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Les fruits et les arbres fruitiers dans les contes « Le conte est un miroir où chacun se découvre ». Amadou Hampâté Bâ. Dans le conte, la fin heureuse se fait souvent par le biais d'adjuvants, d'intermédiaires, d'items. L'arbre est très souvent cette entité (merveilleuse ou non) qui va pouvoir aider le héros a atteindre son but et à donner un heureux dénouement au conte. Katalin Horn a analysé le motif de l'arbre dans les contes populaires allemands, voici ce qu'elle résume : « Or parmi ces auxiliaires et objets magiques, l'arbre occupe une place particulière. Il est tantôt élément naturel, servant de cachette ou de refuge, tantôt arbre merveilleux, faisant don de somptueux vêtements, d'armures, de chevaux, de fruits d'or et d'argent, de feuilles, de rameaux, de nourriture. Cet arbre charitable appartient soit à une mère ou un père défunts, soit encore à des figures surnaturelles, telles des oiseaux reconnaissants, des chevaux, un mystérieux étranger, un nain ou un prince métamorphosé en animal. S'il a parfois l'aspect d'un arbre ordinaire, il porte d'autres fois des feuilles d'argent et des fruits d'or. L'arbre secourable est le plus souvent à la surface de la terre, rarement dans le monde souterrain. » 1 Je vais donc partir de ce postulat afin d'établir mon choix de contes. Je vais de plus étendre mon champ, non pas seulement à l'arbre secourable, mais aussi à l'arbre-étape (en tant que lien passif) afin de montrer qu'il peut être vecteur d'autres symboles au sein du conte. La « progéniture » des arbres Dans les contes, les fruits des arbres sont d'une importance capitale. De deux façons ils peuvent être soient merveilleux et bénéfiques ou au contraires fatals. Dans « L'arbre », conte d'Henri Gougaud, dont l'intrigue se passe dans un pays aride, un majestueux arbre (dont on ne connait l'espèce) aussi vieux que la Terre, émerveillent femmes, hommes et loups. Cependant personne n'a jamais goûté à ses fruits : « Ils étaient pourtant magnifiques, si luisants et dorés le long de ses branches maîtresses pareilles à deux bras offerts dans le feuillage qu'ils attiraient les mains et les bouches des enfants ignorants. Eux seuls osaient les désirer. On leur apprenait alors l'étrange et vieille vérité. La moitié de ces fruits était empoisonnée. Or tous, bons ou mauvais, étaient d'aspect semblable. Des deux branches 1 Katalin Horn, « L'arbre secourable dans le conte populaire allemand », Ethnologie française, IV, 4, 1974 Presses Universitaires de France, pp. 333-348.

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Les fruits et les arbres fruitiers dans les contes

« Le conte est un miroir où chacun se découvre ». Amadou Hampâté Bâ.

Dans le conte, la fin heureuse se fait souvent par le biais d'adjuvants, d'intermédiaires, d'items. L'arbre est très souvent cette entité (merveilleuse ou non) qui va pouvoir aider le héros a atteindre son but et à donner un heureux dénouement au conte. Katalin Horn a analysé le motif de l'arbre dans les contes populaires allemands, voici ce qu'elle résume :

« Or parmi ces auxiliaires et objets magiques, l'arbre occupe une place particulière. Il est tantôt élément naturel, servant de cachette ou de refuge, tantôt arbre merveilleux, faisant don de somptueux vêtements, d'armures, de chevaux, de fruits d'or et d'argent, de feuilles, de rameaux, de nourriture. Cet arbre charitable appartient soit à une mère ou un père défunts, soit encore à des figures surnaturelles, telles des oiseaux reconnaissants, des chevaux, un mystérieux étranger, un nain ou un prince métamorphosé en animal. S'il a parfois l'aspect d'un arbre ordinaire, il porte d'autres fois des feuilles d'argent et des fruits d'or. L'arbre secourable est le plus souvent à la surface de la terre, rarement dans le monde souterrain. »1

Je vais donc partir de ce postulat afin d'établir mon choix de contes. Je vais de plus étendre mon champ, non pas seulement à l'arbre secourable, mais aussi à l'arbre-étape (en tant que lien passif) afin de montrer qu'il peut être vecteur d'autres symboles au sein du conte.

