les élites politiques juives et la franc-maconnerie dans la_france du_xixème siècle...

7/31/2019 Les lites politiques juives et la franc-maconnerie dans la_France du_XIXme sicle par_Jean-Philippe_Schreiber

1/13

LES LITES POLITIQUES JUIVES ET LA FRANC-MAONNERIE DANSLA FRANCE DU XIXE SICLEJean-Philippe SchreiberLes Belles lettres | Archives Juives

2010/2 - Vol. 43pages 58 69

ISSN 0003-9837

Article disponible en ligne l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-archives-juives-2010-2-page-58.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Schreiber Jean-Philippe, Les lites politiques juives et la franc-maonnerie dans la France du XIXe sicle,

Archives Juives, 2010/2 Vol. 43, p. 58-69.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution lectronique Cairn.info pour Les Belles lettres.

Les Belles lettres. Tous droits rservs pour tous pays.

La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votre

tablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire que

ce soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur en

France. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

Documenttlchargdepu

iswww.cairn.info-univ_

paris4-

-195.22

0.1

17.1

01-10/06/201202h48.

LesBelleslettres


2/13

58 Doss ier : Judasme franais et f ranc-maonnerie

Les lites politiques juiveset la franc-maonneriedans la France du XIXe sicle

Jean-PhiliPPe SChreiber

Cest aprs 1830 que laccs des Juis la ranc-maonnerie senormalise progressivement dans les pays dmancipation, o la ranc-maonnerie est devenue rellement universaliste depuis le dbut du sicle encore nest-ce le cas que dans certains pays. La France, o domine surla scne juive et sur la scne maonnique la gure dAdolphe Crmieux,en ait partie. L, la maonnerie et le mouvement saint-simonien serejoignent pour aire exception dans une socit encore marque par le

critre de lappartenance ethnique et religieuse, o les salons, les cercles

Adolphe Crmieux (Nmes, 1796-Paris, 1880),selon une estampe de 1834. Photo Mario Goldman MAHJ.

Le grand rabbin lie Aristide Astruc (Bordeaux, 1831-Bruxelles, 1905) Muse juif de Bruxelles, dpt du CCIB.

Documenttlcharg

depuiswww.cairn.info-univ_p

aris4-

-195.2

20.1

17.1

01-10/06/201202h48.

LesBelleslettre

s


3/13

l ites pol it iques ju ives et la f ranc-maonnerie au XIX e s ic le 59

littraires, les clubs restent en ralit relativement erms aux Juis. Cesdeux socits de pense permettent leurs adeptes juis de retrouver unesynthse judo-chrtienne qui les conorte dans leurs choix philosophi-

ques, avec lide dun ge nouveau et dune religion universelle, et uneapproche rationnelle qui correspond leur ormation intellectuelle1.Ce point de dpart tant rappel, est-il possible dtendre lexamen

des liens et des convergences entre la ranc-maonnerie et lestablish-ment isralite au XIXe sicle ?

Adolphe Crmieux, lAlliance isralite universelle etla franc-maonnerie La gure emblmatique de lhomme politique

jui et ranc-maon Adolphe Crmieux domine la scne juive et la scne

maonnique pendant pratiquement tout le XIXe

sicle2

. Ds 1818, il estiniti dans la loge nmoise Le Bienfait Anonyme. Il se range aux cts deson rre en maonnerie Victor Schoelcher dans le combat pour laboli-tion de lesclavage et linterdiction des chtiments corporels. On le trouveen 1860 aux cts des ondateurs de lAlliance isralite universelle (AIU),esprits libres qui considraient que lattachement et la dlit au judasmepouvaient se concilier avec des engagements progressistes et rpublicains. Mes jours seront employs au dveloppement de ces grands principesque nous devons la Rvolution ranaise et que le peuple jui doit pro-

clamerbeaucoup plus haut que tous les autres , crit-il3

.Aussi, aux yeux de lhistorien Georges Weill, les racines idologiquesde lAlliance plongent-elles, certes, dans les valeurs des libraux et duParti rpublicain du Second Empire (idalisme utopique, patriotisme,galitarisme social, anticlricalisme, lacit) ainsi que dans le positi-visme (anti-dogmatisme, moralisme, solidarit et raternit universelles,libert de conscience, ducation nouvelle) mais davantage encore dans les infuences maonniques et saint-simoniennes 4. Pourtant, parmiles initiateurs de lAlliance Narcisse Leven, Jules Carvallo, Eugne

