les 2 guerres de sarajevo

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>Actualité Les deux Au printemps 1992, les Serbes déci- dent d'édifier les premières barri- cades dans Saraievo. La situation dégénère rapidement et le siège de la ville se met en place. Si I'action serbe autour de I'ancienne ville olympique est connue de tousn en mentation vers Sarajevo, sous peine de voir la distribution s'in- terrompre à la source. Le sii;e de la ville s'exerce ausi dans le domaine de la distribu- tion de I'eau (cf. schéma 2), Les quatre sources majeures appro- visionnanl la ville sont sous conirôle serbe. Bacevo, la plus importante pour Sarajevo, ali- mente toutes les ethnies sans distinction. Les deux sources de Brus-Bistrica el Tilava sont fer- mées, et celle de Moscanica, dé- truite par les Serbes au début de la guerre, vienl d'être remise en état par les sapeurs français de Sarajevo. L'enchevêtrement d{à cité se retrouve à nouveau : l'eau "serbe" approvisionne les zones serbe et bosniaque grâce à l'électricité et à la compétence technique d'entretien "bos- nlaque". Une fois de plus, la co- habitalion s'impose à chaque communauté. Le gaz esl le dernier domaine d'application du blocus. ll est contrôlé dès le début du conflit, les Serbes fermant une des deux branches qui alimenlent la ville , Sarcjevo, ville matyrc, subit le double slège des Serbes et des Eosniaques revanche, I'existence d'un contre- siège organisé par les Bosniaques I'est beaucoup moins. Le but premier des Serbes était de faire tomber la ville et le gou- vernement bosniaque. 0bjectif : reprendre un pouvoir qui leur échappait au proTit d'une popu- lation musulmane de plus en plus nombreuse. Mais au fil des mois, leur espoir allait s'éteindre en raison de la résistance bos- niaque, et du soutien moral et matériel apporté par la commu- nauté internationale, dans la- quelle la France allait jouer un rôle actif. La perspective d'un contrôle . total de Sarajevo disparaissant, la politique des Serbes vise alors à doter d'un maximum d'auto- nomie leur zone encerclant ville, soit 90% de la périphérie. Cette action devail s'appliquer au domaine adminislratif et à celui des approvisionnements en énergie, Selon la politique définie au plus haut niveau comme à celui des chefs locaux, les périodes de res- triction et d'ouverture ont alterné. Dès les premiers mois de la guerre, les Serbes veulent contrôler I'utilisation de l'éleclri- cité nécessaire à la fois à la survie de SarEevo, au fonctionnement des locaux du gouvernement et à la conduite de la guerre. près quelques semaines de combats (cf. schéma 1), la ville n'est finalement plus approvi sionnée que par une seule ligne électrique qui passe par la zone montagneuse située au nord, dif- ficile d'accès surtout en hiver, et aussi théâtre de combats in- tenses, La coupure de cette ligne prive la ville d'électricité, 0r, l'alimentalion en eau est as- surée aux trois quarts par des pompes électriques, Une situa- tion qui traduit la complexité et l'enchevêtrement des intérêts : l'électricité "bosniaque", prove- nant des centrales hydroélec- triques de la vallée de la Neretva (80 km au sud de Sarajevo) et de la centrale thermique de Kakanj (30 km au nord-ouest), alimente la ville, en passant par des sta- tions de transformation et de disiribution contrôlées par les Croates et les Serbes. Chacun prélève l'énergie dont il a besoin, tout en évitant de couper l'ali-

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8/6/2019 Les 2 Guerres de Sarajevo

http://slidepdf.com/reader/full/les-2-guerres-de-sarajevo 1/4

Les deuxAu printemps 1992, les Serbes déci-dent d'édifier les premières barri-cades dans Saraievo. La situationdégénère rapidement et le siège de

la ville se met en place. Si I'actionserbe autour de I'ancienne villeolympique est connue de tousn en

mentation vers Sarajevo, souspeine de voir la distribution s'in-terrompre à la source.

