les déficiences de l'adjectif dénominal en français

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This article was downloaded by: [The University of Manchester Library] On: 29 October 2014, At: 04:24 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Studia Neophilologica Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/snec20 Les déficiences de l'adjectif dénominal en français Marek Gawełko a a Université de Cracovie , Published online: 21 Jul 2008. To cite this article: Marek Gawełko (1977) Les déficiences de l'adjectif dénominal en français, Studia Neophilologica, 49:2, 271-285, DOI: 10.1080/00393277708587693 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/00393277708587693 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content. This article may be used for research, teaching, and private study purposes. Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan, sub-licensing, systematic supply, or distribution in any form to anyone is

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This article was downloaded by: [The University of Manchester Library]On: 29 October 2014, At: 04:24Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH,UK

Studia NeophilologicaPublication details, including instructions for authorsand subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/snec20

Les déficiences de l'adjectifdénominal en françaisMarek Gawełko a

a Université de Cracovie ,Published online: 21 Jul 2008.

To cite this article: Marek Gawełko (1977) Les déficiences de l'adjectif dénominal enfrançais, Studia Neophilologica, 49:2, 271-285, DOI: 10.1080/00393277708587693

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Les déficiences de l'adjectifdénominal en françaisMAREK GAWEŁKOUniversité de Cracovie

L'un des problèmes controversés de la linguistique française est celui de la vitalitéde la dérivation. A part Ch. Bally, dont l'opinion à ce sujet est peu claire, onindique surtout trois chercheurs qui prétendent que la dérivation française est riche.

Avant tout, il faut mentionner E. Pichon1 qui constate que la suffixation est enfrançais un processus linguistique en pleine vitalité. L'auteur allègue surtout troisfacteurs qui plaident en faveur de sa thèse : 1° les mots formés ad hoc au moyend'un suffixe sont analysables pour la conscience collective (choseur, trempouille);2° l'abondance du matériel suffixal, p. ex. un nom propre peut produire plusieursformes d'adjectifs (ex. Allory - allorien, allorique, alloriste), 3° la 'différenciabilité'du matériel suffixal.

Ch. Camproux2 est d'avis qu'il existe deux tendances en français moderne : l'uneintellectuelle, qui pousse de plus en plus le français vers l'état analytique, l'autre,populaire, se caractérisant par l'emploi fréquent de dérivés.

Enfin J. Dubois, qui a comparé deux éditions Au Petit Larousse, celles de 1906et de 1961 (lettre A), arrive à la conclusion suivante : Les considérations diversessur le dépérissement de ce mode de formation /de la suffixation/ dans le françaiscontemporain, en partant d'un examen superficiel, apparaissent singulièrementfragiles. L'équilibre entre les formations nouvelles et les mots suffixes anciensdisparus du dictionnaire atteste la vitalité de la suffixation .. .3

Bref, à en croire les auteurs cités, la dérivation française serait riche grâce àla richesse du matériel suffixal, grâce à l'équilibre entre les formations nouvelleset les mots suffixes anciens disparus d'un dictionnaire usuel. Selon Camproux,cette richesse ne concerne que la langue populaire.

Avant d'aborder notre analyse, signalons encore un problème terminologique.Il résulte déjà des remarques qui précèdent que par vitalité on entend d'ordinairela richesse de la dérivation. Cela est d'ailleurs naturel, car les travaux mentionnés,ainsi que tant d'autres, prouvent que la vitalité de la dérivation au sens de 'existencepure et simple' ne saurait être révoquée en doute.

Nous parlerons donc de la 'richesse' des procédés dérivatifs en français, etcomme cette notion a une valeur relative, il est légitime de se poser deux ques-

1 E. Pichon, Les principes de la suffixation en français, Paris, 1942, p. 19.2 Ch. Camproux, Déficience et vitalité de la dérivation, FM 19, 1951, pp. 181-186.3 J. Dubois, Étude sur la dérivation suffixale en français moderne et contemporain, Paris,1961, p. 27.

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tions. On peut se demander notamment 1° si au cours des siècles, la dérivationfrançaise a subi un appauvrissement considérable et 2° si en comparaison avecquantité d'autres langues européennes, elle se révèle particulièrement déficiente.

On peut tâcher de répondre à ces deux questions ou bien en tenant compte dela totalité des procédés dérivatifs ou bien en se basant sur un mode de formationparticulier. Le premier type d'études aurait une valeur théorique plus importante,mais sa réalisation dépasserait le cadre d'un bref article. Nous sommes ainsiramené à choisir un domaine particulier de la dérivation. Nous nous proposonsd'étudier les suffixes formateurs d'adjectifs dénominaux.

Nous avons vu plus haut quelques arguments pour la richesse de la dérivationfrançaise. Afin de démontrer leur fragilité dans le cadre de l'adjectif dénominal,nous procéderons à deux sortes d'enquêtes. En premier lieu, nous compareronsles possibilités potentielles dont disposent le français moderne, l'ancien français,l'allemand, l'anglais et le polonais pour former les adjectifs dénominaux. Le matérielfrançais a été fourni par le Dictionnaire de P. Robert, le Dictionnaire inversede A. Juilland et, pour l'époque ancienne, par le Dictionnaire de Godefroy et celuide A. Greimas. Les exemples allemands proviennent d'un dictionnaire allemand-russe4 et du Rückläufiges Wörterbuch de E. Mater. Pour l'anglais, nous avons uti-lisé les inventaires présentés par G. Stein5 ainsi que le Rückläufiges Wörterbuchde M. Lehnert. Les exemples polonais ont été puisés dans \eMafy slownik jezykapolskiego (Varsovie, 1969).

Dans la classification des adjectifs, une place privilégiée revient à la répartitiondes radicaux parce que c'est le radical qui détermine, dans une grande mesure,aussi bien le choix des suffixes que le sens des dérivés. Nous avons envisagécomme principales classes de radicaux : noms abstraits (pratiquement noms de qua-lité et noms de sciences), noms animés (noms de personnes et d'animaux), nomsde matière et noms concrets inanimés qui ne dénotent pas la matière (que nousappellerons noms d'objet).

