les cahiers thÉmatiques de la fÉdÉration … · margueritte duras qui, ne bu-vant que du vin,...

44
LES CAHIERS THÉMATIQUES DE LA FÉDÉRATION DES E LA FÉDÉRATION DES ACTEURS DE L’ALCOOLOGIE ET DE L’ADDICTOLOGIE KARINE LECOCQ Psychologue sociale Réseau Ressource Clamart (92) Administratrice de la F3A 5 mai 09 L’âge, l’origine, le sexe, l’appartenance, l’expérience, l’histoire ... fait de chaque homme un être unique. On retrouve cette singularité dans le regard que tout indivi- du porte sur les conduites d’addiction et les usages de substances psychoactives. Chaque acteur de l’addictologie porte, sur les personnes addictes, un regard qui dépend de ses opinions, croyances et connaissances. Ce regard porté per- met de rendre présent le sujet observé et considéré. Grâce à ce regard, nommé Perception pour certains, et Représen- tation pour d’autres, le professionnel peut aborder sa relation aux personnes addicts, ses rapports avec les différentes problématiques vécues par le public reçu, son appréhension des limites touchées par sa pratique. Pour son cinquième cahier thématique Actal, la F3A cible pour thème : Les Re- présentations. Au cours de ce cahier, vous ferez la rencontre de personnes, connues et inconnues. Nous vous invitons à pren- dre le temps de les lire, sans chercher à tout prix à les comprendre ; mais en rele- vant ce qui vous semble à la frontière de votre pratique. La croisée du médical et du social avec d’autres disciplines comme le juridique, l’histoire, la culture, l’anthro- pologie, la philosophie, la psychologie ... semble être une ouverture nécessaire à notre pratique traditionnelle. Pour traiter le sujet des Représentations, nous donnons la parole aux acteurs des soins, de l’accompagnement, de la pré- vention, de la formation et de la recher- che. Petit ou grand, professionnel ou pa- tient, concerné directement ou pas, tous ont un point de vue, à la fois similaire, différent et complémentaire, permettant une meilleure préhension de la problé- matique addiction. Antoine de Saint Exupéry aurait eu bien du plaisir à rencontrer l’addictologue, ac- teur fabricant de relation et de soin. Si La grandeur d’un métier est avant tout d’unir les hommes, qu’Il n’est qu’un luxe vérita- ble et c’est celui des relations humaines, nous pouvons nous réjouir de faire un si beau métier. D’autres que nous le savent bien. C’est le cas d’un autre petit prince, nommé Ewan, âgé de 3 ans1/2. À l’âge où les petits garçons veulent être footballeur ou chanteur, Ewan veut devenir alcoolo- gue. Il veut s’occuper des alcooliques, les soigner avant qu’ils soient très malades. Vous reconnaitrez que l’avenir de l’alcoo- logie, et plus largement des addictions, est entre de bonnes mains. Ewan, comme toutes les autres personnes, s’est construit une connaissance de l’ad- diction à partir de ce que son entourage a exprimé. Nos expériences nous permet- tent de conjuguer facteurs cognitifs et affectifs. Nos pensées, images ou valeurs sont des représentations. Ces représenta- tions, nous les partageons avec d’autres personnes. Par influence, conformisation ou soumission, nos connaissances naïves ne restent pas inchangées. Les échanges, temps de partage et de confrontation, renforcent certains éléments de nos con- naissances et en modifient d’autres. Si les représentations sont des objets vivants qui structurent les adultes en d’amateurs savants, il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter de trouver un équi- page créatif qui vous permettra de vo- guer ... même sur un courant fort. Prix de vente : 6

Upload: lenhan

Post on 15-Sep-2018

216 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

LES CAHIERS THÉMATIQUES DE LA FÉDÉRATION DESLES CAHIERS THÉMATIQUES DE LA FÉDÉRATION DESACTEURS DE L’ALCOOLOGIE ET DE L’ADDICTOLOGIE

K A R I N EL E C O C Q

Psychologuesociale

Réseau RessourceClamart (92)

Administratrice de la F3A

N°5mai 09

L’âge, l’origine, le sexe, l’appartenance, l’expérience, l’histoire ... fait de chaque homme un être unique. On retrouve cette singularité dans le regard que tout indivi-du porte sur les conduites d’addiction et les usages de substances psychoactives.Chaque acteur de l’addictologie porte, sur les personnes addictes, un regard qui dépend de ses opinions, croyances et connaissances. Ce regard porté per-met de rendre présent le sujet observé et considéré. Grâce à ce regard, nommé Perception pour certains, et Représen-tation pour d’autres, le professionnel peut aborder sa relation aux personnes addicts, ses rapports avec les différentes problématiques vécues par le public reçu, son appréhension des limites touchées par sa pratique. Pour son cinquième cahier thématique Actal, la F3A cible pour thème : Les Re-présentations. Au cours de ce cahier, vous ferez la rencontre de personnes, connues et inconnues. Nous vous invitons à pren-dre le temps de les lire, sans chercher à tout prix à les comprendre ; mais en rele-vant ce qui vous semble à la frontière de votre pratique. La croisée du médical et du social avec d’autres disciplines comme le juridique, l’histoire, la culture, l’anthro-pologie, la philosophie, la psychologie ... semble être une ouverture nécessaire à notre pratique traditionnelle. Pour traiter le sujet des Représentations, nous donnons la parole aux acteurs des soins, de l’accompagnement, de la pré-vention, de la formation et de la recher-che. Petit ou grand, professionnel ou pa-tient, concerné directement ou pas, tous ont un point de vue, à la fois similaire,

différent et complémentaire, permettant une meilleure préhension de la problé-matique addiction. Antoine de Saint Exupéry aurait eu bien du plaisir à rencontrer l’addictologue, ac-teur fabricant de relation et de soin. Si La grandeur d’un métier est avant tout d’unir les hommes, qu’Il n’est qu’un luxe vérita-ble et c’est celui des relations humaines, nous pouvons nous réjouir de faire un si beau métier. D’autres que nous le savent bien. C’est le cas d’un autre petit prince, nommé Ewan, âgé de 3 ans1/2. À l’âge où les petits garçons veulent être footballeur ou chanteur, Ewan veut devenir alcoolo-gue. Il veut s’occuper des alcooliques, les soigner avant qu’ils soient très malades. Vous reconnaitrez que l’avenir de l’alcoo-logie, et plus largement des addictions, est entre de bonnes mains.Ewan, comme toutes les autres personnes, s’est construit une connaissance de l’ad-diction à partir de ce que son entourage a exprimé. Nos expériences nous permet-tent de conjuguer facteurs cognitifs et affectifs. Nos pensées, images ou valeurs sont des représentations. Ces représenta-tions, nous les partageons avec d’autres personnes. Par infl uence, conformisation ou soumission, nos connaissances naïves ne restent pas inchangées. Les échanges, temps de partage et de confrontation, renforcent certains éléments de nos con-naissances et en modifi ent d’autres. Si les représentations sont des objets vivants qui structurent les adultes en d’amateurs savants, il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter de trouver un équi-page créatif qui vous permettra de vo-guer ... même sur un courant fort.Prix de vente : 6€

Merck Serono Alcoologie

03/2

009

.

Il a fallu beaucoup d’efforts à vospatients pour devenir abstinents.

Aidez-les à le rester.

MAINTIEN DU SEVRAGE ALCOOLIQUE EN ASSOCIA.

TION À LA PRISE EN CHARGE PSYCHOLOGIQUE6 comprimés par jour en 3 prises (patient de plus de 60 kg) Durée recommandée de traitement : 1 anAOTAL® 333 mg comprimé enrobé gastrorésistant. FORMES ET PRESENTATIONS : Comprimé enrobé gastrorésistant à 333 mg (blanc) : boîte de 60, sous plaquettes thermoformées. COMPOSITION* : Acamprosate (DCI) 333 mg/cp. Teneur en calcium : 33,3 mg/cp. INDICATIONS : L’acamprosate est indiqué dans le "maintien de l’abstinence chez le patient alcoolo-dépendant". Il doit être associé à la prise en charge psychologique. POSOLOGIE ET MODE D’ADMINISTRATION* : Sujet de poids > à 60 kg : 2 comprimés matin, midi et soir. Sujet de poids < à 60 kg : 2 comprimés le matin, 1 à midi et 1 le soir. Administrer le comprimé à distance des repas si la tolérance digestive est bonne. Instaurer le traitement par acamprosate dès que possible après l’arrêt de la consommation d’alcool. Une réalcoolisation épisodique ne contre-indique pas le maintien du traitement. Durée recommandée du traitement : 1 an. CONTRE-INDICATIONS� �� �� ����������������� ������� �� �������������� ��� �� ����� ���� ������������ ��Insuffisance rénale (créatininémie > 120 µmol/l). MISES EN GARDE ET PRECAUTIONS D’EMPLOI* : L’acamprosate n'est pas un traitement des symptômes aigus du sevrage alcoolique. En l’absence de données cliniques, l’acamprosate ne peut être recommandé chez les patients de moins de 18 ans et chez les sujets âgés de plus de 65 ans, ni chez les patients présentant une insuffisance hépatique grave. Alcool, dépression et suicide étant étroitement liés, surveiller tout changement d'humeur ou de comportement chez les patients en cours de sevrage sous acamprosate. INTERACTIONS������������� concomitante d’alcool avec l’acamprosate ne modifie pas la pharmacocinétique de ��������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������� Le retentissement d'un traitement par acamprosate sur les paramètres pharmacocinétiques du disulfiram n’est pas connu. GROSSESSE ET ALLAITEMENT* : Le maintien de l’abstinence en cours de grossesse étant primordial, l’utilisation de l’acamprosate est envisageable quel que soit le terme de la grossesse. L’acamprosate est déconseillé pendant l’allaitement. EFFETSINDESIRABLES*� �� ���������� ��������� ������������� ��������� �������������� �������� ��������� ���������������� ���������� �������������������� ���������� ��� �������������diminution ou augmentation de la libido, réactions d'hypersensibilité (urticaire, œdème de Quincke, réaction anaphylactique). SURDOSAGE*. ���������������� : Médicaments utilisés dans la dépendance alcoolique, code ATC : N07BB03. L'acamprosate stimule la neuromédiation inhibitrice GABAergique et antagonise l’action des ��������������������������� ��������������� �������������������� ����������� ���������� ����� �������������������� ���� ������������������������� ����������� ���� ��������������alcoolique. ������������������ : L’administration d’acamprosate avec des aliments diminue la biodisponibilité du médicament par rapport à son administration à jeun. �����������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������paramètres pharmaco-cinétiques de l’acamprosate ne sont pas modifiés par une altération de la fonction hépatique. SECURITE PRECLINIQUE*. RENSEIGNEMENTS ADMINISTRATIFS : LISTE II. AMM/CIP ����������������������������������������������������������� CTJ : 1,07 à 1,61. Remb. Séc. Soc. à 65 %. Collect. Admis AP Paris. Merck Lipha Santé : 37 rue Saint-Romain ��������������������������� ������������������ ��������������������������������������� ������ ���������� �������������������������� ����������������������������� ������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������Merck Lipha Santé��������������������������������������������������������������

AOTALpresse_160x210_mars09.indd 1 5/04/09 17:31:46

P4

P6

P8

P10

P12

P14

P18

P20

P24

P26

P28

P30

P36

A C T A L

Directeur de la publication :

Dr Patrick FOUILLAND

Rédacteur en Chef : Emma TARLEVÉ

Coordinateur du numéro : Karine LECOCQ

Administrateur référent : Martine LANDIÉ

Comité de lecture : Michel ASTESANO

Pr Jean-Louis BALMÈSMarie MUSQUET

Dr Karine SAUVAGE

Journaliste : François HAUGUEL

Crédit photographique : F3A

Savoir Pour Agir

Coordination générale et mise en page :

Jean-Pierre VÉDIEU

Imprimerie : La Petite Presse

3000 exemplaires

3

Retrouvez ce numéro et toutes informations

de la F3A sur notre site «www.alcoologie.org»

ALCOOL ET CULTUREQuelques réfl exions issues de l’Anthropologie

VÉRONIQUE NAHOUM GRAPPE

LA RENCONTRE SOIGANT-SOIGNÉ AVEC LE TOXICOMANEÇa commence comme un conte des milles et une nuits

DR ROBERT BRÈS

LES REPRÉSENTATIONS EN ALCOOLOGIE CLINIQUEDR LIONEL BENICHOU

RÉFLEXION - COMMENT AI-JE DÉPASSÉ MES REPRÉSENTATIONS ?DR MARIE-ALICE CITTI

USAGERS PROFESSIONNELS COMMENT ÉVOLUENT NOS REPRÉSENTATIONS ?

JEFF FAVATIER

LES REPRÉSENTATIONS, UN CONSTRUIT COLLECTIFL’EXEMPLE DE L’ALCOOL

NADIA HASSINE ET INGRID CERIA - IREMA

UNE PAROLE QUI LIBÈRESERGE NEDELEC

PRÉCARITÉ ET TOXICOMANIE - Proposition d’une approche créative autour de la représentation du manque ...

à être ISABELLE BARBANTI

UNE BANDE DESSINÉE ANALYSÉE À LA LOUPEDR ERIC HISPARD

LE REGARD D’UNE CAMÉRAAURÉLIE BERTHIER

PROMENONS-NOUS AU SALON DES VIGNERONSKARINE LECOCQ

ADDICTIONS, LA SOCIÉTÉ EN QUESTIONDR CATHERINE HERBERT

USAGERS, PROFESSIONNELS EN REPRÉSENTATIONDR PATRICK FOUILLAND

Au sein des sciences sociales, la notion controversée de repré-sentation s’oppose à celles de «pratique», de «fait», voire de «réalité», dont elle recouvre l’opacité dure d’un double con-ceptuel qui en permet la recon-naissance, la désignation, et donc un début de compréhension possible. En fait cette opposition duelle a été largement critiquée et l’idée qu’une représentation soit fl ottante tout autour de l’objet réel dont elle dessinerait les traits n’est plus en cours, car elle masque la différence entre «image», «croyance» et «stéréo-type», et brouille la séparation entre perception individualisée et culture collective. Elle repose sur une conception dualiste du réel très ancienne, et oblitère la dimension interactive et réfl exi-ve permanente des pratiques so-ciales que l’on ne peut séparer de leur système d’intelligibilité au sein de l’action elle-même la

plus concrète soit-elle.Cela dit, cette notion de «repré-sentation» reste en usage, et elle peut être fort utile, il suffi t seulement que l’auteur la défi -nisse au préalable.Dans le champ de l’alcoologie, on rencontre des stéréotypes, des croyances, des images, qui forment une culture collective aux frontières qui évoluent dans le temps et l’espace : on peut ici parler d’un «système de repré-sentations» que l’ethnologue peut traquer dans les conversa-tions, les chansons, les ouvrages et les fi lms les plus massivement distribués, et au travers de l’ico-nographie, la plus classique au plan esthétique, comme la plus contemporaine dans les clips pu-blicitaires par exemple. Les sé-miologues parleront de «nuage sémantique», et les ethnologues de «culture». Qu’importe les éti-quettes : il suffi t de savoir que cet ensemble de signifi cations tressées autour d’un produit, d’une substance, des objets qui en permettent la consommation, et de conduites de consomma-tions, de fi gures corporelles des buveurs, leurs gestes et attitu-des, leur «style» leur identité de genre etc. reste fl ou, mouvant,

stratifi é, surtout au cœur d’un pays marqué par son histoire viti-vinicole. L’ethnologue du «boire» peut repérer quelques exemples typi-ques de notre «culture contem-poraine de l’alcool» :- Une croyance tenace, contre-dite par la science, héritée du XIX°siècle et de la confrontation entre un savoir sanitaire naissant qui dénonçait les dangers de l’alcool et une vieille culture mé-dicale ancienne qui promouvait comme vital réchauffant et res-taurant l’usage du vin, et parfois même des liqueurs «ardentes». Cette confrontation a produit la croyance suivante, très fran-çaise, que le bon vin de qualité, cher, ou «naturel», les bons al-cools artisanaux de moines, faits «d’herbes» quasi médicinales, les boissons fermentées «hy-giéniques» traditionnelles pro-duites artisanalement selon des méthodes anciennes, sont bons pour la santé, ce dont témoigne d’ailleurs l’adresse très ancienne «à votre santé !» liée au geste de trinquer. Alors que les mauvais alcools industriels de bas prix et les mauvais vins «trafi qués» pro-duits massivement, les produits de grande consommation plus

Alcool et cultureQuelques réfl exions issues de l’Anthropologie

Véronique Nahoum-GrappeAnthropologue - EHESS - Paris (75)