Manuel, Isidore Cahen, lie Aristide Astruc, Charles Netter il sembleque Crmieux et Astruc qui ne sera dailleurs initi quen 1862 soientles seuls maons. Georges Weill crit ce sujet :

Il est dicile de dterminer quelles urent ce sujet les infuences rcipro-ques : il nest pas interdit de penser que Crmieux puisa dans lexprience delAlliance une partie des ides qui, travers son salon et son activit maonniquedes dernires annes de lEmpire, se rpercutrent sur la doctrine maonniqueelle-mme. Inversement, on peut noter, grce aux Archives et aux Bulletins, laparticipation active de certaines loges luvre politique de lAlliance ; mmeaprs 1871, elles aidrent la diusion des maniestes et permirent la ralisation

de certaines actions dcisives en matire lgislative ou diplomatique5

.

Documenttlcharg


aris4-

-195.2

20.1

17.1

01-10/06/201202h48.

LesBelleslettre

s


4/13


Sil parat vain de chercher des lments mettant en vidence des rap-ports organiques entre lAlliance et la ranc-maonnerie certains sysont essays sans succs, parmi les auteurs anti-judomaons , nombre

dindices, en eet, plaident en aveur dune convergence idologiqueentre la ranc-maonnerie et lAlliance isralite universelle, hypothsequi mriterait dtre conorte par une tude en proondeur. Fondeen 1860 grce lentregent de Crmieux, lAIU puise lvidence sessources dans lesprit rpublicain tel quil est promu dans certaines logesdurant le Second Empire. Cest le cas de La Renaissance par les mulesdHiram dirige bientt par Alexandre Massol, qui en ait le templede la morale indpendante, et o le rabbin lie Aristide Astruc croiseAlexandre Weill, Armand Lvy ou Moses Hess lequel en dmissionne

en 1865 parce que la maonnerie ranaise a alors adopt une proes-sion de oi quil juge diste tandis quil se considre comme athe6.Mais, inspir de la ranc-maonnerie, le projet de lAlliance lest aussimaniestement du saint-simonisme rappelons quAdolphe Crmieuxut lavocat des saint-simoniens , comme la montr Michal Graetz7.Narcisse Leven, Eugne Manuel et Isidore Cahen, anciens lves delcole normale suprieure, y avaient t proondment marqus par lapersonnalit dun de leurs matres, ranc-maon et rpublicain arm,le utur et phmre prsident du Conseil Jules Simon8. Lcrivain

jui alsacien Alexandre Weill a reu, quant lui, une ducation juivetraditionnelle et une ormation au rabbinat Francort, ce qui ne lem-pche pas, durant un temps, de balancer entre judasme et christianisme,aprs avoir t saint-simonien dans sa jeunesse9.

On ne reviendra pas sur le rle jou par Adolphe Crmieux dansla constitution de lAlliance et ses vingt premires annes dexistence.Lappartenance maonnique de Crmieux est du reste pleinement int-gre par lAlliance, qui publie certaines de ses planches ou con-rences maonniques dans son Bulletin10. Il est intressant aussi de noter

que Crmieux veut rnover le rite maonnique dit cossais ancien etaccept pour lharmoniser avec les lgitimes exigences de la civi-lisation moderne , recourant l trs exactement au type de discoursutilis par les libraux religieux quil soutenait au sein du monde jui, enparticulier au sein de lAlliance11. On sait aussi le rle qulie AristideAstruc, rabbin ranc-maon, joue en aveur de lAlliance, surtout entre1860 et 1865.

