leo taxil - la bible amusante 1897

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Le meilleur et le plus célèbre livre anticlérical de Leo Taxil de l'année 1897

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  • 1

    Lo Taxil - La Bible amusante Donnant les citations textuelles de l'criture sainte et reproduisant toutes les rfutations opposes

    par Voltaire, Frret, lord Bolingbroke, Toland & autres critiques.

    TABLE DES MATIRES

    --------------------------------------------------------------------------------

    DEDICACE AU SAINT-PERE INFAILLIBLE. ....................................................................... 2

    1. LA CREATION ET LE PARADIS TERRESTRE. ............................................................... 4

    2. COURTE HISTOIRE DES PREMIERS HOMMES. ......................................................... 23

    3. LES ANGES EN CONCUBINAGE SUR TERRE. ............................................................ 27

    4. NOYADE GNRALE DE L'HUMANIT. ..................................................................... 34

    5. HEUREUSE VIE D'UN PATRIARCHE BIEN-AIM. ..................................................... 40

    6. UNE FAMILLE VOUE LA MULTIPLICATION. ...................................................... 58

    7. MOSE ET LE VOYAGE DE QUARANTE ANS. ........................................................... 80

    8. LES EXPLOITS DE JOSU ET DE GDON. .............................................................. 102

    9. LES JUGES JEPHT ET SAMSON. ............................................................................... 111

    10. SUAVE IDYLLE DE LA BELLE RUTH. ...................................................................... 122

    11. HISTOIRE DE SAMUEL, AVANT LA ROYAUT. .................................................... 125

    12. SAL, PREMIER ROI, ET SON RIVAL DAVID. ........................................................ 134

    13. GLORIEUX RGNE DE S. M. SALOMON. ................................................................. 176

    14. LES DEUX ROYAUMES: ISRAL ET JUDA. ............................................................. 193

    15. PENDANT ET APRS LA CAPTIVIT. ....................................................................... 233

    --------------------------------------------------------------------------------

  • 2

    DEDICACE AU SAINT-PERE INFAILLIBLE.

    Trs Saint-Pre,

    On dit que vous n'tes pas content, depuis le 19 avril de cette anne, la vingtime de votre

    glorieux pontificat. Le dnouement inattendu de ma joyeuse mystification vous a mis, assure-

    t-on, en grande colre, comme un simple pre Duchesne; car, savoir qu'on a t mystifi

    pendant douze ans par un libre-penseur sceptique est chose minemment dsagrable, quand

    on est le reprsentant de l'Esprit-Saint, quand on est directement et de faon permanente

    inspir par le divin pigeon; mais savoir que cette postu re ridicule est connue du monde entier,

    voil le comble du dsagrment, voil ce qui vexe au suprme degr. O mon pape, quelle tuile

    pour le dogme de votre infaillibilit!...

    Un fumiste Marseille s'est pay votre vnrable tte; horreur! Et il avait pris ses mesures pour que sa fumisterie se termint en clatant comme une bombe, avec un vacarme

    retentissant dans la presse des deux hmisphres; maldiction!

    Joachim, mon vieux Joachim, je comprends votre saint courroux.

    Il me semble voir votre grimace, la lecture de cet amusant article dans lequel Henri

    Rochefort rsuma si bien la situation:

    Ce trs saint-pre, qui a reu le fumiste en audience particulire, ne peut contester avoir t

    de mche avec lui; sans quoi, son infaillibilit, dont il a fait un dogme, serait immdiatement

    rduite en poussire.

    Du moment o il ne s'est pas aperu du tour que se disposait lui jouer son visiteur, que

    devient cette lumire d'en haut sur laquelle repose, aux yeux des gteux du catholicisme, tout

    le pouvoir des successeurs de saint Pierre?

    Lo Taxil s'est fichu de lui, mais lui se fichait de nous; et si le premier a, pendant douze ans,

    fait avaler ses blagues aux vques, le second nous ingurgite les siennes depuis douze sicles.