4

«chimiques» que «naturels» sont eux, mauvais pour la santé, des poisons qui poussent à l’in-tempérance, la dépendance, la déchéance physique et morale, la maladie physique et psychia-trique et enfin l’inconduite vio-lente et calamiteuse de «l’al-coolisme». L’alcoolique sera donc dans les «images» collec-tives plutôt un ivrogne mascu-lin prolétaire qu’un bourgeois œnologue, plutôt une figure du «bas social», drôle ou tragique, qu’une jeune femme aristocrati-que. La déchéance sociale trou-ve dans l’ivrogne clochardisé une image culturelle de choix, et cette image exclut du champ de visibilité sanitaire les femmes et les hommes des couches privilé-giées, dont les exquises boissons de qualités ne sont pas perçues comme contenant du mauvais alcool. D’où au XX° siècle une Margueritte Duras qui, ne bu-vant que du vin, pouvait dire «je ne bois pas», comme ces dockers du Havre étudiés par J-P Caste-lain qui décidaient «j’arrête de boire, dorénavant, je me mets au vin et à la bière». Cette croyance a pris des formes diverses mais reste très importante dans le monde viti-vinicole : le «bon vin» ne PEUT PAS faire de mal !Un autre exemple de sens lié à un produit : une certaine con-sommation «marque» une iden-tité et une occasion. Si un jeune homme et une jeune fille com-mandent dans un café un cognac et une tisane, le garçon saura à qui donner quoi. Si jamais, la frêle jeune fille empoigne d’un geste énergique le verre de co-gnac et lève le coude pour le sif-

fler d’un trait, la surprise, un cer-tain respect mêlé d’inquiétude l’entourera. Ne parlons pas du jeune freluquet qui dégustera, petit doigt levé, sa tisane ; tous seront d’accord pour lui suppo-ser une virilité problématique. Un choix de boisson marque sur la place publique une identité, les enquêteurs de marché in-dustriels le savent mieux que les sociologues : toute la publicité tente de jouer avec ces images. Ainsi, le champagne est un vin dont le succès est lié à sa décon-nection sexuée : les femmes peu-vent le boire sans déroger leur féminité, et les hommes peuvent faire péter le bouchon et lever la coupe effervescente en gardant toute leur virile prestance. Ici, le terme de «signe» serait plus pertinent que celui de «re-présentation» pour indiquer cette valence sexuée d’une con-sommation. Dernier exemple : les figures de l’addiction, de la dépendance, fonctionnent comme des sté-réotypes qui font destin. Autant l’ivresse du buveur, verre levé bouteille brandie, est un fier geste d’appel à l’entente festive, autant le visage décoloré, gris et osseux du toxicomane ou de l’al-coolique dépendant, imaginés stagnants dans un fossé ou ima-ginés stagnants dans un squat sinistre des bas-fonds urbains, mis en images dans les Bandes Dessinées, les séries, etc ... signi-fie risque de déchéance sinistre et menace de cruauté transgres-sive. Le «drogué», l’alcoolique, véritables vampires d’eux-mê-mes, qui tentent de remplacer leur sang, et donc la nourriture

saine de leurs parents (pain et ... vin), par le poison du tabac, de l’éthanol et d’autres substances toxiques est dessiné comme un ectoplasme prédictible : plus qu’une représentation, l’alcoo-lisme est un stéréotype. C’est à dire qu’il dessine un corps et un destin, une ambiance et une morale d’emblée : en fait la réa-lité montre divers usages des diverses substances susceptibles de produire une addiction, les méfaits doivent évidemment être énoncés, dénoncés. Mais d’une certaine façon, le stéréo-type empêche la perception des situations réelles et des nuances, des différences entre trajectoi-res, usages, modalités ... L’ethnologue du présent ne peut s’empêcher de voir dans ce sté-réotype majeur de la figure du toxicomane ou de l’alcoolique un signe du sens fonctionnel de ce modèle d’inconduite tel-lement épouvantable : illustrer la norme antinomique du bon modèle identitaire : la construc-tion de sa propre biographie, de sa propre carrière ascendante, du devoir de promotion de par soi incessant en quoi consiste les normes de constructions identi-taires positives contemporaines. Le modèle d’inconduite (on re-connaît l’expression du grand Devereux) de l’addiction morti-fère devient alors la seule «bon-ne» manière d’aller très mal of-ferte en exemple à la jeunesse dans notre culture.

5

Quand on parle de toxicomanie, ça commence souvent comme un conte des milles et une nuit, une histoire à dormir debout desti-née à poser des énigmes afi n de tenir l’autre en éveil dans le seul but semble-t-il de survivre enco-re un peu. Le toxicomane n’exis-te pas, dit-on maintenant en France, mais il insiste toujours, et nous tient en haleine ; cette insistance est le gage d’une exis-tence tout de même. L’interve-nant en toxicomanie que je suis serait quant à lui une espèce en voie de disparition qui heureu-sement a quelques contes énig-matiques à sa disposition pour être là encore.Le poulet sur la route est une blague circulant sur Internet : à partir de cette occurrence, il est proposé une série de répon-

ses ou de réactions qui ne nous apprennent rien du comment et du pourquoi le poulet est sur la route, mais nous enseignent clairement sur l’identité du ré-pondeur supposé ; ainsi le fait de réagir en soulignant que po-ser cette question trahit un fort sentiment d’insécurité sexuelle indiquerait que l’on ait à faire avec Sigmund Freud ou un de ses disciples, déclarer de façon péremptoire qu’il faut une loi et accélérer les réformes identi-fi erait nos gouvernants actuels, affi rmer «yes we can» est égale-ment transparent ... mais alors que faire de ce poulet là ? À cette question, certains propo-sent de construire un poulailler bien clôturé au nom de la pro-tection des usagers de la route, d’autres de déplacer la route dont ils disent qu’elle n’est pas très utile au nom des droits fon-damentaux des poulets à circu-ler librement, d’autres enfi n, et ils sont infl uant au ministère, de construire des passages protégés pour que les poulets les mieux éduqués puissent traverser sans risques, ni dommages. Chacune de ces réponses ne dit toujours rien du poulet, mais révèle clai-rement les idéologies, les modè-les et les représentations sur les-quelles fonctionne une société.L’intervenant en poulet si je puis dire, le psychiatre que je suis, tout affairé à comprendre qui

était donc ce volatile, d’où il venait et pourquoi il était sur la route, ne s’est pas rendu compte qu’il était lui aussi au travers du chemin et on lui a demandé soit de s’isoler dans le poulailler, soit d’indiquer comment déplacer la route, soit de se contenter d’assurer une bonne circulation de ces poulets dans les passages protégés.Les soins en toxicomanie sont af-faires d’idéologies, de modèles et de représentations.L’évolution des stratégies de soins et notamment le glisse-ment vers la substitution n’est pas due à une meilleure con-naissance du poulet ou du toxi-comane, ni à une critique défi ni-tive des «anciennes» méthodes, mais bien à une modifi cation fondamentale des représenta-tions que l’on a du toxicomane. On ne traite fi nalement les gens pour ce qu’on dit qu’ils sont, on ne soigne qu’une métaphore du sujet.Chaque rencontre avec un toxi-comane ou prétendu tel s’inau-gure en avant scène par des regards qui se croisent et des jugements qui s’établissent de part et d’autre, puis elle se dé-roule en scènes diverses.Le toxicomane a cet avantage d’intervenir le premier ; il a déjà parfois entendu parler de ce soi-gnant là, on lui en a déjà tracé le portrait et il a pu voir la rue, l’im-

La rencontre soignant-soigné avec le toxicomaneÇa commence comme un conte des milles et une nuit

Docteur Robert BrèsPsychiatre, Praticien Hospitalier - CHU de Montpellier (34)

6

meuble et la salle d’attente ; il a même parfois vu cet intervenant ouvrant la porte de son cabinet pour y faire entrer un client ou aller au secrétariat ; il sait déjà s’il peut ou non lui faire confian-ce, s’il peut lui confier son his-toire de toxico et s’en remettre à son appréciation ; il a déjà res-senti ou non des «vibrations», il a déjà pensé la rencontre, il sait quel rôle il va pouvoir jouer dans un scénario qu’il a souvent déjà commencé à écrire.L’autre ne sait rien de tout ça ; pour lui la rencontre est une aventure, il en ignore toute la préhistoire et si dans ce scé-nario préétabli il tient mal son rôle parfois, c’est justement de n’y comprendre rien. Il est litté-ralement livré à lui-même, con-voqué à se confronter à ce que l’autre va révéler chez lui ; dans ce jeu des représentations, c’est à lui de s’y coller.Il peut, parfois en un coup d’oeil au look du patient, reconnaître un cas bien repéré relevant d’un protocole de prise en charge, d’une technique rodée qu’il suf-fit de mettre en place : prescrip-tion stéréotypée, comportement protocolisé ou éviction systéma-tique et ritualisée, le primat est donné à la technique dans ces histoires sans histoires et sans paroles souvent. Pour le soignant, il reste le plai-sir parfois béat du travail bien fait, de l’assurance confirmée d’une maîtrise technique où il n’y aurait rien à redire. Il est en harmonie avec son moi idéal.Il peut aussi se sentir interpellé par le cas complexe qui se pré-sente à lui comme un défi à l’image idéale qu’il a de lui-

même : il expérimente alors une technique nouvelle ou complexi-fie celles qu’il maîtrise dans un souci de parvenir à une exper-tise et dans l’idée qu’il réalise là peut-être un chef-d’œuvre. Il lui reste la satisfaction d’être allé au-delà de ses propres limites, d’avoir tendu vers son idéal du moi.Il peut encore se sentir comme convoqué à une image idéale que le patient semble avoir de lui, comme s’il était interpellé au-delà de son savoir faire. Fas-ciné alors par ce qu’il pourrait être, il s’échappe parfois des li-mites et contraintes de sa fonc-tion. Il lui reste la jouissance de s’être montré autre que ce qu’il imaginait de lui, d’avoir d’une certaine façon contourné son sur-moi.Pour le soignant, il reste de la rencontre plaisir, satisfaction ou jouissance, mais aussi sou-vent un certain embarras, et une dose de mauvaise conscience, qu’il peut assumer stoïquement, dénier totalement voire traiter exceptionnellement, venant de la prise de conscience qu’il sait que son patient, et c’est parti-culièrement vrai quand il s’agit d’un toxicomane, va parfois dé-

tourner les soins qu’il lui prodi-gue et démasquer en cela les dé-tournements du soignant quant à son idéal du moi, son moi idéal ou son sur-moi ;Certains patients se plient avec une complaisance suspecte au savoir-faire affiché du soignant, soulignant ainsi à celui-ci qu’il ne les considère qu’en tant que sujets de soin et les déshuma-nise.D’autres tirent de la situation des bénéfices autres - détour-nement d’usage des produits prescrits, certificats s’avérant de complaisance, etc. - dont le soi-gnant se sent alors complice.D’autres enfin prennent un ma-lin plaisir à échapper au traite-ment en multipliant les rechutes, témoignant ainsi que la réponse soignante ne correspondait pas à ce qu’ils étaient venus cher-cher.«Quand un toxicomane entre dans un lieu de soin, alors qu’on fait semblant d’accueillir un agneau, on sait bien en fait que c’est un loup qui entre» décla-rait le docteur Carpentier. Notre poulet de tout à l’heure était donc un loup.

7

Le concept de représentations est une «importation» sociologi-que(1) qui devrait prendre une importance toute particulière aux yeux du soignant en alcoo-logie clinique. En effet, ce con-cept d’essence culturelle peut pervertir le regard porté sur l’alcoolique et son alcoolisme en compromettant la nécessaire alliance thérapeutique qui doit se nouer entre soignants et pa-tients. Avant d‘aborder les représenta-tions du «buveur» il me paraît utile de rappeler quelques re-présentations du «produit al-cool». Ce sont les médecins, les artistes, avec Louis Pasteur, qui, au cours de l’Histoire, ont contribué à alimenter ce clivage entre les «bons» alcools (fermentés) et les «mauvais» (distillés). Le cas du vin est exemplaire ...Le vin est un nectar : une nour-riture divine (Dyonisos-Bacchus) qui permet au mortel d’accéder au pouvoir divin : «l’alcool nous isole du dehors, nous aide à en-trer dans notre monde intérieur, tout en se servant du monde extérieur»(2) proclamait MO-DIGLIANI peintre génial dont on connaît la fi n tragique. Lors d’une émission télévisée, un œnologue répliqua au Profes-seur GOT : «Vous ne me ferez pas croire qu’on puisse devenir alcoolique avec du Gevrey-Cham-

bertin (sic)» ... C’est probable-ment exact ; On doit pouvoir «commencer» avec du Gevrey-Chambertin et «terminer» de façon plus économique ...Le vin est un produit sacré : Il participe au rite (au «mystère») de l’Eucharistie : Pour célébrer la messe il faut du vin. La progres-sion de la vigne a coïncidé avec la progression des monastères dans la Gaule protochrétienne. Produit rituel, le vin ne peut donc pas «faire de mal» ... Au contraire ... En Touraine, dans une cave de Chinon, une pan-carte qui fl otte au-dessus des barriques proclame : «Le vin c’est la France, l’eau c’est la sou’France». Ne nous moquons cependant pas trop vite ...

Pendant des siècles, l’eau de boissons était souvent contami-née : choléra, typhoïde se diffu-saient avec l’eau de boissons ... Mais il y eu d’autres mystifi ca-tions plus «politiques» : On exal-ta les «vertus patriotiques» du vin à l’occasion des deux guerres du XX° siècle. Pendant l’hiver 1939-1940, période qui précé-da la défaite française de mai 1940, des affi ches sur les murs de France proclamaient : «Nous vaincrons en le buvant». Il s’agissait du «vin chaud au soldat». Une publicité «patrioti-que» rappelait aussi que le «pi-nard», avait «contribué à la vic-toire ...»(3). Celle de la guerre précédente, après qu’on ait mis hors la Loi, en 1915, la “fée ver-te” : l’absinthe.

Les représentations en alcoologie cliniqueLionel BENICHOUNeuro-Psychiatre et alcoologue - Orthez (64)

8

Ainsi, en 1915 le consommateur de vin était un patriote, le con-sommateur d’absinthe, un can-didat à l’alcoolisme ... respon-sable de la «dégénérescence» (sic) de la race ... Cette «dégéné-rescence» qui faisait perdre les guerres ... croyait-on.«Chez nous» Les boissons dis-tillées restent suspectes mais ce n’est pas le cas dans le reste du monde ... Hors de France, en Russie, le nom de la boisson alcoolique nationale wodka dérive du nom de l’eau : woda ... et le suffixe ka a une connotation «affective» tendre ... L’alcool russe (distillat de cé-réales ou de pommes de terre) est donc une «petite» eau ... La représentation mystifiante con-cerne le nom même du produit chez les Russes ...Il a fallu deux siècles pour être reconnu «malade» à celui que nous nommons maintenant «al-coolodépendant». L’alcoolisme n’était pas une maladie mais un vice nommé «ivrognerie». Celui qui s’adonnait au vice était un ivrogne ... Pour le regard reli-gieux l’ivrognerie était un pêché et l’ivrogne qui ne buvait plus d’alcool était un converti qui accédait à une rédemption. Les mouvements dits d’anciens bu-veurs sont nés pour la plupart avec un parrainage religieux.(4) Avant d’être admis dans le cadre des «maladies» l’ivrognerie a du passer par la case «intoxication»

au prix d’une véritable croisade conduite au milieu du XIX° siècle par Magnus Huss, médecin sué-dois, qui voulait faire admettre que l’ivrognerie était un em-poisonnement et qu’il fallait la nommer «alcoolisme» ...Les représentations du «malade de l’alcool» ont varié autant dans le public que chez les médecins mais les synonymes dévalorisants d’ivrogne n’ont jamais disparu du langage populaire : saoûlard, alcoolo, bec salé, boit-sans-soif, pochtron, sac à vin, soif-fard, ... La carrière du capitaine HADDOCK grand amateur de whisky et d’étiquettes d’ivro-gnerie, se clôt par un delirium tremens dans «Tintin et l’Alph Art» (album inachevé).L’ivrognerie «pêché» a la vie dure. Les représentations signi-fiées par ces étiquettes restent péjoratives même chez les mé-decins qui ont a longtemps usé d’un langage codé pour évoquer l’alcoolisme d’un malade. Il y a quelques années, j’avais relevé le terme «soft» de «con-sommateur» ... tout court («ce malade est un consommateur ...» disait-on avec un air entendu ...) ou encore «ce patient présente un œnolisme ...» même si l’alcool en cause était du pastis ou de la bière ... Le vin serait donc de l’alcool ? Il y a une trentaine d’années, du côté des alcoologues histo-riques, on déclina la maladie al-coolique en «formes cliniques»

afin d’asseoir l’alcoolisme dans son statut de maladie. Ce fut la démarche de Pierre FOUQUET avec les alcooloses, alcoolites et somalcooloses : ty-pologies multidimentionnelles, celle de Jellinek, psycho-com-portementale avec les alcoolis-mes alpha, beta, epsilon ...Actuellement, les modes d’usa-ge prévalent pour distinguer le consommateur sans problème du consommateur «malade al-coolique» et le consensus s’est fait autour des concepts d’usa-ge, mésusage, usage à risque, usage nocif et usage dépen-dant ... en espérant que l’écho chez le soignant puisse gommer les représentations péjoratives du «maladalcoolique».Tous les malades de l’alcool ne sont pas obligatoirement dé-pendants : En témoigne le cas des ivresses idiosyncrasiques qui surviennent avec des alcoolé-mies confidentielles. Il existe des sujets, rares il est vrai, classés parmi les gros consommateurs, qui non seulement ne sont pas ivres avec des alcoolémies de plusieurs grammes mais qui ne sont pas dépendants ! La bonne clinique alcoologique nécessite un cas par cas scrupu-leux et la critique vigilante des représentations.

(1) «Représentations individuelles et représentations collectives» Émile Durkheim 1898(2) Affiché à l’exposition MODIGLIANI Musée du Luxembourg Paris 1982(3) “Le roman de l’alcool” Pierre FOUQUET et Martine de BORDE Seghers édit. (4)“Groupes d’entraide et de soutien chez les alcooliques et les usagers d’autres drogues” Rapport au congrès de psychiatrie de Monaco 1973. L. Benichou et C. Orsel 1973 Masson édit.

9

Dans ma pratique de profession-nelle en addictologie, il m’a fallu prendre conscience de la place de mes représentations.Elles sont très personnelles et s’organisent en fonction de mon histoire, de mes expériences, de mes connaissances, de mes ren-contres ...Elles sont présentes à plusieurs niveaux :- les représentations du médecin : j’étais celle qui savait, à qui on avait appris- les représentations de l’aide : j’étais celle qui allait soulager- les représentations de la souf-france : je pouvais et devais tout entendre. En tant que médecin, j’avais déjà été confrontée à la souffrance physique mais beaucoup moins à la souffrance psychique.- les représentations du produit alcool : mes origines familiales dans la viticulture m’ont appor-té le plaisir olfactif, gustatif et convivial du bon vin. Au niveau professionnel, c’était l’objet à bannir, le mauvais objet qui détruit l’être et l’entourage.Ce sont toutes ses représenta-tions, toujours évolutives, qui

sont en jeu dans la rencontre avec le patient, qui a aussi ses propres représentations du mé-decin, de lui-même et ses pro-pres comportements.En pratique, j’ai été frappée par la place et l’importance des re-présentations du patient addict.

