les dépenses publiques françaises depuis un siècle budgétaires français entre 1872 et 1968, et...

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Christine André Robert Delorme Guy Terny Les dépenses publiques françaises depuis un siècle In: Economie et statistique, N°43, Mars 1973. pp. 3-14. Citer ce document / Cite this document : André Christine, Delorme Robert, Terny Guy. Les dépenses publiques françaises depuis un siècle. In: Economie et statistique, N°43, Mars 1973. pp. 3-14. doi : 10.3406/estat.1973.1312 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1973_num_43_1_1312

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Page 1: Les dépenses publiques françaises depuis un siècle budgétaires français entre 1872 et 1968, et la constitution de séries longues de ces dépenses, ventilées en dix fonctions

Christine AndréRobert DelormeGuy Terny

Les dépenses publiques françaises depuis un siècleIn: Economie et statistique, N°43, Mars 1973. pp. 3-14.

Citer ce document / Cite this document :

André Christine, Delorme Robert, Terny Guy. Les dépenses publiques françaises depuis un siècle. In: Economie et statistique,N°43, Mars 1973. pp. 3-14.

doi : 10.3406/estat.1973.1312

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1973_num_43_1_1312

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RésuméLes dépenses publiques françaises depuis un siècle par Christine ANDRÉ, Robert DELORME et GuyTERNYLes études d'économie publique sont surtout axées sur des réflexions normatives sur l'activité de l'État :définition du champ de ces activités, optimisation des choix budgétaires. Il existe peu de descriptionchiffrée des dépenses publiques. Une équipe du C.E.P.R.E.M.A.P. a entrepris le dépouillement desdocuments budgétaires français entre 1872 et 1968, et la constitution de séries longues de cesdépenses, ventilées en dix fonctions.Pendant cette période, la part des dépenses publiques dans le revenu national a beaucoup augmenté,mais cette évolution n'a pas été continue. Les deux guerres mondiales ont vu chacune un brusqueaccroissement de cette part, découpant ainsi trois périodes bien distinctes, à l'intérieur desquelles cettecroissance n'est pas le phénomène marquant.Par ailleurs, les dépenses étatiques se sont beaucoup diversifiées : constituées essentiellement il y aun siècle par les frais de défense, le fonctionnement des pouvoirs publics et le service de la dette, ellessont maintenant très réparties entre ces anciennes formes de dépenses et de nou- velles : éducation»action sociale, action économique.

AbstractA century of French public spending by Christine ANDRÉ, Robert DELORME and Guy TERNYPolitical economy has mainly attempted to establish norms concerning the State's activities : definitionof their field, optimalization of budgetary choices. Few figures describing public spending have beenpublished. A C.E.P.R.E.M.A.P. team has undertaken the processing of all French budgetary documentsbetween 1872 and 1968. They have then made up long series, distributing this type of spendingaccording to ten State functions.Within this period, the share of public spending in the national income has greatly increased. Howeverthis evolution has not been continuous. An abrupt increase has been registered during both WorldWars. With these as a limit, three distinct periods appear, for which the increase Is not extremelymeaningful.The object of State spending has been greatly diversified : orignally made up of the army, theadministration and the debt, it now includes, education, welfare, and economic policy.

ResumenLos gastos públicos en Francia de un siglo acá por Christine ANDRÉ, Robert DELORME y Guy TERNYLos estudios de economía pública estriban, mayormente, en reflexiones normativas sobre la actividadestatal : deflniciôn del campo de actividades, optimazación de los escogimientos presupestarios.Existen pocas descripeiones cifradas de los gastos públicos. Un equipo del « Centre d'études et deprogrammation pour la recherche et les études mathématiques appliquées, à la planification » (Centrode estudios y de programación para la indagación y los estudios matemáticos aplicados a laplanificación) ha emprendido la depuración de los documentos presupuestarios franceses entre losanos 1872 y 1968 asf como la realización de series largas de los antecitados gastos, distribuídos endiez funciones.Durante el antecitado período, el renglón de gastos públicos en la renta nacional se ha incrementadomucho, mas esta evolución no ha sido continua. Cada una de ambas guerras mundiales determinó unbrusco incremento de los gastos públicos, delimitando así très períodos muy distintos al interior de loscuales este incremento no constituye el fenómeno que más llama la atención.Por demás, los gastos estatales se han diversificado mucho : constituídos un siglo atrás mayormentepor los gastos de defensa, el funcionamiento de los poderes públicos y el servicio de la Deuda, estánhoy dia esparcidos entre esas antiguas formas de gastos y las nuevas formas, o sea : ensenanza,acción social, acción aconómica.

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Les dépenses publiques françaises

depuis un siècle

par Christine ANDRÉ, Robert DELORME et Guy TERNY

Les « statistiques », comme l'étymologie de ce mot le montre, sont nées avec les « états » : compter la population (origine des recensements démographiques) et gérer un budget de recettes et de dépenses sont les deux plus anciennes activités « statistiques ». Mais, bien que l'établissement d'une « comptabilité publique » date de plusieurs siècles en France, cette source statistique n'a jamais été exploitée systématiquement. En vue de construire de longues séries, décrivant l'évolution à travers les générations des dépenses de l'État, un tel travail a été entrepris par une équipe de chercheurs du Centre d'études prospectives d'économie mathématique appliquée à la planification (C.E.P.R.E.M.A.P.) et de l'Université de Paris-X*. Portant sur un siècle de dépenses publiques (1872-1968), cette recherche a exigé la manipulation et le dépouillement d'une quantité importante d'archives. Quelques-uns de ses résultats sont présentés ici, et livrés à la réflexion des historiens, économistes, sociologues : l'interprétation de tels chiffres est souvent difficile et exige le concours de multiples disciplines. Si la part des dépenses publiques dans le revenu national, a beaucoup augmenté, cette évolution n'a pas été continue. Les deux guerres mondiales ont vu chacune un brusque accroissement de cette part, découpant ainsi trois périodes bien distinctes à l'intérieur desquelles cette croissance n'est pas le phénomène marquant. Par ailleurs, les dépenses étatiques se sont beaucoup diversifiées : constituées essentiellement il y a un siècle par les frais de défense, le fonctionnement des pouvoirs publics et le service de la dette, elles sont maintenant réparties entre ces anciennes formes de dépenses et de nouvelles : éducation, action sociale, action économique.