Indépendamment de la répartition des radicaux, nous avons procédé à une classi-fication sémantique des adjectifs suffixes que nous avons essayé de rendre per-tinente sur le plan dérivatif. Nous parlerons dans la suite des quatre sens : 1°le sens de relation, p. ex. la réforme postale 'la réforme de la poste'; 2° le sensde qualification sensu stricto, qui se caractérise par la périphrase suivante: la per-sonne (ou l'objet) indiquée par le substantif déterminé possède l'objet (ou la matière)exprimé par le radical de l'adjectif, p. ex. un homme vertueux 'l'homme a des ver-tus', un pays buissoneux 'le pays est couvert de buissons'; 3° le sens de ressem-blance, p. ex. un cheval tigré 'le cheval est moucheté comme la peau du tigre',c'est-à-dire 'qui ressemble au tigre'; 4° le sens matériel : l'objet exprimé par le sub-stantif déterminé est fait, fabriqué de la matière indiquée par le radical de l'adjectif,

4 Das Große Deutsch-Russische Wörterbuch, Moscou, 1969.5 G. Stein, Primäre und sekundäre Adjektive im Französischen und Englischen, Tübingen,1971. Cependant, ces inventaires doivent être complétés. Il n'y est pas question, par exemple,du sens 'fait d'une matière' (ex. golden). De plus, la description sémantique des adjectifstirés de noms concrets n'est pas complète.

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p.ex. all. ein hölzernes Spielzeug 'le jouet de bois'. Le dernier sens, considéréd'ordinaire comme relationnel, a été mis à part pour mettre mieux en évidencesa réalisation très différente dans les langues comparées.

Comparaison des systèmes dérivatifs potentiels

A. Adjectifs issus de noms abstraits

Le cas le plus caractéristique est fourni par les adjectifs dont le radical dénote unequalité psychique et l'adjectif 'qui a cette qualité'. Toutes les langues ont élaboréau moins un suffixe très productif dans cette fonction : pol. -n-, fr. -eux, all. -ig,angl. -ous, -fui, p. ex. pol. odwainy czlowiek, fr. un homme courageux, ail.ein mutiger Mann, angl. a courageous man. S'il s'agit du v. fr., il semble queses possibilités aient été quelques peu plus grandes que celles du français moderne :certains dérivés, très fréquents, ont disparu sans être remplacés par d'autres, p. ex.aisif, bontif entaitif, faidif, (mal)talentif, ragif, volentif, plentif, poestif artier,dreiturier.fiancier, forcier, justicier, torconier, aïrable, amistable, bontable, aisible,pitable, forcible, etc.

Les suffixes fr. -ique, pol. -iczn-, all. -isch, angl. -ical, ajoutés à un nom de science,forment des adjectifs de relation : fr. études philologiques, pol. studia filologiczne,all. philologische Studien, angl. philological studies. Il est difficile de parler icide la supériorité d'une langue moderne par rapport à une autre. En revanche, cetype n'est pas caractéristique de l'ancienne langue pour des raisons extralinguis-tiques.

En vue de former des adjectifs exprimant une relation avec une notion autrequ'une science, chaque langue a élaboré également un suffixe : -ow-, -ell-al, -lieh,-al, p. ex. devoirs professionnels, pol. doswiadezenia zawodowe, all. die beruflichePflicht, angl. a professional work. L'ancien français semble moins représenté.

B. Adjectifs tirés de noms animés

Dans le cas des prénoms de personnes célèbres qui sont devenus noms, l'emploide l'adjectif est possible dans toutes les langues, p. ex. fr. socratique, angl. Geor-gian, all. platonisch, pol. stanisiawowski. S'il s'agit de prénoms de personnes noncélèbres, seul le polonais se sert d'adjectifs, p. ex. ziemia janowa 'la terre de Jean',mais les exemples sont rares.

En ce qui concerne les noms de famille et les noms communs, toutes les languessont susceptibles d'en former des adjectifs, surtout quand il s'agit de nomscélèbres. Cependant, le français est particulièrement privilégié dans cette catégorienotionnelle, en donnant aux adjectifs dérivés toute une gamme de nuances de sens.

Les éléments français -ell-al, -ique, -iste, -esque, -ien, -in marquent générale-ment une relation avec une personne, mais il existe certaines qualités qui les dif-férencient. A l'opposé de tous les autres, le suffixe -ell-al s'ajoute toujours à unnon commun (à une exception près : mariai), l'idée de relation est liée très forte-ment à celle d'appartenance, p. ex. les représentants patronaux de la chimie. Lesuffixe -ique exprime une relation aussi bien avec la science ou avec la doctrine

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que professait la personne indiquée par le radical de l'adjectif qu'avec cette personnemême : l'école johannique d'Asie Mineure, l'électricité galvanique.

Le suffixe -in a été très productif à l'époque de la grande révolution, il impli-quait le respect et même une admiration pour une personne célèbre : brissotin,buzotin, clabotin, clémentin, jacobin, etc. Pourtant, la plupart de ces adjectifs ontdisparu.

Le suffixe -iste, qui se rapproche sémantiquement du précédent, est toujours pro-ductif et ne s'applique pas seulement à des politiciens, mais s'étend à des philo-sophes, des gens de lettres, des artistes, etc. A l'idée de relation vient s'ajoutercelle d'une inclination, d'une approbation : différentes tendances du mouvementgaulliste 'en faveur du général de Gaulle', attitude masochiste. Le suffixe -ien serapproche du précédent, mais le degré d'estime qu'il dénote ne semble pas si mar-qué, p. ex. les préceptes kantiens.

A l'opposé des précédents (-iste et-ien), l'élément -esque s'applique à des person-nages qui évoquent une anormalité ou du moins une originalité ... des idées dedémesure, d'étrangeté, de bizarrerie, en tout cas d'une originalité qu'on veut accu-ser6.

