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LES FORMES D’EXPRESSION DES LIBERTES DU CITOYEN LES SYNDICATS SANGO MATHIAS 1 Chap. 4 LES SYNDICATS Introduction Face à la toute-puissance de la bourgeoisie industrielle, les ouvriers du XIXe siècle ont opté pour leur regroupement afin de défendre leurs intérêts professionnels. A ces regroupements, on a donné le nom de syndicats. Le syndicat est donc un regroupement constitué par des personnes exerçant une même profession, ou des professions connexes ou similaires, pour l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels des personnes visées par les statuts. Le syndicalisme est l'activité exercée dans le cadre d'un syndicat de salariés ainsi que le fait de militer dans un syndicat. Le syndicalisme est aussi la doctrine sociale selon laquelle les salariés, commerçants, agriculteurs et généralement tous les travailleurs doivent se regrouper au sein de syndicats afin de pouvoir défendre leurs intérêts communs (salaires, conditions de travail, temps de travail, sécurité de l'emploi…). Le syndicalisme désigne enfin l'action des syndicats. I- L’APPARITION DES SYNDICATS OU LA NAISSANCE DU MOUVEMENT SYNDICAL Le mouvement syndical ou syndicalisme consiste en la défense des intérêts communs des travailleurs. Le syndicalisme est aussi le mouvement ayant pour objectif de grouper des personnes exerçant une même profession en vue de la défense de leurs intérêts. Le syndicalisme sous sa forme moderne 1 est né en Europe dans les années 1880, résultant de la Révolution industrielle, de ses changements démographiques, politiques et surtout idéologiques. A- Le contexte 1- La concentration industrielle et démographique La fin du XIX e siècle voit l'essor d'une vaste classe industrielle. Ainsi dans les années 1880, 50 % de la population active travaillent dans le secteur secondaire au Royaume-Uni, 40 % en Allemagne et 27 % en France. De grandes régions industrielles se développent 1 L’action collective des travailleurs est antérieure au capitalisme industriel. On se souvient que la grève la plus ancienne citée dans l’histoire eut lieu en 1500 avant J.C. en Egypte, parmi les ouvriers esclaves occupés à édifier les pyramides. Elle fut provoquée par l’insuffisance de nourriture. Les Pharaons la réprimèrent dans le sang. Il y eut des grèves en Chine, 600 ans avant J.C., à Byzance sous Constantine, en Angleterre en 1271 parmi les ouvriers agricoles. Pourtant, c’est avec la montée de l’industrie et du salariat que le syndicalisme va se développer.

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LES FORMES D’EXPRESSION DES LIBERTES DU CITOYEN

LES SYNDICATS

SANGO MATHIAS

1

Chap. 4

LES SYNDICATS

Introduction

Face à la toute-puissance de la bourgeoisie industrielle, les ouvriers du XIXe siècle ont opté

pour leur regroupement afin de défendre leurs intérêts professionnels. A ces regroupements,

on a donné le nom de syndicats. Le syndicat est donc un regroupement constitué par des

personnes exerçant une même profession, ou des professions connexes ou similaires, pour

l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs

qu’individuels des personnes visées par les statuts. Le syndicalisme est l'activité exercée dans

le cadre d'un syndicat de salariés ainsi que le fait de militer dans un syndicat. Le syndicalisme

est aussi la doctrine sociale selon laquelle les salariés, commerçants, agriculteurs et

généralement tous les travailleurs doivent se regrouper au sein de syndicats afin de pouvoir

défendre leurs intérêts communs (salaires, conditions de travail, temps de travail, sécurité de

l'emploi…). Le syndicalisme désigne enfin l'action des syndicats.

I- L’APPARITION DES SYNDICATS OU LA NAISSANCE DU MOUVEMENT SYNDICAL

Le mouvement syndical ou syndicalisme consiste en la défense des intérêts communs des

travailleurs. Le syndicalisme est aussi le mouvement ayant pour objectif de grouper des

personnes exerçant une même profession en vue de la défense de leurs intérêts. Le

syndicalisme sous sa forme moderne1 est né en Europe dans les années 1880, résultant de

la Révolution industrielle, de ses changements démographiques, politiques et surtout

idéologiques.

A- Le contexte

1- La concentration industrielle et démographique

La fin du XIXe siècle voit l'essor d'une vaste classe industrielle. Ainsi dans les années 1880,

50 % de la population active travaillent dans le secteur secondaire au Royaume-Uni, 40 % en

Allemagne et 27 % en France. De grandes régions industrielles se développent

1 L’action collective des travailleurs est antérieure au capitalisme industriel. On se souvient que la grève la plus

ancienne citée dans l’histoire eut lieu en 1500 avant J.C. en Egypte, parmi les ouvriers esclaves occupés à édifier

les pyramides. Elle fut provoquée par l’insuffisance de nourriture. Les Pharaons la réprimèrent dans le sang. Il y

eut des grèves en Chine, 600 ans avant J.C., à Byzance sous Constantine, en Angleterre en 1271 parmi les

ouvriers agricoles.

Pourtant, c’est avec la montée de l’industrie et du salariat que le syndicalisme va se développer.

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essentiellement autour des bassins miniers : le centre de la France, une vaste bande

comprenant le Nord, l'Alsace-Lorraine, la Sarre, la Ruhr, la Saxe et la Silésie, une grosse

partie du Royaume-Uni des Midlands aux Lowlands.

Entre 1875 et 1895, la concentration des entreprises progresse de façon considérable, par la

formation d'entreprises « géantes » pour l'époque et la conclusion d'ententes entre ces

entreprises. En 1876, la moitié de la production industrielle de la Ruhr, par exemple, vient des

trois firmes Haniel, Thyssen et Krupp. En France, l'exemple le plus frappant reste l'usine-

monstre du Creusot qui regroupe dans les années 1870 plus de 10 000 ouvriers sur près de 130

hectares d'usines et 80 km² de concessions minières. Autre exemple, la Badische Anilin und

Soda Fabrik (BASF) emploie 7 000 ouvriers en 1870 et 77 000 en 1882. Ce sont de véritables

villes-usines qui existent dans les années 1880 essentiellement dans les secteurs miniers,

sidérurgiques et chimiques. Cette concentration industrielle autour de grandes entreprises ou

de régions fortement industrialisées a un fort impact sur les mutations démographiques.

On assiste durant le XIXe siècle à une forte croissance de la population totale : 85 % par demi-

siècle pour le Royaume-Uni, 50 % pour l'Allemagne et 20 % pour la France [réf. nécessaire]

.

Cette croissance s'accompagne d'une forte urbanisation liée directement à l'activité

industrielle : en 1880, 26 % de la population au Royaume-Uni habitent dans des villes de plus

de 100 000 habitants, 8 % en Allemagne et 10 % en France (4 % en 1850)[réf. nécessaire]

. Le

phénomène se nourrit essentiellement par l'immigration rurale. Par exemple en France, entre

1872 et 1891, 87 % de l'augmentation des villes vient de l'immigration. Même s'il existe de

profondes différences entre les pays d'Europe occidentale, cette concentration joue un rôle

essentiel dans l'essor du syndicalisme, car c'est principalement parmi les ouvriers urbains que

celui-ci recrute. Les grandes villes ouvrières deviennent-elles des capitales syndicales :

Manchester, Lille, Essen, Barcelone, Milan, etc.

La proximité des ouvriers tant sur leur lieu de travail que dans les nouvelles cités ou régions

industrielles, alliée à la rupture sociale que vivent certaines populations déracinées de leurs

anciennes communautés (familiales, ethniques, rurales) et qui ont émigré, les amènent à

acquérir rapidement une nouvelle identité de masse : celle de la classe ouvrière, du

prolétariat[réf. nécessaire]

. À la main-d'œuvre des vieux métiers à forte qualification s'ajoute

désormais celle des nouvelles industries qui se contente en général d'une formation sommaire

qui, en cas de chômage, rend son réemploi difficile. Elle n'a d'autre force que la masse qu'elle

représente.

2- La condition ouvrière

Même si les progrès économiques profitent à la société dans son ensemble, la condition de vie

de la classe ouvrière n'est guère enviable et c'est là une des premières revendications des

syndicats : avant de « changer la société », les ouvriers veulent tout simplement « vivre

mieux ».

