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8/14/2019 Les Cafards2002 - Jo Nesbo.pdf

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Jo Nesb

Les cafards

Une enqute de linspecteur Harry Hole

Traduit du norvgien par Alex Fouillet

Gallimard


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Titre original et copyrights

Titre original :KAKERLAKKENEJo Nesb et H. Aschehoug & Co, Oslo. Gaa ditions, 2003, pour la traduction franaise.


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Chapitre 1

Le feu passa au vert, et le rugissement des voitures, des motos et

des tuk-tuk senfla encore et encore, tel point que Dim put voir tremblerles vitrines du Robertson Department Store. Puis ils se remirent enmouvement, et la vitrine dans laquelle tait expose la robe longue de soierouge disparut derrire eux, dans lobscurit vesprale.

Elle voyageait en taxi. Pas en bus surpeupl ou en tuk-tuk cribl depoints de rouille, mais en taxi avec air conditionn et chauffeur qui la fer-mait. Elle laissa reposer sa nuque sur lappuie-tte et essaya de se dtendre.Pas de problme. Un cyclomoteur partit en trombe, et la fille assise larrire se cramponna un T-shirt rouge coiff dun casque intgral touten les gratifiant dun regard vide. Tiens-toi bien, pensa Dim.

Sur Rama IV, le chauffeur se colla derrire un poids lourd qui cra-chait une fume de gazole si paisse et si noire quil tait impossible de lireson numro dimmatriculation. Aprs tre passs travers le systme dairconditionn, les gaz dchappement taient refroidis et pratiquement d-pourvus dodeur. Mais pas totalement. Elle se manifesta en agitant dis-

crtement une main et le chauffeur se dgagea aprs avoir jet un coupdil dans son rtroviseur. Pas de problme.Il nen avait pas toujours t ainsi. Dans la ferme o elle avait

grandi, elles taient six filles. Six de trop, aux dires du pre. Elle avait septans quand ils staient retrouvs toussant dans la poussire jaune, agitant lamain derrire la charrette qui emmenait cahin-caha la sur ane le long duchemin vicinal au bord du canal brun. Sa sur avait avec elle desvtements propres, un billet de train pour Bangkok et une adresse Pat-

pong, crite au dos dune carte de visite, et elle avait pleur comme unemadeleine bien que Dim et agit la main tant et si bien quelle avait cruque celle-ci allait se dcrocher. Leur mre avait caress la tte de Dim, luiavait dit que ce ntait pas si facile, mais pas si mal non plus. Ainsi lagrande sur naurait pas traner dune ferme lautre en tant que kwai,comme leur mre lavait fait avant de se marier. De plus, Miss Wong avaitpromis de bien prendre soin delle. Le pre avait hoch la tte, crach son

btel dentre ses dents noires et ajout que les farang quon trouvait dansles bars payaient bien pour les jeunes filles fraches.


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La partie sur les kwai avait chapp Dim, mais elle navait pasvoulu poser de question. Elle savait bien entendu quun kwai tait un buf. linstar de la plupart des autres fermiers alentour, ils navaient pas lesmoyens de possder leur propre buf, et en louaient donc un de passagelorsque le temps tait venu de labourer les rizires. Plus tard seulement,

elle apprit que la fille qui accompagnait ledit buf tait galement appelekwai, puisque les services quelle rendait venaient en supplment. Telletait la tradition, et elle tait heureusement tombe sur un paysan qui vou-lait lavoir avant quelle ne devnt trop vieille.

Lorsque Dim avait quinze ans, son pre tait un jour venu vers elleen criant son nom tout en pataugeant travers la rizire, le soleil dans ledos et le chapeau la main. Elle navait pas rpondu immdiatement, maisstait redresse pour bien regarder les collines vertes qui entouraient lapetite exploitation, avait ferm les yeux pour couter le chant des agamisdans la futaie, et inhal le parfum des eucalyptus et des arbres caou-tchouc. Elle avait su que ctait son tour.

La premire anne, elles avaient vcu quatre filles dans une pice,partageant tout : couchage, nourriture et vtements. Ctait essentiellementce dernier point qui importait, car sans jolis vtements, impossible davoirles meilleurs clients. Elle avait appris danser, appris sourire, appris

faire la diffrence entre ceux qui ne venaient que pour soffrir boire etceux qui voulaient soffrir du sexe. Le pre tait dj convenu avec MissWong que largent devait tre envoy la maison, de telle sorte quellenen vt pas beaucoup la couleur durant les premires annes; mais MissWong tait satisfaite et, le temps aidant, elle en retint un peu plus pourDim.

Miss Wong avait des raisons dtre satisfaite. Dim ne mnageaitpas sa peine, et les clients soffraient boire. Miss Wong pouvait se rjouir

quelle soit encore l,car deux ou trois reprises, il sen tait fallu de peu.Un Japonais avait voulu pouser Dim, mais stait rtract lorsquelle luiavait demand de largent pour le billet davion. Un Amricain lavaitemmene Phuket, avait report son retour au pays et lui avait pay unebague de diamants. Elle lavait mise au clou le lendemain mme du dpartde lintress.

Certains payaient mal et la priaient de prendre ses cliques et ses

claques si elle protestait, dautres allaient cafarder auprs de Miss Wong sielle ne se pliait pas tout ce quils voulaient lui faire faire. Ce quils ne


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comprenaient pas, cest quune fois quils lavaient libre de ses obliga-tions au bar, Miss Wong avait ce quelle dsirait, et Dim tait son proprematre. Son propre matre. Elle pensa la robe rouge quelle avait vue dansla vitrine. Sa mre avait eu raisonce ntait pas facile, mais ce ntait passi mal non plus.

Et elle tait parvenue conserver ce sourire innocent et ce rirejoyeux. Cest ce quils aimaient. Peut-tre tait-ce pour cette raison quelleavait dcroch ce boulot propos par Wang Lee dans le Thai Rathsous letitre G. R. O. ou Guest Relation Officer . Wang Lee tait un petit Chi-nois presque noir qui dirigeait un motel un peu en dehors de la ville, surSukhumvit Road, et ses clients taient en grande majorit des trangers auxdsirs bien particuliers, mais pas au point quon ne pt pas les satisfaire. vrai dire, elle prfrait ce quelle faisait plutt que de danser des heuresdurant au bar. De plus, Wang Lee payait bien. Le seul inconvnient rsidaitdans le temps de trajet depuis son appartement de Benglaphu.

Fichue circulation ! Elle tait paralyse aujourdhui aussi, et Dimfit signe au chauffeur quelle voulait descendre, mme si cela signifiaitquelle devrait traverser six files de voitures pour parvenir au motel, delautre ct de la route. Lair senroula autour delle comme une serviettechaude et mouille lorsquelle descendit du taxi. Elle guetta une ouverture

tout en maintenant une main devant sa bouche, consciente que cela nechangeait rien, quil ny avait pas dautre air respirer Bangkok, maiselle chappait au moins lodeur.

Elle se glissa entre les voitures, dut scarter pour laisser passer unpick-up dont la plate-forme tait pleine de garons en train de siffler etmanqua de se faire rectifier les contreforts de ses chaussures par une Toyo-ta sauvage. Puis elle fut arrive.

Wang Lee leva les yeux lorsquelle entra dans le hall daccueil d-

sert. La soire est calme ? demanda-t-elle.Il acquiesa dun air mauvais. Il y en avait eu un bon paquet ces

douze derniers mois. Tu as mang ?Oui , mentit-elle. Ctait propos de bon cur, mais elle navait

pas envie des nouilles dtrempes quil cuisinait dans lapice du fond.

Il va falloir attendre un peu. Le farang veut dabord dormir unpeu, il appellera lorsquil sera prt.


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Tu sais bien quil faut que je sois rentre au bar avant minuit,Lee , gmit-elle.

Il regarda sa montre. Donne-lui une heure. Elle haussalespaules et sassit. Un an auparavant, il laurait sans

doute fichue dehors pour stre exprime ainsi, mais pour lheure, il avaitcruellement besoin de la moindre rentre dargent. Bien sr, elle pouvait setirer, mais le long trajet quelle avait fait jusquau motel laurait alors ten pure perte. De plus, elle devait Lee plus dun service. Ce ntait pas lepire des maquereaux pour qui elle avait travaill.

Aprs avoir cras son troisime mgot, elle se rina la boucheavec laigre th chinois de Lee et se leva pour effectuer une toute dernirevrification de son maquillage, dans le miroir au-dessus du comptoir. Jevais aller le rveiller, dit-elle.

Hmm. Tu as tes patins ? Elle brandit sa sacoche.Le gravier crissa sous ses talons quand elle traversa lespace ouvert

sparant les btiments bas du motel. La chambre 120 se trouvait tout aufond ; elle ne vit pas de vhicule lextrieur, mais les fentres taientclaires. Il tait donc peut-tre rveill. Une lgre brise souleva sa courte

jupe, sans apporter de fracheur. Elle languissait aprs la mousson, aprs lapluie. Tout comme elle languirait, au bout de quelques semainesdinondations, de rues boueuses et de lessive moisie, aprs les mois secs etsans vent.

Elle frappa doucement la porte, la question Whats yourname ? dj sur les lvres. Personne ne rpondit. Elle frappa derechef etregarda lheure. Elle aurait certainement pu faire baisser de quelques cen-taines de bahts le prix de cette robe, si a avait t chez Robertson. Elle

appuya sur la poigne et constata avec tonnement que la porte ntait pasverrouille.

Il tait tendu sur le lit, plat ventre, et elle pensa tout dabord quildormait. Puis elle vit un reflet sur le verre bleu qui ornait le manche ducouteau plant dans le veston jaune fluo. Il est malais de dire quelle fut lapremire pense qui passa en trombe dans sa tte, mais lune delles fut entout cas quelle tait venue depuis Benglaphu pour rien. Elle parvint fi-

nalement mobiliser ses cordes vocales. Son cri fut cependant touff parle klaxon retentissant dun semi-remorque au moment o celui-ci fit un


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cart pour viter un tuk-tuk inconscient sur Sukhumvit Road.


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Chapitre 2

Nationaltheatret , informa une voix nasillarde et ensommeille

via les haut-parleurs, avant que les portes du tram ne souvrent en claquant,librant Dagfinn Torhus dans ce matin hivernal rude, froid et tout justenaissant. Lair mordit ses joues frachement rases, et il put voir danslalueur du parcimonieux clairage au non dOslo le nuage de condensationqui montait de sa propre bouche.

Ctait la premire semaine de janvier, et il savait que asamliorerait plus tard dans lhiver, quand la glace envahirait le fjord etquand lair se ferait plus sec. Il se mit remonter Drammensveien, vers leministre des Affaires trangres. Quelques taxis esseuls le dpassrent,mais hormis cela, les rues taient pratiquement dsertes. Mais il est vraique lhorloge de non rouge de Gjensidige[1] qui se dtachait sur le cielnoir au-dessus du btiment vers lequel il se dirigeait nindiquait que sixheures.