Une telle richesse de sens (à laquelle correspond une différenciation de suffixes,seule la richesse de valeurs ne nous intéresse pas) n'apparaît nulle part. L'anglaispossède un élément neutre : -ian et deux péjoratifs : -esque, -ish. Les critères derépartition des suffixes polonais sont en grande partie de nature phonétique, seulle suffixe -n- est nettement péjoratif (niechlujny 'sale', niedoiezny 'maladroit', etc.).En allemand il faut signaler une prédilection marquée pour les formations péjora-tives, p. ex.flätzig, schlafmützig, stoffelig, stieselig, schlampig; gleisnerisch, knech-tisch, pharisäisch, banausisch, schurkisch, teuflisch, etc. Les formations en -haftsont, en partie, aussi péjoratives, p. ex. kretinenhaft, tölpelhaft, schalkhaft, stüm-perhaft, leckerhaft, rüpelhaft, etc.7

Les remarques qui précèdent ne concernent que les noms de genre masculin.Les dérivés des noms de femmes sont, au contraire, courants partout, sauf enfrançais où ils sont rares, p. ex. all. mädchenhaft, angl. girlish, pol. dziewczecy;all. schwesterlich, angl. sisterly, pol. siostrzany, etc. En fr. mod., nous ne trouvonsque nourricier et quelques latinismes comme féminin, maternel. L'ancien françaisne semble pas avoir possédé plus de dérivés de ce type.

Les adjectifs dénotant une relation avec un animal ont été très nombreux en v. fr.,p. ex. agnelin, chevalin, chienin, chevrin, camelin, asnin, almelin, corbin, chevrotin,elephantin, estourin, leonin, leopardin, louvetin, lovin, lupardin, etc. Plus rarement,le v.fr. se servait du suffixe-/er : Truyes pourchelieres (Godefroy), baleinier, hero-nier, gruïer, muletier, oiselier, porchier, etc.

Aujourd'hui, il n'y a que quelques dérivés motivés : chevalin, colombin, éléphan-tin, serpentin, vipérin et quelques latinismes : race bovine, asine, canine, ovine,

6 M. Marouzeau, Note sur la valeur du suffixe -esque, FM 1958, pp. 1-2.7 On peut se demander si le caractère des suffixes est ici vraiment péjoratif, le même sensétant propre aussi aux mots primitifs. Quoi qu'il en soit, à l'opposé des autres, ces morphèmess'attachent de préférence à des radicaux péjoratifs.

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porcine. Ajoutons quelques exemples en -ien: alcyonien, amibien, madréporien,carpien, etc.

On peut conclure que les anciens adjectifs exprimant une relation avec un animalétaient beaucoup plus fréquents et appartenaient au langage courant, tandis que lesadjectifs modernes ont une fréquence insignifiante et appartiennent au vocabulairetechnique.

Le polonais ne connaît pratiquement pas de restrictions dans la formation de cetype d'adjectifs, p.ex. jagniecy 'd'agneau', psi 'de chien', kozi 'de chèvre', wiel-bladzi 'de chameau', etc.

En anglais, nous ne trouvons que des termes techniques : crocodilian, reptilian;elephantine, falconine, viperine, vulterine; amphibial, animalic. En allemand, lesdérivés des noms aussi courants que Hund, Lamm, Löwe, Ziege, Kuh, Elefant,etc. sont impossibles. Il ne reste que des termes techniques comme amphibisch,tierisch, rares parce que concurrencés par des composés.

En somme, le français mod. semble aussi riche que l'anglais et l'allemand, maisbeaucoup plus pauvre que le polonais.

Le sens de ressemblance était exprimé déjà en v. fr. : piverré 'marqueté à lafaçon d'un pivert', serpenté, etc. Mais le français mod. est plus riche à cet égard :tigré, XVIIIe s., dragonne, XVIIe s. larvé, XIXe s., lézardé, XVIIIe s., saumoné,XVIe s., taupe, XXe s., truite, XVIIe s., valve, XIXe s., etc. Il faut mentionneraussi le suffixe -esque comme dans tigresque.

Dans toutes les langues, les adjectifs de ressemblance sont fréquents, mais cesens est souvent réalisé à l'aide de suffixes qui servent aussi à exprimer une rela-tion, p. ex. en pol. bociani klekot, bocianie nogi. Le polonais n'a pas ici de suffixespécial pour dénoter une ressemblance. L'allemand se sert des suffixes -haft, -ischet -ig qui expriment avec toutes sortes de radicaux une ressemblance : zwergen-haft, pygmäisch, bockig. Quelquefois deux suffixes s'attachent au même radical :eselhaft - eselig.

L'anglais se sert avant tout du suffixe -ish qui dénote souvent une ressemblance,p.ex. apish, assish, bearish, beastish, plus rarement de -ly : beasty, -ous : viperous,de -like : cat-like (cf. G. Stein, op. cit., p. 184). En somme, toutes les langues for-ment avec une facilité analogue les adjectifs de ressemblance. Le français mo-derne semble plus riche à cet égard que l'ancien.

Le sens 'qui a l'animal indiqué par le radical' n'est représenté qu'en polonais,d'ailleurs pas très fréquemment : klacz zrebna, krowa cielna; szczenna, prosna,kotna, etc. L'équivalent français c'est l'adjectif pleine : jument pleine, en allemandc'est trächtig, en anglais c'est with + nom du petit d'un animal. S'il s'agit d'ani-maux très petits, dans toutes les langues analysées, il y a un peu d'exemples :personne pouilleuse, étang poissonneux, habit mité, blé charançonné; pol. roba-czywy, molisty; all. milbig, mottig, wurmig; angl. maggoty, mity, motty, wormy, ver-minous, etc.

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C. Adjectifs tirés de noms de matière

Le sens 'fait de la matière indiquée par le radical de l'adjectif' est caractéristiquede l'ancienne langue française ainsi que de toutes les langues modernes analyséessauf le français. Le vieux français a désigné le suffixe -in pour exprimer cesens, par ex. la fenestre marbrine, el grant palais perrin, sa hanste fraisnine,ferrin,feutrin, negin, acerin, charnin, eleitrin, esmeraldin; cedrin, coldrin, charmin,chesnin, cypressin, fustin, masdrin, pomerin, sapin (de sap), etc. Les adjectifs en-in qui on persisté ou ont été créés plus tard présentent un sens de ressemblance :un orgueil adamantin, une vertu aimantine, métallin 'qui a la teinte, l'éclat du métal',diamantin 'qui a l'éclat ou la durée du diamant', aurin 'doré', argentin, ivoirin,etc.