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Si la valeur du salaire nominal est en progrès, par-delà les inégalités de toutes sortes, le

pouvoir d'achat est très variable. Dans l'ensemble, on peut parler de stagnation, d'autant plus

qu'aux fluctuations salariales, il faut juxtaposer celles de l'emploi, car le chômage total ou

partiel est fréquent. Au congrès ouvrier de Marseille de 1879, est présenté un budget ouvrier.

En ne comptant ni les vêtements, ni la maladie, ni l'achat d'un journal ou le paiement d'une

cotisation, on arrive à un total de dépenses de 19,74 francs français. Or l'ouvrier en question

ne gagne par semaine que 17,50 francs. Sa famille doit donc apporter le complément

nécessaire (puisque les femmes sont sous-payées par rapport au même travail que celui fourni

par un homme il est répandu à l'époque d'envoyer travailler ses enfants eux-mêmes sous-

payés).

Sur 20 000 ouvriers dans le Nord de la France, les 4/5e ne gagnent pas 14 francs et plus de

4 000 familles ne possèdent d'autres ressources que le travail du père. William Booth, le

fondateur de l'Armée du salut montra en 1888 qu'un tiers de la population de Londres vivait

« dans la misère ». En se basant sur le revenu, E.S. Hobsbawm estime à 87 % la population

des pauvres et très pauvres - ouvriers et paysans - dans le Royaume-Uni victorien.

Les ouvriers d'Europe occidentale souffrent aussi de dures conditions d'existence : quasiment

aucune protection sociale contre la maladie et la vieillesse jusqu'en 1880, répression des

grèves et mécontentements, lois limitant la durée du travail rarement respectées (11 heures

d'après la loi de 1848 en France)[réf. nécessaire]

, règlement intérieur excessif. Les ouvriers sont

également les premiers à souffrir en période de crise. 1873-1896 correspond à la phase B du

cycle Kondratieff avec la « grande dépression »[réf. nécessaire]

. C'est donc une période encore plus

dure pour les classes laborieuses européennes. L'ouvrier est aussi traité comme un paria :

jusqu'à 1890, tous les ouvriers français doivent posséder un livret ouvrier qu'ils soumettent au

contrôle des autorités lors de leurs déplacements.

En 1892, Henri Schneider, patron du Creusot en 1892, déclare (d'après Jules Huret, Enquête

sur la question sociale en Europe, 1897) :

« C’est comme la réglementation du travail des femmes, des enfants, on met des entraves

inutiles, trop étroites, nuisibles surtout aux intéressés qu'on veut défendre »

« pour moi la vérité, c'est qu'un ouvrier bien portant peut très bien faire ses dix heures par jour

et qu'on doit le laisser libre de travailler davantage si ça lui fait plaisir ! »

L'entassement dans des quartiers à forte densité, l'alcoolisme, la violence, la dislocation des

familles, le travail des enfants, une certaine résignation et l'opposition aux classes dominantes

peuvent expliquer l'esprit des ouvriers européens d'alors.

3- Évolution des politiques gouvernementales européennes

Même si le XIXe siècle semble marqué par le sceau de la misère et du labeur, les historiens

notent également l'évolution des pouvoirs occidentaux. Devenus plus démocratiques et plus

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soucieux du respect de la population que ne l'étaient leurs prédécesseurs monarchiques, ils

commencent à faire écho aux revendications des ouvriers.

En France, en 1868, Napoléon III s'était efforcé de développer crèches, orphelinats, caisses

d'assurance. En 1864, le droit de grève est accordé en France, en 1874, l'inspection du travail

est créée et en 1884 la loi Waldeck-Rousseau règle la question de la liberté syndicale.

En Allemagne, Bismarck crée des caisses de secours (1875) et d'assurance-maladie (1883).

Au Royaume-Uni, le droit de grève est accordé depuis 1824 et avec le ministère Disraeli

(1874-1880) les ouvriers bénéficient d'avantages importants : droit de grève total, patron et

ouvrier égaux devant la loi, limitation du temps de travail, etc.

Mais il ne faut pas voir dans ces progrès de la législation sociale, l'avènement de

gouvernements réformateurs mais plutôt le début d'une prise en compte du problème ouvrier

et les milieux ouvriers l'ont compris, conscients que ce nouveau contexte leur permettra de

revendiquer davantage [réf. nécessaire]

. L'État commence en effet à donner un cadre légal à

l'organisation économique libérale.

Il convient de remarquer que le Royaume-Uni présente un net décalage dans les différentes

tendances mentionnées plus haut : sa Révolution Industrielle s'est faite dès la fin du

XVIIIe siècle, son explosion démographique a plutôt eu lieu dans la première moitié du

XIXe siècle, la liberté syndicale date de 1824. Toutefois, l'internationalisme qui caractérise le

phénomène ouvrier des années 1980 amène le syndicalisme britannique à faire peau neuve

également dans cette période et en quelque sorte celui-ci est en phase temporellement avec le

reste de l'Europe occidentale, ce qui ne l'empêche pas de se différencier par ailleurs.

4- Courants idéologiques et évolution des mentalités

L'un des facteurs, peut-être le plus fondamental qui a déterminé le mouvement syndical qui

s'est développé dans cette seconde moitié du XIXe siècle réside dans l'évolution des mentalités

et surtout dans la mise en place et la diffusion de courants de pensée qui valorisent le monde

ouvrier tels le socialisme ou l'anarchisme mais également d'un ensemble de notions de

contestation sociale.

De nombreuses démarches militantes voient le jour dès 1850. Depuis les œuvres de Zola –

L'Assommoir en 1876 qui peint la misère ouvrière parisienne et Germinal en 1885 qui

dénonce les conditions de vie affreuses des mineurs – jusqu'aux discours d'Hugo contre le

travail des enfants en 1875 en passant par la sympathie plus ou moins affirmée de l'opinion

pour la cause ouvrière, des voix s'élèvent qui montrent bien la prise de conscience générale de

la question ouvrière. Mais ce qui a forgé le plus la détermination syndicale naissante, ce sont

les courants de pensées politiques nés de l'opposition entre les masses laborieuses et les

milieux capitalistiques : socialisme, marxisme, anarchisme. Il serait trop ambitieux de vouloir

développer ici toute l'histoire et les thèses de ces mouvances mais il convient toutefois d'en

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rappeler brièvement quelques éléments déterminants qui pourront nous aider à comprendre

plus tard le syndicalisme en lui-même.

Dès la première moitié du XIXe siècle, des groupes socialistes s'élèvent contre l'injustice de la

société capitalistique et l'absurdité des crises économiques qu'on pourrait éviter. Ils proposent

une organisation de la société plus juste et plus rationnelle à leurs yeux.

Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895) donnent un nouvel élan à la critique

socialiste. Pour Karl Marx, toutes les sociétés étant dominées par la « lutte des classes », le

système capitalistique doit déboucher inéluctablement sur la révolution qui donnera le pouvoir

au prolétariat. Pour hâter la victoire, les travailleurs doivent d'après lui se grouper en parti de

classe, tous pays confondus. La nouvelle société qui en résultera sera basée sur le

communisme où les classes n'existeront plus et aucune catégorie ne sera exploitée puisque les

bénéfices du travail profiteront à tous. Telle est la vision globale du marxisme qui se présente

comme la prise de conscience théorique par excellence des tâches historiques qui incombent

au prolétariat.

Le socialisme trouvera à s'exprimer dans de nombreux pays par l'intermédiaire des relais que

sont les partis nationaux comme le Parti Ouvrier Français fondé en 1879, le parti ouvrier

social-démocrate allemand créé en 1869 ou la Société fabienne, organisation spécifiquement

britannique qui prônera un socialisme modéré non marxiste à partir de 1884. Mais dans

l'ensemble, les partis socialistes resteront très influencés par le marxisme après 1880.

L'anarchisme de son côté s'est principalement développé après 1850 en Russie, en France, en

Italie et en Espagne. Son rôle a été prépondérant dans les milieux intellectuels et syndicalistes.

Tirant essentiellement ses idées de Proudhon, Bakounine et Kropotkine, l'anarchisme refuse le

capitalisme mais aussi la dictature du prolétariat. C'est un rejet global de tout ce qui limite la

liberté de l'individu. Son idéal, et c'est ce en quoi il rejoint certaines conceptions syndicalistes,

réside dans une société formée d'une fédération de petits groupes autonomes, solidaires au

sein desquels les richesses sont réparties en fonction des besoins de chacun. C'est en quelque

sorte le pendant du mouvement coopératif et mutualiste qui marqua les syndicalismes à leurs

débuts.

