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Les Aventures

d un A uvergnat et d' un Parisien

au Pèlerinage de Lourdes

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ABBÉ RASIBUS

LES AVENTURES

d'un Auvergnat et d'un Parisien

AU PÈLERINAGE

DE LOURDES

A u x E d i t i o n s d e l ' I d é e L i b r e HERBLAY

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Coopyr ig t by Lorulot , 1949

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AVANT PROPOS

On parle beaucoup de Lourdes en ce moment. Les gens d'Eglise multiplient les pèlerinages et accentuent leur publicité, dans le but d'attirer le plus grand nombre de personnes possible...

Le nouveau livre de l'abbé Rasibus vient donc à son heure et nous sommes très heureux de le publier.

D'abord, parce qu'il est amusant, ironique, agréable à lire — et très vivant.

Ensuite, parce qu'il discute courageusement la thèse du « miracle », réfutant la croyance aux apparitions et aux guérisons soi-disant providentielles — et sous une forme accessible à tous les lecteurs.

C'est une excellente idée que d'avoir donné la forme d'un roman à une œuvre aussi éducative, aussi utile, aussi bienfaisante.

Mais ce roman n'a rien de fantaisiste et l'on trou- vera à la fin du livre des textes, des références, des preuves à l'appui des affirmations et des accusations apportées par l'auteur au cours de son vaillant exposé.

Nous sommes persuadés qu'il aura un grand succès auprès de tous les esprits libres. Il fera de la bonne besogne et cela est nécessaire, actuellement plus que jamais !

LES EDITEURS.

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LES DEUX COUSINS

Aucun miracle ne s'est produit de- vant une réunion d'hommes capables de constater le caractère miraculeux d'un fait. Ni les personnes du peuple, ni les gens du monde ne sont compé- tents pour cela. Il y faut de grandes précautions et une longue habitude des recherches scientifiques.

Ernest RENAN.

Anatole eut un geste las. Il poussa même un soupir, quand il vit son

eousin Joséphin pousser sa chaise pour se rap- procher de lui.

Il avait une furieuse envie de l'envoyer pro- mener. Mais il était si gentil, ce brave Joséphin ! Il n'y avait certainement pas au monde un homme aussi patient, aussi débonnaire. Une can- deur immense émanait de toute sa personne, de ses yeux pâles et peu expressifs, de sa petite moustache, de sa bouche légèrement entr'ouverte.

Mais il arrivait parfois que son front se creu- sait subitement, sous un pli d'obstination, un sillon durci par l'entêtement. Car ce candide était un tenace, un persévérant. pour tout d i re un Auvergnat, un « buté », disait Anatole.

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Les deux cousins ne se ressemblaient guère. D'abord, Joséphin, qui frisait la quarantaine,

avait au moins une dizaine d'années de plus que son cousin, le pétulant Parigot.

Anatole avait le regard vif et la lèvre nar- quoise. Tous ses traits semblaient se plisser en un perpétuel ricanement. Il accablait de ses sail- lies ses interlocuteurs, quels qu'ils fussent, allant parfois si loin qu'il en éprouvait du remords et qu'il battait en retraite, s'efforçant d'atténuer et d'effacer les blessures... morales qu'il venait de faire. Mais son naturel reprenait bien vite le des- sus et il récidivait... dès que l'interlocuteur pa- raissait avoir retrouvé une sérénité suffisante.

— Voyons, mon vieux Joséphin, tu m'embêtes avec ton voyage à Lourdes. V'la au moins dix fois qu' tu m'en parles et tu sais pourtant bien qu' ça n' m'intéresse pas...

Joséphin voulait lui couper la parole, mais son cousin poursuivait :

— J'respecte tes idées, mais tu sais bien que j'suis pas un cagot ? J'y mets jamais les pieds dans ces trucs-là...

Profitant d'une pause, Joséphin réfutait l'ar- gument, dont il faisait semblant de n'être pas choqué.