On connat enn le rle de lAIU comme instrument de la politiquecoloniale de la France, en quoi elle rejoint en partie linstitution maon-

nique, ainsi que le rle politique et philosophique des instituteurs de

Documenttlcharg


aris4-

-195.2

20.1

17.1

01-10/06/201202h48.

LesBelleslettre

s


5/13


lAlliance, dont certains urent rancs-maons. Lenseignement des co-les alliancistes tait en eet pntr dides rpublicaines et positivistes do un confit plus ou moins larv avec les orces traditionalistes12.

Les loges mditerranennes alies au Grand Orient de France et auGrand Orient dItalie ont, quant elles, servi diuser les ides libra-les dans plusieurs rgions de lEmpire ottoman et en Arique du Nord,o lAlliance est galement prsente. Sans quil existe entre elles un vri-table rseau, ces organisations ont concouru rendre les Juis locauxpermables aux ides occidentales et y ont constitu les ers de lancede leuropanisation, de la rancisation et de la propagation de lespritet des valeurs rpublicaines dans plusieurs pays du bassin mditerra-nen, certaines personnalits appartenant toutes ces socits la ois

et agissant travers elles. Ainsi Oran, le prsident du Consistoire,Emmanuel Nahon, participe la cration de lcole de lAlliance etonde la loge Union du Maroc13. Un autre maon, Jui et marocain,Samuel Guitta, prsident honoraire de la Ligue des Droits de lHomme,est pendant vingt-cinq ans le vnrable de la loge Morayta, rattache auGrand Orient espagnol. Fils dun grand rabbin dAlgrie, lie ThodoreZerbib est lun des ondateurs au Maroc de la loge Woodrow Wilson quiattire elle nombre de Juis14.

Lattraction exerce sur les lites communautairesLattention est certes ocalise sur Crmieux, prototype du Jui intgr,ranc-maon, projet demble aux premiers rangs de la scne politi-que, au risque de laisser injustement dans lombre dautres personnalitsdont linfuence et laction urent sans doute plus eaces, mais dont leprol montre que dautres Juis aussi bien intgrs dans les institutionsrpublicaines ont marqu le sicle de leur empreinte maonnique. Ainsi,outre Adolphe Crmieux ou le bonapartiste de gauche Armand Lvy,ali en 1858 la loge Saint-Vincent de Paul 13315, le banquier Benedict

Allegri16

, membre du consistoire isralite de Paris en 1848, ut aussimembre du Suprme Conseil depuis 1834 et nira sa carrire maon-nique comme Lieutenant Grand Commandeur en 1865 et SouverainGrand Commandeur en 186817.

Les institutions de la communaut juive de Lyon, telles que les a ana-lyses Franois Delpech18, comptaient galement des rancs-maons :entre autres, lavocat douard Millaud (initi La Fraternit progres-sive19), dput en 1871 et ministre des Travaux publics en 1886-1887,et larchitecte Abraham Hirsch, prsident du consistoire de Lyon en

187820

. Jean Cavignac a montr que les notables de la communaut de

Documenttlcharg


aris4-

-195.2

20.1

17.1

01-10/06/201202h48.

LesBelleslettre

s


6/13


Bordeaux se sont retrouvs eux aussi trs tt dans deux loges bordelai-ses : La Runion Philanthropique et surtout LAtelier, dont BenjaminLops-Dubec, qui ut galement adjoint au maire, est vnrable en

181821

. Lenqute reste mener pour le judasme strasbourgeois, maislon sait dj que Jonas Ennery, directeur de lcole juive de Strasbourg,utur dput contraint lexil aprs le coup dtat de Louis Napolonet rre du grand rabbin de Paris puis du Consistoire central MarchandEnnery, y ut membre de la loge desFrres Runis22. On trouve encoreun avocat et dput en la personne de Georges Lvy-Alphandry, mairede Chaumont, initi en 1900 dans la loge Ltoile de la Haute-Marne,sise dans sa ville dadoption23.