L'étude économique des dépenses publiques est relativement récente. Jusqu'au milieu des années cinquante, les spécialistes des « finances publiques » s'étaient plus intéressés aux problèmes liés à l'impôt qu'à ceux ayant trait au choix des dépenses. Alors que l'étude des effets de différents types d'impôts ou de taxes sur l'affectation des ressources dans le secteur privé, sur les prix, sur les revenus, etc., était poussée jusqu'à un grand degré de raffinement, dans le même temps la théorie micro-économique des dépenses publiques était quasi-totalement négligée et limitée à l'œuvre de très rares pionniers K

Depuis une quinzaine d'années, une réflexion nouvelle s'est développée sur le rôle économique de l'État dans les économies de marché et les effets des dépenses publiques. Elle avait surtout pour but d'éclairer et d'orienter les décisions de la puissance publique. Dans ce sens on a pu dire que c'était une théorie « normative » puisqu'elle se proposait surtout de guider l'action. Ainsi des théoriciens se sont employés à chercher quels sont, dans une économie de propriété privée, les cas où le système de « marché » pur et simple ne donnait pas satisfaction à la collectivité pour diverses raisons, et où l'État devait donc se substituer à lui. Par ailleurs de nombreux instruments de calcul économique ont été fabriqués pour éclairer les choix de programmes de dépenses publiques (ou « projets alternatifs ») : ces

ques, connues aux États-Unis sous le nom de « Planning, programming, budgeting system » (P.P.B.S.), se sont développées en France sous celui de « Rationalisation des choix budgétaires » (R.C.B.).

Tous ces tableaux de type « normatif» ont en commun de chercher à déterminer, en partant de jugements de valeurs explicites ce que doit, ou devrait être une bonne organisation de l'activité économique. Ainsi, pour prendre un exemple dans le domaine de la dépense publique on cherchera quelle devrait être la meilleure affectation des ressources à tous les niveaux de décision (national, régional ou ponctuel), et quelle organisation des décisions collectives permettrait de promouvoir cette affectation optimale des ressources.

A l'inverse, on pourrait appeler théories « positives » des dépenses publiques, des descriptions des mécanismes de celles-ci, cherchant à lier le plus rigoureusement possible les

' * Le présent article est extrait d'une étude plus générale, financée par le Comité d'organisation de la recherche sur le développement économique et social (C.O.R.D.E.S.) intitulée : « Premiers éléments d'une théorie positive de l'évolution de longue période des dépenses publiques françaises », résultats provisoires, C.E.P.R.E.M.A.P., 1972, 17? pages. 1. Au premier rang de ces pionniers se trouve S. Fabricant : The Trend of Government Activity in the United States since 1900 : National Bureau of Economic Research, New-York, 1952. - .

1.

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causes et les conséquences, indépendamment de tout jugement de valeur2. Généralement fondées sur l'analyse de données empiriques, elles devraient permettre de formuler des propositions, dont on pourrait contrôler la validité.

Une telle approche s'attache à l'observation de l'évolution, dans un pays et au cours d'une période donnée, des dépenses publiques globales, de leur répartition par fonction et par catégorie économique et à la recherche systématique de relations causales entre ces dépenses et les variables économiques, sociales, politiques significatives de l'époque considérée. . . . ; ... ;

Les recherches de l'équipe' du C.E.P.R.E.M.A.P., dont les résultats les plus généraux sont présentés ici, se situent dans cette optique « positive » ou « explicative », à laquelle if vient d'être fait sommairement allusion. -

II n'existait pas, jusqu'à présent, de séries longues des dépenses publiques françaises ventilées par fonction et par catégorie économique (fonctionnement, capital, transferts), décrivant l'intervention ' effective ' de la .puissance publique dans la fourniture de services collectifs3. Le plus gros de l'effort fourni par cette équipe a donc porté sur la. constitution d'observations; relatives principalement aux dépenses publiques étatiques françaises, sur la période 1872- 1968." \'- .",;"."''-

' • , v Dans un premier temps, nous préciserons le champ d'analyse couvert par notre recherche. Dans un second temps, nous résumerons les principaux traits de l'évolution de la dépense étatique totale et de l'évolution par fonction. •

le contrôle ou l'interdiction de la consommation des boissons alcooliques, des stupéfiants, des jeux, etc., en sont des exemples. En revanche, les biens et services marchands fournis par des institutions publiques sont exclus de ce champ. (Exemples : P et T, O.R.T.F., S.N.C.F., E.D.F., etc..) - La fourniture de ces biens et services, collectifs ou « sous tutelle» est financée par la puissance publique centrale, soit directement, soit par le canal des organismes de sécurité sociale, dont le mode de financement a un caractère obligatoire, sans liaison directe entre le prix payé et le service reçu. - • ..- ■ ; •.;•,.,•-

Nous avons dû adopter une nomenclature correspondant aux documents dépouillés5 et regroupant dix fonctions principales *. ' ' - ' '

1. Pouvoirs publics. Administration générale, sécurité intérieure. . , .

2. Défense. ..:-'. .*'_••

1 : 21. Défense nationale proprement dite incluant les : dommages de guerre lorsque l'objet auquel ils ,•„•*.' . sont affectés n'est pas précisé ou ne correspond pas à une des autres fonctions. , j , >•'.',.

■ i 22. Dépenses militaires coloniales. '; • \ .

3. Relations extérieures civiles. Relations diplomatiques, culturelles, économiques. ' '" ' .

Dix fonctions

collectives suivies

pendant un siècle

La première question qui se pose pour étudier sur longue période l'évolution des dépenses publiques est de savoir ce que l'on va suivre et comment on va le découper. Quel est le champ couvert? Quelle nomenclature de dépenses va- t-on utiliser? '

9 Les services collectifs et les biens sous tutelle

': - L'étude ne concerne que les dépenses publiques étatiques, en vue de la gestion des intérêts collectifs de tout ou partie du groupe national. On a retenu sous ce titre très général « la fourniture de services collectifs et de biens sous tutelle ». Les biens ou services « sous tutelle » sont ceux pour lesquels la puissance publique agit en tant que « tutrice » des consommateurs, en procédant à des choix, qu'elle considère bons pour eux, par l'obligation, la limitation ou l'interdiction de leur consommation 4. L'éducation obligatoire, l'assurance obligatoire contre des risques divers,

2. « Expurger » une théorie positive de tout jugement de valeur est une tâche difficile, voire impossible. Ainsi, ramener à une commune mesure, exprimée en valeur, des achats de quantités de biens et services hétérogènes, par le recours à des prix observés sur des marchés, revient à accepter la répartition des revenus et richesses, et la répartition de pouvoir entre individus, groupes sociaux, politiques, économiques, lesquelles, on le sait, jouent un rôle marqué dans la fixation de ces prix « observés ». . . 3. La seule étude de longue période sur les dépenses françaises, celle de J. Ed- mond-Grangé, le budget fonctionnel en France, L.G.DJ. 1963, ne donne des indications que sur les dépenses prévues de l'État, par fonction, de dix ans en dix ans sur la plus grande partie de la période couverte.

