les droits de l’homme : un crime contre l’humanitÉ · 2019-01-13 · 1 table des matières 1...

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Mémoire de diplôme de Master en droit Jean-Marc Heim Octobre 2012 LES DROITS DE L’HOMME : UN CRIME CONTRE L’HUMANITÉ Présenté à la faculté de droit sous le titre : Ce que les droits de l’homme ignorent de l’homme Un regard anthropologique sur l’institution normative Cursus automne 2012 Faculté de droit de l’Université de Lausanne Sous la direction du Pr. Alain Papaux, cours de philosophie du droit

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MémoiredediplômedeMasterendroit

Jean-MarcHeimOctobre2012

LESDROITSDEL’HOMME:UNCRIMECONTREL’HUMANITÉ

Présentéàlafacultédedroitsousletitre:

Cequelesdroitsdel’hommeignorentdel’hommeUnregardanthropologiquesurl’institutionnormative

Cursusautomne2012Facultédedroitdel’UniversitédeLausanne

SousladirectionduPr.AlainPapaux,coursdephilosophiedudroit

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Tabledesmatières 1Introduction 2Partie1Lemythedelanon-limite 3I. Lesdroitsdel’hommecontreladémocratie

II. Dumytheinfantiledelanon-limiteàsaréalisationtotalitaire 5 A.L’idéaldejouissance B.Lerefusdelafrustration 7 C.L’institutiondufantasmeparlesdroitsdel’homme 9

III. Totalitarisme:fairedumytheuneréalitéoul’Undanslemonde 10 A.Lefondementcommelieuexcludupouvoirabsolu B.LaDémocratiecommeconditiondutotalitarisme 11

IV. Lerefoulementoccidental 15 A.Lacoupuredesorigines B.LeMonumentromano-canonique 16

V. Lastructureternaire 17

VI. Ledogmeanti-dogme 19 A.L’imperiumtechnico-scientifique 20 B.L’individu”libéré” 21

VII. L’exemplenazidelanon-limite 23

VIII. Conclusion 24Partie2Lecritèred’unelimitedanslapratique 26I. Lesdétournementssubversifsdelalogique

A.Undogmatismeocculté B.Lecritèredel’intérêtindividuel 27 C.L’évictionducritèredelamoralitépublique 28 D.L’évolutiondesmentalitésouladictaturedufait 30

II. Uneculturedel’universalité 35 A.Lamiseenperspectived’untableauunique 36 B.L’exigenced’uniformitéfaceàlaglobalisation 38

III. Ladignitéhumaine 40 A.Unconceptréactualisé B.Unemoralefétichistedel’hommeunifié 42 C.Unenouvellelégitimitédel’Interdit 47

a)Ladignitéhumainecommedimensionnégativedel’homme 49b)Lethéâtredel’Humanité 49c)Unprincipedelégitimité 50d)L’institutiondel’Interdit 51

D.Conclusion 53

IV. Conclusion 54Bibliographie 57

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Introduction

Avoirladésolationd’unmondedessinéparlesdémocratiesdesdroitsdel’homme(ci-aprèsDH), pendant qu’elles chantent les incantationsde ces droits rédempteurs, telleunereligionduSaluttirantsonpouvoirdelasouffrancequ’elleinduit,lanuditéduRoicommenceàsefairevisibleelleaussi.NousinsinuonsiciquelesDHseraientaujourd’huil’instrument d’une illusoire libération, par lequel l’homme institue en fait sa proprealiénation.

Avancerunetellehypothèseestuneentreprisepérilleuse,quiprendlerisqued’êtremalcomprise,tantilestévident,quelesDHsontdevenuslaseuleprotection,nonseulementcontre l’arbitraire du pouvoir de certains Etats, mais surtout, dans nos sociétésdémocratiques,contreunpouvoiroccultequelesEtatseux-mêmesneparviennentplusàcontrôler.

Notre propos ne sera pas de contester la nécessité d’une telle protection, maisd’envisager lesDHentantqu’idéologie légitimantunsystèmedepenséequicachesesmécanismes d’asservissement. La particularité des DH est d’être la seule protectioncontre les abusde ce systèmedont ils sontenmême temps lapierreangulaire.Notreobjectif sera d’en révéler les mécanismes, qui ne sont plus visibles parce queprécisément ils agissent directement sur la capacité de pouvoir penser. C’est donc auregard d’une anthropologie de la Raison, du fonctionnement de la pensée, qui est lepropre de l’humain, que nous aborderons notre analyse. Appuyée par divers auteurs,notredémarcheseréféreraprincipalementauxtravauxdePierreLegendrequiontmisen évidence la structure par laquelle l’animal parlant se construit en rapport à unealtérité normative, dont la chaîne causale remonte inéluctablement à une fictionmythique et dogmatique. Or, c’est précisément ce que l’Occident a refoulé par sacroyance en une connaissance scientifique du phénomène humain, qui seraitprétendumentdirecte, donc objective et nondogmatique. LesDH, construits sur cetteignorance anthropologique, sont devenus le nouveau dogme qui permet de colporterl’obscurantismedanslemondeentier.

Nousverrons,dansunepremièrepartie,dequoiest faiteunetellecroyance,commentelleapusemettreenplace,etquesesconséquencesdévastatricesontouvertlaporteautotalitarisme.Dansunedeuxièmepartie,nousaborderons laquestionde la limitetellequ’elle est «gérée», ou plutôt telle qu’elle n’est pas assumée, par la casuistique destribunaux,tantqu’ilsserontsoumisà lapenséepositiviste.Enfin, leconceptdedignitéhumaine, avec les dangers qu’il comporte, nous permettra d’envisager la possibilitéd’uneouverturesurunereconnaissancedeladimensionsymboliquedel’êtrehumain.

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Partie1 Lemythedelanon-limite

I.Lesdroitsdel’hommecontreladémocratie

«Ilestunenversmenaçant–quinelesaitàprésent?–duprojetd’unesociétélibéréede toute oppression: la domination totale. »1 Marcel Gauchet, comme de nombreuxautres, nous met en garde ici contre un individualisme qui vide le politique de toutprojet collectif, précisément parce qu’il n’y a plus que les DH pour remplir ce vide,«quand, nous dit-il, les droits de l’homme deviennent une politique». Le processusapparaîtcommeunespiraledanslaquellelesindividus,autantquelepouvoir,ontperdule contrôle. La souveraineté du peuple, corps social en dislocation, se déplace vers lasouveraineté des individus qui, ne pouvant plus se référer à une communauté, sereplientchacundansunégoïsmeconcurrentiel.Lepouvoirn’étantplusquel’expressiondecettesociété,conformémentauprojetlibéral,c’estdonclapolitiquedumarchélibrequi domine: «La politique et l’Etat ne trouvent leur raison d’être que dans leurassujettissement immédiat à l’individu ou à des groupes de pression au sein de lasociété. Le discours sur les droits de l’homme en est le symptôme par excellence. »2Nousassistons,impuissants,àuneoligarchisationdupouvoir,pluspuissantquejamaisparcequelaloidumarchéetsatechno-science,quiseprésententcommedesimpératifsnaturels,sontdevenuslaseuleréférencelégitimepourdirigerunesociétéatomiséequinepenseplus.Pourquoipenser,quandilsuffitdeconstaterdesfaitsaccomplis!C’esteneffet tout ledébatdémocratique,à labasedeschoixdesociété,quis’éclipse.Cedébatdevaitformerlavolontépopulairedonnantuncontenulégitimeaupouvoirdel’Etat.Cedernier n’est plus qu’un organe gestionnaire vide, dont la ”politique” se réduit à unevalidationdecequisefait,horsdébatetsansréflexionsurleschoixdesociété.

PourMarcelGauchetlesDHjouentunrôledanscephénomène,qu’ilappelle«unecrisede la démocratie», en ce qu’ils « se sont réinstallés concrètement en position defondement opératoire dans le fonctionnement de nos sociétés», et que de ce fait «lalogique du droit des individus occulte tout le reste, y compris dans le regard desindividuseux-mêmes».Ilenrésultequecesderniers«sontprisonniersd’unmécanismed’ensemble, même si ce mécanisme paraît marcher à leur avantage particulier. C’estpourquoi ces problèmes ne peuvent être valablement abordés qu’à l’échelle del’ensemble.»3 Ainsi, n’ayant pas de vision politique, les DH ne sauraient être unepolitique, selonMarcel Gauchet, qui relève le paradoxed’une telle approche des DH :l’individunepouvant se réaliser quedansunEtat qui lui garantit son individualisme,l’accroissement des droits individuels ne peut aboutir qu’à plus d’Etat. «Dans cette

1M.Gauchet,«Lesdroitdel’homme…»,112A.Braeckman,Ladémocratieàbout…,1303Ibid.161

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optique, une pensée qui positionne l’individu et ses droits contre l’Etat mènera ipsofactoàuneimpasse.»4

Marcel Gauchet ne remet pas en question les DH en tant que tels, mais la placeprépondérantequ’ilsoccupentaujourd’huidans la société, en tantque l’undes«troisvecteursdel’autonomie»5(celuidudroit),àcausedel’effacementdesdeuxautres(lesvecteursde lapolitiqueetde l’historicité).Malgré lapertinencedesescritiquessur leprocessus contradictoire des DH et ses effets néfastes, il ne s’agit pour lui que d’une«crisedeladémocratie»,quin’enlèverienàl’universalitédesDH.D’aprèsnotreauteur,sicesderniersposentdesproblèmes,cen’estqueparcequ’«ilyaloinduprincipeàsoninscription effective dans les rapports sociaux», et que donc «c’est autour de cettedistancequegravitentnosdisputesd’aujourd’hui»6,car«leprincipeaplanétairementgagné.Lalégitimationreligieusedespouvoirsn’estàpeuprèsnullepartplustenable.Ace titre, la légitimation par les droits des individus est devenue un horizon universel.Maislecheminàfairepourquecethorizonseconcrétiseresteimmense.»7

IlnoussemblequeMarcelGauchetaitunevisionhistoricistedanslaquellelesproblèmesactuelsrattachésauxDHneseraientqu’unpassagedansuneHistoire,quis’afficheraitcomme universelle : la sortie de la religion nous amènerait inéluctablement à ladémocratiecommeunprogrèsdecetteHistoire,etlacrisequenoustraversonsneseraitquelefaitd’unexcèsd’attentionmomentanédesindividusàleursdroitsindividuels.IlfaudraitalorscontinueràcroireàuneHistoirequiseferaittouteseule,sansqu’ellenesoitproprement ledestinhistoriqued’unecultureenparticulier,etattendrequecetteprovidentiellesagessedel’Histoirenousredonneunprojetpolitiquecollectif.

Nous ne suivons pas cette vision, d’abord parce qu’il est peu probable que l’individupuisse agir autrement, comme se le demande justement Antoon Braeckman: «notrecondition individualisée nous permet-elle d’être l’homme citoyen auquel Gauchetaspire?Si–commeGauchetleditlui-même–touslescadrestranscendantl’individu(lanation,lareligion,l’Etat,lasociété,laculture)sontsoumisàuneérosionavancée,peut-onencoreattendrede l’individuqu’il s’impliqueactivementdans ces cadres générauxquipourlui,danslapratique,n’ontplusaucunsens,parcequ’ilsnesontjustementplusperçuscommecadresgénéraux?»8Sil’individuaperdulaperceptionducontextesanslequel il ne peut se constituer comme individu, ne serait-ce pas parce que c’estprécisémentcecontextequileconditionneànepluslepercevoircommeconstitutifdesonautonomie?

4Ibid.1335Ibid.1366M.Gauchet,«Dubonusage…»,1667Ibid.1688A.Braeckman,Ladémocratieàbout…,145

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Pour comprendre ce phénomène, nous devons introduire une dimensionanthropologique,quenousdévelopperonsdansleschapitressuivants,avecl’idéequele(con)Texte social a une fonction instituante pour le sujet individuel, idée que noussuggèrent ces mots de Cornelius Castoriadis: «L’idéologie libérale contemporaineocculte la réalité social-historique du régime établi. Elle occulte aussi une questiondécisive,celledufondementetducorrespondantanthropologiquesdetoutepolitiqueetde tout régime. [...] Le contenu anthropologique de l’individu contemporain n’est,comme toujours, que l’expression ou la réalisation concrète, en chair et en os, del’imaginaire social central de l’époque, qui façonne le régime, son orientation, lesvaleurs,cepourquoiilvautlapeinedevivreoudemourir,lapousséedelasociété,sesaffectsmême-etlesindividusappelésàfaireexisterconcrètementtoutcela.»9

LeTextedesDHapriscette fonction instituante,maispar le faitqu’ils instituentpourprincipequel’individuestàmêmedes’instituerlui-même,ilsenfontunêtreautofondé,un être sans altérité, un être unaire enfermé dans son fantasme de toute-puissanceenfantine, un être totalitaire, ou, dit plus populairement, un être sans éducation.Commentpourrait-ildanscetétatdedéraisonpercevoirquesonintérêtdépendd’aborddesoninscriptiondansunecommunauté,etnonpasdesapurejouissanceimmédiate,puérileetincivilisée?

II.Dumytheinfantiledelanon-limiteàsaréalisationtotalitaire

A. L’idéaldejouissance

L’individuactuel, telquenousvenonsde ledécrire,n’estpas, comme lepenseMarcelGauchet, le résultat d’un phénomène récent lié à l’Etat-providence, quand bienmêmel’on peut admettre un lien d’enchaînement logique entre ces deuxmoments de notrerécentehistoire. Ilsuffitderegardercomment l’idéal libéralenvisageait l’individudéjàausiècledesLumièresetdelaRévolutionfrançaise,pourseconvaincrequelessourcesde son immaturité ne datent pas d’aujourd’hui. Un idéal qui ne faisait en fait que dereprendreàsoncompte lesamusements licencieuxd’unearistocratieendécadence,etdont la légitimité ne repose sur rien d’autre que le rejet de toute autorité. GeorgesBurdeaunousditdecetidéallibéral,que«danssonessence,ilreposesurlaconvictionque l’homme est libre, mais, dans les faits, cette liberté se révèle par ce à quoi elles’oppose. C’est pourquoi le vocable du libéralisme n’acquiert sa pleine significationqu’accompagnéedesesantonymes:despotisme, totalitarisme,autocratie,absolutisme,étatisme,corporatisme,dirigisme,collectivisme.Touscesmotsquidésignentceque lelibéralisme refuse dessinent en négatif ce point commun par lequel toute ses formes

9 C. Castoriadis,Figures dupensable. Les carrefours du labyrintheVI. Paris, Seuil, 1999, 166. Cité par S.Vibert,«Ladémocratiedans…»,184

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s’apparentent: le rejet des contraintes par lesquelles une autorité extérieure, quellequ’ensoitl’origineoulafinalité,viseàparalyserlesdéterminationsindividuelles.»10Siladoctrinelibéraleaétépenséeàl’originecommeinséparabled’unordremoral–«quoiquel’étatdenaturesoitunétatdeliberté,cen’estnullementunétatdelicence»écrivaitLocke11–onsedemandeparquelmiraclecettemoralepouvait,enmêmetempsquelaliberté, être elle aussidonnéepar lanaturede l’homme, sansqu’il faille fairequelquechosepourqu’elle soit.Eneffet, laDéclarationde1789n’ad’autre injonction,pour lemoinstrèsindéterminée,quecellequi«défendlesactionsnuisiblesàlasociété»,ettoutcequipourraitnuireàautrui.Sanscritèrespermettantdedéfinircequiestnuisible, iln’y a pas là de quoi instituer une moralité. Et s’il est besoin d’un pouvoir, ce n’estnullement pour établir une mesure dans l’usage de la liberté, mais plutôt «pour seprotégercontrel’intoléranceetlesbarrièresmoralesquefaisaitpesersurleshommesledogmatisme des religions.»12 Dans cette perspective l’Etat n’était la condition de lalibertéquecomme«uninstrumentquinedéterminepaslafinalitédesonaction.»13Onpeutdèslorssedemanderquelleestdonclafinalitédecetteliberté.

Lethèmedubonheurindividuelfaitsonémergenceàcettemêmeépoque,pourdonneruncontenuàlaliberté.Cen’estpluslasagessenilaparticipationàlaviecollectivequireprésente la vertu première de l’homme, mais son bonheur individuel fait dejouissance,etquinedevraitdépendrequedelui.VoyonscequeBenjaminConstantnousditdelalibertédesmodernes:«Leshommesn’ontbesoinpourêtreheureuxqued’êtrelaissésdansuneindépendanceparfaitesurtoutcequiarapportàleursoccupations,àleursentreprises,àleursphèred’activité,àleursfantaisies…»;ouencore:«lepeupleleplusattachéàsaliberté,danslestempsmodernes,estaussilepeupleleplusattachéàses jouissances.»14 Contrairement aux anciens, qui «sacrifiaient» (selon nous lesmodernes) leur jouissance privée pour en acquérir une autre faite de la participationactive et constante aupouvoir collectif, «notre liberté, ànous,doit se composerde lajouissancepaisibledel’indépendanceprivée.»15Etdonc«peunousimportequelemotcivilisationviennedumotcivitas;cequiestcertain,c’estquesonacceptionachangéenroute.Lacivilisationn’estplus,danslapenséedesespartisanscommedesesennemis,uniquementcequirendleshommespluspropresàlasociété,maiscequiprocureuneplus grande somme de jouissance.»16 Benjamin Constant, en opposant la liberté desanciensàcelledesmodernes,metenévidencequecettedernièresefondesurlerefusde

10G.Burdeau,LeLibéralisme,811CitéparG.Burdeau,ibid.,4212Ibid.,4913Ibid.,5114B.Constant,Delaliberté…,184et18515Ibid.,50116Ibid.,548

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lafrustration,alorsqu’ilexisteuneautresortedelibertéetdejouissance,àl’exempledecelledesanciens,quirésulted’unefinalisationdesaproprejouissanceaucollectif.

LesDHcontiennentdèsledépartleprojetd’unelibertéseloncetidéalfantasmatiquedenon frustration. Pour comprendre qu’une telle liberté est en fait la libération d’unfantasme,dont laréalisationnese faitqu’auprixde la libertéelle-même,nousdevonsfaireundétourparlapsychanalyse.

B. Lerefusdelafrustration

L’apport freudien a mis en lumière ce qui se joue symboliquement au niveau del’individudanssonprocessusd’autonomisation.Ildevientalorspossibledecomprendrece que la civilisation a pour tâche de civiliser dans l’homme, et sur quel mécanismesubjectifelleagitpourlefaire.

Lemytheestauxfondementsdetoutesociété,entantquereprésentationdesoriginescomme le lieu de la toute-puissance de l’Un indivis. Il est aussi aux fondements del’enfantqui,neconnaissantpasencorelaséparation,vitl’expériencemythiquedecettetoute-puissance, mais qui devra, par l’intégration de la frustration, se confronter auprincipe de réalité, principe séparateur instituant la Raison. Instituer la Raison c’estdonc civiliser l’état inaugural mythique de l’enfant qui accède par le langage à sadimension symbolique. Le tabou de l’inceste, que Freud a rationalisé en référence aumythe d’Œdipe-Roi, n’est rien d’autre que l’impératif de séparation. Selon PierreLegendre, «l’inceste est la négationdedeuxplans, la règle et lemanque. Inéduqué etsans loi, ignorantdudéchirementquisépare lessexes,ainsiserait l’humaindélivrédutabou, humain à l’état brut.»17 Le tabou de l’Interdit de l’inceste est donc le principeséparateurdelamère(toute-jouissance)parlafiguredupère,conditionindispensablepour que l’enfant puisse accéder à la Raison, c’est-à-dire puisse civiliser son étatinauguraldetoute-puissanceparlaconfrontationàlalimitedelaréalité.Cettefonctioncivilisatrice, avant d’être celle du rapport parental est d’abord celle du rapport àl’autoritédansune société.Dans les sociétésoccidentales, c’est l’Etat quiprend figurepaternelle dont le rôle est d’instituer l’Interdit, car «chaque société, nous dit lepsychanalyste Jean-Pierre Lebrun, fait référence à un ensemble de normes qui vontactualiser la nécessaire perte de jouissance, s’organisant de façon différente. Peuimporte latournurequeprendl’interdit,carcequiestvisé,c’esttoujours la limitationfondamentalede la jouissance.»18L’idéal libéralde la jouissance,quiestdevenu la loipar son inscription dans les DH, fait de l’Etat un ”pèrematernalisé” permettant à sessujets de se maintenir dans leur état infantile de dépendance: cette confusion de ladifférenciationdessexes–quiestlerefusdelaséparation-aboutitàcettecontradiction

17P.Legendre,LeçonsI…,37618J.-P.Lebrun,LaPerversionordinaire…,105

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qu’il fautà la fois tuer l’Etat-pèrepoursepréserverde la frustrationde la séparation,toutenluidonnantlaplacedupouvoirsuprêmequiseulrendpossiblelagarantiedelajouissance.19Cemodèle instituéestdevenu laréférencede tous lesrapportséducatifsdans la société: comme l’écrivait Balzac, «en coupant la tête du roi, la République acoupé la têteà tous lespèresde familles.»20Désormais l’enfantestdevenu l’imagedecethommelibreetauthentiqueencoreviergedetoutconditionnementsocial.Paruneinversion du rapport hiérarchique de filiation, l’enfant prend la place de l’autorité, etdevenant l’instituteur de ses parents, «ce sont désormais les parents qui vivent dansl’attentede l’amourde leursenfants.Aupointparfoisdenepluspouvoir leur imposerunequelconque limite.»21Dès lors, c’estsonenfanceque l’ondérobeà l’enfant,en luifaisantprendrelestatutd’unadultemajeurparsesdroitsdedonnersonavisaumêmetitrequ’unadultequ’iln’estpas.Nienfantniadulte,lepetitdel’hommedevientenfaitlemodèlequipermetàl’adultederesterenfant!