L'allemand se sert du suffixe -enl-nl-ern : wächsern, silbern, etc., l'anglais dusuffixe -en: woolen, golden, oaken, aspen, oaten, waxen, etc. Le polonais a àsa disposition plusieurs suffixes dénotant aussi d'autres sens, p.ex. -ow- : debowemeble, -n- : zeliwny zlew, -'an- : grzebien kosciany. Ici, la pauvreté du françaismoderne est particulièrement visible.

En revanche, le français a une aptitude particulière à créer des adjectifs en -ierqui déterminent diverses sortes d'industries comme betteravier, beurrier, céréalier,chancrier, charbonnier, etc.

Le sens de 'qui possède la matière indiquée par le radical de l'adjectif, qui enest couvert' comme dans les buissons neigeux, l'eau iodée, ainsi que celui de 'quiressemble à cette matière' : les cheveux soyeux sont bien représentés dans toutesles langues. En ancien français, on se servait avant tout du suffixe -05 .- les granzchemins puldrus (Chans. Roi.), le français moderne des -eux, -é (ce dernier étaitrare en v. fr. dans ce sens) et-ique (technique, p. ex. acide ferrique). En allemand,on a recours surtout aux éléments -ig, -artig, -farbig, -färben (les deux derniersn'ont pas de correspondant en français), en anglais, à -y et -ed, en polonais,à-n-, -ow-, -ist-l-yst-.

En somme, le français moderne a perdu l'aptitude qu'il avait jadis et qu'ontles autres langues analysées à former des adjectifs dénotant 'fait de'. Dans le cadredes autres sens, toutes les langues présentent à peu près le même degré de richesse.

D. Adjectifs issus de noms concrets inanimés qui nedénotent pas la matière

Le sens de relation est possible dans toutes les langues. En fr. mod., on trouveavant tout les suffixes -ell-al, -ier, -ique et -aire. L'élément -ell-al se joint surtoutà des radicaux qui dénotent le lieu (provincial, régional, mondial, etc.), le temps(matinal, décennal) ou certaines notions techniques (verbal, hormonal). Le suf-fixe -ier intéresse surtout le language administratif {financier, routier). Le suffixe-ique est technique, mais certains mots qu'il a permis de former pénètrent dans lalangue courante, p. ex. téléphonique, symphonique. Les mots en -aire sont diffi-ciles à classer. Ils sont rares dans la langue courante, p. ex. polaire, tarifaire, par-lementaire, budgétaire, universitaire, etc.

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Ce qui frappe, c'est la rareté des adjectifs usuels en français. Cet état de chosesse retrouve en anglais et en allemand. En allemand, il y a une opposition netteentre suffixe -isch, par excellence technique (infinitivisch, konjunktivisch, elegisch,satirisch, telegraphisch), et suffixe -lieh dont l'emploi est plus général, mais aussiassez limité dans le langage courant : amtlich, mündlich, staatlich, körperlich, etc.Seul le polonais est capable de former des adjectifs de relation à partir de motsusuels, par ex. stoiowy 'de table', lampowy 'de lampe', podlogowy 'de plancher',sufitowy 'de plafond', drzwiowy 'de porte', etc.

La pauvreté du français se révèle bien dans des catégories notionnelles parti-culières. Dans le cadre des noms des jours de la semaine, par exemple, le françaisne forme pas d'adjectifs dérivés (à part dominical, inanalysable), tandis que le polo-nais possède des dérivés des noms de tous les jours (poniedzialkowy, wtorkowy... niedzielny). L'allemand a même deux types de dérivés : dienstägig 'an einemDienstag stattfindend' : unsere dienstägige Versammlung war gut besucht et diens-täglich 'jeden Dienstag wiederkehrend' : sie nehmen an dem dienstäglichen Kursusteils.

Quant au v. fr., il possédait des dérivés assez nombreux appartenant au langagecourant, surtout en -ier, p. ex. boissier, bordier, cornier, costier, forestier, fossier,marécagier, garennier, jardinier, montanier, praerier, puïer, taureir; manier, pau-mier, etc.

Pour conclure, on peut constater que le français a augmenté, au cours de sonhistoire, le nombre des adjectifs exprimant une relation avec une notion technique,ce qui est dû à des causes extralinguistiques. En revanche, il a diminué son aptitudeà former des adjectifs de relation à partir de mots usuels. Il est dépassé avanttout par le polonais, extrêmement riche à cet égard.

Il y a peu à observer dans le cas du sens 'qui a beaucoup d'objets expriméspar le radical de l'adjectif comme dans terrain coquilleux 'où il y a des coquilles'.Chacune des langues comparées possède de nombreux exemples : angl. a thornytree, fr. un buisson épineux, all. dornige Zweige, pol. ciernisty krzak, v.fr. boisso-neus, boschageos, cinços, eschardos, etc.

Le sens de l'adjectif 'qui a un objet (parfois deux comme cornes, oreilles)'n'apparaît que dans quelques cas bien définis. Dans le cas des radicaux dénotantune partie du corps ou une partie de la maison, c'est l'anglais qui prédomine lar-gement grâce au suffixe -ed : eared, elbowed, haired, headed; chambered, col-umned, crypted, etc. (cf. G. Stein, op. cit., p. 194). Le second sens n'apparaît mêmepas en dehors de cette langue.

Seuls l'allemand et l'anglais disposent d'un élément (-los, -less) exprimant 'qui estdépourvu de l'objet, de la matière qu'indique le radical' : all. wohnungslos, angl.noseless.

E. Conclusion

La comparaison des possibilités formatrices du français moderne et de la vieillelangue conduit aux constatations suivantes. A l'opposé de la langue moderne, la8 Cf. Wörterbuch der deutschen Gegenwartssprache, Dt. Akad. d. Wiss. zu Berlin, 1968.

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vieille possédait l'aptitude à former des adjectifs exprimant une relation avec unanimal (chieniri) et des adjectifs de matière signifiant 'fait de' (chesnin). Elle étaitaussi plus apte à produire des adjectifs à partir de noms de qualité (bontif) et desadjectifs exprimant une relation avec un objet usuel (tourier). En revanche, la languemoderne est plus riche en formations de noms de personnes et de noms techni-ques (industrie laitière; téléphonique, philologique, professionnel. Les adjectifsexprimant 'couvert de la matière ou des objets indiqués par le radical' gardentleur vitalité (buissons neigeux). Il est probable que les adjectifs de ressemblanceont augmenté leur contingent (zébré), mais ce fait est difficile à établir à base desdictionnaires.