' 4. Les « besoins sous tutelle » correspondent aux « merit wants » de Musgrave (the theory of public finance, 1959, pages 13 et suivantes). On trouvera une étude plus complète de ces notions dans : G. Terny. Economie des services collectifs et de la dépense publique, Dunod, 1971. - ••-■-..' ■ 5. Partant de l'idée que les dépenses publiques contribuent & la satisfaction de besoins collectifs, nous avons d'abord cherché à établir une typologie de ces besoins en leur associant des types de services collectifs susceptibles de les satisfaire. Les grands clivages étaient les suivants : ■ — organisation, protection et expansion de la collectivité nationale; — aménagement de l'espace national; — maintien et amélioration de la qualité de la vie; . ■ ' — lutte contre les inégalités et couverture des risques individuels; — collecte, acheminement, traitement et diffusion de l'information; — action économique de l'État.

Cette première nomenclature recouvrant une cinquantaine de fonctions et sous fonctions, idéale dans son principe, s'est révélée beaucoup trop lourde dans la pratique, et ne correspondait d'ailleurs pas aux besoins d'une étude de longue période des dépenses publiques. 6. Le choix de cette nomenclature a été commandé aussi par le souci de rendre possible la comparaison de nos résultats avec ceux des recherches relatives à d'autres pays. Parmi ces recherches sur l'évolution globale et par fonction des dépenses publiques, il faut citer les travaux de : '

— S. Andic et J. Veverka: The Growth of Government Expenditure in Germany since the Unification, Finaniarchiv, janvier 1964, p. 169-277; > — R. M. Bird : The Growth of Government Spending in Canada, Canadian Tax . Foundation, 1970; — A. T. Peacock et J.Wiseman : The Growth of Public Expenditure in the United Kingdom, London : George Allen and Un win, 1967; » ■ — F. L. Pryor : Publie Expenditures in Communist and Capitalist Nations, London : George Allen and Unwin, 1968.

En outre, les séries relatives aux dépenses étatiques par catégorie économique (personnel, matériel, formation brute de capital fixe, transferts) ne sont pas reprises dans le présent article. • ' ' ■ '

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4. Action éducative et culturelle : \: 7 - — Éducation relevant du ministère de l'Éducation

_ . Nationale et des autres ministères. , - ., - j — Recherche. ; •' — Culture, beaux-arts. '

t~ Sports et jeunesse. 1 — Information (radiodiffusion, etc.). 1

5. Action sociale : 1

51. Anciens combattants.

52. Autres aides sociales : — Santé. — Protection des travailleurs..

| — Sécurité sociale. j — Autres actions d'aide sociale.

6. Transports.

7. Logement, urbanisme, aménagement du territoire : . - . — Logement, construction, urbanisme. — Electrification, adductions d'eau. — Service des eaux et forêts, etc.

8. Agriculture et pêches.

9. Commerce et industrie. .

10. Divers : - .' . ■ — Dette publique principalement. — Cultes et dépenses non fonctionnelles.

Les observations statistiques présentées ici par fonction concernent les seules dépenses publiques étatiques sur la période 1872-1968. Il n'a pas été possible de faire un dépouillement analogue pour les collectivités locales 7. Elles sont fondées sur l'ensemble des documents budgétaires relatifs à l'exécution et non sur des documents correspondant à de simples prévisions (projets de lois de finances dans la terminologie actuelle)8. , Les dépenses étatiques recensées apparaissent dans le budget général, mais aussi dans certains budgets annexes et dans les comptes spéciaux du Trésor. Toutes les précautions ont été prises pour que les doubles emplois dus au démembrement du budget général soient systématiquement éliminés. Ce fut là une des plus grandes difficultés du travail de collecte statistique.

Conformément à notre définition des dépenses publiques, les dépenses de certains services à caractère marchand qui font. ou ont fait partie des documents budgétaires (postes et télécommunications, chemins -de fer) ne sont retenues qu'à concurrence de la charge nette qu'elles représentent pour l'État. '.»... ■ -. »

La recherche porte sur un siècle de dépenses publiques en France, de manière à dégager des tendances « lourdes ». La périodicité retenue n'est pas annuelle, mais décimale jusqu'en 1900, triennale par la suite en excluant toutefois les années marquées par de très fortes perturbations, c'est-

à-dire les périodes. des deux guerres "mondiales et l'année 1870V •'.•:: .--- - - . "\ r> - Aussi, les années retenues sont les suivantes : - —

1872, 1880, 1890, 1900, 1903, 1906, 1909, 1912, 1920, 1923, 1926, 1929, 1932,' 1935, 1938, 1947, 1950, 1953, 1956, 1959, 1962,1965,1968.' -- ■- -- ----- --.

Hypothèses de

recherche et résultats

étrangers

Avant d'aborder la description des séries obtenues pour la France, tant en ce qui concerne l'évolution d'ensemble de longue période que les mouvements internes à des 'sous-

périodes et les changements de la structure par fonction des dépenses de l'État, il convient de rappeler les principaux enseignements livrés par les travaux existants sur les dépenses publiques. Ceci permettra de mieux situer, au sein de cet « acquis », la phase intermédiaire de la recherche à laquelle correspond cet article. • ' ' ' ' •'•

• Les facteurs de la croissance des dépenses publiques

La recherche entreprise voudrait offrir un. support quantitatif précis à la tentative d'élaboration d'un corps d'hypothèses explicatives de l'évolution des dépenses publiques en France. Jusqu'à présent, aucune base ne s'est offerte à la constitution pour la France d'une théorie « positive » telle que celle en voie de formation dans les pays couverts par les études citées plus haut10. _•-..*.:.

