprises peuvent être particulièrement touchées par ces problèmes. Il arrive souvent qu’elles ne soient même pas familiarisées avec les concepts de base de prix de transfert et qu’elles ne disposent pas des ressources et structures appropriées pour traiter les problèmes associés, par exemple, à la constitution d’une première filiale à l’étranger.

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Sur ce point, les avis sont mitigés. Les représentants des entreprises prétendent que les cas de double imposition sont quasiment quotidiens. Les administrations fiscales affirment quant à elles que les cas de double imposition sont relativement rares et toujours résolus169. Toujours est-il que cette double imposition est une sérieuse entrave au Marché intérieur. Il faut impérativement mettre en oeuvre des mécanismes de règlement des conflits qui atténuent cette double imposition. Ils devront couvrir autant de situations que possible, et agir aux coûts les plus faibles pour les entreprises et les administrations fiscales. Ces mécanismes existent de longue date, mais leur efficacité ne peut que décevoir.

2. L’inefficacité des mécanismes de règlements des conflits. Quatre mécanismes de règlements des conflits cohabitent actuellement en cas de double imposition générée par la fiscalité des prix de transfert. Mais aucun n’apporte de solution efficace. Il s’agit des recours devant les juridictions nationales, les procédures amiables prévues par les conventions bilatérales de double imposition, les accords préalables de prix liant le contribuable à son administration fiscale et la Convention d’arbitrage de l’Union européenne170. C’est cette dernière qui nous intéresse particulièrement. Elle est l’unique mécanisme communautaire prévu à ce jour en matière de prix de transfert. Le fondement de cette Convention est à trouver à l’article 293 du Traité. Elle ne porte que sur les prix de transfert, c’est-à-dire sur les litiges relatifs au respect du principe de pleine concurrence dans les échanges intragroupes. Son principe est simple. Elle prévoit en effet une phase d’arbitrage pour les cas où les administrations ne parviennent pas à s’accorder au bout de deux ans. Toutefois, sa mise en œuvre est parfois enrayée par un certain nombre de carences. Ainsi, on constate que les Etats membres ne sont pas tous d’accords quant à la date exacte du départ du délai de deux ans. Certains adoptent même une position qui parait non conforme à la Convention. Ceux-là sont d’avis que la période de deux ans ne court pas, tant que l’autre Etat membre concerné n’a pas formellement notifié qu’il n’acceptait pas l’ajustement de revenus. De plus, lorsqu’une action judiciaire est intentée au niveau national, la période de deux ans ne commence à compter qu’à dater du jour où l’arrêt de la dernière juridiction d’appel a été rendu. Dans certains cas, la phase de négociation ne s’ouvre que si l’entreprise renonce à la possibilité de faire appel de la décision. Autrement dit, cela revient pour les entreprises, soit à renoncer à leur droit de faire suspendre le recouvrement de l’impôt, soit à réduire leurs chances d’éliminer la double imposition. D’autre part, aucune obligation n’est faite aux Etats de recourir à la Convention. Aucune disposition n’est non plus prévue pour traiter les cas de refus ou d’ajournement sans motifs par les Etats membres. Et même quand la Convention est actionnée, elle est peu efficace. Cela devient une habitude, le rédacteur a laissé l’interprétation des termes essentiels au soin des Etats. Ainsi, toute terminologie non définie dans la Convention aura, sauf si le contexte rend cela impossible, la signification qu’elle a dans la convention de double imposition des Etats membres concernés. L’élimination de la double imposition n’est donc pas garantie si les Etats membres ont une

169 Vers un Marché intérieur sans entraves fiscales, rapport de la Commission 2003, précité, p. 360. 170 Convention relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées du 23 juill. 1990, COM 90/436/CE.

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interprétation différente de ces termes. C’est d’autant plus difficile que tous les Etats ne sont pas également liés. Durant la procédure, il n’est pas rare que les Etats rendent immédiatement exigible l’impôt résultant d’un ajustement de revenus. Or, la Convention ne prévoit pas la suspension du recouvrement. Il aurait été judicieux d’instituer un accord préalable entre administrations avant le recouvrement. Ceci éviterait que les entreprises ne soient les otages des litiges qui opposent deux Etats, comme c’est trop souvent le cas. L’accumulation de ces défauts a entraîné un désintérêt manifeste des Etats membres pour la Convention. Ils ont exprimé leur désaveu en tardant à ratifier le protocole de prorogation. La Commission a bien tenté d’améliorer ces mécanismes, mais ses propositions semblent en totale démesure avec l’ampleur des difficultés171. A défaut de mécanisme valable de lutte contre la double imposition, les Etats continuent à appliquer leurs régimes nationaux de lutte contre les prix de transfert. Ainsi, le dispositif français est toujours en vigueur, malgré certaines mesures qui laissent présumer une incompatibilité avec le Traité.