La « progéniture » des arbres

Dans les contes, les fruits des arbres sont d'une importance capitale. De deux façons ils peuvent être soient merveilleux et bénéfiques ou au contraires fatals. Dans « L'arbre », conte d'Henri Gougaud, dont l'intrigue se passe dans un pays aride, un majestueux arbre (dont on ne connait l'espèce) aussi vieux que la Terre, émerveillent femmes, hommes et loups. Cependant personne n'a jamais goûté à ses fruits :

« Ils étaient pourtant magnifiques, si luisants et dorés le long de ses branches maîtresses pareilles à deux bras offerts dans le feuillage qu'ils attiraient les mains et les bouches des enfants ignorants. Eux seuls osaient les désirer. On leur apprenait alors l'étrange et vieille vérité. La moitié de ces fruits était empoisonnée. Or tous, bons ou mauvais, étaient d'aspect semblable. Des deux branches

1 Katalin Horn, « L'arbre secourable dans le conte populaire allemand », Ethnologie française, IV, 4, 1974 Presses Universitaires de France, pp. 333-348.

ouvertes en haut du tronc énorme l'une portait la mort, l'autre portait la vie, mais on ne savait laquelle nourrissait et laquelle tuait. Et donc on regardait, mais on ne touchait pas. »

Après des saisons particulièrement hostiles, la famine s'installa dans le pays. Seul l'arbre demeurait beau et majestueux. Les villageois discutèrent longtemps, se demandèrent s'il fallait se risquer à manger les fruits de l'arbre en ces temps difficiles malgré la légende. Un homme dont le fils était au bord de la mort, se décida de goûter un fruit de la branche de droite pendant les discussions infructueuses des villageois. Il resta ébahi, « le souffle bienheureux ». Il était toujours en vie. Les habitants festoyèrent pendant huit jours, ils savaient maintenant où se trouvaient les fruits disgracieux. Peu à peu, ils décidèrent de couper la branche aux rejetons malfaisants : elle n'était d'aucune utilité et un enfant pouvait en cueillir le fruit par inadvertance. Ils coupèrent donc la branche de gauche mais :

« Le lendemain, tous les bons fruits de la branche de droite étaient tombés et pourrissaient dans la poussière. L'arbre amputé de sa moitié empoisonnée n'offrait plus au grand soleil qu'un feuillage racorni. Son écorce avait noirci. Les biseaux l'avaient fui. Il était mort. »

Ce conte repris par Henri Gougaud serait un conte malgache, « L'arbre de l'humanité ».

Le cas particulier du pommier, arbre omniprésent dans les contes

Dans « Le pommier d'Eugène » conte de Marie Aubinais, issu du recueil Contes de rois, reines, princes et princesses, la pomme elle aussi détient des vertus mystérieuses et magiques. Ce conte pour enfants, se veut en quelque sorte une ré-actualisation du mythe du roi Midas. Eugène, jeune prince avait pour habitude de grimper dans les branches d »un vieux pommier de son jardin. C'était son activité favorite. Un jour, le pommier vénérable, sur le point de mourir, adressa au jeune garçon ces quelques mots : « Avant cela, je peux te confier un secret, un secret pas plus gros qu'un pépin ». Malheureusement ses feuilles jaunirent et il s'affaissa avant de pouvoir délivrer son secret. Eugène monta tout en haut de l'arbre et découvrit une véritable pomme en or.

Au moment de la cueillir, une goutte dorée tomba sur la main droite de l'enfant. Ainsi dès qu'il touchait le moindre objet, celui-ci se changeait instantanément en or. C'est ainsi que le prince, animé de bonnes intentions, fit la richesse de son peuple. Un jour pourtant, une jeune fille lui offrit un gant en le suppliant de le porter, elle préférait de loin la véritable nature plutôt que ce décor doré. Chamboulé, le prince rentra chez lui et regarda dans le coffre où il avait entreposé sa pomme. Surpris, il découvrit qu'elle s'était effritée et qu'il n'en restait que des miettes dorée ainsi que des pépins. Pas des pépins dorés, mais de vrais pépins. Il les prit donc et les planta dans son jardin. Il

Illustration de Ulises Wensell.

s'en occupa tellement bien que de beaux pommiers, jaillirent de la terre en donnant des fruits succulents. Le prince décida d'abandonner son trône pour se livrer à son activité, désormais favorite de jardinier.