Bruno tienne a montr combien la ranc-maonnerie a servi las-

cension sociale de amilles juives dAix-en-Provence au XIXe

sicle.Une ois cette intgration russie, elles ont abandonn tant la ranc-maonnerie que le judasme24 Alred Naquet, nati de Carpentras,proesseur la Facult de Mdecine de Paris, ut membre de la loge Les

Arts et lAmiti Aix-en-Provence et de la Parfaite Amiti Carpentras.Dput du Vaucluse puis de la Seine (il sera ali auxAmis de la Patrieet de lAvenir Paris), on lui doit le rtablissement de la loi sur le divorceen 188425. Il ut pratiquement le seul prcher la contestation socialeparmi les Juis dtat distingus par Pierre Birnbaum26, si attachs

lordre rpublicain et dont Crmieux est le prototype. La traditionantismite associera dailleurs plus tard Naquet pourtant compro-mis par la suite dans le boulangisme Lon Blum, dont lengagementsocialiste modiera quelque peu limage mme du Jui dtat dansla socit ranaise : les antismites les rendront tous deux responsablesde la perversion des murs ranaises, un thme cher, depuis la n duXIXe sicle, au discours la ois antismite et antimaonnique27. Cestque Blum a proess des ides, scandaleuses aux yeux des catholiques,sur la ncessaire libert amoureuse des hommes comme des emmes

avant le mariage28

, et quAlred Naquet reprsentait le rtablissementdu divorce en France ; ce dernier sera en particulier vis ce titre parlvque dAngers, Charles-mile Freppel. De mme, Camille Se, autre Jui dtat ranc-maon, incarne aux yeux des anti-judomaons lalacisation du systme scolaire minin, et donc une autre acette de ladchristianisation de lidentit ranaise29.

Le parlementaire Ferdinand Dreyus rapp de plein ouet, danssa carrire politique, par le climat antismite des annes 1880-1890, quiprgure laaire Dreyus30 est initi, avant dtre ali LAmiti

discrte de Rambouillet, son e lectoral, la Clmente Amiti, latelier

Documenttlcharg


aris4-

-195.2

20.1

17.1

01-10/06/201202h48.

LesBelleslettre

s


7/13


parisien de Joseph Reinach, qui de manire spectaculaire initie le mmejour de 1875 Jules Ferry, mile Littr et Honor Chave31. Son homo-nyme Ferdinand-Camille Dreyus, galement dput, est aussi maon,

initi en 1872 la Mutualit cossaise32

. Un autre Dreyus, Louis, lsdu ondateur de la banque Dreyus, est initi en 1896 Ltoile polairede Paris quelques annes avant dtre lu dput de la Lozre33. DavidRaynal, dput de la Gironde puis snateur et ministre plusieurs repri-ses, a t, lui, initi LAnglaise 204 Bordeaux34. Lavocat ArmandBdarrides enn, adjoint au maire de Paris aprs avoir t initi LaRunion des Amis Choisis Marseille dont Gaston Crmieux ut levnrable , rdige quant lui de nombreux ouvrages maonniques35.

Sur les trois rres Reinach, illustrations dune grande dynastie intel-

lectuelle, deux sont initis coup sr. Premier historien de laaireDreyus, lavocat et dput Joseph Reinach, dont une grande partie de lacarrire se t dans lombre de Gambetta, est membre de la loge Les Amisdu Peuple. Il dirige aussi le journal LaRpublique franaise et ait partiedu premier comit directeur de la Ligue des Droits de lHomme et duCitoyen, avec Thade Natanson et mile Kahn36. Thodore Reinach,archologue et numismate, dput de la Savoie et avocat lui aussi, his-torien, promoteur dune esthtisation du judasme et co-ondateur delUnion librale isralite37, est membre de la loge parisienne Alsace-

Lorraine. Aux cts des Reinach, les Rothschild sont une autre grandeamille juive dont certains membres sont rancs-maons. Le baron Jamesde Rothschild, ls du ondateur de la dynastie et maire de Compigne,ainsi que deux de ses quatre rres, Charles et Anselme, sont dignitairesdu Suprme Conseil du Rite cossais ancien et accept, entit adminis-trative qui gre les hauts grades.