B. La contrariété du régime français avec le droit communautaire. La France s’est très tôt dotée d’un dispositif de lutte contre les prix de transfert, aujourd’hui codifié à l’article 57 du CGI. La question de sa conformité au Traité de Rome mérite d’être posée (2). D’autant que le régime de l’article 212 relatif à la sous capitalisation, avec lequel il partage une similitude, a été déclaré contraire au principe de libre établissement (1).

1. Le postulat : le régime de la sous capitalisation constitutif d’une entrave au libre établissement.

L’économie de l’article 212 réside dans le souci du législateur d’autoriser aux sociétés la déduction des frais financiers afférent à des avances, versées par leur société mère. Ce dispositif ne vise donc a priori pas la lutte contre l’évasion fiscale. Toutefois, lorsque ces avances atteignent un montant supérieur à une fois et demi le capital social, les intérêts correspondant à l’excédent ne peuvent donner lieu à aucune déduction. Ceci tient au fait que lorsque la société mère est établie à l’étranger, quels que soient les motifs de la sous capitalisation, celle-ci a pour effet de réduire la matière imposable dans l’Etat dont relève la filiale. C’est sur ce point que le dispositif de l’article 212 apparaît comme un instrument de lutte contre l’évasion fiscale. Il conduit en effet à refuser la déduction des sommes qui ne sont, en réalité, pas des intérêts sur avance, mais des bénéfices déguisés et transférés nets d’impôt à la mère. Cette interdiction souffre toutefois d’une exception déterminante. Les sociétés couvertes par le régime mères-filles français peuvent déduire librement les sommes correspondant aux intérêts sur avance, sans limitation de montant. C’est cette exception qui a pu être débattue, au regard notamment du principe de libre établissement. Elle cache en effet une différence de traitement applicable aux sociétés mères étrangères, par rapport aux groupes exclusivement français. Les débats 171 Voir « Améliorations procédurales à la convention d’arbitrage et aux procédures amiables connexes », forum conjoint de l’UE sur les prix de transfert, réunion du 4 déc. 2002, disponible sur http://europa.eu.int/comm/taxation_customs/taxation/company_tax/docs/sec_meet/workingpaper_fr.pdf

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se sont donc naturellement cristallisés sur le point de savoir si les deux filiales résidentes étaient placées dans une situation strictement identique. Une réponse positive conduirait à reconnaître une discrimination fondée sur la nationalité, telle qu’appréciée selon la localisation du siège. Avant d’être soumise au droit communautaire, la question fut posée au regard des clauses de non discrimination contenues dans les conventions bilatérales172. Pour le juge national, il ne faisait alors aucun doute que l’avantage consenti aux filiales françaises devait bénéficier, dans les mêmes conditions, aux filiales de sociétés domestiques et étrangères173. Pour le Gouvernement, au contraire, la différence de résidence fiscale justifiait la différence de traitement. La doctrine était quant à elle unanime. Compte tenu de la jurisprudence constante de la Cour de justice, l’argumentation de l’administration française ne trouverait aucun écho. Admettre qu’un Etat membre puisse librement appliquer un traitement différent, du seul fait que le siège de la société est situé dans un autre Etat membre, viderait de son contenu le principe de la liberté d’établissement174. Le juge national en a apparemment toujours été convaincu. Il n’a que rarement posé de questions préjudicielles lorsqu’un litige lui était soumis sur ce point. Depuis une affaire Lankhorst, la contrariété de notre régime est devenue d’autant plus évidente175. La Cour de justice a déclaré contraire au Traité le dispositif allemand de sous capitalisation, lequel est très similaire au notre. Aucune mesure impérieuse d’intérêt général n’a en outre été retenue par le juge. Le dispositif de l’article 212 est donc bel et bien condamné. Il l’est même doublement. D’abord, il ne pourra à l’avenir plus s’appliquer à une société mère établie dans un autre Etat membre. Mais plus encore, le juge national en a écarté l’utilisation dans une convention bilatérale liant la France et un autre partenaire européen, en raison de la primauté du droit communautaire sur ces conventions176. Puisqu’il vise à interdire aux sociétés la déduction des sommes qui ne sont en réalité pas des intérêts sur avance, mais des bénéfices déguisés à la mère, l’incompatibilité de l’article 212 fait naître des doutes concernant l’article 57 du CGI, sur ce point très proche.