    Ou le nomm Pecci n'est pas plus infaillible que vous ni moi, et il ne lui reste qu' donner,

    sans dlai, sa dmission de reprsentant d'un dieu qu'il ne reprsente en quoi que ce soit;

    Ou, tant infaillible, il s'est constitu l'associ d'un blagueur dont il se servait pour soutirer

    l'argent des adversaires de la franc-maonnerie; auquel cas, il n'y aurait plus qu' charger les

    gendarmes d'aller l'arrter dans son palais, pour abus de confiance et soustraction frauduleuse.

    Trois fois hlas! mon vieux Joachim, voil le dilemme qu'un illustre pamphltaire vous a

    pos, au milieu des bravos de la galerie. Et de Paris New-York, de Londres Montevideo, la

    presse universelle a rpt le dilemme; et partout les applaudissements ont retenti, partout on

    s'est esclaff de votre confusion, de partout les pieds de nez se sont esquisss, moqueurs, dans

    la direction de votre triple couronne. Et vous vous demandiez, le treizime des sacrs Lons,

    si ce n'tait point l un cauchemar!...

    De cauchemar, point. Vous tiez bien veill, et le formidable clat de rire qui secoua le globe

    tait l'irritante ralit.

    Trs Saint-Pre, je vous dois une consolation.

    Le flot de l'impit grossit tous les jours; c'est une vritable mare qui monte, monte sans

    cesse. Dans la chre France, qui est la fille ane de l'glise, l'enseignement a t lacis

    depuis bien des annes dj; de telle sorte que les nouvelles gnrations qui s'lvent dans les

    coles de l'tat ne connaissent pas le premier mot de l'Histoire Sainte.

    En plusieurs circonstances, j'ai constat, avec une douleur indicible, que des jeunes gens

    ignorent les difiantes aventures d'Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Mose, Josu, Gdon,

    Samson, Samuel, Booz, Sal, David, Salomon, Elie, Elise, Jonas, Ezchiel, Esther, Tobie,

    Judith, Daniel, etc., etc. De ces noms clbres et vnrs, ils ont tout au plus une vague ide.

  • 3

    A la question qu'un digne prtre posa nagure: Connaissez-vous les Macchabes? il fut

    rpondu: Trs peu; je ne suis all que deux fois voir la Morgue.

    Un tel tat de choses est navrant. O irons-nous, juste ciel, si la connaissance des pieux

    pisodes de la Bible se perd, si les crits inspirs autrefois par le divin pigeon tombent dans

    l'oubli?... Il est temps de ragir, Trs Saint-Pre.

    C'est pourquoi j'entreprends une nouvelle dition des Saintes critures. Je n'omettrai rien, et je

    tcherai de rendre cette lecture aussi attrayante que possible. Vous verrez a. A mon prochain

    voyage Rome, je solliciterai de votre auguste main encore une bndiction spciale,

    ajouter ma prcieuse collection.

    Si cependant, vous en rapportant moi, vous daignez m'envoyer cette bndiction de premier

    choix, sans attendre ma visite, Trs Saint-Pre, ne vous gnez pas. La joie de vous avoir mystifi ne diminue en rien mon zle pour la diffusion des grandes

    vrits ternelles, qui sont la base de la religion sublime dont vous tes le pontife souverain.

    Je ne dis pas que ma Bible Amusante contribuera beaucoup raffermir la foi; mais elle aura

    nanmoins un avantage incontestable: en pntrant parmi les victimes de l'tat lacisateur, en

    se faisant lire de ceux qui maintenant ignorent ou ne connaissent que vaguement toutes ces

    belles choses, elle leur rvlera ce qu'il est ncessaire de croire pour avoir le droit de se dire

    fils de l'glise catholique, apostolique et romaine.

    Si, aprs a, quelques-uns veulent admettre qu'il est possible un homme de vivre trois jours

    dans le ventre d'une baleine, sans parler des autres miracles bibliques, vous me devrez, mon

    vieux Joachim, de chaleureux remerciements pour vous avoir valu des recrues inespres.