Le point de départ de l'analyse réside dans l'observation des données relatives à la structure et au volume de la dépense publique. Il semble raisonnable d'admettre que cette

7. Certaines figures présentées ci-après incluent les dépenses des collectivités locales (départements et communes) et les prestations sociales des organismes de sécurité sociale, non directement à la charge du budget de l'État. Les sources, qui viennent principalement de t'I.N.S.E.E. et du ministère de l'Économie et des Finances concernent des chiffres très agrégés qui rendent impossible l'élimination des doubles comptes avec les chiffres des dépenses directes de l'État. Les séries ou courbes relatives à ces entités ne sont reprises ici que pour mémoire. Le total des dépenses de l'État, plus celles des collectivités locales, plus celles de sécurité sociale qu'on obtiendrait par addition directe serait très exagéré. C'est pourquoi nous nous limitons à des considérations sur les dépenses étatiques correspondant à la notion que nous retenons de fourniture de services collectifs. Le perfectionnement des séries de dépenses des collectivités locales et de sécurité sociale est actuellement poursuivi. • - • . -

8. Grâce à l'aide du ministère des Finances, nous nous sommes appuyés sur les projets de loi portant règlement définitif du budget (dits « Lois de règlement ») les comptes généraux de l'administration des finances et les comptes définitifs par ministère. 9. Pour une année telle que 1929, présentant des difficultés moyennes, il a été nécessaire d'utiliser six volumes d'un millier de pages chacun et de se reporter ainsi au développement en articles, paragraphes et lignes 'de plusieurs milliers de chapitres. La lourdeur du dépouillement s'est révélée encore plus grande pour les années récentes (une douzaine de volume par année). La plus grande source de difficultés techniques est venue de la prise en compte de manière significative des comptes spéciaux du Trésor dont le nombre s'est multiplié dès la fin de l'entre deux guerres . 10. Il est significatif que dans toutes ces études, la France est le seul grand pays industrialisé occidental qui demeure absent, faute semble-t-il, de données disponibles. " . . : . " ' i- '

LES DÉPENSES PUBLIQUES S

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TABLEAU 1. Croissances comparées des dépenses publiques étatiques et du revenu national de la France, en francs constants; taux de croissance annuels moyens, en %

Périodes

Dépense publique étatique Dépense publique étatique -f- dépenses des

Dépense publique étatique par tête..' '.. Dépense publique étatique + dépenses des

collectivités locales par tête

1872-1968

2.0 3.1

3.3

. 1,8 2,9

3.1

1872-1912

1,7 1,1

1.7

1.7 1.0

1.6

1920-1938

2,0 1,6

2,1

1.5 1,1

1.6

1920-1968

2,9 3.8

4,0

2.4. 3,3

3.5

1947-1963

5,5 6.1

6.9

4,4 • 5,0

5.8

1947-1965

5,8 . 6,0

6,7

4,7 4,9

5,6

"_, 1950-1968

4,9 4,9

6,0

3,9 3.9

5.0

structure et ce volume observés résultent, éléments aléatoires mis à part, de l'influence combinée et systématique (ou à tout le moins dotée d'une certaine permanence) de facteurs politiques, sociaux, économiques, ou physiques dont voici une liste non exhaustive :

a. Des facteurs liés à « l'environnement » : — géographique et climatique; — démographique (le mouvement de la population et la

structure de la pyramide des zges; la densité et la répartition de la population avec une référence particulière à l'urbanisation);

— technologie (aussi bien du point de vue de la technologie de la production que de la technologie de la consommation).

b. Des facteurs économiques : — la croissance du revenu national (le niveau et le taux de

croissance du revenu par tête); — la répartition des revenus (entre personnes et entre

régions); — la situation de l'emploi et le rythme de variation des

prix; — les mouvements de productivité.

c. Des facteurs d'ordre social, politique et administratif : — l'attitude à l'égard de la pression fiscale; — l'idéologie dominante; — les caractéristiques des institutions politiques; — le processus de formation de la décision budgétaire; — les caractéristiques du « phénomène administratif».

• Les conclusions de recherches étrangères

Les études chronologiques (Fabricant, Peacock et Wiseman, Andic et Veverka, Bird), ou transversales (Pryor) relatives à des pays occidentaux (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne fédérale, Canada, entre autres) ou à une

comparaison entre pays occidentaux et pays de l'Est (Pryor) conduisent à certains résultats généraux que l'on peut brièvement résumer. -,

a. Les dépenses publiques globales ont augmenté en mesure absolue et en part relative du revenu national.

b. Cette croissance n'a pas été régulière, mais entrecoupée de sauts après les guerres ou la crise économique de l'entre- deux guerres. L'accroissement observé lors du saut semble se maintenir, il ne se trouve pas accompagné d'un fléchissement au niveau antérieur. Une sorte « d'effet de cliquet » jouerait donc pour le niveau global des dépenses publiques. Ce phénomène présenté sous forme systématique pour le Royaume-Uni par Peacock et Wiseman sous le nom « d'effet de déplacement » ne paraît pas être vérifié dans toutes les analyses sur ce sujet.

c. La croissance de la population, l'urbanisation, l'élévation du revenu par tête ont toujours une influence positive sur l'évolution des dépenses publiques. La croissance du revenu par tête semble se manifester à la fois sur la demande de services collectifs et sur les ressources de financement.

d. Les dépenses de transfert, pour la catégorie économique, et d'action sociale, pour la fonction, sont celles qui ont augmenté le plus rapidement.

Les enseignements sont moins nets en ce qui concerne la répartition des dépenses entre le gouvernement central et les collectivités locales (à laquelle on se réfère souvent sous le nom de « taux de centralisation » des dépenses publiques). On notera simplement que la centralisation des dépenses publiques est l'effet, semble-t-il, de l'importance grandissante des dépenses à caractère social et des dépenses militaires dans certains pays.

Les dépenses publiques croissent-elles plus que le revenu national (loi de Wagner) ?

vite

L'observation d'une croissance de longue période des dépenses publiques plus rapide que celle du revenu national constitue l'un des résultats les plus généralement observés

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dans les travaux étrangers. Cette croissance de l'activité publique dans les nations modernes est communément appelée « loi de Wagner », du nom de l'économiste allemand A. Wagner qui formula~et chercha à vérifier empiriquement cette proposition dans les années 1880 ". ; Selon cette loi, l'importance relative des dépenses publiques croît dans les pays s'industrialisant en raison du développement rapide et concommitant de trois types d'activité étatique : l'activité législative, de maintien de l'ordre et de la sécurité intérieure et extérieure; la participation de l'État à l'activité de production matérielle de biens; la fourniture de services économiques ou sociaux tels que la poste et l'enseignement.