— D'abord, il n'est pas nécessaire d'ê tre un cagot, comme tu dis, pour aller à Lourdes. Des milliers de personnes s'y rendent chaque année, parmi lesquelles se trouvent de nombreux in- croyants, des libres penseurs, des...

— Qu'est-ce qu'y vont foutre là ? — Ils y vont pour se renseigner, pour voir. Car

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c'est une chose bien curieuse à voir qu'un pèle- rinage à Lourdes : Je t'assure que tu ne regret- teras pas d'y être venu même si le bon Dieu ne permet pas que tu sois touché par la grâce...

Anatole s'esclaffait :

— Touché pa r la grasse ? Ah ! tu m ' fa i s m a r - rer. J ' c r a ins pas ça...

Il se croisait les b r a s d a n s u n geste de défi. — Non ! J ' c r a i n s pas qu 'on m ' b o u r r e le crâne. . .

Je n 'suis pas de ces corn ichons qu ' les curés font m a r c h e r p a r l 'bout du blair. O n m ' f e r a pas p ren- dre des vessies pou r des lanternes , à moi !

Joséphin sau ta i t sur l ' a r g u m e n t avec une p rompt i t ude dont on ne l ' aura i t pas cru capable.

— Raison de plus pou r venir, dans ce s condi- tions. Pu i sque t u ne cra ins r ien, p u i s q u e t u te

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sens fort, réfracta ire à toute suggestion ou entraî- nement.... Montre ta force et ta confiance... en m'accompagnant !

Anatole continuait à résister : — Tout ça est bien beau, mais je n'vois pas

pourquoi j'irai m'emmerder à Lourdes alors que ça serait épatant d'aller à Juan-les-Pins ou à La Baule !

Joséphin encaissait ces blasphèmes avec rési- gnation. Sa pitié ne se manifestait que par un léger pincement des lèvres qui lui faisait gonfler les joues, ce qui lui donnait un air plus candide que jamais.

Sans répondre aux boutades de son malicieux cousin, il reprit son apologie de Lourdes au point précis où il l'avait laissée.

Se levant, il alla prendre sur une petite étagère, auprès de la fenêtre, tout un paquet de guides et de plans. Plusieurs de ces opuscules étaient consacrés aux Pyrénées, et particulièrement à Lourdes, avec des cartes et de jolies gravures en couleurs.

Et Joséphin poursuivait, de sa voix la plus séduisante, l'apologie de la « perle » pyrénéenne : Décor admirable et possibilité de faire à travers les montages, au cirque de Gavarnie, etc..., des excursions très pittoresques. Sans parler, bien entendu, de l'incomparable tableau des proces- sions de Lourdes. Les incroyants eux-mêmes en étaient bouleversés. Pouvait-on imaginer rien de plus merveilleux ?

Rien que d'en parler, Joséphin en était litté- ralement transporté.

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Il n'arrivait pas à comprendre les hésitations de son cousin Anatole.

A Clermont-Ferrand, on avait refusé plus de mille personnes qui. demandaient à se joindre au pèlerinage et qui offraient pourtant de payer lar- gement leur voyage. Mais le nombre des places disponibles était malheureusement très limité. Il est vrai que Monseigneur envisageait de faire un second pèlerinage en septembre, afin de con- tenter tout le monde...

Pourquoi Anatole ne profiterait-il pas de cette bonne occasion, puisque son cousin avait le chance de disposer de deux places? Pourquoi ? Parce que ça ne l'intéressait pas ?... Parce qu'il n'avait pas la Foi ?...

— Tu crois tout de même bien en Dieu ? Voyons, Anatole ?

Le Parisien fit un geste évasif. — Eh bien, poursuivit Joséphin, sans se lais-

ser démonter, Lourdes a été précisément inventé, par la Vierge Marie, pour des gens de ta sorte.