Arriv devant la porte, il sortit sa carte daccs. Fonction : Chef de bureau , pouvait-on lire au-dessus dune

photo plus jeune de dix ans dun Dagfinn Torhus qui fixait lappareil, lementon projet en avant et les yeux jetant un regard dtermin travers deslunettes monture dacier. Il passa sa carte dans un lecteur, tapa son codeet ouvrit la lourde porte vitre donnant sur Victoria Terrasse.

Toutes les portes ne staient pas laiss ouvrir avec la mme facilitdepuis quil tait entr l prs de trois dcennies auparavant, lge devingt-cinq ans. lcole des diplomates, qui dispensait ses cours auxfuturs employs du ministre des Affaires trangres, il ne stait pas gliss

sans mal dans le milieu, avec son dialecte lche de lsterdal et son comportement de rural , comme lavait observ lun des gars de Baerumqui faisait partie de la mme promo. Les autres tudiants taient desdiplms de lcole de Sciences politiques, des conomistes et des juristesdont les parents taient eux-mmes diplms de lenseignement suprieur,politiques ou membres de cette noblesse des Affaires trangres o ilscherchaient se faire admettre. Il tait fils de paysan, titulaire du diplme

de lcole suprieure dAgriculture dAs. Non pas que a ait signifigrand-chose pour lui, mais il savait que des amis adquats sont importants


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quand il est question de sa carrire venir. Tout en essayant dassimiler lescodes sociaux, Dagfinn Torhus compensait en travaillant dautant plus dur.En dpit des diffrences, tous avaient en commun de navoir quune idetrs vague de ce quils voulaient devenir. Tous savaient quelle directionsuivre : vers le haut.

Torhus soupira et fit un signe de tte lattention du gardien Secu-ritas qui lui glissa ses journaux et une enveloppe sous la vitre. Dautres?

Le gardien secoua la tte. Le premier, comme dhabitude, Torhus. Lenveloppe vient des

transmissions, ils lont apporte cette nuit.Torhus vit les numros des tages sallumer et steindre mesure

que lascenseur le hissait dans le btiment.Ilen tait venu lide quechacun des tages symbolisait une priode donne de sa carrire, quil pas-sait donc en revue chaque matin.

Le rez-de-chausse reprsentait les deux premires annes de cours,les longues discussions qui nengageaient rien sur la politique etlhistoire, les heures de franais quil avait vcues comme un calvaire.

Le premier reprsentait le bureau de commandement. Il avait ob-tenu Canberra les deux premires annes, puis Mexico City pour trois ans.

De chouettes villes, en somme, oui, il navait pas se plaindre. Il est vraiquil avait prsent Londres ouNew York en premier choix, mais ilsagissait dendroits prestigieux que tous les autres avaient galementchoisis, et il avait dcid de ne pas ncessairement considrer a comme unchec.

Au deuxime tage, il tait de retour en Norvge, sans les primesdexpatriation et de logement qui avaient permis de vivre dans une relativeabondance. Il avait rencontr Berit, elle tait tombe enceinte, et lorsquil

avait t temps de viser un nouveau commandement ltranger, le num-ro deux tait dj en route. Berit venait du mme quartier que lui, et tl-phonait sa mre tous les soirs. Il avait pris la rsolution dattendre un peu,et en contrepartie travaillait comme un ngre, rdigeait des kilomtres derapports sur le commerce bilatral avec les pays en voie de dveloppement,composait des discours pour le ministre des Affaires trangres et mois-sonnait sa reconnaissance en gravissant les tages. Nulle part ailleurs dans

lappareil administratif la concurrence nest mise autant en avant quauxAffaires trangres, o on transige aussi peu avec la hirarchie. Dagfinn


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Torhus tait all chaque jour son bureau comme un soldat au front, ilavait gard la tte baisse, tait rest couvert et avait ouvert le feu chaquefois quil prenait quelquun sur le vif. Il y avait des tapes sur lpaule, ilsavait quon lavait remarqu, et il avait essay dexpliquer Beritquil pourrait probablement dcrocher Paris ou Londres, mais elle avait

regimb pour la premire fois de toute leur vie commune jusque-l sanshistoire. Il avait cd.

Puis a avait t le troisime tage et davantage de rapports, unesecrtaire et un salaire lgrement suprieur, avant de se retrouver en unclair au service du personnel, au premier. Se voir attribuer un poste auservice du personnel reprsentait dailleurs quelque chose de particulieraux Affaires trangres, ctait habituellement le signal que la voie as-cendante tait libre. Mais il stait pass quelque chose. En collaborationavec le bureau de commandement, ils proposaient les candidats intresssaux diffrents postes ltranger, un travail qui intervenait directementdans le plan de carrire des intresss. Il avait peut-tre appos sa signatureau bas du mauvais commandement, avait msestim quelquun qui sentait malgr tout sorti et qui se trouvait dornavant au-dessus, un endroitdo il tirait les fils presque invisibles qui rgissaient la vie de DagfinnTorhus et de tous les autres aux Affaires trangres. Car lambition avait

disparu de faon pratiquement imperceptible, et un beau matin, il vit sou-dain dans le miroir de la salle de bains un chef de bureau menant une viebien range, un influent bureaucrate standard qui ne parviendrait pas sehisser au quatrime tage, pas avec la courte dcennie quil lui restait avantque ne sonne lheure de la retraite. moins dune prouesse remarquable,bien entendu. Mais ce genre de prouesse avait gnralement linconvnientde conduire ou bien lavancement, ou bien au renvoi.

Il continua malgr tout comme avant, en essayant de toujours de-

vancer les autres dune encablure. Premier arriv au bureau jour aprs jour,de manire pouvoir lire les journaux et ses fax dans le calme, et avoir sesconclusions prtes pour la runion du matin, alors que les autres en taientencore se frotter les yeux pour en chasser le sommeil. Ctait comme silavait eu lavidit dans le sang.

Il ouvrit la porte de son bureau et hsita un moment avant de don-ner de la lumire. a aussi, a avait une histoire, celle dune lampe fronta-

le. Elle avait malheureusement t vente, et il savait quelle tait devenueun classique dans le milieu. De nombreuses annes auparavant,


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lambassadeur des tats-Unis en fonction lpoque tait venu pour untemps Oslo, et il avait appel Torhus un matin, ds potron-minet, pour luidemander ce quil avait pens des allocutions nocturnes du prsidentCarter. Torhus venait darriver son bureau, navait lu ni journaux ni fax,et il navait su quoi rpondre. a lui avait bien entendu fichu sa journe en

lair. Et les choses devaient empirer. Le matin suivant, lambassadeur avaitappel linstant o il ouvrait son journal, pour lui demander en quoi lesvnements de la nuit influeraient sur la situation au Moyen-Orient. aavait t encore autre chose le lendemain matin. Torhus avait bredouillses rponses ineptes, min de rserve et de manque dinformation.

Il stait mis arriver encore plus tt au boulot, mais lambassadeursemblait possder un sixime sens qui le faisait appeler chaque matin aumoment o Torhus prenait possession de son fauteuil.

Ce ne fut que lorsquil apprit par hasard que lambassadeur rsidaitau petit htel Aker, pile en face des locaux des Affaires trangres, quilcomprit le lien. Lambassadeur, dont tout le monde savait quil aimait selever de bonne heure, avait videmment remarqu que la lumire du bureaude Torhus sallumait plus tt que celle de ses collgues, et il avait voulufaire un peu tourner en bourrique ce fonctionnaire mticuleux. Torhus taitsorti sacheter une lampe frontale, et le lendemain matin, il avait lu tous ses

journaux et fax avant dallumer dans son bureau. Il avait continu ce petitjeu durant trois semaines avant que lambassadeur ne jette lponge.Mais pour lheure, Torhus se moquait pas mal de ce rigolo

dambassadeur. Il avait ouvert lenveloppe des transmissions, et pris con-naissance, sur la copie papier marque STRICTEMENT CONFIDENTIELdu texte crypt quil venait de dchiffrer, dun message qui lui fit renverserdu caf sur les pages de notes qui jonchaient son bureau. La concision dutexte laissait le champ libre limagination, mais son contenu sonnait en

gros ainsi : lambassadeur de Norvge en Thalande, Atle Molnes, avait tretrouv avec un couteau plant dans le dos, dans un lupanar de Bangkok.

Torhus relut une fois le message avant de le lcher.Atle Molnes, ex-membre du Kristelig Folkeparti[2], ex-leader du

comit de finances, tait aussi maintenant ex-tout-le-reste. Ctait si in-croyable quil jeta sans le vouloir un coup dil en direction de lhtelAker, pour voir sil y avait du mouvement derrire les rideaux.

Lexpditeur, selon toute vraisemblance, tait lambassade de Norvge Bangkok. Torhus gmit. Pourquoi fallait-il que a arrive prcisment


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maintenant, et prcisment Bangkok ? Devait-il dabord informerAskildsen ? Non, celui-ci le saurait bien assez tt. Torhus jeta un il lheure et dcrocha son tlphone pour appeler le ministre des Affairestrangres.

Bjarne Mller frappa doucement la porte et ouvrit. Les voix seturent dans la salle de runion, et les visages se tournrent vers lui.

Voici donc Bjarne Mller, capitaine la brigade criminelle ,informa la chef de la brigade locale en faisant signe au nouvel arrivant desasseoir.

Mller, voici le secrtaire dtat Bjrn Askildsen, du cabinet duPremier ministre, et Dagfinn Torhus, des Affaires trangres.

Mller hocha la tte, tira une chaise et essaya de glisser ses inter-minables guibolles sous la grande table ovale en chne. Il lui semblait quilavait dj vu le visage lisse et juvnile dAskildsen la tlvision. Le cabi-net du Premier ministre ? Il devait sagir dennuis de premire.

Cest bien que vous ayez pu venir aussi vite, grasseya le secr-taire dtat dont les doigts pianotaient impatiemment sur la table. Hanne,tu peux faire un rapide rsum de ce dont nous avons parl ?

Mller avait reu le coup de fil de la chef de la police vingt minutes

plus tt, lorsquelle lui avait donn sans plus de crmonie un quartdheure pour sepointer au ministre des Affaires trangres. Atle Molnes a t retrouv mort, vraisemblablement assassin,

Bangkok , commena la chef de la police.Mller vit le chef de bureau lever les yeux au ciel derrire ses lu-

nettes monture dacier, raction quil comprit lorsquil eut entendu lereste de lhistoire. Il fallait apparemment tre de la police pour prtendrequun homme retrouv avec un couteau plant dans le dos, juste gauche

de lpine dorsale, travers le poumon gauche et jusque dans lecur, avait vraisemblablement t assassin.

Cest une femme qui la trouv dans une chambre dhtel de bordel, simmisa lhomme aux lunettes dacier. Une pute.Jai un peu discut avec mon collgue de Bangkok, fit la chef de

la police. Un homme raisonnable. Il ma promis de la fermer un momentsur cette affaire.

Le premier rflexe de Mller avait t de demander pourquoi iltait question de retarder lofficialisation du meurtre, une couverture mdi-


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atique rapide aidant souvent la police rassembler des indices tant que lesgens se souvenaient et que les traces taient fraches. Mais quelque choselui dit que la question serait perue comme extrmement nave. Il demandadonc combien de temps ils pensaient pouvoir la boucler sur quelque chosede cet acabit.

