Mettre en oeuvre des classeurs de Savoir Faire Professionnel

Benoit Janvier (2015), Ergothérapeute Conseiller Technique, Responsable du Pôle Etudes et Formation (benoit.janvier@centarpents.fr) INSTITUT LES CENT ARPENTS, Pôle Etudes et Formation, Saran (Loiret).

Faire reconnaître son expérience est une étape importante sur le plan professionnel surtout lorsque les étapes de l’apprentissage ont été perturbées par une situation de handicap notamment dans les processus de conservation et d’utilisation des connaissances. Les difficultés rencontrés sur le plan scolaire et de l’apprentissage professionnel, la confusion entre les termes «  performance  » et «  savoir faire  », les expériences malheureuses de travail en milieu ordinaire, les moqueries liées à l’expression du handicap, favorisent l’émergence d’une vision négative sur l’activité souvent exprimé sous une représentation douloureuse : « incapable… »Les savoir faire existent pourtant. Ils sont même souvent multiples et diversifiés. L’activité de nos ateliers, la qualité du travail réalisé en sont la preuve. Nos ateliers sont le réceptacle de ces savoir faire.Comment alors les mettre en valeur dans une démarche de cohérence avec le concept de Projet Personnalisé Individualisé (PPI) ?

Une approche construite sur l’activité et l’expérience : la notion de livret de Savoir Faire Professionnel

Apprendre, du latin « apprehendere » signifie « prendre, saisir, attraper ». Le fait d’apprendre est intrinsèquement lié à l’activité, à l’action de faire, de refaire et refaire encore afin de parfaire ses connaissances. Albert Einstein affirmait « La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information.  » L’expérience se trouve ainsi au coeur du processus d’apprentissage.

Les différentes activités professionnelles réalisées au sein de l’établissement se regroupent autour des 6 ateliers de l’ESAT (Imprimerie, Façonnage, Conditionnement, Peinture industrielle, Menuiserie, Espaces verts) et de 3 services de l’Institut (Cuisine, Lingerie, Entretien des locaux, Accueil secrétariat).L’observation de leur activité met en évidence une grande richesse et diversité de tâches et compétences. Certains secteurs comme les ateliers de conditionnement et de façonnage ont une majorité de tâches en commun. D’autres font appel à un niveau élevé de technicité. Les ouvriers travaillent, à temps complet ou mi-temps, dans ces secteurs de façon permanente ou par détachement. La notion de polyvalence professionnelle des ouvriers et de développement de compétences transversales est aisément constatable.

L’analyse fonctionnelle a permis l’identification de 14 activités professionnelles (ou orientation métiers). Chaque activité professionnelle se décompose en différentes tâches regroupées sous forme de fiches, l’ensemble composant le Livret de Savoir Faire Professionnel.

�1

Les Fiches documentaires du Pôle Etudes et Formation

Les tâches, ou connaissances, communes à l’ensemble des secteurs ont été regroupées dans un Livret spécifiques nommé « Activités transversales ».

Liste des différentes activités professionnelles identifiées :

• Accueil et information

• Blanchisserie industrielle

• Conduite de machine de finition

• Conduite de presse offset Komori

• Entretien des locaux

• Espaces verts travaux paysagers

• Fabrication industrielle

• Manutention mécanique

• Menuiserie

• Nettoyage industriel

• Peinture industrielle

• Prépresse, publication assistée par ordinateur

• Reprographie

• Restauration

• Activités transversales (communes à l’ensemble des ateliers)

Ces livrets ne sont pas figés. Ils doivent être et rester représentatifs des principales activités réalisées au sein des différents ateliers. Leur contenu peut être modifié, aménagé lors de modification de l’activité des ateliers concernés ou à la demande des Moniteurs d’Atelier. Un logiciel a été conçu et développé dans cette optique pour faciliter la saise des données et l’impression des livrets.

�

Le rôle du classeur de Savoir Faire Professionnel

Le classeur permet au travailleur en situation de handicap, en association avec le travail éducatif d’accompagnement au quotidien, de poser un regard sur ses savoir faire en terme de capabilité.