Représentation de sa personne :Il se sent peu de chose, il se don-ne peu de valeur, il a une méses-time de lui-même, de la honte et de la culpabilité. D’emblée, il prend une position très basse, ou au contraire, sous l’emprise de l’alcool, il est dans la toute puissance. Il est incapable de se représen-ter, d’exister psychiquement même, il est «liquide» dans son enveloppe.

Représentation du produit :Ce produit a une telle place so-ciétale que ses représentations sont plurielles, des images pré-sentes dans des contextes diffé-rents associés à des sensations gustatives, olfactives, et aussi des émotions de joie, de peur.Il est la cause de tous les problè-mes du patient, c’est son toxi-que, et aussi sa solution, son mé-dicament immédiat qui permet de mieux se sentir, se ressentir, et aussi des passages à l’acte.

Représentation du médecin :Le bon objet qui allait forcément savoir ce qu’il fallait faire pour lui permettre d’aller mieux.Parce que je me suis sentie in-terpellée par la souffrance de ces patients, parce que j’ai eu la curiosité d’essayer de les com-prendre, je me suis laissée tou-cher par toutes ces images qui de toutes façons envahissent à certains moments tout l’espace de la consultation.Pour permettre au patient en grand mal-être d’évoluer sur ses propres représenta-tions j’ai moi-même dû mettre de l’ordre dans les miennes.Petit à petit, j’ai pu me dégager en partie de tout ce qui m’alour-dissait : le poids de mon histoire, le poids de la formation médi-cale, la pression que je mettais à être aidante. Ceci pour être aussi présente que possible à l’écoute de ce patient.Il s’agit de l’accueillir là où il en est avec ce qu’il amène comme motif de consultation en parti-culier autour de ses représenta-tions de l’addiction. Avec une maturité émotion-nelle, une compréhension de soi j’ai développé une certaine forme d’empathie. Ma capacité à être face à ce patient, à l’écou-ter comme différent permet pe-tit à petit de créer dans l’espace

Réfl exions :Comment ai-je dépassé mes représentations ?

Marie-Alice CITTIMédecin addictologue - Les ApsyadesCCAA de Rezé (44)Responsable de la commission formationAdministratrice de la F3A

10

de la consultation une forme de bulle d’échanges psychiques où chacun travaille. La constance de ma position : attention, res-pect, émotions, non jugement, ma capacité à mettre de côté mes propres valeurs, sentiments, représentations, permet au pa-tient fragile de ressentir plus de sécurité en lui et ainsi mobi-liser ses ressources, exprimer ses peurs de séparation, ses échecs, ses doutes, sa honte, sa culpa-bilité, ses comportements hors normes ...Au fur et à mesure du travail psy-chique, ses représentations évo-luent : qu’est-ce que ce patient va m’enseigner à ce moment, sur ce qu’il sait du «boire» ? Il s’agit pour moi de pouvoir percevoir ses représentations en étant à l’écoute avec tous mes sens. Ce sont des instants forts de la consultation. Les allers et venues aux rendez-vous répétés tissent un repère, un lien solide. Ce patient est actif dans sa dé-marche, de liquide il devient so-lide, il devient «ÊTRE». Si je prends l’allégorie de l’équi-libre : une balance pour repré-senter ce qui se passe : l’équili-bre est modifi é, sa vie passe de la maitrise des produits à une meilleure connaissance de lui même, à une meilleure repré-sentation de sa place. Le rapport aux autres change, il ose donner son avis, prendre sa place et se donne du poids. Le sujet «en-tre dans la vie», les émotions se nomment. C’est cadeau pour lui et alors aussi pour moi.

11

j ’ é t a i s c e l l e q u i s a v a i t , q u i a l l a i t s o u l a g e r ,

q u i p o u v a i t e t d e v a i t t o u t e n t e n d r e . . .

I N T E R V I E W

Lorsque l’on est à la fois ancien usager et professionnel, à quelstypes de représentation est on confronté de la part des autres professionnels ?C’est très subjectif. On ne peut pas faire des généralités. C’est souvent en fonction des inter-locuteurs. Pour être considérés comme des professionnels à part entière dans le dispositif, il faut parfois en faire plus que les autres. Du coup, nous sommes très exigeants.

Comment les usagers vous considèrent-ils ?Il est rare d’accueillir des usa-gers qui ne nous connaissent pas ou qui n’ont jamais entendu par-ler de nous. Ils savent qu’ils vont rencontrer ici des personnes qui seront à leur écoute. En cela, nous sommes un peu privilégiés. Il peut arriver qu’une personne ne voit pas les choses de façon objective et puisse ressentir un peu de jalousie, de rivalité vis à vis de nous et n’admette pas que l’on a dû beaucoup travailler pour être là. Mais, nous ne som-mes fi nalement confrontés qu’à

très peu de violences physiques. C’est l’illustration de ce regard à priori positif.

Certains professionnels ont été directement confrontés au problème dans leur vie comme vous. Y-a t-il du coup une diffé-rence d’approche de l’usager ?Il y a peu de différence fi nale-ment. Dans l’hypothèse où un autre professionnel se sentirait mal à l’aise vis à vis de la proxi-mité que l’on peut avoir avec les usagers, il ne resterait pas. La distinction que font les usagers vis à vis de nous se fait sur la fonction que l’on peut occuper, au sein de l’équipe.

Les personnes qui viennent vous voir connaissent-ils votre parcours d’usager et quel regard peuvent-ils avoir sur vous ? Ils l’apprennent souvent par le bouche à oreille. Il y a deux cas de fi gure. Ceux qui disent qu’ils auraient pu faire la même chose mais qui n’ont pas eu de chance et d’autres qui nous acceptent en tant que tel. Globalement, le regard est plutôt positif, notam-ment parce que les usagers ne

viennent pas par obligation. A Nîmes, on compte trois Caarud, ce qui est assez exceptionnel. Le fait qu’il existe plusieurs lieux identifi és permet aux usagers d’avoir le choix et favorise les rencontres en fonction des affi -nités. Nous sommes donc dans des relations de proximité avec les personnes que l’on reçoit.

Est-ce que le regard du professionnel sur les usagers a évolué au fi ldes années ?Énormément, notamment dans le cadre du dispositif de lutte contre le sida. Avant l’autorisa-tion de mise en vente des serin-gues dans les offi cines en 1987, l’usager était considéré comme étant dans une démarche sui-cidaire, ne prenant pas soin de sa santé quoiqu’on lui dise et quoiqu’on fasse. Jusqu’au début des années 90, l’usager n’avait pas le même accès aux soins que tout un chacun. Le préalable du sevrage était obligatoire et les personnes étaient souvent transférées en psychiatrie. Du coup, les personnes se ren-daient à l’hôpital lorsque c’était vraiment nécessaire, en dernier

Lui-même ancien usager, Jeff Favatier est directeur d’Asud Nîmes (Association des Usagers de Drogues) qui gère un centre d’accueil et d’accompagnement à la ré-duction des risques des usagers de la drogue (Caarud).

Usagers Professionnels : Comment évoluent nos représentations?

Jeff FAVATIER

12

recours. L’accompagnement a évolué depuis, grâce notamment au traitement de substitution. Malgré les réticences du départ, les soignants ont découvert un visage nouveau des usagers qui, débarrassés de la contrainte, avaient un autre comportement tout simplement. À l’heure ac-tuelle, il existe la loi de 2002 qui instaure la mise en place dans les établissements médico-so-ciaux des conseils de la vie so-ciale ou une autre forme de con-certation. On observe que dans beaucoup d’établissements, ces dispositifs ont du mal à se met-tre en route. Il y a encore des ré-ticences, pourtant le législateur a construit quelque chose de plutôt positif. Mais personnellement, je per-çois une certaine forme de ré-gression dans le regard porté sur les usagers de drogues. Il existe toujours un à priori négatif sur le patient que l’on considère comme étant le seul respon-sable de son mal-être même si tout cela est très aléatoire d’une structure à l’autre. Et Il est donc diffi cile de faire des généralités. À l’époque où Marylise Lebran-chu était Garde des sceaux, il y avait une volonté de ne plus in-carcérer pour usage simple de stupéfi ants. Puis en 2002-2003, la politique sécuritaire s’est ac-crue, ce qui a modifi é les regards et impacté les représentations. Aujourd’hui, les structures de soins sont confrontées à des si-tuations très différentes qu’au début de la substitution. Nous sommes face à un empilement de diffi cultés. La problémati-que d’addiction s’est elle-même complexifi ée, à cela s’ajoute des

situations de grande précarité et des diffi cultés d’accès aux droits dans un contexte de repli sur soi où la solidarité diminue. On voit des usagers assez jeunes qui n’ont pas de demandes particu-lières et qui subissent les choses. On a l’impression qu’ils ont déjà abdiqué en terme de projet de vie. C’est parfois diffi cile d’en-trevoir une évolution positive possible chez ces personnes.

Arrivez-vous à changer le regard des patients ?Nous faisons un travail de mé-diation lorsque les personnes ont un discours critique sur les centres de soins ou sur les pro-grammes de méthadone. On leur dit souvent «Mettez vous à leur place. Ils ont aussi leurs con-traintes, leurs obligations». Nous essayons de les faire réfl échir, de se projeter. On leur dit aussi que s’ils ont des droits, ils ont aussi des devoirs. On s’attache à cas-ser le discours qui consisterait à dire systématiquement «J’ai droit, j’ai droit ...». Or malheu-reusement, ce travail autour de la citoyenneté n’est pas une priorité. On assiste à un durcisse-ment des positions, à un rejet de la différence, de la marginalité, de la maladie et les usagers cu-mulent un peu tout cela.

Est-ce que les usagers vous mettent «dans le même sac» que les institutions ?Assez peu parce qu’il existe un véritable accueil basé sur l’em-pathie, un regard positif sur les usagers. Le fait d’expliquer nos possibilités, ce que l’on peut fai-re ensemble en se positionnant tout de suite très clairement,

évite les confusions et les malen-tendus sur le contenu que l’on peut apporter. Ils ressentent la différence et font un distinguo entre les relations qu’ils peuvent avoir dans un centre de soins, où nous bataillons à leur côté dans les démarches qu’ils entrepren-nent, et, dans les dispositifs tels que l’ANPE, les suivis RMI, où ils ont le sentiment d’être confron-tés à des regards beaucoup plus négatifs. Le fait que la personne puisse être identifi ée comme usager de drogue par certaines institutions peut la desservir. De plus, nous constatons une explo-sion des orientations en matière d’accompagnement social. Les usagers naviguent dans un em-pilement des dispositifs de suivis qui engendre toujours plus de démarches, de rendez-vous pour l’usager. On a souvent le senti-ment d’un retour aux vieilles re-cettes. Les structures d’insertion elles-mêmes subissent une pres-sion des fi nanceurs et sont prises dans un impératif de résultat. Dans notre secteur, des nouvelles mesures telles que les stages de sensibilisation cannabis mettent les usagers dans des situations compliquées. En effet, les stages devront être payés par l’usager lui-même, de 100 à 450 euros encaissés par le centre de soins avant même le premier rendez-vous. Ce sont typiquement des mesures qui engendrent de la confusion dans les missions que nous nous fi xons et qui vont dé-molir des années et des années de travail, sur la question de la représentation justement.

13

I N T E R V I E W

14

Nous avons en France une in-citation très forte à la consom-mation d’alcool et les seules excuses valables pour refuser un verre dans une occasion où il est légitime de boire est de dire que nous sommes malades, ou que nous prenons des médicaments. La banalisation de l’usage des boissons alcoolisées est telle que nous en trouvons partout, y com-pris dans les stations services. L’ivresse légère, l’«ivreté», est valorisée dans nos représenta-tions du bien vivre, et cette va-lorisation induit une appétence pour les voyages imaginaires. Enfi n, nous avons une tolérance très forte aux excès de toutes sortes, y compris dans les con-duites à risques.Par rapport à l’alcool, nous avons le plus souvent des posi-tions «claniques», les pour et les contre, les alcoolophiles, qui ap-précient et défendent le «bien boire», et les alcoolophobes, qui critiquent et dénoncent les ef-fets nocifs de l’alcool. Voici le terreau sur lequel mû-rissent les pratiques des interve-nants du médico-social.Les pour et les contre ne tien-nent pas le même langage. Les

uns parleront de convivialité, les autres de dommages. Le vocabu-laire des uns sera de l’ordre de la sensation et du sentiment, celui des autres de l’ordre de la scien-ce et de la morale. Peu d’entre nous, y compris peut-être parmi les alcoologues, prennent en compte le moment de la con-sommation, les conditions en-vironnementales, l’humeur, la dimension relationnelle ...Dans nos représentations, seuls existent la norme et l’excès, ce-lui qui sait boire et celui qui ne sait pas boire. Dans les cultures latines, celui qui sait boire, c’est l’élément masculin.Lors d’un atelier d’exploration des représentations à l’Irema, atelier par lequel nous ouvrons le plus souvent nos formations, nous avons proposé aux parti-cipants de se remémorer leurs toutes premières «représenta-tions», ou plutôt leurs premiè-res perceptions, des perceptions nourries par un contexte et des habitudes familiales. : «Quand vous aviez 5 ans, 6 ans, quand vous étiez encore petit enfant, quel était le sentiment qui vous habitait quand vous voyiez une

femme, ou votre mère ... boire de l’alcool ? Peut-être avoir un comporte-ment étrange ?» Alors, les mots qui sortent : indicible, inimagi-nable, étranger ... Mais encore ? La pensée est bloquée. Une par-ticipante dit son indignation à voir sa mère agitée, excitée, boire avec des amies lors d’une fête à la maison. Elle lui aurait demandé de ne plus jamais ... Quelle mère est-ce, que celle qui s’amuse pour son propre comp-te, qui séduit, qui plaît, et de qui se dégage une certaine lasci-vité ! Pour l’enfant, il y a là quel-que chose d’inenvisageable. Et il semblerait qu’une partie de nous-mêmes soit toujours dans l’infantile, qui ne veut pas entendre parler d’une femme qui boit, d’une mère qui jouit ailleurs qu’avec l’enfant que nous sommes encore.Ainsi pour les femmes. Pour les hommes, une fois passées les premières aversions, un proces-sus s’installe à l’ombre des sym-boles positifs de virilité, d’estime de soi, de partage et d’échange. Symboles non négligeables, re-présentations alcoolophiles, ci-ment de notre société.

Les représentations : un construit collectif

Nadia Hassine et Ingrid Ceria

Institut de Recherche et d’Enseignementdes Maladies Addictives

L’exemple de l’alcool

Les consommateurs de produits illicitesLes représentations du «grand public» font une large part aux échos médiatiques issus de la culture «junkie» des années 70. Ces relais médiatiques de faits de société liés au manque et à la délinquance résonnent avec la méconnaissance réelle, large-ment partagée, des produits et de leurs effets. Méconnaissance et fascination : dans le même temps qu’elle est vue comme nécessairement marginale et à bannir, la personne toxicomane reflète aussi nos peurs de ce qui n’est pas familier, apprivoisé, peur des plaisirs trop forts dont on pressent qu’ils pourraient nous détruire. Contrairement aux alcoolodé-pendants qui ont pour contre-point positif le bien buvant, les toxicomanes ne pourraient être consommateurs occasionnels d’héroïne, goûter le produit et ses effets, travailler en même temps, et s’occuper de leurs en-fants. Nos construits collectifs se confrontent là à quelque chose de l’ordre de l’impossible. On nous a assez dit qu’il suffisait d’une fois ! Alors, c’est l’escala-de, et le VIH est venu renforcer ce que nous savions de sa néces-saire déchéance et du jouir sans frein.Fébrile, tricheur et manipulateur sont les trois images-force de la sagesse commune concernant ces consommateurs dépendants. Tuerait père et mère pour de la drogue. La mise en circulation des produits de substitution est venue en adoucir les traits : subs-titué à vie, traînant son boulet, il s’apparente davantage à un ga-lérien, moins à un paria.

Ceux que nous appelons aujourd’hui les «polytoxicoma-nes» (consommateurs hybrides d’alcool, de cannabis, de dérivés de cocaïne, de médicaments dé-tournés de leur usage, de substi-tuts opiacés, d’autres objets non identifiés ...) invitent à d’autres imaginaires. Ils sont aujourd’hui la passerelle entre le radicale-ment différent qu’était le toxi-comane junkie, et le trop sem-blable qu’est le dépendant de l’alcool. L’idée flotte que n’être pas dépendant d’un seul produit serait moins dangereux, moins dévorant... une idée qui nous ramène à des fondamentaux : nous sommes tous dépendants d’une infinité d’objets substitua-bles, pas si différents, en cela, du polyconsommateur – sauf, bien sûr, dans la recherche de leur ef-fet psychotrope. Quoique...