Par bonheur suffisamment longtemps pour que nous puissionsmettre une version potable sur pieds, rpondit Askildsen. Celle quon apour linstant ne tient pas.

Celle quon a pour linstant? Mller ne put sempcher de sourire.La vraie version avait donc t value et rejete. En tant que nouveau CdPcapitaine de police Mller avait pu viter davoir trop affaire aux poli-tiques, mais il savait que plus on monte dans la hirarchie, moins il est bonde les tenir hors de sa vie.

Jai bien compris que la version que vous avez est dsagrable,mais quentendez-vous par elle ne tient pas?

La chef de la police lana un regard davertissement Mller. Lesecrtaire dtat sourit imperceptiblement.

Nous navons pasbeaucoup de temps, Mller, mais laissez-moitout de mme vous donner un cours clair en matire de politique pratique.Tout ce que je vais dire est bien sr strictement confidentiel.

Il resserra instinctivement le nud de sa cravate, en un mouvementque Mller se souvint vaguement avoir vu lors des interviews tlvises. Donc. Pour la premire fois dans lhistoire de laprs-guerre, nous

avons un gouvernement de centre ayant certaines chances de survie. Pasparce quil y a un fondement parlementaire cela, mais parce que le Prem-ier ministre est par hasard en train de devenir lun des hommes politiquesles moins impopulaires du pays.

La chef de la police et le chef de bureau sourirent lgrement.

Sa popularit repose nanmoins sur le mme fondement fragilequi constitue le capital de tout politicien : la confiance. Le point essentiel,ce nest pas dtre sympathique ou charismatique, cest davoir la confi-ance des gens. Vous savez pourquoi Gro Harlem Brundtland a t si popu-laire, Mller ?

Mller nen avait pas la moindre ide. Pas parce quelle tait croquer, mais parce que les gens taient

persuads quelle tait ce quelle prtendait tre. La confiance, cest a, lematre mot.


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Hochements de tte autour de la table. Ctait vraisemblablementun incontournable.

Atle Molnes et le Premier ministre taient trs lis, aussi bien parleur amiti que par leurs carrires politiques respectives. Ils ont tudi en-semble, ils ont gravi les chelons du parti ensemble, se sont battus lors de

la modernisation de la section jeunesse du parti et ont mme partag unappartement lorsque, tant jeunes, ils ont t appels au Parlement. CestMolnes qui sest dlibrment mis en retrait lorsquils taient tous deuxprtendants dgale valeur pour diriger le parti. En change, le Premierministre lui a apport tout son soutien, et on a vit une dchirante lutte ausein du parti. Tout cela a bien entendu conduit ce que le Premier ministreait une dette de reconnaissance envers Molnes.

Askildsen shumecta les lvres et regarda lextrieur. Pour dire les choses comme elles sont, Molnes naurait pas suivi

de cours de diplomatie, et il y aurait eu peu de chances quil se retrouve Bangkok si le Premier ministre navait pas tir les ficelles. a ressemblepeut-tre de la camaraderie, mais cest une forme de camaraderie ac-cepte, lance et pleinement en vogue lpoque du parti travailliste. Rei-ulf Steen non plus navait pas de formation de diplomate quand il a obtenule poste dambassadeur au Chili.

Son regard revint sur Mller. Une lueur enjoue y dansait, quelquepart au loin. Je ne pense pas avoir besoin de souligner que la confiance que les

gens placent dans le Premier ministre en prendrait un mchant coup si onapprenait quun ami et camarade de parti quil a lui-mme plac ltranger a t retrouv en flagrant dlit, et assassin, par-dessus le mar-ch.

Le secrtaire dtat redonna dun geste de la main la parole la

chef de la police, mais Mller ne put se retenir : Qui na pas un copain qui soit dj all dans un bordel? Le sourire dAskildsen se crispa lgrement dans les coins, et le

chef de bureau aux lunettes dacier se racla la gorge: On ta fait savoir ce que tu avais besoin de savoir, Mller. Laisse-

nous nous occuper des valuations, sil te plat. Ce dont nous avons besoin,cest de quelquun qui veille ce que lenqute dans cette affaire ne

prenne pas un tour malheureux. Nous souhaitons bien sr tous que le ou lesmeurtriers soient apprhends, mais les circonstances qui entourent ce


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crime doivent donc tre tenues secrtes, et ce jusqu nouvel ordre. Danslintrt de la nation. Vous comprenez.

Mller regarda ses mains. Dans lintrt de la nation. Ferme-la. Onnavait jamais t spcialement dou pour bien encaisser les rappels lordre, dans sa famille. Son pre navait jamais dpass le grade dagent

de police.Nous savons dexprience que la vrit est souvent difficile

cacher, dit-il au chef de bureau.Ce nest pas faux. Cest moi qui aurai la responsabilit de cette

opration, au nom du ministre des Affaires trangres. Vous comprenezque cest une affaire particulirement dlicate, qui exige que la police tha-landaise travaille dans le mme sens que nous. Puisque lambassade estimplique, nous aurons une certaine marge de manuvre, immunitdiplomatique et jen passe, mais nous avanons en terrain min. Cestpourquoi nous voulons envoyer quelquun ayant de vastes comptences enmatire dinvestigations, une exprience de travail avec des servicestrangers et qui puisse prsenter des rsultats antrieurs.

Il se tut et regarda Mller, qui se demandait do lui venait cettemauvaise volont instinctive quil prouvait lgard de ce bureaucrate aumenton agressif.

Onpourrait former une quipe avecPas dquipe, Mller. Moins on fera de potin, mieux ce sera. Deplus, votre suprieure nous a expliqu que a ne contribuerait certainementpas faciliter la coopration avec la police locale si nous envoyions tout unbataillon. Un seul homme.

Un seul homme ?La chef de la police nous a dj propos un nom, et nous pensons

que la proposition a lair bonne. Il sagit de lun de vos subordonns, et

nous vous avons fait venir pour vous demander quel est votre point de vuesur lui. Daprs les conversations que la chef de la police a eu avec soncollgue de Sydney, il y aurait fait remarquablement bonne impression lanpass, dans laffaire du meurtre dInger Holter.

Jai lu cette histoire dans les journaux, lhiver dernier, ditAskildsen. Impressionnant. Ce serait donc lui, notre homme ?

Bjarne Mller dglutit. La chef de la police avait donc suggr

quils envoient Harry Hole Bangkok. On lavait fait venir pour quil lesassure que Harry Hole tait ce que la police avait de mieux en rayon,


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lhomme idal pour ce boulot.Il jeta un coup dil circulaire autour de la table. Politique, pouvoir

et influence. Ctait un jeu auquel il ne comprenait goutte, mais il sentaitque dune faon ou dune autre, tout ceci devait tre dans son intrt. Ilvenait de piger que tout ce quil dirait ou ferait pouvait avoir des

consquences sur lavenir de sa carrire. La chef de la police stait enga-ge en proposant un nom. Ctait vraisemblablement lun des autres quiavait demand ce que les qualifications de Hole soient confirmes parson suprieur direct. Il regarda la chef de la police et tenta de soutenir sonregard. Bien sr, il ntait pas exclure que tout se passerait bien avecHole. Et sil leur dconseillait dely envoyer, ne risquait-il pas de mettresa chef dans une situation dlicate ? On lui demanderait de proposer quel-quun dautre, et ne serait-ce alors pas sa propre tte qui se retrouverait surle billot, si la personne dsigne faisait foirer laffaire?

Mller leva les yeux sur un tableau plac en hauteur, derrire lachef de la police, do Trygve Lie, secrtaire gnrale aux Nations unies, leregardait svrement. Politicien, lui aussi. travers les fentres, il vit lestoits des immeubles dans la faible lumire hivernale, Akershus Festning etune girouette qui tremblait dans les bourrasques glaciales, au sommet delhtel Continental.

Bjarne Mller savait quen tant que policier il tait comptent, maiscette fois-ci, ctait autre chose, il ne connaissait pas les rgles de ce jeu.Que lui aurait conseill son pre ? Ouais, il navait en fait jamais eu besoinde se frotter aux politiques, lagent Mller. Mais il avait compris ce quilfallait pour tre pris en considration, et avait interdit son fils dentrer lcole de police avant davoir boucl son premier cycle dtudes de droit.Et le reste, par la suite. Il avait fait comme le lui avait dit son pre, et lissue de la crmonie de fin dtudes, le pre avait tap dans le dos du fils

tout en se raclant la gorge, jusqu ce que Bjarne le prie de bien vouloirarrter.

Une bonne proposition, sentendit dire Bjarne Mller dune voixclaire et bien timbre.

Bien, fit Torhus. Si nous voulions que la dcision soit prise dansles dlais les plus brefs, cest bien entendu parce que le temps presse. Ilnaura qu laisser tomber tout ce quil est en train de faire, il part

demain. Eh bien, peut-tre est-ce justement un boulot de ce genre dont Hole


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a besoin, pensa Mller, plein de confiance. Dsols de devoir vous priver dun homme aussi prcieux, dit

Askildsen.Le capitaine de police Bjarne Mller dut faire un gros effort sur lui-

mme pour ne pas clater de rire.


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Chapitre 3

Ils le trouvrent chez Schr0der, dans Waldemar Thranes gate, un

vieux et vnrable dbit de boissons situ au carrefour qui joint les partiesest et ouest dOslo. Plus vieux que vnrable, pour tre parfaitementhonnte. La respectabilit du lieu tenait en ce que le conservateur de laville avait trouv bon de classer au patrimoine municipal les locaux brunset enfums. Mais cette dmarche ne comprenait pas la clientle, une espcechasse et menace dextinction, compose danciens alcooliques,dternels tudiants issus de milieux ruraux et de don Juan fatigus surlesquels le cachet de la poste avait t appos il y a bien longtemps.

Les deux officiers de police virent la grande carcasse assise sous unvieux tableau reprsentant lglise dAker, lorsque lair qui entra par laporte ouverte dissipa momentanment la couverture de fume. Ses cheveuxblonds taient coups si court quils pointaient perpendiculairement aucrne, et la barbe de trois jours qui couvrait le bas de ce visage maigre etmarqu contenait un soupon de gris, mme sil ne devait pas avoir dpas-s de beaucoup le milieu de la trentaine. Il tait assis seul, le dos droit, son

caban sur le dos, comme sil tait sur le dpart. Comme si la pinte quilavait sur la table devant lui ntait pas l pour son plaisir, mais plutt untravail abattre.

Ils nous ont dit quon te trouverait ici, dit le plus g des deux ensasseyant sur la chaise den face. Je suis linspecteur Waaler.

Vous voyez le type, l-bas, son coin de table ? demanda Holesans lever les yeux.

Waaler se retourna et vit un vieil homme efflanqu osciller davant

en arrire, le regard viss au fond de son verre. Il semblait frigorifi. Ilslappellent le dernier des Mohicans.

Hole leva le visage vers eux et fit un large sourire. Ses yeux taientcomme des billes bleu clair derrire un rseau de vaisseaux rouges, et sonregard se fixa quelque part sur la poitrine de Waaler.