Anatole fit une moue incrédule. — Mais oui, mon cher cousin. Il y a beaucoup

de gens comme toi, qui ont besoin d'être raffer- mis et encouragés. Des hésitants. Des inquiets. Des incertains. Quand ils partent là-bas, ils ne croient pas à grand chose, mais une fois arrivés auprès de la Grotte divine, ils se trouvent plongés dans une atmosphère surnaturelle et sacrée, qui les remue, les électrise, les transforme...

— Par exemple ! grogna le cousin Anatole. J'voudraî bien voir ça...

— Mais tu le verras ! Je te le promets, La

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Vierge te parlera et elle te touchera, car elle con- naît le secret de toucher les cœurs les plus en- durcis. Et beaucoup reviennent éblouis, rénovés, purifiés... Ce ne sont plus les mêmes hommes !

Dans son zèle, Joséphin avait peut-être un peu dépassé la mesure, car son cousin se resaisis- sait :

— C'est que, vois-tu, mon cher Joséphin. j'respecte tes idées et j ' t 'aime bien... Seulement, moi, j 'suis pas com'toi... J'tiens pas à dev'nir un saint, un convaincu, un zélé, com'tu dis Vois-tu qu'j aille à Lourdes et que j'revienne transformé en parfait bigot. Ça serait un'fameuse farce pour moi !

— Et pourquoi ça ? interrogeait Joséphin, dont le front s'était rembruni.

— Dam'... me vois-tu aller à confesse et commu- nier tout l'temps, ne jamais manquer un'messe, dire des prières du matin au soir..., être continuellement fourré avec des curés... Fran- ch'ment, ça serait pas marrant et j'préfère rester comm'je suis. On perd moins d'temps et puis... on a l'esprit plus tranquille !

Joséphin avait poussé un profond soupir, tout en tournant les yeux vers un grand crucifix accroché au-dessus du bureau autour duquel le deux cousins devisaient.

— Ce que tu viens de me dire me montre à quel point j 'ai raison d'insister pour t'emmener avec moi. C'est pour cela que j'insiste. Je le lui ai d'ailleurs promis.

— Tu as promis de m'emmener ? Et à qui l'as-tu promis ?

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— A notre Mère, la Glorieuse Marie ! Anatole ne savait plus s'il devait éclater de

rire ou se mettre en colère. Il dévisageait José- phin avec une certaine perplexité. Ou bien il est complètement loufoque, pensait-il ; ou bien il se fout de moi dans les grandes largeurs.

Il finit cependant par dire : — Tu crois qu'elle s'intéresse vraiment à moi...

ta... Mère Marie ? — Elle s'intéresse à tous les pécheurs et elle

m'a choisi comme instrument pour te ramener à Elle...

Anatole n'en pouvait plus. Il se leva. Et dans un geste balayeur :

— Eh bien ! mon cher « instrument », tu lui diras, à ta Vierge, qu'il n 'y a rien à faire avec moi. J 'marche pas ! Je l'regrette et j'm'excuse, mais j'ai déjà assez de tracas et d'soucis pour l 'moment sans aller...

— Précisément, mon cher Anatole ! La Sainte Vierge veut t'aider à les dissiper tes soucis ! Elle veut te les enlever, tes peines !

— Ben, c'est très gentil d'sa part. Seul'ment, elle pourrait l' faire sans m'obliger à dépenser mon argent pour un long voyage... Ne peut-elle m'aider sans qu'j'aille à Lourdes ?

La figure de Joséphin s'éclairait de son pius fin sourire. Il le tenait, l'incrédule !

— Anatole, mets-toi bien dans l'idée que l'on n'obtient rien gratuitement. Le bon Dieu ne donne rien pour rien. Il faut savoir souffrir si l'on veut mériter sa sympathie.

— Alors, si la souffrance n'existait pas, Dieu

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n ' a u r a i t a u c u n e sympa th i e p o u r les h o m m e s ? Il a beso in d 'nous voir souffrir p o u r nous a i m e r ? N'est-ce pas lui, du reste, qui a inventé la souf- f r ance ?