Tous ces courants de pensée se confrontèrent au sein des Internationales dont il convient

ici de parler. La première Internationale (Association internationale des travailleurs) fut

fondée à Londres en 1864 à l'initiative des travailleurs français et britanniques et de Karl

Marx. Son lien avec le syndicalisme européen et le mouvement ouvrier dans son ensemble fut

immense mais aussi ambigu car c'est une organisation déchirée qui meurt en 1876, divisée

entre Marx, Proudhon et Bakounine. La seconde Internationale, fondée à Paris en 1889 par un

congrès composé de représentants socialistes de 23 pays compta sur la lutte des classes pour

établir la dictature du prolétariat et collectiviser les moyens de production et d'échanges.

L'influence de ces Internationales fut énorme : elles constituaient le cœur même de la

réflexion et de l'action ouvrière et cimentaient les destins de l'ensemble de la classe laborieuse

européenne, consciente désormais de son unité et de l'œuvre à accomplir. Tous ces courants

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de pensée donnèrent enfin à la classe ouvrière une base théorique et un idéal militant,

facteur qui contribua grandement à l'essor du syndicalisme européen dans les années

1880.

B- L'action ouvrière

Toutes ces circonstances ainsi que l'évolution du contexte légal permettent au

syndicalisme, dans cette deuxième moitié du XIXe siècle, de se développer et de devenir

une force dont il faut désormais tenir compte. Ainsi, alors que le Royaume-Uni compte

500 000 syndiqués en 1875, ils sont au nombre de 1,6 million en 1892; 350 000 en 1890 en

Allemagne; la France voit de son côté le nombre de syndicats passer de 500 en 1881 à 2 300

en 1895. Sans pour autant parler d'explosion, il s'agit bien là d'un essor sans précédent. Les

années 1880 marquent une sorte de naissance. Mais au-delà de l'ampleur numérique du

phénomène syndical européen, le continent connaît dans cette période un essor frappant

de l'action ouvrière qui se diversifie, s'organise et s'accroît.

1- Entraide et promotion

Sous un premier aspect, le syndicalisme se présente comme une communauté créée par les

ouvriers le plus souvent dans les villes, pour répondre notamment à des besoins

psychosociologiques de solidarité (atmosphère fraternelle, entraide, etc.) rendus d'autant plus

fort que l'anonymat des villes et des usines est plus vivement ressenti (paysans déracinés,

immigrants, etc.). On retrouve ici l'aspect communautaire (Gemeinschaft en allemand) que

soulignait Tönnies à la fin du siècle dernier. Les syndicats fournissent à leurs adhérents

logement, secours mutuels. Ils sont un moyen de promotion collective de la classe ouvrière et

informent les militants sur les lois, les conditions de travail, les moyens de lutte ouvrière.

Les congrès ouvriers organisés par les syndicats se multiplient en Europe occidentale et

peuvent rassembler plusieurs dizaines de milliers de personnes. Par exemple en France : en

1881, à Paris, Clément, Rouzade, Guesde, Chabert tiennent un meeting sur le thème : « de

l'action économique et politique du prolétariat ». En 1883, à La Ferté-sous-Jouarre, c'est

Chabert qui s'explique sur « la grève, son but, ses conséquences ». Ces congrès et meetings

prennent aussi une dimension internationale et les congrès syndicaux internationaux comme

celui de Londres en 1888 permettent une promotion supranationale de la classe ouvrière et la

diffusion des doctrines et propositions. La presse syndicale et socialiste diffuse toutes ces

informations et assure la propagande. On voit aussi dans ces années s'ouvrir des « universités

ouvrières » (alphabétisation, cours de formation ou de perfectionnement).

Les syndicats se dotent aussi d'une dimension mutualiste. En Allemagne, dans les années

1870, les Hirsch Duncker créent des caisses de maladie et d'invalidité et on voit même la

naissance d'une union générale d'assistance des ouvriers allemands. En France, le mutualisme

marque grandement le premier congrès national ouvrier à Paris en 1876]. Cette caractéristique

« communautaire » est un peu moins vraie au Royaume-Uni où les syndicats se définissent

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plutôt comme des « associations permanentes de salariés qui se proposent de définir ou

d'améliorer leur contrat de travail ».

2- Moyens d'action contre le patronat

Très vite, les syndicats, au-delà de l'aspect communautaire hérité des anciennes fédérations

de métiers, deviennent des lieux de revendications et des catalyseurs de l'action ouvrière.

L'Europe de l'Ouest dans ces années-là est le théâtre du mouvement ouvrier très militant.

Conscients de leur importance, les syndicats s'engagent dans l'action contre le patronat.

Négociations dures, boycottage se heurtent cependant très vite à de nombreux obstacles sauf

peut-être au Royaume-Uni où le dialogue semble bien plus aisé notamment grâce au caractère

peu idéologique de son syndicalisme et donc à sa souplesse politique.

Rapidement, la grève2 et les autres manifestations deviennent des vecteurs d'expression

courants de la classe ouvrière. Certes, la grève existait auparavant mais jamais elle n'a pris

une telle ampleur3.

Ainsi, le Royaume-Uni connaît en 1889 et 1890 plus de mille grèves annuelles dont

notamment celle des 40 000 dockers de Londres en 1889 qui paralysa la capitale et frappa

sévèrement l'opinion européenne.

La France de son côté, qui dans la décennie 1870 n'avait connu que 841 grèves, en affronte

dans les années 1880 plus de 1 800. Ces grèves sont aussi plus longues et plus massives : 14

jours de durée et 400 à 500 grévistes en moyenne dans la décennie 80 contre 9 jours et 200

grévistes dans la décennie précédente. Ce sont des grèves comme celles des mines d'Anzin en

1884 qui regroupent 40 000 grévistes pendant 46 jours ou celle des mines de Decazeville en

1886 où le sous-directeur est tué. Sans doute faut-il y voir la conséquence d'une meilleure

organisation. À partir de 1880, plus de 50 % des grèves sont organisées, c'est-à-dire non

2 Cessation collective du travail décidée et organisée par des salariés, dans le but de faire valoir auprès de leur

employeur leurs revendications en matière d’emploi, de salaires et de conditions de travail. 3 Jusqu’au XIXe siècle, en Europe occidentale, les grèves étaient le fait des corporations. En France,

l’insurrection des Canuts lyonnais, en 1831, marqua l’apparition des premières grèves ouvrières. Le mouvement

de grève à l’origine de la révolte concernait certes une catégorie précise d’ouvriers, les travailleurs de la soie, qui

portaient des revendications particulières : l’augmentation de leurs salaires. Mais ce mouvement conjuguait des

caractéristiques originales. Les transformations économiques de la Révolution industrielle avaient favorisé les

grandes concentrations ouvrières autour des pôles de production ; la grève des Canuts rassembla quelque 80 000

ouvriers soyeux. D’autres catégories de travailleurs manifestèrent leur solidarité. Et les insurgés, au lendemain

de la Révolution de juillet 1830, se montraient sensibles aux idéologies socialistes naissantes, en appelant à la «

révolution sociale ». Pour la première fois en France, la grève exprimait la lutte des classes, confrontait les

travailleurs aux employeurs et à l’État. Désormais, la cessation du travail devenait un moment privilégié du

combat ouvrier. Elle allait bientôt s’intégrer dans une stratégie politique. Cette dimension politique de la grève

fut d’abord théorisée par l’Association internationale des travailleurs, fondée en 1864, puis reprise par les

socialistes français. Jean Jaurès l’évoquait lors de la grève des mineurs de Carmaux en 1891.

Le syndicalisme révolutionnaire fit ensuite de la grève l’arme ultime de la classe ouvrière dans sa lutte contre le

capitalisme. En 1906, au congrès de la Confédération générale du travail (CGT), la charte d’Amiens proclamait

que la grève générale était le moyen par lequel la classe ouvrière parviendrait à la révolution.

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spontanées, et les syndicats y jouent un rôle grandissant. En France, par exemple, à partir de

1887, les syndicats se manifestent dans 30 à 40 % des conflits contre 10 à 15 % entre 1871 et

1877, et quand bien même ils ne les organisent pas, ils en sont très souvent à l'origine.