Marin, pendant la guerre, dit-il en prononant bien distinctementchaque mot. Il y a quelques annes, il y en avait des tas ici, bien sr, mais

maintenant, il nen reste plus beaucoup. Celui-l, l-bas, sest fait torpillerdeux fois pendant la guerre. Il se croit immortel. La semaine dernire, je


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lai retrouv endormi sur une congre, dans Glckstadgata, aprs la ferme-ture. Il ny avait personne, il faisait nuit noire et moins dix-huit. Quand jelai eu rveill force de le secouer, il ma simplement regard et ma pridaller me faire foutre. Il sesclaffa. coute, Hole

Je suis all le voir hier, sa table, pour lui demander sil se rap-

pelait ce qui stait pass, je veux ire, javais vit ce type de mourir defroid Vous savez ce quil a rpondu?

Mller voudrait te voir, Hole.Il ma dit quil tait immortel. a mest gal dtre un ancien

marin indsirable, ma-t-il dit. Mais cest vraiment trop dgueulasse quandmme saint Pierre ne veut pas avoir affaire vous. Vous avez entendu?Mme saint Pierre

Nous avons reu la consigne de te ramener au poste de police. Une nouvelle pinte atterrit avec un bruit sourd sur la table, devant

Hole. On fait les comptes, maintenant, Vera.280, rpondit-elle sans avoir besoin de consulter ses tickets de

caisse.Seigneur, murmura le jeune brigadier.Cest bon, Vera.

Bon. Merci. Elle disparut. Le meilleur service de la ville, renseigna Harry. Il arrive quils tevoient sans que tu aies besoin de faire des moulinets des deux bras.

Waaler avait tir les oreilles en arrire, si bien que la peau de sonfront stait tendue et quune veiney mergeait, telle un serpent bleu ettordu.

Nous navons pas le temps de rester assis l couter des his-toires de pochetron, Hole. Je propose que tu tires un trait sur la dernire

pinHole avait dj lentement port le verre ses lvres, et buvait.Waaler se pencha en avant et tenta de parler bas : Je te connais, Hole. Et je ne taime pas. Je pense quon aurait d

te lourder de la maison il y a longtemps. Ce sont des mecs comme toi quifont que les gens perdent le respect quils peuvent avoir pour la police.Mais ce nest pas pour a quon est ici, pour linstant. On est venus te

chercher. Le CdP est un bon gars, il te donnera peut-tre une chance sup-plmentaire.


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Hole rota, et Waaler se rejeta en arrire sur sa chaise. Une chance pour quoi ?Pour lui montrer de quoi tu es capable, rpondit le jeune brigadier

en tentant un sourire enfantin.Cest ici, que je vais te montrer de quoi je suis capable, dit Hole

avec un sourire avant de porter le verre son bec et de pencher la tte enarrire.

Bordel, Hole ! La racine du nez de Waaler rougit tandis que luiet son collgue assistaient aux bonds que faisait la pomme dAdam de Holesous la peau barbue de sa gorge.

Satisfait ? demanda Hole en reposant le verre vide devant lui.Notre mission mindiffre au dernier degr. Hole reboutonna son caban.

Si Mller veut quelque chose, il peut me tlphoner, ou bien attendre quejarrive au boulot, demain. Maintenant, jaspire rentrer chez moi et neplus avoir vos trombines en face de moi pour les douze prochaines heures.Messieurs

Harry dplia ses cent quatre-vingt-dix centimtres et fit un imper-ceptible pas en avant pour conserver son quilibre.

Espce de connard arrogant, fit Waaler en se balanant vers

larrire sur sa chaise. Pauvre loser! Si ces pisse-copies qui ont crit desarticles sur toi aprs ces histoires australiennes savaient le peu de couillesque

Cest quoi, avoir des couilles. Waaler? Hole navait pas cessde sourire. Passer des jeunes de seize ans tabac dans leur cellule, parcequils ont opt pour la crte dIroquois?

Le jeune brigadier jeta un coup dil rapide Waaler. Des rumeursavaient circul lcole de Police, lan pass, propos de quelques jeunes

rebelles coffrs pour consommation dalcool dans un lieu public quiavaient t tabasss dans leur cellule avec des oranges emballes dans desserviettes mouilles.

Lesprit de corps est quelque chose qui ta toujours chapp,Hole, dit Waaler. Tu ne penses qu toi. Tout le monde sait qui conduisaitcette bagnole, Vinderen, et pourquoi un bon policier a eu la tte clateen deux sur ce piquet de clture. Parce que tu es un poivrot et que tu con-

duisais beurr, Hole. Tu peux testimer foutrement heureux queladministration ait noy laffaire, car sils navaient pas voulu prendre en


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compte sa famille et la rputation de la policeLe jeune brigadier tait novice et apprenait de nouvelles choses

chaque jour. Cet aprs-midi-l, il apprit par exemple quil estpassablementidiot de se balancer sur une chaise quand on insulte quelquun, parce quonest compltement vulnrable si linsult bondit brusquement en avant pour

placer un direct du droit entre les yeux de son interlocuteur. Puisque lesgens tombent souvent de leur sige chez Schrder, il ny eut que quelquessecondes de silence avant que le bourdonnement des conversations nereprenne.

Il aida Waaler se relever et distingua les basques du manteau deHole qui disparaissaient en voletant par la porte.

Ptard, pas mal, aprs huit bires, hein ? dit-il avant de se d-pcher de la boucler quand son regard rencontra celui de Waaler.

Les jambes de Harry descendaient grands pas ngligeant la glacelisse de Dovregata. Ses articulations ne lui faisaient pas mal, mais ni ladouleur ni le repentir navaient droit de visite avant le lendemain matin.

Il ne buvait pas pendant le service. Pas encore. Mme sil lavaitdj fait, et mme si le docteur Aune prtendait que chaque fissure prendnaissance l o la prcdente sest arrte.

Le clone de Peter Ustinov, chenu et gras comme une loche, avait ri sen faire vibrer le double menton lorsque Harry lui avait dit se tenir lcart de son vieil ennemi Jim Beam et ne boire que de la bire. Parcequil naimait pas particulirement la bire.

Tu as t faire un tour dans le foss, Harry, et linstant mme otu ouvres la bouteille, tu y retournes. Il ny a pas de moyen terme, Harry.

Bon. Il rentrait chez lui sur ses deux jambes, changeait gnrale-ment de vtements et allait bosser. Il nen avait pas toujours t ainsi. Har-

ry appelait a un moyen terme. Il avait juste besoin dun zeste danesthsiepour pouvoir dormir, ctait tout.

Une fille le salua de dessous une toque en fourrure. tait-ce quel-quun quil connaissait? Au printemps dernier, il y avait eu davantage degens qui lavaient salu, surtout aprs cette interview Redaksjon 21 pen-dant laquelle Anne Grosvold lui avait demand quel effet a faisaitdallumer un tueur en srie.

Eh bien Cest plus sympa que dtre ici rpondre des ques-tions de ce tonneau , avait-il rpondu avec un sourire, et ctait devenu le


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must du printemps, la phrase la plus cite depuis les moutons sont desanimaux O. K.[3] .

Harry introduisit sa cl dans la serrure de la porte cochre. Sofiesgate. La raison pour laquelle il tait venu habiter Bislett, lautomne, nelui sautait pas aux yeux. Peut-tre tait-ce parce que les voisins, Tyen,

avaient commenc le regarder bizarrement, en gardant une sorte de dis-tance quil avait prise au dbut, il est vrai, pour une marque de respect.

Pas de problme, ici, les voisins lui fichaient la paix, mais sortaientsur le palier pour contrler si tout allait bien lorsqu de rares occasionsvesprales il lui arrivait de louper une marche et de dgringoler jusqultage infrieur.

Ces acrobaties navaient commenc quen octobre, aprs avoir en-caiss le coup pour ce qui tait arriv la Frangine. a avait alors tcomme si tout air labandonnait, et il avait recommenc rver. Et il neconnaissait quun moyen de tenir ces rves lcart.

Il avait essay de prendre son courage deux mains, avait emmenla Frangine dans leur cabane de Rauland, mais elle stait replie sur elle-mme aprs un viol immonde dont elle avait t victime, et ne riait plusaussi facilement quavant. Et puis, il avaitappel son pre quelques re-prises, mais ce ntait plus les longues conversations davant, juste de quoi

comprendre que son pre voulait avoir la paix.Harry ferma la porte de lappartement derrire lui, cria quil taitrentr et hocha la tte avec satisfaction en nentendant pas de rponse. Lesmonstres viennent sous nimporte quelle forme, mais tant quils ne se te-naient pas prts dans la cuisine au moment o il rentrait, il restait deschances pour que la nuit se droule dans le calme.


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Chapitre 4

Le froid assaillit si brusquement Harry quand il passa la porte de

limmeuble quil chercha inconsciemment reprendre son souffle. Il levales yeux vers le ciel rougissant entre les immeubles, et ouvrit la bouchepour que sen chappent les gots de bile et de Colgate.

Arriv sur Holbergs plass, il eut tout juste le temps dattraper sontramway qui descendait bruyamment Welhavensgate. Il alla sasseoir etdpliaAftenposten. Encore une affaire de pdophile. Il y en avait eu troisces derniers mois, tous des Norvgiens pris en flagrant dlit en Thalande.

Lditorial rappelait les promesses que le Premier ministre avaitfaites lors de la dernire campagne lectorale, qui garantissaient une inten-sification des investigations en matire de pdophilie, y compris ltranger, et se demandait quand on pourrait en avoir les rsultats.

En commentaire, le secrtaire dtat Bjrn Askildsen, du cabinetdu Premier ministre, expliquait quils tentaient toujours darriver un ac-cord avec la Thalande pour pouvoir enquter sur place sur les crimes sex-uels, et quils tablaient sur des rsultats rapides aussitt laccord conclu.

a urge ! concluait le journalistedAftenposten. Lesgens at-tendent quon fasse quelque chose. Un Premier ministre chrtien ne peutpas admettre que ces horreurs se poursuivent.

Entrez ! Harry ouvrit et plongea le regard dans la gueule bante de Bjarne

Mller, qui stirait de tout son long dans son fauteuil, de telle sorte queses longues guibolles pointaient de lautre ct du bureau.

Voyez-vous a ! Je tai attendu, hier, Harry.Jai eu le message. Harry sassit. Je ne vais pas bosser quand

je suis pt. Et inversement. Une sorte de principe que jai adopt. Larponse tait cense reflter lironie.

Un policier est un policier vingt-quatre heures sur vingt-quatre,Harry, jeun ou bourr. Il a fallu que je persuade Waaler de ne pas crireun rapport sur toi ; tu piges ?

Harry haussa les paules, signalant quil avait dit tout ce quilsouhaitait concernant cette affaire.


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O. K., Harry, on passe l-dessus. Jai un boulot pour toi. Un bou-lot qu mon avis tu ne mrites pas, mais que jai malgr tout pens te con-fier.

a te fait plaisir, si je te dis que je nen veux pas? demanda Har-ry.