2. L’article 57, un régime en sursis. Lorsque l’administration souhaite opérer un redressement en matière de sous capitalisation, il n’est pas rare qu’à défaut de pouvoir invoquer l’article 212, elle se fonde sur le régime de l’article 57. Les deux régimes ont en effet en commun de soumettre à l’impôt français un flux financier qui tente de lui échapper. 172 Pour un état de la question, voir Hervé Kruger, L’application du dispositif « anti sous capitalisation » de l’article 212 du CGI aux filiales françaises de sociétés étrangères : une position contestable, in Droit Fiscal 1999, N° 44, p. 1353 et s. 173 Gilles Bachelier, Comparabilité de l’article 212 du CGI avec le principe de non discrimination posé par les conventions fiscales, commentaire de TA Orléans, 6 mai 1997, SA Andritz Sprout Bauer, Rec. N° 95-544, depuis jugé devant le Conseil d’Etat, CE section, 30 déc. 2003, n° 233894, in RJF 3/04, p. 166 ; ou Pierre Masquart, Sous capitalisation : l’article 212 n’est pas, en principe, applicable lorsque le contribuable se prévaut d’une clause de non-discrimination insérée dans une convention fiscale internationale, in JCP Entreprises et Affaires, n° 12, 18 mars 2004, p. 477. 174 Guillaume Goulard, Compatibilité de l’article 212 du CGI avec le principe communautaire de liberté d’établissement, in RJF 3/04, p. 175, citant CJCE, 28 janv. 1986, Commission c/ France, aff. 270/83, RJF 11/86 n° 1020, ou encore CJCE, 13 juill. 1993, Commerzbank, aff. 330/91, RJF 10/93, n° 1402, etc… 175 CJCE, 12 déc. 2002, Lankhorst- Hohorst GmbH, aff. 324/00, RJF 3/03 n° 391. 176 Voir Laurent Olléon, Article 212, suite et fin, RJF 2/04, p. 83, à propos des arrêts rendus le même jour, CE, 30 déc. 2003, SA Andritz n° 233894 et Sarl Coréal Gestion n° 249047.

72

L’article 57 instaure une méthodologie d’action au profit de l’administration, qui lui permet de réintégrer des transferts indirects de bénéfices dans l’escarcelle fiscale française. Cette méthodologie est d’autant plus aisée à mettre en œuvre lorsque l’entreprise étrangère est établie dans un Etat à fiscalité privilégiée. Certains Etats membres sont donc directement visés. Dans ce cas, l’administration n’a pas à rapporter la preuve de liens de dépendance entre les entreprises contrôlées. Pour le fisc français, ce dispositif est un outil efficace de lutte contre les délocalisations abusives de bénéfices. Mais le but d’optimisation fiscale n’est pas toujours à l’origine du transfert. Les contribuables peuvent poursuivre des stratégies financières, boursières ou commerciales. Reste donc à savoir si, par extension de la solution rendue à l’égard de l’article 212, l’article 57 est compatible avec les dispositions du Traité. Cela ne parait pas être le cas. Il semble plutôt que l’article 57 est contraire aux dispositions relatives au libre établissement des entreprises. Non seulement il instaure une différence de traitement entre sociétés françaises, suivant que leurs filiales contractantes se trouvent en France ou dans un autre Etat membre, mais il dissuade les entreprises françaises d’avoir des participations dans certaines sociétés communautaires. Tout d’abord, l’article 57 est constitutif d’une discrimination à l’égard des groupes communautaires. Il prévoit en effet une procédure plus contraignante pour la société française lorsque celle-ci a transféré des bénéfices à une entité étrangère, plutôt qu’à une entité française. Dans ce dernier cas, l’administration peut recourir au dispositif de l’acte anormal de gestion. Mais les conditions de mises en œuvre de ce régime sont plus favorables pour la société domestique. Or, la situation des deux entreprises distributrices françaises est objectivement comparable, eu égard au paiement de l’IS français. C’est d’ailleurs ce que soulignent certains auteurs. Les règles de dévolution de la charge de la preuve sont plus dures pour les entreprises dans le cadre de l’article 57, que pour le contrôle de l’acte anormal de gestion177. Dans le premier cas, il pèse sur le contribuable une présomption simple de transfert indirect de bénéfices. Il doit expressément prouver que la transaction a été conclue dans son intérêt. Au besoin, l’administration pourra redresser l’entreprise au moyen de comparaison avec les résultats des entreprises similaires, exploitées normalement. Dans le cas de l’acte anormal de gestion, c’est à l’administration qu’incombe la preuve que la transaction litigieuse n’a pas été conclue dans l’intérêt de l’entreprise. Certaines jurisprudences nationales et communautaires semblent également apporter un éclairage utile. Ainsi, la Cour de justice a eu l’occasion de se prononcer sur les règles de dévolutions de la charge de la preuve. Dans son arrêt Rewe, elle enjoint les Etats à rendre les procédures destinées à faire valoir un droit communautaire, aussi favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne178. Or, lorsqu’une société française souhaite investir dans les Etats de la Communauté, elle use de ses libertés reconnues par le Traité, fussent ces Etats des « paradis fiscaux ». Une incompatibilité avec le droit communautaire naît alors de l’application de règles procédurales plus contraignantes, lorsqu’elles s’appliquent à des transactions incluant des sociétés d’autres Etats membres. En outre, Le juge fiscal a également conclu à la discrimination dans l’affaire Coréal Gestion. Il rappelle en effet que cette différence de traitement ne saurait être justifiée par la différence de résidence des sociétés mères. Elle constituerait le cas échéant une discrimination répréhensible au niveau communautaire179. Enfin, de manière plus évidente, le dispositif de l’article 57 dissuade les investissements transfrontaliers. D’une part, ce régime génère une classique entrave à la sortie. Il est susceptible de 177 M. Taly et P. Schiele, Les dispositions françaises tendant au contrôle des prix de transfert (CGI, art 57 et LPF, art L 13B) sont-elles « euro- compatibles » ?, Droit Fiscal 2003, N° 29, p. 960. 178 CJCE, 16 déc. 1979, Rewe Zentrale, aff. 33/76, Rec. p. 1989. 179 CE, 30 déc. 2003, Sarl Coréal Gestion n° 249047, commenté par Laurent Olléon, in RJF 2/04, p. 83.