Les intervenants médico-sociaux confrontés aux alcoolisationsAnciens modèles, nouveaux modèlesNous avons assisté, ces dernières années, à une modification du regard des travailleurs sociaux, plus particulièrement ceux qui travaillent avec des publics pré-caires, sur les personnes en diffi-culté avec l’alcool. Il y a une quinzaine d’années, on se disait : quand il / elle aura du travail, un logement une compagne/ un compagnon, il / elle arrêtera l’alcool. Et nous y croyions. Aujourd’hui, les travailleurs so-ciaux partent d’un autre postu-lat : il faut arrêter l’alcool avant de penser à retrouver du travail, la santé, une famille ... L’arrêt d’alcool, l’abstinence, devient la condition pour une «resocialisa-

tion». Autre leurre ? En tout cas, un postulat qui induit une éco-nomie relationnelle différente.Dans l’ancien modèle économi-que relationnel des années 80 - 90, c’était donnant / donnant sur le mode du contrat : je te trouve un travail, un logement, et tu changes tes conduites. L’établis-sement de «contrats d’insertion» nous donnait 6 mois reconducti-bles pour permettre cette révo-lution. Nous tentions de remplir notre part du contrat, sans nous douter des difficultés existen-tielles dans lesquelles nous plon-gions notre interlocuteur pour remplir la sienne. Nous étions naïfs, et terribles.Aujourd’hui les professionnels ont modulé leur approche. C’est toujours mission impossible pour le travailleur social, qui a de moins en moins de temps im-parti, de moins en moins, aussi, de ressources en termes de loge-ment, de travail, voire peut-être, bientôt, de soins. C’est, toujours aussi le sentiment d’être seul face à un problème immense, avec peu de lieux pour en par-ler, peu de partenaires ... Mais le contrat de base s’est transformé. Un accompagnement hors alcool est devenu nécessaire préalable-ment à toute démarche. Bien sûr, l’alcool reste la bête immon-de, il faut la chasser, mais on sait faire alliance. La culpabilisation («je t’ai trouvé du travail et tu as gardé ton alcool !») n’est plus un levier, la mise en dette («tu me dois de ne plus t’alcooliser») plus une stratégie. Ça laisse la porte ouverte à un travail rela-tionnel qui peut s’appuyer sur une relation de confiance.

15

Les représentations des pratiques professionnellesNotre culture alcoolophile / al-coolophobe a induit, dans les pratiques sociales, le dilemme : alcoolique ou abstinent. Ce qui implique deux types de repré-sentations :- l’alcool est la seule chose qui le fait tenir – comment lui deman-der d’arrêter ? - si tout va mieux puisqu’il a ar-rêté l’alcool – pourquoi s’est-il réalcoolisé ?Comme si, sans alcool, la vie de-venait tout à coup nécessaire-ment paisible, investie, une plé-nitude puissante que nous avons nous-mêmes rarement connue, mais que nous leur prêtons vo-lontiers. La question de la souf-france initiale est toujours là, puisqu’elle est liée à l’existence humaine. Les êtres humains sont particuliers : lorsqu’ils se sépa-rent de la douleur, ils ressentent un sentiment étrange ... Quand l’alcool disparaît, il n’emporte pas nécessairement avec lui la souffrance. S’il se maintient, il est possible d’étayer la «partie saine» de la personne, pour un réinvestissement de ses ressour-ces internes. Avec cette hypothèse : si la dy-namique de vie est renforcée, l’alcool prend moins de place.Il n’existe pas, au sein des ins-tances sociales, de dispositif adapté à cette lente maturation, cette lente séparation d’avec ses vieilles souffrances. De plus en plus, les processus sont rapides, le changement «se doit» d’être immédiat : nous nous impré-gnons de ce nouvel impératif

qui inspire tant le social que le médical : il faut faire vite, trans-formation / utilisation / jetable ! Ces impératifs économiques et politiques sont en voie d’habiter nos pratiques professionnelles, voire, à terme, nos représenta-tions des pratiques profession-nelles.

Représentations du déniLe travailleur social qui souhaite avancer une parole sur l’alcool est souvent confronté au déni (déni d’alcoolisation, déni de souffrance, déni de difficulté avec l’alcool ...). Cette dimen-sion du déni fait appel, pour le professionnel, à la notion de résistance, ou d’évitement, de malhonnêteté, de mensonge. Il est souvent pris de façon très personnelle comme une mar-que de défiance, ou de rejet. Le principal obstacle à parler d’al-cool est dans la projection d’une ouverture hasardeuse, voire d’un dialogue impossible. Nos représentations du déni font obstacle. Le déni est la défense du sujet contre les représentations néga-tives et douloureuses que con-centre le mot d’«alcoolique», né au XIXème siècle et qui en charrie toute une histoire sociale. L’ex-ploration des représentations attachées au déni ouvre à des pratiques autres que celles, rela-tivement communes, de forçage («avouer» sa consommation) ou d’évitement («vous êtes un peu fatigué aujourd’hui») : respect de l’impossibilité de la personne à s’identifier à un «alcoolique», respect du temps nécessaire, travail sur l’estime de soi et ac-

compagnement qui permet, à terme, de rencontrer l’autre sur son propre terrain.

Le regard que portent les pro-fessionnels de l’alcoologie sur les personnes toxicomanesDes structures CSAPA s’ouvrent aux publics «addicts», parfois avec des salles d’attentes «mix-tes» alcool / psychotropes illi-cites. Les pratiques changent. Qu’en est-il du regard porté sur les publics ?Les publics «toxicomanes» sont souvent perçus par les profes-sionnels de l’alcoologie comme toniques, volontiers provo-cateurs, transgressifs, parfois violents, et qui s’identifient vo-lontiers à cette particularité de leur être qui appelle les produits psychotropes illicites et organise la vie autour de leur consomma-tion. Surprenant pour un profession-nel habitué, justement, à lutter pour NE PAS identifier ou ré-duire les clients de l’alcoologie à cette spécificité de leur consom-mation. Certains professionnels, le plus souvent travaillant dans de grandes structures qui font peu de place à la qualité de la relation, disent leur peur des toxicomanes. Ils ont le senti-ment de pouvoir être débordés par le débordement même des toxicomanes que rien n’arrête, qui s’agitent et transgressent, et acceptent mal - comme, par exemple, peuvent le faire les alcoolodépendants - de bercer le professionnel dans l’illusion d’avoir, seul, terrassé le dragon. Intraitables toxicomanes !

16

Pour les professionnels de l’al-coologie, tout cela, c’est décou-verte, curiosité, parfois même fascination. Les produits illicites, c’est du nouveau, c’est intéres-sant, même si ça fait peur ! Alors que leurs patients alcoolodépen-dants déplieraient «tranquille-ment», c’est-à-dire avec lenteur et le plus souvent avec persévé-rance, leur cheminement hors alcool, avec des micro-mouve-ments venant des profondeurs, qu’il faut savoir décrypter ... les nouveaux patients toxicos se-raient speed, exigeants, infor-més, turbulents, transgressifs.Les polytoxicomanes ne seraient, eux, ni ceci ni cela, ou ceci et cela, inclassables, obligeant à l’expé-rimentation et renouvelant la créativité des soignants et leur capacité d’investir de nouveaux champs de la réflexion. Renou-velant, surtout, leur curiosité sur l’environnement socio-économi-que qui a produit ces nouveaux et curieux montages.

Le regard que portent les professionnels de l’intervention en toxicomanie sur les personnes ayant un problème d’alcoolNous avons peu de demandes de professionnels des CSST pour se former en alcoologie. Ce que disent ces professionnels, c’est que l’alcool a toujours été pré-sent pour eux et dans la société, alors ils connaissent. Au mieux, s’agirait-il d’une réactualisation des connaissances. Les professionnels de la toxico-manie connaissent, comme nous tous, le produit et ses effets par l’usage et la culture, et n’ont donc pas besoin d’aller y voir de

plus près ... Mais puisqu’il s’agit d’accompagner / de soigner une dépendance, nous pourrions penser que l’intérêt d’un pro-fessionnel de la dépendance pourrait être éveillé. Nous nous interrogeons : y aurait-il une contamination des représenta-tions des publics, toxicomanes-chercheurs renseignés et poin-tus, sur les professionnels qui les accompagnent ? Les publics toxicomanes // alcoolodépen-dants sont réputés mal se sup-porter, ceux-ci trouvant ceux-là pleins de morgue, ceux-là trou-vant ceux-ci compliants à la limi-te du supportable. Comment ces représentations des publics en-tre eux rejaillissent-elles sur les professionnels, dans une boucle de renforcement qui ne favorise guère l’ouverture ? S’agit-il, peut-être encore, d’une «alliance» plus ou moins cons-ciente des professionnels avec leurs publics, qui favoriserait la relation soignante ? Voire même d’une vraie proximité de pensée et d’intérêts entre les professionnels et leurs patients, proximité d’intérêts qui aurait conduit les professionnels de la toxicomanie à fréquenter de très près les toxicomanes ? Tout cela est possible, et l’avenir dira dans quelle mesure une meilleure connaissance de la clinique alcoo-logique, un partenariat plus étroit (CSAPA), les évolutions des publics (rajeunissement des premières alcoolisations) et des modes de consommation (binge drinking par exemple), les évolutions des modalités d’accompagnement (réflexions autour du modèle de l’abstinence) ... modifieront quel-que chose à ces relations croisées.

Les conduites addictives : la formation de nouvelles représentationsLes CSAPA aujourd’hui ac-cueillent les cultures des vieux toxicomanes qui imprègnent en-core les murs des CSST, les jeunes polyconsommateurs, bien pré-sents sur la scène, et les consom-mateurs d’alcool qui viennent de plus en plus tôt évaluer leurs consommations. La question des représentations des soignants sur leurs publics est déterminante pour l’organisation du soin : par-tager des espaces en commun ? Partager le même secrétariat ? Partager les prises de rendez-vous infirmiers ? Partager une salle d’attente ? ... Elle l’est aussi pour les modalités relationnelles que ces transformations organi-sationnelles induisent. Peut-être le rapprochement des publics dans un même lieu contraindra-t-il les professionnels de l’illicite à regarder d’un autre œil les pa-thologies du licite ?Les représentations, construits collectifs forgés par l’histoire et par les rencontres entre les acteurs de l’histoire, ont besoin de temps pour se construire – et d’un temps long. Il est probable que les représentations induites par ce nouveau concept d’ad-diction, détaché qu’il est de la notion de produits, ne chassera pas les anciennes représenta-tions liées au produit lui-même et à sa culture. Les anciennes représentations ne disparaissent pas, mais viennent s’y articuler de nouvelles qui infléchissent les images et transforment de l’in-térieur le contenu de ces images. Nous sommes dans ce passage.

17

I N T E R V I E W

18

Quels types de représentations peut-on identifi er chez les alcoolo-dépendants ?La première diffi culté pour un alcoolo-dépendant, c’est de re-connaître sa maladie, l’accepter et faire une demande d’aide. Le problème en France, c’est qu’il existe un véritable déni autour de l’alcoolo-dépendance. Con-sommer régulièrement fait par-tie des usages. C’est socialement très bien accepté et cela fait partie de l’identité française. On peut être alcoolo-dépendant sans en avoir conscience ; c’est le cas de la majorité d’entre-eux. La représentation commune de l’alcool est d’être un produit qui fait du bien. C’est quelque chose qui permet de faire la fête avec des amis, d’être un homme ... C’est un produit qui améliore le quoti-dien, qui permet de se sentir à l’aise. Les gens en ont donc une représentation positive. Pour un alcoolo-dépendant, c’est même un produit magique dont il abuse. Les patients parlent souvent d’une lune de miel. C’est un pro-duit qui les a aidé à vivre pen-dant longtemps, qui leur a fait du bien. C’est une représenta-tion qui tient du registre de la passion, quelque chose qu’on aime et qu’on valorise. Parvenir à ne plus accepter le

produit oblige à faire un vrai travail psychologique de rup-ture. C’est aussi un long proces-sus de transformation de repré-sentation du produit. L’alcool, comme les autres psychotropes est un produit qui trahit la per-sonne dépendante car les effets positifs qu’il attend, il ne les res-sent plus. Au contraire, il n’en a plus que les inconvénients. Pour celui qui regarde la personne qui boit, c’est une évidence mais pour la personne dépendante, c’est diffi cile d’en prendre cons-cience. Il peut y avoir de la cul-pabilité, de la honte mais ce ne sont que les premiers pas pour pouvoir s’en libérer. Le premier problème pour un patient, c’est d’identifi er la maladie. Or, l’alcoolisme est souvent considéré du point de vue mo-ral comme étant un «vice». On ne le considère pas comme une maladie. Le chemin est souvent long, même après un premier sevrage. Il faut l’aide d’un mé-decin ou d’une association. Mais c’est souvent compliqué car il y a la peur. Les patients se disent : «Ces gens-là, ils vont me deman-der d’arrêter de boire, et ça j’en suis incapable ». Ils essayent de réduire leur con-sommation mais c’est très diffi ci-le. Il y a donc la peur d’en parler à un médecin. C’est souvent une

fuite. Le plus souvent, c’est une situation de crise qui amènera fi nalement le patient à faire le premier pas pour se soigner. C’est aux intervenants de nouer une relation de confi ance avec le patient. Cela se fait avec le temps car la question de la re-présentation ne se modifi e pas du jour au lendemain. Elle se fait par le contact, le dialogue, l’expérience. Au début, on ne veut pas y aller puis au fi l du temps, on se dit que nous aussi on peut s’en sortir et l’exemple des autres est essentiel.

Comment la société et ses codes peuvent ils impacter sur la personne qui souffre de l’alcool ?Il y a des déterminants sociaux importants. Nous sommes dans une société qui favorise la con-sommation et d’un autre côté ne prend pas vraiment en compte ce problème qui est massif. En France, il y a 45 000 décès liés à l’alcool par an.Les violences intra-familiales sont très souvent liées à l’alcool. Idem pour les violences sur la voie publique. Dans une société qui valorise l’alcool, en boire est synonyme de devenir adulte.Les adolescents boivent de plus en plus, ils peuvent s’alcooliser

Une parole qui libèreDepuis trois ans, Serge Nédélec est animateur d’un groupe de parole à l’hôpital Beaujon à Clichy (92). Cet ancien usager de produits est totalement abstinent depuis quatre ans. Serge Nédélec est co-auteur d’un ouvrage avec Philippe Batel «Alcool, de l’esclavage à la liberté» aux éditions Demos (octobre 2007). Ce livre regroupe une douzaine de témoignages de personnes

I N T E R V I E W

19

avec très peu d’argent. La socié-té y contribue par la législation, par la politique des prix, l’infor-mation donnée, l’éducation ... Dans la société chrétienne, le vin est associé au sang du Christ, c’est culturel. Je suis originaire de Bretagne, une région où l’on boit beaucoup, mais personne ne m’a éduqué au boire con-trairement à d’autres régions de France. Dans le sud de la France par exemple, dans les régions viticoles, il y a un apprentissage qualitatif sur le mode de boire du vin de génération en géné-ration qui peut avoir un effet limitant l’alcoolo-dépendance. D’ailleurs, ce sont souvent les ré-gions du nord et de l’ouest de la France où la consommation d’al-cool est plus importante. Pour les alcoolo-dépendants, les représentations que nous nous faisons par rapport au produit se modifi ent par un travail sur soi, souvent avec l’aide des autres au moment où nous arrivons à accepter de nous abstenir de boire, lorsque ceci devient une liberté personnelle acquise et non une contrainte subie. Cela fait quatre ans que je suis absti-nent et j’ai mis de la distance par rapport au produit. Malheureu-sement, beaucoup de gens n’y arrivent pas et regrettent cette période où ils consommaient malgré la dépendance et les souffrances qui l’accompagnent. Cela passe par une véritable transformation de la personne pour qu’elle se sente mieux dans sa vie sans avoir à consommer et ceci est un cheminement person-nel à faire avec l’aide des autres. Il faut comprendre et ressentir réellement les avantages que l’on peut avoir à vivre sans al-cool. Le regard de la société est

important. Aujourd’hui, le fait de ne pas boire n’est pas valo-risant même si les choses chan-gent progressivement. Fêter un évènement avec un jus d’orange au milieu des coupes de champa-gne, ce n’est pas valorisé. On est hors du coup. On est pas comme les autres. La pratique sociale de l’abstinence de tout produit alcoolisé reste dévalorisée dans notre société surtout pour les hommes. Cela fait référence à des valeurs sociales et culturel-les françaises ancestrales. Boire, c’est un rite culturel. C’est dif-férent pour certaines religions comme par exemple la religion musulmane. On sait que l’inter-dit religieux a une incidence for-te sur la consommation d’alcool des pratiquants.

Que permet le groupe de parole ? En quoi est-ce un outil pour faire «bouger» les représentations ?L’intérêt d’un groupe de parole, c’est pouvoir écouter ce que les autres ont à dire. Une cons-tante souvent, c’est la honte par rapport à la consommation du produit. Vivre avec la honte en-gendre un très fort isolement. Il est donc important d’avoir un lieu pour parler librement de ces diffi cultés avec l’alcool. C’est mettre des mots sur ce que l’on ressent sans se sentir jugé et ça c’est énorme. La prise de pa-role, c’est également un moyen de demander de l’aide. Dans un groupe de parole, les gens s’ex-priment en leur nom et utilisent le «je». C’est important pour l’expression de soi et l’écoute des autres. La seule légitimité que j’ai à parler de l’alcool, c’est ma propre expérience. Elle est vraie, elle est mienne. Je peux

la partager. Ce ne sont pas des paroles d’experts ou d’addicto-logues. Les gens prennent con-fi ance progressivement. Leur cheminement est intéressant. Le groupe de parole permet de transformer les représentations de peur, de développer l’envie de s’en sortir, en partageant le plus honnêtement possible ce que l’on ressent sans être jugé. Ar-river à dire, «je suis dépendant», ce n’est pas facile à «avouer» devant un médecin. Mais là, de-vant d’autres personnes qui sont elles-mêmes confrontées au pro-blème, c’est différent. C’est un endroit qui permet d’enlever peu à peu les couches de déni. Comment vous perçoit-on en tant qu’ancien alcoolo-dépendant ?C’est variable en fonction des personnes. Je ne porte pas de blouse blanche. Je m’appelle Serge. J’explique aux gens que je suis l’initiateur du projet. Je suis perçu comme quelqu’un qui a fait un bout de chemin, qui parle de ce chemin, un peu comme un ancien. Ma légitimi-té, c’est celle là. Il y a des gens qui me font confi ance, d’autres moins car ça suscite parfois de la «jalousie» ou de l’agressivité de défense. Des gens voudraient bien être à ma place. Certains ne supportent pas mon rôle de leader et veulent prendre le contrôle du groupe, mais ça fait partie du jeu ensemble. L’in-teraction est ce qui est le plus intéressant dans ces groupes. Ma priorité, c’est de veiller à la libre circulation de la parole et le groupe est co-animé avec une personne du service hospitalier qui joue aussi son rôle.