Cebrefdétourpar lapsychanalysenouspermetde comprendre le rôle civilisateurdel’institutionsocialedelalimite,parlaquelleseréaliseleprocessusdesubjectivationdel’individu.Ildevientplusclairque«l’enfantarrivetoujoursdansunmondedéjàlàavantlui,et(que)decefaitsadépendanceinitialeestinéluctable.C’estforcémentàpartirdecette dépendance qu’il devra construire son autonomie, qui ne lui est pas donnéed’emblée.»22Ceprocessusestuniverselencequ’ilestàlabasedel’humanisationquellequesoitlaformequetelleoutellesociétéluidonne.

Cette dépendance n’est pas le fruit d’un pouvoir arbitraire, mais elle découle de lalogiquede laséparationentremytheet réalité.Ainsi, c’estenreprenant,àsa façon, lemytheinauguraldel’enfant,etenluidonnantunepositionderéférencetranscendanteinaccessible,qu’unesociétéjouesonrôlecivilisateur23:enséparantellecréeunrapportde lien qui, à l’instar du langage, ouvre un espace de liberté à l’expérience subjectived’appropriation.PierreLegendredécritparfaitementceprocessusd’entre-appartenance19AproposdelaDéclarationuniverselledesDHde1948,AndréAkounnousditque«cesnouveauxdroitsontuneautrefinalitéquecelledelimiterl’espacedupouvoirpolitique.Toutaucontraire,ilstransformentlerapportentre l’individuet l’Etat. (…)CettemutationestdécriteparTocquevillequimontrecomments’engendreundespotismeoriginal:«Au-dessus[desindividus]s'élèveunpouvoirimmenseettutélaire,quise charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort.»», De la démocratie en Amérique,Tocqueville,citéparA.Akoun,Lesdroitsde l’homme,aprioride ladémocratie, 197.Etencore:«L'État,invoquécommelegrandintercesseuretdonccommel'outildessatisfactionsindividuelles,devientcetteréalité opaque qui surplombe la société, réalité sans sacralité puisque réduite à une fonctioninstrumentale.»Akoun,ibid.,19820Mémoiresdedeuxjeunesmariés,citéparJ.-P.Lebrun,LaPerversionordinaire…,10621Ibid.,22322Ibid.,22123«Laroyautéd’unenfantnousrenvoieàcetteappropriation,quejerésumeraiainsi: lecommencement(subjectif et social) de l’homme est mythique. Si l’on conçoit clairement ce point de départ, alors lesconstructions mythologiques et religieuses de toute culture apparaîtront pour ce qu’elles sont: laprojection du plus humain de l’homme, une reprise transcendantale de la royauté d’un enfant.» P.Legendre,LeçonsI…,119

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du sujet individuel et de la société :«Telle est l’entreprise constitutive de la culture:écrirelemythepourl’instituercommeRéférenceaunomdelaquellesedéploiel’ordrenormatifen tousdomainesde l’activitéhumaine,uneopérationde transformationquiconduit le discours, d’un point de dé-Raison fantasmatique, vers le point de Raisonimposéparleprincipederéalité.»24

C. L’institutiondufantasmeparlesdroitsdel’homme

LesDHn’échappentpasàcephénomène,mais ils l’utilisentàrebours: ils instituent lemythefantasmatiquedelanon-limite,nonpascommeunau-delàinaccessiblequ’ilfautciviliserparlasymbolisation,maiscommeunprincipederéalitéqu’ilfautautoriser.Ladivision civilisatrice ne se fait plus, et la mise en péril de la symbolisation du sujetcomprometsonprocessusd’autonomisation.

S’ilestuneuniversalitéàreconnaîtreauxDH,cenepeutêtrequecellequiconcernelerefus de la limite, car c’est là précisément le point stratégique par lequel toutes lessociétéshumainescivilisentleurssujets:enbravantlerefus”naturel”delafrustrationpar l’institution de l’Interdit. Ce refus ”naturel” de toute règle est bien cet ”état denature”, notion forgée par les théoriciens du contrat social du XVIIè siècle, et quidésignaitl’étatdanslequelseraitl’hommeavantlasociété.Nousretrouvonsclairementle mythe fondateur de la société, qui correspond à l’état mythique infantile de non-séparationdanslajouissancedutout.

Nousdevonsciter iciFrançois Jullienquiaremarquablementbiensaisi lepotentieldemanipulation inconscientedecemytheexploitépar lesDH:«Tousceuxqui,depar lemonde, invoquent les droits de l’homme n’adhèrent pas pour autant à l’idéologieoccidentale (et même la connaissent-ils?); mais ils trouvent dans ceux-ci l’ultimeargument ou plutôt instrument, repris inlassablement demain enmain et disponiblepour toutecauseàvenir,nonpas tantpourdessinerunenouvelle figured’opposition,dontonpeuttoujourssoupçonnerqu’ellefaitencorejeucommunavecsonpartenaire-adversaire, que pour – plus radicalement – refuser. (…) Sur leur versant négatif, lesdroitsdel’hommeréussissentàdireexemplairementcetteuniversalitédurefus.»25

En jouantsur le terraindunoyauatomiquede l’institutionsubjectivede laRaison, lesDH touchentdirectement et universellement à cequi fait tenir ensembleune société:leur mythe fondateur. A l’instar des manipulations génétiques, c’est ici la Raisonhumaine qui est atteinte de plein cœur. Autant dire qu’on n’aurait pu imaginer armedestructrice plus redoutable et efficace, par l’invisibilité de sa violence qui n’apparaîtplus derrière sa morale humanitaire indémontable. En donnant raison au fantasmeprimitif de tout enfant de l’humanité, au-delà de son appartenance culturelle,24P.Legendre,LeçonsIX…,4825F.Jullien,«Universel…,5

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l’intervention des DH apparaît toujours comme la révélation d’un conflit interne à lasociétéintimée26,etc’estcequipermetdefonderleuruniversalité.Ainsi, selon François Jullien, «la capacité universalisante des droits de l’homme tientplusencoreàcetautrefait:leurportéenégative(dupointdevuedececontrequoiilssedressent)estinfinimentplusamplequeleurextensionpositive(dupointdevuedeceàquoi ils adhèrent). Car si, du point de vue de leur contenu positif, on sait désormaiscombien celui-ci est contestable (par sonmythe de l’individu, du rapport contractuelassociatif,parsaconstructiondu”bonheur“comme findernière,etc.), s’ilsnepeuventpar conséquentprétendre enseigneruniversellement comment vivre (en exigeantqueleur éthique soit préférée à toute autre), ils sont un instrument incomparable, enrevanche, pour dire ”non“ et protester : pour marquer un cran d’arrêt dansl’inacceptable,calersureuxunerésistance.»27

III.Totalitarisme:fairedumytheuneréalitéoul’Undanslemonde

A. Lefondementcommelieuexcludupouvoirabsolu

Ilestimportantdesaisirquelemythedesoriginesestlaplacedupouvoirabsolu,parcequ’ilestlafictionquirendlenéantreprésentablepourl’homme,etdelaquelledécoulel’enchaînementdescausalités.PourFethiBenslama « toucherà la fictionpar laquelleestassumé lenéant,c’est toucher leproblèmede ladifférenciationavec l’absoluetdumêmecoupladifférenciationaveclesmotsetleschoses,entreunsujetetunautre…»28C’estpourquoi«iln’yapasd’autrepartmauditequecelle-là.Lapartmauditeestlapartqui fonde». Or, les Lumières, la Révolution et les DH ont remanié cette fiction desorigines, garante de l’exclusion de la toute-puissance, pour littéralement «briser lesceauancienoùétaitretenue”lapartmaudite”.»29C’estlecorpsmythiqueduPère–letotemséparateur-quiaétérenverséenunéclatement,unpartagedumythe–dépeçage

26Cetargumentest invoquépar lesdéfenseursde l’universalitédesDHcomme lemontrent cesproposd’unarticlepubliésurlesiteinternetdelaPlateformed’informationhumanrights.ch:«Ennovembre2002,à Téhéran, un mouvement de protestation massif s’est formé après la condamnation à mort d’unprofesseurd’histoirequiavait–etc’estlàleseulcrimepourlequelilavaitétécondamné–soutenuquelareligiondevaitêtreréinterprétéeparchaquenouvellegénération.Cetexemplenousmontrequeleconflitqui oppose les valeurs culturelles locales aux normes des droits humains ne représente pas unantagonismeentre ledroità l’autodéterminationculturelleetune idéologievenuede l’occident,maisserévèle, dans la plupart des cas, un conflit interne entre des acteurs d’une même société.» Plateformed’informationhumanrights.ch,AlexSutter,trad.EmmanuelGaillard,«Impérialismeculturel?»Néanmoinsles DH tranchent clairement le conflit dans un sens plutôt que dans l’autre, selon une référenceoccidentale.27F.Jullien,«Universel…,528F.Benslama,Unefiction…,4829Ibid.,49

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du corps mythique - selon «l’idée d’une justice pour tous à l’égard de l’origine, quirésideraitdanslapossibilitéd’accèspourchacunaumaniementoriginaire.»30

LesDH ne renvoient plus à une représentation de l’inaccessible transcendant, lieu del’absolu indisponible, à l’instardes religionsqui «mettenten scène ledémiurge,Dieu,l’entitétotémique,c’est-à-direleTierscausal, lefondementsuprêmedelaparoleetdupenser»31,nousditPierreLegendre.LemytheéclatédesDHdonnelaplacedupouvoirabsoluàl’homme,danssonimmanence,etenenfaisantainsiunêtreautofondé.Untelmythe ne peut dès lors plus être une instance tierce prenant fonction de totemséparateuretcivilisateur,etc’estalorslaloidel’Unqui,eninstituantl’anti-tabou,donneraisonaufantasmedepouvoirdemeurerdansl’étatinauguraldelatoute-jouissancedel’enfant.CommenousditencorePierreLegendre:«Lesujet-Roiàl’occidentalevitdansl’idylled’êtretout,”l’entierabsolu”selonlaformuleanticipatricedeRousseau,etl’idéedefiction,associéedepuislesglossateursmédiévauxàlavéritédupouvoir,aétébanniecommerépugnante,incompatibleavecl’universa-normatifdelarégulationsociale.»32

SelonFethiBenslama,l’appropriationindividuelledesoriginesparchacun,telunéternelrecommencement, est un renoncement à toute origine, ou plus précisément unetransparenceoriginaire,quetouteoriginedéterminéesépareraitd’elle-même.D’oùcettequête de l’universel humain, d’une humanité qui veut devenir «ses propres père etmère, sa cause première et finale, chaque homme étant appelé à s’identifier àl’Homme.»33Le lieuoriginairedevantrestervide, l’hommeoccidentalsansattacheestce que Fethi Benslama appelle un errant et un orphelin en exil: «l’exil occidental estcettevolontédesortirlacivilisationdelaculturedel’originepourinscrireenprojetlacommunautéhumaine.»34

B. LaDémocratiecommeconditiondutotalitarisme

LesDHreposentsurcetidylledenon-séparation,quisetraduitauniveauuniverseldansl’idéal d’une grande famille humaine qui aurait résolu, ou qui serait sur la voie derésoudre les guerres de la représentation par la reconnaissance d’un principe valablepourtouteslessociétésau-delàdeleursculturesetsanspréjudicepourelles.Cetidéalde l’Unviseàsupprimer ladivisionconsubstantielleaumondede laréalitéenvoulantréaliserformellementdansl’immanencecequinepeutêtrequetranscendant.Cen’estlàqu’une vaine tentative de réification mythologique, propre à toutes les formes detotalitarisme, qui en voulant réaliser dans le monde l’Un transcendant, ne font que

30Ibid.,5131P.Legendre,LeçonsI…,20432Ibid.,25833F.Benslama,Unefiction…,7234Ibid.,69

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supprimerl’espacedelibertéquirésultedeladivisionentresymboliqueetréel,lieudel’interprétationdusensdelavie,etdel’enjeupolitique.C’estainsiqueClaudeLefortadécritletotalitarisme,dontlapenséenousesticiexplicitéeparHuguesPoltier:«Dansles sociétés anciennes, le déni de l’écart du réel et du symbolique reposait sur lanégation du pouvoir humain de transformation dumonde. A l’opposé, dans la sociététotalitaire,cedénireposesurl’identificationdupouvoirhumainetdupouvoirinstituantdusocial.»35Leconceptd’humanitéuneetunique,au-dessusdeshommesetde leursdifférences,n’est-ilpaslefantasmedevouloirréaliserl’Undanslemonde,danslaloideshommes,defairefusionnerlesymboliqueetleréel?Ainsiessentialiséeounaturalisée,c’est-à-dire universalisée, la loi des hommes devient le lieu du pouvoir absolu, par lanégationdeleurfacturehumaineetfictionnelle.

PourClaudeLefort,toujoursselonHuguesPoltier,lesDHn’auraientpasdefondementnaturel36, et la démocratie permettrait d’éviter le déni de l’écart du réel et dusymboliquepropreauxsociétésanciennes,ainsiquel’identificationdecesdeuxtermesfaiteparlessociétéstotalitaires.Etcecigrâceauxphénomènesdémocratiques«liésàlaposition du pouvoir comme lieu vide, à la reconnaissance de la division interne de lasociétéet,partant,dela légitimitéduconflit»,contrairementaudesseintotalitairequilui «suppose l’inversion de chacun des traits que nous venons de mentionner:l’incorporationdupouvoir,lanégationdeladivisioninterneetl’interdictionduconflit–plus exactement de son expression – (qui) sont ainsi des caractéristiques nécessairesd’unesociétéquiseveut«réellement»auprincipedesonordre.»37

Nousvoyonsqu’enthéorieladémocratiedesDHreconstruitunedualité,uneformedetranscendance dans l’immanence, qui vise à protéger le lieu du pouvoir absolu en lelaissant vide. Mais, comme nous l’avons vu avec Marcel Gauchet, la réalité est biendifférente,quandcetteindéterminationdupouvoirenvientàsevideràtelpointqu’ilnetrouved’autrecontenuquesonpropreprincipe,c’est-à-direquelaliberténesetrouveplusd’autrefinalitéquesonprincipedeliberté.Ladivisioninterneàlasociétésedissoutalors dans le narcissisme du fait accompli qui se légitime lui-même, et le conflit perdtoute légitimité, la parole se confondant avec les faits. Ce sont alors les choses quiparlent,etnonplusl’homme,pourreprendreuneexpressiondePierreLegendre38.C’estainsi le lieu du pouvoir absolu, vidé du politique, qui est assiégé par une régulationmanagérialeéconomico-technico-scientifiste,censéenousrévélerlavéritédeschoses.35H.Poltier,Passion…,22436SelonHughesPoltier«Lefortrécuse-t-illalecturedesdroitsdel’hommeselonlaquelleils’agiraitlàdedroits rattachés à l’individu humain comme tel et dont chacun bénéficierait en tant qu’il serait unreprésentantdel’espècehumaine»,ibid.,261.CritiquéeparLefort,unetelleconception«réduitlesdroitsde l’homme aux droits individuels et, du même coup, elle ramène la démocratie à la seule relationqu’entretiennent ces deux termes, l’Etat et l’individu» Claude Lefort, «Les droits de l’homme enquestion»,Revueinterdisciplinaired’étudesjuridiques,13,11-47,citéparPoltier,ibid.,26137Ibid.,27438P.Legendre,LeçonsI…,214

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Nousretrouvonsdoncauseindeladémocratietouslescritèresqui,selonClaudeLefort,permettent de qualifier une société totalitaire. Ceci ne contredit pas forcément cedernier,pourqui«l’Etattotalitaireneselaisseconcevoirqu’enregarddeladémocratieetsurlefonddesesambiguïtés.Ilenestlaréfutationpointparpointetpourtantilporteàleuractualitédesreprésentationsqu’ellecontientvirtuellement.»39

Pourcetauteurletotalitarismesurgitdeladémocratie,et«l’onnesauraitfaireunseulpas dans la connaissance de la vie politique de notre temps sans s’interroger sur letotalitarisme.»40 L’interrogation de Claude Lefort a mis en évidence deux pôles detensionentreladémocratieetletotalitarisme,quenousrésumeronsdansleursgrandeslignes. Ils’agitduprincipede l’Unpropreautotalitarisme,enoppositionàcelui de ladivision du système démocratique. L’indétermination d’une identité commune liée àcette division appellerait la restauration de l’unité du peuple au prix de la servitude.Ainsi, ce paradoxe inhérent à la démocratie est ce qui aurait créé la possibilité dutotalitarisme.DécouvrantLeDiscoursdelaservitudevolontaired’EtiennedeLaBoétie41,Lefort va pouvoir s’expliquer, sans pour autant en résoudre l’énigme, pourquoi unpeupleenarriveàpréférerlaservitudeàlaliberté.Icilaservitudeestl’objetd’undésir,animé par le fantasme de l’Un, dont la force est propre à faire sévanouir le désir deliberté. Cette force qui fait céder à l’attrait de l’Un, comme l’exprime Hugues Poltier,«c’estvouloirenquelquessortesconjurerl’inachevédel’existence;c’estreculerdevantl’effroi que présente à soi-même sa propre liberté, devant sa propre indétermination,devant l’abîmedespossiblesqui s’ouvreàsoietdont, seul,ona la responsabilité. (…)L’attrait de l’Un est recul d’effroi devant la possibilité pure de sa propre existence,incapacité de soutenir la relation horizontale de l’”entre-connaissance” et de s’ennourrir;ilestbesoindesortirdel’obscuritédesaconditionensemettantauservicedequelquechosedeplusgrandquesoietententant,cefaisant,defaireretombersursoiun peu du lustre de ce que l’on sert;mais plus encore, il est croyance illusoire en lapossibilitépourl’Un–laformestableetimmuabledel’Ordre–des’accompliret,ainsi,d’enfinirunefoispourtoutesavecl’indétermination;ilestaspirationàseconfondreenquelque sorte avec cet Un, à s’y mirer, à se reconnaître dans la figure de l’Un. Il est«narcissismesocial»,nousditLefort.Mieux,ilestcetteaspirationvaineàseconfondreavec sapropre imagede lieutenant au servicede l’Un–quelleque soitpar ailleurs laplacequ’onyoccupe.»42

Ennousexpliquantquel’attraitdel’Unmenantautotalitarismeestunreculdel’individudevant la possibilité pure de sa propre existence, Lefort adopte la croyance en la

39ClaudeLefort,L’inventiondémocratique.Leslimitesdeladominationtotalitaire,Paris,Fayard,1981,42,citéparPoltier,op.cit.,27040Leford,ibid.,11,citéparPoltier,ibid.,22941CitéparPoltier,ibid.,23142Poltier,ibid.,234

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réalisationd’une tellepossibilitéauseinmêmede l’individu,àdéfautd’êtreréalisabledanslasociété.CefaisantilrejointlanotiondelibertéquisoustendlesDH,àsavoircelled’un individuqui ressemble fortementàundieu indivis,dont lavieà l’étatpurexclutqu’ilpuisseendosserunefiguredéterminée,àl’instarduDieumonothéistequinepeutavoirdefigurepuisqu’il lescontienttoutes.Corollairement,ceprésupposéréfutetoutemédiationentrel’hommeetlui-mêmeetniedoncl’écartduréeletdusymbolique,c’est-à-dire la division fondamentale au sein même de l’être humain, qui par l’accès aulangage doit donner figure à l’abîme pour pouvoir l’habiter. La pseudo division dusystème démocratique présentée par Lefort est une division horizontale, qui institueune division entre les individus et non pas dans l’individu, c’est pourquoi l’”entre-connaissance” se limite à des ”relations horizontales” dualistes, ou concurrentielles,entre des individus. Ces derniers ne représentent plus les uns pour les autres unealtérité,carcelle-cin’estplusarticuléeparuneréférencetiercequiendonneleprincipededifférenciation.Adéfautdereconnaîtreuntelprincipe,quiimpliqueforcémentlelieudecequiest”plusgrandquesoi”,chacunsereflètenonplusdansuneimagedéterminée,maisdanslegrandvidedel’abîmesansfigure,qui,nerenvoyantaucuneimage,estuneformede«narcissismesocial»danslequeliln’yaplusd’autre.

Quel’onaitaffaireàladémocratieouautotalitarisme,telsquedéfinisparClaudeLefort,neconstituepasunedifférencefondamentale,maisunesimplevariationdeforme.Carce qui les englobe tous les deux, c’est l’immanence d’un positivisme« qui se veut”réellement” au principe de son ordre» par le refus de l’être divisé, qui lui impliqueimpérativement une transcendance. Transcendance qui ne doit pas forcément faireréférenceàDieu,maisquidoitmettrelaplacedel’absoluhorsdeportée,cequenefaitpasladémocratie:enconsidérantquela libertéconsisteàpouvoirdisposerlibrementdesfondementsetdesorigines,ellen’afaitquedescendrelelieudupouvoirabsoluduCiel,oùilétaitinaccessible,verslaTerre,entrelesmainsdeshommes.