Arrte de jouer les Marlowe, Harry, a ne te va pas , dit Mllerdun ton bourru. Harry lui fit un sourire en coin. Il savait que le capitainede police laimait bien.

Je nai dailleurs mme pas dit de quoi il sagissait.tant donn que tu envoies une voiture me chercher sur mon

temps libre, je me doute que ce nest pas pour aller faire la circulation.Bien vu, alors pourquoi tu ne veux pas me laisser terminer ? Harry partit dun petit rire sec et se pencha en avant sur sa chaise. Est-ce quon va se dire tout ce quon a sur la patate, chef? Quelle patate ? faillit demander Mller, mais il se contenta de

hocher la tte. Je ne suis pas lhomme idal pour les grandes missions, en ce

moment, chef. Je suppose que tu as toi-mme vu comment a marche, cestemps-ci. Que a ne marche pas. Ou tout juste. Je fais mon boulot, la rou-tine, jessaie de ne pas mettre des btons dans les roues des autres, et je

pointe jeun, lentre comme la sortie. ta place, jaurais fil le job un autre mec. Mller soupira, ramena grand-peine ses genoux et se leva. Ce quon a sur la patate, hein, Harry? Si a navait tenu qu

moi, cest unautre qui aurait rcolt le job. Mais ctait toi quils vou-laient. Cest pourquoi a me rendrait un gros service, Harry

Harry leva une paire dyeux perants. Bjarne Mller lavait tir desuffisamment de mauvaises passes ces douze derniers mois pour savoir que

ce ntait quune question de temps avant que le remboursement de la dettene se profile.

Stop ! Qui cest, ils?Des gens haut placs. Des gens qui peuvent me pourrirla vie sils

nobtiennent pas ce quils veulent.Et quest-ce que je gagne rpondre lappel? Mller frona les sourcils du mieux quil put, mais il avait toujours

eu des difficults faire en sorte que son visage juvnile ait lairsuffisamment bourru.


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Ce que tu y gagnes ? Tu y gagnes ta paie. Aussi longtemps que adure. Ce que tu y gagnes Nom de Dieu!

Je crois que je commence y voir plus clair, chef. Certaines despersonnes dont tu parles sont davis que ce cher Monsieur Hole qui a fait lemnage Sydney lan pass doit tre un sacr bonhomme,et ton boulot,

cest juste de mettre ce mec en route. Je me trompe?Harry, sois gentil et ne pousse pas le bouchon trop loin.Je ne me trompe pas. Je ne me suis pas tromp, hier non plus,

quand jai vu la tronche de Waaler. Cest pourquoi jai pris la nuit pourrflchir, et voici ce que je propose : je suis sympa, je me mets dans lesstarting-blocks, et quand jai termin, tu me confies deux enquteurs plein temps, pendant deux mois, avec accs tout ce qui peut existercomme bases de donnes.

De quoi parles-tu ?Tu sais de quoi je parle.Sil sagit toujours du viol de ta sur, je ne peux que te dire que

je suis dsol, Harry. Je suppose que tu te souviens que cette affaire a for-mellement t classe sans suite.

Je men souviens, chef. Je me souviens de ce rapport qui prcisaitquelle tait affecte du syndrome de Down, et quil nest par consquent

pas exclure quelle ait mont toute cette histoire de viol pour cacher lefait quelle tait enceinte suite un rapport avec unmec quelle connaissaitcomme a. a, oui, merci, je men souviens.

Il ny a pas eu deElle avait pens le tenir secret. Bon sang, mon vieux, je suis all

dans son appartement Sogn, et jy ai par hasard vu un soutien-gorge pleinde taches de sang, dans le panier linge sale de la salle de bains. Il a falluque je la force me montrer ses seins. Il lui avait fait lablation dun tton,

et elle avait saign pendant plus dune semaine. Elle pense que tout lemonde est comme elle, et quand ce mec en costard la dabord invite dner avant de lui demander si elle voulait venir voir un film dans sa cham-bre dhtel, elle sest juste dit quil tait trs gentil. Et si elle avait pu sesouvenir du numro de la chambre dhtel, la chambre aurait de toute fa-on dj t passe laspirateur, nettoye et les draps changs plus dunevingtaine de fois depuis que ctait arriv. a laissait peu de traces tech-

niques.Personne ne se souvenait avoir vu des draps tachs de sang


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Jai boss lhtel, Mller. Tu serais surpris si je te disais combi-en de draps tachs de sang on change en lespace de deux ou troissemaines. Les gens passent leur temps saigner.

Mller secoua nergiquement la tte. Sorry. Tu as dj eu la possibilit de le prouver, Harry.

Pas suffisamment, chef. Ce ntait pas suffisant.Ce nest jamais suffisant. Maisil faut bien sarrter quelque part.

Avec nos ressourcesLaisse-moi au moins les mains libres, pour que je me dbrouille

tout seul. Pendant un mois. Mller releva brusquement la tte et ferma trs fort les yeux. Harry

sut quil tait dmasqu. Espce denfoir, tu as eu envie de bosser pendant tout ce temps,

pas vrai ? Il a juste fallu que tu ngocies un peu avant ? Harry fit pointer sa lvre infrieure vers lavant, et dodelina du

chef. Mller regarda par la fentre. Puis il poussa un gros soupir. O. K., Harry. Je vais voir ce que je peux faire. Mais si tu far-

fouines l-dedans, je vais avoir besoin de prendre deux ou trois rsolutionsque jaurais d prendre il y a belle lurette selon certains dans la maison. Tuvois ce que a implique ?

On ne peut mieux, chef, rpondit Harry avec un sourire. Alors,cest quoi, ce boulot?Jespre que ton costume dt est propre et que tu te souviens o

tu as mis ton passeport. Ton avion part dans douze heures, et tu vas loin.Plus loin ce sera, mieux ce sera, chef.

Harry tait assis sur une chaise prs de la porte du petit logementsocial de Sogn. Sa sur tait assise prs de la fentre, et regardait les

flocons de neige qui passaient dans le cne de lumire du rverbre, audehors. Elle renifla plusieurs reprises. tant donn quelle lui tournait ledos, Harry ne pouvait pas savoir coup sr si ctait d au rhume ou auxadieux. Elle habitait l depuis deux ans, et sen sortait plutt bien, tantdonn les circonstances. Tout de suite aprs le viol et lavortement, Harrytait venu sinstaller chez elle avec quelques vtements et sa trousse detoilette, mais elle lui avait dit aprs seulement quelques jours que a

suffisait. Quelle tait grande, prsent. Je reviens bientt, Frangine.


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Quand a ? Elle se tenait si proche de la vitre quune rose de bue jaillissait

chaque fois quelle parlait.Harry vint derrire elle et posa une main dans son dos. Il sentit au

faible frissonnement quelle ne tarderait pas se mettre pleurer.

Quand jaurai attrap les mchants. ce moment-l, je revienstout de suite.

Est-ce queNon, ce nest pas lui. Lui, je le coffrerai aprs. Tu as eu Papa,

aujourdhui? Elle secoua la tte. Harry soupira. Sil nappelle pas, je veux que ce soit toi qui appelles. Tu peux le

faire pour moi, Frangine ?Papa ne dit jamais rien, chuchota-t-elle.Papa est triste parce que Maman est morte.Mais a fait si longtempsCest pour a quil est temps de faire en sorte quil se remette

parler, et pour a, il faut que tu maides. Tu veux bien? Tu veux bien,Frangine ?

Elle se retourna sans mot dire, passa ses bras autour du cou de Har-

ry et enfouit sa tte dans le creux de son cou.Il lui passa la main sur les cheveux et sentit que le col de sa che-mise allait bientt tre tremp.

La valise tait boucle. Harry avait appel Aune et lui avait dit quilpartait en dplacement Bangkok. Il navait pas eu grand-chose dire, etHarry ne savait pas exactement pourquoi il avait appel. Peut-tre parceque ctait bien dappeler quelquun susceptible de se demander o taitpass Harry, peut-tre ? Du reste, Harry ne se voyait pas trop appeler les

serveuses de chez Schrder. Emporte les piqres de vitamine B que je tai donnes, conseilla

Aune.Pourquoi a ?a facilite les choses sil te prend lenvie de rester jeun. Un

nouveau cadre de vie, a peut tre une bonne occasion, tu sais, Harry.Je vais y penser.

a ne suffit pas dy penser.Je sais. Cest pour a que je nai pas besoin de prendre les injec-


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tions. Aune gronda. Ctait sa version du rire. Tu aurais d tre clown, Harry.Je tiens le bon bout. Lun des gars de la pension situe plus haut dans la rue se tenait

prs du btiment et frissonnait dans une troite veste en jean tout en tirantsur un mgot, tandis que Harry chargeait sa valise dans le coffre du taxi.

Tu pars en voyage ? demanda-t-il.Tu voisSud ?Bangkok.Seul ?Ouais.Say no more. Il tendit le poing, pouce en lair, et fit un clin dil Harry.

Harry prit le billet que lui tendait la fille derrire le guichetdenregistrement et se retourna.

Harry Hole ? Lhomme avait des lunettes monture dacier,derrire lesquelles il le regardait avec un sourire triste.

Et vous tes?Dagfinn Torhus, du ministre des Affaires trangres. Nousvoulions simplement vous souhaiter bonne chance. Et par la mme occa-sion nous assurer que vous avez compris la nature dlicate de la mission.Tout sest pass trs vite, vous savez.

Je vous remercie de votre sollicitude. Jai compris que mon bou-lot consiste retrouver un meurtrier sans faire trop de vagues, oui. Mllerma fait le topo.

Bien. La discrtion a une grande importance. Ne comptez surpersonne. Mme pas sur les gens qui disent tre des Affaires trangres. Ilse peut quils soient en fait de ouais,Dagbladet,par exemple.

Torhus ouvrit la bouche comme pour rire, et Harry se rendit comptequil tait srieux.

Les journalistes deDagbladetne se promnent pas avec un badgedes Affaires trangres au revers de leur veste, monsieur Torhus. Ou de

leur cache-poussire, en janvier. Jai dailleurs vu dans les papiers quonma donns que vous tes mon contact au ministre.


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Torhus acquiesa, davantage pour lui-mme. Puis il pointa le men-ton en avant et baissa sensiblement le ton.

Ton avion ne va pas tarder, alors je ne vais pas te retenir long-temps. coute simplement le peu de choses que jai te dire.

Il sortit les mains des poches de son manteau et les joignit devant

lui. Quel ge as-tu, Hole ? Trente-trois ? Trente-quatre ? Tu as encore

des possibilits de carrire devant toi. Il se trouve que je me suis renseignun peu sur toi. Tu as du talent, et il est clair quil y a des gens en amontdans le systme qui tapprcient. Et te protgent. Et a peut fonctionnercomme a aussi longtemps que les choses iront bien. Mais il ne faudra pasun gros cart pour que tu te retrouves sur le cul, et tu peux rapidement en-traner ton partenaire avec toi. Et ce moment-l, tu dcouvriras que tesprtendus amis sont bien loin. Alors, mme si tu ne vas pas toute vitesse,essaie au moins de rester debout, Hole. tout point de vue. Cest un con-seil amical que te donne un vieux patineur de vitesse.