La ranc-maonnerie a contribu dsintgrer une couche socialetrs spcique de la socit juive, celle des notables, tout en tant le lieuo se sont dveloppes de vritables stratgies et traditions amiliales.

Pour de nombreuses lignes de la bourgeoisie juive, la maonnerie ajou un rle de vecteur dintgration, et ce aux direntes tapes de leurparcours migratoire. On en citera un exemple : la amille alsacienne desSe. Plusieurs de ses membres dont le banquier Joseph-Daniel Se ,avec quelques autres Juis de la rgion de Colmar, sont les premiers

Juis tre admis au sein de la loge locale La Fidlit. Lazare Se, pro-esseur la Facult de Mdecine de Strasbourg, est initi la loge Les

Frres Runis de la mtropole alsacienne. Enn, le utur pret Eugne-Lon Se entre, alors quil est encore avocat Paris, la ameuse loge

Alsace-Lorraine au sein de laquelle il ctoie le sculpteur Bartholdi, les

Documenttlcharg


aris4-

-195.2

20.1

17.1

01-10/06/201202h48.

LesBelleslettre

s


8/13


publicistes Erckmann et Chatrian, le utur marchal Jore, le mdecinet botaniste douard Bamberger, dput de la Moselle en 1871 puisdput de la Seine, et enn Jules Ferry38. Le vnrable de cet atelier

lpoque nest autre que Gustave Dalsace, un Jui lorrain qui prside denombreuses associations philanthropiques isralites et devient quelquesannes plus tard vice-prsident du Grand Orient.

En 1872, le Grand Orient installe en eet Paris la loge Alsace-Lorraine, pour armer son soutien aux maons alsaciens et lorrainscontraints, aprs lannexion des provinces de lEst par lAllemagne, dequitter le Grand Orient de France et de rallier une obdience allemande ;il contribue aciliter linstallation Paris de nombreuses amilles exi-les39. Parmi ses ondateurs, douard Bamberger, dj cit, et Gustave

Dalsace, qui devient le premier vnrable matre de latelier auquel ledirecteur duJournal des Chemins de Fer, David Gerschel, succdera. Laqualit de membre dhonneur est conre Crmieux et lon y retrouvedautres membres de la haute bourgeoisie juive comme les banquiers

Jules Vidal-Naquet40 et Charles Goudchaux, le utur pret Eugne-Lon Se, le dput opportuniste Edmond Goudchaux, ThodoreReinach ou le mdecin Lucien Dreyus-Brisac. Lors de linstallation dela loge, Crmieux sexclame : La politique pour les maons, cest unepolitique de paix, de conciliation, de rapprochement sincre. Ici tous les

cultes sont admis sans se combattre41

. Jean-Marie Schmitt, dans unarticle rcent42, nhsite pas aire le lien entre le sceau de la loge et laorte prsence juive en son sein. Ce sceau reprsente, en eet, des mainsserres dans une toile non pas famboyante cinq branches, commehabituellement dans la symbolique maonnique, mais six branchesentrecroises. Ce serait l un tmoignage du rpublicanisme maniestede nombreuses lites juives, mais aussi de leur lien marqu avec les pro-vinces de lEst, sans compter un signal trs clair donn aux loges alle-mandes qui reusaient encore leur entre aux Juis.