SiClaudeLefortabienpressentiqueladivisionétaitaucentreduquestionnement,ilalui-même succombé à l’attrait de l’Un, en considérant comme universellementincontestable cettenotionde la liberté. Formulée au siècledesLumières, cettenotions’est forgée à travers l’histoire de la culture européenne occidentale à partir dumonothéismejudéo-chrétien,dontellen’estquelatranspositionlaïque.Ainsil’attraitdel’Un n’est pas une invention de la démocratie. Celle-ci n’en a que réalisé le principe,achevant par là les visées d’un projet occidental à prétention universaliste - «sonsystème de questionnement en apparence illimité» se posant en «source et garantmondial des savoirs et des questionnements» -, qui ne lui permet plus de voir sonfondementstructural.43

43NousempruntonscestermesàPierreLegendre,Cequel’Occident,15-16

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IV.Lerefoulementoccidental

A. Lacoupuredesorigines

Comment la Modernité pourrait-elle se comprendre elle-même, autrement qu’enrépétantàl’infinisonignorance,dèslorsqu’elles’estposéeenruptureavecsatradition,opérantpar làunrefoulement identitaire?Commenous leditPierreLegendre,«nousvivons l’époqueétrangeoùnombred’intellectuels,portéspar l’inusabledoctrinede latable rase, par l’espoir infantile d’une toute-puissance scientifique, ou par l’illusionlibertaire-anarchiste, s’imaginent que nous sommes en voie d’atteindre à la ”post-humanité”.L’idéologiedu”post”s’étantsubstituée,sij’osedire,àl’”ante“,ausentimentd’unlienauxtraditionscontraignant, l’Occidentn’est-ilpaslui-mêmepost-occidental,desortequelaquestion”Qu’est-cequel’Occident?”devraitseperdredanslesbrumesdupasséfolklorisé,lequelnepeutavoirdèslorsniportéenisens?»44Cequenousditcetauteur,c’estquel’Occidentnepeutsecomprendrequeparunretoursursonpassé,enrenouantavecsessourcesgénéalogiquessédimentaires45,sansquoisapenséenepeutqueresterenferméedansuncredonesecomprenantpaslui-même,cequenousavonsconstatéchezdenombreuxauteurs,commenotammentLefortouGauchetqui,malgrélapertinencedeleurstravaux,n’arriventpasàlesdécollerdel’empriseuniversaliste,dontilsreproduisentalorsl’ignorance.Ainsi,ensuivantPierreLegendre,«ilparaîttémérairedetenterdeclarifierlaproblématiquedupouvoiràl’èred’unedécompositionsansnomde l’Etat fabriqué par les juristes. Aujourd’hui, ce produit dérivé du romano-christianisme se trouve, sinondirectement concurrencé, dumoins enrégimenté par leManagementgénéralisé,dansunprocessusd’amplificationdelapuissancequiéchappeà la fois aux instruments traditionnels du contrôle politique et aux méthodesd’intelligibilité de sa propre constitution historique forgées par l’Occident depuisl’ancragemédiéval.»46

Cetauteurs’estatteléàl’immensetâchededéterrerlatraditiond’uneculturequiaétérefoulée par unemanipulation de sa structure, de sorte qu’il n’est plus possible d’enapercevoirlalogiqueàpartirdesasurfacecoupéedesesorigines.Nousnesaurionsrendrecompte icidesonminutieuxtravaildespéléologuequimetàjour la «géologiedesdiscours accumulés – sédiments enfouis dans l’endessousde lasurface contemporaine.»47 Nous tenterons d’en évoquer succintement l’articulation44Ibid.,1445 Pour Pierre Legendre, plutôt que d’”histoire”, qui donne une notion linéaire, il faut parler de”généalogie sédimentaire”, qui implique que les couches accumulées dans le passé sont toujoursprésentes,mêmessilescouchessuccessiveslesrendentinvisibles.Ainsi,nousdit-il:«Lesformesneuvesne s’implantent qu’en devenant un sédiment de plus dans l’évolution des Corpus normatifs qui separtagent l’humanité.»Leçons I…,307. ”Sédimentaire”estunemétaphoregéologiquequi contientaussipourLegendrel’idéedurefoulement.46P.Legendre,LeçonsIX…,947Ibid.,8

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principale,indispensableàlamiseenperspectivesdelapenséeactuellequireposesursatechnicisationetl’illusionindividualiste.Cesontlàlesdeuxvecteursquiontpermisàl’Occident de concevoir l’Un dans lemonde, et de ne plus se voir comme une cultureparmid’autres,maisde seposer comme le représentantd’unehumanitéqui se seraitaffranchiedelaquestionanthropologique.

B. LeMonumentromano-canonique

Ils’agitdeprendreactedelarencontreduchristianismeetdudroitromain,qui,àpartirduXIIèsiècle,aopéré lascissionentre ledivinet leprofane,etdoncentre lepouvoirlégitimant et les formes techniques d’un droit détaché de ses sources romaines. Ceclivage a permis une autonomisation du droit comme système de gouvernement, dèslors«exploitableparn’importequelleRéférencesousstatutdeProvidencedivine.»48Ilfaut comprendre par «statut de Providence divine», non la référence à une religion,mais le lieu mythique qui, sous un angle anthropologique, est l’instance à fonctiontotémique,représentantunepuissancerenduecaptiveparlediscours.S’estainsimisenplacecequePierreLegendreappelle”lemythesanscontenu”del’Occident,quiestaussi«lemytheauxcentcontenus,encesensqu’ilserésoutdanslamiseenscèned’uneplacede pouvoir – place investie par un discours ayant statut de Référence fondatriceomnipotente aux contenus changeants (Dieu, la Démocratie, la Science)et produisantson effetdenormativité sociale en sepliant aux exigencesde la technologie juridiqueportée par la tradition romano-chrétienne et son institution fétiche, l’Etat modernereproductibleensérie.C’estàcettematricethéologico-juridiquedel’Occidentqu’ilfautsereporter, si l’on veut saisir la plasticité de cette culture, sa capacité (apparemmentparadoxale)d’intégrerdanssonsystèmenormatifl’individualismeanti-normatif,etsonefficacitédanslelaminagedesculturesautresenutilisantl’armeinstitutionnelle.»49

En suivant Pierre Legendre, nous allons analyser cette matrice dans une perspectiveanthropologique,enmontrant,d’unepart,quelascissionentreledivinetleprofane,enpermettantàtermedesedébarrasserdeDieu,n’échappepasàlatranscendancequiestinhérenteàlalogiquedelareprésentation.Etd’autrepart,ils’agiraprécisémentdevoirqu’avecl’avènementdelalaïcisationetdelapenséetechno-scientifique,cettescissionaétécomprise,selonlathéoriedelatabularasa,commeunesortiedelareligion,c’est-à-direunesortiedumytheetdetoutetranscendance.C’estainsi,grâceàlafailleouvertepar cette scission, que l’Occident a pu refouler sa propre condition humaine,inéluctablement dogmatique. En effet, aucune société humaine ne saurait sortir ducaractèrereligieuxdesacondition,mêmelorsquelafigurediniveadisparucar«Dieuabeauêtremort, la logique, elle,nemeurtpas.C’estpourquoi il estnécessairedenous

48P.Legendre,Cequel’Occident…,2449Ibid.,24

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réapproprier la problématique de la Référence en des termes nouveaux,montrant cequ’impliqueprécisémentlaviedelareprésentationàl’échelledelacivilisation:érigerlegarantinfaillible,l’équivalentduMiroirpourlasociété.Demêmequelemiroirséparelesujet-individudelui-même,lediviseenquelquesorteetluiprocurel’imagedesoisurlemode infaillible, de même le discours du fondement ou Tiers-Miroir sert de butoir,indéfinimentmodernisable,aujeudesimagesetdelapenséedanslaculture.»50

V.Lastructureternaire

Nous allonspouvoirmettre en évidence la structure ternaire, logiqueduTiers causal,quisous-tendl’institutiondulangage,autantquel’institutionnormativeauniveaudelasociété,àpartirdel’analysedumontageromano-canonique.

«Le genre humain est gouverné selon deux mesures». Ces termes du ”Décret deGratien”51 donnent la formule inaugurale qui permettra d’articuler le droit canon audroitromain,récupéréparl’églisecatholiquepourcomblerlemanquederèglessocialesde la religion chrétienne. Ainsi apparaissent deuxmesures: le droit naturel et sacré,donné par les textes de la Bible chrétienne d’une part, et le droit profane, aspecttechnique, donné par les catégories juridiques romaines d’autre part. Ce dualismes’articuleparuneinstancetiercequiest leprincipedugouvernement:«ainsi lesdeuxmesuressontenrelationentreellesetenmêmetempsrapportablesà lacausequi lesrégit;littéralement,ellesaussisontgouvernées.»52

C’estàcepointprécisque la formuledépasseunesignificationromano-chrétienne,ennous signifiant qu’il est un autre principe au-delà des deux mesures, un principeuniverselquinedépendpasdesoncontenu,maisquipourraitenaccueillird’autresquecelui qui se rapporte au romano-canonisme. Ce principe englobant est celui dugouvernement, et pour comprendre de quoi il s’agit, nous devons faire un retour à lanotion de mythe tel que nous l’avons vu précédemment. Rappelons que l’entrepriseconstitutive de la culture - de toute culture - est d’instituer le mythe qui permet deciviliserlefantasmefondamentalparuneopérationdetransformation.Cette«opérationdetransformationveutdire:mytheetréalitécommuniquentàtraversuncommerceavecletiersterme;ilendécouleunassemblage,unmoded’entre-appartenancedesniveaux50P.Legendre,Surlaquestion…,1351LeDécretestunecompilationrédigéeentre1140et1150parGratien,rassemblantplusde3800textesdudroitscanon.Sonvrainomest«Concordedescanonsdiscordants»,safinalitéétantdeconcilieretderendre cohérents unemultitudesde textes vagabonds.Dans sa descendance s’inscriront les recueils dedécrétales(lettrespontificales),etilferaautoritéjusqu’auCodededroitcanoniquede1917.SelonPierreLegendre, «a l’instar de la compilation de Justinien et de l’Objet biblique, le Décret devient matièred’enseignementetsourcenormative»etilacquiert,dansuneperspectivedestructuredogmatique,statutde«discoursduCommencement,deLivre inaugurald’unnouveautype,etcela lesépareradicalementdetouteslescollectionscanoniquesantérieures»LeçonsIX…,14952Ibid.46

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et des fonctions, qui suppose le pouvoir d’assembler (…), implicitement désigné par leverbe”regitur”(legenrehumain”estgouverné”selondeuxmesures)danslaformuleduDécret.»53 Nous voyons donc apparaître la notion de pouvoir comme le pouvoird’assembler,quiestlepropreduprincipedegouvernement,etqui,indépendammentdesoncontenu,peutêtredéfinicommelafonctiond’instituer.Cequidoitêtreinstituéc’estladivisioncivilisatrice, ici introduitepar lesdeuxmesures:«ladualitéénoncéepar laformule inaugurale du Décret est unemanière d’exprimer l’impératif de division qui,soutenuparl’élaborationmythologique,travaillelacivilisationjudéo-chrétiennecommen’importequelleautre.»54Assembler,etdoncgouverner,c’est fairetenirensemble lesdeux éléments ayant statut d’opposés – ce qui relève du divin et ce qui relève del’humain-enétablissantunerelationentreeux.

Entermesdestructure,transposédansununiversthéoriquesoustraitàlathéologie,lephénomène insitutionnel a pour tâche de «concilier le registre dumythe et celui duprincipe de non-contradiction»55, c’est-à-dire de concilier ce qui relève de lareprésentation de l’Un irreprésentable, avec ce qui relève de la réalité, des normessociales. Il est important de comprendre qu’ici le mythe n’est pas l’Un, c’est-à-direl’indifférencié, à réaliser dans lemonde, commenous l’avons vu avec le totalitarisme,mais au contraire une représentation qui ne peut que prendre figure ”dogmatique”(nousredéfinironslesensdeceterme).Ainsi,«lascènemythiquevientdonnerstatutdeparoleà l’indifférenciéet,parcettepercée,elleestuneanticipationdecequidoitêtrepensé comme Référence dans la civilisation, rendant ainsi possible l’avènement de lareconnaissance des opposés, et conséquemment la distinction des registres quiparticipent de l’édifier institutionnel.»56 Lemythe fait référence «aux coulisses de laRaisonoùrègnel’unitéconfuse»,maisilest«aussiinstigateurdeladifférenciation»57,parl’articulationqu’enfaitlepolitique,instancedemesure,enl’interprétantauregardduprincipedenon-contradictiondanslaproductiondesrèglessociales.Ceprincipedenon-contraditionimpliquelalimitequipermetdedifférencier,soitl’Interdit.L’exempledelaGenèsebibliqueestévocateurdecephénomèneparlequels’opèreune«transitionentrel’unitéconfuse(l’humainnonséparéd’avecsoi,c’est-à-diresanscontradiction)etlestatutdusujetconfrontéàsaproprealtéritéparledétourd’untiersterme.»58Cetiersterme est l’injonction divine de l’Interdit de consommer le fruit de l’Arbre de laConnaissance,quiplacelesujet-AdametEve-dansunfaceàfaceavecsoi,luifaisantdumême coup perdre son «innocence originelle, l’inertie paradisiaque,par lamédiation

53Ibid.,4854Ibid.,4955Ibid.,5256Ibid.,7957Ibid.,8058Ibid.,80

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d’unpouvoirquiledivise.»59LeTierstermeestdonccequipermetd’instituerleprincipedeladivision,toutenpermettantàlafoisdereconstruirel’unitédansladivision,c’est-à-direde former «un seul corps grâce àune liaison réglée et àun accord stable», sansquoi«lespartiessecombattraientetsedésuniraientsousl’effetdeleurdiscordeetdeleurdésaccord.»60

VI.Ledogmeanti-dogme

CecinousamèneàvoircequefontlessociétésmodernesoccidentalesdeceTiersterme.«Enposant letiers logique,unesociétéposedumêmecoupque leprincipefondateurestindisponible,horsdeportéedusujetquinesauraitsetenirlui-mêmecommeAuteurthéoriquedeslois,c’est-à-diresuivrepourloileprincipeduplaisir…Or,dèslorsqueledroittendàseprésentercommeamalgamedesolutionsproduitesselondesidéologiestelles que le Mutual Adjustment ou le libre-service normatif, l’horizon du principefondateur indisponible s’estompe. Nous avons là l’impasse des raisonnementsd’aujourd’hui.»61 L’idéologie actuelle de la non-limite considère que toute instancetierce normative est un abus de pouvoir, un dogmatisme illégitime au regard de lalibertéautofondéedel’individu.D’abordrelevonsquedecefait,leterme”dogmatique”estbannidelaModernité,ilfaitréférenceauvestiged’untempsquel’onauraitdépassé,alorsqu’ilestlaconditionmêmedetoutaxiome,ycomprisdel’axiomescientifiqueetdeceluiqueposel’idéologiedelanon-limitesoutenueparlesDH.

«Parcequelanormativitédemeuredépendantedelascènequilafaitexister,elletientsonpouvoird’obligerd’unpouvoirquiladépasse,lepouvoirlangagierdefaireadvenirles images»62,nousditencorePierreLegendre, cequinousamèneàcomprendrequetoutdiscoursoccupant laplacede laRéférencedansunesociété,qu’ilsoitscientifiqueouautre,exerceunefonctioninstituantedogmatique,aumêmetitrequelescatégoriesdulangageetleursrapportsdelégalitéquirendentpossiblelapensée.EntantqueTiersterme, la fonction dogmatique est de diviser en posant l’Interdit en principe dedifférenciationparlanégativité:c’estainsique”l’homme”nepeutêtreidentifiécommetelqueparcequ’iln’estpas”la femme”.Sanscetteréférenceàsonnégatif,àcequ’ellen’est pas, toute chose ne saurait être identifiée, toute personne ne saurait avoir uneidentité.Cerapportbinairefonctionneselonlalogiqueternairequiimpliquelanécessitéd’un Tiers du langage, principe séparateur qui institue les catégories, car elles nesauraient s’instituer par elles-mêmes. Il s’ensuit que «le discours de la Référence est

59Ibid.,8060LeonBatistaAlberti,DeReaedificatoria,publiéen1485,traduitpasL’Artd’édifier, citéparLegendre,ibid.,5661P.Legendre,Surlaquestion…,12062Ibid.,13,note1

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alorslemoded’expressionduprinciped’indisponibilitéetc’estàcetitrequ’ilyanormepour l’humain, dans la société considérée. Autrement dit, le discours des fondementsjoue commeTiers à l’échelle de la culture, parce qu’il y exprime, à l’instar dumiroir,l’indisponible; nous avons affaire à lamise en scène du tabou, à laquelle se réfère ledroit, dont on aperçoit dès lors aisément qu’il prend statut d’effet normatif de laRéférence,effetdutabou.»63

Sicefaitanthropologiqueestdenosjoursignoréetcombattu,ilfautnoustournerverscettegrandecassureduXIIèsiècleentredivinetprofanepourcomprendrelafaillequiapermiscerefoulemement.

A. L’imperiumtechnico-scientifique

D’une part, la différenciation de la théologie et du droit ainsi que l’assimilation durationnalismedudroitromainoffraientunestructuredegouvernementquipouvaitsepasser de la légitimité de la religion, et d’autre part, l’avènement de la penséescientifiqueetdesesdiscoursépars,quidispersaientetdémythifiaientlesdiscoursdelaRéférence,allaientouvrir«lecycledesremaniementsdudiscoursdesorigines,surfonddepromotionpolitiquedelaScience.DenosjourslalogiquedelaRéférenceentantquelogiqueduTiersnousestproposéecommelogiqued’uneLoiquiseconfondraitaveclediscours de la Science en tant que telle. »64 Nous en arrivons par là à «l’idée d’unenormativité purement technique (la ”régulation”), parvenue au stade de l’ingéniériesociale, c’est-à-dire d’un technicisme affranchi de l’interrogation sur le fondement.»65L’imperuim technico-scientifique actuel, issu de la séparation du divin et du profane,véhiculel’idéequel’appareilnormatifetlequestionnementdupourquoi? fondamentalnerelèventpasdumêmediscours.Lenormatif,quiappartientaupolitiqueestrégipardes considérations de pure technique, de régulation, et le questionnement desfondementsaétéreléguédanslesaffairesprivéesàlalibredispositiondesindividus.Ledogme anti-dogme joue dans les deux sphères, politique et privée, où il impose sonprincipedenon-divisionquiprendlaplaceduTiersterme.

Lepositivismescientifiquenieladivisionparsoncredodepouvoirsaisirlaréalitésansmédiation dogmatique – le langage n’étant pour lui qu’un véhicule instrumentaltransportantlesélémentsdelaréalitébrute.Lorsqu’iloccupelaplacedesfondements,endevenantlaRéférencedelanormativité,iln’institueplusladivision,etprenddèslorslaplacedupouvoirabsolu:«dufaitmêmequelessciences,uniesàlatechnique,aientconquis le pouvoir de manier les croyances jusqu’à s’inscrire comme idéal de toute-puissance, elles ont affaire à la représentation de l’absolu; elles se confondent avec

63Ibid.,20464Ibid.,4065Ibid.,12

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l’écran,lemurdulangage,lepointdebutéeconstitutifdurapportàlavérité.Autantdirequ’elles se trouvent en position jupitérienne, occupant le lieu du dieu libre de touteservitude.»66 Ainsi le nouvel absolutisme cache une dictature sans dictateur, parl’anonymatgestionnairequiaréussiàconfondrelaparoleaveclefaitbrut:cesontlesfaitsquiparlent,etnonplusdeshommes.Nierlepouvoirdelaparolec’estunefaçondevouloirfairel’Undanslemondeparlanégationdel’altérité,lanégationdesdifférencesqui résultent de la division; c’est abolir l’espace de signification que l’univers de lareprésentation offre à l’homme comme espace de liberté; c’est renoncer auquestionnement sur les fondementsetnepluspermettreà laRaisondedépartager cequi relèvedu fantasme et de la réalité. En fait, c’est vouloir abolir le langagepourunretouràl’immédiatetéanimale.