— Les desseins de Dieu sont im-pé-né-tra-bles ! pontif iai t Joséph in , en gonflant les joues et en r o u l a n t ses yeux glauques . N 'ayons pas la ridi- cule p ré ten t ion de j u g e r la divine Providence ! C'est elle qui gouverne et qui c o m m a n d e — et non pas n o u s !

Ainsi se poursuivait la controverse entre les deux cousins.

Ils faisaient d'ailleurs une paire de bons amis. Anatole taquinait Joséphin, mais il le faisait

si gentiment... Joséphin n'avait jamais songé à s'en offusquer.

« C'est un Parisien ! », disait-il. Et cela expli- quait tout — Anatole était pardonné.

Joséphin était très pieux. Comme on a pu s'en rendre compte. Il ne vivait, en quelque sorte, que par la Religion et pour la Religion, fréquentant assidûment les églises, suivant avec docilité les directives du clergé, assistant à toutes les céré- monies, pratiquant tous les sacrements, partici- pant aux pèlerinages et aux processions, et même aux Congrès.

Il était membre d'honneur de la Phalange des Hommes Catholiques d'Auvergne, qui avait ob- tenu une bénédiction spéciale du Saint-Père, ce dont il était très fier. On l'avait également nommé

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délégué des Auxiliaires de Sainte Bernadette, fonction éminente et féconde, qui consistait à recueillir des fonds. Des fonds aussi nombreux et aussi importants que possible, et qu'il remet- tait, avec une ponctualité et un empressement

exemplaires, au trésorier de ladite association, qui était Monsieur l'Archiprêtre en personne.

On le voyait toujours par monts et par vaux, ce brave Joséphin. Il sollicitait tout le monde, avec une douceur et une obstination angélique, ne se laissant jamais rebuter ni décourager, n'épargnant même pas les gens très pauvres, dont il se réjouissait au contraire d'obtenir les oboles les plus minces, déclarant hautement que ce sont celles-là qui sont les plus agréables à Dieu.

Bref, Joséphin était un croyant intégral et sin- cère, professant une sainte horreur pour les im- pies et les athées. Mais il avait assez d'affection pour son cousin pour supporter, sans trop d'in- dignation, ses boutades et même ses critiques. Il ne renonçait nullement à l'espérance de le con- vaincre et de le ramener dans le pur chemin de la Foi. Nous pouvons même confier à nos lec- teurs qu'il adressait à Dieu de fréquentes prières pour obtenir la conversion de son cousin.

Si Dieu voulait s'en mêler, tout deviendrait tellement facile !

Aussi implorait-il le Tout-Puissant avec fer- veur, lui demandant d'envoyer à Anatole, qui ne se doutait de rien, la faveur de sa grâce provi- dentielle. Il avait également imploré la Vierge Marie à plusieurs reprises, en particulier lors du passage de la statue de la Vierge de Boulogne à

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Clermont-Ferrand. Ce jour-là, il avait versé cinq cents francs dans le petit bateau portant la sta- tue en question, afin que sa prière fut exaucée plus facilement.

Bien entendu, il ne confiait rien de tout cela à Anatole, craignant que celui-ci ne se moque de lui. Qui sait même, si l'esprit sceptique de son cousin ne s'effaroucherait pas et ne s'enfoncerait pas, davantage encore, dans l'incrédulité, en cons- tatant l'insuccès (provisoire, il fallait l'espérer !) des prières de Joséphin ?

Il ne manquerait pas de lui dire, ironique- ment :

— Tu vois bien qu'tes prières ne servent à rien, puisque ton bon Dieu n'prend même pas la peine de t 'répondre et qu'il refuse de s'déranger pour me ram'ner à Lui ?

Joséphin savait, lui, que les volontés et les desseins de Dieu sont difficiles à connaître et à interpréter. Il était décidé à attendre, aussi longtemps et aussi patiemment qu'il le faudrait, les décisions du Ciel.

Aussi poursuivait-il ses prières, ses offrandes, en un monologue aussi obstiné que fervent.