En d'autres termes, l'industrialisation s'accompagnerait en premier lieu d'une complexité accrue de l'activité économique nécessitant l'intervention de l'autorité publique sous forme réglementaire pour éliminer ou réduire les tensions de toutes sortes y compris celles qui résultent de l'urbanisation. L'industrialisation exigerait des formes développées ou nouvelles d'organisation de la vie collective, et entraînerait donc un accroissement des « frais généraux » de la collectivité que représentent les dépenses d'administration générale et de protection de l'État.

, En second lieu, d'après Wagner, l'augmentation de l'échelle des investissements accompagnant l'industrialisation (les chemins de fer surtout) est telle que ces investissements ne peuvent être entrepris sans l'intervention de la puissance publique. L'intervention publique trouve aussi ses raisons dans le risque de disparition de la concurrence qu'engendrerait le développement de monopoles seuls susceptibles de financer ces investissements.

Enfin les dépenses de culture et d'action sociale croissent car, suppose Wagner, l'éducation, en particulier, est un « bien supérieur » ou « de luxe » dont l'élasticité-revenu est supérieure à l'unité.

Il s'agit donc vraiment d'une loi de croissance de l'activité étatique : la croissance des dépenses publiques vient de la croissance de l'activité de l'État qui résulte elle-même du développement économique.

Une succession

de trois périodes

très différentes

La « loi de Wagner » est-elle vérifiée pour la France ? L'industrialisation de la France s'est-elle accompagnée d'une croissance des dépenses publiques plus rapide que celle de l'activité économique générale ? . La diversité observée des mouvements des grandeurs sur la période ne permet pas de réponse simple. Nous avons calculé les taux de croissance moyens de différentes gran

deurs, présentés dans le tableau 1.

11. Une présentation détaillée de la loi deWagner ainsi que des nombreux travaux de vérification se trouve dans Finances publiques/Public Finance, et dans l'ouvrage de R. M. Bird, op. cit., p. 69-88. ' ■

les collections

SERIE D H» 16 "DEMOGRAPHIE ET EMPLOI"

Recensement

des agents de l'Etat

et des collectivités

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au 1er mars 1967

par Marie-Françoise Jousset

Depuis 1950 l'I.N.S.E.E. a effectué 7 recensements des agents de l'Etat et des collectivités locales. Celui de 1967 a pris en compte les agents des services de l'Etat et de certains établissements publics à caractère industriel ou commercial, les militaires, les agents départementaux et communaux, y compris ceux des régies. Ce volume donne la répartition de l'ensemble des agents selon la catégorie de personnel, le département de résidence administrative et le service employeur. Les résultats de ce recensement font apparaître un accroissement continu de l'effectif des agents civils de l'Etat au cours de la période 1950-1967, avec une évolution très différente d'un Ministère à l'autre.

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LES DÉPENSES PUBLIQUES 7-.

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TABLEAU 2. Population, prix, revenu national et dépenses publiques pendant un siècle ' •

Années Population

de la France [en millier») »

36140 37450 38 380 38 940 39120 39 270 • 39 430 39 670 39 000 39 880 40 870 41230 41860

"

41940 41 960 ; 40 680 41 830 42750 . 43 840 - 45 240 47 000 48 920 49 814

Indice de prix

Base 100 : 1938»

17 15 14 14 13

~13 14 16 67 58 ' 96 92 '71 60

- 100 937

1902 2 431 2 526 3149 3 463 3 770 4044

Revenu national

(en milliards de francs 1938) »

170 181 212

' .240 247 270

"' 288 328 270 329 401 453 398 375

'i 380 :341

' '448 506 593

'. 655 .787

.931 "1072

Dépenses étatiques

I Civiles a

12.7 ' t 17.5 ' 18,6 ! 16,4 . i 15,2

16,7. ; 18,2

16,2 '

34.5. 1 49,7

39,2 37,7 60,2

; 67.2 . 47,0

' 68,8 • . 117.5

112,4 . 153,7 162,0 210,0 231,3

' 1 280,7 "

Militaires b j

-, 3,9 6,3 7.9 '.. 9.9

• 9,5 ' 10,5 ' 10,5

.11.3 _ 24.3 20,0

' 9,0 14,6

.22,6 ■

.26.9 . 32,3 32,8 ' 27,1 63.5 61,4 58,8

' 59,9 .

' 57,2 "70.0

Civiles -{-militaires c — a + b

' 16.6 23,8

. 26,5 .

24,7 27.2 28.7 27,5 58,8 69.7

"• 48,2 52.3

. 82,8 94,1 79,3

101,6 144,6

. 175,9 21 5.1 '

220,8 269.9

"288,5 350.7

Sécurité sociale d

- -

- -

- - 0,1 0,2 0,3 2,7 '

3,9 3.5

36,3 50,4 65.0

• 84,1 98,2

117,0 174,2

215,9. Départe

ments et communes e

' ' 3,2 5,8 "

6,7 J ■■ 7,9

8,7 - 9,6

10,8 • 9,9

12,7 - 15,0

• 14,2 21,2 31.6 40.3 26,5 17,1 23,7.

.32,6 43,5

. 51,0 . 67,7 92.1 "

109,4 .

Dépenses publiques

. ' totales . f-c+d+e

19.8 " • 29,6

33,2 34.2.

" 33,4 36,8 39,5 37,4 71.5 , 84,8 62,6 '

73.8 117,1 138,3 109.3. • 155,0 218,7 ' 273,5 '

. 342,7 ■ 365,0

- 454,6 • 554.8

'

676,0

1872 1880 1890 1900 1903 1906 1909 1912 1920 1923 1926 1929 1932 1935, 1938. 1947. 1950, 1953, 1956. 1959, 1962. 1965, 1968,

1. Source : Annuaire statistique de la France, rétrospectif 1966 et 1968. ' -».......- 2. Source : Période 1900-1968, moyenne arithmétique des indices des prix de gros et des prix de détail, annuaire statistique rétrospectif 1966 et annuaire statistique 1968 ; Période 1872-1890 : CF. le rapport du C.E.P.R.E.M.A.P., chapitre III. - . - - - , . - 3. Source : Période 1872-1900. MA. Sauvy, Population, mai-juin 196S. p. 517-518. ■ < - * - ' ■ ' • ' - Période 1903-1947, M.A. Sauvy, rapport général sur le revenu national présenté au nom du Conseil économique le 23 mars 1954./.O. du 7 avril 1954. Période 1950-1959, annuaire statistique, rétrospectif 1966. - - ■ - •< , .-.«...• Période 1962-1968, annuaire statistique 1968. - • , .'__.„.".< •.»,«'.-

Les conclusions diffèrent suivant que l'on considère l'ensemble de la période ou chaque sous-période isolément.