Le pommier a souvent été un arbre exalté dans les contes. Plus le fruit que l'arbre lui-même d'ailleurs. Comme dans « Le pommier », conte turc où le pommier du sultan ne donne qu'un seul et unique fruit par an. Fruit, qui lorsqu'il arrive à maturité, est mangé par un dragon. Face à ce destin injuste, le sultan envoie ses trois fils tuer le dragon. L'aîné qui se pose au pied de l'arbre lorsque la pomme annuelle, bien mûre, attend sagement le dragon sur sa branche. Mais pris d'une panique terrible à cause d'une tempête mystérieuse, le plus âgé des fils s'enfuit sans même avoir tué le dragon. Même chose avec le deuxième et c'est seulement le plus jeune des trois, qui reste calme face à la tempête, à l'aide de la lecture du Coran et de ses prières. Il parvient donc de ce fait à tuer le dragon.

La pomme d'or rappelle bien entendu la pomme lancée par Éris, déesse de la discorde lors du mariage de Pelée et Thétis. Pomme qui sera attribuée à Aphrodite par Pâris lors du jugement sur le mont Ida.

Dans un conte plus enfantin cette fois-ci, intitulé « Le lutin du pommier ».2 Il s'apparente au conte turc précédent dans l'une des péripéties. À côté d'un chalet de haute montagne poussait un pommier qui donnait toujours une abondante récolte. Or une année il décida de « se reposer ». Cet automne-là, il ne produisit qu'une seule pomme. Pierrot, le petit garçon qui vivait dans le chalet voulut la cueillir mais une petite voix lui dit :

« Laisse-moi ! Je suis un lutin de pommier et cette pomme est ma maison. Si tu la cueille, je mourrai. Laisse-moi ici... Tu n'auras pas à le regretter, tu verras. »

Pierrot grommela car il avait très faim mais laissa la pomme sur l'arbre. L'hiver arriva avec ses effroyables tempêtes et Pierrot dut aller au village pour faire des provisions. Au retour un épais brouillard puis un tourbillon de neige lui fit perdre son chemin. Par chance, « il aperçut à travers l'épais rideau de neige une pomme rouge qui brillait comme une lanterne. Sans elle, il n'aurait jamais pu rentrer chez lui. »

Dans ce conte on retrouve les propos que tenaient Katalin Horn dans son analyse de l'arbre dans le conte allemand :

Or parmi ces auxiliaires et objets magiques, l'arbre occupe une place particulière. Il est tantôt élément naturel, servant de cachette ou de refuge, tantôt arbre merveilleux, faisant don de somptueux vêtements, d'armures, de chevaux, de fruits d'or et d'argent, de feuilles, de rameaux, de nourriture.

Ici on retrouve un lutin, s'apparentant à la dryade protégeant la forêt ou à l'amadryade vivant dans les chênes.Ce dernier conte me permet d'introduire l'importance du nombre et la symbolique numérique dans

2 Issu du recueil Un conte pour chaque jour, aux éditions Gründ

Illustration d'Edita Plicková.

les contes.

L'importance du chiffre trois : le cas des contes « fruités »

Le chiffre trois revêt une symbolique importante. Nous ne reviendrons pas sur l'importance de ce chiffre dans le présent article. Néanmoins par quelques exemples, appliqués aux contes sur les fruits, je vais démontrer toute la vigueur et l'importance du nombre dans les contes.

Dans « Les trois oranges », conte issu du recueil Contes traditionnels des Pyrénées de Michel Cosem, un roi malade, doit, pour se rétablir, manger trois oranges qui sont sous la patte d'un ogre. Le roi qui a trois fils propose la moitié de son royaume à celui qui lui rapportera les fruits rédempteurs. L'aîné de vingt ans part à la recherche des fruits. Fatigué il se repose sur une fontaine où un vieil homme lui demande à manger. Le jeune homme refuse et s'en va. Il ne parvient pas à trouver l'ogre et s'en retourne bredouille chez son père. Le cadet de dix sept ans part à son tour et croise également le vieil homme et lui refuse à son tour le partage de son repas. Il rentre les mains vides à son tour. Puis c'est au dernier des fils, de quatorze ans de prendre la route. Il partage son maigre repas avec le vieil homme, qui pour le remercier de sa générosité, lui indique le chemin d'une ferme, où il obtiendra les informations nécessaires pour trouver la tanière de l'ogre. Aidant la propriétaire de ladite ferme à nettoyer son four voici les indications qu'elle lui donne afin de mener à bien sa mission :

« Vous le trouverez couché sur un lit de feuilles sèches. Il a une épine à la plante du pied droit, et les trois oranges sont dans une poche sous la peau de la plante du pied gauche. Voilà une fiole, vous verserez trois gouttes de ce qu'elle contient dans la bouche de l'ogre, cela le fera dormir profondément. Ensuite avec une main, vous gratterez tout autour de l'épine, pendant que de l'autre vous prendrez les trois oranges. S'il se réveille, vous poserez sur le sol, de loin en loin, un de ces petits miroirs de dix écus ».