Dieu finirait bien, un jour ou l'autre, par se laisser fléchir. Et Joséphin goûterait alors la joie incomparable et glorieuse d'avoir sauvé une âme, de l'avoir arrachée aux griffes du Démon ; de lui ouvrir toutes grandes les portes du céleste séjour...

A cette seule pensée, Joséphin frémissait de la plus délicieuse exaltation.

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PRÉPARATIFS DE DÉPART

La jeunesse est une ivresse conti- nuelle ; c'est la fièvre de la Raison.

LA ROCHEFOUCAULD.

— T'es toujours décidé à aller à Lourdes, mon cher Joséphin ?

La figure du Délégué des Auxiliaires de Sainte- Bernadette s'illumina brusquement.

— Rien entendu, bien entendu... Tu sais bien, mon cher cousin, que je vais à Lourdes tous les ans et que je ne voudrais pas y manquer pour rien au monde !

— Ça m'fait penser à un Arabe qui travaille avec moi. Mais lui c'est à La Mecque qu'il veut aller...

— Rien de comparable, voyons ! — Ah ! pardon, cousin ! Y m'a même dit ceci,

un jour : « Quand j 'aurai vu La Mecque, je m'f'rai crever les yeux, afin de dev'nir aveugle, pour ne plus rien voir au monde quand j 'aurai

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eu la faveur immense de contempler le tombeau du Prophète. » C'est com'ça qu'il a dit, j'te l'as- sure... (1).

Joséphin voulut bien faire l'effort de répondre. — Je ne te dis pas le contraire, Anatole. Mais

tu as tort de comparer ces mécréants, ces musul- mans, avec la religion du Christ, qui est la seule bonne, la seule vraie ! Qu'y a-t-il de commun entre le prétendu tombeau de Mahomet, qui n'a peut-être jamais existé, et la Grotte Miraculeuse, où l'Immaculée daigne nous prodiguer ses fa- veurs et ses dons ?

En prononçant ces mots, Joséphin levait amou- reusement les yeux vers le Ciel. Ses mains s'étaient jointes en un geste de supplication et d'adoration.

Mais Anatole ne paraissait pas autrement ému. — Je n'soutiens pas les Musulmans, bien sûr,

mais y sont tout aussi convaincus d'la supério- rité d'leur religion que tu l'es d'la tienne ! Ils y croient dur comme fer à ce Mahomet dont tu as l 'air d'insinuer qu'il n'a peut-être pas existé du tout. Et le plus rigolo, tu sais pas ?

Joséphin remua mollement la tête. — Eh bien ! poursuivit Anatole, y prétend, lui,

qu'c'est la Sainte Vierge qui n'a jamais existé... Alors, qui croire, bon Dieu, qui croire ?

Anatole riait de bon cœur, mais son cousin ne se laissait nullement gagner par cette gaîté de mauvais aloi.

(1) Le fait est r igoureusement vrai et certains musul- mans ont réellement poussé le fanatisme jusque-là.

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— Tu ne devrais pas répéter et colporter, fit- il sévèrement, de pareilles infamies. La preuve que la Sainte Vierge existe, c'est quelle guérit les malades. Elle les guérit, entends-tu? Il y a à Lourdes, des guérisons miraculeuses, sensa- tionnelles, inexplicables, des guérisons qui dé- fient la Science !

— Hum, hum, c'est à voir, cousin. C'est à voir ! Seul'ment, l'Arabe dont j ' te parle, y pré- tend qu'à La Mecque, on guérit aussi, et d'une façon tout aussi mirobolante et exceptionnelle qu'à Lourdes ou autr ' part ?

Joséphin repoussait l 'argument d'un geste fatigué. D'un geste qui paraissait dire : A quoi bon perdre mon temps à discuter des choses aussi impossibles, aussi invraisemblables ?

Il se contenta donc de dire : — Mon cher Anatole, tu as un moyen bien

simple de te renseigner une fois pour toutes. C'est de m'accompagner cette année à Lourdes, ainsi que je te l'ai déjà proposé !