I N T E R V I E W

«Les retrouvailles : C’est l’histoi-re de deux personnes qui ne se sont pas vues depuis dix ans. À l’époque, c’était tout le temps la fête et aussi la galère, l’alcool, les drogues de toutes sortes. Dix ans après, un des copains a avancé, il a fait sa vie et est de-venu un père responsable. L’autre est resté fi xé au même stade, comme si le temps s‘était fi gé. Ces deux amis se rencontre par hasard dans la rue ...»«Je suis en enfer, viens avec moi : Ça se passe dans une soirée, une personne veut rester sobre et les autres veulent boire ...»«Le retour : C’est l’histoire d’un homme qui disparaît et qui re-vient au bout de trois ans, com-ment va se passer ce retour, va-t-on le reconnaître et l’ac-cepter ? ... » «Comment rencontrer quelqu’un sans substances : C’est l’histoire de deux amis qui se retrouvent dans un café, la substance est présente, entre eux ...»«Quand on s’enferme soi-même : C’est l’histoire d’une personne qui ne peut pas sortir de chez

elle, qui s’enferme avec son pro-duit, qui va s’en inquiéter ? ...»«L’oubli, promesses sans suite : C’est l’histoire de quelqu’un qui a promis quelque chose à un ami et qui ne peut pas tenir sa pro-messe ...»La plupart des scenari que nos patients élaborent lors des séan-ces mettent en scène le regard de l’autre et un profond senti-ment de culpabilité et d’impuis-sance. C’est souvent en partant des représentations des autres, des représentations sociales pré-gnantes liées à la consommation de produits que ces patients peuvent accéder à leurs propres représentations.

De la représentation socialeà la représentation individuelle La consommation de substances psychoactives exerce un certain pouvoir de fascination, c’est un support fécond à l’imaginaire social, le sujet addict est perçu comme différent évitant ainsi une identifi cation possible.

Les représentations sociales liées à l’addiction et aux consom-mateurs sont en général assez contrastées et quelques fois re-lativement paradoxales. Il existe en effet une stigmatisation de certains produits par rapport à d’autres qui sont banalisés si ce n’est acceptés socialement.De même, on observe souvent la non reconnaissance de la souffrance induite par l’addic-tion engendrant l’incompréhen-sion et le rejet des personnes concernées par ce problème. Ces personnes sont souvent perçues comme faibles, l’addiction est quelquefois cataloguée au rang des vices. Les représentations individuelles des sujets pris dans l’addiction s’opèrent en miroir de ce regard social. Le concept de faute, de ratage, celui d’être fondamentalement mauvais, la croyance toute puissante d’un pouvoir de des-truction d’objet engendrant un sentiment de culpabilité diffi ci-lement élaborable, voilà ce qui bien souvent les habite.

Précarité et toxicomanie, proposition d’une approche créative autour de la représentation du manque ... à être

Isabelle BARBANTIArt thérapeuteCSST La Corde Raide Paris (75)

Les groupes thérapeutiques à médiations avec des patients en C.S.S.T (1)

20

La proposition d’une aire d’ex-pression médiatisée, d’un espace intermédiaire du possible va peu à peu leur permettre d’ouvrir des fenêtres sur l’irreprésenta-ble, d’introduire de l’espace et du jeu là où tout semble figé.Dans le parcours de ces patients, il y a le produit qui vient faire symptôme, souvent le résultat de traumatismes précoces et répétitifs ayant entraîné une carence de la symbolisation, un manque de «représentance» in-trapsychique. La dépendance pouvant alors être le produit nécessaire de l’impossibilité à élaborer le pro-cessus de séparation.Cette carence fantasmatique liée à des défaillances structurel-les et/ou conjoncturelles, nous confronte souvent à l’acting, à la désymbolisation et à la dé-subjectivation. Les capacités autoréflexives sont affectées, les problématiques du dedans-dehors et l’al-térité restent à construire.R e p r é s e n t e r c’est rendre présent, don-ner forme et donc accéder au langage symbolique, ce-lui de la métaphore et de la mise à distance.Chez ces personnes se pose donc la question du désir. Selon J. La-can, «Le désir suppose la recon-naissance du manque, ainsi que celle du désir de l’autre comme conditionnant celui du sujet.»(2) Les conduites addictives sont un moyen d’éliminer tout désir,

d’en faire l’économie, de ne pas se considérer comme sujet dési-rant. Manque de représentations, pré-sences de parties clivées s’actua-lisant par de fortes inhibitions ou s’inscrivant dans des agirs compulsifs, voilà qui nous con-duit à penser à la nécessité pour ces patients de «faire histoire» et c’est ce qui leur est proposé au sein de ces petits groupes que ce soit par le biais du jeu drama-tique ou celui de l’écriture. Le groupeUne des particularités de ces patients pris dans la problémati-que addictive est qu’ils gardent à l’intérieur d’eux-mêmes la plus grande partie de leur «destructi-vité» sans pouvoir la projeter à l’extérieur. Malgré cela ils peuvent, pour la plupart, s’inscrire dans des rela-tions socialisées avec d’autres au sein d’un groupe.

La proposition de prendre place dans un groupe va permettre au sujet la ren-contre avec d’autres ainsi qu’avec lui-même, à tra-

vers la médiation, dans le plaisir du jeu partagé. Il se retrouve au centre de la di-mension imaginaire induite par la médiation et de la dimension symbolique de la parole posée sur ce qui vient de se jouer, de s’écrire, de se lire. Pour D. Anzieu, la fonction fon-damentale du groupe est d’être

avant tout «un lieu de dépôt, un réceptacle accueillant et non réagissant». C’est justement ce processus de dépôt qui rendra possible l’accès à la créativité pour chacun. O. Avron(3) élabore, quant à elle, le concept de «pulsion d’in-ter-liaison», désignant ainsi la liaison entre les membres d’un groupe sous forme d’une pro-vocation énergétique mutuelle, d’actions-réactions réciproques entre les sujets présents. Elle nous parle également «d’ef-fets de présence», à la différence des effets d’absence. Le jeu l’écriture et la parole deviennent alors, au sein du groupe une force de présence des absents intriqués dans les constructions fantasmatiques des sujets.Le groupe fait office de support à l’identification, par le transfert latéral sur les autres. Se laisser féconder par la pro-duction d’un autre permet de relâcher les résistances. C’est la notion du partagé, ce que l’un dit, joue, écrit, va ve-nir faire écho chez un ou des autres. La mise en groupe donne alors au sujet la possibilité de deve-nir thérapeute pour un autre, stimule sa capacité à fantasmer, crée un espace de jeu intersub-jectif et permet donc l’accès à la reconstruction de représenta-tions différentes de celles persé-cutrices pour lui. Le passage par le collectif per-met ici d’accéder à la dimension individuelle.

21

Les médiationsL’utilisation de médiations doit être comprise comme pouvant relancer les processus de figura-tion chez des sujets carencés à ce niveau. Ces médiations représentent un champ transitionnel où le corps est en jeu, elles provo-quent une mise en tension des registres corporels et langagiers, viennent étayer les processus de figuration et donc de liaison et renforcent les facteurs de diffé-renciation. Cela va permettre au sens pro-pre le passage par l’acte à la dif-férence du passage à l’acte dans lequel s’inscrivent bon nombre de ces patients. Le choix de jeu et de l’écriture part de la possibilité d’identifi-cation puisque mettant en scène des personnages, des histoires, des sentiments et des émotions, donc la dimension identitaire de chacun. Quand le sujet est confronté à ses productions fantasmatiques, il a la possibilité de s’en recon-naître l’auteur. Remettre en forme des émo-tions, des flux de colère puis-sants, indicibles et inadressa-bles va lui permettre un travail

sur l’exclusion du langage de cette «jouissance hors-la-loi»(4) laquelle est repérable, entre autres, par les traces faites au corps. Mettre en forme ce qui est resté jusqu’à présent du do-maine de l’informe, va ouvrir la voie à la mise en langage, aux représentations étayées par les traces créatives que ces patients vont produire au travers du jeu et de l’écriture.

Le jeu«C’est en jouant et peut-être seulement quand il joue, que l’enfant ou l’adulte est libre de se montrer créatif». (5) Face à des blessures en attente de symbolisation, le jeu va per-mettre de rejouer les réactions anti-traumatiques dans l’excès du trop ou du pas assez. P. Jeam-met nous dit à ce propos que le jeu permet de ré-intérioriser son théâtre intérieur. C’est un aimant pour la symbolisation. Le jeu dramatique est une action figurée qui vient mobiliser le corps, les affects, les représenta-tions, il est ici comme un outil permettant le passage de l’alié-nation à la structuration.«On peut tout jouer», est la proposi-tion qui est faite aux patients à

chaque début de séance, on peut tout jouer puisqu’on est dans le registre du «faire semblant», du simulacre. Le réel est ainsi bas-culé dans la fiction, la dimension imaginaire est stimulée en même temps que la présence réelle du corps. Le tout jouer ne signifie en aucune manière le tout faire. Le cadre est énoncé et en particulier la règle d’abstinence du toucher, dans le jeu on ne se touche pas, là aussi on fait semblant, respec-tant ainsi les limites de chacun et la dimension symbolique. Du groupe de patients, un thème émerge, de ce thème une histoire voit le jour. C’est cette histoire qui va être cons-truite sur la base des trois uni-tés théâtrales un temps, un lieu, une action, devenant ainsi jouable. Des personnages sont créés et chacun endosse un rôle. La scène est ensuite jouée une fois, puis une deuxième fois où chacun va changer de rôle, expérimentant ainsi un autre éclairage, une autre vi-sion dans une même situation.Personne n’est contraint au jeu. Il existe la possibilité de rester spectateur, dans ce cas, la person-ne fera ensuite état de ses éprou-vés, de ce qu’elle a ressenti face à cette scène jouée devant elle, ce qui lui permet d’être aussi dans une implication d’elle-même. La parole vient ensuite prendre le relais du jeu, il s’agit d’un temps pour dire, mettre des mots sur ce qui s’est passé dans le jeu, les vécus et les ressentis personnels. C’est un espace ouvert aux éla-borations individuelles et collec-tives qui vont, le plus souvent, permettre la création d’une autre histoire à jouer.

22

L’écritureTout comme le jeu, l’écriture rend présent l’absent, en cela, c’est également un espace tran-sitionnel. L’écriture permet de faire re-présenter chez l’autre du non-représentable en soi et ceci par l’instauration d’un temps com-mun d’écriture individuelle et la mise en commun des textes par un temps de lecture. Ce que l’un écrit résonne chez les autres, permettant ainsi le partage de ce que le sujet pense souvent comme non partagea-ble, notamment le vécu de so-litude qui revient souvent dans les écrits de ces patients. L’écriture peut devenir un au delà de la parole, un exercice mêlant spontanément l’effort, la spontanéité et la traçabilité. La proposition d’écrire, à la condition que cela soit possible pour le sujet, peut permettre de déplacer une angoisse de fond vers une angoisse de forme, de reprendre confiance en soi et de se surprendre grâce à un mode d’expression jusque-là inconnu.Là aussi il s’agit de partir du col-lectif pour arriver à l’individuel, un thème choisi par le groupe aboutit à une écriture et à une

lecture individuelle, puis à une lecture croisée, entendre son texte lu par quelqu’un d’autre c’est l’entendre autrement.«Dans l’écriture, le mot, la re-présentation de mot, se fait représentation de chose, repré-sentation-chose d’un statut par-ticulier dans laquelle l’enfant latent va retrouver certaine par-ticularité du temps originaire de son rapport matériel premier au mot et à l’air qui le porte.» (6) La progression des thèmes choi-sis par les patients est illustrative d’un cheminement reconstructif : l’identité, la genèse, l’enfance, l’apparence, la parole, la vérité, les souvenirs, le recommence-ment, la solitude, gentillesse/ méchanceté, l’amitié, se mettre à la place d’un autre, la rencon-tre, comment les autres nous perçoivent-ils ?... Les capacités créatives de ces sujets qui se révèlent à travers l’acte de jouer ou d’écrire leur permet une réappropriation identitaire et narcissique non négligeable. La fonction miroir du groupe joue ici un rôle im-portant, reconnaître l’autre dans sa différence tout en conservant des possibilités d’identification, facilitées par le support de la

médiation, est un passage fon-damental vers l’altérité. Le pas-sage par ces médiations va per-mettre au sujet de trouver ce qui l’anime, de vivre de nouvelles expériences et de se surprendre lui-même, là où il ne s’y attend pas. Ces médiations mobilisent le corps autant que la psyché. Elles renvoient directement au concept de l’image inconsciente du corps (7) - qui est une mé-moire inconsciente du vécu rela-tionnel, inter-relationnel et nar-cissique qui peut se dissimuler ou s’actualiser dans la relation par toutes formes d’expression comme le langage, mais aussi le geste et toutes formes d’expres-sions où l’imaginaire est mis en scène - ainsi qu’à celui de nar-cissisme positif (8) évoqué par A. Eiguer et qui soutient l’idée d’un narcissisme «au service de la vie» qui fonde, entre autres, le sentiment d’identité. Devenir créateur, dans l’espace des séan-ces, d’une histoire, d’un person-nage, d’un texte, dans le contex-te d’une expérience partagée a une fonction structurante pour le sujet dans sa dimension per-sonnelle et sociale.

(1) Centre spécialisé de soins aux toxicomanes La Corde Raide, Paris 12e

(2) J. LACAN, L’Ethique de la psychanalyse, Séminaire, Livre VII, Paris, Seuil, 1986

(3) O. AVRON, la pensée scénique, groupe et psychodrame, Ramonville Saint-Agne, Eres, 1996

(4) M. GUILLEMIN, Addictions et psychanalyse, Janvier 2008

(5) D.W. WINNICOTT, Jeu et réalité, l’espace potentiel, Paris, Gallimard, 1975

(6) R. ROUSSILLON, Agonie, clivage et symbolisation, Paris, PUF, 1999

(7) F. DOLTO, L’image inconsciente du corps, Paris, Seuil, 1984

(8) A. EIGUER, La folie de Narcisse, Paris, Dunod, 1991

23

Éric Hispard

Le docteur Hispard est médecin alcoologue au CCAA CAP14 et à l’hôpital Fernand Widal à Paris (75). Pour travailler sur les représentations autour de l’alcool avec les patients, il utilise notamment comme support les albums de Tintin. Ce travail thérapeutique a donné lieu à un livre «Tintin et l’alcool» paru en 1995.

Une bande dessinée analysée à la loupe

24

Comment avez-vous travaillé sur ce projet et quelles ont été vos conclusions concernant les représentations liées à l’alcool ?Nous étions à l’époque un grou-pe de deux soignants et de qua-tre patients et nous faisions une réunion tous les quinze jours où chacun validait ce qu’il avait vu ou remarqué dans les bandes dessinées d’Hergé. C’était un regard presque obses-sionnel sur la manière dont Her-gé avait abordé ce thème. Un exemple avec «Le Crabe aux Pinces d’Or», l’album où le capi-taine Haddock rencontre pour la première fois Tintin. Nous avons observé qu’il y a 21% des images dans lesquelles fi gure l’alcool ou des situations d’alcoolisation. C’est une vraie bible. Sur l’ensemble de l’œuvre qui compte 22 albums, il y a 6 à 7% d’images en moyenne qui sont liées à l’alcool. Parmi ces ima-ges nous avons repéré 38 scènes d’ivresse dont 16 appartiennent à Haddock et deux à Tintin. Il y a également 39 scènes de frustration où les personnages ne peuvent pas s’alcooliser, il

s’agit là aussi le plus souvent d’Haddock. Ce sentiment de frustration est illustré par exemple lorsqu’un verre se casse. Il y a 16 scènes de manque qui montrent la souffrance de celui qui ne peut pas boire, de celui qui est dépendant. Il y a également 2 scènes où Tin-tin fait boire Haddock pour ob-tenir ce qu’il veut notamment dans «l’Ile Mystérieuse» et dans «Tintin au Tibet». On peut aussi observer des situa-tions où l’alcool est vécu comme médicament. Au total, Hergé a décrit la diffi -culté de la dépendance à l’alcool, la notion d’abstinence, la culpa-bilité, le regard des autres ... En cela, Hergé peut être consi-déré comme le premier alcoolo-gue. Hergé a décrit la subtilité du manque, du bien, du mal. Il y a une trilogie dont je me sers toujours avec les patients. C’est «L’Affaire Tournesol», «Coke en stock» et «Le Crabe aux pinces d’or». Dans «L’Affaire Tournesol», il y a un moment extraordinaire où

pendant quatre ou cinq pages Haddock tente de rentrer en contact avec une bouteille de vin blanc. Il y a trois personnages et la bou-teille de vin. Pour Haddock qui n’arrive pas à boire, Il y a une frustration. Au moment où il peut enfi n con-sommer, il y a une explosion. Les secours arrivent. Il veut à tout prix sauver la bou-teille. Il arrivera fi nalement à la sauver et à la consommer. Ce n’est qu’après qu’il pensera à ses amis qui sont sous les décom-bres. Dans «Coke en stock», on obser-ve un changement d’attitude. Tintin et Haddock sont dans le désert suite à un crash d’avion.Haddock ne va plus privilégier sa bouteille mais ses amis. Dans l’histoire d’Haddock, c’est le moment de la bascule théra-peutique. Dans les albums qui vont suivre, son alcoolisation sera plus mo-dérée. Un médecin légiste s’était inté-ressé aux coups et blessures por-tés dans l’œuvre d’Hergé.