L'Allemagne connaît elle aussi des grèves comme celle des mineurs en 1889 qui provoqua

l'intervention de l'empereur Guillaume II et s'acheva sur un compromis, et, même si les

années 1990 accordent plus de place à la négociation directe et aux conventions collectives,

les grèves demeurent de plus en plus nombreuses : 73 en 1892, 204 en 95 et 852 en 1900.

Le principe de la grève générale est adopté par nombre de syndicats durant la décennie 1880

en Europe occidentale sous l'impulsion des congrès internationaux ouvriers : des villes

entières sont parfois immobilisées, des branches complètes de l'industrie, des régions. Les

manifestations se multiplient également notamment celle du 1er

mai décidée en 1889 par la IIe

Internationale. Les revendications sont généralement liées aux salaires, à la durée du travail,

aux indemnités pour les victimes d'accidents du travail ou même au chômage. Mais la grève

est aussi un instrument de conquête pour les mouvements marxiste ou anarchiste. Le 1er

mai

91, à Carmaux, un appel est lancé :

« (...) debout Travailleurs ! À partir de ce moment ne comptons que sur nous-mêmes pour la

conquête de nos revendications »,

Le reste s'articulant autour de la thématique de l'exploitation par les classes bourgeoises. Le

1er

mai 1890 est l'occasion pour les anarchistes de rappeler dans un tract que « de la Grève

Générale sortira la Révolution qui ne laissera sur terre que des hommes égaux et libres ».

3- La réponse patronale et gouvernementale

Les ouvriers qui n'acceptent pas les conditions de travail s'organisent et s'opposent aux

patrons. Leurs armes : la grève et la création de syndicats. Des personnes, souvent des

bourgeois, proposent de transformer la société : ce sont les premiers «socialistes».

D'importantes grèves ouvrières marquent le XIXe siècle. Les ouvriers disposent d'un moyen

pour s'opposer aux exigences des patrons, sans attendre le vote de lois toujours longues à

venir: ils arrêtent de travailler, ils font grève. Jusqu'en 1864, la grève est interdite: non

seulement les grévistes perdent leur salaire, mais en plus, ils risquent d'être arrêtés, jugés et

emprisonnés. En 1864, Napoléon III accorde le droit de grève. La première grande grève du

XIXe siècle, est celle des canuts, à Lyon, en novembre 1831. Les canuts sont des ouvriers qui

travaillent la soie à domicile, pour des patrons, les soyeux. La grève éclate pour une question

de salaire horaire. Les patrons ayant tiré sur la foule et fait huit morts, les grévistes s'arment à

leur tour; ils occupent la ville. L'armée vient à bout de leur insurrection. L'histoire sociale du

XIXe siècle est marquée par des grèves, dont certaines très importantes : celle des mineurs

d'Anzin en 1884, des verriers de Carmaux en 1895, des ouvriers de la chaussure de Fougères

en 1907.

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Si les syndicats ont été reconnus dans les trois pays étudiés par l'État, ce dernier n'est pas

devenu pour autant favorables aux syndicats. Patrons et gouvernements craignent à court

terme des conséquences économiques : destruction de l'outil de production, arrêts de travail,

baisse de cadence, immobilisation d'industrie entière... - on se rappellera à cet effet le blocus

de Londres par les dockers en 1889 - et surtout à long terme, et plus particulièrement en

France, la progression du marxisme.

Les patrons mettent souvent à l'index les ouvriers syndiqués : « dans l'arrondissement de

Valenciennes, des métallurgistes fermèrent leurs ateliers pendant plusieurs jours, puis les

rouvrirent en disant aux ouvriers qu'on les recevrait s'ils remettaient leurs livrets de syndiqués.

Un industriel ayant ainsi recueilli ces livrets les fit brûler en un tas dans la cour de l'usine ».

Ainsi lors des grèves, le patronat fait-il souvent appel à des non-grévistes venus souvent

d'autre ville mais il peut aussi intimider les grévistes de manière plus ou moins brutale. Par

exemple, en France, en mai 1881, la direction de l'usine Hotchkiss de Saint-Denis, après avoir

tenté de briser le mouvement en employant un personnel extérieur, placarde sur tous les murs

de l'établissement l'avis suivant :

« Messieurs les ouvriers sont informés que ceux d'entre eux qui ne seraient pas disposés à

reprendre leur travail le lundi 28 courant seront considérés comme ne faisant plus partie de

l'établissement. »

De même, un ouvrier du Creusot interviewé en 1892, ajoutera en parlant des grèves : « Dans

le temps, il y a eu des réunions socialistes ici. Tous les ouvriers qui y sont allés ont été

balayés. Tous ! Pas ensemble, mais un par un, pour une raison ou pour une autre. À présent,

on se méfie ».

Car s'il existe désormais un cadre légal au syndicalisme, le licenciement demeure toujours

libres. Le mouvement ouvrier souffre des mêmes intimidations au Royaume-Uni et en

Allemagne (de 1878 à 1881, de très nombreux syndicats seront dissous). Mais ce sont surtout

les interventions armées qui montrent bien jusqu'à quel point l'opposition peut se manifester.

Les descriptions de Zola dans Germinal sont assez explicites quant à la violence des

interventions qui ponctuent régulièrement les agitations sociales. Lors des grèves de

Decazeville, le ministre de la Guerre d'alors, le général Boulanger, accroît sa popularité en

refusant de faire intervenir la troupe. Et les syndicats français n'oublieront pas les 9 morts du

1er

mai 1891 à Fourmies (Nord).

II- Rôle et nécessité des syndicats

Le syndicalisme a toujours placé au centre de ses préoccupations les revendications

concernant le salaire (augmentation ou maintien), le travail (réduction de sa durée

quotidienne, hebdomadaire ou annuelle, établissement puis élargissement des congés, prise en

compte de sa dangerosité, cadences imposées), l'emploi (maintien, mensualisation ou

titularisation). Ces revendications initiales se sont rapidement élargies. Illégaux et quelquefois

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10

contraints à la clandestinité au début de leur existence, les syndicats ont réclamé leur

légalisation et se sont efforcés d'obtenir les meilleures conditions d'exercice de leurs activités.

Quant à la prétention des syndicats de salariés à être capable de faire progresser les salaires,

elle est fortement mise en doute par les économistes. Il existe en effet une loi assez stricte qui

aligne le niveau des rémunérations (financières ou en nature) sur celui des productivités. Des

syndicats peuvent obtenir temporairement et pour quelques activités des conditions plus

avantageuses que celles qu'autoriserait la productivité ; mais ce succès n'est qu'un transfert, au

détriment d'autres salariés ou des consommateurs, et ne saurait durablement remettre en cause

le niveau des rémunérations.

Au niveau politique, les syndicats peuvent être amenés à prendre position contre les régimes

réduisant les libertés. Ils peuvent aussi considérer que tel ou tel conflit international est

contraire à l'intérêt des travailleurs ou, à l'inverse, que leur participation à tel ou tel effort de

guerre est nécessaire. Ils font donc office de groupe de pression4.

Au niveau de l'entreprise, les syndicats cherchent à accentuer leur influence par la

reconnaissance de la section syndicale mais aussi par leur participation à des comités

d'entreprise ou à des commissions paritaires. Les syndicats britanniques sont allés le plus loin

dans cette voie en obtenant des dispositions consacrant leur puissance dans l'entreprise, en

contrôlant l'embauche (closed shop) ou en obtenant que la cotisation syndicale soit retenue

par l'employeur sur la feuille de paie du salarié et reversée au syndicat (check off).

Quelquefois, les syndicats peuvent être amenés à gérer l'entreprise (autogestion). Certains

d'entre eux prônent la révolution sociale et assignent au syndicat un rôle de gestion de

l'entreprise dans une société future plus égalitaire.

Une des tâches du syndicalisme est l'établissement des priorités parmi les revendications,

c'est-à-dire la mise au point d'une stratégie syndicale. Celle-ci doit tenir compte du degré de

détermination des adhérents, de la résistance de l'employeur, de l'attitude de l'État et de

l'opinion publique. Une fois élaborées, les revendications syndicales sont popularisées par

prises de parole, tracts, journaux, affiches et présentées à l'employeur afin d'obtenir

l'ouverture d'une négociation. Si celle-ci échoue ou s'avère impossible, l'étape suivante est

celle de l'action directe qui peut prendre plusieurs formes : le boycott (refus d'acheter tels

produits fabriqués par telle entreprise), le label (marque syndicale apposée sur un produit pour

en recommander l'achat), le sabotage (travail mal fait ou fait « à la douce »), quasiment

abandonné parce que fortement dévalorisant pour le monde ouvrier, et, surtout, la grève,

forme la plus achevée et la plus spectaculaire de l'action syndicale. La grève dénoue une

situation conflictuelle au niveau d'une entreprise ou d'un pays. Dans cette perspective, le rôle

des syndicats est de donner un sens à l'arrêt de travail et de le contrôler ; les syndicats faisant

figure de régulateurs sociaux capables d'éviter des pulsions désordonnées de la part des

salariés grévistes (grève sauvage).