On peut le voir dans ce conte, la récurrence du chiffre trois se pose à plusieurs niveaux. Le plan humain avec les trois frères, le plan matériel avec les trois oranges et les trois gouttes de la fiole. On retrouve une trame similaire avec le conte « Les Trois Pêches de mai », à savoir :

• une personne de sang royal qui est malade• un docteur ou une guérisseuse qui indique le remède• les trois frères qui partent en quête• une vieille personne qui adopte la double fonction d'obstacle ou tremplin selon la

bienveillance des frères.

Dans ce conte c'est une princesse qui se trouve malade et qui a besoin des pêches plus belles pêches

du royaume afin de recouvrer la santé. Trois frères du village décident d'apporter leurs plus belles pêches à la jeune femme. L'aîné, croise en chemin une vieille dame qui lui demande ce qu'il transporte, il lui répond d'un ton méprisant « des crottes de lapin ». Lorsqu'il arrive au château et qu'il ouvre son sac devant le roi, les trois pêches ont disparu et à la place se trouve des crottes de lapin. Le deuxième frère part à son tour et croise la même vieille dame qui demande également ce qu'il a dans son panier. Hautain, il répond, « du crottin de cheval ». Et les pêches se métamorphosent miraculeusement en crottin. Lorsque le troisième frère s'essaye à son tour et croise la vieille femme il lui répond honnêtement et lui propose même l'une des pêches. Celle-ci refuse et en échange de sa grandeur d'esprit, elle lui donne un flûteau magique. Les trois pêches guérissent en effet la princesse mais le roi ne souhaite pas que sa fille se marie avec un paysan. Alors le roi soumet trois épreuves « impossibles » au prétendant. Garder cent lapins pendant quatre jours. Remplir trois sacs de vérité. Le succès à ces deux épreuves est dû au flûteau magique et à la ruse du jeune homme. De nouveau l'on retrouve une composition tripartite avec trois épreuves : apporter les trois pêches, garder les lapins, remplir les sacs de vérité. Les sacs sont au nombre de trois car ils correspondent à trois stratagèmes du roi (pour faire échouer le paysan dans la surveillance des lapins) : il envoie d'abord sa fille, déguisée, acheter par son charme un lapin au jeune homme, puis sa femme et enfin le roi lui-même. Mais le subterfuge est à chaque fois déjoué grâce au flûteau qui rassemble instantanément tous les lapins dès la première note.

Enfin c'est avec un conte arménien intitulé « Les trois grenades » que l'on retrouve la puissance de ce chiffre. La princesse Chouchanik qui refuse de se marier avec un riche prétendant, suscite la colère de son père, en désirant épouser un tresseur d'osier, Gambar. Le roi chasse sa fille du palais. Gambar et Chouchanik, malgré leur amour, sont forcés de se séparer malgré leur amour, à cause de leur vie pauvre et misérable. Gambar décide d'entrer au service d'un marchand qui commerce avec les pays lointains afin d'avoir assez d'argent pour vivre de nouveau avec sa bien aimée. Gambar part donc pour un long voyage lorsqu'il doit descendre dans un puits afin de prendre de l'eau pour une traversée du désert. Gambar, « mince et souple comme un roseau », est descendu par ses compagnons dans le puits à l'aide d'une corde. Gambar remplissant les cruches d'eau, se fait attraper par les jambes par une force mystérieuse. Lorsqu'il rouvre les yeux, il découvre trois grenouilles à côté d'un homme richement vêtu. Ce mystérieux étranger révèle à Gambar, que le mauvais génie du désert le retient prisonnier au fond du puits et que le seul moyen de le libérer est que Gambar réponde à une question : « Regarde bien ces trois grenouilles et dis-moi laquelle est la plus belle ». La première grenouille était une ravissante petite bête d'un beau vert comme taillée dans de l'émeraude. La seconde avait un corps disproportionné par rapport à sa tête. La troisième ressemblait à un crapaud. Gambar, se doutant qu'il ne faut pas se fier aux apparences et pensant fortement à Chouchanik déclare simplement « La plus belle, c'est celle que notre coeur aime ! ». La grenouille qui ressemble à un crapaud se change alors en une belle jeune femme, la fiancée de l'homme prisonnier du puits. En guise de récompense, ils offrent à Gambar, trois grenades, que le génie du désert avait caché sous terre. Lorsque Gambar ouvre les fruits merveilleux, il découvre qu'ils sont remplis de pierres précieuses. Devenu riche grâce aux gemmes, il retrouve Chouchanik ainsi que la bienveillance du roi.