En somme, il s'agit indubitablement d'un appauvrissement de la puissance créa-trice du français dans le cadre des adjectifs de relation, tandis que les adjectifsde qualification ne montrent pas de changements notables. L'afflux des termestechniques, dont l'importance s'accentue de plus en plus, est déterminé par descauses extralinguistiques, mais a des répercussions sur le plan dérivatif. Pourtant,pour la plupart des cas, ces mots ne sont pas sortis hors du vocabulaire spécial.

En comparant le polonais avec le français moderne, on constate la supérioritédu premier dans les cas suivants : 1° adjectifs issus de noms propres de personnesnon célèbres (ziemia janowa 'la terre de Jean'), 2° adjectifs de noms de femmes(dziewczecy 'de jeune fille'), 3° adjectifs dénotant la présence du petit d'un animal(klacz zrebna 'la jument pleine'), 4° adjectifs signifiant 'fait d'une matière' (drew-niany 'de bois'), 5° adjectifs exprimant une relation avec un animal (kozi 'de chèvre'),6° adjectifs exprimant une relation avec un objet usuel (podtogowy 'de plancher').Le français, à son tour, est plus riche dans le domaine des adjectifs dérivés denoms de personnes (sauf les noms de femmes).

L'allemand est plus riche que le français moderne dans les cas suivants : 1°adjectifs issus de noms de femmes (schwesterlich), 2° adjectifs signifiant 'fait d'unematière' (hölzern), 3° adjectifs exprimant une relation avec des mots plus ou moinsusuels (amtlich; supériorité minime), 4° adjectifs exprimant l'absence de l'objet (dela matière, etc.) indiqué par le radical (wohnungslos). La supériorité du françaisse manifeste dans le domaine des adjectifs dérivés de noms de personnes (saufles noms de femmes) et, dans une mesure très limitée, de noms des parties ducorps.

L'anglais a la supériorité dans les cas suivants : 1° adjectifs issus de noms defemmes (womanish), 2° adjectifs signifiant 'fait d'une matière' (golden), 3° adjectifsdérivés des mots signifiant une partie du corps (headed), 4° adjectifs exprimant'pourvu d'une partie d'une maison' (roofed), 5" adjectifs signifiant 'privé de l'objet(de la matière, etc.) indiqué par le radical de l'adjectif (characterless). Le françaisprédomine dans le domaine des adjectifs tirés de noms de personnes (sauf les nomsde femmes).

Les remarques présentées ci-dessus permettent de conclure à la pauvreté del'adjectif en fr. mod. par rapport aussi bien à l'ancienne langue qu'à toutes leslangues modernes prises en considération.

Dans ce qui précède, nous avons essayé de démontrer les possibilités qu'ont les

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langues comparées de réaliser, au moyen de suffixes adjectivaux, certaines caté-gories notionnelles. Telle est la méthode normale en grammaire contrastive. Cepen-dant, nous avons pu observer le fait que ces catégories sont réalisées très souventpar des suffixes pourvus de fonctions multiples. Ceci nous conduit à la nécessitéde compléter nos analyses par la description des systèmes respectifs des suffixesadjectivaux. Or, nous trouvons partout une opposition entre suffixes de relation etsuffixes de qualification9.

En d'autres termes, on peut apercevoir une oppositon entre adjectifs suffixesmontrant un rapport étroit avec le mot primitif et adjectifs suffixes dans lesquelsce rapport est devenu plus ou moins lâche. Cependant, sur le plan morphologique,cette opposition n'est pas exprimée de la même façon dans les langues analysées.Elle est le mieux tracée en allemand où l'opposition entre -lieh (plus rarement-isch, suffixe technique), relationnel, et -ig, qualificatif, rend compte de la grandemajorité des adjectifs suffixes. La situation en polonais n'en diffère pas d'unefaçon essentielle: l'opposition entre -ow-, relationnel, et -n-, qualificatif, rendcompte de la moitié, au moins, des adjectifs suffixes.

'Il n'en est plus de même pour le français où il est impossible de réduire lesystème des adjectifs suffixes à un schéma aussi simple. Comme relationnels, ilfaut indiquer les éléments -ell-al, -ique, -aire, -ien (la fréquence de chacun est con-sidérable), comme qualificatifs, au moins -eux et -é. Il résulte de ce fait que latendance naturelle d'une langue à éliminer des types parallèles, si manifeste, parexemple, en russe10 (langue aussi riche en dérivation que le polonais), est quelquepeu effacée en français. La raison en est que le français a deux manières fonda-mentales d'enrichir son vocabulaire : emprunts aux langues classiques et dérivationpopulaire. En russe, nous observons une tendance à la consolidation et à l'expan-sion de quelques types aux dépens de tous les autres"; en français, au contraire,la préférence à procéder par emprunts. La concurrence qui en résulte entre typesfrançais populaires et types savants favorise la coexistence et même l'augmentationde leur nombre12.

Un autre facteur témoigne aussi de la force derivative plus restreinte du français.Les suffixes adjectivaux polonais et allemands moins fréquents s'échelonnent, enrègle générale, dans l'ordre croissant du rapport plus ou moins étroit entre l'adjectifet le mot primitif. De même qu'en français, les catégories notionnelles fondamen-tales y sont réalisées par quelques suffixes peu spécialisés sémantiquement, maisces langues possèdent d'autres éléments dont le sens ne prête pas à équivoque.