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dissuader les entreprises françaises d’exercer leur droit d’établissement dans d’autres Etats membres, notamment ceux ayant une fiscalité privilégiée. Mais d’autre part, ce régime rend également moins attrayant la création ou l’acquisition d’entreprises en France, par des sociétés étrangères. La présomption qu’il pose à l’encontre du contribuable ne permet en plus pas de couvrir ce dispositif par une mesure impérieuse d’intérêt général, faute de proportionnalité. Aussi, l’article 57 est à l’image de tous les autres dispositifs de lutte contre l’évasion fiscale : complexe, inadapté et en sursis.

*** Le principe de libre établissement se révèle comparable à une clef. Il sert à déverrouiller les régimes nationaux qui limitent encore la construction de l’Europe fiscale. On se demande alors si les directives ont encore une utilité. Car aussi longtemps que les dispositifs nationaux tomberont sous le coup des arrêts de Luxembourg, les Etats seront amenés à engager des réformes en profondeur. Afin de satisfaire aux dispositions du Traité, les gouvernements devront à terme tendre vers des régimes très similaires, sinon communs.

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Conclusion Il était évident que la construction de l’Europe des entreprises se poserait aujourd’hui sous un jour différent de celui qui illuminait l’Europe des Six. Mais avait-on réellement anticipé l’activisme du juge du Luxembourg, qui a pris en charge la construction communautaire ? La réponse est sans doute négative. La matière fiscale n’y a pas échappé. Elle a eu beau résister un temps, elle a logiquement fini par succomber. Et pour cause, la réalisation d’un Marché unique passe forcément par une réflexion profonde sur la fiscalité des acteurs économiques. Ainsi, par touches successives, mais avec une cohérence indéniable, la Cour de justice des Communautés a construit une jurisprudence qui, fondamentalement, participe de manière active à la réalisation du Marché unique. On relève d’ailleurs l’hypocrisie de la situation. D’un coté, la Cour admet volontiers que la fiscalité directe est un domaine réservé aux Etats membres. Il en va d’ailleurs de même pour la maîtrise des dépenses publiques. Toutefois, le juge rappelle également dans une formule lapidaire désormais bien connue, que l’exercice de cette compétence retenue des Etats doit « être exercée dans le respect du droit communautaire ». Cela revient finalement à reconnaître aux Etats une compétence souveraine, mais limitée au strict respect des exigences communautaires. Compétence qui, de surcroît, se réduit telle une peau de chagrin, sous l’effet des interprétations extensives que fait la Cour des exigences communautaires. Aussi, cette situation relance constamment sur l’ouvrage le débat sur la souveraineté des Etats. Avec la fiscalité directe, c’est véritablement le dernier bastion de la souveraineté qui tomberait entre les mains de la Communauté. Ceci tient au fait que le juge communautaire applique mécaniquement le droit issu du Traité de Rome. En donnant leur pleine expression aux principes fondamentaux en matière fiscale, il ouvre sans cesse de nouveaux terrains de confrontation entre le droit communautaire et les droits nationaux. Pour autant, un auteur rappelle que la Cour ne saurait être accusée de participer à un gouvernement des juges. Il est en effet clair qu’elle demeure cantonnée dans son rôle d’interprétation180. On aboutit ainsi à un constat paradoxal : l’harmonisation de la fiscalité directe est au point mort au niveau de la Commission. Pourtant, les avancées vers un modèle uniforme se sont multipliées ces dix dernières années. En fait, la Cour contribue à un nivellement par le bas et tend ainsi à inscrire les législations récalcitrantes dans un schéma commun. Ceci d’ailleurs ne profite pas à tout le monde. En premier lieu il y a les gagnants de la construction communautaire. Les petits Etats apparaissent bien placés de ce point de vue là. Leur faible taux d’imposition leur permet en effet d’attirer des capitaux et des entreprises, qui jusqu’alors pouvaient être dissuadés par leurs Etats d’origine. La situation de concurrence fiscale devient une véritable manne pour eux. Car elle revient finalement à leur octroyer des subventions déguisées, de surcroît avec la bénédiction de la Commission. A coté d’eux, l’Europe est également une chance pour les entreprises. L’absence d’harmonisation en matière fiscale leur est sans conteste très préjudiciable. Elle est surtout très coûteuse. Désormais, l’harmonisation des règles comptables et la lutte acharnée de la Cour contre les entraves au Marché