I N T E R V I E W

Haddock peut être violent, mais aussi victime de violence. À son arrivée dans le 8ème album de l’œuvre, on se rend compte que les 4 autres personnages sont globalement moins agressés, comme si sa présence servait de paratonnerre à la cité comme bien de nos patients. Il est aussi à noter que le seul ouvrage où il n’y a pas d’alcool est le «Lotus bleu», dédié à l’Opium. Par con-tre, dans les dessins animés de Tintin, la question de l’alcool est quasi-inexistante et a donné lieu à des modifi cations de scénarios. Avec ce regard et au-delà du strict comptage des scènes, nous avons fait de nos travaux une pu-blication internationale. Nous les avons exposés à Oslo et dans de nombreux colloques francopho-nes. Le livre «Tintin et l’alcool» qui s’appuie sur cette étude et retraçant avec beaucoup de res-pect le travail avec les patients a été interdit suite à une déci-sion de justice. Bertrand Boulin, auteur du livre avez pris contact avec la veuve d’Hergé pour pu-blier le livre «Tintin et l’alcool» aux éditions Chapitre douze. Mais les éditions Moulinsart n’ont pas supporté cette proposition et ont porté plainte. Le livre a été retiré de la vente et pilonné au droit moral alors qu’il s’agissait malheureusement d’une affaire commerciale et non éthique. Les droits du livre devaient être re-versés à une association.Pour réfl échir sur les représenta-tions de l’alcool et des produits psychoactifs avec les patients, nous avons pris l’habitude de tra-vailler avec différentes bandes dessinées dont Tintin mais aussi «Blueberry», «Treize», «Largo

Winch’ ainsi que sur des œuvres cinématographiques, comme l’œuvre de Louis Malle qui est particulièrement intéressante de ce point de vue. Le travail thé-rapeutique à partir de ce type de support permet aux patients d’avoir une meilleure acuité, de décoder les images, de s’arrêter sur les scènes où l’alcool et les autres produits sont en représen-tation. Cela fait avancer les men-talités et cela permet d’être un peu moins dupe.

25

I N T E R V I E W

Quel regard portiez-vous sur les alcooliques avant le tournage du fi lm ? Je n’étais pas forcément épar-gnée par les stéréotypes avant le tournage. Je ne suis pas du style à juger moralement mais j’étais ignorante et même méfi ante. Je me sentais souvent mal à l’aise face à quelqu’un de «bourré». Non seulement ces gens sont malades mais il y a en plus une vraie dépendance comme pour la drogue. C’était quelque chose que je n’avais pas forcément intégré. Ils ne peuvent pas s’en sortir seuls. Ce n’est pas seulement qu’une question de volonté. Autour de soi, on entend souvent dire que ce sont des gens qui n’ont pas de volonté. Or ils sont dignes d’ad-miration lorsqu’on voit leurs parcours. Ce qui est terrible c’est que même lorsqu’on s’en sort, on peut encore être jugé. L’en-jeu pour eux, c’est de changer de vie. Ce n’est pas rien. Ce sont des années de travail.

Quels objectifs vous êtes vous fi xés avec ce fi lm ?On aimerait toujours qu’un do-cumentaire puisse faire chan-ger les mentalités, qu’il puisse modifi er notre regard sur des gens que l’on considère souvent

comme des moins que rien. Il y a beaucoup de mépris vis à vis des alcooliques. Ce sont des gens malades qui méritent le respect. C’est un univers que l’on ne connait pas. Il y a beaucoup de stéréotypes qui circulent. J’avais envie de montrer qu’un alcoo-lique, ce n’est pas un clochard. Le fi lm n’est pas sur l’alcoolisme mais sur la manière dont on peut s’en sortir. C’est ça qui m’intéres-sait avant tout. Je n’ai pas voulu que ce fi lm soit une somme d’informations mais un partage d’expériences. Ce qui fait la dif-férence, c’est le temps que l’on a passé avec eux. Ce n’est pas un travail de journaliste. Il y a une différence entre un reportage et un fi lm documentaire. Ce sont deux démarches différentes. Un reportage consiste à penser en amont le sujet. C’est par exem-ple un commentaire qui donne des infos sur l’alcoolisme avec des données chiffrées. Les témoi-gnages vont illustrer un propos écrit à l’avance. Ce qui me gène dans le reportage, c’est que fi -nalement les témoins devien-nent l’illustration d’eux mêmes. Nous, nous avons voulu privilé-gier le temps passé avec les ma-lades. On a pris le parti de ne pas procéder à des interviews. On a voulu être présent pour qu’ils

nous racontent leurs histoires. Il n’a pas été facile de trouver des gens qui acceptent de témoi-gner. J’ai trouvé des hommes mais quasiment pas de femmes. J’ai suivi régulièrement des réu-nions d’Alcooliques Anonymes, des groupes de paroles. J’ai ren-contré beaucoup de monde. Les rencontres, c’est quelque chose d’intuitif. Certaines personnes ont refusé de témoigner à vi-sage découvert. Le but du jeu, ce n’était pas de mettre les gens en danger. L’alcool, c’est un su-jet qui concerne tout le monde. Pour le grand public, l’alcoo-lique c’est forcément l’autre. Comment avez-vous réussi à obtenir la confi ance des malades ?Ce n’est pas simple d’être fi lmé. La caméra, ça impressionne. Il y a un stade à dépasser. Au départ, les patients vont jouer leur histoire, ils vont la raconter différemment. Et fi nalement, au fi l du temps, ils oublient la présence de la caméra. Ils ne sa-vent plus lorsqu’on tourne. Les relations deviennent de plus en plus naturelles. Ils vont nous ra-conter leur histoire. C’est long à mettre en œuvre mais ce sont des gens qui savent ce que c’est de prendre son temps.

Le regard d’une caméra

Aurélie Berthier et Elodie Brillon sont réalisatrices de documentaires. Leur fi lm «L’ivresse du silence» (distribution «les fi lms d’un jour») qui recueille des témoignages de personnes alcoolo-dépendantes est le fruit d’un travail de quatre ans. Il se déroule en grande partie à l’hôpital des quatre villes de Saint-Cloud.

Aurélie Berthier et Elodie Brillon sont réalisatrices

Aurélie Berthier

26

I N T E R V I E W

Un des témoins ne boit plus mais il sait qu’il reste alcoolique à vie. Demain, il peut retomber. C’est intégré dans sa tête. C’est com-me la cigarette. Ce n’est donc pas un soin de courte durée. Saint-Cloud a été un des pre-miers hôpitaux à comprendre ça. C’est tisser des liens dans le temps en incluant dans le pro-cessus de soins la présence de personnes rétablies. Il existe une association au sein de l’hôpital qui organise des groupes de parole.

Quel regard portaient les témoins sur vous, sur votre travail ?On a passé un mois entier à l’hôpital avec des gens qu’on ne connaissait pas. On n’a pas voulu déposséder les gens de leur cure. On ne voulait pas qu’ils jouent le personnage d’un malade qui vient d’être hospitalisé. Nous n’avons pas transformé la salle de réunion en studio télé. On a utilisé du matériel léger. On leur a expliqué notre objectif et qu’on respecterait leur ano-nymat. Ils nous ont oubliés assez rapidement. On a fi lmé des gens en réelle discussion de groupe autour de l’alcool. La problématique, ce n’était pas de faire un fi lm mais c’était de suivre le programme d’une cure. Beaucoup ont été échaudés par certaines émissions de télévision qui abordent la question. Mais ils se sont aperçus que nous vou-lions faire les choses différem-ment. Il y a eu par la suite une vraie en-vie de collaborer. Ils étaient très contents que l’on soit là, qu’on les écoute. Nous avons côtoyé une quaran-

taine de personnes. Personne n’était obligé d’être fi lmé. Nous pensions que l’on aurait du mal à aller dans leurs chambres. Finalement, nous avons pu le faire.

Avez vous ressenti au cours du tournage une différence de comportement selon l’âge, le sexe ?Il y a clairement une différence entre les hommes et les femmes. Pas dans la parole et dans la ré-fl exion sur soi mais plutôt dans la façon de vivre l’alcoolisme. Il existe encore certains stéréoty-pes qui s’avèrent vrais. Les hommes ont plutôt un al-coolisme social, les femmes ont plutôt un alcoolisme solitaire. Il y a un double jugement pour les femmes. Un homme qui boit au café du coin avec ses copains, ça reste un peu «bonhomme». Ça fait partie du truc, «voilà je suis un mec je supporte l’alcool». On prend ça à la rigolade. Les femmes, elles, se cachent pour boire. Elles sont plus mal jugées que les hommes. Pour les femmes, c’est une honte. Dans la dynami-que de soins, les gens sont très solidaires entre eux. Ils peuvent tout dire aussi bien aux théra-peutes qu’au voisin d’à coté qui a le même problème. Sinon à qui en parler à l’exté-rieur ? On est jugé tout de suite. Avec les thérapeutes, c’est une vraie libération. Ils se sentent à l’aise très vite. C’est ça qui m’intéressait. L’hôpital, c’est tabou, l’alcooli-que c’est aussi tabou. L’hôpital, ça fait peur, c’est le début de la fi n. Ce que j’aime dans ce service, c’est un vrai dé-part vers autre chose. L’objec-tif, ce n’est pas de s’arrêter de

boire, c’est de s’autoriser à vivre. Ça doit être le point de départ d’une nouvelle vie. Ce n’est pas l’alcool qui m’inté-resse, c’est le mécanisme de la dépendance. Qu’est qui fait que je bois ? Il y a souvent un pro-blème psychologique. Ils ne sont pas bien dans leur vie. Ils s’autodétruisent d’une ma-nière ou d’une autre.

Quel regard ont-ils sur une société qui est souvent hypocrite sur le sujet ?On sent que le problème est lourd à porter pour eux. Ils le di-sent eux-mêmes. Lorsqu’ils ressortent, ils sont confrontés à la vraie vie, sou-vent seuls. C’est souvent diffi cile de ne pas rechuter. C’est tellement facile d’avoir une bouteille sous la main. Mais ils n’ont pas d’animosité par rapport à ça. Ils en sont cons-cients. Ce n’est pas parce qu’ils sont malades qu’ils pensent qu’il faut interdire à tout le monde de boire. Ils savent que c’est eux et que pour eux, c’est «alcool zéro». Ils doivent se soigner et en plus ils doivent faire attention à ne pas être jugés, ce qui n’est pas facile. Ils ne disent pas, c’est de «la faute à la société». Ils font la part des choses même si la société ne les aide pas. Ils savent que s’ils ne sont pas res-ponsables de la maladie, ils sont responsables du soin. Soit, on se laisse aller ou on se bouge pour s’en sortir. Ce sont des gens vraiment cou-rageux. Il est plus facile de rechuter que de s’en sortir.

27

I N T E R V I E W

À peine entrés au salon, encore hésitants sur la façon dont nous allons explorer ce lieu, nous sommes interpellés par un pre-mier vigneron nous proposant de nous faire goûter son cru. Ici il est possible de goûter sans prendre le temps de découvrir le lieu, les produits et ses ex-posants. La distance séparant le premier pas empruntant la porte d’entrée du salon de celui amenant à la première consom-mation d’alcool est extrême-ment courte. Ce rapide «abordage» de l’al-cool soulève une première ques-tion que nous soumettons à vo-tre réfl exion. Cette possible et rapide con-sommation d’alcool peut-elle avoir des conséquences négati-ves chez les usagers, notamment chez les personnes qui n’ont pas l’habitude de boire ?Curieux d’en savoir plus, nous tentons de nous décharger de cette question et poursuivons notre promenade. Nous essayons de repérer le vi-gneron dont l’approche nous semble plus facile. De façon purement subjective, nous faisons le choix de nous adresser tout d’abord à une

femme vigneronne. Après une courte présentation nous nous permettons de poser notre question.À la question : «Connaissez vous l’existence d’une association de prévention créée par les alcoo-liers, avec laquelle vous avez déjà travaillé où de laquelle vous avez reçus des consignes», la réponse est sans hésitation un «Non». Notre interlocutrice poursuit en indiquant que les seules con-signes reçues concernent les produits toxiques non autorisés dans la fabrication. Cette réponse nous permet de formuler l’hypothèse suivante : La prévention des risques asso-ciés à la consommation d’alcool leur semble inconnue.De nouveau en route, nous ren-controns d’autres vignerons. Aux ton et mots employés, nous comprenons que notre approche met mal à l’aise. Sans être reje-tant, ils sont sur la défensive. Nous supposons que notre ques-tion pourrait, du point de vue des vignerons, déranger les visi-teurs dans leur dégustation.Face à cette gêne, nous ressen-tons le risque de nous faire ex-clure du salon.

Alors, nous tentons de garder notre tranquillité et préserver notre aimable sourire, tout en surveillant «nos arrières». Nous n’insistons, ne cherchons pas à obtenir une réponse pré-cise lorsque la prise de parole des vignerons prend une voie inattendue, pour ne pas dire dé-tournée. Après avoir posé notre question, nous écoutons ce que les vignerons ont à nous dire et ou à nous montrer.Nous prenons le temps de nous intéresser aux sujets évoqués par les vignerons, espérant ainsi mieux connaître leur façon de considérer les choses et de com-prendre leur logique.«J’étais dentiste avant d’être producteur. Je sais ce que c’est. Un ou deux verres c’est bon pour la santé. Ceux qui ont un problème avec l’alcool sont des gens qui sont psychologique-ment perturbés». Ce vigneron se considère comme un profes-sionnel formé, qui sait ce qu’il fait et maîtrise ce qu’il fait. Il est persuadé que la consommation d’alcool est une bonne chose pour la santé. Selon lui, la con-sommation d’alcool peut pré-senter un problème uniquement chez les gens «déséquilibrés».

Promenons nous au salon des vignerons ... Dis, gentil vigneron, Est-ce que l’alcool est dangereux pour la santé ? Est-ce que la dégustation est aussi féroce que le loup ?

Karine LECOCQPsychologue sociale au réseau RESSOURCE - Clamart (92)Administratrice de la F3A

28

«Nous faisons du vin bio. Regar-dez, nous avons un article dans le journal ... Nous nous tournons vers la biodynamie. Le problè-me c’est qu’avec ça (entendre le mot prévention) on risque de plus rien faire. Bientôt, il va falloir arrêter la fabrication du fromage parce que ça donne du cholestérol ...». Avec toute l’attention portée à la santé des personnes et de la nature, ce vigneron ne conçoit pas faire de mal à qui que se soit. Ne mettant que de bonnes choses dans la fabrication de son vin, il ne pense pas faire un produit pouvant avoir des effets négatifs. Le plaisir qu’il apporte à l’homme est le seul aboutisse-ment de son travail. «Les gens qui viennent ici ne viennent pas pour se saouler ... ils ne sont pas idiots. On sert un fond de verre, ce n’est pas avec ça qu’ils peuvent se saouler». Pour les vignerons, l’ivresse est une question de quantité. Le fait d’être un homme ou une femme, consommateur inexpé-rimenté ou habitué ne compte pas ... à partir du moment où on est une personne intelligente.«La bouteille est vendue au prix minimum de 6 euros. À ce prix, les gens n’achètent pas du vin à boire au quotidien. Ils achètent pour boire le week-end, tran-quillement chez eux ou avec des amis. Celui qui veut se saou-ler achète au supermarché une bouteille à 1,50 euro».Pour les hôtes du salon, l’al-coolique est perçu comme une personne qui boit tous les jours, plutôt seule et à moindre coût.«Nous ne connaissons pas d’or-ganisme de prévention. Par con-

tre nous apprenons aux gens à déguster ... à sentir, goûter et recracher pour ne pas avaler».Ce vigneron nous rappelle le côté éducatif de son travail. Il fait découvrir des odeurs et des saveurs qui se perdent. Il explique la géologie et la cli-matologie de sa région. Il dé-ploie son art pour parler des dif-férents vins qu’il fabrique. Avec un accent chantant, il vous em-porte pour un voyage à travers son pays.Lorsque nous questionnons les vignerons sur la réaction qu’ils auraient en voyant un adulte proposer à un enfant de goûter dans son verre, ils répondent : «Personne ne vient avec des en-fants. On en voit un ou deux par salon. Si un parent voulait faire goû-ter à son enfant, on s’y oppose-rait». Lorsque nous abordons le sujet de la femme enceinte, la répon-se est du même genre (le dessin contrindiquant la consommation d’alcool chez la femme enceinte est de taille 7x7mm, sans lunette l’espoir de le voir est vain !).Car bien évidemment, le temps d’un début de grossesse et l’âge d’un enfant mineur se lit sans la moindre diffi culté !Sur certains stands nous obser-vons la présence d’un objet qui n’est pas sans rappeler le cha-peau noir haute forme du ma-gicien. Cet objet se nomme un crachoir. Après avoir appris l’intérêt de cet objet, nous nous étonnons de ne pas en voir sur tous les stands où la dégustation est possible. Le loup serait-il donc là ? En ne recrachant pas le vin goûté

d’une première, d’une seconde puis d’une troisième bouteille ouverte sur le même stand, le visiteur a-t-il plus de risque de se retrouver dans un état de perte de réaction et de se laisser in-fl uencer à acheter ...?Une heure s’est écoulée depuis notre arrivée au salon. Les visi-teurs sont de plus en plus nom-breux. Pour nous, intervenants en ad-dictologie, le temps est venu de nous retirer. Nous en avons vu et entendu assez pour nous faire une idée des représentations que les vi-gnerons ont de l’alcool et de ses consommateurs. Leurs représentations particu-lièrement éloignées des nôtres rendent-elles toute idée de rap-prochement illusoire ?