9 Pour la description de ces deux types d'adjectifs, voir p. ex. A. Heinz, Uwagi nad funkcjaznaczeniowa przymiotnika odrzeczownikowego, Język Polski 36, 1956, pp. 257-274; G.Sobejano, El epiteto en la lirica espanola, Madrid, 1956; O. I. Lipatova, O granicaxkačestvennogo i otnositel' nogo prilagatel'nogo v ispanskom jazyke, Romanskaja filologija1961, N° 299, pp. 116-122.10 Cf. Ju. R. Gepner, Nekotorye problemy slovoobrazovanija v sovremennom russkom litera-turnom, jazyke, Russkij jazyk v škole 6, 1956, pp. 16-21.11 Cf. V. Kostomarov, K voprosu ob internacional'nyx suffiksax v russkom jazyke, Russkijjazyk v škole 6, 1956, p. 12.11 Voir aussi M. Gawefko, Problèmes de méthode dans l' analyse dérivative (basés sur l'adjec-tif français), KNf XVII, 1970, p. 64.

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Ainsi en polonais, le sens de ressemblance peut être exprimé par les suffixes trèsfréquents -n- et-ow- (d'ordinaire relationnel), mais aussi par -owat- (trumienkowaty'en forme de bière, de cercueil'), très rare en dehors de ce sens. Pour exprimer lesens de 'fait d'une matière', différents suffixes sont applicables, mais l'un d'eux(-an-) n'apparaît que rarement dans d'autres sens.

En allemand, ce dernier sens est souvent exprimé par le suffixe -ig (ein erdigerBoden), mais aussi par -enl-ern qui ne prête pas à confusion. Le suffixe -ig peutaussi exprimer 'qui a la qualité, la matière indiquée par le radical de l'adjectif :ein gütiger Mann, ein staubiger Boden, mais l'allemand est capable d'exprimer cessens par des éléments à sens précis : gütevoll, erdhaltig. L'idée de ressemblancepeut être réalisée par le suffixe-/^ (ein fuchsiges Haar), mais aussi par-artig (fuchs-artig) et-förmig (birnenförmig). L'allemand dispose même d'éléments spéciaux pourdénoter une ressemblance de couleur: -farbig et -färben13.

Il n'en est plus de même en français où le sens de ressemblance et celui deprésence d'une qualité, d'une matière, d'un objet sont marqués à l'aide des suffixes-eux et -é et où il n'y a pas d'autres moyens morphologiques propres à exprimerun seul de ces sens (abstraction faite des formes savantes, rares dans la langueparlée et d'ordinaire inanalysables en -forme, -oïde). Il est vrai que le françaispossède des suffixes comme -esque, exprimant une ressemblance, -ard, exprimant laprésence d'un objet (d'une partie du corps), des suffixes -ell-al, -ique, -iste, -ien,-in, -ier dénotant, dans la grande majorité des cas, une relation, mais ce ne sontpas ces sens : ressemblance, présence d'une qualité, relation - sens pertinents surle plan de la dérivation adjectivale — qui constituent l'essentiel de leur emploi :-ard est très péjoratif, -esque également péjoratif. Plus haut nous avons pu observerdes différenciations des adjectifs dérivés de noms de personnes. Ces différencesne rendent pas compte non plus de la connexion sémantique plus ou moins grandedes adjectifs dérivés avec leurs radicaux. La spécialisation de l'emploi du suffixeadjectival -ier comme dans charbonnier, laitier est aussi indifférente sur le plandérivatif4.

Comparaison des formes équivalentesdans des textes parallèles

Les remarques qui précèdent plaident en faveur de l'appauvrissement des suffixesadjectivaux au cours de l'histoire du français d'une part et de la pauvreté deces suffixes par rapport à ceux utilisés dans quelques autres langues modernes.Toutefois, il faut les compléter par d'autres types d'enquêtes, et ceci pour plusieurs13 Il est légitime de considérer les éléments -artig, -formig, -farbig, -farben, -voll comme desSuffixes. A ce sujet, voir W. Fleischer, Wortbildung der deutschen Gegenwartssprache, Leip-zig, 1969, p. 63 s.; M. Gawełko, Considération sur la distinction entre mot et affixe en alle-mand, KNf XVIII, 1971, p. 408 s., etc.14 Ce n'est pas l'effet du hasard qu'une façon courante d'arriver à des complexes d'élé-ments dérivatifs en français est la considération de ceux-ci dans le cadre de lexiques spéci-fiques. On trouve cette méthode p. ex. dans J. Dubois, op. cit.; J. Peytard, Recherches surla préfixation en français contemporain, Paris, 1971, etc.

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raisons. Avant tout, la comparaison effectuée au paragraphe précédent était parfoisdifficile du fait qu'on travaillait sur des dictionnaires de longueur différente. En-suite, les possibilités potentielles seules ne suffisent pas pour caractériser la vitalitéde la dérivation d'une langue. Même si l'on admet que aqueux, aquatique, aquatilesont partiellement motivés en français (l'élément aqu- apparaît dans plusieurs mots,toujours au sens de 'eau'), ils n'expriment qu'une partie du champ notionnel del'adjectif polonais wodny. D'où la nécessité de comparer des textes parallèles. Nousavons basé la comparaison, malheureusement limitée au français moderne, à l'alle-mand et au polonais, sur trois textes.

Pour le polonais, nous avons choisi Lalka de B. Prus15, pour le français, EugénieGrandet de H. de Balzac16 et pour l'allemand, Das kommunistische Manifest deK. Marx et F. Engels17. La prise en considération de ce dernier se justifie par unnombre considérable d'adjectifs dérivés de noms abstraits. La différence dans lecaractère des textes est d'importance secondaire parce que nous avons tenu comptenon seulement des adjectifs dans les livres de départ, mais aussi de ceux qu'ontrouve dans leurs traductions.

A. Adjectifs issus de noms abstraits

1° Les adjectifs avec le sens de qualification ('qui a la qualité exprimée par leradical') :

Lalka (119)18 Eugénie Grandet (119) Manifeste (22)

pol. all. fr. pol. all. fr. pol. all. fr.87 72 36 75 71 49 (8)18 19 9(1) 6(1)

II résulte des chiffres indiqués ci-dessus que le polonais est un peu plus richeque l'allemand et deux fois plus riche que le français.2° Les adjectifs de relation :

Lalka ( 14) Eugénie Grandet (13) Manifeste (51)

pol. all. fr. pol. all. fr. pol. all. fr.13(1) 10 7(6) 10 7 8(3) 48(4) 41(6) 22(17)

15 B. Prus, Lalka, 19e éd., Varsovie, 1962; La poupée, Paris, 1962; Die Puppe, Berlin, 1954(en abrégé L).16 H. de Balzac, Eugénie Grandet, Éditeurs Jean Gillequin et Cic, Paris; Eugenie Grandet,3e éd., Leipzig, 1964; Eugenia Grandet, Varsovie, 1953 (en abrégé EG).17 K. Marx, F. Engels, Das kommunistische Manifest, 1919; Le manifeste du Parti Commu-niste, Bruxelle, 1896; Manifest komunistyczny, Varsovie, 1953 (en abrégé MK).18 Les chiffres entre parenthèses qui suivent le titre de l'ouvrage indiquent le total des exemplespris en considération. Les autres chiffres entre parenthèses veulent dire : dont x exemplessont motivés partiellement, p. ex. 49 adjectifs dérivés français dont 8 ne sont motivés quepartiellement.