    Alors, sans rancune au sujet de ma mystification, n'est-ce pas?... Ce livre vous aura consol, et

    nous redeviendrons bons amis, comme avant le 19 avril.

    Voyons, ne te fais pas prier, Lon. Envoie-moi un petit -compte de bndiction, par retour du

    courrier.

    Paris, le 20 juin 1897 - Lo Taxil.

  • 4

    1 CHAPITRE

    LA CREATION ET LE PARADIS TERRESTRE

    Or, apprenez donc ce que l'esprit de Dieu dicta Mose, prtendu auteur sacr, qui est

    attribue la Gense, premier livre de l'criture Sainte; et vous constaterez, chaque instant,

    que l'esprit de Dieu, moins d'tre d'une ignorance crasse, est fumiste, essentiellement

    fumiste, plus fumiste que l'inventeur de la grande-matresse palladiste Diana Vaughan.

    Dieu est de toute ternit; mais, au commencement des temps, il tait seul dans le nant. Rien

    n'existait, sauf lui, s'appelant alors Elohim, nom hbreu sous lequel il est dsign par le

    premier verset de la Bible; et ce nom est un pluriel, ce qui est bien singulier pour un monsieur

    tout seul.

    Donc, Elohim, qui est aussi Jhovah, Sabaoth, Adona, ainsi que nous le verrons plus loin, Elohim s'embtait (ou s'embtaient) six francs par tte au milieu de son chaos; tohu-bohu est le terme biblique, tohu-bohu qui signifie sens dessus dessous.

    L'ternit tant dmesurment longue, matre Elohim s'embta pendant des milliards et des

    milliards de sicles. Enfin, il eut une ide: tant Dieu, c'est--dire tout-puissant, il jugea que

    s'embter toujours sans rien faire serait le comble de la btise, et il rsolut de crer.

    Il aurait pu tout crer d'un seul coup. Eh bien, non; mieux valait prendre son temps, lui se

    mbla-t-il. Et il fit le ciel et la terre, ou, pour mieux dire, la matire apparut sous le simple

    effort de sa volont; une matire informe, vide, confuse, encore tohu-bohu, et pleine

    d'humide. Et le vent de Dieu courait sur les eaux (textuel); le lecteur n'est pas forc de

    comprendre.

    Afin de ne pas commettre de gaffes, il tait ncessaire, avant tout, de voir clair; d'o l'on est

    en droit de conclure que, pendant les mille milliards de sicles prcdents, ce pauvre papa

    Bon Dieu tait dans la plus complte obscurit.

    Heureusement, il ne se cogna jamais le nez nulle part, puisqu'il n'y avait rien du tout.

    Que la lumire soit! commanda l'ternel. Et la lumire fut.

    Quelle tait cette lumire? La Bible ne le dit pas; elle se borne nous apprendre ceci: Dieu

    vit que la lumire tait bonne . Il en fut satisfait, par consquent. Son premier soin fut alors

    de sparer la lumire d'avec les tnbres ; inutile encore de chercher comprendre. Et

    Dieu nomma la lumire, Jour; et les tnbres, Nuit . Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin. Tel fut le premier jour de la cration.

    Aprs quoi, papa Bon Dieu s'occupa de crer... devinez quoi... l'tendue, ou, si vous aimez

    mieux, l'espace. Pour peu qu'on veuille y rflchir, il est clair que l'espace existait de tout

    temps, mme en supposant une poque o il n'tait meubl d'aucune toile, d'aucune plante.

    Nanmoins, l'tendue fut cre aprs la lumire, quoique cre soit ici un terme impropre.

    La Bible, trs embrouille dans son premier chapitre, nous a enseign, nous venons de le voir,

    qu'au dbut de la cration Elohim fit le ciel et la terre en tohu-bohu, avec de la matire

    informe et des masses d'eaux confuses sur lesquelles le vent de Dieu courait; et voici

    comment le livre sacr explique cette seconde opration, la formation de l'tendue: Dieu

    cra l'tendue et spara les eaux qui sont au-dessus de l'tendue d'avec celles qui sont au-

    dessous de l'tendue; et ainsi fut. (Gense 1:7) Quelques commentateurs disent qu'il s'agit de

    l'atmosphre. En tout cas, on lit au verset 8: Et Dieu nomma l'tendue, Cieux. Ainsi fut le

    soir, ainsi fut le matin; ce fut le deuxime jour.