Le sii;e de la ville s'exerce ausidans le domaine de la distribu-

tion de I'eau (cf. schéma 2), Les

quatre sources majeures appro-

visionnanl la ville sont sousconirôle serbe. Bacevo, la plus

importante pour Sarajevo, ali-mente toutes les ethnies sans

distinction. Les deux sources de

Brus-Bistrica el Tilava sont fer-mées, et celle de Moscanica, dé-

truite par les Serbes au début de

la guerre, vienl d'être remise en

état par les sapeurs français de

Sarajevo. L'enchevêtrement d{àcité se retrouve à nouveau : l'eau

"serbe" approvisionne les zones

serbe et bosniaque grâce à

l'électricité et à la compétence

technique d'entretien "bos-

nlaque". Une fois de plus, la co-habitalion s'impose à chaquecommunauté.

Le gaz esl le dernier domaine

d'application du blocus. ll est

contrôlé dès le début du conflit,

les Serbes fermant une des deux

branches qui alimenlent la ville ,

Sarcjevo, ville matyrc, subit le double

slège des Serbes et des Eosniaques

revanche, I'existence d'un contre-siège organisé par les BosniaquesI'est beaucoup moins.

Le but premier des Serbes étaitde faire tomber la ville et le gou-

vernement bosniaque. 0bjectif :

reprendre un pouvoir qui leur

échappait au proTit d'une popu-

lation musulmane de plus en

plus nombreuse. Mais au fil des

mois, leur espoir allait s'éteindre

en raison de la résistance bos-

niaque, et du soutien moral et

matériel apporté par la commu-

nauté internationale, dans la-

quelle la France allait jouer un

rôle actif.

La perspective d'un contrôle

. total de Sarajevo disparaissant,

la politique des Serbes vise alors

à doter d'un maximum d'auto-nomie leur zone encerclant la

ville, soit 90% de la périphérie.

Cette action devail s'appliquerau domaine adminislratif et à

celui des approvisionnements en

énergie,Selon la politique définie au plus

haut niveau comme à celui des

chefs locaux, les périodes de res-

triction et d'ouverture ont alterné.

Dès les premiers mois de la

guerre, les Serbes veulent

contrôler I'utilisation de l'éleclri-

cité nécessaire à la fois à la surviede SarEevo, au fonctionnement

des locaux du gouvernement et à

la conduite de la guerre.

Après quelques semaines de

combats (cf. schéma 1), la ville

n'est finalement plus approvisionnée que par une seule ligne

électrique qui passe par la zone

montagneuse située au nord, dif-

ficile d'accès surtout en hiver, et

aussi théâtre de combats in-

tenses, La coupure de cetteligne prive la ville d'électricité,

0r, l'alimentalion en eau est as-

surée aux trois quarts par des

pompes électriques, Une situa-

tion qui traduit la complexité et

l'enchevêtrement des intérêts :

l'électricité "bosniaque", prove-

nant des centrales hydroélec-

triques de la vallée de la Neretva

(80 km au sud de Sarajevo) et de

la centrale thermique de Kakanj(30 km au nord-ouest), alimente

la ville, en passant par des sta-

tions de transformation et de

disiribution contrôlées par les

Croates et les Serbes. Chacunprélève l'énergie dont il a besoin,

tout en évitant de couper l'ali-

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La distributjon pour toute l'ag-glomération se fait alors depuisla station située à l'ouest, àButila.

Les Serbes entendent limiter la

pression du gæ afin d'éviter qu'ilne soit utilisé à faire fonctionnerles nombreux groupes électro-gènes de la ville qui pallient la

carence d'électricité. Læ Serbeslaissent, à quelques exceptionspres, circuler un flux minjmum,ne prenant pas le risque de voirse fermer à tous, y compris aux

Serbes de Serbie, Ie gaz deRussie,

Une seule ruute pourl,0l{u

Dans le domaine des æmmuni-cations, le principe est decouper ou contrôler les liaisonslointaines et d'ouvrir au contraire

au maximum celles qui desser-vent les abords immédiats deSarajevo. L'objectif est de permettre aux Serbes enlermésdans la ville de pouvoir au mieuxIa quitter, au pire de communi.quer avec I'extérieur. Raisonpour laquelle les liaisons télé-,phoniques jnternationales sontcoupées à partir du relais de té-lécommunications, souscontrôle serbe, situé sur les

la ngueur du sêge esl sub ie plus pa/ihuliè-

reneri pâr la population de Sarakvo

lo$que la vile est NiU{e d'é'lætticité et de

gu, et Vesque totalenent d'ea!