Enn, nombre de Juis polonais, proscrits rvolutionnaires de 1831,rejoignent les loges maonniques parisiennes ou provinciales ranai-ses, comme la montr Daniel Tollet43. Ainsi, lavocat Lon Lubliner,membre minent du Parti polonais dmocratique, est accueilli dans uneloge dAgen ; lditeur Julius Scherk adhre aux Trinitaires parisiens ;le publiciste Lon Hollandaerski devient membre de la loge Henri IV,galement sise Paris. On retrouve encore de nombreux liens entrepatriotes polonais en exil, Juis et rancs-maons, dans les annes 1860, Paris surtout : ainsi, lhistorien et parlementaire Joachim Leewel, ins-

pirateur intellectuel de linsurrection polonaise de 1830, membre du

Documenttlcharg


aris4-

-195.2

20.1

17.1

01-10/06/201202h48.

LesBelleslettre

s


9/13


gouvernement provisoire de 1830 et uturleader des dmocrates polo-nais en exil, se rugie en France, avant den tre expuls par le gouver-nement de Louis-Philippe.

Un champ largement ouvert la recherche On ladit en ouverture de ce dossier : les ouvrages classiques sur les rapportsentre judasme et ranc-maonnerie ne stendent gure sur la socio-logie de lappartenance maonnique, car ils ont manqu de travaux depremire main. Si, en ce qui concerne la France, les travaux de Brunotienne et Vanessa Ragache ont abord la question, les ouvrages classi-ques sur le judasme ranais de la seconde moiti du XIXe sicle lont,quant eux, peu ou pas du tout examine44. Cest dire si des monogra-

phies consacres ce sujet seraient souhaitables, pour lensemble desgrandes communauts juives du XIXe sicle, en particulier Paris, Lyonet Bordeaux.

Il est touteois vident que ce rle de la ranc-maonnerie doit treenvisag de manire dirente suivant les contextes. Autant les logesmaonniques ont pu reprsenter en Allemagne un enjeu symboliqueort pour la rencontre entre chrtiens et Juis au gr des alas de cetterencontre , ou ont signi en Belgique une adhsion marque unprojet laque de socit, autant elles reprsentrent sans doute un bien

moindre enjeu pour les Juis en France. Sans doute parce que lintgra-tion y passe par dautres canaux et quau XIXe sicle tout du moins,les lites juives nont pas eu utiliser la maonnerie pour imposer leurprsence dans la socit ranaise. Ceux de leurs membres qui y gurenty arment davantage leur rpublicanisme que leur identit juive : lesprsentes considrations sur la prsence des lites politiques juives enloge lont illustr oison.

Ladhsion la maonnerie ait-elle alors partie dun mode de vie ?Il ne semble pas sagir dune norme hautement bourgeoise de lpoque,

comme celles qui scandent la vie sociale des lites nancires dcritesnotamment par Jean-Yves Mollier bien quil serait intressant danaly-ser les caractristiques de la philanthropie juive en maonnerie au regardde ce quelle tait et signiait dans le monde jui45. Il semble maisl aussi linvestigation mrite dtre pousse plus loin que lapparte-nance maonnique est le ait dune bourgeoisie moyenne, trs duque,aite de proessions librales, de commerants, de hauts onctionnaires,dintellectuels, denseignants, de mandataires politiques, etc. plutt quedes lites nancires ou de la bourgeoisie daaires, dont le mode de

socialisation passe davantage par les clubs et les cercles mondains. En

Documenttlcharg


aris4-

-195.2

20.1

17.1

01-10/06/201202h48.

LesBelleslettre

s


10/13


dautres termes, cette adhsion est plutt le ait de ceux qui doivent leurpromotion sociale linstruction plus qu largent.

En revanche, il semble que lentre-deux-guerres, priode plus di-

cile sil en est, ait vu de nombreux Juis issus des classes moyennesentrer en maonnerie. Pour tous, il sagit datteindre une galit vrita-ble, de partager une tradition, de rompre raternellement le mme paindans une sorte de sanctuaire lacis, o lon est peut-tre plus quailleurspleinement soi-mme. Mais aucun sanctuaire nest paraitement sr et,parois, les orages de la vie proane sy dchanent galement, commelors de laaire Dreyus46.