Il convient ici d'expliquer que la division adoptée ordinairement en mots motivés et immo-tivés simplifie les faits. En réalité, nous nous trouvons en présence de toute une gamme decas intermédiaires. Nous parlerons, dans la suite, de mots 1° à motivation pleine, 2° à motiva-tion partielle (été - estival : la modification du radical dans le dérivé n'est pas régulière)et 3° à motivation nulle (odieux devient immotivé avec la disparition du v. fr. odie).

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Le pourcentage des adjectifs motivés en allemand et en français est ici parti-culièrement élevé. L'explication de ce fait devient simple si l'on tient compte del'origine des adjectifs en question : dans toutes les langues analysées ils ont été,de même que les mots primitifs, empruntés au latin ou au grec, p. ex. komunis-tyczny — kommunistisch — communiste, ekonomiczny — ökonomisch — écono-mique, etc.

Néanmoins, on peut observer une légère prédominance du polonais et de l'allemandsur le français. Or, les équivalents polonais d'un certain nombre d'adjectifs fran-çais comme mystique, politique, rhétorique sont analysables: adj. mistyczny - sb.mistyka, etc. Dans d'autres adjectifs français nous avons affaire à la substitutiondu suffixe adjectival -iste au suffixe substantival -isme : communisme — commu-niste, tandis qu'en allemand et en polonais, outre la substitution mentionnée, nousobservons aussi l'addition des éléments -isch, -yczn- : Kommunismus - kommunis-tisch, komunizm — komunistyczny.

B. Adjectifs issus de noms de personnes

1° Les adjectifs de ressemblance :

Lalka(.3O) Eugénie Grandet (33) Manifeste (17)

pol. all. fr. pol. all. fr. pol. all. fr.28 8 8 (1) 29 18 13(7) 15 9 4

Le schéma conduit à la conclusion que le français est trois fois plus pauvreque le polonais. La supériorité de l'allemand est restreinte, mais incontestable. Larichesse du polonais se manifeste surtout dans les emprunts au latin qui dans lesautres langues sont inanalysables, p. ex. fr. élégant — all. elegant — pol. elegancki(cf. le sb. pol. elegant), libéral — liberal — liberalny (cf. liberal), fr. all. imper-tinent — pol. impertynencki (cf. impertynent).2° Les adjectifs de relation :

Lalka (51) Eugénie Grandet (50) Manifeste (34)

pol. all. fr. pol. all. fr. pol. all. fr.47(5) 16 15(8) 43(7) 28 29(12) 31(2) 23 18(9)

Ici, le français est deux fois plus pauvre que le polonais, mais il atteint un degréde richesse comparable à celui de l'allemand. La supériorité du polonais est limitéedans le cas des mots primitifs fréquents, p. ex. l'étoile napoléonienne (L 26),l'amour filial (EG 108), des illusions enfantines (EG 58), des bons royaux (EG 115),etc. Elle est énorme lorsque les mots primitifs sont des substantifs rares : desemblèmes de sportsmen (L 141), un bâton de maréchal (L 167), lieutenant deKosciuszko (L 225), des tables de banquiers (L 87), une casquette de jockey (L140), familles de marchands (L 133), etc. Les formes équivalentes en polonais sonttoujours des adjectifs.

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C. Adjectifs issus de noms d'objet

1° Les adjectifs signifiant 'couvert d'objets (d'un objet)' sont sensiblement plus rares

en français :

Lalka(14) Eugénie Grandet (40) Manifeste (7)

pol. all. fr. pol. all. fr. pol. all. fr.14 10 (3)1» 6 20 25(8) 10 4 3 (2) 4

2° La prédominance du polonais sur le français est particulièrement visible dansle cadre des adjectifs de relation :

Lalka (84) Eugénie Grandet (61) Manifeste (67)

pol. all. fr. pol. all. fr. pol. all. fr.68 16 16(2) 53 17(2) 18(5) 57(1) 14(2) 23(10)

Le pourcentage relativement élevé des adjectifs français dans MK vient del'emploi fréquent de termes techniques, rares dans la langue courante, commetarifs douaniers (15), prisons cellulaires (61), etc.

Ce qui saute aux yeux c'est qu'il n'y a pas de différence sensible entre le fran-çais et l'allemand. L'explication de cet état de choses réside dans le fait quel'allemand a très souvent recours à des composés lorsque le radical potentiel estun nom concret, cf. aussi les adjectifs issus de noms de personnes.

Faute de place, nous avons été obligé de présenter très brièvement la comparaisondes formes parallèles dans les textes. Certaines catégories derivatives n'ont mêmepas été décrites du tout. Cependant, nous en tiendrons compte dans les con-clusions.

D. Conclusion

La comparaison des adjectifs polonais et français dans les textes permet de con-

clure à une supériorité écrasante du polonais. En abrégé, on peut démontrer ce

fait au moyen du schéma suivant20 :

motprimitif: abstrait personne animal matière objetadjectif qui a rel. ress. rel. rel. ress. fait de qui a rel.

français 1 1 1 1 0 1 0 1 1polonais 2 2 32 + 4+ 24

Ce tableau confirme les constatations sur les adjectifs signifiant 'relatif à un

animal' et 'fait d'une matière' que nous avons faites au chapitre précédent : dans

19 Les chiffres entre parenthèses signifient ici exceptionnellement : y compris les adjectifs en-los.20 L e signe + signifie : les données ne sont pas per t inentes .