    Quoi qu'il en soit, il ressort de ceci que l'Esprit-Saint conta l'auteur une superbe blague et

    abusa de sa navet. Cette histoire d'eaux au-dessus et d'eaux au-dessous est la reproduction

    d'une grosse erreur des peuples primitifs. En effet, tous les anciens croyaient que les cieux

    taient quelque chose de solide, de ferme, d'o le nom de firmament , et mme on se

  • 5

    les imaginait en cristal, attendu que la lumire passait travers; et l'opinion tait qu'au-dessus

    de cette plaque solide, de ce firmament, il y avait un immense rservoir d'eau. Aujourd'hui,

    nous savons que la pluie est l'eau attire, pompe par le soleil, devenue vapeurs, nuages, et

    retombant ensuite sur terre; mais autrefois on croyait que la pluie venait du grand rservoir

    suprieur; on supposait des sortes de fentres s'ouvrant et se refermant la plaque du

    firmament et produisant ainsi les pluies. Et cette opinion, qui maintenant nous fait rire, fut en

    cours fort longtemps; c'est le sentiment d'Origne, de saint Augustin, de saint Cyrille, de saint

    Ambroise et d'un nombre considrable de docteurs des premiers sicles du catholicisme. Le

    fumiste Esprit-Saint se moquait d'eux.

    Enfin, passons. Le troisime jour fut employ par papa Bon Dieu un travail dont les rsultats

    sont plus apprciables que ceux des jours prcdents. Il abaissa ses regards sur les eaux de

    l'au-dessous, et il se dit qu'il serait utile de les rassembler, de faon faire apparatre des

    parties sches, c'est--dire des continents.

    Alors, les eaux, trs obissantes sa volont, se runirent part, des profondeurs s'tant

    creuses pour leur amas; par contre, des hauteurs se formrent, hrissant de montagnes la

    surface de la matire solide, tandis que le liquide roulait en flots lents ou prcipits vers les

    gouffres nouveaux. Et Dieu nomma le sec, Terre; il nomma aussi l'amas des eaux Mers. Et

    Dieu vit que cela tait bon.

    Il est remarquer que papa Bon Dieu tait, le plus souvent, content de sa besogne. Nom d'une pipe! devait-il se dire, ce que j'ai t moule de ne pas avoir cr cela plus tt!

    Ce jour-l, il fut tellement satisfait de ses continents et de ses mers, qu'il voulut faire encore

    quelque chose avant la tombe de la nuit. Que la terre pousse son jet, dit-il, savoir, de

    l'herbe portant semence, et des arbres fruitiers portant du fruit chacun selon son espce, qui

    aient leur semence en eux-mmes sur la terre. Et ainsi fut. (1:11)

    On ne saurait trop admirer cette dlicate attention du Crateur. Impossible d'tre plus plein de

    prcautions que lui. En effet, on se demande ce que serait la terre, si Dieu l'avait plante

    d'arbres fruitiers portant chacun des fruits autres que ceux de son espce. Remercions le

    paternel Elohim de ne pas nous avoir donn des abricotiers produisant des oranges, des

    orangers produisant des pommes, des pommiers produisant des groseilles, etc.; ce serait ne

    plus s'y reconnatre. Ah! oui, remercions Dieu; quel bon papa prvoyant!...

    La terre lui ayant obi et les abricotiers ayant pouss en portant des abricots, Dieu, encore une

    fois, vit que cela tait bon. Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin; ce fut le troisime jour .