Sa bouche sourit, mais ses yeux scrutaient le visage de Harry. Tu sais quoi, Hole ? Jai toujours une dprimante sensation de

cessation dactivit, quand je viens Fornebu. De dpt de bilan et dedpart.

Pas possible ? ! fit Harry tout en se demandant sil aurait le tempsde prendre une bire avant la fermeture de la porte dembarquement. Ehbien, de temps en temps, a peut faire du bien. La nouveaut, jentends.

Esprons, rpondit Torhus. Esprons.


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Chapitre 5

Harry Hole rajusta ses lunettes de soleil et parcourut du regard la

file de taxis qui attendaient devant Don Muang International Airport. Ilavait la sensation dtre entr dans une salle de bains o quelquun auraittout juste achev de prendre une douche bouillante. Il sut quil pouvait ces-ser de penser au secret de la rsistance une hygromtrie leve. Il nyavait qu laisser coulerla sueur et penser autre chose. La lumire taitbien plus gnante. Elle transperait les verres fums bon march de seslunettes et tapait pile sur sa rtine alcoolise ! relanant la migraine quijusque-l avait couv dans ses tempes.

250 bahts or metel taxi, sil ? Harry essaya de se concentrer sur ce que lui disait le chauffeur de

taxi qui lui faisait face. Le vol avait t un cauchemar. Le kiosque delaroport de Zurich ne vendait que des bouquins en allemand, et ilsavaient passSauvez Willy 2dans lavion.

Le taximtre conviendra , rpondit Harry.Dans lavion, un Danois intarissable assis dans le fauteuil voisin

avait dcid dignorer le fait que Harry tait pompette et lavait abreuv deconseils sur la faon de ne pas se faire avoir en Thalande, un sujet ap-paremment inpuisable. Il devait certainement penser que les Norvgienssont de charmants nafs et que cest un devoir vident pour tout Danois deleur viter de se faire arnaquer.

Il faut tout marchander, avait-il dit. Cest comme a que a sepasse, tu comprends ?

Et si je ne le fais pas ?

Alors tu nous casses la baraque.Plat-il ? ce moment-l, tu contribues faire grimper les prix, et tu rends

la Thalande plus chre pour ton prochain. Harry avait tudi lhomme avec davantage dattention. Il portait

une chemise Marlboro beige et des sandales de cuir toutes neuves. Mieuxvalait se trouver autre chose boire.

Surasak Road 111 , dit Harry au chauffeur qui sourit, chargea lavalise dans le coffre et tint la portire Harry. Celui-ci se glissa dans la


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voiture et constata que le volant se trouvait droite. En Norvge, on se plaint que les Anglais insistent pour pouvoir

continuer conduire gauche, dit-il lorsquils dbouchrent sur la voierapide. Mais jai rcemment appris quune majorit de gens conduisent droite. Tu sais pourquoi ?

Le chauffeur jeta un coup dil dans son rtroviseur intrieur etsourit de plus belle. Surasak Road, yes ?

Parce quen Chine, on conduit droite, murmura Harry, heu-reux que la voie rapide fende le paysage brumeux de gratte-ciel commeune flche grise rectiligne. Il sentit que quelques virages trop secs lui suffi-raient pour se dbarrasser de lomelette de la Swissair sur la banquette ar-rire.

Pourquoi le taximtre nest-il pas branch ?Surasak Road, 500 bahts, yes ?Harry se renversa sur son sige et leva les yeux au ciel. vrai dire,

il leva simplement les yeux, car il ny avait pas de ciel voir, simplementune vote de brouillard travers laquelle perait la lumire dun soleilquil ne parvint pas non plus voir. Bangkok, la ville des anges . Lesanges portaient des billons et coupaient lair au couteau en essayant de serappeler la couleur quavait eu le ciel dans le temps.

Il avait d dormir, car lorsquil rouvrit les yeux, le vhicule nebougeait plus. Il se haussa sur son sige et vit quils taient entours devoitures. De petites choppes ouvertes se succdaient en rang serr le longdes trottoirs qui grouillaient de tas de gens ayant tous lair de savoir ex-actement o aller. Et quil tait urgent quils y aillent. Le chauffeur avaitbaiss une vitre, et une cacophonie davertisseurs se mlait lautoradio.La berline surchauffe sentait les gaz dchappement et la transpiration.

Bouchon ?

Le chauffeur secoua la tte en souriant.Harry grina des dents. Quavait-il lu ? Que tout le plomb que vous

inhalez finissait par arriver au cerveau ? Et quon en perdait probablementla mmoire. Ou bien devenait-on psychotique ?

Comme par miracle, il y eut nouveau du mouvement parmi lesvoitures, et les motos et cyclomoteurs vrombirent autour deux commeautant dinsectes en colre en se jetant dans les carrefours avec un mpris

vident du danger. Harry dnombra quatre quasi-accidents caractriss. Incroyable que a ne tourne pas la catastrophe , dit Harry, his-


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toire de dire quelque chose.Le chauffeur regarda dans son rtroviseur et fit un large sourire.

Cest une catastrophe. Souvent. Lorsquils arrivrent enfin devant leposte de police de Surasak Road, Harry avait dj tranch : il naimait pascette ville. Il retiendrait son souffle, ferait son boulot et reprendrait le

premier et pas ncessairement le meilleur avion pour Oslo.

Bienvenue Bangkok, Hally. Le chef de la police tait petit et noiraud, et il avait visiblement

dcid de prouver quen Thalande aussi, on savait saluer loccidentale. Ilserra la main de Harry et la secoua avec enthousiasme en souriant de toutesses dents.

Dsol de ne pas avoir pu venir vous chercher laroport, maisla circulation, Bangkok Il fit un vague geste de la main vers la fen-tre, derrire lui. Sur la carte, ce nest pas si loin, mais

Je sais ce que vous voulez dire, sir. Ils ont dit la mme chose lambassade.

Ils se firent face un instant sans plus rien dire. Le chef de la policesourit. On frappa la porte.

Entrez !

Une tte rase apparut dans louverture. Entrez, Crumley. Le dtective norvgien est arriv.Aha, le dtective. La tte fut complte dun corps, et Harry dut cligner plusieurs fois

des yeux pour tre sr de bien voir. Crumley avait les paules carres etfaisait presque la mme taille que Harry, la mchoire sous le crne chauvetait puissante, et deux yeux perants bleu clair surplombaient une finebouche bien droite. Sa tenue se composait dune veste duniforme bleue,

dune paire dnormes Nike et dune jupe. Liz Crumley, inspecteur principal la criminelle, annona le chef

de la police.Ils disent que tu es un sacr enquteur, Harry, dit-elle en amri-

cain, en se plantant devant lui, les bras le long du corps.Eh bien Je ne sais pas si je suis vraimentAh non ? Il doit bien falloir, pourtant, vu quils tont envoy de

lautre ct duglobe, tu ne crois pas ?Certainement.


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Harry ferma demi les yeux. Ce dont il avait le moins besoin pourlinstant, ctait dune collgue grande gueule.

Je suis ici pour aider. Si je peux aider. Il se fora sourire. Alors il est peut-tre temps de dessoler, Harry ? Dans son dos, le chef de la police partit dun petit rire aigu.

Cest comme a, dit-elle dune voix claire et distincte, comme silntait pas l. Ils font ce quils peuvent pour que personne ne perde la face.Pour linstant, cest la tienne, que jessaie de sauver. En faisant comme sije dconnais. Mais je ne dconne pas. Je suis responsable de la brigadecriminelle, et quand il y a quelque chose que je napprcie pas, je le dis. Cedernier point, a passe pour des mauvaises manires, dans le pays, mais afait dix ans que je le fais.

Harry ferma compltement les yeux. Je vois au rouge qui envahit ta bobine que tu trouves a pnible,

Harry, mais des enquteurs bourrs ne me sont daucune utilit, tu le com-prendras certainement sans difficult Reviens demain. Je vais trouverquelquun pour te conduire lappartement que tu vas occuper.

Harry secoua la tte et sclaircit la voix. Arodromophobie.Pardon ?

Jai peur, quand je prends lavion. Le gin tonic, a aide. Et si jesuis rouge, cest parce quil a commenc suinter par les pores de mapeau.

Liz Crumley le regarda un instant. Puis elle gratta son crne luisant. Cest triste pour toi, inspecteur. Quen est-il du dcalage horaire ?Toujours veill.Super. On fera un dtour par lappartement en allant sur les lieux

du meurtre.

Lappartement quil avait pu se faire prter par lambassade setrouvait dans un ensemble chic, juste en face de lhtel Shangri-La. Il taitminuscule et quip de faon Spartiate, mais offrait une salle de bains, unventilateur prs du lit et une vue sur le fleuve Chao Praya qui coulait,norme et brun. Harry se posta la fentre. De longs et troits bateaux debois le parcouraient en tous sens en faisant jaillir leau sale derrire les

hlices places au bout de longs haubans. De lautre ct du fleuve, deshtels rcents et des immeubles de bureaux occupaient une place im-


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portante dans une masse immobilire indistincte de maisons en briques. Iltait malais de se faire une ide de la taille de la ville parce quelle dis-paraissait dans une brume ocre ds quon essayait de voir plus loin quedeux ou trois pts de maisons, mais Harry supposa quelle devait tregrosse. Trs grosse. Il ouvrit une fentre, et un rugissement monta vers lui.

Aprs le vol, ses oreilles staient dbouches lorsquils avaient prislascenseur, et alors seulement il remarqua quel point le vacarme de cetteville tait assourdissant. Il vit la tire de Crumley, tel un petit jouet prs dutrottoir, loin en-des-sous. Il ouvrit une canette de bire chaude quil avaitgarde depuis lavion et constata avec satisfaction que la Singha tait aussimauvaise que la bire norvgienne. Le reste de la journe lui paraissait djplus surmontable.


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Chapitre 6

Linspecteur principal crasait son klaxon. Littralement. Elle ap-

puyait sa poitrine sur le volant de sa grosse jeep Toyota, et lavertisseurhurlait.

Trs peu thalandais, dit-elle en riant. Et en plus, a ne marchepas. Si tu klaxonnes, ils ne te laissent pas avancer. a a un rapport avec lebouddhisme. Mais je ne peux1 pas men empcher. Merde, je viens duTexas, moi, je ne suis pas faite comme eux.

Elle sallongea nouveau sur son volant, tandis que les automobil-istes qui se trouvaient autour deux regardaient ostensiblement ailleurs.

Il est donc toujours dans cette chambre dhtel? demanda Harryen touffant un billement.

Suivant les directives den haut. Dhabitude, on les autopsie toute berzingue et on les incinre le lendemain. Mais ils veulent que tupuisses y jeter un il, dabord. Ne me demande pas pourquoi.

Je suis un tueur, lorsquil sagit denquter sur un meurtre. Tu asoubli ?