4 Groupe organisé pour infléchir, dans le sens le plus conforme à son intérêt, les décisions de la puissance

publique Synonyme: lobby

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11

Dans la plupart des pays occidentaux, en effet, les syndicats sont reconnus par les pouvoirs

publics comme des partenaires privilégiés en matière sociale et comme des acteurs de la

politique contractuelle. De ce fait, ils participent obligatoirement à l’élaboration du droit du

travail d’origine conventionnelle (issu de la négociation collective) et sont fréquemment

investis de missions de gestion (organismes de Sécurité sociale, services de placements).

Selon, la position néo-libérale,

syndicale est un facteur de progrès et un stabilisateur. Car, sans une insatisfaction

constante des individus, sans un développement continu des aspirations et des

besoins, il n’y aurait sans doute pas de progrès possible. C’est de là que découle la

multiplication des motifs de revendication.

L’agitation constante est inhérente à la civilisation technicienne. L’un des rôles du

syndicalisme est de canaliser cette contestation, faute de quoi, l’élimination des

revendications appellerait le recours à d’importants moyens de contrainte politique.

Cela étant, la reconnaissance de l’action syndicale constitue un critère de la

démocratie, comme l’existence des grèves est, toutes proportions gardées, une mesure

du degré de liberté réalisé. Lorsqu’un système économique ne tolère ni grèves, ni

tensions, ni luttes sociales, il s’achemine vers une dictature policière.

Selon une vision évolutionniste, le syndicat, loin d’entraver le fonctionnement de la

société capitaliste, en est un rouage indispensable qui canalise le mécontentement et

exerce une action régulatrice au niveau des salaires et de la gestion de l’entreprise. De

ce fait, les syndicats sont u « ne institution indispensable à la bonne marche de

l’entreprise… » car ils débarrassent « … les gestionnaires de nombreux problèmes

épineux, comme l’embauche, la discipline dans l’atelier, le licenciement. A la limite

leur rôle consisterait à collaborer avec les employeurs pour accroître la productivité. »

Les socialistes soutiennent que les syndicats sont indispensables à l’ouvrier dans sa lutte

quotidienne contre le capitalisme. Les syndicats du monde entier doivent s’unir en un

mouvement irrésistible pour atteindre leur objectif, la suppression du capitalisme.

III- SYNDICALISME ET PARTIS POLITIQUES

Une des questions les plus importantes qui se posent au syndicalisme depuis ses débuts est

celle des rapports avec la politique, et plus précisément avec les partis politiques.

Plusieurs attitudes, à l'origine de divers modèles syndicaux, sont à cet égard possibles. Ainsi,

un premier modèle est dit « corporatiste5 » parce qu'il se soucie quasi exclusivement des

5 Corporations : ensemble de personnes exerçant le même métier ou la même profession. En histoire, le terme

désigne les associations de marchands ou d'artisans qui se regroupèrent au Moyen Âge dans le but de défendre

leurs intérêts et de se porter secours mutuel. On distingue les guildes de marchands des corporations de métiers,

qu'on appelle aussi corps de métiers.

Les corporations de métiers jouèrent un rôle essentiel dans la cité médiévale, en s'attribuant le monopole du

commerce dans chaque secteur d'activité. Non seulement tout produit provenant de l'extérieur était interdit à la

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intérêts les plus immédiats des salariés. Cette caractéristique prévaut dans les premiers

syndicats de métiers nés dans le milieu des ouvriers très qualifiés. Aux États-Unis, la tradition

corporatiste a toujours été largement représentée dans le syndicalisme.

Le modèle travailliste se constitue en Grande-Bretagne, où les syndicats, sans abandonner leur

rôle revendicatif, recherchent la modification de la législation sur le travail par l'intervention

au niveau parlementaire d'un parti du Travail (ou parti travailliste) constitué à cette fin par

eux.

Dans la perspective du modèle socialiste de type marxiste, le parti socialiste crée des

syndicats qu'il contrôle, à qui il laisse une certaine marge de manœuvre sans jamais cesser de

se considérer supérieur aux syndicats. Ce modèle s'est particulièrement affirmé dans les pays

germaniques. Issu du modèle socialiste de type marxiste, le modèle léniniste (ou communiste)

accentue ce dernier caractère en faisant des syndicats une courroie de transmission du parti.

Le modèle d'origine anarchiste est proche du modèle socialiste de type marxiste en ce qu'il

s'agit là aussi du binôme organisation politique/organisation syndicale avec suprématie de la

première sur la seconde. Il arrive souvent que l'organisation politique, frappée de répression

ou de discrédit, s'affaiblisse alors que le syndicat demeure fortement marqué par l'idéologie

révolutionnaire d'origine. On peut alors parler d'anarcho-syndicalisme.

IV- LE SYNDICALISME CAMEROUNAIS

Apparu au lendemain de la « Conférence de Brazzaville » avec le décret du 07 aout 1944, le

mouvement syndical embrassé avec enthousiasme dès sa naissance par les jeunes travailleurs

camerounais de l’époque va très vite connaître des moments critiques (les émeutes des 24 et

25 septembre 1945). Toutefois, sous l’impulsion du vent de la démocratie des années 90 qui a

soufflé sur toute l’Afrique, le syndicalisme au Cameroun a retrouvé une dynamique nouvelle,

conforté en cela par sa consécration par le Code du Travail du 14 aout 1992 et surtout la loi

vente, mais au sein d'un même métier tout était strictement réglementé (nombre d'ouvriers et d'outils, horaires,

salaires des ouvriers, prix des produits). Toute notion de concurrence commerciale était absente et l'amélioration

des techniques de production en vue d'augmenter la productivité ou de réduire les coûts était prohibée. Les

corporations s'attachaient plus particulièrement à la qualité de la marchandise vendue. Elles exerçaient cette

activité de contrôle par des inspections systématiques, éventuellement sanctionnées par l'obligation de verser une

amende. Cette situation détermina une spécialisation croissante de l'artisanat. Par exemple, dans le travail du

cuir, la préparation revenait aux écorcheurs, aux tanneurs et aux corroyeurs ; le cuir était alors vendu aux

cordonniers et aux selliers, qui n'avaient pas le droit de le préparer eux-mêmes. Chaque type d'objet (gants,

selles, gaines d'épée, ceintures, chaussures) était fabriqué par des artisans appartenant à des corporations

différentes. Il y avait également une hiérarchie des métiers. Ainsi à Paris, les six grandes corporations étaient

celles des merciers, des drapiers, des épiciers, des orfèvres, des changeurs et des pelletiers. Les corporations

obtinrent une part du pouvoir politique dès le XIVe siècle en concurrençant les riches marchands pour l'accès

aux fonctions publiques. Dans certaines villes, comme Cologne, Lubeck, Mayence, elles réussirent à s'imposer

dans les conseils municipaux. À Liège, le conseil municipal de 1384 était même entièrement composé de

représentants des 32 corps de métiers de la ville. Cependant, les maîtres des corporations représentées étaient

souvent des marchands plutôt que des artisans et appartenaient à la riche bourgeoisie.

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constitutionnelle du 18 janvier 1996. Mais en considération de ses rapports avec l’Etat et le

patronat camerounais, cette dynamique nouvelle semble s’émousser. L’action syndicale est

mal perçue ou n’est pas très perceptible, elle est même très timide eu égard à son impact (peu

sensible) sur les travailleurs même. Le syndicalisme camerounais a donc du mal à jouer

véritablement son rôle d’éducateur, de formateur et de défenseur des travailleurs et de leurs

intérêts. Il importe donc, pour mieux appréhender le syndicalisme au Cameroun de faire un

bref aperçu historique de sa naissance et de son évolution (I) notre étude ne sera complète

qu’avec une présentation succincte de la configuration du syndicalisme camerounais et des

difficultés auxquelles il fait face aujourd’hui (II).