Cette tradition des « 3 fruits » est ancienne. Déjà dans les contes des Mille et Une nuits, un conte de Shéhérazade s'intitulait « Histoire des trois pommes ». Un jeune homme dont la femme vient à peine de se rétablir d'une grave maladie, lui proposer d'aller au hammam pour poursuivre sa cure :

« Je voulus alors l'envoyer au hammam, mais elle dit qu'il y avait quelque chose qu'elle désirait avant d'entrer au bain, quelque chose dont elle avait depuis longtemps une très grande envie. « Qu'es-ce donc ? » lui demandais-je. « L'envie que j'ai depuis longtemps, c'est de sentir et de croquer une pomme ! »

Le jeune homme chercha partout dans la ville, au marché, mais il ne put trouver ce fruit du désir... Il questionna alors un vieux jardinier pour les trouver :

« O mon fils, me dit-il, la pomme, c'est une rareté que tu ne trouveras ni ici, ni ailleurs, si ce n'est dans le seul jardin du Prince des Croyants, celui de Basra ; mais ces pommes-là sont réservées exclusivement à sa majesté ».

L'époux marcha longtemps et fit un voyage de deux semaines afin de parvenir jusqu'à ce beau jardin. Il acheta trois pommes au jardinier de Basra (il s'agit de Bassorah, port important d'Irak) pour trois dinars (l'histoire ne révèle pas pourquoi le jeune homme a acheté trois pommes alors que sa femme n'en souhaitait qu'une seule. De plus, étant pauvre, il aurait été plus logique que l'homme ne dépense qu'une pièce d'or au lieu de trois. Peut-être que c'est justement pour cette raison que la symbolique numérique prend ici tout son sens ?)

Lorsqu'il rapporta les pommes à sa femme, celle-ci était retombée malade, de telle sorte qu'elle ne pouvait croquer dans aucune des pommes. Elle les laissa sur sa table. Son mari parti au travail

Illustration de Claire Moussiegt.Proserpine. Tableau de Dante Gabriel Rossetti.

croisa dans la journée un esclave noir tenant dans sa main une magnifique pomme. Intrigué, il lui demanda où il l'avait trouvé ? L'esclave répondit qu'une femme lui avait laissé et que c'est son « innocent » mari qui était allé les chercher pour elle. L'homme soucieux rentra chez lui et constata qu'en effet il n'y avait plus que deux pommes.Furieux, et certain d'une trahison de sa femme, il la tua dans sa colère, la coupa en morceaux, les mit dans un coffre qu'il jeta dans le Tigre. Lorsqu'il fut rentré, il aperçu son fils aîné en larmes. L'enfant lui révéla qu'il avait volé la pomme à sa mère pour aller jouer et qu'ensuite un esclave noir lui avait arraché des mains en lui demandant d'où il la tenait. L'enfant terrorisé répondit à l'esclave. C'est ainsi que les paroles de l'enfant furent détournée par ledit esclave (qui se trouve être un soudanien appelé Rihân, qui n'est autre que l'esclave de Giafar, vizir du calife Haroun al-Rachid).

Dans ce conte la pomme change plusieurs fois de statut. Elle est tour à tour, objet du désir, synonyme de rareté, puis fruit de la convoitise (esclave) et de la gourmandise (enfant), pour déterminer par objet de discorde au yeux du mari.

Ce n'est pas la première fois dans un conte que la pomme est un fruit qui cause la mort. Dans le Conte du Genévrier des frères Grimm c'est la pomme qui va causer la mort du jeune garçon, né par miracle sous un genévrier, détesté par sa belle mère. À la mort de sa mère véritable, le père de l'enfant s'est remarié avec une femme dont il a eu une nouvelle fille. Cette seconde épouse aimait sa fille autant qu'elle haïssait le petit garçon, qui n'était pas de son sang. Chaque jour sa haine grandissait envers lui. Alors un jour elle décida de le tuer. Alors qu'il rentrait de l'école, elle lui proposer de choisir une pomme dans le bahut (meuble massif servant au rangement) :