Il valorise le travail des ouvriers en situation de handicap dans ses différents aspects (de l’indépendance à l’autonomie) : « je fais, je peux le montrer, je peux l’expliquer, je peux m’adapter ».

Il responsabilise l’ouvrier dans sa démarche de reconnaissance et de travailleur responsable.�2

Il favorise l’expression du vécu, l’émergence de désirs, de souhaits d’apprentissage, de formation professionnelle.Il facilite la compréhension des répercussions du handicap sur la charge physique et mentale, la pénibilité.Il valorise le travail d’accompagnement et d’apprentissage réalisé au quotidien par les Moniteurs d’Atelier et professionnels d’encadrement.

La mise en oeuvre du classeur de Savoir Faire Professionnel

Un classeur est remis à chaque ouvrier, en présence de son Moniteur d’Atelier référent. Le classeur se compose d’un ou plusieurs les livrets selon l’atelier mais aussi les activités réalisées. Un ouvrier peut ainsi avoir plusieurs livrets dans son classeur selon ses savoirs faire usuels et ses apprentissages ou, inversement, ne peut disposer, pour des raisons pédagogiques, qu’une partie des livrets. Cette organisation pédagogique est décidée de façon conjointe par l’ouvrier et son Moniteur d’Atelier référent.

Chaque ouvrier est responsable de son classeur. Il en dispose librement au sein de l’ESAT. Il peut le ranger dans son vestiaire comme demander à son Moniteur d’Atelier référent de le conserver dans leur bureau. Il peut y insérer ses photographies en activité, ses documents professionnels, ses attestations de formation, etc…

Chaque ouvrier doit apporter son classeur, mis à jour avec son Moniteur d’Atelier référent, lors de son PPI.

Chaque ouvrier peut, après l’avoir demandé à son Moniteur d’Atelier référent, emporter son classeur à l’extérieur de l’ESAT pour présenter ses savoir faire professionnel - par exemple, pour un stage en milieu ordinaire ou plus simplement à titre informel auprès de son entourage proche (famille, amis…).L’ouvrier est alors responsable de son classeur et doit impérativement à le ramener à l’ESAT dans les conditions prévues initialement avec son Moniteur d’Atelier référent.

En cas de départ définitif de l’ESAT, l’ensemble des livrets contenu dans le classeur est relié et remis à l’ouvrier.

La démarche d’accompagnement

La gestion du classeur est le fruit d’un travail de tutorat entre l’ouvrier et son Moniteur d’Atelier référent. Il peut être réalisé dans une démarche de suivi permanent et/ou à des périodes définies, par exemple lors de la préparation du PPI.

La démarche s’articule autour de 3 grands principes fondammentaux :

« Réussir c’est comprendre en action, comprendre c’est réussir en pensée » Jean Piaget.Le Moniteur d’Atelier joue le rôle de tuteur. Il tient sa légimité de son expérience au travail. Il confie des activités de travail. Il aide à apprendre des situations de travail. Il aide à apprendre des autres en situation de travail. L’ouvrier apprend lui-même des situations de travail. Il apprend des autres au travail (y compris de son tuteur). Cette démarche dite réflexive conduit entre autre à donner du sens à sa pratique, améliorer la confiance en soi, accéder à une reconnaisance professionnelle.

La compétence s’entend comme une capacité à agir dans et pour un ensemble de situations professionnelles ou sociales, dans un contexte et un cadre d’exigence donné . Dans la sollicitation de la compétence en situation, sont mises à contribution les capacités à appréhender une situation, à l’analyser, à la comprendre, à faire appel à ses savoirs (travail intellectuel et physique de mémoire), à confronter la situation à ses savoirs, à mobiliser les savoirs adéquats et à les transposer à la situation, d’articuler ces savoirs et d’élaborer un « agir » approprié en lien avec la situation.