IV.1. APERCU HISTORIQUE DE SA NAISSANCE ET DE SON EVOLUTION

L’évolution du mouvement syndical camerounais s’est traduite par les regroupements et les

dislocations des organisations syndicales en fonction de l’évolution politique du pays et de

divers intérêts en jeu.

Les principales dates suivantes rappellent cette évolution :

1920 : Premières manifestations de solidarité des écrivains interprètes indigènes contre le

mauvais traitement réservé aux indigènes par les colons.

1932 : Naissance du syndicalisme réservé aux blancs à la suite de l’arrivée au Cameroun du

Camarade SOULIER, transfuge de la CGT France. Le premier syndicat est créé mais n’assure

que la défense des travailleurs blancs.

1939 : Mouvement de revendication des cheminots suivi de la création des associations

professionnelles régionales appelées « amicalines », l’expression « syndicat » étant réservée

aux blancs.

1944 : Naissance de la première centrale syndicale camerounaise dénommée Union des

Syndicats Confédérés du Cameroun (USCC) à la suite de la formation syndicale dispensée

aux jeunes camerounais par le français Gaston DONNAT d’obédience communiste marxiste.

MM Ruben Um Nyobe et Charles Assalé sont élus secrétaires.

25 septembre 1945 : Déclenchement de la première grève pour réclamer les augmentations de

salaires. Plusieurs morts sont enregistrés.

- 1946 - Naissance des petits mouvements syndicaux.

- 1947 : Charles Assalé de l’U.S.C.C est choisi pour représenter le Cameroun en France au

sein du Conseil économique et social ; il y restera jusqu’en 1951.

- 28 novembre 1947 : Ruben Um Nyobe est élu Secrétaire général de U.S.C.C.

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- 1947 - Naissance de la Confédération Camerounaise des Syndicats Croyants (C.C.S.C)

affiliée la Confédération Française des travailleurs Chrétiens (C.F.T.C).

1951 : Création de nouvelles centrales syndicales par éclatement de l’USCC. Naissance de

l’Union des Syndicats Autonomes du Cameroun (U.S.A.C).

- 1956 : Naissance de l’Union Camerounaise des Travailleurs Croyants (U.C.T.C), de la

Confédération Africaine des Syndicats Libres (C.A.S.L) représentant la Force Ouvrière, de la

Confédération Générale Camerounaise du Travail (C.G.C.T) affiliée la Confédération

Mondiale des Travailleurs (C.M.T) ;

1960 : Accession du Cameroun à l’indépendance politique.

1966 : Fusion de tous les partis politiques en un parti politique unique l’Union Nationale

Camerounaise (UNC) sur appel du Chef de l’Etat et Président de l’UNC.

1972 : Fusion de toutes les centrales syndicales en centrale unique sur appel du Chef de l’Etat

et Président de l’UNC. La centrale unique est dénommée Union Nationale des Travailleurs

Camerounais. (UNTC). Elle devient un organe annexe du parti unique.

1985 : L’UNC devient le RDPC (Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais). La

crise économique se déclare au Cameroun.

1989 : Un vaste mouvement de compression des effectifs est réalisé dans les banques et les

autres établissements financiers à cause de la crise économique. La réaction des syndicats des

banques existant au Cameroun reste trop timide.

1990 : Libéralisation de la vie politique par le retour au multipartisme.

1992 : L’UNTC change de dénomination et devient la Confédération syndicale des

travailleurs du Cameroun (CSTC) toujours centrale syndicale unique. La CSTC se déclare

indépendante des partis politiques.

1992 : Adoption du nouveau code du Travail : Loi n° 92/007 du 14 août 1992

1993 : Le Syndicat des employés de banques du Mfoundi, (département qui abrite la capitale

du Cameroun Yaoundé), allié à l’UNTC et à la CSTC se dissout de fait à la faveur des

diverses compressions des effectifs dans les banques.

1994 : Les travailleurs du Mfoundi devenus orphelins de syndicat, créent le Syndicat

départemental des employés de banques et organismes financiers du Mfoundi

(SYNDEBOFM) qu’ils n’affilent à aucune centrale syndicale.

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15

1995 : Le SYNDEBOFM et le SYNDEBOW (Syndicat des Employés de Banques et

Organismes Financiers du Wouri - département qui abrite Douala la capitale économique du

Cameroun) créent la Fédération Nationale des Syndicats des Banques et Organismes

Financiers du Cameroun (FENASYBOF CAM) avec pour mission d’implanter les syndicats

des banques et établissements financiers à travers le territoire national.

1996 : Les membres du SYNDEBOFM élaborent le projet de Convention Collective

Nationale des banques et autres établissements du Cameroun et engagent une campagne

d’explication à travers le territoire national. Ils découvrent à travers la tournée que plusieurs

travailleurs sont au courant pour la première fois de l’existence du syndicat des banques. C’est

ainsi que leur vient l’idée de créer un syndicat national en raison de l’inertie de la

FENASYBOFCAM.

1997 : Le SYNDEBOFM quitte la FENASYBOFCAM.

1998 : Les travailleurs issus du SYNDEBOFM, créent le Syndicat National des Employés,

Gradés et Cadres de Banques et Etablissements Financiers du Cameroun (SNEGCBEFCAM).

Le SYNDEBOFM s’allie au SNEGCBEFCAM.

Le SNEGCBEFCAM engage une campagne de recrutement à travers tout le territoire

national. C’est ainsi que le SNEGCBEFCAM dispose des militants dans les dix provinces du

Cameroun à travers seize sections départementales et interdépartementales.

Il est aujourd'hui le Syndicat le plus représentatif du secteur financier, avec près de 5.000

adhérents.

A - De la Naissance du Syndicalisme Camerounais

Nous examinerons d’abord le contexte dans lequel le syndicalisme est apparu au Cameroun

(1) avant toute étude sur les premiers syndicats camerounais (2).

1 – Le contexte de la naissance du syndicalisme au Cameroun

Essentiellement socio-économique, ce contexte n’est pas le même selon que l’on se trouve dans la

partie du territoire sous administration anglaise ou française.

Ainsi, dans la partie anglophone du pays, la situation des travailleurs a connu une évolution et une

transformation en douce car déjà en 1938 une ordonnance réglemente la liberté syndicale ; et en 1941

une autre ordonnance viendra réglementer les conflits de travail. Dans la même mouvance est créé en

1942 un office de travail et en 1945, promulgation du « Labour code ordinance ».

Par contre dans la partie francophone, la situation n’est guère la même. Aucune évolution, aucune

amélioration des conditions de vie des travailleurs n’est faite ou même simplement envisagée. Il faudra

attendre le discours du Général de GAULLE tenu lors de la Conférence de Brazzaville en 1944 pour

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16

entendre évoquer l’idée de création des syndicats dans les territoires français d’Afrique Occidentale et

Equatoriale. Ainsi en récompense du rôle majeur joué par les pays africains dont le Cameroun dans la

libération de la France lors de la seconde guerre mondiale, le droit syndical est étendu aux colonies.

Dans la foulée, un décret du Général de GAULLE octroie la liberté syndicale le 07 aout 1944 et sans

plus attendre, les premiers syndicats seront créés.

2 – Les premiers syndicats camerounais

Ils sont l’ouvre de deux grandes centrales syndicales de la métropole. En effet, la

confédération générale des travailleurs en abrégé (C.G.T) basée à Paris et arrivée sur le

territoire camerounais en milieu d’année 1944 va tirer toutes les conséquences du décret du 07

aout 1944 en mettant sur pied l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (U.S.C.C).

C’est le tout premier syndicat dirigé par son premier secrétaire Charles ASSALE. Devant le

vent syndical qui a trouvé un terrain très fertile grâce à la situation économique, qui souffle

fort et suscite un espoir débordant chez les jeunes travailleurs, l’administration coloniale et les

colons prennent peur et cherchent des voies et moyens pour mettre en déroute ce mouvement.

L’U.S.C.C connaît une montée figurante ; son action s’intensifie et commence à toucher le

milieu confessionnel. Ce qui provoque une panique chez les religieux. La riposte est

immédiate et consiste essentiellement en la création d’un syndicat d’inspiration chrétienne

dont la mission principale est de contenir en son sein tous les travailleurs du monde religieux

(Catholique et Protestant compris). Ainsi comme pour le premier, la confédération française

des travailleurs chrétiens créera en 1946 la confédération camerounaise des travailleurs

croyants chargée de faire le contrepoids à l’U.S.C.C. Dans cette logique ses relations avec

cette dernière seront sérieusement affectées.