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la pratique, ils n'existent pas en français. Il permet aussi de compléter les con-clusions tirées plus haut. Il devient clair que le français cède le terrain au polonaisd'une façon restreinte lorsqu'il s'agit des sens 'qui a une qualité, qui est couvertd'une matière, d'objets' (1:2). Il en est de même des adjectifs exprimant une rela-tion avec une science, une doctrine : ce fait s'explique par la genèse de ce typed'adjectifs.

La supériorité du polonais s'accentue lorsqu'il s'agit d'exprimer la ressemblanceavec une personne ou une matière. Ce fait peut nous étonner, car on sait depuislongtemps que ce n'est que dans la mesure où la fonction de rapport est oblitéréeque le français moderne peut proprement employer l'adjectif dénominatif11. Or, lafonction de rapport est oblitérée non seulement dans le type de ton mielleux 'quirappelle d'une certaine façon le miel', mais aussi dans celui de terres sablonneuses'couvertes de sables' (dans le premier cas un peu plus). L'explication en est avanttout la prédilection du polonais pour les dérivés comme sniezny (de énieg 'neige'),mleczny (de mleko 'lait') là où le français se sert de l'adjectif simple blanc.

Les données numériques dont nous disposons contredisent la supposition que ladérivation française serait riche dans la langue commune et plus pauvre dans lalangue littéraire. La situation de l'adjectif dénominal est différente : les adjectifstechniques sont fréquents et augmentent vite leur nombre. Nous avons préférééviter ce problème, connu sous le nom d'adjectivite, dont la nature est encore diffi-cile à définir : s'agit-il d'une mode passagère ou du début d'une vitalité accrue desadjectifs dénominaux français?

Bref, la supériorité du polonais augmente au fur et à mesure que l'on passe dusens qualificatif au sens relationnel des adjectifs et du mot primitif abstrait au motprimitif concret.

La comparaison du français avec l'allemand donne une image plus embrouillée :

motprimitif: abstrait personne matière objetadjectif qui a rel. ress. rel. ress. fait de qui a rel.

français 3 2 5 1 2 0 1 1allemand 5 3 7 1 3 + 2 1

Ce schéma confirme la conclusion tirée plus haut que les nombreux adjectifsallemands en -enl-ern indiquant 'fait d'une matière' n'ont pas d'équivalents syn-thétiques en français. La supériorité de l'allemand se manifeste dans le domainedes adjectifs signifiant 'qui a la qualité ou l'objet dénotés par le radical' où elle estpresque aussi grande que dans le cas du polonais. Pour les adjectifs de ressemblance,ils sont un peu mieux représentés en allemand qu'en français. La comparaison desadjectifs de relation, où la faiblesse du français s'affirme d'une façon particulière-

21 H. Lewicka, La formation des mots chez les poètes humanistes et la norme du français.Actes du IXe Congrès International de Linguistique Romane, Lisbonne, 1959 (publ. 1961),p. 255.

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ment nette, est ici de peu de valeur, l'allemand ayant une prédilection singulièrepour les composés. La supériorité de l'allemand est, dans ce type d'adjectifs, minimeou nulle22.

Conclusion générale

Le matériel analysé prouve que, dans le cadre de l'adjectif dénominal, la dériva-tion française est particulièrement déficiente. Cependant, il faut se garder de géné-raliser cette conclusion. Il suffit de passer de l'adjectif dénominal au déverbal pourvoir changer la situation : les adjectifs déverbaux à sens actif ont une fréquenceégale en français, en allemand et en polonais. La situation est encore plus sur-prenante en ce qui concerne les adjectifs à sens passif : le français est sensiblementplus riche que le polonais, un peu plus riche que l'allemand.

Néanmoins le matériel allégué permet de formuler quelques objections contre lespoints de vue de MM. Pichon, Camproux et Dubois. Celles-ci semblent pouvoirse vérifier aussi dans d'autres types dérivatifs23.

Pour ce qui est de la facilité avec laquelle on comprend les mots formés ad hoc, onpeut répondre que ce fait prouve tout simplement l'existence de modèles ou typesdérivatifs : les mots formés d'après ces modèles sont analysables pour la con-science linguistique. Mais il ne dit rien sur la richesse de la dérivation adjectivalequi, comme nous l'avons vu plus haut, est très restreinte en français moderne.

Les textes pris en considération ne reproduisent que très imparfaitement lelangage populaire (les dialogues dans les romans). Nous avons seulement pu con-stater que, dans le français littéraire, les suffixes apparaissent plus souvent dansdes termes techniques que dans des termes courants. En tout cas, la comparaisonbrute de données relevées dans des dictionnaires, même si eller prouve l'équilibreentre les formations nouvelles et les mots suffixes anciens disparus du dictionnaire,n'est pas un procédé efficace pour établir le degré de richesse de la dérivation.Pour ce but, il est plus utile de comparer des textes où l'on peut analyser l'emploides dérivés, qui varie suivant le caractère usuel ou technique de ceux-ci.

Rappelons encore une fois une conclusion tirée plus haut : l'adjectif français estparticulièrement déficient dans le cas du sens relationnel et du mot primitif concret.A mesure que l'on passe du sens relationnel au sens qualificatif, du mot primitifconcret au mot primitif abstrait, il augmente sa fréquence.

22 Nous avons fait aussi une autre enquête qui met en évidence la pauvreté de l'adjectifdénominal français. Or, nous avons comparé quelques centaines d'adjectifs russes et françaisdans deux dictionnaires de fréquence de dimensions limitées et nous pouvons constater qu'enrusse les adjectifs motivés sont trois fois plus nombreux qu'en français.23 Les remarques qui suivent sont étayées aussi par les résultats des travaux qui, comme c'estle cas de notre article, comparent la dérivation française avec celle d'autres langues. Telle livre de Bengt Hasselrot Études sur la formation diminutive dans les langues romanes(Acta Universitatis Upsaliensis, 1957) qui fait voir une pauvreté particulière du français endiminutifs synthétiques (cf. aussi son Étude sur la vitalité de la formation diminutive fran-çaise au XXe siècle, Acta Universitatis Upsaliensis, 1972, p. 87 s.).

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