180 Voir en ce sens Patrick Dibout, La fiscalité à l’épreuve de la liberté de circulation des capitaux, in Droit Fiscal 2000, N° 42, p. 1365.

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unique leur permettent d’espérer en l’avènement prochain de régimes communs. En tête arrivent les sociétés de services, c'est-à-dire celles qui peuvent facilement circuler sans avoir à s’établir à un carrefour géographique déterminé. Mais les efforts en matière de reconnaissance de la personnalité morale et du transfert du siège social laissent à penser qu’à terme, tous les groupes de sociétés, de quelque activité qu’ils soient, profitent de l’élan en matière fiscale. Mais il y a aussi les perdants de l’Europe fiscale, à savoir les gros Etats tels que la France et les PME. Ces dernières ne profitent en effet que très peu de l’essor du droit communautaire en matière de fiscalité directe. Elles exercent que rarement des activités transfrontalières et sont donc bien souvent cantonnées dans des situations purement internes. De plus, elles ne possèdent pas les moyens techniques et financiers pour profiter pleinement des avantages qu’offre le droit communautaire. Elles se situent donc en marge des sociétés qui usent des principes développés par la Cour, notamment en ce qui concerne la recherche du régime fiscal le plus accueillant. Enfin, les gros Etats souffrent beaucoup des activités de la Cour. L’harmonisation par le bas menée par le juge nuit en effet beaucoup aux recettes des Etats. La France en fait d’ailleurs partie. Ces pays ont des besoins de financement disproportionnés par rapport aux petits Etats, lesquels peuvent dès lors se permettre de pratiquer une fiscalité très légère. La France est donc, de fait, placée dans une impasse. De deux choses l’une. Soit elle réforme considérablement son système d’imposition, en révisant l’assiette imposable et en réduisant les taux. Ceci serait impossible en pratique, du fait de ses besoins énormes de financement. Soit elle en vient à traiter les ressortissants des autres Etats membres de la même manière que ses nationaux. Autrement dit, ceci conduirait en somme à traiter aussi mal les uns que les autres. On comprend bien que ces deux solutions ne soient pas satisfaisantes. La France se trouve donc condamnée à voir sa législation fiscale réformée en profondeur. Dans un premier temps, elle verra la disparition progressive de son système de territorialité de l’impôt. Suivront ensuite ses mesures de lutte contre l’évasion fiscale. En outre, le phénomène de délocalisation dans un but d’optimisation fiscale ayant déjà commencé, on peut légitimement penser qu’il s’accentuera avec l’ouverture de l’Union à de nouveaux entrants. Malgré ce phénomène inévitable, faut-il être résolument pessimiste ? Heureusement non. Car comme le titrait un grand quotidien, la France peut mieux utiliser l’Europe181. En effet, l’Europe peut continuer à apporter beaucoup à notre pays, pour autant que nous sachions l’utiliser. A nous de faire progresser et évoluer des cultures héritées du passé, qui même si elles ont eu le mérite d’exister, ne doivent pas pour autant subsister en tant que telles. Ce tournant constitue incontestablement le défi majeur de ces prochaines années. L’Europe est en marche, à nous d’en tirer le meilleur parti.

181 Les Echos, La France peut mieux utiliser l’Europe, point de vue de Hervé Saint-Sauveur, lundi 15 mars 2004, p. 15.

76

Index alphabétique

A

AMID, 56, 79 Andersen, 46, 79, 81, 82 Athinaïki, 31, 41 avoir fiscal, 30, 32, 33, 37, 38

B

Bachmann, 67, 79 Boisdet, 9, 79 Bosal, 44, 55, 58, 68, 79

C

Centros, 64, 66, 68, 69, 79 Commission c/ République

française, 32, 79 compensation

pertes, 18, 47, 48, 49, 50, 52, 53, 54, 55, 56, 59, 60

concurrence fiscale, 12, 13, 14, 18, 62, 69, 76

Convention convention de bruxelles, 16, 71

Coréal, 73, 75, 79 Costa contre Enel, 8, 79 crédit d’impôt, 26, 32, 36, 37, 60

D

Daily Mail, 62, 63, 66, 68, 79 Dassonville, 42, 79 Denkavit, 27, 34, 79 destructive process, 9 directive « fusion », 16, 17 directive « mère-fille », 17 distribution des bénéfices, 31, 34,