A la grande surprise de Joséphin, le Parisien répondit :

— Eh ben, tu sais... J ' suis presque décidé...

Le Membre d'honneur de la Phalange des Hommes Catholiques d'Auvergne n'en revenait pas.

Sa surprise dépassait encore son plaisir — et ce n'est pas peu dire. Aussi bredouillait-il passa- blement en questionnant son cousin :

— Tu es vraiment décidé ?

Anatole ne répondit rien, mais il leva les deux ou souriant.

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Joséphin fit un grand signe de croix et s'écria : Dieu soit loué et remercié !

Puis il ajouta : C'est sûrement la Vierge Ma- rie qui est intervenue et qui t'a parlé !

Anatole le détrompait loyalement : — Non, c'est pas Marie. C'est Eliane qui m'a

parlé... Les yeux de Joséphin s'ouvrirent tout grands.

il n'avait jamais entendu parler de cette Sainte- là.

— J'vais t'expliquer ! Mam'zelle Eliane est une jeun' dame que j'connais... J'l 'ai eonnue à... au... enfin...

Il fallut que le naïf Joséphin vint à son aide : — A ton bureau, peut-être ? — C'est ça, mon vieux, c'est ça même! Alors,

v' la comment qu' c'est v'nu dans la conversa- tion. On a parlé d' Lourdes, tu comprends ? J ' lui ai dit qu' j'avais un cousin qui était dans la partie, en somme et qui connaissait à fond la Sainte Vierge, la Bernadette et toute l'équipe. J' lui ai dit qu' tu voulais m'y emmener et qu' moi j ' voulais pas y aller... Alors, c'est elle, qui m'a dit comm' ça qu' j'avais tort de r'fuser...

Joséphin jubilait. — Très bien, très bien. Tu la remercieras de

ma part ! Tu lui diras que le bon Dieu la récom- pensera pour le bon conseil qu'elle t'a donné...

Mais Anatole n'avait pas terminé : — Seul'ment, continua-t-il (non sans un léger

embarras), voilà. Elle voudrait v'nir aussi, tu comprends ? Ça lui plairait énormément. Elle me l'a dit. C'est pour ça que j ' t'en parle...

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Le pieux Joséphin semblait embarrassé. — C'est que je ne dispose que de deux places

dans le pèlerinage, une pour toi et l'autre pour moi. Comment faire ?

Anatole paraissait contrarié mais il concluait, sur un ton désinvolte :

— Tant pis. J 'irai pas non plus... Joséphin était visiblement au martyre. Tous

ses projets de conversion allaient-ils échouer, au moment précis où il touchait, enfin, au but ar- demment désiré ?

Ayant réfléchi quelques minutes, pendant les- quelles Anatole affectait de parcourir un bulle-

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tin paroissial qui traînait sur la table, il eut une inspiration :

— Il y aurait bien un moyen... Ça serait d'en parler à Mademoiselle Marguerite-Marie. Elle a beaucoup d'influence à la direction du Pèleri- nage...

Mais Anatole avait une idée, de son côté. Pour- quoi compliquer les choses ? Au lieu de prendre le train des Pèlerins, on prendrait un train ordi- naire. Ça coûterait plus cher ? Tant pis. Lui, Anatole, paierait le supplément.

Joséphin souffrait à la pensée de ne pas effec- tuer son voyage, comme tous les ans, en la com- pagnie réconfortante de toutes ces âmes d'élite, de ces catholiques éprouvés, qui sont les fidèles servants de la Dame de Massabielle. Aussi com- mença-t-il par repousser l'insolite proposition de son cousin.

Mais celui-ci tenait bon. — Au fond, c'est la meilleure solution. J'osais

pas te J'dire, mais ça m'plaît pas du tout d'partir avec tous ces pèlerins... Tu dois bien comprendre que j'suis pas préparé à ça... J'serai pas à mon aise...