La loi paraît bien vérifiée sur la longue .période 1872- 1968 et sur 1920-1968 : le revenu par tête s'est accru à un taux moyen de 1,8 %, les dépenses de l'État au taux de 2,9 % sur la longue période; à des taux respectifs de croissance de 2,4 % et 3,3 % sur la période 1920-1968. L'écart est toujours renforcé si l'on inclut les collectivités locales. Nous avons mentionné que le total absolu de la somme des dépenses de l'État et des collectivités locales est artificiel- [ lement gonflé par suite de la présence des dépenses de

ferts de l'État aux collectivités locales dans les chiffres relatifs à ces dernières. '

• La part des dépenses publiques dans ' le revenu national a augmenté de façon

très* discontinue

• La croissance moyenne des dépenses publiques a été plus rapide que celle du revenu national, mais il semble manifeste que ce mouvement d'ensemble recouvre des évolutions dissemblables dans chacune des trois périodes de paix (graphiques I et II, tableau 2). ■ • i

Page 9: Les dépenses publiques françaises depuis un siècle budgétaires français entre 1872 et 1968, et la constitution de séries longues de ces dépenses, ventilées en dix fonctions

. * ' ' .. , 1

GRAPHIQUE I. Revenu national et dépenses publiques de la France (exprimés en milliards de F 1938). J ^

Milliards de Francs 1938

1.000

500

Revenu national

200

100

50

20

10

• "*••»__

v

J .s / /

y

Dépenses publiques totales x** *""***' /' / /\ ^^ ""*^^ :/ , / \ s .....> 1 / / V ^ ..•' dépenses publiques étatiques totales : /'

Dépenses étatiques civiles : . .. „ iiiliir

^- -^""Dépenses de départements ^^^^p y et communes ^^^^P

/ ■ '

■ . iiii

■ /•• • vXvIvXv/XvX'X'Xv! • |§j§§ / p^p^^ Dépenses de. SSïiSïSi# Sécurité Sociale

/

i y J_ 1.870 1880 1890 1900 1910 1920 ' 1930 1940 1950 1960 1970

L'écart entre la courbe <c Revenu national » et la courbe « Dépenses publiques totales » mesure le rapport de ces deux variables, puisque l'échelle des ordonnées est logarithmique. De même, la pente de la courbe reflète le rythme de la croissance en volume. •

LES DÉPENSES PUBLIQUES 9

Page 10: Les dépenses publiques françaises depuis un siècle budgétaires français entre 1872 et 1968, et la constitution de séries longues de ces dépenses, ventilées en dix fonctions

GRAPHIQUE II. Part des dépenses publiques par rapport au revenu national

% du Revenu National 38

Dépenses publiques étatiques totales

Dépenses militaires

1870 1880 1890 1900 1910 1920 1930 " - 1940 1950 1960

Chacune des deux guerres mondiales a entraîné le brusque accroissement de la place des dépenses publiques dans le revenu national. 1970

Ainsi, d'après le graphique I, la croissance des dépenses exprimées en francs constants 1938 semble s'accélérer après chaque guerre. L'évolution des dépenses en pourcentage du revenu national (graphique II) comparée à celle du revenu par tête (graphique III) suggère fortement la présence de mouvements propres à chacune des trois périodes. •

Entre 1872 et 1912, la stagnation relative des dépenses étatiques accompagne la croissance lente mais régulière du revenu national. Pour comparer rigoureusement ces évolutions, il est nécessaire d'éliminer l'effet de la croissance démographique, d'ailleurs faible pendant cette période (0,1 % de croissance moyenne annuelle de la population).

Le revenu national par tête a crû en moyenne de 1,6 % par an au cours de ces quatre décennies (1872-1912), tandis que les seules dépenses étatiques par tête croissaient en

moyenne de 1 % par an, c'est-à-dire moins rapidement. Si on inclut dans les dépenses publiques celles des collectivités locales, on retrouve tout juste cette croissance de 1 ,6 % par an; c'est-à-dire la part grandissante des dépenses des collectivités locales dans le total des dépenses publiques.

En ce qui concerne les dépenses pour lesquelles nos connaissances sont le mieux établies, celles de l'Etat, il convient d'expliquer leur hausse de 1872 à 1880 puis leur baisse ininterrompue relativement au revenu national, jusqu'en 1912 (graphiques II et III). Le début de la période est en effet marqué par des dépenses massives de travaux publics (le plan Freycinet) dont la mise en œuvre débute en 1878, qui prévoit une dépense de l'ordre de cinq milliards de francs de l'époque répartie sur plusieurs années, en vue d'étendre et d'améliorer le réseau des chemins defer, les voies navigables

10

Page 11: Les dépenses publiques françaises depuis un siècle budgétaires français entre 1872 et 1968, et la constitution de séries longues de ces dépenses, ventilées en dix fonctions

GRAPHIQUE III. Liaison entre la part des dépenses publiques dans le revenu national et le revenu national par tête

Dépenses publiques étatiques Revenu National

40 r-

35

30

25

20

15

10

7956 7953 1962

1968

• ' 7947

7935

J932

7880

1872 * 7929

7972

2.500 5.000 7.500 10.000 12.500 ' 15.000 17.500 20.000 22.500 Revenu National par tête francs 1938

Si le poids des dépenses pubfiques dans le revenu national semble bien une fonction croissante du revenu national par tête, cette croissance s'est faite par bonds au moment des guerres mondiales, chacune des trois sous-périodes ne faisant pas apparaître nettement cette liaison.

et les ports. Il faut aussi remarquer l'importance des charges de la dette publique (mesurées par l'écart entre les courbes correspondant aux dépenses civiles, et aux dépenses civiles moins la charge de la dette (graphique II) et des dépenses militaires, dépenses qui n'ont pas de lien évident avec le niveau de l'activité économique). Une explication de la baisse relative des dépenses étatiques doit donc sans doute, être recherchée dans l'évolution de leur composition, dans la conception du rôle des pouvoirs publics à l'époque et dans la prise en charge possible de dépenses nouvelles telles que les constructions d'écoles par les collectivités locales.

Les dépenses évoluent en gros de manière opposée au revenu national dans l'entre-deux guerres. Ainsi les dépenses sont à leur minimum en 1926 et 1929, an nées où le revenu par tête est à un niveau qu'il ne retrouvera que plusieurs années

après la fin de la seconde guerre mondiale. Puis, à la baisse du revenu par tête jusqu'en 1935 correspond une augmentation des dépenses, suivie d'une baisse de toutes les dépenses exceptées les dépenses militaires, en 1938.