.9

-e

hauteurs de la Jahorina.

Les voies de communicationsubissent le même sort. Unseul accès, passant par l'aéro-port, est conservé au proïtt de

l'oNU : il permet de livrer I'aidehumanitaire par voje routière,Au cours de combats livréscourant août 93, les Serbestentent de s'emparer deI'unique voie d'approvisionne-ment bosniaque. Elle passe par

les monts lgman et rejoint Ia

ville par le sud-ouest, yla le

franchissement de l'aéroport ouvia le tunnel piétonnier passant

en dessous.La rigueur du siège est subieplus particulièrement par la po-pulation de Sarajevo de la mi-juin 1993 à la troisième se-maine d'août, neuf semainesdurant lesquelles la ville estprivée d'électricité et de gaz etpresque totalement d'eau pen-

danl trois semaines.

Globalement, la situation necesse de se détériorer, en

raison de I'action serbed'abord, ensuite, à partir dumois de seplembre 93, parceque les Croates de Bosnie utili-sent ce moyen pour faire pres'sion sur les Musulmans du sudet du centre en coupant I'ap-provisionnement électrique.

Enfin, I'absence d'entretien, lesdqâts causés par les bombarde-

ments, l'impossibilité d'accès àærtains points pour effecluer desréparations usent et endomma-gent considérablement les ré-seaux.

Dans ces circonstances, la cel-lule Génie du sæteur organise etconduit les réparations néces-saires au minimum vital. À tiùed'exemple, d'octobre 1992 àseptembre 1993, pius de centmissions de réparation sontmontées sur les deux kilomètresde lignes électriquæ lraversant

la zone de combats du nord dela ville.

Le principe du siège adopté par

les Serbes est de contrôler lesapprovisionnements en inslau-rant le principe du chæk point etde la voie unique : une route,une ligne électrique, uneconduite de gaz et une sourced'eau.

ll serait anormal de dfurire ættetechnique du siège sans rap-peler les données qui font sonhorreur. De mai '1992 à juillet'1993, les bombardements tuenttreize mille personnæ et font cin-quante mille blessés. Les com-bats ont détruit ce qui symbolisait la politique multi-ethniquebosniaque, le Parlement, ou ce

qui Tajsait la richesse écono-mique et culturelle de Ia ville : les

sièges des grandes compagnies(U nis, Energoinv est ouEleckoprivreda), l'immeuble

dujournal Os/obodenle, la biblio-thèque nationale, etc.Apres les bombardements inten-sils du début de la guerre, unesorte de terrorisme prend le r+lais. Quotidiennement, des obussont distribués, au hasard maisde prétérence sur les quartiers àmajorité musulmane, de manière

à créer un climat d'insécurité età maintenir Ia pression sur le

gouvernement bosniaque, sur-tout lorqu'il répugne à accepterles propositions de paix. Cetteforme d'action terroriste estcomplétée par celle dqs tireursd'élite isolés à la triste réputa-tion.

Le conbe.siège desBosniaques

La réaction des Bosniaquesfaæau siège est de figer la situation

telle qu'elle était avant la guene,tout en essayant parfois d'im-poser à leurs assiégeants lemême type de contraintes.

Ce contre-siège aggrave les ef-lets du premier, ce qui est leplus difficile à comprendre pour

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un public non averti. ll a commeinlérê1 d'accentuer l'aspectmartyr de la ville, et d'amener la

communauté internationale à

faire pression sur les Serbes.