40, 42 dividendes, 15, 16, 18, 20, 21, 22,

23, 24, 25, 27, 28, 29, 30, 32, 35, 37, 38, 39, 41, 42, 43, 44, 45, 46

double imposition, 15, 16, 18, 21, 22, 23, 26, 29, 32, 33, 35, 36, 38, 39, 51, 52, 53, 54, 70, 71, 72

E

Epson, 38, 39, 40, 41, 42, 79

évasion fiscale, 18, 35, 47, 49, 61, 62, 63, 65, 66, 68, 69, 70, 72, 75, 77

F

fraude, 18, 34, 35, 64 fusions

directive "fusion", 16, 18, 45 Futura, 55, 79

H

harmonisation fiscale, 8, 10, 12, 16, 46, 49

Hoechst, 43, 44, 79

I

ICI, 65, 66, 68, 69

J

Jacques Vabre, 9

L

la directive « mère-fille », 16 Lankhorst, 56, 73, 79 Lasteyrie du Saillant, 55, 63, 79 Law Shopping, 51, 64 Les clauses nationales anti-abus,

34 Leur Bloem, 35, 45, 46, 79

M

Marks & Spencer, 55, 56, 57, 59, 60, 79

mère-fille directive mère-fille, 16, 17, 21,

22, 24, 26, 32, 38, 40, 43, 44, 45

mesure impérieuse intérêt général, 67, 73

Metallgesellschaft, 43, 44, 79

N

Neumark, 12

O

Océ, 37, 38, 39, 79

P

paquet fiscal, 12, 13, 16, 20, 22, 45 PME, 17, 77 précompte, 31, 32, 33, 40 Primarolo, 13 primauté, 8, 9, 39, 69, 73 prix de transfert, 18, 62, 69, 70,

71, 72, 74

R

rapport Neumark, 7, 15 retenue à la source, 21, 24, 27, 29,

31, 32, 35, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 44

retenues à la source, 13, 27, 32, 38, 40, 41

Rewe, 74, 79 Ruding, 12, 17, 18

S

SA Andritz, 73, 79 Schmid, 31 Schneider Electric, 69 sous capitalisation, 72, 73, 74 subsidiarité, 8, 9, 16, 20, 25, 37, 43 Syndicat national des fabricants de

spiritueux consommés à l’eau, 63

T

Tax Shopping, 17, 63, 69 Télécoise, 58, 59, 79 territorialité, 49, 50, 55, 59, 60, 77

V

Van den Tempel, 15

W

WN, 32, 79

77

Inventaire des jurisprudences citées Pour la localisation de ces décisions, se référer à l’index alphabétique. Jurisprudences communautaires :

- CJCE, 11 mars 2004, Hugues de Lasteyrie du Saillant, aff. C-9/02 - CJCE, 15 juill. 1964, Costa contre Enel, aff. 6/64 - CJCE, 11 juill. 1974, Dassonville, aff. C- 8/74 - CJCE, 12 déc. 2002, Lankhorst-Hohorst GmbH c/ Finanzamt Steinfurt, aff. C-324/00 - CJCE, 13 avr. 2000, WN, aff. C-420/98 - CJCE, 14 déc. 2000, AMID contre Belgische Staat, aff. C-141/99 - CJCE, 15 janv. 2002, Andersen og Jensen ApS, aff. C-43/00 - CJCE, 15 mai 1997, Futura Participations SA et Singer, aff. 250/95 - CJCE, 16 déc. 1979, Rewe Zentrale, aff. 33/76 - CJCE, 16 juill. 1998, Imperial Chemical Indistries, aff. 264/96 - CJCE, 17 juill. 1997, Leur Bloem, aff. C-28/95 - CJCE, 17 oct. 1996, Denkavit International BV, VITIC Amterdam BV, Voormeer BV,

aff. 283/94, 291/94 et 292/94 - CJCE, 18 janv. 2001, Schmid, aff. C-113/99 - CJCE, 18 sept. 2003, Bosal Holding BV c/ Staatssecretaris van Financïen, aff. C-

168/01 - CJCE, 24 fév. 2000, Commission c/ République française, aff. C-434/97 - CJCE, 25 sept. 2003, Océ Van der Grinten NV c/ Inland Revenue Commissionners,

aff. C-58/01, - CJCE, 27 sept. 1988, Daily Mail, aff. 81/87 - CJCE, 28 janv. 1992, Bachmann, aff. C-204/90 - CJCE, 4 oct. 2001, Athinaiki Zythopoiia, aff. C-294/99 - CJCE, 8 juin 2000, Epson Europe BV, aff. 375/98, - CJCE, 8 mars 2001, Hoechst, aff. 410/98 - CJCE, 8 mars 2001, Metallgesellschaft, aff. 397/98 - CJCE, 9 mars 1999, Centros Ltd c/ Erhvervs- og Selskabsstyrelsen, aff. C-212/97 - CJCE, Marks & Spencer, aff. C-446/03