29

En tant que socio-anthropolo-gue, individu et société ne se comprennent qu’ensemble. Il y a une double inscription de toute personne dans une vie indivi-duelle (ou psychique) et dans une vie collective (ou sociale). Il s’agit dans ce court article de mettre en relation conduites addictives et transformations sociétales ; avec pour question centrale : pourquoi y a-t-il une augmentation des conduites ad-dictives dans nos sociétés ?Que l’on parle de la notion de drogues ou de celle des addic-tions, nous ne pouvons ignorer la part sociétale prise dans leur défi nition. La drogue, ou les termes équi-valents, ne désigne pas une ca-tégorie scientifi que ou pharma-cologique. Elle se réfère plutôt à une catégorie socialement construite qui refl ète la manière dont une société décide de trai-ter une substance. Un même produit n’est pas traité de la même manière dans d’autres sociétés (l’exemple le plus clas-sique étant celui de l’alcool ou du cannabis dans les sociétés du Maghreb) ou dans d’autres épo-ques d’une même société (le ta-bac lors de son arrivée au 15ème siècle en France était prescrit, le chocolat interdit !). Cela im-

plique une classifi cation des substances faite par la société, pas uniquement sur des critères scientifi ques notamment sur des critères de dangerosité. Actuel-lement, la frontière est ténue entre produits prescriptibles (ceux autorisés et prescrits par les médecins), produits licites (autorisés dans certaines condi-tions par la loi) et produits illici-tes. En matière de poly-consom-mations, nous savons tous que les médicaments et les produits licites en font partie. Il n’en reste pas moins qu’une loi existe (décembre 1970) qui dit quels sont les produits qui sont inter-dits à la consommation et qui fi xe, non sur des critères de dan-gerosité, quelles personnes sont délinquantes et/ou malades.La notion d’addiction a com-mencé à connaître une certaine fortune dans les années 1990, quelques vingt années après les Etats-Unis. Cette notion n’est pas arrivée en France juste par avancée des connaissances scien-tifi ques. On peut faire l’hypothèse que la société française était alors prê-te à accueillir la base essentielle qui constitue la notion d’addic-tion : il s’agissait d’être moins at-taché aux données pharmacolo-giques ou neurobiologiques des

produits et plutôt de regarder les comportements individuels et sociétaux. Aujourd’hui, cette notion ne cesse de s’élargir pour toucher divers domaines de la vie publique et quotidienne (addiction aux toxiques mais aussi au jeu, au travail, au sexe, à l’amour, ...). Tout cela pour dire la complexité de ce concept et du mot même d’addiction : ce mot ne provient pas comme beaucoup le suppose encore du terme anglo-saxon «addiction» mais du latin «addictere» dont la défi nition est «donner son corps en gage pour une dette impayée». Ceci peut permettre d’éclairer la dimension pulsion-nelle, la culpabilité et le rapport au corps qui sont en jeu dans les addictions, sorte de contrainte de consommer ou d’agir, quel que soit le produit ou l’activité, qui engage le corps. Tout au long des sociétés et des époques, il nous semble pouvoir déceler différentes fi gures de consommation de produits. De la fi gure religieuse, où le pro-duit sacré répondait au besoin des hommes de communiquer avec les Dieux ou les ancêtres au travers de leurs mythes fonda-teurs, ou de la fi gure artistique, où le produit est culturellement indispensable à l’imagination, à

Addictions : La société en question

Catherine HerbertSocio-Anthropologue - CERREV, Centre d’Etude et de Recherche sur les Risques et la Vulnérabilité. Université de Caen (14)Médecin - CSST - Centre Hospitalier spécialisé du Bon Sauveur de Caen (14)

30

la création, au lien avec l’au-delà (le célèbre club des Haschis-chins en reste la figure illustre).Les années 70 ont vu apparaître une figure plus politique du con-sommateur, sorte d’explorateur (entre autres de ses sensations), d’aventurier ou d’anarchiste re-belle qui manifestait ainsi son rejet de la société (rigide et pa-ternaliste disaient-ils) et pensait créer une contre culture. Bur-roughs, Kérouac, les commu-nautés hippies, restent les figu-res marquantes de ces années de contestation. Dès les années 90, cette image mute en une figure que l’on pourrait décrire comme étant plus individualiste voire narcissique de la consommation de produits. Individualiste, car il s’agit pour chacun d’amélio-rer son bien-être et de s’appor-ter du plaisir. Narcissique, car il s’agit pour certains de faire taire un mal-être et de trou-ver des béquilles pour étayer un narcissisme chancelant. Les produits utilisés et les compor-tements qui les accompagnent ne sont d’ailleurs plus tout à fait les mêmes. Des euphorisants et hallucinogènes principalement consommés dans les années 70, nous voyons se développer de-puis 15 ans une gamme de plus en plus grande de produits sti-mulants avec mélange de plus en plus fréquent de produits lici-tes et illicites de façon à parvenir très vite à «la défonce». La po-lyconsommation est aujourd’hui la règle.Si on considère que la définition de la toxicomanie donnée par Olivenstein dans les années 70 est toujours d’actualité – c’est la

rencontre entre un produit, un individu et un contexte social donné – alors ces modifications de pratiques parlent de notre société et de ce que peut-être, comme une caricature, les per-sonnes grandes consommatrices de substances licites et illicites vivent dans cette société. Leur place dans la société françai-se peut être interrogée à partir de deux angles différents : d’une part, que signifie leur margina-lité ou comment vivons-nous leur marginalité ? d’autre part, cette marginalité ne nous parle-t-elle pas de nous tous ? Cette margi-nalité n’est-elle pas la norme ?Au-delà de l’image du «junkie» ou de l’alcoolique totalement désocialisé, la consommation de ces produits amène toujours dans notre imaginaire l’ima-ge d’un manque de volonté, d’une disqualification, d’une irresponsabilité, d’un déracine-ment, d’une marginalisation. Une grande partie des hommes et des femmes, d’ailleurs con-sommateurs habituels de tabac, d’alcool, de psychotropes, re-gardent ces Autres, parfois mar-ginalisés dans les faits mais pas toujours, comme des étrangers. Pourtant, ces étrangers, ces ex-clus, sont des inclus pour deux raisons principales : d’une part, cette marginalité apparente, réelle ou imaginaire, nous per-met à nous, inclus et normés, de nous rassurer sur notre propre normalité. Le groupe des toxico-manes (au sens de la manie à un ou des toxiques), comme l’écri-vait Georg Simmel des pauvres, n’est pas uni par l’interaction de ses membres, mais par l’attitude

collective que la société, en tant que tout, adopte à leur égard. «Ces nouveaux pauvres», «cette nouvelle pauvreté», sont donc non seulement relatifs mais surtout sont construits sociale-ment. Son sens, ses représenta-tions sont ceux que la société lui donne. «Ces pauvres», pour continuer sur l’idée de Simmel, ne sont pas en dehors de la so-ciété mais dans la société. «Les pauvres [on pourrait dire les toxicomanes] occupent une po-sition bien définie. L’assistance, à laquelle la com-munauté s’est engagée dans son propre intérêt, mais que le pau-vre n’a, dans la grande majorité des cas, aucun droit de réclamer, fait de celui-ci un objet [] néan-moins, cette séparation n’est pas une exclusion absolue, mais une relation très spécifique avec le tout [].» Donc les pauvres occupent une posi-tion particulière et sont intimement liés aux buts que la société poursuit. Georg Simmel écrivait encore : «L’exclusion singulière à laquelle les pauvres [on pourrait dire les toxicomanes] sont assujettis par la communauté qui les assiste [on pourrait dire qui les médicalise], est caractéristique de la fonction qu’ils remplissent dans la société, en tant que membre de celle-ci dans une situation particulière». Puisque ces personnes sont dépendantes de la société et considérées parfois comme dangereuses pour celle-ci, la société les désigne souvent comme des «hommes en trop»,des «indésirables», des «inutiles au monde».

31

32

Penser ainsi, c’est oublier le rôle de régulateur pour l’ensemble du système social que représen-tent ces personnes et l’assistance qu’on leur accorde. Malgré tout, l’absence de statut social, l’inuti-lité au monde, entretiennent le fait que leurs relations puissent être distantes par rapport aux autres «normés». L’humiliation et l’hypernomie qu’ils peuvent ressentir ne fait qu’accroître leur sentiment de ne pas appartenir au monde et leur isolement (au sens de Hannah Arendt, bien différent de la solitude choisi par le philosophe ou le sage). Cette figure du bouc émissaire peut être interrogée comme celle de l’immigré ou du chô-meur : personne nécessaire au bon fonctionnement du système capitalo-consummériste mais désavouée par son absence de rôle reconnu, de statut, et por-tant symboliquement la figure du paria.Retournons alors cette affirma-tion de leur exclusion du monde et c’est la deuxième raison de leur inclusion : ces Autres ne nous parlent que de nous. Cet isolement, ce déracinement, ce sentiment de ne pas être utile au monde, ont peut-être entraî-né leurs consommations. Dans une société où l’incertitude est devenue la règle pour tous, où la misère est grandissante, où la prescription légale de psychotro-pes commence dès le plus jeune âge, où le moindre problème, la moindre souffrance sociale ou psychologique semble pouvoir être résolu par une substance chimique prescrite légalement, comment ne pas interroger ces

Autres comme étant des figures idéales, des caricatures de nous-mêmes ? Dans une société où l’isolement grandit, où l’anomie s’étend (au sens de Durkheim), où l’individualisme est la référence, comment ne pas interroger ces Autres comme nous-mêmes ? La société dans laquelle nous vi-vons tous aujourd’hui que l’on nomme souvent individualiste, a un certain nombre d’obligations et peu de repère stable. Elle a quelques caractéristiques issues des mutations sociétales de ces trente dernières années, résultat des trente glorieuses. Comment pourrions-nous la nommer : so-ciété adolescente (dans l’agir et l’immédiateté), société altéricide (l’autre fait peur), société schi-zogène (au sens des injonctions paradoxales), société dépressive (au sens de la fatigue d’être soi), société limite (toute puissance, refus de la frustration, immé-diateté des échanges), société addictogène et société de con-sommation (pour diminuer les tensions en soi et obtenir un bonheur répétable à merci).Le comportement du consomma-teur soumis à la tentation et à la consommation est un phénomè-ne social. Il y a aujourd’hui, un conditionnement à la consom-mation. Le consommateur est soumis à ce nouvel idéal, à cette nouvelle conformité et il est to-talement conditionné au niveau de ses éventuels besoins. Mais les objets qu’il consomme sont de moins en moins liés à une fonction ou à un besoin défini. Ils sont avant tout des signes. Ils ont avant tout une significa-tion sociale. Tout discours sur les

besoins repose sur une anthro-pologie naïve : celle de la pro-pension naturelle de l’homme au bonheur. L’homme recherche sans l’ombre d’une hésitation son propre bonheur et donne sa préférence aux objets qui lui donneront le maximum de satis-factions. Freud le dit dès la fin du 19ème siècle avec l’effon-drement du système religieux. L’obligation de bonheur sur terre s’installe comme un droit et un devoir. Il faut être heu-reux. Le malheur est indécent, vécu comme un échec personnel et honteux. Cependant, à partir de cette époque la question du bonheur est peu philosophique ou religieuse : personne n’ose plus trop nous transmettre ce que serait philosophiquement, éthiquement, le bonheur. Alors la question du bonheur s’est détournée autour des objets du bonheur. Le système de con-sommation, le consumérisme effréné, entretient cette confu-sion en faisant croire que tout n’est qu’apparence, et surtout en présentant les objets du bon-heur comme étant le bonheur lui-même. C’est la question de l’avoir au détriment de la ques-tion de l’être. On sait qui l’on est par ce que l’on a. Et il n’est pas question pour le consomma-teur d’aujourd’hui de se déro-ber à cette nouvelle contrainte de bonheur et de jouissance et donc de consommation. Le miraculé de la consommation, comme le dit Jean Baudrillard, «met en place tout un dispositif d’objets simulacres, de signes caractéristiques du bonheur et attend ensuite (désespérément)

33

attend ensuite (désespérément) que le bonheur se pose. C’est une pensée magique qui régit la consommation, c’est une menta-lité miraculeuse qui régit la vie quotidienne, c’est une menta-lité de primitifs au sens où on l’a définie comme fondée sur la croyance en la toute puissance des pensées : ici c’est la croyance en la toute puissance des signes.» Ainsi la consommation devient organisatrice de notre quoti-dienneté. Et par conséquent, la consommation est un mode actif de relation non seulement aux objets, aux produits mais aussi aux hommes et au monde ; un mode d’activité systématique et de réponse globale sur lequel se fonde tout notre système cultu-rel. La consommation est comme un nouveau mythe tribal et elle est la morale de notre monde actuel. Nous en sommes au point où la consommation saisit toute la vie, où toutes les acti-vités s’enchaînent sur le même mode combinatoire. Les consom-mateurs de produits se fondent parfaitement dans cette nouvelle contrainte : l’objet choisi est le produit ou les produits, qui sont censés apporter le bonheur es-compté.En tant que consommateur, l’homme devient solitaire. L’ob-jet de consommation isole. On jouit avant tout pour soi. Mais quand on consomme on ne le fait jamais seul, on entre dans un système généralisé d’échan-ge et de production de valeurs codées et comparées. Une so-ciété de consommation définit le choix non comme la liberté de choisir une suite d’actions plutôt que d’autres (et donc ainsi de

renoncer aussi) mais comme la liberté de tout choisir en même temps. Cette nouvelle aspiration au bonheur amène l’individu non plus au dilemme entre per-mis et défendu (caractéristique de la religion, de la morale et de toute organisation sociale) mais au dilemme entre possible et impossible. La science n’est pas étrangère à cette nouvelle façon d’observer et d’agencer le monde. Que l’on lise Jean-Pierre Lebrun, Christopher Lasch ou Oliver Rey, tous partent de la science et de l’idéologie du pro-grès et de la technique qui y est associée, comme nouvelles ins-titutions de notre société (nou-velle religion ?). La science nous laisse penser que tout est pos-sible, que ce qui nous empêche d’aller plus loin, vers toujours plus de bonheur notamment, ce sont les connaissances scien-tifiques actuelles. Celles ci ne pourront qu’être développées et l’impossible d’aujourd’hui ne peut devenir que le possible de demain. Les limites, toutes les limites, seront toujours repous-sées. Pourtant, la science, et je pourrai rajouter la consomma-tion, ne peuvent dire aux gens comment vivre ni comment or-ganiser une bonne société. Elles n’offrent pas non plus le même contrôle de l’imaginaire que propose l’expérience pratique du monde. De fait, elles inten-sifient le sentiment dominant d’irréalité en donnant aux hom-mes le pouvoir d’assouvir leurs fantasmes les plus fous. Tout choisir disais-je tout à l’heure. Le consommateur n’est pas tant entouré de choses que de fan-tasmes. Il vit dans un monde dé-

pourvu d’existence objective ou indépendante, ayant pour seule raison d’être la satisfaction ou la frustration de ses désirs. C’est bien le type de société dans le-quel nous vivons qui nous fait penser que nos besoins sont tels ou tels. C’est bien le type de société dans lequel nous vivons qui nous fait croire (au sens de la croyance religieuse) que pour être heureux il faut consommer. Les besoins que l’homme pense avoir sont le résultat des institu-tions et des systèmes idéologi-ques en place. Et il est vrai que l’on peut in-terroger certains symptômes de notre société au regard de ce système consumériste. Olivier Rey dit par exemple : «Comme si la prévalence impressionnante de la dépression ne trouvait pas sa source, en amont des neuro-transmetteurs, dans les résistan-ces du vieil homme qui, dans son arriération, s’obstine à souffrir de ses nouvelles conditions de vie, censées promouvoir le sujet qu’en vérité elles excluent dès que celui-ci contrarie le progrès. D’un côté des personnes frus-trées, faute de moyens finan-ciers, des produits de consom-mation qui s’offre à la convoitise comme autant de vecteurs du bonheur, de l’autre des person-nes non moins frustrées de cons-tater que ces produits n’ont pas les vertus espérées». Ces propos peuvent tout à fait être rappor-tés à la question des addictions.Aujourd’hui, il y a remplace-ment d’un monde fiable, fixe etsolide, composé d’objets dura-bles, par un monde d’images et

d’objets flous dans lequel il est de plus en plus difficile de distin-guer la réalité du fantasme. Cela donne un état de dépen-dance absolue dans lequel le consommateur se trouve vis-à-vis de ces systèmes, et il recrée certains sentiments infantiles d’impuissance. Ainsi, une cul-ture organisée autour de la con-sommation de masse encourage le narcissisme. Christopher Lash dit «Nous avons cessé de nous reconnaître dans l’obligation de vivre pour autre chose que nous-mêmes». Nous avons un devoir illimité de bonheur, de perfor-mance, de créativité, de réali-sation de soi et de ses moindres désirs. Nous sommes devenus tout-puissants pour nous cons-truire seul. Nous nous auto-en-gendrons dit Oliver Rey. Plutôt que de renoncer au narcissisme, renoncement dont Freud disait qu’il était nécessaire à la vie en société, nous le cultivons. Or le narcissisme signifie la perte d’individualité, la perte d’iden-tité et non l’affirmation de soi. Il désigne un moi menacé de désintégration et menacé par un sentiment de vide intérieur. Consumérisme effréné, refus de la frustration et de la mort, perte des repères du passé, crise de l’autorité, construction par soi-même, apologie des discours de la science et de la technique, notre social adhère à un «monde narcissique et sans limite». À l’homme issu du conflit, des traditions, d’une autorité, d’une institution par les adultes, d’une entrée dans le monde instituée par les adultes, se substitue un

homme comportemental, jouis-sant, corporel, voire un homme machine, anhistorique, tout puissant, immortel. Autrement dit, derrière une société consti-tuée de la coexistence de désirs ordonnés par une autorité, un énonciateur, un père disent les psychanalystes, se profile un monde maternel de la jouissan-ce narcissique, purement indivi-duelle. Ainsi ce que certains auteurs appellent «les nouvelles patho-logies de l’âme» ou encore de «nouvelles phénoménologies de comportements» au rang des-quelles nous comptons les addic-tions, les suicides, la dépression, l’anorexie-boulimie, le cutting, les états-limites, les mises en jeu du corps, sont l’expression privilégiée du malaise contem-porain, sont des symptômes d’une société malade d’être sans limite, sans impossible, soumise à toutes les tentations et à tous les fantasmes. Les addictions ou les consommations de produits psychotropes font partie de la panoplie disponible des con-duites à risque, des conduites ordaliques, des mécanismes cor-porels de défense des individus d’aujourd’hui. Pour Jean-Fran-çois Mattéi, les causes sont les mêmes : «En refermant le sujet sur lui-même et en subordon-nant la hiérarchie des œuvres aux valeurs de l’utilité, les socié-tés modernes ont réduit l’hom-me à cet écoulement sablonneux des processus vitaux qui ne con-naissent d’autre loi que celle de la satisfaction immédiate». Les limites de fait prennent alors la

place des limites de sens qui ne parviennent plus à s’instaurer.Et c’est une voie ouverte à tou-tes les actions marchandes et corporelles qui nous donnent le sentiment d’exister. L’homme et la condition humai-ne sont singuliers. C’est cette essence là qu’il faut rechercher et valoriser. On ne naît pas in-dividu ou sujet, on le devient, «en surmontant le désordre des appétits [et tentations], l’étroi-tesse de l’intérêt particulier, et la tyrannie des idées reçues.» dit Alain Finkielkraut.Et ceci ne peut survenir que grâce à l’éducation, l’autorité, la culture et la politique. C’est ce qui nous civilise. L’identité par l’avoir ou l’identi-té par la performance ou l’iden-tité par autoengendrement sont impossibles. Il s’agit donc pour nous tous, professionnels et con-sommateurs, de travailler en-semble à retrouver la figure de l’homme elle-même, ce qui fait qu’un homme est un homme, ce qui fait l’humanité de l’homme dans une société. Belle façon pour nous tous de continuer à «assumer la fragi-lité physique et psychique, qui fait le charme, fût-il parfois douloureux, et la noblesse, fût-elle toujours inconfortable, de la condition humaine» (Comte Sponville).