Au fur et à mæure de la ferme-ture de la ville, les habitants deSarEevo qui veulent partir se re-

trouvent pris au piège, otages deceux qui ne veulent pas de net-

toyage ethnique dans la capitaiebosniaque. Les très dures condi-tions de vie encouragent denombreux ciladins à vouloirs'échapper pour rejoindre deslieux plus cléments, la cam-pagne, en particulier, oùt lagrande majorité de la population

possède de la famille. La miseen place de points de contrôleautour de la ville est destinee à

empêcher ce type de sortle, y

compris celle des 25% deSerbæ qui Ia peuplaient avant la

guerre et dans les ran$s des-quels on peut supposer trouverla maiorité des candidats au dé-part : bien qu'ayant obtenu I'ac-cord des autorités, un jeune

couple serbo-musulman estabattu en tentant de passer le

pont de Vrbajna en juin 1993. AI'intérieur de la ville, le filtrage estpermanent. Personne ne peut

lranchir les très nombreux pointsde contrôle sans autorisation ou

sans justilier dûment la raison du

déplacement.

schéma nol

!r!.!!4!t q,.[çrRroL r

Le téléphone entre la ville et ses

extérieurs immédiats est coupé :

afin d'empêcher toute communi-

cation entre les familles sépa-rées, mais probablement aussiafin d'éviter la diffusion de ren-

seignements vers les assié-geants. Toujours dans le mêmebut, certains aæès routiers sontfermés, off iciellement pour éviter

des attaques de chars serbes,mais plus probablement pour in-terdire toute sortie. C'est le casdu passage vers le quartier, souscontrôle serbe, de Grbavica ou

de la route de Pale, la capitaledes Serbes de Bosnie, située à15 km au sud-est de Sarajevo,par laquelle les convois humani-

tairæ pounaient pénétrer.

L'autre objectif des Bosniaques

est de pratiquer la politique du

siège à I'encontre des Serbes.C'æt ainsi qu'ils tentent d'empê-cher le fonctionnement del'usine de munitions serbe deVogosca, située au nord de la

ville, en endommageant la ligne

électrique qui I'alimente. Celle-ci

æ trouvant à portée de fusil dæpositions bosniaques, il est facilede la mettre hors d'état, ainsique d'empêcher l'accès deséquipes de réparation. Ce pro-

blème est pris comme prétexte àla coupure, courant juillet, desapprovisionnements de la ville.

Le choix bosniaque est clair :

empfoher le fonctionnement del'usine même si la population dela ville doit souffrir du manqued'approvisionnement. C'est en

cela aussi que la politique dugouvernement accentue les ef-fets du siège. 0n peut ajouter àce niveau que le manque detransparence et d'explicationsofficielles coupe les dirigeanls

d'un appui possible de leur po-pulation.

Dans certains cas, ce sont les

commandants locaux qui assiè-gent leur ennemi direct, en luisupprimant l'eau ou l'électricité,voire les deux à la fois. Cettetechnique est d'ailleurs large-ment employée par les deuxbords.

À cela, il faut ajouter les activitésterroristes des tireurs isolés,

aussi redoutables que lesSerbes, et le même type debombardements aveugles, mais

dans des proportions sans com-mune mesure avec celles de leur

adversaire,

Au milieu de cet imbroglio æ dé-ploie l'oNU, avec ses organisa-tions humanitaires et la FOR-PRONU. Bien que quelquefoisconteslé et sujet à un insuppor-table sentiment d'impuissance,

l'ensemble reste efficace. Lemeilleur résultat a été obtenu par

le relâchement du siège exercé,qui est passé de l'inacceptable,

Actual

pour Sarajevo comme pour la

communauté internalionale, au"survivable" pour la ville qui re-

çoit l'aide humanitaire.

L'effort financier est considé-

rable et le rappod coût-efficacitétrès élevé, l\4ais finalemenl, seuleI'issue du conflit et l'histoire di-ront si l'investissement a été ren-

table ou non. En tout état decause, le pont aérien destiné àdélivrer l'aide alimentaire de pre-

mière nécessité fonctionne etreste bel et bien impressionnant.

Cette aide est distribuæ à tous,y compris aux populationsærbes vivant autour de SarEevo

qui subissent I'embargo inlerna-tional.

Si la présence de la FORPRONU

ne limite pas véritablement les

combats et ne renverse pas le

cours des choæs, elle permet au

moins aux belligérants de sesentir observés et de lescontraindre à contrôler la vio-lence et la barbarie de leurs ac-tions, personne ne tenant à seretrouver au banc des accusés à

la fin du conJlit. IChef de bataillon Nicolas

Studer

schéma n"2

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ARMÉES D,AUJOURD'HUr N' 186