Au chapitre enn des prventions contre les Juis maons, il doiten exister au sein du judasme galement. En eet, la maonnerie peut

paratre contribuer loigner socialement certains Juis de leur com-munaut dorigine. Quel ut dailleurs limpact sur les maons juis delabrogation de la rrence au Grand Architecte de lUnivers par leGrand Orient de France, en 1877 ? La maonnerie peut aussi constituerune sorte de substitut qui transcende les clivages religieux, lesquels, toutimposs soient-ils par les alas de lhistoire, sont aussi des acteurs decontrle social au sein des communauts. Do la rilosit du judasmetraditionnel ace ceux qui se placent ainsi la priphrie du judasmeorganis et relchent lobissance due aux commandements divins.

NOTES

1. Michal Graetz, Les Juifs en France au XIXe sicle. De la Rvolution franaise lAlliance isralite universelle, Paris, Le Seuil, 1989, p. 162.

2. Voir Salomon Posener,Adolphe Crmieux, Paris, Alcan, 2 vol., 1933-1934.3. Cit en exergue Georges Renauld,Adolphe Crmieux : homme dEtat franais,

juif et franc-maon. Le combat pour la Rpublique, Paris, Detrad, 2002, p. 9.4. Georges Weill, mancipation et humanisme. Le discours idologique de lAl-

liance Isralite Universelle au XIXe sicle , Les Nouveaux Cahiers, n 52, prin-

temps 1978, pp. 11-12.5. Ibid., p. 12.6. Jean-Philippe Schreiber, lie-Aristide Astruc (1831-1905) , dans Illustres et

francs-maons, coordonn par Luc Neontaine, Bruxelles, Labor, 2004, pp. 45-51 ;du mme, Paris-Bruxelles. La polmique suscite par lHistoire abrge des Juisdlie Aristide Astruc (1870) , Archives juives. Revue dhistoire des Juifs de France,n 40/2, 2007, pp. 43-64 ; Andr Combes, Les Trois Sicles de la franc-maonneriefranaise, 2e d. revue et corrige, Paris, Edima, 1989, vol. 1, p. 403. Sur Hess etdautres intellectuels, savants et artistes juis allemands en France, et leur rle dansles transerts culturels entre les deux pays, voir Michel Espagne, Les Juifs allemands

Paris lpoque de Heine : la translation ashknaze, Paris, PUF, 1996 ; du mme,

Documenttlcharg


aris4-

-195.2

20.1

17.1

01-10/06/201202h48.

LesBelleslettre

s


11/13


Savants juis allemands de Paris vers 1850 : lments dun transert culturel ,Chroniques allemandes. Revue du CERAAC, 3-1994, pp. 187-213.

7. Michal Graetz, op. cit. ; Jean-Philippe Schreiber, LAlliance isralite universelle,une orme pionnire de solidarit internationale ? ,dans Les Solidarits interna-

tionales. Histoire et perspectives, d. par Jos Gotovitch et Anne Morelli, Bruxelles,Labor, 2003, pp. 113-127.8. Georges Renauld,Adolphe Crmieux : homme dtat franais, juif et franc-maon,

op. cit., p. 150, qui note (p. 161) que dans le Gouvernement de Dense nationalede Gambetta de 1870, lon trouve Jules Simon lInstruction publique et, laJustice, Crmieux, qui prit Narcisse Leven comme directeur de cabinet.

9. Michel Espagne, op. cit., p. 62.10. Daniel Amson,Adolphe Crmieux, loubli de la gloire, Paris, Seuil, 1988, pp. 331-

332. Voir notamment le Bulletin de lAlliance isralite universelle du 1er janvier1868, pp. 47-50.

11. Cit par Jean-Philippe Schreiber et Luc Neontaine, Judasme et franc-maonne-

rie. Histoire dune fraternit, Paris, Albin Michel, 2000, p. 135.12. Paul Dumont, Une source pour ltude des communauts juives de Turquie, les

archives de lAlliance Isralite Universelle , Journal Asiatique, t. 247, 1-2, 1979,pp. 101-135.