34

BibliographieAngel P.: Toxicomanies (Masson)Arendt H.: La crise de la culture (Folio Poche) ; Condition de l’homme moderne (Essai poche)Bauman Z.: L’amour liquide (Le Rouergue) ; La société assiégée (Le Rouergue)Baudrillard J.: La société de con-sommation (Folio poche)Becker H.S.: Qu’est-ce qu’une drogue ? (Atlantica)Collectif : L’esprit des drogues (Autrement)Erhenberg A.: Individus sous in-fluence (Esprit) ; Le culte de la

performance (Pluriel) ; L’indivi-du incertain (Pluriel) ; La fatigue d’être soi (Odile Jacob)Finkielkraut A.: La défaite de la pensée (Folio poche)Foucauld (de) J.B.: Une société en quête de sens (Jacob Poche)Freud S.: Le malaise dans la cul-ture (PUF)Hautefeuille M.: Drogues à la carte (Payot)Lasch C.: Le culte de Narcisse (Gallimard poche) ; Le moi as-siégé (Métaillé)Le Breton D.: Passions du risque (Métaillé) ; Conduites à risque (PUF) ; L’adolescence à risque

(Autrement)Lipovetky G.: L’ère du vide (Folio Poche)Mana 4 : Vulnérabilité et tech-nosciences (PUC)Mana 8 : Drogues : nouveaux re-gards, nouveaux défis (PUC)Mattei J.F.: La barbarie intérieu-re (PUF)OFDT : Drogues et dépendances 2002 (OFDT)Rey O.: La folle solitude (Mé-taillé)Simmel G.: Les pauvres (PUF)Wright-Mills C.: L’imagination sociologique (La Découverte Po-che).

35

ADDICTERE : «donner son corps en gage pour une dette impayée»

Patrick FouillandMédecin addictologue - Le Havre (76)Président de la F3A

Usagers, professionnels en représentation

36 La première association qui me vient, attachée au mot «repré-sentation», c’est «théâtre» ! Des acteurs donnent une représenta-tion d’un texte et d’une mise en scène. Ils jouent un rôle, un rôle qu’ils n’ont pas toujours écrit eux-mêmes, mais qu’ils répètent indéfi niment. Souvent d’ailleurs ils jouent leur propre rôle : en mettant en scène leur propre biographie devant des caméras télévisuelles complaisamment tenues mais aussi, comme cer-tains acteurs célèbres, ils jouent indéfi niment une sorte de cari-cature d’eux-mêmes. Et qu’est ce que l’alcool, Al Khôl, ce fard, ce masque qui cache et souligne à la fois ...Dans le champ des addictions, les conduites peuvent être regar-dées comme des mises en scène. La personne alcoolo-dépendan-te joue à l’alcoolique parfois à

n’avoir plus que cette anonyme identité ! Il connait par cœur tous les rôles de la pièce. Il sait les adapter au public qu’il a en face de lui. Il sait sur quel regis-tre il lui faut jouer pour obtenir ce qu’il souhaite. Plus compli-qué, il joue aussi pour lui-même. Et comme dans ces images en abîme qui se réfl échissent indé-fi niment, il se perd ! Il joue, mais il joue avec autant de sincérité que l’enfant joue ; non seule-ment comme lui il y croit, mais en plus il y joue sa vie.Et s’il n’y avait que l’autre, en face de moi à jouer un rôle ! Qu’est ce que je fais moi aussi sinon jouer à mon corps défen-dant un autre rôle, celui du doc-teur, du soignant, de celui qui sait ce qui est bon pour l’autre, de celui qui est au dessus de tout cela, de celui qui ne cède pas à la provocation ...Un jeu de rôles peut se substi-tuer au dialogue interperson-nel (le docteur joue au docteur, l’usager joue à l’alcoolique). Il devient diffi cile de s’y retrouver. Pour les professionnels de l’ad-dictologie, les soins, l’accompa-gnement des usagers, mettent en scène deux systèmes de re-présentation, celui de l’interve-nant et celui de l’usager. De même que la lecture «au premier degré» d’une pièce de théâtre me fait passer à coté

d’éléments intéressants, impor-tants, parfois cruciaux pour la compréhension de l’ensemble, de la même façon, me faire prendre dans le jeu scénique du sujet qui est en face de moi peut faire obstacle à notre compré-hension mutuelle.À quoi cette mise en scène qui m’est offerte est-elle destinée ?• à m’émouvoir, à trouver le canal relationnel qui va lui per-mettre d’obtenir une réponse ?• à rejouer pour la centième fois la même pièce en espérant qu’il y aura cette fois une autre issue ?• à me mettre à l’épreuve, à vé-rifi er si à mon tour je ne vais pas le juger, le rejeter comme il l’a été tant de fois ?• à me faire endosser le person-nage qui depuis toujours fait partie de son scénario ?Il ne le sait probablement pas lui-même. Ces quelques hypothèses qui, si elles ne me permettent pas d’ac-céder à sa vérité rendent possi-ble l’établissement d’une allian-ce thérapeutique, en particulier en répondant ensemble à cette question : «Quelle scène sommes nous en train de jouer ?», «qu’est ce qui se rejoue, ici et maintenant de votre histoire ?».

Je souhaite : (mettre des croix dans les cases correspondantes à votre demande)

Recevoir des informations sur la F3AAdhérer à la F3A (la cotisation inclut l’abonnement aux 2 prochains n° d’Actal, les cahiers thématiques de la F3A)

cotisation individuelle : 15€ cotisation structure : 150€Merci d’accompagner l’envoi d’un mini CV. Les candidatures sont soumises à l’approbation du Conseil d’administration.

M’abonner pour les 2 prochains numéros d’Actal au tarif préférentiel de 10€Commander les numéros parus : (dans la limite des stocks disponibles). Prix au numéro : 6€. N°1 : «Santé-Justice : Peut-on soigner sous contrainte ?» N°2 : «Parcours de vie avec addiction» N°3 : «Addictions et entourages» N°4 : «Devenir CSAPA» N°5 : «Addictions en représentations»

Nb d’exemplaires : N°1 : N°2 : N°3 : N°4 : N°5 : Total : 6€ X nombre d’exemplaires, soit : Recevoir une facture

Nom :Prénom :Fonction :Merci de nous indiquer les coordonnées où vous souhaitez recevoir ActalAdresse professionnelleStructure :Adresse :

Code postal : Ville :Téléphone : Fax :Adresse électronique professionnelle :

Adresse personnelleAdresse :

Code postal : Ville :Téléphone : Fax :Adresse électronique personnelle :

Joindre votre règlement à l’ordre de : F3A - 154 rue Legendre - 75017 PARIS Tél : 01 42 28 65 02 - Fax : 01 46 27 77 51

SIRET : 41468558600029 – Code APE : 9499Z – N° d’organisme de formation : 11753685975 – Association Loi 1901

Pour toute information, n’hésitez pas à contacter Marie Musquet ou Emma Tarlevé, par téléphone, par fax ou par mail : [email protected] ou sur le site www.alcoologie.org

Date : Signature : (obligatoire)

FORMULAIRE D ’ABONNEMENT À DÉTACHER

cotisation individuelle : 15 cotisation structure : 150

N°1 : N°3 :

Code postal : Ville :Téléphone : Fax :

Code postal : Ville :Téléphone : Fax :

* Les informations recueillies font l’objet d’un traitement informatique et sont destinées au secrétariat de l’association. En application de l’article 34 de la loi du 6 janvier 1978, vous bénéfi ciez d’un droit d’accès et de rectifi cation aux informations qui vous concernent. Si vous souhaitez exercer ce droit et obtenir communication des informations vous concernant, veuillez vous adresser par écrit au secrétariat de la F3A.

Je souhaite :

Nb d’exemplaires : N°1 : N°2 : N°3 : N°4 : N°5 : X nombre d’exemplaires, soit :

N°2 : N°4 :

Nb d’exemplaires : N°1 : N°2 : N°3 : N°4 : N°5 : Nb d’exemplaires : N°1 : N°2 : N°3 : N°4 : N°5 : Nb d’exemplaires : N°1 : N°2 : N°3 : N°4 : N°5 :

FÉD

ÉRA

TIO

N D

ES A

CTE

UR

S D

E L’

ALC

OO

LOG

IE

ET D

E L’

AD

DIC

TOLO

GIE

154

rue

Leg

end

re75

017

Pari

s

affr

anch

iric

i

Association 1901

PROFESSIONNELS DE TERRAIN DE TOUS LES MÉTIERS DE

L’ADDICTOLOGIE :Infi rmiers

SecrétairesMédecins

Travailleurs sociauxPsychologues

Gestionnaires ...

350 adhérents individuels

100 Structures adhérentesSTRUCTURESMédicosociales,

sanitaires, de réduction des risques,

réseaux ...CCAA, CSST, Unités d’alcoologie,

Équipes de liaison, Centres de cures, SSR, ...

2 Partenaires de premier rangDirection Générale de la Santé

Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie

39

La commission des psychologues en alcoolo-gie/addictologie est née le 4 Juillet 2005. Elle est composée d’une quinzaine de psycholo-gues cliniciens, issus de toute la France. Sans segmentation entre chapelles théori-ques, elle se fi xe comme objectifs principaux :- de travailler sur l’élaboration et la diffusion d’un document refl étant les spécifi cités du psychologue en addictologie au sein d’une équipe pluridisciplinaire,

- d’établir un recensement des psychologues de ce domaine et de développer un réseau,- enfi n, de constituer une base de données d’articles et d’ouvrages.Chaque année, la commission se réunit six journées, organise une Journée Thématique au siège de la F3A, et se propose de commu-niquer régulièrement sur l’avancée de ses tra-vaux.

Commission des psychologues

Les adhérents de la F3A sont invités à participer à ses commissions de travail.

Commissions permanentes et groupes de travail ad hoc (temporaires),

nourrissent la vie de la fédération, impulsent les initiatives, organisent les activités.

Ils fonctionnent en synergie avec les instances élues et sont animées par des administrateurs.

Ils disposent pour fonctionner d’une véritable marge d’autonomie,

disposent d’un budget annuel ; leur fonctionnement est prévu dans le règlement intérieur.

La composition, le programme, le budget des commissions permanentes sont régulièrement

validés par le Conseil d’Administration qui en désigne l’animateur et attribue du temps

de chargé de mission. Ces commissions, à travers des réunions, des productions d’écrits,

des réalisations de journées de formations alimentent les réfl exions de la Fédération,

et permettent d’être une force de propositions.

En septembre 2001, quelques travailleurs so-ciaux exerçant en alcoologie et désireux de partager leur expérience professionnelle, ont décidé de se rencontrer régulièrement. En 2004, dans une démarche de for-malisation de leur travail de réfl exion, le groupe s’est rapproché de la F3Aet la commission «travail social» a été créée. Depuis, au rythme d’une journée toute les six semaines, elle se réunit et se fi xe comme ob-jectifs spécifi ques :

- de promouvoir le travail social en alcoologie par des écrits, en organisant des journées thé-matiques,- d’analyser les similitudes et les diffé-rences dans les modalités d’intervention so-ciale en intra et en extrahospitalier, en tenant compte de la diversité des lieux d’exercice de chacun,- d’articuler la logique de travail social à celle des autres professions intervenant dans les structures de soins addictologiques.

Commission travail social

40

[email protected].

[email protected].

41

La commission formation est constituée de membres et d’adhérents de la F3A oeuvrant dans le secteur de l’addictologie. L’actualité médico-sociale et politique, les diffi cultés rencontrées par les équipes, les questions, les besoins et attentes exprimées permettent d’élaborer le programme des journées théma-tiques.

Ces journées permettent la rencontre de professionnels en favorisant la réfl exion et l’échange sur différentes pratiques. Les formations sont constituées de 25 parti-cipants au maximum afi n de favoriser une approche interactive entre intervenants et participants.

Commission formation

La commission santé-justice de la F3A s’est créée en 2003 et a pris le relais des missions de l’Association pour la Prévention et l’Étude des Conduites d’Alcoolisation des populations Pénales (APECAPP). Le souhait de ses membres est de réfl échir à l’accueil et à la prise en charge des publics «justice» incarcérés ou non, en obligation de soins ou non, ainsi que de renforcer les rela-tions avec les professionnels intervenants en

milieux pénitentiaires (UCSA, SMPR, SPIP, as-sociations de visiteurs de prisons, CCAA, CSST) ainsi que les professionnels du milieu péniten-tiaire eux-mêmes. La commission santé-justice se compose de différents groupes de travail, notamment d’un groupe d’échanges et de réfl exions sur les pratiques professionnelles. Des réunions sont organisées afi n d’échanger sur les chan-tiers en cours.

Commission santé-justice

Les Journées de Nîmes

Les Journées de Nîmes, à l’initiative, il y a plus de quinze ans, du Pr. Balmès et de son équipe, ont véritablement soudé les intervenants du dispositif «alcoologie de terrain». C’est à l’occasion de ces journées que la Fé-dération des CHAA - aujourd’hui F3A - a vu le jour. Autour de l’équipe de Nîmes, un collectif s’est constitué avec la F3A, puis successivement ELSA, l’ANPAA et aujourd’hui la SFA, afi n de bâtir un contenu, organiser la manifestation et l’animer.

Ce groupe de travail se réunit 3 à 4 fois au cours du dernier quadrimestre pour préparer les journées de l’année suivante. Ces Journées, devenues depuis cinq ans «Carre-four de l’addictologie de terrain», sont l’occa-sion de faire se rencontrer, autour d’un thème fédérateur, l’ensemble des professionnels - de tous les métiers - de bénéfi cier, à parts égales d’interventions «magistrales», de débats type table-rondes, de partage de leurs expériences et de temps conviviaux.

[email protected].

[email protected].

La F3A a pour buts de promouvoir une addictologie de terra in avec des équipes plur id isc ip l inaires, femmes et hommes de tous mét iers et de tous hor izons, de const i tuer une force de proposit ion, d’aff i rmer la place de ses équipes dans le disposit i f sanita i re et socia l , de représenter ses membres, de fédérer les instances de l ’addictologie de terra in qui le souhaitent, de mettre en œuvre les recherches permettant au disposit i f d’addictologie de terra in de part ic iper à l ’é laborat ion des pol i t iques de santé publ ique.

Quand les consommations d’alcool et les usages de produits posent question, les acteurs interviennent auprès de patients, en formation et dans des actions de prévention.

EXTRAITS DES STATUTS DE LA F3A

La F3A constate qu’il n’existe pas de société sans «paradis artifi ciels» (même si nombreux sont ceux, individus ou groupes, qui ne souhaitent pas y avoir recours). La consommation de substances psychoactives est un plaisir, un fait social, un remède, une solution avant d’être pour certains un problème. Mais quand ces «certains» se comptent en millions, l’ampleur du problème est celle d’une catastrophe nationale.

La F3A prend acte du fait que, selon les circonstances et les périodes, la société encourage, autorise, interdit, réprime la production, la distribution et l’usage des produits psychoactifs.

La F3A opte pour une approche qui, distinguant les modes d’usage, les produits, les usagers, les préventions, les soins et la réduction des risques, articule ces éléments entre eux, et décloisonne la compréhension, les réponses, les cliniques, les structures.

l’évolution des modes de consommation, la diversité des publics,

les expériences internationales ...

le sens des consommations, le sens des conduites de dépendance

des savoirs, des formations, des colloques, les Journées de Nîmes

vis-à-vis des publics présentant des problèmes de dépendance

vis-à-vis des acteurs de l’alcoologie et de l’addictologievis-à-vis de la santé

vis-à-vis des pouvoirs publicsvis-à-vis du grand public

aux textes offi ciels, aux événements, aux articles de presse, aux médias ...

les pouvoirs publics, les agencesnationales,le monde associatif ...

42

43

FÉDÉRATION DES ACTEURS DE L’ALCOOLOGIE ET DE L’ADDICTOLOGIE154 rue Legendre - 75017 Paris

T é l : 0 1 4 2 2 8 6 5 0 2 - Fa x : 0 1 4 6 2 7 7 7 5 1f e d e r a t i o n@a l c oo l o g i e . o rgwww. a l c oo l o g i e . o rg

S I R E T : 4 1 4 6 8 5 5 8 6 0 0 0 2 9 - C o d e A P E 9 4 9 9 Z - O r g a n i s m e d e f o r m a t i o n : 1 1 7 5 3 6 8 5 9 7 5