�3

� triangle de la compétence (Guy Le Boterf)

« Nous n’apprenons rien avec celui qui nous dit fais comme moi. Nos seuls maîtres sont ceux qui nous disent fais avec moi… » Gilles Deleuze.Le tuteur doit impérativement prendre en compte l’hétérogénéïté des caractéristiques physiques, psychologiques, sociales, culturelles et comportementales des ouvriers. Cette règle est d’autant plus importante quand une situation de handicap vient impacter le processus d’apprentissage. Elle s’appuie sur le respect des modes compensatoires en présence. Elle offre à chaque ouvrier la possibilité d’adapter ses actions selon ses ressentis. Elle favorise le savoir-être, le «  vivre ensemble  ». Nous apprenons de nos façons de faire, de nos différences mais également de nos erreurs. « Nulle pierre ne peut être polie sans friction, nul homme ne peut parfaire son expérience sans épreuve. » Confusius.

L’observation

Chaque activité est décomposée en plusieurs tâches d’action et/ou de connaissances.

� Exemple de fiche d’activité du Livret Espaces verts travaux paysagers

L’objectif est, pour l’ouvrier, de poser un regard sur son savoir faire (ce que je fais) et non sur son niveau de performance (quantité de travail réalisée). Cette différence est essentielle et doit être impérativement respectée afin de conserver l’aspect valorisant de l’outil. S’auto-évaluer c’est se donner de la valeur.

Une échelle à 3 cases est prédéfinie pour chacune des tâches.

agir

savoir

vouloir pouvoir

Ce que je commence à faire.Ce que je fais régulièrement

avec toutefois quelques difficultés, erreurs ou oublis.

Ce que je fais complètement, avec sureté.

� � �

�4

Une aide, technique et/ou humaine, peut être nécessaire de part les répercussions de la situation de handicap sur la capacité à faire, sans remettre en cause la volonté d’action de l’ouvrier. Par exemple :

• le besoin d’un gabarit, d’une installation ou d’un espace spécifique pour améliorer la précision des gestes tout en réduisant le facteur de pénibilité,

• le besoin d’un carnet pour noter les consignes ou d’un travail en binome, pour suppléer aux difficultés de mémorisation, de planification,

• le besoin d’un temps de réalisation plus long que la normale afin de suppléer à la lenteur d’exécution,

• le besoin d’une supervision de proximité pour réduire la charge mentale associée,et bien d’autres…Ces aides ont pour but non seulement de favoriser la réalisation de la tâche dans une démarche de qualité mais également de réduire la charge physique et mentale, source de fatigue, d’angoisse, d’insécurité.Ces aides doivent être, le cas échéant, précisées dans la zone correspondante.

Chaque activité est ainsi abordée, discutée puis validée. L’ouvrier coche les cases correspondantes et peut, s’il sait écrire, noter ses remarques, ses besoins en aide à la compensation. Naturellement le Moniteur d’Atelier apporte son aide en qualité d’interprète, d’écrivain pour des ouvriers ayant des difficultés de lecture, de compréhension ou d’écriture.

Dans le cas ou un ouvrier exprime clairement son refus de s’inscrire dans cette démarche, le livret ne sera pas rempli. Il devra néanmoins apporter son livret lors de la réunion d’avenant et/ou de PPI.

L’ouvrier et/ou le Moniteur d’Atelier peuvent compléter la fiche par l’apport de photographies en situation. Cet apport n’est pas obligatoire mais reste conseillé pour les ouvriers visant une démarche de pré-qualification ou de qualification professionnelle. L’utilisation de photographies devient alors une aide importante dans lors de l’entretien d’explicitation (j’explique ce que je dois faire, le comment et le pourquoi), phase impérative pour tout bilan de positionnement et mise en oeuvre d’une démarche de qualification professionnelle.

BIBLIOGRAPHIE PIAGET Jean, 1974, Réussir et comprendre, PUFLE BOTERF Guy, 1997, compétence et navigation professionnelle, Paris, Editions d’organisationDELEUZE Gilles, 2011, Différence et répétition, PUF

© janvier 2015

_____________________________________________________________________________________________________

Les livrets de savoir faire professionnel sont consultables dans nos locaux.

N’hésitez pas à nous contacter.

�5

Organisme de formation enregistré sous le n° 24 45 02516 45 Siret 324 215 144 00043 ______________________________________________________________________________________ Pôle Etudes et Formation tél. 02 38 52 39 64 formation@centarpents.fr Institut Les Cent Arpents 450 rue des Jonquilles 45770 SARAN www.centarpents.fr