« Mais quand elle le vit qui revenait, en regardant par la fenêtre, ce fut vraiment comme si le Malin l'avait possédée : elle reprit la pomme qu'elle avait donnée à sa fille, en lui disant : « Tu ne dois pas l'avoir avant ton frère. » Et elle la remit dans le bahut, dont elle referma le pesant couvercle. Et lorsque le petit garçon fut arrivé en haut, le Malin lui inspira son accueil aimable et ses paroles gentilles : »Veux-tu une pomme, mon fils ? » Mais ses regards démentaient ses paroles car elle fixait sur lui des yeux féroces , si féroces que le petit garçon lui dit :-Mère, tu as l'air si terrible : tu me fais peur. Oui, je voudrais bien une pomme.Sentant qu'il lui fallait insister, elle lui dit :-Viens avec moi ! Et, l'amenant devant le gros bahut, elle ouvrit le pesant couvercle et lui dit : Tiens ! Prends toi-même la pomme que tu voudras ! Le petit garçon se pencha pour prendre la pomme, et alors le Diable la poussa et boum ! Elle rabattit le lourd couvercle avec une telle force que le tête de l'enfant fut coupée et roula au milieu des pommes rouges.

C'est aussi dans Blanche neige que la pomme est fatale. Si l'on se reporte à l'étude d'Alain Mignot (docteur en sociologie) qui a étudié l'aspect alchimique des contes, intitulée Blancheneige et autres contes. La quête de la Pierre Philosophale, il nous rappelle que la pomme qui a une partie rouge (empoisonnée) et une partie blanche (non empoisonnée) est ce qui fait mourir blanche neige. En effet la marâtre avait déjà essayer de la tuer par deux fois, d'abord à l'aide d'un peigne empoisonné, puis avec une ceinture tressée de soie multicolore (mais les deux stratagèmes sont déjoués par les nains). C'est donc par le fruit (symbole du jardin d'Eden nous rappelle Alain Mignot assimilant Blancheneige à Eve) que la princesse meurt :

« Mais à peine eut-elle mis un morceau dans sa bouche, qu'elle tomba morte au sol. Alors que les deux fois précédentes, Blancheneige était tombée inanimée ou le souffle coupé, cette fois-ci, le conte nous dit qu'elle est morte. La différence est très importante. Autant, les deux premières fois, s'agissait-il de la mort accidentelle alchimique, pour peu que l'on puisse parler d'accident, autant, cette troisième fois, c'est la mort absolue qui est donnée par la marâtre à Blancheneige, puisque les nains n'ont pu découvrir quel était le motif de l'inanimation de la jeune fille. »

À chaque fruit, son conte !

Le raisin.

L'un des contes les plus emblématiques sur le raisin est Le conte des raisins de la Noël.3 Ce conte raconte l'histoire d'un jardinier fort habile, capable de faire pousser du raisin en hiver ! Voici ce que le conte en dit :

« Il y avait une fois, un jardinier si habile dans le choix des plants, des greffes, et dans la conduite

3 H. Pourrat, Le trésor des contes (1).

illustration de Walter Crane pour les contes de Grimm (1882, xylographie).

des espaliers, qu'il réussissait à avoir des poires quinze jours avant qu'aucun autre en eût. D'autre part, il avait trouvé le moyen de conserver au cœur de l'hiver des grappes aussi fraîches qu'au temps de la vendange. On croit qu'avec la grappe, en septembre, il coupait le sarment et le plantait en cave dans une betterave rouge. Par cette astuce, à la Noël, il avait des raisins sans rides. »

Comme il savait que le roi était friand de fruits, il décida de lui en apporter avec sa femme, au château. Cependant le garde suisse, à la porte du château, lui réclama un tiers de la récompense qu'il obtiendrais pour ses beaux raisins. En haut de l'escalier, le grand laquais réclama également un tiers de la récompense puis ce fut au valet de chambre qu'il fallait verser un tiers de la somme future afin que le cultivateur puisse voir le roi. Le souverain ayant trouvé les raisins savoureux, demanda au paysan quelle récompense il souhaitait avoir. Ce dernier lui répondit qu'il ne souhait que soixante coups de bâton...

L'histoire va finalement bien se terminer puisqu'aucun des employés royaux n'aura de punition et le paysan sera fait jardinier de tous les vergers et jardins du roi.Il est intéressant de constater que dans ce conte, ce sont les raisins qui sont mis en relation avec Noël alors qu'on s'attend plus naturellement à des oranges, comme le veut la tradition.

Le cerisier.