Elle le regarda du coin de lil avant de jeter la jeep dans uncrneau et dcraser le champignon.Ne temballe pas, frimeur. Tu crois peut-tre que les Thalandais

simaginent que tu es un sacr bonhomme parce que tu es farang, maiscest pas a. Ce serait mme plutt le contraire

Farang ?Blanc. Gringo. Mi-pjoratif, mi-neutre, tout dpend de

linterprtation. Souviens-toi juste que la bonne opinion que les Thalan-

dais ont deux-mmes nest pas suspecte, mme sils se comportent poli-ment avec toi. Heureusement pour toi, jai deux jeunes brigadiers de sortieaujourdhui, que tu arriveras certainement impressionner. En tout cas, jelespre pour toi. Si tu fais le con, il est possible que tu rencontres de grosproblmes pour continuer travailler avec ce dpartement.

Eh bien, javais presque limpression que ctait toi qui dcidaisde tout.

Cest bien ce que je dis.Ils taient arrivs sur lautoroute, et elle crasa avec conviction la


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pdale dacclration sans se soucier des protestations du moteur. Le cielavait dj commenc sobscurcir, et vers louest, un soleil rouge cerisetait descendu dans la brume, entre les gratte-ciel.

La pollution donne en tout cas de beaux couchers de soleil, ditCrumley, comme en rponse ses penses.

Parle-moi un peu du trafic de filles, dit Harry.Il est peu prs aussi dense que la circulation.a, jai bien compris. Mais de quoi sagit-il, comment est-ce que

a se passe ? Est-ce que cest une prostitution de rue classique, avec desmaquereaux, des bordels bien tablis dirigs par des mres maquerelles, oubien les prostitues sont-elles indpendantes ? Est-ce quelles tranent dansles bars, est-ce quelles font du strip-tease, de la pub dans les journaux, ouest-ce quelles vont rcolter leurs clients dans les centrescommerciaux ?

Tout a, et davantage encore. Ce qui na pas t essay Bang-kok na pas t essay, tout court. Mais la plupart bossent dans des bars go-go, o elles dansent et essaient de faire casquer le client en boissons surlesquelles elles touchent un pourcentage. Le patron du bar nest li en rienaux filles, hormis par le fait quil leur fournit un endroit o se vendre, tan-dis que les filles sengagent rester jusqu la fermeture du bar. Si un cli-ent veut avoir lune des filles, il doit payerpour quelle soit libre le reste de

la soire. Cest le patron du bar qui encaisse, mais en gnral, la fille peutsestimer heureuse davoir pu faire autre chose que passer le reste de lasoire se trmousser sur une scne.

a na pas lair inintressant pour le patron du barCe que gagne la fille une fois quelle a t libre, elle le garde.Celle qui a retrouv notre homme, est-ce quelle venait dun de

ces bars ?Hmm. Elle bosse dans un des bars King Crown, Patpong.

Nous savons aussi que le propritaire du motel soccupe dune espce decercle de call-girls pour les trangers qui ont des envies particulires. Maisil nest pas vident de la faire parler, car en Thalande, la prostitution nestpas sanctionne aussi lourdement que le proxntisme. Jusqu maintenant,elle na fait que dire quelle vivait dans ce motel, et quelle stait trompede porte.

Elle expliqua quAtle Molnes avait vraisemblablement rserv la

fille quand il tait arriv au motel, mais le rceptionniste, qui ne faisaitquun avec le propritaire, avait catgoriquement ni y tre pour quoi que


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ce soit, hormis le fait quil avait lou une chambre. Nous y voici. Elle fit virer la jeep devant une maison de briques basse. Les meilleures maisons closes de Bangkok semblent avoir un

faible pour les noms grecs , dit-elle dun ton acerbe en descendant de voi-

ture. Harry leva les yeux sur une grosse rampe de non annonant quelhtel sappelait Olympussy. Lemsallumait par intermittence, alorsque le lstait teint pour de bon et donnait lendroit une tristesse quirappela Harry les restaurants-grills des environs dOslo.

Le motel ressemblait sy mprendre sa version amricaine avecson enfilade de chambres doubles autour dun patio, chacune avec sa placede parking. Le long de la faade courait un auvent sous lequel les clientspouvaient prendre place dans des fauteuils en rotin dtremps.

Quel endroit charmant.Tu ne le croiras peut-tre pas, mais quand il est apparu, pendant

la guerre du Vietnam, ctait lun des endroits les plus furieusement animsde la ville. Construit pour ces obsds de soldats amricains en R & R.

R & R ?Rest and Rehabilitation. Familirement appels I & I : Intercourse

and Intoxication. Ils les amenaient par avion de Saigon, pour des permis-

sions de deux jours. Aujourdhui il ny aurait pas dindustrie du sexe icisans lintervention de larme amricaine. Lune des rues, ici, a mme reuofficiellement le nom de Soi Cowboy.

Alors pourquoi ne restaient-ils pas l-bas ? Ici, cest pratiquementla cambrousse

Les soldats qui souffraient le plus du mal du pays voulaient par-dessus tout baiser lamricaine, cest--dire dans des voitures ou deschambres de motel. En centre-ville, ils pouvaient louer des voitures amri-

caines. Ils navaient mme que de la bire amricaine dans les mini-barsdes chambres.

H bien ! Do tires-tu tout a ?Ma mre me la racont.Harry se tourna vers elle, mais mme si les lettres encore en service

dOlympussy jetaient une lueur bleutre sur le crne de la femme, il fai-sait maintenant trop sombre pour quil puisse distinguer une expression

quelconque sur son visage. Elle enfona une casquette sur sa tte, et ilsentrrent la rception.


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La chambre de motel tait meuble simplement, mais portaittoujours la trace de jours meilleurs dans son tapis gris sale. Harry fris-sonna. Non cause du costume jaune qui rendait pratiquement superfluelidentification du corps; Harry savait que seuls des gens du Kristelig

Folkeparti ou du Fremskrittsparti se trimballent volontairement dans de telsatours.

Ce ntait pas d non plus au couteau dcor lorientale qui avaitpunais le costume au dos et faisait faire la veste une bosse peu seyanteau niveau des paules. La raison tait tout simplement quil faisait un froidglacial. Crumley avait expliqu que puisque le dlai de premption descadavres tait trs court sous ce climat, et quils avaient appris quil leurfaudrait attendre presque deux jours larrive du dtective norvgien, ilsavaient fait fonctionner la climatisation plein pot, savoir dix degrs etventilo au maximum.

Les mouches avaient pourtant tenu le coup, et un essaim slevadans les airs lorsque les deux jeunes policiers thalandais retournrent pr-cautionneusement le cadavre sur le dos. Les yeux dAtle Molnes, ternis parla mort, taient braqus vers le bas, comme sil tentait de voir le bout deses propres chaussures Ecco. Sa frange juvnile le faisait paratre plus jeu-

ne que ses cinquante-deux ans. Elle battait devant son front, dlave par lesoleil, comme sil restait encore de la vie. Une femme et une fille adolescente, dit Harry. Aucune des deux

nest venue le voir?Non. Nous en avons inform lambassade norvgienne, et ils nous

ont dit quils transmettraient le message la famille. Nous avons juste reula consigne que personne ne devait entrer ici jusqu nouvel ordre.

De quelquun de lambassade?

La conseillre. Je ne me souviens plus de son nomTonje Wiig ?Cest a. Elle jouait les dures jusqu ce quon le retourne pour

quil soit identifi.Harry observa lambassadeur. Avait-il t bel homme ? Un homme

qui, si lon faisait abstraction de lpouvantable costume et de quelquesbourrelets du ct du ventre, pouvait faire battre le cur dune jeune con-

seillre dambassade plus rapidement? La peau bronze avait pris une nu-ance cadavrique, et une langue bleue semblait essayer de passer en force


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entre les lvres.Harry sassit sur une chaise et regarda autour de lui. Laspect

change vite lorsquun homme meurt, et il avait vu suffisamment de mortspour savoir quil ne gagnerait pas grand-chose garder les yeux braqusdessus. Les secrets que lessence dun homme devait dvoiler, Atle Molnes

les avait emports avec lui depuis longtemps, et il ne restait quune co-quille vide et abandonne.

Harry approcha sa chaise du lit. Les deux jeunes policiers se pen-chrent au-dessus de lui.

Quest-ce que tu vois ? demanda Crumley.Je vois un cavaleur norvgien, accessoirement ambassadeur, qui

par consquent doit voir sa rputation protge par gard pour le Roi et saterre natale.

Elle leva des yeux tonns et le regarda attentivement. Quelle que soit la qualit de la climatisation, il est impossible

den attnuer la puanteur, dit-il. Mais cest mon problme. En ce qui con-cerne ce gonze commena Harry en poussant lgrement le menton dumort de son poing ferm, rigor mortis. Il est raide, mais cette raideur acommenc sestomper, ce qui est normal aprs deux jours. Il a la languebleue, mais le couteau ne fait pas penser un tranglement. vrifier.

Vrifi, dit Crumley. Lambassadeur a bu du vin rouge.Harry bougonna quelque chose. Notre mdecin dit que la mort est survenue entre seize et vingt-

deux heures, continua-t-elle. Lambassadeur a quitt son bureau huit heu-res trente ce matin-l, et quand cette femme la retrouv, il tait prs deonze heures ; a restreint donc un peu la plage horaire.

Entre seize et vingt-deux heures ? a fait six heures, quandmme.

Bien calcul, dtective, dit Crumley en croisant les bras.Oui Harry leva les yeux vers elle. Oslo, on a lhabitude

de dterminer linstant de la mort avec une marge de vingt minutes, sur descadavres retrouvs aprs quelques heures.

Cest parce que vous vivez au ple Nord. Ici, il fait trente-cinqdegrs, alors la temprature dun cadavre ne chute pas beaucoup. Le mo-ment du dcs est calcul daprs la raideur cadavrique, ce qui le rend

passablement approximatif.Et les marbrures ? Elles doivent apparatre aprs environ trois


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heures.Sorry. Comme tu vois, lambassadeur adorait se faire bronzer, ce

qui fait quon ne les voit pas.Harry fit remonter son doigt le long du tissu, lendroit o le cou-

teau avait pntr. Une substance graisseuse grise samoncela sur son on-

gle. Quest-ce que cest que a?Larme avait manifestement t badigeonne de graisse. On en a

envoy des chantillons pour analyse. Harry passa rapidement les poches en revue et pcha un portefeuille

brun fatigu. Il contenait un billet de 500 bahts, un badge didentit desAffaires trangres et la photo dune jeune fille souriant dans ce qui luiparut tre un lit dhpital.

Vous avez trouv autre chose, sur lui ?Nan. Crumley avait retir sa casquette et sen servait pour

chasser les mouches. On a vrifi tout ce quil avait, et on a tout laisssur place.

Il dgrafa la ceinture du cadavre, tira le pantalon et remit le mortsur le ventre. Puis il retroussa la veste et la chemise.

Regarde. Un peu de sang a coul le long du dos. Il retroussa les

lastiques du slip kangourou. Et plus bas, entre les fesses.Ergo[4] il y apeu de chance quil ait t poignard en tant allong sur le lit, mais pluttpendant quil tait debout. En mesurant quelle hauteur le couteau a p-ntr et en calculant langle dimpact, on peut se faire une ide de la taillede lassassin.