Jurisprudences nationales :

- CE, 24 sept. 1990, Boisdet, n° 58657 - CE, 30 déc. 2003, Sarl Coréal Gestion n° 249047 - Cass, plein. 24 mai 1975, Jacques Vabres n° 73-13556 - CE, 30 déc. 2003, SA Andritz n° 233894 - CE, ass. 28 juin 2002, Schneider Electric, n° 232276 - CE, ass. 27 juill. 1979, Syndicat national des fabricants de spiritueux consommés à

l’eau, n° 63643. - CE, 16 mai 2003, Affaire Société Télécoise, n° 22295

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Bibliographie Ouvrages généraux : • Droit européen des affaires, J. SHAPIRA, G. LE TALLEC, J-B BLAISE et L. IDOT, Thémis droit privé,

PUF, 5ème éd. • Droit fiscal général, P. MARCHESSOU et J. GROSCLAUDE, Dalloz, 4ème édition. • Fiscalité française, C. et T. LAMORLETTE, Economica, 17ème édition. • Lamy Fiscal, Lamy, sous la direction de J. SCHMIDT et H. OLIEL, éd. 2003. • Mémento pratique Francis Lefebvre, Fiscal, Francis Lefebvre, éd. 2003. Ouvrages spéciaux : • Droit fiscal dans les relations internationales, J-P. DOUVIER, Etudes internationales, Pedone, 1996. • La fiscalité des sociétés dans l’Union européenne, J-M. TIRARD, guide de gestion RF, 6ème édition. • Le régime fiscal des sociétés en Belgique, J. KIRKPATRICK et D. GARABEDIAN, Bruylant, Bruxelles,

3ème édition. • Les impôts dans les affaires internationales, B. GOUTHIERE, Francis Lefebvre, 5ème éd. Articles et études • Christian BABUSIAUX, A propos de l’harmonisation et de la subsidiarité, in L’entreprise dans le

Marché unique européen, Travaux de la CEDECE, La documentation française, p. 477 et s. • Dominique BERLIN, L’entreprise face au pouvoir fiscal, in L’entreprise dans le Marché unique

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La Fiscalité, n° 153, 23 déc. 1998, p. 8. • Patrick DIBOUT, L’harmonisation européenne de la fiscalité directe des entreprises, analyses et

perspectives du rapport Ruding, in Droit Fiscal 1993, N°13, p. 624. • Patrick DIBOUT, Liberté d’établissement, conventions fiscales et entreprises multinationales, in Droit

Fiscal 2000, N°11, p. 474. • Guillaume GOULARD, Compatibilité de l’article 212 du CGI avec le principe communautaire de liberté

d’établissement, in RJF 3/04, p. 175. • Jean-Guy HUGLO, Liberté d’établissement et libre prestation de service, RTDE, oct-déc. 2001, N° 37, p.

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• Monique LUBY, Libre établissement des sociétés et fiscalité directe : un bilan contrasté, in Revue Europe, janv. 2002, chronique N°1, p. 5.

• Pierre MASQUART, Sous capitalisation : l’article 212 n’est pas, en principe, applicable lorsque le contribuable se prévaut d’une clause de non-discrimination insérée dans une convention fiscale internationale, in JCP Entreprises et Affaires, 18 mars 2004, n°12, p. 477.

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84

Table des matières

INTRODUCTION......................................................................................................................................................................... 6

TITRE I : LA POLITIQUE COMMUNAUTAIRE DE DISTRIBUTION DES DIVIDENDES................................... 21

Chapitre 1. Une volonté encourageante de lutter contre la double imposition entre Etats membres. ............... 22

I. Un champ d’application du régime commun tracé à la hâte......................................................................................................22

A. Un régime applicable à des sociétés et à des distributions mal définies. .............................................................................22 1. Le manque de précisions entourant les sociétés d’Etats membres différents..................................................................22 2. La notion essentielle mais mal définie de bénéfices distribués.......................................................................................24

B. Un critère de détention en proie aux doutes.........................................................................................................................25 1. La détention de 25% dans une société d’un autre Etat membre......................................................................................25 2. La subordination du régime commun à une durée de détention......................................................................................27

II. Les incidences du régime commun sur les sociétés liées. .........................................................................................................28 A. Un pas significatif vers la neutralité fiscale. ........................................................................................................................28

1. La nature du choix laissé à l’Etat de la société mère. .....................................................................................................29 2. La possibilité de réintégrer les charges...........................................................................................................................30