B – L’évOLuTION Du SYNDICALISmE Au CAmEROuN

Marqué surtout par un début ensanglanté (1) le syndicalisme camerounais du fait de

l’antagonisme des acteurs et des intérêts en présence va très tôt devenir pluriel (2) avant de se

diriger vers un syndicat unique après l’indépendance (3) pour ensuite retourner au pluralisme

syndical (4).

1 – Un syndicalisme ensanglanté à ses débuts

Comme nous l’avons déjà dit plus haut, le syndicalisme n’est pas accueilli avec la même

ferveur. Le camp des opposants ou des détracteurs (les colons) va très vite se former et

organiser la persécution des jeunes syndicalistes. La ligne rouge sera franchie avec le départ

annoncé de Charles ASSALE à Paris ou il assistera au congrès de la confédération syndicale

mondiale. Ce dernier activement mais en vain recherché par les colons partira effectivement

le 22 septembre 1945. En signe de protestation, une grève ouvrière est organisée et les colons

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employeurs et certains administrateurs en profitent pour prendre les armes et s’ensuit alors les

24 et 25 septembre 1945 un bain de sang dans lequel la ville de Douala est noyée.

2 – Un Syndicalisme pluriel à ses débuts

A côté de l’Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (U.S.C.C) existant, sera créée sous

l’égide de la confédération française des travailleurs chrétiens avons nous dit, l’Union

Camerounaise des Travailleurs Chrétiens (U.C.T.C) qui par la suite deviendra la

Confédération Camerounaise des Syndicats Croyants (C.C.S.C). Toutefois, l’U.S.C.C reste de

loin la centrale la mieux organisée, la plus populaire avec des dirigeants éclairés et bien

formés. Mais à son quatrième congres tenu en 1951, deux camps se forment et s’affrontent :

celui qui réclame une autonomie organique soutenue par Charles ASSALE et celui du

maintien du statut quo en rapport avec la Confédération Générale de Travailleurs (C.G.T)

soutenu par RUBEN UM NYOBE. Le premier déçu va démissionner (suivi par

MOUNDOUROU Samuel) et créer l’Union des Syndicats Autonomes du Cameroun

(U.S.A.C). Aussi le septième congrès de l’USCC tenu du 1er au 05 septembre 1956 donnera –

t-il naissance à la confédération générale camerounaise du travail (C.G.C.T) Comme nous

pouvons le constater, le syndicalisme camerounais déjà à partir de 1953 est pluraliste mais ce

pluralisme n’a pas survécu après l’indépendance du pays.

3 - Vers un syndicalisme unique

Le vent des indépendances qui a soufflé dans les colonies d’Afrique vers la fin des années 50

n’a pas épargné le Cameroun. Ainsi, du 1er janvier 1960 jusqu’en 1970 on dénombre

plusieurs centrales syndicales : La F.S.C (Fédération des Syndicats du Cameroun) L’U.S.C.C

(Union des Syndicats croyants du Cameroun) L’U.S.A.C (Union des Syndicats Autonomes du

Cameroun) La C.G.C.T (Confédération Générale Camerounaise du Travail) L’U.T.G.C.W.C

(Union des Travailleurs du West Cameroun) etc… Toutefois au conges de l’U.N.C (Union

Nationale Camerounaise) parti politique du Président AHMADOU AHIDJO au pouvoir, tenu

à Garoua en 1969, il est demandé à toutes les centrales de faire l’unité. Ainsi au cours de

l’année 1970 ces différentes centrales ont tenu chacune un congrès de dissolution et en 1971 a

eu lieu le congrès de l’unité ; à cette occasion est née la nouvelle et unique centrale syndicale :

Union Nationale des Travailleurs du Cameroun (U.N.T.C) avec comme Président

SATOUGLE Moise DEFITE. Désormais à côté du parti politique unique U.N.C existe une

centrale syndicale unique aussi. En 1982 AHMADOU AHIDJO Président de la République

Unie du Cameroun quitte le pouvoir et est remplacé par PAUL BIYA jusque-là Premier

Ministre. Le nouveau Président qui ne veut plus continuer avec l’U.N.C organise en 1985 à

Bamenda un congrès au cours duquel l’U.N.C meurt pour donner naissance au

Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (R.D.P.C). Le comité central du

nouveau parti politique décide aussi de changer le nom de la centrale syndicale existante.

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18

Ainsi lors d’un congrès tenu en 1986 l’U.N.T.C est remplacée par l’Organisation Syndicale

des Travailleurs du Cameroun (O.S.T.C) avec pour Président Jérôme ABONDO. L’O.S.T.C,

seule centrale syndicale vivra jusqu’en 1990 année du retour au pluralisme syndical. Son

existence a été marquée par l’abandon des revendications syndicales au profit de la

fanfaronnade politique.

4 - Le retour au pluralisme syndical

Cela est dû au vent de la démocratie qui commence à souffler. Le monopartisme est remis en

cause, le pouvoir cède et une loi du 19 décembre 1990 autorise la création des partis

politiques. C’est le multipartisme ; dans la même foulée, le code du travail de 1992 rétablit la

liberté syndicale. Les travailleurs eux aussi ne sont pas en reste. Ils refusent de rester sous la

domination du parti politique au pouvoir et en 1992, un congrès baptisé « Congres de la

Liberté » est organisé au cours de ses assises la confédération syndicale des travailleurs du

Cameroun (C.S.T.C) est née. Un an après le gouvernement constate que la CSTC est une

centrale révolutionnaire. Ne s’accordant pas du tout avec celle-ci, il va monter un groupe de

syndicalistes qui vont créer l’Union des Syndicats Libres du Cameroun (U.S.L.C) et depuis

1993 jusqu’à nos jours on compte au moins sept centrales syndicales au Cameroun donc voici

quelques-unes : C.S.T.C dirigée par NTONE DIBOTI C.D.T Liberté dirigée par EKEDI René

Bernard C.S.A.C dirigée par Louis SOMBES U.S.L.C dirigée par Flaubert MOUSSOLE

C.S.I.C etc… Ces multiples centrales syndicales des travailleurs, présagent une configuration

large ou complexe du syndicalisme camerounais qu’il importe d’étudier.

IV.2. La configuration6 du syndicalisme camerounais et ses difficultés

Avant toute analyse sur l’organisation, le fonctionnement et les multiples problèmes auxquels

font face les syndicats, une clarification sur leur typologie s’avère nécessaire.

1– Les types de syndicats

On distingue les syndicats des travailleurs et le patronat ; les syndicats du secteur privé et

ceux du secteur public. Dans le premier cas de figure et à partir de la définition du mot

syndicat donnée plus haut, le syndicat des travailleurs a pour but de rassembler tous les

employés de sociétés privées en vue de réunir les forces existantes pour mieux défendre leurs

intérêts. On dénombre environ trente – six (36) syndicats professionnels au Cameroun repartis

sur toute l’étendue du territoire national ; la majorité se trouvant à Douala. Quant au patronat7,

il existe (à notre connaissance) et à l’échelon national trois grands syndicats seulement le

6 1. aspect physique envisagé du point de vue de la position respective des différents points Exemple : la

configuration d'un terrain

2. aspect envisagé du point de vue de l'évolution Exemple : la configuration d'un procès 7 Ensemble des chefs d'entreprise Exemple : le patronat et le salariat

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GICAM – le SYNDUSTRICAM et le S.I.E.T8. Dans le second cas de figure c’est à dire

syndicat des travailleurs du secteur privé et ceux du secteur public ou les fonctionnaires, notre

attention portera essentiellement sur les fonctionnaires. Ici aussi il n’existe pas assez de

syndicats. Néanmoins, nous pouvons citer : Le Syndicat des journalistes, celui des

enseignants. Il importe de noter que les magistrats avaient tenté de se regrouper et avaient

même donné un mot d’ordre de grève, mais ont subi de fortes pressions et n’ont plus donné de

suite à leur mouvement.

2 – Organisation et fonctionnement des syndicats

2-1 Sur l’organisation en strates des Syndicats

Il faut distinguer l’organisation en forme de strates lorsque plusieurs syndicats se regroupent

et l’organisation interne d’un syndicat.

Dans le premier cas l’organisation est verticale. Ainsi nous avons au sommet : La

Confédération ou Centrale Syndicale. Elle est composée de plusieurs fédérations syndicales.