Un conte Peul (ensemble de populations de l'Afrique de l'ouest : Sénégal, Mali, Guinée...) est consacré au cerisier et en fait son apologie de façon très poétique. Il s'intitule L'arbre qui voulait rester nu. Il débute par une très belle entrée en matière sur la naissance de l'arbre :

Il était une fois un arbre. Au beau milieu d’un verger, il était sorti de terre, petite pousse verte et fragile se confondant avec les herbes alentours. Curieux de tout, il regarda bien vite le monde qui l’entourait, les fleurs qui s’ouvraient le matin et se refermaient le soir, les oiseaux qui sifflaient en sautant de branche en branche, le paysan qui venait tôt le matin cueillir les fruits des arbres, les graminées qui ondulaient sous la caresse des vents... Ah! Il le trouvait beau ce monde autour de lui, il avait envie lui aussi de participer à cette beauté, de trouver sa place dans cette harmonie. Une année s’écoula et, ayant grandi, il était devenu un petit rameau portant quelques tiges. Il se rendit compte qu’il n’était pas un brin d’herbe comme il l’avait cru tout d’abord, mais un arbre et se mit à observer plus attentivement ses aînés.

Il s'aperçut alors que son écorces et ses branches n'étaient pas semblables à ses voisins les beaux arbres fruitiers, les mirabelliers, poiriers, pommiers... Ayant peur de ne pas être aussi beau, aussi fort, de ne pas pouvoir porter autant de fruits, il décida d'anticiper les moqueries et la honte futur, et

de ce fait de ne produire ni fruits, ni feuilles, ni fleurs... Le temps passa et son tronc s'épaississait, ses branches s'allongeaient mais il ne lui poussait aucun fruits et aucunes feuilles.

Pour ne pas se trouver nu face aux autres, il s’était depuis son jeune âge laissé peu à peu recouvrir par un lierre grimpant, par des liserons et par des bouquets de gui: ne sachant à quoi il pourrait ressembler, il se couvrait d’une beauté qui n’était pas la sienne.

Le propriétaire du jardin trouvant que cette arbre lui était inutile puisqu'il ne produisait aucuns fruits, décida de le couper pour en faire du bois de chauffage. Il mit une journée entière à arracher le lierre qui s'entrelaçait autour du tronc. L'abattage fut donc remis au lendemain. Pendant la nuit des oiseaux vinrent picorer le gui tandis qu'un vers parasite piqua le liseron. L'arbre était redevenu nu. Gêné, l'arbre décida de laisser pousser des fleurs et des feuilles afin de se couvrir. Ainsi de belles fleurs blanches vinrent garnir ses rameaux. Le lendemain le jardinier fut tellement surpris de trouver un magnifique cerisier à la place du tronc qu'il laissa la veille qu'il décida de ne pas l'abattre. Depuis les enfants du jardinier se régalent des cerises de l'arbre autrefois nu, qui a retenu une leçon importante :

Il a compris que ni la texture de l’écorce, ni le tracé des branches, ni la forme des feuilles, ni la couleur des fleurs n’ont d’importance: seuls importent les fruits qu’il porte et que nul autre que lui ne peut porter.

Ce conte illustre parfaitement les propos de Christiane Seydov dans son ouvrage Conte Peuls (2002) :

« Leur littérature est très riche et variée : amoureux de leur langue, ils sont de grands poètes ; leurs griots sont aussi des artistes talentueux qui, célébrant les exploits de leurs héros préférés, perpétuent les valeurs et les qualités auxquelles ils sont attachés. Quant aux contes, c'est la parole la mieux partagée. »

Les poires.

Un conte de Gascogne, « Les poires de Saint Martin », rapporté par Michel Cosem dans Contes traditionnels de Gascogne (1993) lie la poire à un récit hagiographique.Saint Martin voyageait en Hongrie, c'était l'été et la plaine poussiéreuse était grande. « Il avait soif et ne pouvait se contenter de l'eau croupie au goût de grenouille qu'il trouvait dans les mares ». Un soir il fit une prière à Dieu :

« Faites-moi entrer dans un jardin où il y a des fruits de toutes les couleurs. Je choisirai celui qui aura le plus de saveur ».

Dieu créa donc un verger magnifique avec de nombreux arbres fruitiers dont il donna la garde à

Marie. Saint Martin trouva le verger. Il ne pouvait choisir parmi les abricots, oranges, dattes, pommes, figues, amandes, mandarines et bananes... Mais le voyageur chercha encore :

« Il souleva le lourd feuillage d'un petit arbre assez commun et découvrit de belles poires vertes, ombrées, mystérieuses. Elles étaient bien sagement alignées le long de la branche, comme des oiseaux qui réfléchissent avant de quitter leur nid ». Il en goûta une : « ce fut un vrai délice, la chair blanche était fondante, sucrée, avec de multiples goûts à chaque bouchée ».