B. L’individu”libéré”

L’autreversantdurefusduTierslogiqueestletriomphedel’illusionindividualiste,oùl’individu-Roi, sorte d’entité divine indivise67, aurait le pouvoir de s’auto-fonder. Leprincipe de non-division, de l’Un dans lemonde, est ici posé d’emblée au fondementmêmedelapersonnehumaine.Cetteillusionest«qu’ilpuisseyavoirfiliationsanstierslogique et que l’auto-fondationdu sujet libéréouquelquediscours fantochepuisse sesubstituer aumontage de la Référence, sans conséquences dramatiques pour l’entréedesnouveauxvenusdanslaproblématiquesubjectivedel’identité.»68

Pourcomprendrel’agencementsous-jacentàcetteillusion,ilnousfaudraitremonteraumonothéismeduDieuchrétien,prenantfigured’Homme-DieuavecleChrist,etdelàtoutledéveloppementdesdroitssubjectifssuivant l’idéede laRévélation,connaissancedeDieu sans médiation, que le protestantisme affirma à son point d’achèvement. Cetteévolution de la pensée a non seulement préfiguré l’avènement de la notioncontemporainedel’individu,maiségalementceluidelapenséescientifique.Pournotrepropos,nousretiendronslemomentdelalaïcisation,parlaquellelesModernesontcrûsedéfairedelatranscendance,etparlàaccéderàlaréalitépure,avecl’aidedelapenséescientifique, en se débarrassant des carcants dogmatiques de la culture, considéréscomme des chimères ne servant qu’à dominer et à asservir l’homme. C’est encore lapositiondominanteactuellement,défendueparl’ensembledessciencesscociales.69

66P.Legendre,LeçonsI…,7967Individuvientdulatinindividuum,quisignifieindivisible;cetermeétaitréservéàDieudanslathéologiechrétienne.68P.Legendre,Surlaquestion…,12069AnsiPierreBourdieu:«Toute actionpédagogiqueestobjectivementuneviolence symboliqueen tantqu’imposition, par un pouvoir arbitraire, d’un arbitraire culturel» P. Bourdieu et J.-C. Passeron, LaReproduction.Elémentspourunethéoriedusystèmed’enseignement,Paris,Minuit,1970,19.CitéparD.-R.Dufour,L’art…,228

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Cette sociologie réduite au seul rapport dominants/dominés a fait l’impasse, nous ditDany-RobertDufour,sur«l’essentiel,soitcequ’estontologiquementlaculture…»70Cetauteur oppose deux dominations, la domination ontologique et la dominationcontingente,quiontétéconfonduesparceque lasecondeestporteusede lapremière.Ainsi,envoulantsedébarrasserdeladominationsociopolitique,onsedébarrasseaussideladominationontologique.Cettedernièreestindispensableàl’hommenéotène,c’està-direàl’hommeinachevéquidoitêtreinstituépouraccéderàsadimensionsymboliquequi dépenddu langage, duquel Lancandisait: «le sujet est serf du langage, et encoreplus,serfd’undiscours.»71EtDufourd’enchaîner:«Servagesymbolique: letermeestd’autant plus saissant que rien ne peut permettre d’échapper à cette dominationradicaledel’hommeparlelangage,saufàlevoirperdresonhumanitéetverserdanslabarbarie.»72L’appropriationdesorigines,promuepar lesDH,et lesapementde touteautoritéquienrésulte,nepermettentplus leprocessusdesymbolisationnécessaireàl’humanisation, et, ne reconnaissant dès lors pas la domination ontologique qui estindissolublement attachée à cette humanisation, toutedominationdevient un abusdepouvoirdigned’êtrecombattu.«Or,c’est justementcetteerreurquecommettentceuxqui voient des faits de résistance à la domination sociopolitique dans les actes dedésymbolisation. Alors que ces actes ne font, en réalité, que défaire la fonctionsymbolique.»73La nouvelle domination, exploitée par le capitalisme néo-libéral, n’estpluscelledelasoumissionàunordreinstitué,maiscelledeladésinstitutionnalisation,«de façon à obtenir des individus souples, précaires, mouvants, ouverts à toutes lesmodes et toutes les variations du marché»74, nous dit Dany-Robert Dufour. Cettedésinstitutionnalisation se fait sans difficulté, au nom de l’autonomie de chacun, et,colportée par l’idéologie libertaire de la ”tolérance”, elle obéit en fait au dogme detransgression des interdits, qui apparaît comme un progrès, c’est-à-dire comme laréalisation ultime de l’idéal révolutionnaire et libéral. En effet, y a-t-il autre chosederrière cette ”libération” humaniste qu’un impératif de libre circulation desmarchandises qui n’a que faire des entraves culturelles? La nouvelle institution dumarché libre, en démantelant les références institutionnelles des cultures, s’enapproprie les symboles pour manipuler des sujets devenus dès lors psychiquementprécaires,désymbolisésetsansréférencestructurante.Laculturenedisparaîtpaspourautant:degarantedelacohésiondesindividusetdeséchangesentreeux,elleleurestsoumise en pâture comme un vulgaire produit de consommation. Il s’agit d’unrenversementdespositions structuralesde l’humanisation,par lequelonadonnéà labêteindomptéelamaîtrisedesinstrumentscivilisateurs.

70Ibid.,23071L.Lacan,Ecrits,Seuil,Paris,1966,468.CitéparD.-R.Dufour,L’Art…,23172Ibid.,23173Ibid.,23374Ibid.,235

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VII.L’exemplenazidelanon-limite

Nous avons vu, avecClaudeLefort, quenousne saurions comprendre le totalitarismesansprendreactedesespréalablesdémocratiques,puis,avecPierreLegendre,quecettefaillede ladémocraties’ancraitdéjàdanscequ’ilappelle«laRévolutionmédiévaledel’interprète» - rencontre du christianisme et du droit romain. Dans cette perspectived’histoire sédimentaire, nous ne saurions considérer le nazisme comme un simpleaccident de l’histoire. Il a procédé de ce qui le précédait et s’inscrit dans ce qui luisuccède.Or,commelerelèvePierreLegendre,lequestionnementquiaétéfaitàcesujetn’a abouti «à autre chose qu’à la réduction de ce qui a eu lieu à une épouvantableanecdote, infamantepourl’Allemagne,maissommetouteincompréhensibleàl’échelledelacultured’Occident.»75

Lenazismeentantquedélireinstitutionnalisé–lalégalisationdumeurtre-n’aurapasété un phénomène accidentel, ou le fait d’une folie isolée. Il procède du fantasme quisous-tend tout le montage occidental de la Modernité: le meurtre du Père pour semaintenirdansl’indivisiondel’Un,danslatoute-puissanceetdanslatoute-jouissance.Ce que nous dit Pierre Legendre, c’est qu’«en s’attaquant aux Juifs, l’hitlérismes’attaquaitauprincipedefiliation.»76 Il faitallusionaumythed’Œdipequi,dansnotretraditionoccidentale,représentel’Interditfondamental,celuidumeurtreetdel’incestequi ont partie liée, comme nous l’enseigne la légende ovidienne. Là où il s’agit desublimerlepassageàl’acteparlaparole,lemeurtreinstitutionnalisérenversel’Interdit,aucœurmêmedecequiconstituelaRaison,enuneentreprisededéraison.L’exempledunazismenousmontre la forcedupouvoir institutionnel,mêmedansunesociété démocratique et laïque, sur des sujets ”libres et doués de raison”: lemeurtreinstituépeutfairebasculertoutunpeupledansladé-raison.

Cequisejoueiciestunprocessusdedéshumanisation,danslesensquel’humanitén’estpasunacquisbiologique,maisuneconquêtepermanentedelaraisonsurlafolie.Quand bienmême le nazisme a été la figure de l’horreur qui a redonné une nouvellevigueurauxDH,nousnesommespassortisduprocessusquinousyaconduit.LerempartdesDHcontrecegenred’abusdepouvoirnesuffitpasàréglerlaquestion,carellenesejouepasauniveauducasparticulier,maisauniveaudel’institutiondelanormativité.SurceplanlesDHnesontplusuneprotection,maisdevienneaucontraire,entantqu’idéologiedusujet-Roi,unepromotiondelanon-limite.Ainsi,tantlepolitiqueque le judiciaire ont ouvert la porte au démantèlement du droit civil, qui, dans nossociétésdedroit,ontfonctiond’instituerlavie,c’est-à-dired’engendrerl’humainsurleplansymbolique.

75P.Legendre,Surlaquestion…,339.PierreLegendrefaitréférenceiciD.J.Glodhagen,RechtshistorischesJournal,16(1997),601ss76Ibid.,340

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Comme le dit Pierre Legendre: «promu par un dictateur paranoïaque ou servi àconsommer par une propagande libérale, un délire reste un délire, et j’en résumeraiainsi le ressort: y a-t-il une cause supérieure à la cause du fantasme? Lemilitant dusujet-Roi,commel’hitlérien,répondnon.»77

VIII.Conclusion

L’universel occidental, par sa généralisation de la méthode scientifique à toutes lesquestions humaines, a la prétention d’une connaissance transparente et nondogmatique, car elle ne ferait que capter la réalité ”une et unique” de façon neutrepuisqueprécisémentsansmédiationculturelle.LesDHsontporteursd’untelcredoparleurfiguresansvisaged’unhommegénérique,indivisetirréductibleàtouteculture.Cecredo nie la dimension proprement constitutive de l’humanité: l’être divisé par sonaccèsaulangagequilesoumetàlalogiquedelareprésentationdanssonrapportauréel.Les conséquences de ce refoulement sont l’occultation d’un pouvoir sans limite auniveaudelasociété,etauniveaudel’individulapertederepèresstructurantsquienfaitl’objet inconscient d’une manipulation de ses fantasmes, pendant qu’il croit êtreauthentiquementlui-même.L’Interditestdestituéparledogmeanti-dogmequilégitimele sujet-Roi à réclamer la légalisation de ses fantasmes, considérés par les sciencessociales et les instances étatiques comme des faits de sociétés dont il est interdit depréjuger. Derrière l’anti-dogme on retrouve donc un dogme, un interdit d’interdire,c’est-à-direuneinterdictiondejuger,doncdepenser.Cedogmen’apparaîtpascommetelsoussesnouvellesapparanceslaïques,maisnéanmoinssacrées-Progrès,Economie,Science, Liberté, Egalité, Tolérance, Humanité -, sans qu’il ne puisse pour autantéchapper à la structure ternaire de l’institution dogmatique du sujet humain. Par lerefoulementdecettestructure,c’estsonpropredogmatismequelaModernitéarefoulé,ouvrantsurunobscurantismeàviséetotalitaire.Par l’institutiondufantasmeinfantiledetoute-jouissance,c’estlefantasmedetoute-puissancequitentedeseréaliserdanslemonde, sous lesauguresd’unepost-humanité libéréede laconditionhumaine. Ilnoussemblequefaceàuntelprojetquivoitl’hommeévoluerversunsur-homme,ilconvientdesedemandersil’espècehumaineneseraitpasplutôtentraind’involuer.

Pourrésumerleproposdecettepremièrepartie,nousciteronsencorePierreLegendre:«Sil’hommeestainsirivéàcetteconditionquileséparedelachoséitédumondeetlecontraintàladivisiond’avecsoi,celacomportequelanormativitésejoue,nonpasdansl’adaptation fonctionnelle au réel balisé et authentifié par les sciences, mais sur leterrain où s’énonce l’interrogation sur l’identité et par le moyen d’aménagementsdogmatiques.IlfautenretenirquelaRaisonn’estpasassuréedeseslendemainsetquel’institutionnalitéestàlatâchedeciviliserlefantasme.End’autrestermes,ilfautretenir77P.Legendre,LeçonsI…,343

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que, dans certaines conditions de subversions de la logique, l’humanité peut êtrelittéralementcassée.»78

Aprèsavoirmisenévidencecettelogiqueetsesconditionsdesubversions,nousallonsdansunedeuxièmepartieaborderplusconcrètementlaquestiondesDHdanslamiseenœuvredeleurprincipedenon-limite.Plusprécisément,ils’agiradevoircommentcettemiseenœuvregère la limiteafinde la rendre légitimeau regardduprincipedenon-limite. Pour cela nous nous tournerons vers la pratique jurisprudentielle des hautescours,avecquelquescasquinouspermettronsdeconstaterquecescourssontsoumisesàlaRéférenceanti-dogmatiquequiexcluttouteinterrogationfondamentale.

78Ibid.,33

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Partie2Lecritèred’unelimitedanslapratique

I.Lesdétournementssubversifsdelalogique

A. Undogmatismeocculté

Leprincipedenon-limitenesauraitenréalitéêtretotal,neserait-cequepar lavieensociété qui implique qu’une organisation s’impose à tous. La question du critère quipermetdefixerlalimiteauxlibertésestcomplexedansunsystèmequilesposeaprioricommefondamentales.Ilyaeneffetdéjàdanscetaprioriuneimpossibilitéstructurale:paruneinversiondelalogiquedeschoses,cen’estpluslecadrequidélimitel’espacedeliberté,maisl’espacedelibertéquidevraitcirconscrirelecadredanslequelilsetrouve.Orunespacen’existepasavantqu’ilaitétépréalablementcirconscrit.Cecinerelèvepasd’unchoixet,mêmeinversée,lalogiquen’endemeurepasmoinseffective,maisilfaudraalorsentravestirlefonctionnementpardesdétourspropresàenperdrelaRaison.Nousnous proposons de mettre en évidence quelques exemples de ces mécanismes dedétournement,quis’affairentàrendreinvisibleunelogique,quin’estautrequecelledel’institutiondogmatiquedelaRaison.Cetteoccultationsefaitàdeuxniveaux,celuiduprincipemêmedesDHsouscouvertdeleur universalité, et celui de son application selon les critères développés par lestribunauxetendernierrecoursparleshautescours.

Voyonsd’abordquederrière l’universalitédesDHse cache ledogmatismecultureldeleur principe. Du fait que la liberté est posée implicitement comme un donné de lanature individuelle de l’homme, ou de son essence, l’idée que la limite puisse êtreinhérente à l’acquisition de la liberté n’entre pas en ligne de compte, elle est mêmeprohibée:aucundesmotifsderestrictionsdeslibertésfondamentalesnesontenvisagéscomme constitutifs de la liberté, mais au contraire comme des obstacles à celle-ci,résultantdelavieensociété,etqu’ilfautlimiteraustrictnécessaire,enaccordaveclathéorie du Contrat social. En effet, en suivant ces présupposés, le choix, ou le librearbitre,estexclusivementréservéàlalibertéindividuelle,etsetransformeenarbitrairedès qu’il s’énonce comme choix de société, puisque toute vision commune limiteobligatoirementl’irréductiblelibertéindividuelle.Nous avons bien ici un système de valeur établissant un rapport hiérarchique entrel’individueletlecollectif,nousdisantqu’ilestbienquelesecondsoitsoumisaupremier,et que l’inverse ne peut être qu’un mal à éviter. Les DH ne sont pas culturellementneutres, ou universels, comme le relève Stéphane Vibert à propos de la démocratielibérale, qui ne se réduirait pas aux libertés négatives, mais, nous dit-il en citantCastoriadis, qui «procède elle-même de l’affirmation d’une valeur substantive etprétendant valoir universellement: il est bon pour tous que les individus semeuvent

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librementàl’intérieurdesphèresd’activitéprivéereconnuesetgarantiesparlaloi.»79Nousvoyonsdoncquemêmeceretournementdurapportlimite/liberténeréussitpasàéviter une normativité collective, puisque l’inversion hiérarchique s’impose à touscomme un choix de société. Ce n’est que par sa naturalisation et son essentialisationuniversalisantesquecesystèmedevaleur,dèslorsindiscutable,n’apparaîtpaspourcequ’il est:unemorale libertaire individualiste.Unemoraleantimorale, certes,maisquin’échappe néanmoins pas à la morale, si l’on définit celle-ci comme une conceptioncollective des comportements acceptables et inacceptables. Il s’agit d’une délimitationentrelebienetlemal-délimitationconstitutivedufondementdetoutjugementquellequesoit laraisondont ilseprévaut, fût-ellescientifique.L’antimoraledesDHdéniecephénomèneanthropologique,dontelleprocèdeelle-même, cequinousmontrequ’ellen’échappepasàlalogiquedogmatique.Danscecontextenousallonsvoircommentlesjuges construisent leur raisonnement pour en évacuer toute apparence de moralité,c’est-à-diredeconsidérationscollectives,auprofitd’intérêtspurement individuelsqui,parleurnaturalisation,n’apparaissentnicommeundogme,nicommeunemorale.

L’application des DH par les tribunaux n’échappe pas non plus à la logique du Tiersinstituant, car le critèrequ’ilsdoiventutiliserpour tranchernepeut êtrequ’extérieuraux libertés elles-mêmes. Comment un principe de non-limite pourrait-il donner lamesured’unelimite?Eneffet,commenousl’avonsvu,pourdémarquerunelimiteseulelalogiqueternaireestopératoire,puisqu’ilfautnécessairementuneréférenceextérieureauxdeuxtermesopposéspourpouvoirlesdistingueretenfixerlescontours.Mais,pourêtre légitime à l’impératif anti-dogme, ce critère extérieurdoit apparaître commeunenécessiténerelevantplusd’unchoix,maisquis’imposeraitnaturellementdelui-même.

B. Lecritèredel’intérêtindividuel

Toutes les conventions et déclarations desDH admettent le principe d’une limite auxlibertésen lui imposantdesconditions,mais sansendonner le critère.Cesconditionssontgénéralementdéfiniescommelerespectdesdroitsetlibertésd’autrui,delamoraleetdel’ordrepublic,ainsiquedubien-êtregénéraldansunesociétédémocratique.80Nouspouvonslesregrouperendeuxcatégories,l’unereprésentantlerespectd’intérêtscollectifs (ordre public, moralité publique et bien-être général), l’autre le respectd’intérêts individuels ou de groupes d’individus. Dans la logique des libertésindividuelles posées par les DH, il sera beaucoup plus délicat de légitimer un critère

79 C. Castoriadis, La montée de l’insignifiance – Les carrefours du labyrinthe IV. Paris, Seuil. Cité par S.Vibert,«Ladémocratie…»,inAnthropologieetSociété,vol.26,no1,2002,18480 Le texte de laDUDHà son avant-dernier article (art.29-2): «Dans l’exercice de ses droits et dans lajouissancedeseslibertés,chacunn’estsoumisqu’auxlimitationsétabliesparlaloiexclusivementenvued'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui et afin de satisfaire aux justesexigencesdelamorale,del'ordrepublicetdubien-êtregénéraldansunesociétédémocratique.»

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pourdéterminerunintérêtcollectifquepourdéterminerlerespectd’autreslibertés.Lesconflitsinterindividuelsetentrelesdifférentsdroitsposentdesproblèmesdecohérencedel’ordrejuridique,d’unepartparcequelacontradictiondesdifférenteslibertésentreellesetentrelesindividusestinhérenteàunsystèmesansorganisationhiérarchique,etd’autrepartparcequelessolutionsadoptéesnerépondentpasnonplus,pourlamêmeraison, à une cohérence d’ensemble. Mais le fait de limiter une liberté au nom d’uneautren’estpascontestédanssonprincipe.Plusdifficileestd’enadmettrelarestrictionaumotif d’un intérêt collectif. Les notions d’ordre public et tout particulièrement demoralité publique sont devenues des limitations demoins enmoins justifiables, et deplus enplus difficiles à définir. Lorsqu’elles sont invoquées, elles sont soumises à desconditionsstrictesetévaluéesauregarddel’évolutiondesmentalitésdansunesociétédémocratique, critère qui finalement ne fait que valider les pratiques individualistes.C’est leserpentquisemord laqueue,commeondit,ou,pour ledired’une façonplusévocatricedunarcissismesocial,quand,parunretournement,lepolitiquen’estplusquelerefletdelasociété,c’estlabandedeMœbiusquiserefermesurelle-même.81

Dans les rubriques suivantesnous allonsvoir comment les juridictions esquivent tantqu’elles le peuvent le recours à l’intérêt collectif pour le transférer sur l’intérêtparticulier, et quand elles ne peuvent le faire, c’est à la dictature du fait accompli(l’évolutiondesmentalitésetdelascience)qu’ellesfontappel.

C. L’évictionducritèredelamoralitépublique

Dans l’exemplequenousallonssuccinctementprésenter, lecaractèresexueletviolenttouchaità lamoralitépublique.Cen’estpourtantpascetteconditionquiaétéretenuepour justifier une limitation des libertés fondamentales, mais le motif de la santépublique,soitunmotifquitouchedeprèslaprotectionindividuelle,toutenseréférantàdescritèresobjectifsquis’imposentsansdiscussiondogmatique.Cequiestcontestableici, c’est de réduire la dimension symbolique des comportements humains à uneconceptionpurementmédicale.

Dans cette affaire Laskey et autres c./Royaume-Uni, jugée par la CEDH le 19 février199782, il s’agissait d’une pratique de rapports sadomasochistes exercée depuis unedizained’annéesparunequarantainedepersonnes,quimalgrélagravitédesviolences

81LabandedeMœbius,dontlenomrevientàl’undesesdescripteurs,AugustFerdinandMœbius(1790-1868),estunebandequinepossèdequ’uneseuleface,parlefaitquesesdeuxextrémitésontétéjointes,tel un anneau,mais avec un demi-tour de la bande sur elle-même avant de constituer la boucle. SelonWikipedia, Lacan aurait dit de la bande de Mœbius: «Qu'est-ce qui fait qu'une image spéculaire estdistinctedecequ'ellereprésente?c'estqueladroitedevientlagaucheetinversement.-Unesurfaceàuneseule facenepeutpas être retournée. -Ainsi unebandedeMœbius, si vous en retournezune sur elle-même,elleseratoujoursidentiqueàelle-même.C'estcequej'appellen'avoirpasd'imagespéculaire»,parquoinouscomprenonsnepasavoird’altérité,c’est-à-direpasd’autreréférencequesoi-même.82CEDH.Requêteno21627/93;21628/93;21974/93

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consenties,n’avaitjamaisdonnélieuàdesinfectionsoudeslésionspermanentes.C’estnéanmoins sur labasede laprotectionde la santépubliqueque laCourà jugéque lacondamnationpar l’Etat intiméneviolaitpas l’article8delaConventionprotégeant lerespect à la vie privée. Selon Bénédicte Lavaud-Legendre, à laquelle nous avonsemprunté l’exemple de cet arrêt, «plutôt que de justifier la solution retenue par unquelconqueimpératifdesantépublique,ilauraitétésansdoutebeaucouppluscohérentderenvoyer-ainsiquel’autorisel’article8alinéa2delaConvention83–àlaprotectionde la morale, que l’on qualifiera de sociale ou publique. (…)Si la Cour européenneconsidèrequecespratiquesne sontpas immorales, elledoit ledire clairement.»84Laréférenceàlasantépubliqueévitederenvoyeràunevaleurmoralecommune,alorsquedans cette affaire c’est manifestement la moralité des comportements qui posaitproblèmeetnonpasl’atteinteàl’intégritéd’unindividuenparticulier.Nousrajouteronsàcesujetcequenousditl’opinionconcordantedujugePettiti-concordantesurlefondmais pas sur l’argumentation -, pour qui, «dans le cas d’espèce il n’y avait pasmêmeapplicabilitédecetarticle(art.8).Onnepeuteneffetdonneruneextensionillimitéeàlanotion de vie privée. Il ne suffit pas que les comportements considérés aient lieu audomicileprivépourêtreassurésdetouteimmunitéet impunité.Toutcequiestàhuisclos n’est pas forcément admissible. (…) La Conférence mondiale de Stockholm asouligné les dangers d’un laxisme effréné qui peut conduire du libertinage à lapédophilie(cf.paragraphe11del’arrêt)ouàlatortured’autrui.Laprotectiondelavieprivéeestlaprotectiondel’intimitéetdeladignitédelapersonneetnonlaprotectionde l’indignité de celle-ci ni la promotion de l’immoralisme délictuel.»85 Cette opinionrelève la problématique des libertés individuelles qui, d’une part peuvent facilementdevenir les libertés de l’inhumanité quand elles ne sont pas encadrées par une autreréférence,etd’autrepartquelanotionpurementindividualistedes libertésnepermetplusuneclairedistinctionentrevieprivéeetviepublique. C’estainsiquelaréférenceconstante à la protection de l’individu, plutôt que de chercher à en affirmer le cadred’exercice commun, aboutit à une privatisation du normatif désormais à la libredisposition des individus. On assiste alors à un marché de la légalité sur lequel nes’affrontentplusquedeslibertésenconcurrences.