13. Lucien Sabah, La Franc-maonnerie Oran, 1832-1914, Paris, Klincksieck, 1990,pp. 471 et 477.

14. On aurait pu citer aussi le cas de Ham Benchimol, dvelopp dans notre article Juis dEurope et dAmrique en ranc-maonnerie (XVIIIe-XIXe sicles). Untat de la question , dans ce mme numro.

15. Andr Combes,AdolpheCrmieux, 1796-1880. Le grand-matre du rite cossais,

lavocat et lhomme politique, le prsident de lAlliance isralite universelle, Paris,ditions maonniques de France, 2003, p. 76.16. Robert Genevoy, De Besanon Paris avec les amilles Allegri et Lippmann :

notes gnalogiques ,Archives juives, n 3-4, 19-1983, pp. 35-51.17. Daniel Ligou (dir.), Dictionnaire de la franc-maonnerie, Paris, PUF, 1987, p. 29 ;

Andr Combes,AdolpheCrmieux, op. cit., p. 81.18. Franois Delpech, Sur les Juifs : tudes dhistoire contemporaine, Lyon, Presses

universitaires de Lyon, 1983.19. Michel Gaudart de Soulages et Hubert Lamant, Dictionnaire des francs-maons

franais, Paris, Albatros, 1980, p. 401.20. Franois Delpech, op. cit., Dominique Jarrass, auteur de la notice biographique,

Abraham Hirsch, architecte de la ville de Lyon, prsident du consistoire isralitede Lyon (Lyon, 19 octobre 1828 Lyon, 11 dcembre 1913) , Archives juives,revue dhistoire des Juifs de France, n 30/2, 2e semestre 1997, pp. 122-123, nementionne pas lengagement maonnique du personnage.

21. Jean Cavignac, Les Isralites bordelais au dbut du XIXe sicle, thse de doctorat,Universit de Bordeaux, vol. IV, p. 447.

22. Entre Ennery, Jonas dans Jean-Philippe Schreiber, Dictionnaire biographiquedes Juifs de Belgique. Figures du judasme belge (XIXe-XXe sicles), Louvain-la-Neuve, ditions De Boeck-Universit, 2002, p. 94. Traducteur du Dcalogue duFranc-Maon de Schwartzschild quil publia Strasbourg en 1850, Jonas Enneryt galement connatre en ranais un discours clbre de Ludwig Brne, lcrivain

Documenttlcharg


aris4-

-195.2

20.1

17.1

01-10/06/201202h48.

LesBelleslettre

s


12/13


13/13


44. Vanessa Ragache, Le Grand Orient de France et lAffaire Dreyfus. Mythes et ra-lits (1894-1906), Paris, ditions maonniques de France, 1998 ; Bruno tienne, Note sur quelques juis rancs-maons de Provence dans Jean-Louis Mige(dir.), op. cit., pp. 270-274.

45. Voir notamment Pierre-Yves Mollier, Financiers juis dans la tourmente des scan-dales n de sicle Paris (1880-1900) ,Archives juives, revue dhistoire des Juifsde France, n 2, 29-1996, pp. 65-82 ; Pauline Prevost-Marcilhacy, La politiquesociale des amilles juives Paris aux XIXe et XXe sicles , dans Max Polonovski(dir.), Le Patrimoine juif europen, Paris-Louvain, Peeters, 2002, pp. 33-42.

46. On consultera ce propos larticle dAndr Combes dans ce mme dossier.

menttlcharg


aris4-

-195.2

20.1

17.1

01-10/06/201202h48.

LesBelleslettre

s

les élites politiques juives et la franc-maconnerie dans la_france du_xixème siècle...

Documents