B. Le risque pour les Etats d’une mauvaise délimitation de la notion de « paiement anticipé ». .............................................31 1. Les approches nationales de la notion de paiement anticipé de plus en plus critiquées..................................................31 2. Le cas particulier de la France. .......................................................................................................................................32

Chapitre 2 : Une dimension inédite de la directive. ........................................................................................... 34

I. Un régime juridique des distributions encore fragile. ...............................................................................................................34

A. Une trop grande latitude laissée aux Etats. ..........................................................................................................................34 1. Les clauses nationales anti-abus. ....................................................................................................................................34 2. Le choix entre exemption et imputation, facteur de complexité. ....................................................................................36

B. Une cohabitation entre les dispositions nationales, internationales et communautaires au détriment du régime commun. .37 1. Des Etats ne jouant pas le jeu du régime commun. ........................................................................................................37 2. L’avoir fiscal comme limite au régime commun. ...........................................................................................................38

II. Une force juridique renforcée par les efforts du juge communautaire. .....................................................................................40 A. La notion extensive de retenue à la source...........................................................................................................................40

1. La notion de retenue à la source précisée par le juge communautaire. ...........................................................................40 2. L’extension du régime d’interdiction aux mesures ayant un effet équivalent à une retenue à la source.........................41

B. Une application au-delà des limites de la directive telles que prévues par la Commission..................................................43 1. La combinaison du régime commun avec le respect du libre établissement...................................................................43 2. Une incursion du droit communautaire dans des situations purement internes. .............................................................44

85

TITRE 2 : LES INCIDENCES DU PRINCIPE FONDAMENTAL DE LIBRE ÉTABLISSEMENT SUR LA

FISCALITÉ DIRECTE DES ENTREPRISES.................................................................................................... 47

Chapitre 1 : Les difficultés liées à l’absence de politique communautaire en matière de compensation

transfrontalière des pertes. ................................................................................................................................. 48

I. Une absence de politique communautaire incompatible avec le principe de Marché unique....................................................48

A. L’absence de régime commun en matière de compensation des pertes. ..............................................................................48 1. L’échec du projet de directive de la Commission...........................................................................................................48 2. Les distorsions de concurrence dues à la diversité des régimes nationaux. ....................................................................50

B. Un double frein à l’établissement dans un autre Etat membre.............................................................................................51 1. Les coûts engendrés par la conjonction des divers régimes nationaux de compensation................................................51 2. Les incidences sur le choix de la forme et de la localisation de l’établissement.............................................................52

II. L’ébauche d’une politique commune de compensation transfrontalière des pertes...................................................................54 A. La CJCE au soutien d’un régime commun. .........................................................................................................................54

1. La consolidation par les établissements stables à l’épreuve du principe de libre établissement. ....................................54 2. Les conséquences prévisibles de la jurisprudence Marks & Spencer, pendante devant la Cour.....................................56

B. La modification prévisible du paysage fiscal.......................................................................................................................58 1. Quel avenir pour le principe de territorialité de l’impôt ?...............................................................................................58 2. Les pistes possibles retenues par la Commission............................................................................................................59

Chapitre 2 : Les incidences du droit communautaire sur les politiques nationales anti-évasion fiscale........... 61

I. Le concept d’évasion fiscale à la lumière du libre établissement..............................................................................................61

A. A la recherche d’un Delaware européen. .............................................................................................................................61 1. L’interdiction d’empêcher les sorties d’entreprises. .......................................................................................................61 2. L’absence de fraude en cas de contournement de la législation d’un Etat membre. .......................................................63

B. Le droit français à l’aune du droit communautaire. .............................................................................................................64 1. L’article 209 B directement menacé par le droit communautaire. ..................................................................................64 2. Le manque de justifications susceptibles de couvrir l’entrave du 209 B. .......................................................................66

II. La problématique des prix de transfert dans l’ordre communautaire. .......................................................................................68 A. Un régime à réformer d’urgence au niveau communautaire. ...............................................................................................68

1. La double imposition engendrée par la conjonction des politiques nationales de prix de transfert. ...............................69 2. L’inefficacité des mécanismes de règlements des conflits..............................................................................................70

B. La contrariété du régime français avec le droit communautaire. .........................................................................................71 1. Le postulat : le régime de la sous capitalisation constitutif d’une entrave au libre établissement...................................71 2. L’article 57, un régime en sursis.....................................................................................................................................72

CONCLUSION............................................................................................................................................ 75 INDEX ALPHABÉTIQUE......................................................................................................................................................... 77

INVENTAIRE DES JURISPRUDENCES CITÉES ................................................................................................................ 78

BIBLIOGRAPHIE...................................................................................................................................................................... 79

TABLE DES MATIÈRES .......................................................................................................................................................... 85

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