A l’heure actuelle on compte entre sept (7) et neuf (9) centrales syndicales dont nous avons

cité déjà quelques-unes au Cameroun. La Fédération Syndicale Celle-ci est formée de

plusieurs unions syndicales nationales ou départementales. Les Unions Syndicales C’est le

regroupement de deux ou plusieurs syndicats de base ou départementaux dans une région. Il

faut cependant savoir que les fédérations et les unions syndicales ne regroupent que les

syndicats professionnels ayant les activités similaires ou connexes ou encore les syndicats du

même secteur ; autant de secteurs d’activités, autant de fédérations ou d’unions. Les Syndicats

de Base ou Départementaux constituent la base même de la chose syndicale. Toutes les autres

couches ou formes de la configuration syndicale naissent à partir des syndicats de base. Ainsi

on ne peut parler d’union syndicale sans parler de syndicats de base ou départementaux et

ainsi de suite jusqu’au sommet. Quelques syndicats départementaux : Syndicat Départemental

des Travailleurs de Transport Routier du Wouri (S.D.T.T.R.W) Syndicat Départemental des

Travailleurs des Industries Métallurgiques et Mécaniques du Wouri (S.D.T.I.M.M.W)

Syndicat Départemental des Industries Polygraphiques, Imprimeries et Livres du Wouri

(S.D.T.I.P.I.L.W) Syndicat de Commerce (T.R.A.C.O.M.W) Syndicat Départemental des

Travailleurs de l’Enseignement Confessionnel du Wouri (S.D.T.E.P.C.W) Syndicat de

Stockage et Distribution des Produits Pétroliers et Dérivés (S.S.D.P.P.D) - Syndicat

Départemental des Travailleurs des Exploitations Forestières, Industries du Bois et Scieries du

Wouri (S.Y.N.D.T.R.E.F.O.S.W) Syndicat Départemental des Travailleurs des Bureaux

d’Etudes et d’Assistance du Wouri (S.Y.N.D.E.T.B.E.A.W) Syndicat des employés des

Transporteurs Maritimes Transit et Auxiliaires de Transports (S.Y.N.E.T.R.A.M.W) Syndicat

Départemental des Travailleurs des Hôtels, Bars, Restaurants (S.D.T.H.B.R) Syndicat

8 Il faut aussi ajouter le MECAM (mouvement des entrepreneurs camerounais dirigé par Daniel Claude Abaté)

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Départemental des Travailleurs des Etablissements Scolaires Privés du Cameroun

(S.Y.N.T.E.S.P.R.I.C) Syndicat National des Chauffeurs Taxis, Cars, Autobus et Assimilés du

Cameroun (S.N.C.H.A.U.T.A.C) Il ne s’agit là que de quelques exemples de syndicats de base

sur la longue liste de trente – six (36) . Il nous reste donc à voir leur organisation interne et

leur fonctionnement.

2-2 Organisation

Comme toute association un syndicat est dirigé par un bureau exécutif et une assemblée

générale. La composition du bureau exécutif varie d’un syndicat à l’autre : De même, le

nombre des membres du bureau exécutif d’un syndicat varie d’un syndicat à l’autre. Il en est

de même au niveau des unions syndicales, des fédérations et des confédérations syndicales.

L’assemblée générale quant à elle est composée de tous les travailleurs et des délégués du

personnel. Nous avons aussi les membres permanents et ceux non permanents dans un

syndicat. Il se pose donc la question de son fonctionnement.

2-3 Le fonctionnement d’un syndicat

Comme les partis politiques les syndicats procèdent par des réunions, des congrès et des

conseils. Pour ce qui est des réunions, elles sont mensuelles ou bimensuelles selon les

syndicats ; trimestrielles pour les fédérations et semestrielles pour les centrales.

Les conseils se tiennent une fois l’an. Mais les congres se tiennent tous les cinq (5) ans à

l’initiative de la centrale syndicale. C’est au cours d’une réunion du bureau exécutif d’un

syndicat que le budget est établi. Leurs principales ressources sont : Les dons et legs Les

produits des manifestations entre autre la fête du travail qui a lieu le 1er mai de chaque année

et au cours de laquelle les inscriptions payantes pour participer aux défilés sont organisées.

Ainsi toute société ou entreprise désireuse de prendre part au défilé doit payer (ce qui suscite

d’autres interrogations sur l’autonomie des syndicats de travailleurs puisque ce sont les

employeurs qui payent). Les cotisations des membres (le montant est de 1% du salaire de

chaque travailleur inscrit à un syndicat). Les subventions accordées par l’Etat uniquement aux

centrales syndicales. Ces ressources modestes comme nous pouvons le constater ne

permettent pas de couvrir tous les besoins du syndicat. C’est dire que le syndicalisme au

Cameroun connaît beaucoup de difficultés dont voici les plus importantes.

3 - Les difficultés du syndicalisme au Cameroun

Sans entrer dans les détails, nous nous contenterons de recenser les plus saillantes. Nous

avons donc en premier lieu l’insuffisance du travail de communication sur le rôle et

l’importance du syndicat. Car nous constatons que beaucoup de travailleurs sont méfiants vis-

à-vis des syndicats parce que mal informés ou simplement sous informés sur la chose

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syndicale. Il y a aussi le chantage de certains employeurs qui empêchent ou interdisent à leurs

employés d’adhérer au syndicat quel qu’il soit ; qui ne veulent même pas entendre parler de

syndicat dans leur entreprise. On notera également l’absence de formation de beaucoup de

leaders syndicaux qui maîtrisent mal ou peu les missions du syndicat et qui sont dès lors

inaptes à défendre les intérêts de leurs adhérents. L’absence de formation des syndicalistes est

dans la même mouvance. De même, le manque d’esprit syndical constitue un réel problème

au Cameroun, beaucoup créent un syndicat uniquement pour défendre leurs intérêts

personnels, ou pour chercher un positionnement politique. Le rôle trouble du pouvoir

politique qui continue à voir les syndicats d’un très mauvais œil n’est pas négligeable ; c’est

ainsi que sous le prétexte du dialogue social, le Ministre en charge du travail intervient

intempestivement (et souvent en violation de la loi) chaque fois qu’il y a menace de conflit

collectif dans une entreprise. Il faut noter aussi l’émergence des nouvelles formes de défense

sociale telle que : Les organisations non gouvernementales (ONG) Les organismes de

développement tels les (GIC, GIE etc…) Les paysans qui s’organisent en coopératives. Cette

émergence constitue en réalité une forme de concurrence (positive) pour les syndicats. .

CONCLUSION

Hormis quelques difficultés du syndicalisme camerounais, force est d’apprécier son

remarquable dynamisme tant sur le plan national qu’international. Au plan national, le

nombre impressionnant aussi bien de syndicats de base ou départemental, d’unions

syndicales, fédérations, que des centrales ou confédérations témoigne de la liberté syndicale

retrouvée. De plus, on compte à son actif plusieurs conventions collectives de travail donc la

dernière en date est celle des veilleurs signée le 11 Décembre dernier ; Celle de

l’enseignement privé en attente de signature sortira probablement dans les prochains jours. Au

plan international, ses rapports avec les organismes internationaux du travail tels l’OIT

(Organisation Internationale du Travail) et le BIT (Bureau International du Travail) sont

excellents. On en veut pour preuve l’élection du syndicalisme camerounais comme membre

permanent et en même temps comme membre suppléant au sein de ces Organismes et à

chaque assise comme celle qui vient de se tenir à Genève en Suisse, le Cameroun a été

représenté par le gouvernement et les membres des syndicats. Dans le cadre africain, il est

représenté à l’ORAF-CISL (Organisation Régionale Africaine de la Confédération

Internationale des Syndicats Libres). Nous pouvons donc affirmer que le syndicalisme

camerounais traverse une période faste et que le meilleur est à venir. Cependant, beaucoup

d’effort doit être fait par les syndicalistes pour intensifier leurs actions, les rendre plus

visibles, intéresser les travailleurs et susciter l’adhésion en masse de ceux-ci.

BIBLIOGRAPHIE

Lexique des Termes juridiques, 10e Ed., Paris, Dalloz, 1995.

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Les principales dates du syndicalisme camerounais,

http://www.africaefuture.org/snegcbefcam/pagweb/8.html

Syndicalisme, http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/syndicalisme/95340

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georepere

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