L’éviction des valeurs communes par le recours à l’intérêt individuel se donne aussiclairement à voir dans les cas conflictuels d’autorité parentale et d’adoption par despersonneshomosexuellesoù l’intérêtde l’enfantdevient le seul critèrequipermetdetrancher les questions posées. Avec ce critère, sont écartées toutes considérationstouchantàl’institutionnormatived’unordresocialetsymboliquenécessaireàl’identitédu sujet, à son intégration dans la société, et à la cohésion de celle-ci. Ces questions

83Protectiondelavieprivéeetfamiliale84B.Lavaud-Legendre,Oùsontpassées…,9385CEDH.Requêteno21627/93;21628/93;21974/93

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fondamentales sont actuellement des Tabous, que les tribunaux évincent de leursargumentations, participant ainsi progressivement au démantèlement du droit despersonnes et de la filiation qui sont les derniers indisponibles garants de l’institutionsymboliquedelapersonnehumaine,cequePierreLegendreappelle«lenoyaudurdudroit,cettepartiedudroitcivildestinéeàservirdelevieràl’institutiondusujetdivisé:le droit des personnes, en tant que porteur des catégories symboliques de lareproduction.»86Dansunetelleperspectiveanthropologique,l’intérêtdel’enfantnesauraitseconcevoir,commec’estlecasaujourd’hui,sousleseulangledesonbesoind’amour,notionquidansla société libertaire a pris les aspects purement permissifs d’une jouissance sansfrustration,etquiseconfondleplussouventaveclepropredésirparental.

D. L’évolutiondesmentalitésouladictaturedufait

«La volonté de protéger systématiquement les intérêts particuliers participe d’unedilutiondelafonctionnormativedudroit,auprofitdel’intégrationdelanormalitédansle juridiquesous lacautiondesscienceshumaines.»87BénédicteLavaud-Legendre faitallusion ici à la normalité des faits constatés par les méthodes empiriques dessociologues,psychologuesetpsychiatresquelesjugesetlelégislateursollicitentdeplusen plus à venir combler le vide normatif laissé par le rejet de toute réflexion sur lesvaleurs.Cetobjectivisme”scientifique”,quiestautantlacausedecevidequesonersatz,est devenu le critère ultime de la nécessité lorsque le juge doit se prononcer sur unconflit entre un intérêt individuel et celui de lamorale publique d’un Etat. La notionmêmedenécessité88 utiliséepar laCEDHrenvoieà l’impossibilitéde faireautrement,c’est-à-direàunimpératifquinerelèveraitplusd’unchoixdesociété,nidubienetdumal,maisdefaitsquinousseraientdonnéspar lanaturedeschoses,etquineportentdoncniàdiscussionniàréflexion.

Voyons, avec l’affaire Goodwin c. Royaume-Uni du 11 juillet 200289, comment cette”nécessité” est construite. Il s’agit ici d’un transsexuel, passé de l’état physiologiqued’homme à celui de femme, et qui recourt contre l’Etat britannique pour différentsmotifsenrapportàlanonpleinereconnaissancejuridiquedesanouvelleidentitéparla

86P.Legendre,Surlaquestion…,20487B.Lavaud-Legendre,ibid.,9988LaCEDHsoumet les restrictionsdes libertés fondamentalesaucritèrede lanécessité, selon lamêmeformulepourchaquedroitqu’ilestpossiblederestreindre::«Ilnepeutyavoiringérenced’uneautoritépubliquedans l’exercicedecedroitquepourautantquecette ingérenceestprévuepar la loietqu’elleconstitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à lasûretépublique,aubien-êtreéconomiquedupays,àladéfensedel’ordreetàlapréventiondesinfractionspénales, à laprotectionde la santéoude lamorale, ou à laprotectiondesdroits et libertésd’autrui.»,soulignéparnous.89CEDH.Requêteno28957/95

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législation de cet Etat. La recourante invoque la violation de différents articles de laConvention,principalementl’art8(droitaurespectdelavieprivéeetfamiliale)etl’art12(droitaumariage).

LaCourayantadmislerecourssurlesdeuxquestions,elleamotivésonrevirementdejurisprudence par le fait «qu’elle a toujours souligné l’importance d’examiner demanière permanente la nécessité de mesures juridiques appropriées, eu égard àl’évolution de la science et de la société.»90 Pour ce faire, c’est «à la lumière desconditions d’aujourd’hui» que la Cour s’est donné d’examiner «quelles sontl’interprétationetl’applicationdelaConventionquis’imposentàl’heureactuelle.»91Constatant que le manque de consensus scientifique concernant «les causes dutranssexualisme» ne permettait pas de fournir un argument déterminant quant à lareconnaissancejuridiquedestranssexuels,laCouraestiméquel’argumentscientifiquene revêtait plus une aussi grande importance dès lors que la décision de subir uneconversionsexuellen’apparaissaitpascomme«arbitraireouirréfléchie»,«étantdonnélesnombreusesetpénibles interventionsqu'entraîneunetellechirurgieet ledegrédedéterminationetdeconvictionrequispourchangerderôlesexueldanslasociété.»92Ce cadre d’examen pose a priori que l’argument scientifique, en l’espèce la cause dutranssexualisme,doitdéterminerlareconnaissancejuridique.Onnevoitpasenquoilacausedutranssexualismeoudetoutautrephénomène,fût-ellescientifiquementétablie,suffiraitàfonderunereconnaissancejuridique,àmoinsdeconsidérerqueledroitdoitseconfondreaveclesfaits,cequirendraitlapartie”endroit”desjugementsproprementinutile,puisquelaréférenceàlarèglededroitquipermetdeconstruirelesensqu’ilfautdonner aux faits, serait le fait lui-même. Ce ”raisonnement” tautologique aboutitpurementetsimplementàexcluretouteréflexionquantausensàdonnerauxchosesetauxévénementsde lavie.Poursuivons: lorsquelasciencenedonnepasderéponse, ilfaut alors, à suivre la logique utilisée par la Cour, se référer à la liberté de décisionindividuelledont la légitimité, fondée sur lenonarbitrairede la réflexion, s’évalue auregarddeladéterminationdelarequéranteetdeseffortsentreprisparelle.C’esticilalégitimation par la pure volonté, qui se trouve elle aussi objectivée par les faits, dansnotrecasd’espèceleseffortsdouloureusemententrepris.Nousn’avonstoujourspaslamoindreréflexionsurlecontenudecettevolonté,quisejustifieparsaseuleaffirmationdans lesactes,etnonpasparcequ’elle faitsens.Ledroitsetransformeenune”caisseenregistreuse” des libres volontés agies en actes, et renonce à se donner comme laréférenced’un sens commun. Si ce sens communn’est paspour autant exclude cettelogique, il s’évalue selon les mêmes méthodes empiriques, sous la dénomination del’«évolution de la société» ou plus précisément «l’évolution des mœurs dans une

90Ibid.,consid.9291Ibid.,consid.7592Ibid.,consid.81

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sociétédémocratiqueàuneépoquedonnée»,c’est-à-dire«à la lumièredesconditionsd’aujourd’hui». Cette ”lumière”, censée nous éclairer sur ce qui est admissible ouinacceptable, ne procède pas d’une pensée cohérente découlant d’un choix de valeur,maisd’uncalculstatistiquedespratiquessocialementadmisesparl’opinionpubliqueetpar les juridictionsdesEtatsdémocratiquesdans lemonde: «aussi laCourattache-t-elle moins d'importance à l'absence d'éléments indiquant un consensus européenrelativement à la manière de résoudre les problèmes juridiques et pratiques qu'àl'existence d'éléments clairs et incontestés montrant une tendance internationalecontinuenonseulementversuneacceptationsocialeaccruedestranssexuelsmaisaussivers la reconnaissance juridique de la nouvelle identité sexuelle des transsexuelsopérés.»93 Il s’agit donc bien de suivre la tendance sans autre questionnement,considérant que le fait accompli se justifie par lui-même et suffit à éclairer la pensée.«Le problème, nous dit Muriel Fabre-Magnan, est que l’on assiste aujourd’hui à ladictaturedufait:decequecelasefait,onveutdéduirequecelapeutsefaireetmêmequeceladoitsefaire.Laréalitéfaitfoi,etl’objectifestalorsdelaforcerpoursoumettreensuitelaloiaufaitaccompli.»94

Perdantalorssonrôlenormatifpournedevenirquedescriptif,autantdiredudroitqu’iln’y en a plus, ou qu’il s’est réduit à une fonction régulatrice. Comme nous dit PierreLegendre, «nous courrons après une raison du droit qui serait scientifique (au senssocialement admisde ce terme), dontnouspourrions enfinnous satisfaire. Il y a desleurres,quiencréentl’illusion;parexemple,cettenotionderégulationjuridique,lancéepar les sociologues, douéed’une vertu appréciable: étouffer le questionnement sur lanaturedesnormes.Latechnologie juridiquereçoitainsicequ’elleestcenséeattendre,une explication technologique.»95 La question de l’évolution du droit ne peut serésoudredans la simple avalisassiondes comportements, surtoutdansune sociétéoùceux-ci sont induits par une publicité commerciale manipulant les mécanismesinconscients des individus sans aucune restriction, avec le soutien de la censureidéologique colportée par les DH, qui semble faire bon ménage avec les objectifs du93Ibid.,consid.8594M.Fabre-Magnan,«Ladignité…»,13.Nousavonsaffaireàl’axiomescientifiquequiposeque«levraietlefaitsontconvertiblesl’undansl’autre(verbumetfactumconvertuntur)»,PierreLegendre«Conclusion,Le corps, la vie de la représentation, l’institutionnel», Entretien avec Pierre Legendre, in La génétique,science humaine, dir. M. Fabre-Magnan et Ph. Moullier, Belin, Débats, 2004, prologue, 242. Cité par M.Fabre-Magnan,13Ouplusprécisément:«Lescientisme,cettenouvellereligionentrainderéformerlepenserenOccident,supposeunaxiome:lelangageestlaréalité,etlecerveauperfectionnédel’humainl’atteintdirectement.Où passe la question de l’écart, classiquement tenu pour l’enjeu normatif majeur par les sociétésoccidentaleselles-mêmes:lepouvoirsurlasignificationcommeattributsouveraindanslemontage?»,P.Legendre,LeçonsI…,170.Etencoreàcesujet:«lescientisme(…)drainelepouvoirsurlasignification,etce faisant confisque le geste rituel du parler; le parler se chosifie, dans un réalisme qui rappelle lesexercicestotalitaires.Ilyaconnivencedefaitentrescientismeettotalitarisme:promouvoirleréalisme,unfauxrapportendirectdel’hommeavecl’hommeetlemonde,sansmédiation.»ibid.95P.Legendre,Surlaquestion…,139

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marché.Marie-ThérèseMeulders-KleinrelèveausujetdelaCEDHque«laCour(…)seréfèreinlassablementàl’opinionpubliqueetàl’étatdesidéesetdesmœursenaffirmantque la Convention doit être “un instrument vivant“ et évolutif.Mais outre le fait qu’iln’estécritnullepartqueledroitdoitsuivrelefait,etensubstancel’étatdesmentalitéset desmœurs qui peut être aussi bon que détestable, voire imaginaire, il se fait quel’opinionpubliqueelle-même,dansdesmatièresaussisensiblesquelesmœurssexuellesetleschoixexistentiels,estcontinuellementtravailléeparlesgroupesdepressionetlesmédias,etsetaitparcequ’elleapeurdelacensuredupolitiquementincorrect,commesilalibertédepenséeetd’expressionn’avaientplusdroitdecité.»96

PourrésumerlavisiondelaCEDHconcernantl’intérêtgénéral,celui-cinousseraitdictépardes faitssociauxquis’autodétermineraientpareux-mêmes,à l’instarde la théoriesmithienne -et soussonrègned’ailleurs -,dont laMain invisibleconduirait la sommedes intérêts individuels et égoïstes à constituer l’intérêt général. Cederniern’étant àplus ou moins brève échéance que le constat des premiers, le critère permettant detrouver «le juste équilibre à ménager entre l'intérêt général et les intérêts del'individu», «souci sous-jacent à la Convention tout entière»97, n’est plus un critèreextérieurauxintérêtsenopposition,unepositiontierce,maisunesimpleprocéduredevalidationd’unétatdefait.

Dans le casd’espèce«iln'apasétédémontréqu'unemodificationde la conditiondestranssexuelsrisqueraitd'entraînerdesdifficultésconcrètesounotablesouuneatteinteàl'intérêtpublic»,maisparcontrequel’«onaaffaireàunconflitentrelaréalitésocialeetledroitquiplacelapersonnetranssexuelledansunesituationanormaleluiinspirantdes sentiments de vulnérabilité, d'humiliation et d'anxiété»98, et donc «qu'il peut yavoiruneatteintegraveàlavieprivéelorsqueledroitinterneestincompatibleavecunaspect important de l'identité personnelle.»99 Cette situation anormale qui peutatteindre gravement la vie privée ne serait donc pas le résultat du libre choix de larequérante, mais elle serait causée par la règle de droit qui lui préexistait. Nous nesommes pas très loin de l’affaire Perruche, qui a admis pour un enfant handicapé undroitàuneindemnitépourlefaitd’êtrenéhandicapé,suiteàunmauvaisdiagnosticdumédecinsans lequel lamèreauraitpuavorter.Sansnier lesdifficultésdepensercetteproblématique,liéeauxmoyensd’interventiondelasciencedanslanaturedeschoses,lasolutionretenueouvrenéanmoinslaporteàl’eugénisme,etlorsqueonaledroitdeserebellercontre les limitesde lanatureelle-même,onnevoitpasque l’onnepuisseserebellerafortioricontretouteslimiteshumaines.96 M-T Meulders-Klein, «L’irrésistible ascension de la “vie privée“ au sein des droits de l’homme»,communicationauColloquesurlavieprivée,Montpellier,novembre2004,inédit.CitéparJ.-P.Lebrun,op.cit.,16997CEDH.Requêteno28957/95,consid.7298Ibid.,consid.7799Ibid.,consid.77

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Pourrevenirànotrecas,vouloiradapterlarèglededroitàtousleschoixparticuliersquila contredisent revient d’une part à ne plus avoir de règle; d’autre part, remettre encause le principe d’indisponibilité du droit des personnes pour l’adapter au gré despathologiesquiserevendiquentcommenormales,c’estperdrelesensdecequiestsain.La Cour relève «qu'il est largement reconnu au niveau international que letranssexualisme constitue un étatmédical justifiant un traitement destiné à aider lespersonnesconcernées(parexemple, leManueldiagnostiqueetstatistiquedestroublesmentaux,quatrièmeédition(DMS-IV)aremplacélediagnosticdetranssexualismeparceluide”troubledel'identitésexuelle”)»100.C’estdoncbienàunepathologiequel’onaaffaire, dont il suffirait de normaliser le symptôme pour la soigner. Le droit serait-ildevenuunenouvellemédecine?

Enconclusion,nousditlaCour,«lasituationinsatisfaisantedestranssexuelsopérés,quivivent entre deux mondes parce qu'ils n'appartiennent pas vraiment à un sexe ni àl'autre,nepeutplusdurer.»101Ilfautrelevericil’ambiguïtédelaCourquinereconnaîtledroitàleurpleineidentitéjuridiquequ’auxtranssexuelsopérés.Onpeutsedemanderpourquoilatransformationphysiologiquedevraitêtredéterminante,dèslorsqu’ils’agitd’un troublede l’identité sexuelle et que le critèrebiologique chromosomiquen’entrepasenlignedecompte.N’enirait-ildoncqueducritèredel’apparence?Maislàencore,on ne voit pas quelle implication pourrait avoir la transformation chirurgicale desorganesgénitauxsurlaviepubliqued’unepersonne.Ondevraitalorsadmettrel’identitéjuridiqued’unsimpletravestissementnonchirurgical,carcespersonnessouffrentausside trouble de l’identité sexuelle et de vivre entre deux mondes, pour reprendre lescritèresdelaCour.Derrièrelesincohérencesdecesarguments,secachel’idéequelechoixdusexeestàlalibre disposition de chacun. Toutefois, pour faire croire à ce défit contre la nature, lefaux-semblant doit apparaître quelque peu vraisemblable, d’où la nécessité del’interventionperformativedelachirurgie.Enréalité,quelareprésentationdusexesoitvestimentaireouqu’ellesoitbouchère,noussommestoujoursdansletravestissement.Enreconnaissantl’identitéjuridiquedestranssexuels,ledroitnousobligeàjouerlejeudu roinu, c’est-à-dire à voir cequ’il n’y apas, ou àprendreune théâtralitémanifestepourlaréalité.Ledroit confond ici le symboliqueet le réel, ilperd l’écartde réflexionquipermetdefaire le lien entre le fantasme et la réalité. En n’appliquant plus le principe de noncontradiction,ilcautionneladictaturedufait102.

100Ibid.,consid.81101Ibid.,consid.90102Ledroitconnaîtdesfictionsjuridiques,commelaprésomptiondepaternitéparlemariage,l’adoption,ouencorel’accouchementsousX(enFrance).Danstouscescas,iln’yapasdeconfusionentrefictionetréalité.Lapaternitéétantincertaine,ils’agissaitparcetteinstitutiondecomblerjuridiquementleslacunesrésultantdecesincertitudes.Iln’ajamaisétéquestiondenierquel’enfantpuisseêtred’unautrehomme

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AveclaprésentationdecetarrêtnousavonsmontréqueledroitdesDH,envoulantselibérer de toute morale prescriptive et de toute normativité dogmatique, notionscontraires à sa conception de la liberté, n’échappe néanmoins pas à la prescriptionnormative dogmatique, quand bien même il réussit à la dissimuler. Que la véritéobjectivedeschosesnoussoitdonnéesansmédiationparlesimpleconstatdesfaitsestun axiome qui relève d’une croyance, au même titre que n’importe quel axiomenécessaire au fondementde toutepensée. Laparticularité de l’axiome scientifique estqu’ilacongédiélapenséeensupprimantl’écartd’interprétationentrelefaitbrutetsareprésentation.Dèslorsqueledroitlereprendàsoncompte,onpeutsedemander,avecPierre Legendre «où passe la question de l’écart, classiquement tenu pour l’enjeunormatif majeur par les sociétés occidentales elles-mêmes: le pouvoir sur lasignificationcommeattributsouveraindanslemontage?»103Maisilnefaudraitpasseleurrerenpensantquelepouvoirsouveraind’attribuerlasignificationauraitdisparu;ilest simplement devenu invisible: «dans l’économie dogmatique en tant quemanifestationlogiqued’unesociété,laScienceappliquéeausocialnesauraitéviteràlafoisdesemettreelle-mêmeenscènecommediscoursindustrialistedel’Interditet,surcettebase,desedéveloppercommevenantfonderunjuridismeocculte.»104

II.Uneculturedel’universalité

Nousaborderons ici laproblématiquede l’éradicationdesculturespar l’universalismedes DH qui se posent au-dessus des souverainetés nationales et de leurs cultures.L’acclimatation des DH aux différentes cultures, thèse défendue par certains pourdémentirunimpérialismequin’arriveplusàsecacher,nesemblepasplausibledansunmarchémondialisécontrelequel ilneresteactuellementquel’uniformisationeffectivedes DH pour en contenir les aberrations illimitées. Mais d’un point de vue plusfondamental, les culturesétant l’ennemiprincipalde l’humanité selon lesDH,nousnevoyonspasaunomdequoiilsseraientprêtsàleursacrifierleuruniversalitéexclusive.

«Mêmequandildevientdudroitpositif,l’universalismerestemarquéparsonorigine.Ilrelèveencoredelaraisonpureetindiqueunobjectifàatteindre,unevoieàsuivre,plusqu’ilnedétermineuncontenunormatifprécisetstable.»105

quelemari.L’adoptionviseàdonnerunefiliationjuridique,sansprétendrepourautantàunefiliationbiologique.Etenfin,l’enfantdelafemmequiaccouchesousXseranédemèreinconnue,alorsmêmequel’onconnaîtlamère.Cetteinstitutionestcontestablevis-à-visdel’enfant,maispourcequinousconcerne,elleneprétendpasquel’enfantneseraitpasnédesamère.Ellenevisequ’àcacherl’identitédecettedernière.103P.Legendre,LeçonsI…,170104Ibid.,42105M.Delmas-Marty,Lesforces…,51

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L’idéeexpriméeparMireilleDelmas-Martyestcelle«d’universelsencontextes»,soitde«valeurs où l’universel et l’histoire se croisent», selon les termes de Paul Ricoeur.106Nousretrouvonsicilavieillequestiondudroitnaturelquiatraversétoutel’histoiredelaphilosophie,etquireste insoluble tantqu’elleseposeentermed’universalité.NousavonsvuavecPierreLegendrequel’universelnepeutpasêtreuncontenu,maisqu’ilnepeut être vu que comme une structure, un mécanisme logique lié à la parole et à laRaison. Les différentesmanières dedonner vie à cette logique resteront toujours uneaffairedeculture,etleursdifférentesfiguresneserontquedesrécitsmythiques.Mêmel’hommeabstrait sans figuredesDHest une figuremythiqueparmid’autres.Dès lorsl’idée ”d’universelsencontextes”doit secomprendre,auregarddes travauxdePierreLegendre,commeune«architectureinvisible»107quinedevientvisiblequelorsqu’elleentre en résonnance avec le discours mythique d’une Référence fondatrice, oùl’universelestl’invisible,etlecontextuellerécitquilerévèleàsacorporalité.Endéniantsapropredimensionmythique, laModernitéoccidentalerenversela logiqueenfaisantdu contexte un universel. Cette entreprise impérialiste ne saurait se cacher de façonconvaincante derrière une soi-disant acclimatation des principes occidentaux à lavariétédescultures.Commenousallonslevoir, ilnes’agitqued’unesortedemiseenrégie,dontlamargedemanœuvretemporaireestvouéeàdisparaîtreàterme.