Il décida ensuite de se rendre en Gascogne. « On disait que la terre, là-bas, rendait mille fois plus que ce qu'on lui donnait ». Saint Martin souhaitait planter sa dernière poires dans ces terres.

Arrivé sous les murs d'Auch (chef-lieu du Gers), il se fit attaquer par 7 bandits. Impressionnés par le Saint, ces derniers lui proposent un « arrangement » : « comme tu n'as pas appelé au secours, il faut que ce soit toi qui donnes... »

Il fendit son unique poire en deux et donna les sept pépins du fruits aux soldats. Il découvrit par la suite, après la porte d'Auch, un petit coin de terre à l'abri du vent et y planta sa poire. C'est depuis ce temps là que court la légende que les poires de l'intérieur des murs d'Auch sont sans pépins !

Saint Martin a souvent été un saint lié aux fruits. Au chapitre XIII de la Vie de Saint Martin de Tours intitulé « Le lion et les dattes », on peut lire qu'un lion accepte aussi sagement qu'un animal domestique de manger les dattes d'un palmier qu'on lui tend.

Un autre conte sur la poire est intéressant car cette fois-ci la poire est liée à un insecte : le papillon. Dans « L'histoire du papillon », Daniel, le héros de l'histoire pense que les papillons ont des ailes pour que ce soit plus amusant de les chasser. Seulement il ne parvenait à en attraper aucun. Alors un jour il trouva un stratagème :

« Un jour, il résolut de tendre un piège au vulcain, ce magnifique papillon rouge et noir, l'un de ceux qui volent le mieux dans le monde des papillons. Daniel savait qu'il était très friand de poires et que quand il s'installait pour en boire le jus sucré, il ne prêtait plus du tout attention à ce qui se passait autour de lui. Il prit donc la poire la plus mûre qu'il put trouver et la posa sur la fenêtre de sa chambre. »

Daniel le captura et le mis en cage. Il s'imaginait qu'en lui donnant de nombreuses poires, le papillon aurait des ailes aussi grosses que celles d'un avion. Mais le papillon ne mangeait pas et était malheureux. Alors il conclut un marché avec le jeune garçon. Si Daniel pouvait rester cinq minutes sans bouger dans le jardin, alors Vulcain mangerait. Dans le cas contraire Daniel devait le libérer. Daniel accepta le défi mais ne put rester en place car de nombreux papillons vinrent chatouiller l'enfant. C'est ainsi que Vulcain4 fut sauvé par ses compagnons !

4 Un vulcain est un papillon diurne de la famille des vanesses (comprenant d'autres papillons au vol rapide tels le morio, la belle-dame, le paon de jour).

Conclusion.

Le conte est analysée d'un point de vue psychanalytique par Bruno BETTELHEIM dans Psychanalyse des contes de Fées : « Les contes inculquent à l’enfant des espoirs à une période de sa vie où il ne peut pas encore envisager avec confiance que ses efforts lui vaudront l’accomplissement de ses souhaits les plus chers, de ses désirs les plus ardents. » Le conte leur donnent «l’occasion de concrétiser des angoisses indéterminées et en même temps, de les rendre beaucoup plus maîtrisables. »Ainsi dans le cas des contes qui ont pour thème les fruits, l'on pourrait penser que ce sont au premier abord, des contes enfantins, amusants, emprunts de naïveté. C'est bien sûr le cas pour certains mais à y regarder de plus près (et avec les exemples que j'ai fourni) il est aisé de se rendre compte que les contes sur les fruits abordent des thèmes importants (la mort, la religion, des valeurs morales et des questions existentielles) et ne délaissent pas la notion de peur « métaphysique » nécessaire à l'enfant. Les contes sur les fruits font souvent appel aux origines et au croyances sur ceux-ci (tant les vertus médicinales, que la théologie notamment dans le cas du pommier). Les fruits sont le thème qui permet d'introduire des notions importantes chez l'enfant (désir/tempérance/convoitise) mais aussi le concept de différence.

Les fruits occupent dans le domaine des contes, au même titre que les arbres, la botanique, une place fondamentale. La nature, de même que l'humain sont les espaces de prédilections de l'intrigue du conte. Les fruits à l'image du conte ont investi de nombreux aspects de l'oralité, le proverbe en est un. Et je citerai ce proverbe anglais sur la pomme en guise de conclusion, et qui peut s'attribuer aux contes également :

« An apple a day keeps the doctor away ! »

Tony GOUPIL