Joséphin comprit qu'il ne fallait pas s'obsti- ner. La chose essentielle, c'était de conduire ce maudit à Lourdes. Le reste irait tout seul, une fois là-bas. Les chemins tracés par la Providence ne sont pas toujours les plus directs. Peu importe, dès l 'instant qu'ils permettent d'arriver au b u t .

Une dernière question vint cependant à

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lèvres avant de donner son acceptation défini- tive :

— Je suppose que cette personne est convena- ble ?

Anatole sursauta et devint rouge comme un coquelicot.

— Cette personne ? Tu veux parler d'Eliane ? de Mam'zelle Eliane, je veux dire ? Si elle est conv'nable ? Mais bien sûr, mon vieux ! Tu pen- ses bien qu'si j'l'avais pas trouvée conv'nable, j't'aurais jamais parlé d'elle... Elle est tout ce qu'il y a de con-ve-na-ble, au contraire !

En martelant ces derniers mots, Anatole agi- tait les mains d'une manière expressive, comme s'il avait voulu dessiner d'impressionnantes ro- tondités.

Joséphin fit un geste d'acceptation. Après tout, puisque cette personne avait insisté auprès d'Anatole, on ne pouvait lui refuser une cer- taine sympathie, même sans la connaître. En approuvant le voyage à Lourdes et en obtenant la participation de l'incrédule cousin, elle avait acquis des titres, et de grands titres, à la recon- naissance du pieux héros de notre véridique his- toire.

— D'accord, opina-t-il. Puis il se livra sans arrière-pensée à la grande

joie d'être enfin venu à bout des longues résis- tances de son cousin. C'était un véritable triom- phe, dans lequel il n'hésitait pas à voir le doigt de Dieu.

Certes, le dernier mot n'était pas encore dit et la partie n'était pas complètement gagnée. Mais le

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plus fort était fait. Une fois arrivé à Lourdes et plongé dans cette atmosphère surnaturelle, Ana- tole serait bien obligé de capituler. La grâce le soulèverait enfin, l 'arrachant pour toujours à cet odieux scepticisme, qui lui inspirait toutes les railleries, d'un goût fort douteux, dont il cri- blait la religion et ses représentants. Il serait alors bien heureux de se ranger parmi ces tins, dont il avait si souvent « rigolé » ! Il ferait amende honorable. Il adorerait ce qu'il avait brûlé et il accablerait de son mépris la « Libre Pen- sée » et ses mauvais bergers. Qui sait même s'il ne donnerait pas son adhésion à la très pieuse association des Auxiliaires de Sainte-Bernadet te

Et le cœur de Joséphin se dilatait voluptueu- sement en pensant que toute cette gloire serait son œuvre, à Lui, Joséphin ! Quel prestige aux yeux de ses collègues de Clermont-Ferrand ! Nul d'entre eux n'était assurément capable de mener à bien une entreprise aussi ardue et aussi gr an- diose : la conversion d'un Parisien !

Décidément, la Sainte Vierge était bonne, bien bonne et Joséphin s'empressa de lui adresser ses remerciements les plus chaleureux.

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MARGUERITE-MARIE, DÉVOTE

Le bonheur que l'Eglise promet aux hommes, c'est un Paradis dont les prêtres sont seuls à avoir les clefs.

André LORULOT.

Anatole fut bien étonné en arrivant à la gare d'Austerlitz.

Son cousin Joséphin, membre d'honneur de la Phalange des Hommes Catholiques d'Auver- gne, était également accompagné d'une dame.

Et cette dame n'était pas Madame Joséphin. Car nous devons avouer à nos lecteurs qu'il

existait une dame Joséphin, épouse légale et officielle du principal personnage de ce très au- thentique récit.

Bien que cette dame ne soit pas appelée à jouer le moindre rôle dans notre histoire, nous devons vous la présenter, ne serait-ce que par courtoisie. ,

Elle était plus jeune que son mari — une dizaine d'années, parait-il.

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