A. Lamiseenperspectived’untableauunique

Lesinstancesdecontrôlesupranationalesreconnaissentunemarged’appréciationauxEtatsnationaux,quipeuventfairevaloirleurpropreconceptiondel’ordrepublicetdelamoralité,margequirestenéanmoinssoumiseaucontrôle.DanslecadredelaCEDH,elleest limitée «soit à des mesures dérogatoires, prises en raison de circonstancesexceptionnelles,donctemporaires,«danslastrictemesureoùlasituationl’exige»(art.15);soitdesrestrictions,prisesàtitrepermanent,àconditiond’être«nécessairesdansunesociétédémocratique»(art.8à111eret3,protocoleadditionnel).»108Ilfaudraencoredémontrerle«besoinsocialimpérieux»pardes«motifspertinentsetsuffisants»,etquelamesureinstauréerespecteleprincipedeproportionnalité,ouquelecaractère«démocratique»desmesuresrenvoieàl’existenced’uncontrôlejudiciaireouadministratif,etaurespectde«l’espritdémocratique»,définitpar lepluralisme, latoléranceet l’espritd’ouverture.109 Iln’estpasbesoinderentrerplusdansledétaildecette construction juridique, pour s’apercevoir comme le suggère la métaphore deMireilleDelmas-Marty,que«celarevientàadmettrequelemêmetableauestconstruitselondeslignesdeperspectivemultiplescorrespondantàplusieursobservateursplacés106P.Ricoeur,Soi-mêmecommeunautre,Seuil,1990,336.CitéparDelmas-Marty,ibid.,51107P.Legendre,LeçonsIX…,53et59108M.Delmas-Marty,Lesforces…,66109Ibid.,67

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en des lieux différents du tableau.»110 Relevons d’abord qu’il s’agit bien du mêmetableau,etquesesvariationsdeperspectivestendentàconvergerverslemêmepointdevue,particulièrementavecleréexamenpériodiquedespratiquesnationales«euégardnotammentàl’évolutiondelascienceetdelasociété.»111L’évolutiondelasociétépriseen compte n’est ni celle de l’Etat intimé, ni toujours celle de l’ensemble des Etats-membres,maisl’ensembledessociétésdémocratiquesdumonde.112Quantaucritèrescientifique, il faitclairementréférenceàunevisionoccidentalede lavérité,dontlepositivismen’apaslacapacitédes’ouvriràd’autresapproches.Ainsi,aufil des revirements de jurisprudence de la CEDH, qui s’imposent à ses Etats-membresparleursnombreusescondamnations,seconstitueundroitsupranationaluniformisantquiàplusoumoinslongtermevaéradiquerlesdiversitésculturelles.Noussommesloindelapossibilitéd’interprétationàévolutionmulticulturelle,commenouslemontrecetexemple cité par Alain Supiot: «Saisie par des députés turcs régulièrement élus etdémisdeleursiègeparl’armée,laCoureuropéennedesdroitdel’Hommearejetéleurplainte,aumotifquelaCharia,dontleurprogrammeseréclamait,«reflétantfidèlementlesdogmesetlesrèglesdivinesédictéesparlareligion,présenteuncaractèrestableetinvariable», et que «lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans laparticipationpolitiqueoul’évolutionincessantedeslibertéspubliques».Cetarrêtréduitàrienlarichehistoiredelapenséejuridiquemusulmaneetfermeainsilaporteàtouteidée d’acclimatation des droits de l’Homme aux valeurs de la Loimusulmane.»113 LarésistancedesDHàuneinterprétationdiversifiéeestlaconséquencedeleurprétentionàl’universalité,dontonnepeutexclurequelaviséesoitplusimpérialistequ’humaniste.Pourtant, ceserait,pour lacivilisationoccidentale,une invitationàsequestionnersurelle-même, au risque de devoir réaliser que ses certitudes ne reposent que sur descroyances114,cequ’ellen’estpasprêtedefaire,carc’est toutsonédificed’universalitéqui s’effondrerait, ce qui confirme la thèse de l’impérialisme. Nous pouvons conclureque,dansuneperspectiveuniversalisante,tableauuniquerequiertpointdevueunique.

110Ibid.,65111Ibid.,70112VoirarrêtGoodwinc/UK,supra113A.Supiot,Homojuridicus…,289114 «Une application fondamentaliste des droits de l’Homme ne pourrait que hâter le phénomène enprécipitant le saccage des structures sociales qui sont le lieu vivant de la transmission des valeursafricaines. Interdire,parexemple, le travaildesenfantsdansdessociétéssansécole,c’est leur interdiretoute possibilité d’apprentissage de leur culture. Tandis qu’ouvrir cette interdiction à un jeud’interprétation où l’Afrique aurait sonmot à dire obligerait l’Occident à s’interroger en retour sur lamanièrepasforcémentexemplairedontlesenfantsysontélevésetàdécouvrirqueletravailscolaireestaussiuntravail,bienqu’ilsoitignoréduDroitdutravail.»Ibid.,303

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B. L’exigenced’uniformitéfaceàlaglobalisation

Si l’uniformisation des droits nationaux pose un problème au niveau des différencesculturelles et des différents systèmesde valeurs, il faut admettre quedans unmondeglobalisépar lemarché, ilestdesdomainesoù l’uniformisationdesrèglesdevientunenécessité, qui pourtant peine à se faire.Qu’il s’agisse de criminalité internationale, debiotechnologie(OGM,géniegénétique),dequestionsécologiques,defluxfinanciers,deflux de l’information internet, ou de protections sociales, le découpage national desgouvernementsnepermetplusdecontrôlerlalibertéd’uneéconomiemondialisée,sansfrontières,dontlesacteursatteignentunepuissancequidépassecelledesEtats-ouquise les ont inféodés -, et dont l’empire s’impose hors du champ politique. La loi dumarchéettouteslesconséquencesquis’ensuivent,sontdevenuesunétatdefaitquinerelèverait plus du choix démocratique: «en proie à des formes nouvelles deféodalisation,l’Etatsembleavoirrenoncéàsaisirautraversdesloisstables,généralesetabstraitesunmondedontlacomplexitéluiéchappe;laloisefaitrègleàvaliditélimitée,oubienelles’effacedevantlesmarchésetlesconventions.»115Danscemondelibéralisé,les instruments juridiquesàvocationuniverselledeviennentparadoxalement lesseulsmoyensdefairefaceàunedéréglementationgénéralisée,àlaquellecollaborentlesEtatsnationaux eux-mêmes, ce qui ne rend pas facile l’élaboration et l’application de cesinstruments.Ainsidurefus,souventparlesgrandespuissances,deratifieroud’assortirde réserves les conventions internationales de réglementation des marchés: «cetteattitude, accompagnéed’une tendanceà favoriser lesacteursprivés (pourdes raisonsidéologiques mais aussi constitutionnelles), favorise la promotion du marché commeseulmodèled’applicationàsignificationuniverselle,alorsquelaplupartdesvéritablesdispositifsàsignificationuniverselle(droitsdel’homme,crimescontrel’humanité,bienscommuns) relèvent encore très largement du bon vouloir des Etats.»116 CommentanalysercettesituationauregarddenotreproblématiquedesDH?

D’un côté la loi du marché et son principe d’autorégulation s’affirment comme laréalisation des libertés individuelles fondamentales dans la société civile, selon lafameuse formule de la Main invisible.117 Pour Alain Supiot, «l’humanité entière peutêtre regardée par l’analyse économique comme une collection d’individus armés desmêmesdroits(droitdevote,droitdepropriété,droitsdel’homme)danslacompétitionqu’ilsselivrentsousl’égided’uneLoiuniquequiestlaloidumarché,c’est-à-direlaloidelaluttedetouscontretous.Unetellevisiondeschosespermetdefairel’économiede

115Ibid.,101116M.Delmas-Marty,Lesforces…,404117 Formule qui nous vient d’AdamSmith pour qui l’homme « est conduit par unemain invisible pourremplirunefinquin’entrenullementdanssesintentions;etcen’estpastoujourscequ’ilyadeplusmalpourlasociété,quecettefinn’entrepourriendanscetteintention».A.Smith,Recherchessurlanatureetlescausesdelarichessedesnations.CitéparSupiot,HomoJuridicus….,117

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l’Etat etduDroit, expressionsde souverainetés localesn’ayantplus leurplacedans lemodèleimpérialquifaitretoursouslemasquedela”mondialisation”.»118

D’un autre côté, une limitation de cette liberté sans bornes devient nécessaire et nesemble pouvoir se faire qu’au nom des DH: «la Science économique a conquis lapositionmagistraledediscoursfondateurdel’ordreuniversel,nelaissantenpropreauDroitquelamaigrepartitiondesdroitsdel’Homme.»119SicesdernierspeinenteneffetàmettredeslimitesàlaLoidumarché,ilnefautpass’enétonner,carlemêmeprincipeindividualiste régit les deux systèmes, sauf que lemarché à l’avantage, en vertu de ladictature du fait, de bénéficier de la probatio diabolica (la preuve diabolique parcequ’impossibleàapporter),commenousl’expliqueMurielFabre-Magnan:«celuiquialaréalitédesoncôtéadèslorsunavantageprobatoiredetaille,carc’estalorsàceluiquiprétendraitinterdireoulimiterd’endireetd’endémontrerlesraisons.Etdèslorsquecette preuve est impossible, la réalisation par la technique ou le marché opère unredoutable renversement de la charge de la preuve, puisqu’elle conduit à uneprésomptiondelicéitéetmêmedelégitimitéqui,defait,serévèleirréfragable.»120Ceproblème est bien entendu lié, commenous l’avons vu, à la dictature du fait qui s’estsubstituée au dogmatisme de la parole, opérant par là une interdiction générale depenser l’être humain et la société autrement que comme un donné factuelempiriquementconstatableetquantifiable.

Tantque laModerniténecomprendrapasque lepointd’ancragede l’humanitérésidedans l’institution dogmatique, en tant qu’impératif de la loi du langage, elle resteratributaired’unesoumissionaveugleàundéterminismequ’elleconstruitelle-mêmeenen dissimulant le dogmatisme occulte derrière l’universalisme de la méthodescientifique.121

118Ibid.,29119Ibid.,146120M.Fabre-Magnan,«Ladignité…»,13121Surlessourcesdelavisiontechnicistedufaitnormatif,voirLegendre:«Onoublieméthodiquementcepoint depassage essentiel de l’histoiredes sciences: les jalonsposéspar le droit de la procédure et lathéorie juridiquedujugement.Ici, laRévolutionmédiévaledel’interprètetémoigne.LadécrétaleDilecti,expédiéesous lepontificatd’Alexandre III (1159-1180)et inséréedans le recueilofficieldeGrégoire IX(1234),parconséquentcommentéejusqu’auXIXèsiècle,développeunedoctrinedelanormeàpartirdesnotionssuivantes:«lefaitmêmepurementetsimplement»(Simpliciteretpurefactumipsum),et«lavéritédelachose»(reiveritatem),notionsposéesdanslecadred’investigation(investigare)envigueur:«selonla forme des canons et les choses établies par les saints Pères» (secundum formam canonum et sanctumPatruminstituta).C.titreDeiudiciis,X,2,1,6.Danscetteperspective,oùlathéoriejuridiquedujugementrejoint la problématisation romano-canonique de la preuve (lutte contre les ordalies et, plusgénéralement,lamagie),onpeutdirequel’institutionnelreligieuxaposélespremiersjalonsstructurauxdelaresponsabilitésocialedudiscoursscientifiquedanslacultureeuropéenne.»LeçonsI…,107,note2

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III.Ladignitéhumaine

A. Unconceptréactualisé

Comment réintroduireunprincipehumanisantquipuisseprendre statutdevérité, enlieuestplacedudiscoursscientifiquequisertàlégitimerunebarbariedéshumanisante,prenantlaformed’uneguerreéconomiquedetouscontretous,libredetouteloi?122Le discours légitime desDH, récupéré par le discours scientifique, perd sa dimensiondémocratique pour devenir l’instrument de cette barbarie: en s’affichant contre cettedernière comme un simple bouclier de protection, il en reconnaît le principe et lasupériorité. Peut-on imagineruneréinterprétationdesDH,quidanscecombatpuissefaire triompher une représentation humanisante de l’homme? Pour cela il faudraitcommencer par réviser l’idée selon laquelle l’humanité existerait commeun fait de lanature,serévélantdelui-mêmeparlanonentraveàsalibreexpression.Unetelleidéenepermetpasdepenserl’humanitécommedevantêtreinstituée.Instituéeprécisémentpar une représentation humanisante, c’est-à-dire qui permet d’inscrire en l’homme leprincipededivisionquifaitloi:«ladivisionestlaloidelapensée,ledésird’unitéestlaconditiondupensant»123,nousditPierreLegendre.Nousavonsvuquevouloirfairedel’unitéla loinepermetpasd’accéderà l’autonomie,maisaucontraireenfermelesujetdanslefantasmeinfantiledelatoute-jouissance,etlasociétédansletotalitarisme:«lesujetnepeutvivretoutd’unepiècesansêtrefou.Lavieimposel’écart…»124Cesontlàlesconditionsdel’humanité.Lamodernitéestprisedansuncerclevicieuxdontiln’estpascertainqu’ellepuisseensortir: enfermée dans le fantasme de l’unité en ayant rejeté le principe dedivision/différenciation nécessaire à la pensée, elle n’arrive déjà plus à percevoir saconditionets’affaireinlassablementàmanipulerlaréalitépourlafairecorrespondreàsafolie.Auregarddecetteconditionhumaine,nousnousproposonsd’aborderlanotionde dignité humaine, afin de voir si elle peut instituer le principe de division, ou si aucontraireellenetendraitpasplutôtàlenierenrecréantl’Undanslemonde,àl’image

122NouspourrionsaussiposercettequestionenreprenantlestermesdePaulMartensquienrésumebienla problématique: «En s'affranchissant de la tutelle divine, le droit nous a permis de conquérir leslibertés, la tolérance et l'égalité, qui sont des biens irremplaçables de la modernité juridique. Mais endonnantàl'individulaplacedésertéeparladivinité,enlaissantlesidéologiesmeurtrièrespuisl'anomiedumarché régler nos existences, n'avons-nous pas précipité l'homme dans une solitude qui risque deruinerlesbiensdel'autonomie?Serait-ilpossiblederetrouveruneferveurdesubstitutionsansretomberdanslesaberrationstotalitairesounationalistes?Pouvons-nous,pourcefaire,réinventeruneéthiquedelasollicitudeetdemanderaudroitdel'intégreràsescatégoriesalorsqu'ils'estefforcé,depuisdeuxcentsans,des'enaffranchir?»(Ledroitpeut-ilsepasserdeDieu?Sixleçonssurledésenchantementdudroit,PaulMartens, Presses Universitaires de Namur, Coll. Travaux de la Faculté de Namur, no 28, 2007, dos decouverture.)123P.Legendre,LeçonsI…,245124Ibid.,259

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d’unnouveauprolétariatsansennemiqui,ayantperdutoutealtérité,seraitdevenusansvisage,sanshumanité?Avantdetenterderépondreàcettequestion,nousexposeronsd’abordlesdangersquepeut représenter le concept de dignité, puis ses perspectives prometteuses telles quedéfenduesnotammentparMurielFabre-Magnan.Tentonsdansunpremiertempsd’encirconscrirelanotion.

La dignité humaine a toujours été au fondement des libertés individuelles,mais dansune nouvelle acception, elle s’annonce être un retour à une dimension collectivepermettantdelimiterlesdroitssubjectifs.Ce n’est qu’au lendemain des atrocités nazies qu’elle a pris un essor particulier envenant s’inscrire dans toutes les grandes déclarations internationales. Elle n’étaitcependantpasencoreopératoire,etlaCEDHentréeenvigueuren1953necontenaitpasencoreleterme.Ilafalluattendre1995pourquelaConventionreconnaissentque«ladignité, comme la liberté, est le principe même de la Convention.»125 Selon MurielFabre-Magnan cette évolution a suivi l’ennemi que lesDHdevaient combattre: face àl’EtatoppressifperçuparlaRévolutionfrançaise,ilsuffisaitd’opposerleslibertés;faceà la barbarie de l’Etat nazi, la dignité s’imposait avec plus de force; et aujourd’hui labarbarie et le risque de déshumanisation ne sont plus tant le fait des Etatsdémocratiquesque«l’unedesfacesdudéveloppementdémesurédelatechniqueetdumarché.»126D’uncôté, l’individualismea conquis ledroit absolude toutdéciderpoursoi-même,notammentencequiconcerne«leprincipetraditionneld’indisponibilitédel’étatdespersonnes(qui)estdevenuaujourd’hui,aveclacautiondelaCoureuropéennedesdroitsdel’homme,unprinciped’autonomiedespersonnes.»127D’unautrecôté, lenéo-libéralismeéconomiquearéussiàimposerunedéréglementationaunomdelanonentrave au marché, qu’aucun autre principe ne permet de limiter. Les innovationstechnologiquesguidéesparleseulcritèredelacroissanceéconomiquebénéficientd’uneprésomptiondelicéitéetmêmedelégitimité,grâceàladictaturedufait,tellequenousl’avonsvuci-dessus.C’estdanscesconditions,etparallèlementàleurémergence,queleconcept de dignité humaine a étémobilisé à tout va, faisant son apparition à tous lesniveauxdeslégislationsetdesjuridictionsnationales,commelesésamequipermettraitdepréserverunehumanitédansunmondeenpertedemaîtrise.Dèslorsleconcept,sansdéfinitionhomogène,estutilisédefaçoncontradictoire,servantautantàfonderleslibertésindividuellesqu’àlesrestreindre.

Muriel Fabre-Magant, résout cette contradiction en plaçant la notion au-dessus desdroitsfondamentaux.Siladignitéestaufondementdetouslesdroitsfondamentaux,elle

125M.Fabre-Magnan,«Ladignité…»,4126Ibid.,5127Ibid.,6,«Surceglissement,voirlesanalyseséclairantesdeJ.-L.Renchon,«Indisponibilité,ordrepublicetautonomiedelavolontédansledroitdespersonnesetdelafamille»,note19

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ne doit néanmoins pas se confondre avec eux, car elle «n’a pas pour horizon laprotection d’une personne particulière, ni même d’une catégorie de personnes, maisl’humanité en général.»128 Chaque personne porte l’humanité en elle, et se doit d’enassurer la dignité non seulement envers autrui, mais aussi en sa propre personne.Primant tous les autres droits et libertés fondamentales «la dignité de la personnehumaine n’est donc ni un droit subjectif, ni même un droit de l’homme. Elle est unprincipeplus précisément le principepremier.»129 Dans cette perspective le conceptréintroduitauseindesdroitssubjectifsunedimensiond’indisponible,quetoutindividusedoitderespecterdans l’exercicedesa liberté, jusqu’àdevoirrestreindre ledroitdedisposerdesoi-même.

AuregarddenotrecritiquedesDH,nouspourrionsnousréjouirderetrouver,aveccetteconceptiondeladignitéhumaine, lapossibilitédelégitimerleprinciped’unelimiteauseindeladangereusedictaturedelanon-limite.L’idée est séduisante, mais l’outil permet-il vraiment d’en sortir, ou ne va-t-il pas aucontraireenrenforcerlalégitimitéenjouantdurituelsacrificieletexemplatifauserviced’uneobscuremoraleuniversalistedel’humanité,dontunefoisdeplusonneconnaîtnilafigure,nilamaininvisiblequienseraitleprincipe?