Si on suppose que la victime se trouvait au mme niveau que ce-lui ou celle qui laestoqu, ajouta Crumley. Il peut aussi bien avoir tpoignard mme le sol, et le sang a coul quand on la hiss sur le lit.

Dans ce cas, il y aurait du sang sur le tapis. Harry remonta lepantalon, rattacha la ceinture, se tourna et regarda Crumley dans les yeux.

De plus, tu naurais pas eu besoin de conjecturer, tu laurais su coup sr. Vos techniciens auraient trouv des fibres du tapis sur lensemblede son costume, pas vrai ?

Elle ne cilla pas, mais Harry comprit quil avait perc son petit test

jour. Elle acquiesa vaguement, et il se retourna vers le cadavre. Plus un dtail de victimologie qui confirme peut-tre quil atten-


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dait la visite dune fille.Ah oui ?Vous voyez, sa ceinture ? Elle tait serre de deux crans de plus

que ce cran us, ici, avant que je ne la dtache. Les hommes dge mrdont le tour de taille augmente serrent souvent un peu plus leur ceinture

quand ils ont prvu de rencontrer des femmes plus jeunes queux.Il tait difficile de voir si elle tait impressionne. Les Thalandais

changrent de pied dappui, du gauche sur le droit, et leurs jeunes visagesde pierre ne trahirent rien. Crumley rongea un bout dongle quelle crachaentre ses lvres pinces.

Et puis, ici, nous avons donc le mini-bar. Harry ouvrit la portedu minuscule rfrigrateur. Singha, Johnny Walker et Canadian Club enmignonnettes, une bouteille de vin blanc. Rien ne semblait avoir t enta-m.

Quest-ce quon a de plus? demanda Harry en se retournantvers les deux Thas.

Ils changrent un regard avant que lun dentre eux ne dsigne leparking.

La voiture. Au-dehors se trouvait une Mercedes bleu fonc dun modle rela-

tivement rcent, quipe de plaques diplomatiques. Lun des policiersouvrit la portire ct conducteur. La cl? demanda Harry.tait dans la poche de veste de Le policier fit un signe de tte

vers la chambre. Des empreintes digitales ? Le Thalandais leva un regard un soupon dconcert vers sa sup-

rieure. Celle-ci se racla la gorge.

Naturellement, nous avons cherch des empreintes digitales sur lacl, Hole.

Je ne me demandais pas si vous aviez pris les empreintes digi-tales, mais ce que vous aviez trouv.

Les siennes. Dans le cas contraire, nous te laurions dit tout desuite.

Harry se fit violence pour ne pas lui rpondre vertement.

Les siges et le plancher de la Mercedes taient jonchs de dtritus.Harry remarqua quelques magazines, des cassettes, des paquets de ciga-


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rettes vides, une bote de Coca et une paire de sandales. Quest-ce que vous avez trouv dautre? Lun des policiers attrapa une liste et commena lire tout haut.

Avait-il dit sappeler Nho? Les noms dorigine trangre avaient du mal simprimer. Peut-tre en tait-il de mme avec le sien. Nho avait un corps

mince, presque celui dune jeune fille, des cheveux courts et un visageaimable et ouvert. Harry savait que lexpression en changerait dici quel-ques annes.

Arrte, fit Harry. Tu peux rpter le dernier truc ?Des billets de pari pour des courses de chevaux, sir.Lambassadeur jouait visiblement aux courses, dit Crumley. Cest

un sport populaire, en Thalande.Et a, quest-ce que cest? Harry stait pench par-dessus le sige du conducteur et avait at-

trap une ampoule de plastique transparent quil avait trouve plaque con-tre la poigne du sige, moiti enfouie sous le tapis de sol.

Le policier parcourut sa liste du regard, mais dut renoncer. Lecstasy liquide se prsente dans ce genre dampoules, dit

Crumley, qui stait approche pour mieux voir.De lecstasy? rpta Harry en secouant la tte. Un chrtien d-

mocrate dans la force de lge baise peut-tre aux quatre vents, mais il nemarche pas lE.On va lemporter pour vrifier , dit Crumley. En la regardant,

Harry comprit quelle encaissait mal queux-mmes aient laiss chapperlampoule.

Allons jeter un coup dil larrire, dit-il.Autant lintrieur de la berline tait en foutoir, autant le coffre tait

soigneusement rang.

Un type dordre, dit Harry. Les femmes de la famille avaientmanifestement accs lintrieur de la voiture, mais pas ici.

Une trousse outils bien garnie brilla dans le faisceau de la lampede poche de Crumley. Elle tait flambant neuve, et seule un peu de pous-sire de chaux la pointe dun tournevis attestait quelle avait servi.

Encore un petit peu de victimologie, les amis. Je parie que Mol-nes ntait pas un type dou de ses mains. Cet outil na jamais eu un con-

tact privilgi avec un moteur de voiture. Tout juste sil a t utilis pouraccrocher un portrait de famille au mur, la maison.


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Un moustique vint applaudir tout prs de son oreille. Harry frappaet sentit que sa peau mouille tait frache contre sa main. La chaleurnavait pas dit son dernier mot, mme si le soleil stait couch; bien aucontraire, le vent tait totalement tomb et il avait limpression quelhumidit jaillissait du sol sous leurs pieds pour paissir lair jusqu le

rendre pratiquement buvable.Le cric gisait prs de la roue de secours, apparemment inutilis lui

aussi, ct dune mince mallette en cuir marron, du modle quonsattend trouver dans la voiture dun diplomate.

Quest-ce quil y a, dans la serviette? demanda Harry.Elle est ferme cl. Puisque formellement parlant, le vhicule

appartient lambassade et se trouve par consquent hors de notre juridic-tion, nous navons pas essay de louvrir. Mais puisque nous avons unreprsentant de la Norvge, nous pouvons peut-tre

Dsol, je nai pas de statut diplomatique, dit Harry en sortant lapetite valise du coffre et en la posant dans le patio. Mais je peux affirmerque cette serviette nest plus en territoire norvgien, et je propose donc quevous louvriez pendant que je vais la rception, discuter un peu avec lepropritaire du motel.

Harry traversa le patio dun pas lent. Ses pieds taient enfls la

suite du voyage en avion, une goutte de sueur roulait agrablement lintrieur de sa chemise, et Harry avait besoin de quelque chose boire.Hormis cela, ce ntait pas si dsagrable de se remettre travailler cor-rectement. La dernire fois commenait dater. Il constata que lemstaitteint.


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Chapitre 7

WANG LEE, MANAGER, pouvait-on lire sur la carte de visite que

lhomme avait tendue Harry par-dessus le comptoir, lui faisant ap-paremment comprendre de revenir un autre jour. Le bonhomme osseuxdans sa chemise fleurs avait une palmure au coin dun il, et ne semblaiten aucun cas dsirer avoir affaire Harry cet instant prcis. Il stait mis parcourir un tas de papiers et avait grogn en relevant les yeux et en voy-ant que Harry ntait pas parti.

Je vois que tu es trs occup, dit Harry. Cest pourquoi je proposequon rgle aaussi vite que possible. Le plus important, cest quon secomprenne. Cest vrai que je suis tranger, et que tu es thalandais

Pas thalandais. Chinois, fit lautre avec un nouveau grognement.Eh bien, tu es toi-mme un tranger. Lessentiel, iciQuelques haltements qui figuraient peut-tre un rire plein de

mpris franchirent le comptoir. Quoi quil en soit, le propritaire du motelavait ouvert la bouche et exhibait une poigne de dents brunes jetes etl.

Pas tranger. Chinois. Cest nous qui faisons tourner la Tha-lande. Pas de Chinois, pas de business.Super. Tu es un businessman, Wang. Alors laisse-moi te faire une

proposition daffaires. Tu diriges un bordel, et tu peux passer tes papiers enrevue autant que tu veux, cest comme a et pas autrement.

Le Chinois secoua rsolument la tte. Pas de putes. Motel. Chambres louer.Relax, cest le meurtre qui mintresse, rien dautre, ce nest pas

mon boulot darrter des maquereaux. moins que Cest pourquoi jyreviensjai une proposition daffaires pour toi. Ici, en Thalande, on nestpas si prcis que a quand il sagit dexaminer sous toutes les coutures desgens comme toi, il y en a tout simplement trop. Une plainte classique nesuffit pas non plus, tu paies peut-tre quelques bahts dans une enveloppeen kraft de faon ne plus tre enquiquin par ce genre de choses. Cestpourquoi tu nas pas particulirement peur de nous.

Le propritaire rpta ses nergiques mouvements de tte. Pas dargent. Illgal.


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Harry fit un sourire. Daprs ce que jai vu il y a peu, la Thalande est au troisime

rang mondial en matire de corruption. Alors sois gentil, et arrte de meprendre pour un con.

Harry veilla ne pas parler trop fort. Les menaces ont gnralement

plus dimpact quand elles sont profres sur un ton neutre. Ton problme, et le mien, cest pourtant que le type qui a t

retrouv dans sa chambre tait un diplomate de mon pays. Si je dois sig-naler dans mon rapport que nous souponnons quil ait pu mourir dans unlupanar, a devient brusquement une affaire politique, et tes potes dans lapolice ne pourront rien pour toi. Les pouvoirs publics se sentiront obligsde faire fermer cet endroit et de foutre Wang Lee en taule. Histoire deprouver quon fait respecter la loi, dans ce pays, tu vois?

Rien dans le visage sans expression de lAsiatique ne permettait desavoir sil avait fait mouche.

Dun autre ct, il nest pas exclu que je raconte que cette femmeavait prvu de rencontrer cet homme, et que le choix du motel tait fortu-it.

Le Chinois regarda Harry. Cligna plusieurs fois des yeux en lesfermant trs fort, comme si une poussire stait glisse dedans. Puis il se

retourna, carta une tenture qui dissimulait une ouverture et fit signe Har-ry de le suivre. Ils entrrent dans une petite pice meuble dune table etdeux chaises, et le Chinois dsigna lune delles. Il posa une tasse devantHarry et lui versa du th. Lodeur de menthe tait si forte quelle piquaitles yeux.

Pas une seule des filles ne veut bosser tant que le cadavre est ici,dit Wang. Quand pourrez-vous nous en dbarrasser ?

Les commerciaux sont des commerciaux partout, pensa Hole en

sallumant une cigarette. Tout dpend de la rapidit avec laquelle on pourra se faire une

ide claire sur ce qui sest pass.Le bonhomme est arriv vers vingt et une heures et a demand

une chambre. La jet un il au menu et a dit quil voulait Dim, quil vou-lait juste se reposer un peu avant. Jdevais lui passer un coup de fil quandelle se pointerait. Je lui ai dit quil devait quand mme payer le prix de la

chambre. Il a dit pas de problme, et je lui ai donn la cl.Le menu ?


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Le Chinois lui tendit quelque chose qui ressemblait effectivementassez un menu. Harry le parcourut du regard. Il

les cafards2002 - jo nesbo.pdf

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