L'histoire économique et l'histoire politique générale de cette période suggèrent uae explication de cette évolution apparemment confuse. De 1920 à 1929 la France connaît

"une expansion rapide accompagnée, d'une forte inflation quf culmine en 1926 : entre 1922 et 1926, les prix de gros ont plus que doublé. Grâce à la dévaluation de 1928, le pays résiste à la dépression jusqu'aux années 1931-1932. Quant aux dépenses de l'État, elles croissent rapidement jusqu'en 1925, sous l'effet des dépenses de reconstruction et de l'espoir de payements de réparations par l'Allemagne. Ainsi est créé en 1920 un « budget des dépenses recouvra-

LES DÉPENSES PUBLIQUES 11

Page 12: Les dépenses publiques françaises depuis un siècle budgétaires français entre 1872 et 1968, et la constitution de séries longues de ces dépenses, ventilées en dix fonctions

GRAPHIQUE IV. Dépenses étatiques par fonction, en pourcentage du revenu national, pour, certaines années

1872 1938 1 - Administration générale, sécurité intérieure 2 - Défense (dont dépenses

militaires coloniales) 3 - Relations extérieures civiles 4 - Action éducative et culturelle .. 5 • Action sociale— -..^ ..*^'

6 -Transports t--v 7 - Logement, urbanisme

aménagt. du Territoire 8-9- Agriculture, Industrie,

Commerce 10 - Dette publique et divers

1 - Administration générale, sécurité intérieure

2 - Défense (dont dépenses militaires coloniales)

3 - Relations extérieures civiles 4 - Action éducative et culturelle 5 - Action sociale 6 - Transports 7 - Logement, urbanisme

aménagt. du Territoire 8-9- Agriculture, Industrie, 10 - Dette publique et divers

]o,2 30.2

2.2

1903

m

]o,i 30.2

0.9

0.9

0.9

«^■1*7

7,9

US7'2 30.3

) 2.5

3,8

1953

2.4

2.7 ,,J 2.8

\ 3,2 h J

: K2

7, s 2.9

12,6

1923 1968 1 - Administration générale, sécurité intérieure 2 - Défense (dont dépenses

militaires coloniales) 3 - Relations extérieures civiles 4 - Action éducative et culturelle 5 - Action sociale 6 - Transports 7 - Logement, urbanisme

aménagt. du Territoire 8-9 - Agriculture, Industrie,

Commerce 10 - Dette publique et divers

% du Revenu National

iïMil: 7.5

El0'4 y1:: :.::;•: 7,2

'ME1'1

■%& ! 0,9

2,5

6.0

7,3 t 1 I I I I I I I 01 2345678

\mïïmïm\2j

::yS:-Sl J 0

.::-,::; -:,-:j 7.9 • . ^:-:-iv,¥¥: 7,6

:v>:::^::::>;::<:v::::':?::v:;:-: 6.5

M

01 23 4 5 67 8 9

Les années récentes ont fait apparaître une grande diversification des fonctions de dépenses étatiques, limitées il y a un siècle à l'administration générale, à la défense et <J la dette publique. " ' . ,.••:'•-■ : - -

12

Page 13: Les dépenses publiques françaises depuis un siècle budgétaires français entre 1872 et 1968, et la constitution de séries longues de ces dépenses, ventilées en dix fonctions

TABLEAU 3. Dépenses étatiques françaises par fonction exprimées en % du revenu national

1872 •. 188O.;...V.v..-. 1890....: \ 1900 1903...;....... 1906.;...;;.:.. 1909 1912

1920..: 1923 1926 1929 1932 1935 1938

1947 1950 1953 1956 1959 1962 1965 1968

Pouvoirs publics

1

2,4 '' 2.3"

' ' 2,0 . 1.2 ,.

. . 0,9 , - ' 1.2

1.2 1.0

'. .2.5 1.5 1.0 1.0 2,0 2.1 2.0

.3.3 2,4 2.4 2.1 2,3 3.9 2.7 2.7

• Défense 2 •

■ ; 2.2 • 3.4

" 3,7 .

' 4.2 3.8 3,9 • 3.7 • 3,5

9,0 " 6,0 2,2 3,2 5.7 7.2 8.5

. • 9'6. 6,1 '

12,6 10,4 9,0 7.6 6,2 6.5

Relations extérieures

civiles 3

0,2 •' 0,3

. 0.4 0.4 0,2 .

" 0,2 - 0,2' 0.1

0.7 0,4 0,2 0.2 0,2

1 0,3 0.2

1.0 ' 0.9

2.1 1.9 2.1 1.9 1.1 1.0

Action éducative et

culturelle 4

•0.2 0.5 0,8 ' 0,8 0.9

- 0,9 0.9' 0.8

0.8 1.2 0,7 0,9 2.1 3,1 2,0

2'6 • 2.4 2,8 3.4 4,2 4,9 6.0 6.9

Action sociale

5

0.2 0.1 0,1 0,1 0,\ 0.2 0,3 0.4

0,8 2,5 1.4 1.7 4.1 4.7 2,5

2.7 2.4 3.2 4.5 4.4 5,3 4.7 4,9

Transports 6

0.6 1.8 0.7 0,8 0,9 0,8

• 0.9 0,8

2,5 1,1 0.5 1,0 1,8 1.9 1,2

3.4 ' 3,6 •

1 .2,7 ' 2.8 : 1.9 2.3 2,8 . 1.9

Logement urbanisme, territoire

7

0,2 . 0,1 0,1 0,1 0.1 0,1

,0.1

0,5 0,1 0,2 0,1 0,6

• 0,3 * 0,3

2.3 4,6

'4,2" ■ 4,5

3,3 2,9 • 1.9 1,6

Agriculture 8

• «

0.1 0.2 0,2 0.1

. 0.1 0,1.