B. Unemoralefétichistedel’hommeunifié

L’affairedulancerdenain130,dontl’issueaconsacrélanotiondedignitéhumaine,telleque nous venons de la présenter selon Muriel Fabre-Magant, a été l’occasion denombreusesréactionshostilesàlasolutionretenue.Lescritiquesfontallusionaurisqued’un retour à un certain ordre moral mettant en danger la garantie des libertésindividuellespar«l’utilisationjuridiqued’unenotionquinel’estguère.»131Lefloudela

128Ibid.,21129Ibid.,23130 «La pratique du «lancer de nain», venue des pays anglo-saxons - principalement d’Australie -consistait à faire lancer, le plus loin possible, par le public des discothèques dans lesquelles il seproduisait,unnainvêtud’uncostumedeprotectionassezsemblableàceluidesfootballeursaméricainsetmuni d’une poignée «à lamanière d’une vulgaire valise»[2], sur unmatelas, le tout donnant lieu à un«championnat»ainsiqu’àl’établissementde«records»»,C.Husson,«Lelancerdenain…»,1-2En1991,puisen1992,suiteàunecirculaireduMinistredel’Intérieurfrançais,quijugeaitcettepratiquedétestableethumiliante,troismairesprirent,surlabasedel’article3CEDH(interdictiondelatortureetdetraitementsdégradantsouinhumains),desarrêtésd’interdictiondesspectaclesdelancerdenaindanslesquelsseproduisaitlenainWackenheim.CederniercontestalesarrêtésmunicipauxdevantleTribunaladministratifquilesannula,cequidonnalieuàdesappelsparlesmunicipalitésdevantleConseild’Etat,quiasontourinvalidalesprécédentsjugements.Puis,unedemandedevantlaCEDHparM.Wackenheimfutrejetéepourirrecevabilité,cequien1996conduisitlerequérantàalléguerladiscriminationdevantleComitédesDroitsdel’HommedesNations-Unies.Cedernierrecoursnefutpasadmis.(Pourlesmotifsdel’irrecevabilité devant la CEDH, voir la décision de la Commission du 16 octobre 1996,Wackenheim c.France,requêteno29961/96).131C.Husson,«Lelancerdenain…»,5

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notionneluidonneraitnonseulementaucunehomogénéitédanssonapplication,maisouvriraitlaporteàl’arbitraire,commeleremarquelejugePaulMartens:«dèslorsquedes juges puisent leur autorité dans des normes dont ils déterminent eux-mêmes lecontenu, hors de toute attache avec un système de référence extérieur, le droit qu’ilsinventent[...]risquedesemontrerplustyranniquequelorsqu’il"n’étaitquelegreffierdesdieuxoulesergentdesprinces".»132

Regardonsdeplusprèsdequoiestfaitecettedignitéhumainedanslecasd’applicationdulancerdenain.Lesjugesontconsidéréqu’ils’agissaitd’unactehumiliantetdégradantpourladignitéde la personne humaine,mais en rattachant toutefois l’humiliant et le dégradant à laparticularitédunain,qu’ilsontqualifiéedehandicap.Eneffet,leConseild’Etataestiméque « l’attraction de "lancer de nain" consistant à faire lancer un nain par desspectateursconduitàutilisercommeunprojectileunepersonneaffectéed’unhandicapphysique et présentée comme telle [et] que, par son objetmême, une telle attractionporte atteinte à la dignité de la personne humaine. »133 Le Conseil d’Etat, tout enqualifiant lui-même le nanisme de handicap, nous dit en substance que le fait de leprésentercommetelestunélémentconstitutifdel’atteinteàladignité.Ladignitéseraitdoncbienici ledevoirdenepasreprésenterunhandicappourcequ’ilest,plusquelefaitdeseprêteràlafonctiondeprojectile,cequeconfirmelaremarquedel’Etatpartieselonlequel«laquestiondel’indignitéd’uneactivitéconsistantàlancerdespersonnesde taillenormale, c’est-à-direnonaffectéesd’unhandicapparticulier, seposeraitdansdestermestrèsdifférents.»134

Danscecasd’application,ladignitéhumainen’aboutitmanifestementpasàunesolutionsatisfaisante:unnain, contrairementàunepersonnede taillenormale,n’auraitpas ledroitd’êtreprojetésurunmatelasdanslecadred’unjeu,pourlaseuleraisonquesonnanisme est un handicap. L’interdiction n’est donc pas liée au fait qu’un être humainconsentant soit utilisé comme projectile, mais au fait qu’il s’agisse d’un nain. Unhandicapé n’a donc pas le droit de faire valoir ses particularités, même lorsque sonintégrité physique et psychique n’est pas atteinte et qu’il y trouve une satisfactionpersonnelle, sociale et économique. Si le Comité des Droits de l’Homme des Nations-Unies a qualifié le nain de handicapé, il le discrimine néanmoins en lui refusant desdroits qui ne seraient pas refusés à des personnes de taille normale. Le concept dedignitéhumainea icipermisdesupplanter l’interdictionde ladiscrimination, l’undespiliers des DH. Que veut-on vraiment protéger ? Certainement pas le nain. C’est aucontraireuneidéologiehomogènedel’Humanitéquisembleprévaloirici,audétriment132PaulMartens,«Encore ladignitéhumaine: réflexionsd’un jugesur lapromotionpar les jugesd’unenormesuspecte»,inLesdroitsdel’hommeauseuildutroisièmemillénaire:mélangesenhommageàPierreLambert,Bruxelles,Bruylant,2000,578.CitéparHusson,ibid.,9133Ibid.,9134Ibid.,9

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desdifférencesetdesparticularitésparfoisgênantesdelaréalitéhumaine,reconnuesenthéorie,maiscombattuesenpratique.

Ceux qui ont critiqué l’issue et l’argumentaire que les juges ont donnés à l’affaire dulancer du nain en craignant que la dignité humaine ne compromette la garantie deslibertésneconvainquentpasnonplus,commelemontrelapositiondeCélineHussonencequiconcernelaqualificationdehandicap:«Comment,eneffet,affirmerprotégerladignité humaine en introduisant ce genre de classifications particulièrementchoquantes?... N’est-ce pas alors cette distinctionmalheureuse, voire dégradante, quiconstitue elle-même une atteinte à la dignité de M.Wackenheim qui, après tout, nedemandaitquelapossibilitédesefaire”lancer”ainsiqu’illesouhaitait?Appartient-ilaujugede ”classifier”ainsi les individusselonqu’ilsprésententounondesparticularitésphysiquesqu’ilperçoitmanifestementcommedesdéfauts?Quelle intégrationespérerfairerespecterdanslasociétéaprèsunexempleaussicaricatural?»135L’auteurdecesmots se trompe également en croyant pouvoir éliminer la réalité problématique duhandicapens’opposantàcequ’ellesoitcatégoriséecommetelle.

Lesdeuxaffirmations–celleduComitéetcelledeCélineHusson- tendentàcacherlaréalitédunaincommeétantproblématique.Direqu’ilnefautpasprésenterunhandicapcommeteloudirequ’ilnefautpasqualifierlenanismedehandicapnefaitpasvraimentdedifférence.Aucontraire, lehandicappourrait retrouverunedignitésion leprenaitconcrètement en considération, au lieude lenierhypocritement.Essayonsdevoir leschosesdifféremment.

Bien que d’un niveau culturel peu raffiné, le jeu-spectacle du lancer de nain faittendrementsouriretout lemondequandonenparle. Ilyaunecertainecandeurdanscette rencontre ludique, par laquelle lenormal et l’anormal trouvent un terrain decommunion, sans qu’ils ne doivent l’un et l’autre faire semblant que ces différencesgênantes n’existent pas136. Cette mise en scène permet d’abord à la société des135Ibid.,8136 Iln’yaeneffetpasd’autrequalificatifpourdémarquerlespersonnesdetaillenormaled’unnain:dire”degrandetaille”excluraitlespetitespersonnesquinesontpasnaines,etnerendraitpascomptequelenanisme n’est pas qu’une personne de petite taille,mais, selon une définition trouvée dansWikipedia,«uneconditionhéréditaireouaccidentellequicauseunralentissementdelacroissancenormaled’unêtrevivant».Enviendra-t-on, aunomde l’humanité ”Une”, à jugerqu’il estdiscriminantet indignepour lafemmequ’un homme s’appelle un homme, parce le qualificatif d’homme exclut inévitablement celui defemme.C’esticilelangagequel’onestentraind’abolir.Quant à la question des catégories gênantes, nous devons faire un parallèle avec l’arrêt Goodwin danslequel la Cour a utilisé cet argument de façon centrale pour dire que «la non-reconnaissance de sanouvelle identité sexuelle sur leplan juridique est sourcedenombreuses situationsdiscriminatoires ethumiliantesdanssaviequotidienne». Il s’agissaitbien iciégalementde fairedisparaîtreunedifférencegênante – l’ambiguïté de l’identité sexuelle – par l’hypocrisie d’un travestissement juridique qui devaitsuivre celui de la chaire. Relevons que ni la simulation chirurgicale ni le changement d’état civile neréussissentàrendrecrédiblelesimulacre,etquedonclagêneenserad’autantplusforte,maisprohibéepar la loi. C’est ici lemensonge que l’on institue, faisant perdre aux catégories symboliques toute leurpertinencedèslorsqu’onlesrendinterchangeables.

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personnes de taille normale de casser le mur d’un malaise, que l’hypocrisie de latolérancenefaitquecacheretentretenir.Ellepermetensuiteaunaind’avoirunevraieplaceetunevaleursocialeentantquenain-etnonpasentantqu’abstractionhumaine-parcequ’ilestnainetresteranain,n’endéplaiseaux”humanistes”,quimanifestementpréféreraientvoircenains’effacerderrièrelepropred’uneHumaniténettoyéedetoutecatégorie et érigée en nouvelle normalité exclusive. La dignité humaine essaye deréaliser un absolu sans visage, et pour ce faire elle doit nier toute figure humaineparticulière.Lenaindoitnonseulement faire faceàsonhandicap,mais ildoitdeplusporterlaresponsabilitédecettedignitévis-à-visdetoutel’humanité.

Hélène Thomas l’a bien vu quand elle nous dit que «réinvestir le terme de dignitéimplique une ”révolution” sémantique et rien moins qu’une inversion de valeurs.L’impératifdejadisfaitauxdétenteursdeprivilègesdeconformerleurcomportementàleurpositionéminente, d’agir avecmaintien,mesure et retenue, s’imposeaujourd’hui,demanièreàpeinetransposée,àceuxqui,démunisdetoutetdetouteposition,privésdedignitésaupluriel,sevoientmenacésdel’êtreaussiausingulier,c’est-à-direboutéshorsde la famillehumaine.»137 Leprojetn’est pasdeprotéger ladignitéde l’hommeconcret,maisd’effacercedernierderrière l’idéald’unedignitéabstraitequepersonnene saurait incarner. Ce faisant l’égale dignité universelle se substitue à l’égalité desconditionsdevieenrelégitimantlesinégalitéssociales:«danslanotiond’égaledignité,il y a coexistence antinomique de deux ordres normatifs et politiques distincts, quirentrentenconflitetposentlesdroitsdel’hommecontrelesdroitsducitoyen.L’égalitése trouve de fait flanquée du vieux principe inégalitaire de dignité, qui conserve sesconnotationshiérarchiquesetdifférencialistes,mêmeunefoisretranscritdanslecadredelaprescriptionkantienneuniversaliste.Ladignités’appliquealorsauxsans-honneursdejadismenacésdansleurdignitéd’aujourd’hui.»138Siladignitéexigeaussiquesoientassurés lesbesoinsvitaux,HélèneThomasnousmontrequ’en justifiant l’assistanceaupauvresladignitéladétachedesdroitsdécoulantdelacitoyenneté,etcontrairementàeux,nelarenddirectementexigibleparpersonne,bienqu’elleimposesesobligationsàtous:«Alors,desocledelagarantiedesesdroitsdecitoyen,auxsecours,àl’emploi,aulogement, à l’éducation, etc., la référence devient injonction de se conformer à cettedignitémenacée, perdue et de la reconquérir au nomde la ”vie nue” et non qualifiéed’êtrehumain.Cetteinjonctions’adresseàcelui-làmêmequiestvucommeprivédeparsonétatdepauvretéoud’exclusion,detoutequalitésocialeetainsidedignitéafférenteàunstatut.»139

Dansl’affairedulancerdenain,qu’unhommeaitétéutilisécommeunprojectilen’étaitensoipasl’élémentdéterminantl’indignité,maisl’occasiond’unemiseenévidenced’un

137H.Thomas,«Lefondement…»,43138Ibid.,51139Ibid.,49

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handicap,cequi,commenousl’avonsvu,étaitlavraiecausedel’indignité.L’interdictiondetraiterl’êtrehumaincommeunechoseestpourtantleprincipecentralquipermetuntant soit peu de délimiter le concept. Déclinaison de l’exigence de sauvegarder lapersonnehumainecontre toute formed’asservissementetdedégradation, ceprincipeest lui-même fondé sur l’impératif kantien qui veut «que la personne ne soit jamaisutilisée simplement comme un moyen, mais toujours en même temps comme unefin.»140Surcettebaseilestpossibled’interdirel’esclavageouletravailforcé,parexemple,maispastoujourslaprostitution,etmaintenantlelancerdenain.Nousvoyonsquelecritèreestdifficileàutiliser, le consentementn’étantpas suffisantpouradmettreune finalitéhumaine, il faudra déterminer cette dernière de façon objective. Qu’est-ce qui permetalorsdejustifierobjectivement,auregarddelafinalité,quelelancerdenainestmoinsacceptable que la prostitution, ou que la soumission quotidienne de l’ouvrier à unemachine dont il n’est qu’un levier supplémentaire, ou même plus acceptable que lamutilationchirurgicalesdesesorganesgénitauxlorsd’unchangementdesexe?

Laquestionde la frontièreentrecequiest tolérableetcequine l’estpasrejointdonccelle de la finalité. Cette dernière ne contenant pas en elle le critère de sa limite,l’impératifkantiendanssonabstractionthéoriqueetpurementphilosophique,demeureinopérant dans la détermination concrète de cette frontière. Il en résulte que lessolutionsretenuesnereflètentpasunprincipelisibleetcompréhensible–parcequ’ilnel’est effectivement pas -, mais plutôt l’incohérence d’un ordre social en débâcle, quidonne l’exemple de l’arbitraire.Onne comprendplus pourquoi, comme le souligne leconseildunainWackenheim, «cette jurisprudence, à l’aubeduXXIe siècle, réactive lanotion d’ordre moral en direction d’une activité aussi marginale qu’inoffensivecomparée aux nombreux comportements réellement violents et agressifs que tolèreactuellement la société française.»141 On ne comprend pas non plus pourquoi l’onsanctionneunnainquiavaittrouvéunereconnaissancesocialeengagnantdignementsaviecommeill’affirmaitlui-mêmeendisantqu’«enFranceiln’yapasd’emploipourlesnainset(…)quesontravailneconstitu(ait)pasuneatteinteàladignitéhumainecarladignitéestde trouverunemploi.»142Etcomprend-onpourquoi,acontrario, iln’estpasindigne,commel’ajugélaCEDHen1990,qu’unefemmesansressources,seuleavecsestroisenfants,doiventvivredansunlogementsocialsanseauchaude,sanschauffage,sansélectriciténilumière?143Ouencore,comprend-onpourquoiiln’estpasindignequedes directeurs d’entreprises et des actionnaires gagnent plusieursmillions par annéesurledosd’unepaupérisationgénérale?Etfinalement,qu’iln’estpasindignedelaisser

140M.Fabre-Magnan,«Ladignité…»,25141CitéparC.Husson,op.cit.,3142Ibid.,3143ExempledonnéeparH.Thomas,op.cit.,43

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mourir des millions d’hommes et de femmes simplement parce qu’il n’ont pas lesmoyensdeseprocurerdesmédicamentsproduitspardesentreprisesquiréalisentdesmilliardsdebénéficeschaqueannée,etquecesmêmesentreprisesmettentauchômagepar milliers des travailleurs fidèles, à seules fins d’augmenter encore leurs obscènesbénéfices?Etc…Detellesexploitationsdel’hommen’enfont-ellespasunobjet,dontlafinalité est purement commerciale? L’impératif kantien ne vaudrait-il que pour lesnains?Danslaperspectivequenousvenonsdeprésenter,nouspouvonsavecHélèneThomasconclure que, «imprégnée de connotations moralisatrices et antidémocratiques, ladignitéestdevenueceprincipeféticheettranscendantquifournitlecadreetlamatriced’unnouvelÉtatsocial-moral.»144

C. Unenouvellelégitimitédel’Interdit

Dans une tout autre perspective, celle deMuriel Fabre-Magnan, le concept de dignitéhumaineestunepossibilitéderéintroduirel’Interditauseindudroit,car,nousdit-elle,«la dignité de la personne humaine vaut, plus que toute autre, comme raisond’interdire.»145Présentéecomme”unaxiome”,ladignitépermetégalementderefonderlanormativité surdescritèresnonscientifiques, c’est-à-dire surdescroyancesposéescomme des évidences qui n’ont pas à être démontrées, démonstration d’ailleursimpossibleàfaire,commenousl’avonsvuaveclebutoircausaldesorigines,quinepeutêtre qu’une fiction à caractère mythique. En posant la dignité comme «une valeurinfinie, c’est-à-dire incalculable»146, le droit reprend ainsi son rôle légitime de fictioninstituante,pouvantdèslorss’émanciperde«ladictaturedufait»etde«l’empiredelatechniqueetdumarché.»147Ladignitéestdonc«unprincipeindérogeable»,parquoiest réhabilitée la notion d’indisponible face à la libre disposition des fondementspromue par les DH. Enfin, la dignité est «indicible», car transcendante, elle désigneprécisément ce que l’on ne saurait définir de façon positive, l’abîme dupourquoi? oùl’être parlant «bute sur un au-delà du langage auquel le Droit, pas plus que d’autresdisciplines,nepeutaccéder.»148

Muriel Fabre-Magnan met en garde contre une utilisation erronée du concept, tropsouvent utilisé de façon non fondamentale, alors qu’il existe déjà d’autres règles plusprécisespermettantderésoudrenombredequestions.Aussi,ildoitrestersubsidiaireetn’intervenirqueprovisoirement«enattendantquelenouveauproblèmeapparutrouve

144Ibid.,51145M.Fabre-Magnan,«Ladignité…»,8146Ibid.,11147Ibid.,13148Ibid.,28

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une autre solution technique.»149 S’il n’y a pas de vérité ontologique à la dignité, ilappartient au travail de casuistique d’en révéler le sens, ce que l’auteur regretted’ailleurs,carileût«étépréférabled’éviterdesoumettreàladiscussionlefondementultimedusystèmejuridiqueetdoncdelemaintenirhorsdudroit,justementparcequ’iltienttoutledroit.»150

Ainsi succinctement résumée, la vision de Muriel Fabre-Magnan rejoint clairementl’institutiondogmatiquequenousavonsdéfendue,enréférenceàPierreLegendre,toutau long de notre exposé. Pourtant nous avons des craintes que le concept de dignitéhumaine ne suffise à atteindre cet objectif. Nous tenterons, non pas de trancher laquestion,maisd’enreleverlesproblématiques.

Ladignitépermeteneffetderestreindre les libertés individuellesnonplusseulementsur labasede la limitedes libertésconcurrentes,ousurcellede lamoralitépublique,devenue quasiment irrecevable à l’heure actuelle, ou encore sur la base d’impératifsscientifiques,maissurdesvaleurscollectivesliéesàlaqualitéd’êtrehumain.Notreanalysedel’affairedulancerdenainamontrélesdangersquecomporteladignitéhumainecommeconceptjuridique,encequ’ilpourraitprendrelaplaced’unenouvellemoraled’unpolitiquementcorrectauserviced’unedéculturationetd’unedépolitisationquineferaientquefairelejeud’unlibéralismealiénantetdéshumanisant.Cerisque,quiplusqu’unrisqueestdéjàunprocessuseffectif,estliéaupositivismeoccidental,capabledes’appropriertouslescontenusetdelesrenverserenleurcontraire.Sonprincipedenon-division,ens’appropriantleconceptdedignitéhumaine,risqueraitderedoublerlepouvoirobscurantistedeladictaturedufait,lorsqueluisontsoumiseslesinstancesoùlequestionnementsurl’humaindoitsefaire.Etiln’aurapasfalluattendrepourqueleconcept soit réduit à un simple donné biologique, comme le dénonce Muriel Fabre-Magnanencitantl’articlepremierdelaDéclarationuniversellesurlegénomehumainetdesdroitsdel’hommeadoptéeparl’Unescole11novembre1997:«Legénomehumainsous-tendl’unitéfondamentaledetouslesmembresdelafamillehumaine,ainsiquelareconnaissancedeleurdignitéintrinsèqueetdeleurdiversité.»151Si lanotionpose laquestionde l’êtrehumainsous l’anglede la limiteplutôtquede laliberté, il n’est donc pas avéré qu’elle ne se maintienne pas dans une conceptionpositiviste universalisante, dont nous avons vu les dérives totalitaires à vouloir fairefusionner lemonde avec l’Un transcendant, c’est-à-dire faire de l’Humain un contenupositifplutôtqu’uneRéférencenégative.

149Ibid.,18150Ibid.,27151CitéparM.Fabre-Magnan,ibid.,12

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a) Ladignitéhumainecommedimensionnégativedel’homme

Replaçonscetteproblématiqueauregarddelatranscendance,nonpascommehorsdumonde,mais comme hors dumonde de la représentation, comme point négatif de laconnaissance,l’insudusavoir,oulapartinvisibleduvisible.Levun’estqu’unécran,etnonpaslaréalitédanssonentier.Lanégativitéestl’absentdelachosepleinequineselaissesaisirqueparcequ’ellen’estpas.Ainsi,lanégativitéestlesacrificeàpayerpourlaconquêtedelaparole.Derrière le point ultime de représentabilité se trouve l’Abîme que vient remplir lareprésentationdel’irreprésentable,del’indicible.L’idéedeDieuévoquaitprécisémentlefait que l’Invisible n’a pas de visage, et que toute représentation ou figure qu’on luidonnen’enestquelemiroirréférentiel,maisnesauraitseconfondreaveclui.Imaginonsque l’idée de dignité humaine remplace celle de Dieu. Il faudrait alors concevoirl’Humaincommeuninaccessible,irreprésentable,unmiroirdanslequelseuleunefigureparticulière,c’est-à-direculturellementdéfinie,pourraitsemirer.C’estdirequecequiestHumainestprécisémentlefaitdedevoirprendreunefigureparticulièreetrenoncerà être le tout sans figure, renoncer à être «positivement» un Humain. La Référencenégative,c’estsedéfinirparcequel’onn’estpas:«Ledirevrai,lenomhomme,adresséàunhomme, comporteencreux ladimensionnégative, l’implicationd’undire faux, lenomfemme,quineconvientpas.Aussiunhommen’est jamaishommesansrapportàl’êtrefemme,qu’ilfautnierenluipourêtrehomme»152,nousditPierreLegendreenseremémorantPlaton.Nousvoyonsque le langage, lescatégorieset tous lesconceptsnesont pas donnés par une instance positive, mais se fondent sur leur négativité :«Lascène de la négativité est une médiation. Et le Texte n’est rien d’autre que le modecultureldetraduction,parl’écriture,decettedonnéestructurale.»153

Qu’est-ce qui permettrait, dans le contexte de la pensée occidentale à prétentionuniverselle, de concevoir ladignitéhumaine sous cet anglenégatif, plutôtque commeuneplénitudepositivequivoudraitdéfinir le toutde l’homme?C’est leprincipede ladivisionquidoitêtreréintroduit,etquiconstituel’universalitédel’Humain,oudeDieu,figuresnégativesquinepeuventl’êtrequeparladivision.Ceprincipenepeutpasêtreunefigure,ilestunestructurequisemetenplacepardesfigures.

b) Lethéâtredel’Humanité

Un bref détour par l’exemple du théâtre nous rend perceptible le fonctionnement decettestructurequin’estautrequelastructureternairedel’institutiondogmatique,quenousavonsmiseenévidenceparleDécretdeGratien.