• 0,1 0.3

0,1 0.3 0,6

■ ' 0,2

0.5 0,4 • 0,5 0.9 1.5 1.5 1.3 2,0

Commerce et

industrie 9

. -t 0,1 - 0,2

0.1 0.1

0,7

0,1 ' 0.1 0,3 0.3

3.0 4.8 ' 2,4 . 3.6 2,5 2.0 2.6 3.1 '

Dette publique *

10

3,6 3.6

'4,4 '2.9 * 2.7 2.6 2,3;

• 1.6

• ,4'9 7,3 5.5 t 3.0 4,0 4,5

" "3,8

- 1.4 1.2 ! 1.8 2.3 2,5 • 1.5 1.1 - 1.4

1. Dette publique uniquement, le reste de la fonction « Divers » est écarté. ' .'

blés en exécution des traités de paix » qui sera abandonné en 1926; ainsi sont ouverts des comptes spéciaux du Trésor tel le compte « d'entretien des troupes d'occupation en pays étrangers ». Les mesures de 1926, restées dans la postérité sous le nom de « stabilisation Poincaré », marquent une coupure brutale dans cette évolution.

Elles expliquent la baisse des dépenses étatiques en 1928 et 1929. Tous les budgets de 1926 à 1929 inclus sont excédentaires. Dès le début des années 1930, la progression des dépenses reprend sous l'impulsion du programme d'outillage national. Pour la suite de cette période, qui est particulièrement troublée, la multiplication des comptes spéciaux du Trésor rend délicate l'interprétation de l'évolution des dépenses étatiques, à ce stade de notre recherche12.

Au cours de l'après-guerre, le revenu national et les dépenses publiques augmentent à des rythmes jamais connus

auparavant. Cette croissance traduit manifestement l'effort de reconstruction jusqu'aux années cinquante et l'effet de la poursuite d'une politique délibérée de croissance dont témoigne la mise en place d'une planification indicative. C'est le rythme rapide de croissance de l'après-guerre qui permet à la loi de Wagner d'être vérifiée sur la longue période 1872-1968. Dans la mesure où cette loi est censée jouer dans les phases d'industrialisation, une conclusion serait que l'économie française ne s'industrialise que depuis la seconde guerre mondiale. On notera en outre que la complexité croissante de l'activité d'intervention étatique censée être associée à ce phénomène d'industrialisation n'est pas démentie pour la France comme en témoigne le graphique IV. Toutes les fonctions deviennent ainsi significa-

12. On pourrait en effet penser que les mesures de 1936 sous le gouvernement de Front populaire auraient dû entraîner une croissance des dépenses publiques. Or iî n'en est rien. Les chiffres globaux pour 1938 sont inférieurs à ceux de 1935. Seules les dépenses militaires ont augmenté. . • . i • LES DEPENSES PUBLIQUES 13

Page 14: Les dépenses publiques françaises depuis un siècle budgétaires français entre 1872 et 1968, et la constitution de séries longues de ces dépenses, ventilées en dix fonctions

tives après la seconde guerre mondiale alors que quatre ou cinq fonctions seulement représentent la majeure partie des dépenses étatiques dans la première moitié de la période.

Diversification

des activités

de l'État

L'activité dépensière de l'État jusqu'à la première guerre mondiale se résume essentiellement à trois fonctions : la défense, le service de la dette et le fonctionnement des pou

voirs publics et de l'administration générale. Viennent loin après les dépenses de transports et d'action éducative et culturelle (graphique IV, tableau 3). ' L'apparition de manière significative des dépenses directes d'action sociale par l'État (composées en majeure partie des allocations aux anciens combattants), à partir de 1929-1930, et la naissance de la sécurité sociale (graphique I) caractérisent l'entre-deux guerres. Mais la défense et les charges de la dette publique continuent à absorber plus de 40 % des dépenses de l'État.

Depuis 1947, une seule fonction se distingue des autres par ses fluctuations : la défense. Elle atteint un maximum absolu en 1953, en pleine guerre d'Indochine et guerre froide. Par la suite, elle diminue régulièrement jusqu'à un plancher atteint en 1965. Mais la répartition des ressources publiques entre les fonctions ne présente plus de grande disparité. Aucune des fonctions ne reste négligeable. Deux fonctions apparaissent pour la première fois avec des montants importants : l'action économique en faveur de l'agriculture et de l'industrie, et les dépenses d'habitation, urbanisme et aménagement du territoire13.

L'action éducative et culturelle, et l'action sociale manifestent les croissances les plus élevées, de manière régulière. La dette publique devient secondaire. La baisse signalée de la défense est accompagnée de celles des transports et de l'habitation, l'urbanisme et l'aménagement du territoire à partir de la seconde moitié des années cinquante. Ce mouvement n'est pas surprenant. Les interventions civiles de l'État se sont concentrées sur la reconstruction jusqu'en 1953. Le relais semble pris par la suite par les dépenses d'enseignement au sens large et l'action sociale.

Nous ferons enfin deux observations : — les fluctuations des dépenses sont particulièrement mar

quées dans l'entre-deux guerres : les mesures de stabilisation de 1926-1930 ont affecté fortement toutes les fonctions alors significatives, sauf l'action éducative et culturelle;

— la fonction d'éducation au sens large est précisément la seule dont la croissance sur l'ensemble de la période soit en gros régulière, aussi bien en chiffres «absolus qu'en

montants relatifs à l'ensemble des dépenses de l'État et _au revenu national. Son poids dans les dépenses publiques

étatiques passe d'un peu plus de 2 % en 1872 à plus de 9 % en 1912 et plus de 21 % en 1968.

Il est évident qu'une analyse plus complète doit inclure les catégories économiques d'emploi des ressources et la modification de leur structure, au moins pour les dépenses de l'État. Elle devrait aussi inclure les dépenses publiques autres que celles de l'État, dans la mesure où une trace en a été gardée dans les organismes chargés des comptes publics et rendra possible la confection d'observations rigoureuses. Enfin un grand nombre de variables autres que le niveau du revenu, dont un aperçu a été donné plus haut, sont susceptibles d'expliquer l'évolution du volume et de la structure dés dépenses publiques 14.

Guy TERNY est maître de conférence à l'Université de Paris X; Robert DELORME est chargé de cours à l'Université de Paris X et Christine ANDRÉ est chercheur au C.E.P.R.E.M.A.P.

13. Il faut toutefois mentionner une limite à la distinction entre les fonctions 7 8 et 9; limite inhérente à la définition des fonctions. Ainsi, des subventions à des entreprises dont l'objet ne se trouve pas précisé peuvent fort bien correspondre à des aides à la décentralisation : elles se trouvent évidemment affectées ici à la focntion 9, mais relèvent aussi bien de la fonction 7. Un traitement complet de ce problème est donné dans le rapport précité, chapitre II. —, 14. Une présentation générale de ces éléments est fournie dans le chapitre du rapport du C.E.P.R.E.M.A.P. ,

14