152P.Legendre,LeçonsI…,74153Ibid.,74

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La structurequi fait qu’il y a rapportde théâtralité est toujours lamême, quellesquesoient les formes de théâtre ou les pièces jouées, y compris selon le conceptcontemporaindenon-théâtrequifonctionneaveclesmêmeslois.Pourqu’ilyaitthéâtre,il faut un Texte, une personne réelle, et un personnage qui résulte de l’appropriationsubjectiveduTexteparlapersonneréelle.Onpeutdirequelepersonnagen’émergeàlaréalitéqueparlemasqueduTexteportéparlapersonneréelle.Ainsilapersonneréelle,icil’acteur,nepeutpasexisterdanslapiècesanshabiterunmasque.DanssonEtudesurlethéâtredelaRaison,PierreLegendrenousdit:«Habiterveutdirequel’hommerésideensoncorpscommesi,lecorpsn’étantpaslecorps,ladimensiondethéâtrel’emportaitde quelque manière sur la matérialité de la chose. Cependant, cette dimension estoccultée,carselonlatraditioneuropéenneilyaconflitdeprimautéentrelamatérialitédelachoseetl’ordrethéâtraldelaRaison.»154L’hommetransparentetauthentiquedelaModernité voudrait supprimer l’ordre théâtral, c’est-à-dire lemasque, pour se révélersansmédiationdanssapureessencehumaine.Sil’onsupprimelafictiondumasque,lapersonne réelle n’est plus rien dans la pièce, elle n’a plus de rôle, il n’y a plus depersonnage,etc’estlapièceelle-mêmefinalementquel’onsupprime.Commecelan’estpas possible, il en résulte en fait qu’habiter le concept d’Humain de façon pleine etpositive,c’esthabiterunmasquevidequiréduitl’hommeréelàtellementrienqu’onnesaitpluscequ’ilest.Ilnepermetplusdejouerunepièce,cariln’estplusrattachéàunehistoire,iln’aplusdecontexte,plusdeTexte.L’homme,l’acteur,doitjouerseulsapièce,sansTexte,avecunmasquevide,lisse,quineluidonneaucunepossibilitédejeu,c’est-à-direaucune liberté. Imaginonsunacteur jetésurscènesansTexte,sanscostume,sanssujet, sans contexte. Le triomphe de la transparence humaine dans lemonde, c’est lamortdupersonnage,lamortduthéâtre,lamortdel’acteuretlamortdel’homme.Nousvoyonsquel’Humaniténepeutpasserévélersansl’hommeinscritdansuneculture,unTexte,unefigure,unmasque.Cen’estqueparcettemédiation,lamédiationd’unTexte,quesonhumanitépeutserévéler.Parrapportàcettestructure,toutelaquestiondeladignité humaine est de savoir la mettre à sa juste place. Elle ne peut pas être lepersonnage, ni l’acteur,mais le principe qui légitime l’autorité du Texte qui se joue àtraverslesacteurssociaux.

c) Unprincipedelégitimité

PierreLegendrenousdonneune clépour comprendre cetteplacede légitimitéque ladignitéhumainepourraitoccuperdans lastructureternaire:«Jepensequ’à l’extrêmepointehistoriqueoùnoussommes,aprèsunesi longueévolutiondepuis laRévolutiondel’interprète,noussommesentraindedécouvrirquelaRéférencefondatricedudroit,ayantconnudescontenusmultiples,divers,voirecontradictoires,estuncadrevide.Son

154Ibid.,135

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essence,c’estcela,d’êtreunestructurevide.Onpeutposersanscraintequeledroitn’apasdefondementparlui-même;sonfondement,c’estd’êtredépendantstructuralementd’unprincipedelégitimité,quej’appellelaRéférence,parceque,effectivement,sanscemécanismeinstitutionnelquiréfèreledroitàlacausalitésouslaformed’undiscoursdeRéférence, il n’y auraitpasdedroit.Autrementdit ledroit fonctionneen tantqu’effetd’une légitimité.»155 Dans cette perspective la dignité humaine, en tant que conceptvide, serait le fondement légitime qui permettrait au droit de poser l’Interdit commeprincipe de la division. Mais encore faut-il ne pas considérer ce fondement selon lepositivismeoccidental, cequi aboutirait, commenousvenonsde lemontrer, à vouloirréaliser l’Invisible dans lemonde visible, ou à substituer l’Humain à l’homme. Ce quenotreauteurconfirmeenpoursuivantainsi:«C’esticileplusdélicat,lepointvraimentdifficile.Nousne sommespas préparés à accepter d’avoir affaire à unmécanismequinousprésentelesfondementssurlemoded’unenégativité,surlemoded’uniln’yapas.Notre culture propose avec acharnement le plein, non pas le vide; du positif et descontenus.»156

d) L’institutiondel’Interdit

Aprèsavoirprisactede«l’Interditcommecatégorievide»,nouspouvonsenvisagerquela dignité humaine puisse prendre cette place. Se pose alors la question: commentpourrait-onendéduiredesrègles?Commeleditelle-mêmeMurielFabre-Magnan,«lavraie difficulté consiste en revanche à déterminer quels interdits doivent être poséspour préserver la dignité de la personne humaine.»157 L’auteur avance l’impératifkantiendelafinalité,selonlaquellel’hommenedoitpasêtreutiliséàseulefind’objet.Dansuneconceptionpositivistececonceptpeutcommenousl’avonsvuavecl’affairedulancerdenain,renvoyeràunepurematérialitéphysique,quinepermetpasd’entrevoirsonpointderéférencenégatif.Or,l’idéedelamoralekantiennedécouledelanotiondehors du commerce, qui fait référence en droit romain à ce qui n’est pas à la libredispositiondespersonnes,cequinepeutfairel’objetd’uncontratprivé,etdonccequiappartient à la res publica, la chose publique. Cette délimitation divisait ce quiappartenaitaudomainedusacré-l’indisponible-,decedontonpouvaitdisposer,fairecommerce. Et, toujours selon le droit romain, cet indisponible se décline en règlesjuridiques quePierre Legendre appelle le noyaudur dudroit, c’est-à-dire le statut depersonne, du latin persona.158 Il nous montre que ces catégories du droit civil sont

155P.Legendre,Surlaquestion…,141156Ibid.,141157M.Fabre-Magnan,«Ladignité…»,12158 «Originairement, nous dit-il, le mot désigne le masque de théâtre, puis le rôle du personnagereprésenté: il a pris aussi le sens de dignité ou honneur. En son acception juridique, il désigneapproximativementlesujetdedroit.»P.Legendre,Surlaquestion…,31,note1

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porteuses des symboles de la reproduction, et qu’en ce sens elles représentent unedignité, dans son sens d’immortalité, parce qu’elles instituent la vie (vitam instituere,égalementdudroitromain)àtravers latransmissiongénéalogiquede l’humanité159. Ilnes’agitpasseulementdelareproductionbiologique,maisavanttoutdela«généalogiedelaRaison».Cenoyaudurdudroitinstituelediscoursporteurdesplacesdifférenciéesetsesitueprécisémentlàoùladivisiondoitsefaireauniveaudusujetindividuel,c’est-à-dire au niveau du complexe oedipien, car «concrètement, la question de la limitetouche aux enjeux d’inceste et de meurtre.»160 C’est donc dans l’indisponibilité descatégoriesdudroitdespersonnesetdelafiliationquePierreLegendretrouvelesrèglessuffisantes pour instituer la division, celle de la différenciation des sexes étant aufondementdel’Interdit,carc’estàpartirdecescatégoriesfondamentalesquelelangageseconstruitetquel’interventionduTiersdulangageséparelesujetdufantasmed’êtretout, l’introduisant ainsi à la négativité. C’est pourquoi la problématique juridique dutranssexualismeestunequestionquinerelèvepasdelavieprivée,puisqu’elletouchelaremiseenquestiondescatégoriesfondamentalesdel’humanisationetdel’institutiondelaRaison.Cettetâche,dontl’enjeuestl’institutiongénéalogiquedelavie,oùils’agitdefairetenirensemblelebiologique,lesocial,etlesubjectif,estunerespublica,quinepeutpas appartenir à la sphère libre du commerce. Comme le dit Pierre Legendre, «lepouvoird’Etat, dans la civilisationdudroit civil, a pris le relaishistoriquedupouvoirreligieux; il exerce l’essentiel de la fonction anthropologique traditionnellement auxmainsdesreligions,àsavoirlepouvoirdediviserlesmotsetleschoses,etc’estàcetitrequ’il préside aux casuistiques du sexe: comme Tiers séparateur, Hermès socialinventeurdescatégoriesnormativespour lesdeuxsexesetgarantdes interprétations,autrementditTiersgénéalogiquegarantdesfilliations.»161

Ensuivantcetauteur,nousapercevonsquelatraditioneuropéenneoccidentaledudroitcivilecontienttouslesconceptsnécessairesàl’institutiondogmatiquedel’impératifdeladifférenciationpropreà l’espècehumaine.Laproblématiqueactuellen’estdoncpasde réinventer l’humanité, en seperdantdansdesdiscussions aussi platesque stérilessur l’éthique de la liberté, mais de retrouver les fondements institutionnels del’humanité. Cette tâche appartient aux juristes, dans lamesure où ils réinvestissent lafonctionanthropologiquedudroit,entantqu’exerciced’unpouvoirsurlelangage.CecinesauraitsefaireaveclapenséepositivistedessciencessocialesquisesontposéesennouvelleRéférencesociale,etqui«s’ignorentelles-mêmescommepartieintégrantede

159 «Ainsi les montages institutionnels se déploient comme systèmes normatifs, ayant vocation deconstruire le fondementcomme lieu tiers,demettreenscène laRéférencedansuneversionhistoriquepourlesujet.Entermesdetraditionjuridique,ils’agitd’instituerlavie(vitaminstituere).»P.Legendre,LeçonsI…,408160P.Legendre,Surlaquestion…,32161Ibid.,230

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ladogmaticité industrielle.»162 SelonPierreLegendre, «concevoirque ledroit, s’il estune production sociale, ne se borne pas à traduire et refléter des rapportsinterindividuels,ouentreindividusetgroupe,ouentregroupes,ouencoredesrelationsd’interaction,quellequ’ensoitlanature,économiqueouautre.Ils’agitdeconcevoirquelasociétéseréduiseàn’êtrequ’undiscours,unassemblagedemots,unordre textuel,organisécommeadressed’uneparoleàtoutsujet.»163

D. Conclusion

Notreparcours sur laquestionde ladignitéhumainenouspermetde conclureque leconcept dépendde l’usage qu’on en fait, et plus précisément selonqu’on le considèred’unpointdevuepositiviste,ouaucontrairequel’onpuisseadmettrequ’ils’inscritdansunestructureoùilprendlaplaced’unprincipedelégitimitéfondésurlanégativitédel’homme. Cette dernière conception implique une vraie révolution de toute la penséeoccidentale,parlaréintroductiondel’idéequel’Etatpuisseavoirunrôleinstituant,quecette institutionnepuisseêtrequedogmatique,etque ledroitnesoitpasunesimpleinstrumentalisationdelarégulationsocialeécartéduchampdelapensée.CelaimpliqueégalementdereconsidérerlaModernitédanssonhistoricitégénéalogiqueetderenoueravecunpasséquin’estpasdépassé,maisocculté,pourredécouvrirlesfondementsdesatradition,modernisablesàl’infinidèslorsqu’onenretrouvelesprincipesquirégissentlacohérencedesonTexte.Celaimpliqueencorederedéfinirlanotionsdesociété,nonpluscommeunesommed’individussans(con)Texte,maiscommeunTextequi«devientainsi une fonction de parole et d’adresse au parlant, et celui-ci n’est plus seulementl’individu,ausensétymologiqueduterme, l’atomesocial,mais lesujetdivisé, l’humaincommemontage.»164Celaimpliquedeplusquelacivilisationoccidentalesereconnaissecommeune culture à égaldes autres cultures, et qu’elle reconcedonc à saprétentionuniversaliste. Bref, nous pourrions reprendre tous les points abordés dans notreexposés, et bien d’autres encore, qui constituent un ensemble relié par le principe denon-divisiondupositivisme.Ilestpeutprobablequel’onsoitsurlepointd’yrenoncer,carc’estprécisémentcettepenséequiafaitlepouvoirdel’Occidentsurlemonde,mêmes’il n’est pas assuré que ce pouvoir puisse se maintenir, ses contradictions, sesincohérences,etsesdévastationsprenantundegréavancéd’autodestruction.

La dignité humaine permettrait-elle de renverser le mécanisme dévastateur dupositivisme?DanslesystèmefermédesDH,elleposeunenouvellelégitimitéqui,sansêtreà l’abrid’uneappropriationscientifique,ouvrenéanmoinssurunquestionnementqui va au-delà de la libre volonté, et ce faisant elle permet de réintroduire la notion

162Ibid.,116163Ibid.,217164Ibid.,88

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d’Interdit.Ilnefautdoncpaslacombattre,maissebattrepourluifairedirelaconditiondel’homme,etnepaslalaisseràceuxquivoudraientl’enfairesortir.

IV.Conclusion

Après avoir parcouru succinctement différents plans du processus de construction del’êtrehumain,auregarddelastructureternairecommemécanismeinstituantlaRaison,et fonctionnant comme logique de la représentation, nous pouvons recadrer notreproblématique des DH comme étant d’abord celle du positivisme. Ce phénomène denégationdelanégativitéenglobelesDH,quin’ensontqu’unvecteur,undesrouagesdumontagepermettantl’occultationd’unpouvoirabsolu.Expliquerlemondeetl’hommeenfaisantduvisibleletoutduréel,faireduvisibled’unechoseletoutdecettechose,c’estconsidérerquelaperceptionhumainedeschoses,etdel’humainlui-même,nepassepasparlamédiationd’unereprésentation.Ilenrésultequel’on ne se questionne plus sur le savoir lui-même, cette question étant considéréecommedéfinitivementrésolue:ensortantdelareligionetdumythe,grâceàlascience,l’hommeseseraitaffranchidelamédiationsymbolique,etdoncdecelledulangagelui-même. La réalité brute des choses parlerait d’elle-même. Elle doit néanmoins êtreauthentifiéeparuneinstancesupérieure-quin’estpluslePolitiquemaisleScientifique-paruneprocédurerituelleappelée”vérificationscientifique”.Nouspassonsainsid’unelecturede la vérité dans leTexte à une lecturede la vérité dans la réalité des chosesmatérielles.Cepassageanéantitlaparolequiestlepropredel’humain.Aprèsavoirdisqualifié laparole, lapenséeet lacroyancecommesourcedevérité,quesignifie la libertédepensée,d’expressionoudecroyance?Chacunest libredepenser,croireetdirecequ’ilveut,sansaucuneconséquence,puisquedetoutemanièreriendetoutcelanepeutêtretenupourvérité.Touteparolequellequ’ellesoitn’aaucuncrédit,sauf celle qui transporte le constat scientifique de la réalité, qui n’est en fait pasconsidéréecommeuneparolehumaine,maiscommel’expressiondirectedesLoisdelanature.Lesystèmedémocratiqueestlui-mêmeenglobédansceprocessusdenon-penséequineporte plus à discussion: la vérité ne serait plus une question de discours liée à unereprésentationdumonde, lepouvoirappartiendraitauxLoisdelaréalitéqu’ilsuffiraitde constater par la procédure de vérification scientifique, dont nous savons qu’ellecache,derrièresaquantificationmathématique,unpouvoirdogmatiquesanslimite.Dèslorsiln’yaplusaucundanger,plusaucuneconséquence,delibérerl’hommetotalement.Bien au contraire, la liberté individuelle devient l’instrument qui permet ledémantèlementdesderniersvestigesinstitutionnelsdelaRaison.Cettelibérationestapriori circonscrite et prisonnière d’une dictature du fait scientifique, qui n’est pluscontestablepuisqu’ilnerelèveplusdelaparole.CommeledisaitColuche:«Ladictaturec’est“fermetagueule“,ladémocratie,c’est“causetoujours“.»

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La démocratie positiviste, en renversant la logique structurale, a mis en place ladictatureàsonplushautniveaudeperfection:enmanipulantlenoyauatomiquedelaRaison, à l’image d’un virus qui modifie l’information génétique d’une cellule, elle ainstitué une dé-Raison auto-immune, comme l’évoquent ces propos de Dany-RobertDufour: «Que voulez-vous contre un régime que vous ne pouvez attaquer qu’enbrandissantsespropresprincipes?Rien–à moinsdedevenir intégristeetdevouloirdynamitertouslessymbolesdel’autonomiejuridiquedusujet?»165

Revenantànotrehypothèsededépart, selon laquelle lesDH,encréant l’illusiond’unelibérationdel’homme,neseraientenfaitquel’instrumentdesonasservissement,nousnedynamitonspaslesymboledel’autonomiejuridiquedusujet.Nousavonsbienplutôtdémontré, au coursdenotre exposé, lamanipulationdont ce symbole a fait l’objet enétantrécupéréparlefantasmepositivistedeplénitude.C’estainsique laLiberté,dans laconceptionpositivistedesDH,n’apparaîtpascommeuneRéférence légitimantenégative,dont laplace”transcendante”marquerait la limitede l’Interdit– l’Interditd’occuper le lieude laLibertéabsolue, lieudupouvoirabsolu.Commenousl’avonsvuavecladignitéhumaine,unetelleplacemarquantl’inaccessiblepermettrait de civiliser l’idéal fantasmatique du ”tout possible” en une organisationcohérente par laquelle la liberté serait recomposée dans les limites inhérentes auprincipedenon-contradiction,quiestleprincipederéalité.Quand, au contraire, l’idéal de Liberté prend la première place du droit positif, sansautre référence que son propre principe d’application, c’est le fantasme de l’unité, du”toutpossible”,quel’ontentedeforcerpositivementdanslaréalité.Leprincipedenon-contradiction, conciliateur des opposés par le Tiers référant, est nié - parce queconsidérécommeennemide laLibertédu”toutpossible”-,etc’estalors l’incohérencede l’Ordre du désordre qui règne, en dépeçant l’unité composée, en réduisant lacivilisationàl’”étatdenature”,c’est-à-direàl’étatde”guerredetouscontretous”.166

165Folieetdémocratie…,35166 Selon la théorie de Hobbes, l’”état de nature” correspond au fait que chacun ait la liberté totaled’utilisersapuissanceparn’importequelmoyenafindesepréserverlui-mêmeetsaproprevie.Ilappellecetétatdechaos”guerredetouscontretous”(bellumomniumcontraomnes),cequinepeutêtreévitéquepar le Léviathan. Ce terme, qui désigne unmonstremarin dans la Bible, a été repris par Hobbes pourqualifier le gouvernement central auquel les individus doivent céder leur droit de se gouverner eux-mêmes,ainsiqueleurliberté,afinderamenertouteslesvolontésàuneseulevolontéunique.L’erreurdecemodèledupactesocial,quiseretrouvedanslalogiquedesDHetdeladémocratiemoderne,estdefairede la somme des volontés individuelles un Tiers référant. En effet, nous retrouvons dans cettequantification empirique la dictature du fait, qui par un processus de socialisation à rebours, finit parsoumettrelaLoiauxcomportementsautoréférésdesindividus.LesDHvontactuellementplusloindansceprocessus,enremplaçant,commenous l’avonsvu, lavolontépopulairepar lesvolontés individuellesqui,envertudesDH,peuventdésormaiss’inscriredirectementdanslaloiparlavoiejudiciaire.

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Dès lors, lesDHdeviennent effectivement les seules armesd’une guerre dont ils sonteux-mêmesl’instituteur.CommeleditAlainSupiot,«ondistribuelesdroitscommeondistribueraitdesarmes,etensuitequelemeilleurgagne!»167

La conception positiviste de la Liberté n’a ainsi libéré que le fantasme de toute-puissance, faisant du sujet individuel un être désymbolisé et sans parole. Lesconséquencesn’ensontpasqu’unesimplealiénationdontonpourraitselibérer,maiscequi se joue ici est plus profondément la perte de l’humanité. Comme le disait déjàAristote,«seulparmilesanimaux,l’hommeestdouédeparole.(…)C’estcequifaitqu’iln’y a qu’une chose qui soit propre aux hommes et les sépare des autres animaux: laperceptiondubienetdumal,du justeetde l’injusteetautresnotionsdecegenre;etavoirdetellesnotionsencommun,voilàcequifaitunefamilleetunecité.»168S’ilfallaitledire,c’estquedéjàlafragilehumanisationdel’animalparlantn’étaitpasgarantiedeseslendemains,car,commel’avaitaussicomprisAristote«c’estl’hommequiengendrel’homme»169, ce qu’il faut comprendre, au regard de ses termes précédents, commel’institutiongénéalogiquedu liendeparoleen tantqu’institutionde laviehumaine,etnon pas comme une transmission purement biologique, selon l’idiotie du positivismescientiste.Qu’ils’agissed’unsuicideoud’uncrime,avecousansauteur,qu’ilaboutisseoupas,lesDHparticipentdeceprocessusdedéshumanisation.

167Homojuridicus…,27168Aristote,Politique,I,22,1253a.CitésurWikipédia169Aristote,Métaphysique,Théta8,1070-1073.CitésurWikipédia

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La démocratie à bout de souffle? Une introduction critique à laphilosophiepolitiquedeMarcelGauchet

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Requêteno29961/96ABREVIATIONS DH Droitsdel’homme CEDH Coureuropéennedesdroitsdel’homme DUDH Déclarationuniverselledesdroitsdel’homme