    Mais voici bien une autre histoire! Trois jours dj s'taient couls avec soir et matin, grce

    la lumire cre ds le dbut: seulement, ce qui est bizarre, cette lumire qui disparaissait la

    fin du jour pour faire place aux tnbres de la nuit, cette lumire illuminait le monde naissant,

    sans avoir aucun foyer; pas plus de soleil qu'au fond d'une mine de houille. Cette cocasserie

    mrite une citation textuelle de la Bible:

    14. Puis, Dieu dit: Qu'il y ait des luminaires dans l'tendue des deux, pour sparer la nuit

    d'avec le jour, et qui servent de signes, et pour les saisons, et pour les jours, et pour les

    annes;

    15. Et qui soient pour luminaires dans l'tendue des cieux, afin de luire sur la terre; et ainsi

    fut.

    16. Dieu donc fit deux grands luminaires: le plus grand luminaire, pour dominer sur le jour, et

    le moindre, pour dominer sur la nuit; il fit aussi les toiles.

    17. Et Dieu les mit dans l'tendue des cieux, pour luire sur la terre:

    18. Et pour dominer sur le jour et sur la nuit, et pour sparer la lumire d'avec les tnbres; et

    Dieu vit que cela tait bon.

    19. Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin; ce fut le quatrime jour.

    Aucun quiproquo, n'est-ce pas? il s'agit bien du soleil et de la lune. Par consquent, d'aprs

    l'Esprit-Saint, la cration du soleil a suivi de quatre jours la cration de la lumire! Or,

  • 6

    l'Esprit-Saint sait tout, videmment; sinon, il ne serait pas l'Esprit-Saint, mais un simple

    imbcile. Chaque fois que la science fait une dcouverte, l'Esprit-Saint doit rire dans son bec

    de pigeon et se murmurer en lui-mme: Moi, je sais a de toute ternit; ces pauvres pygmes

    d'hommes se donnent grand mal pour savoir ce qui est!

    Mais alors, pourquoi l'Esprit-Saint a-t-il dict Mose encore cette colossale btise, propos

    de la lumire et du soleil?... Quel fumiste, dcidment!...

    En effet, jusqu' Olas Rmer, astronome de Copenhague, qui vivait au dix-septime sicle (1644-1710), on a cru que le soleil ne produit pas la lumire, mais que la lumire existe dans

    l'espace et que le soleil ne sert qu' la pousser ; cette fausse conception physique a t une

    erreur de Descartes lui-mme. C'est Rmer que la science doit la dmonstration de cette importante vrit, directement contraire l'nonc de la Bible, c'est--dire: la lumire qui

    claire notre monde mane du soleil et sa propagation n'est pas instantane. Le grand

    astronome danois en arriva mme dterminer exactement la vitesse de la lumire solaire; il

    tablit, et ceci est mille fois prouv aujourd'hui, que cette lumire met huit minutes dix-huit

    secondes nous parvenir de l'astre qui en est le foyer, soit une vitesse de 308, 000 kilomtres

    par seconde. On sait que Rmer fut amen cette grande dcouverte par l'observation des clipses des satellites de Jupiter, plante faisant partie de notre systme solaire. Rmer tait alors en France, et il s'empressa d'annoncer sa dcouverte l'Acadmie (Voir l'Histoire de

    l'Acadmie, sance du 22 novembre 1675)

    On peut dire encore, avec Voltaire: Si Dieu avait d'abord rpandu la lumire dans les airs

    pour tre ensuite pousse par le soleil, et pour clairer le monde, elle ne pouvait tre pousse,

    ni clairer, ni tre spare des tnbres, ni faire un jour du soir au matin, avant que le soleil

    existt; cette thorie est contraire toute physique, et toute raison.

    Mose, fort ignorant en astronomie, s'est donc laiss berner par l'Esprit-Saint; car le divin

    pigeon savait, au temps o fut crite la Gense, ce que Rmer devait dcouvrir en 1675. On remarquera aussi le peu d'importance qu'ont les toiles, dans la cration selon la Bible. Les

    deux grands luminaires sont le soleil et la lune; la lune! qui n'est qu'un satellite de notre

    plante terrestre! L'ignorante Gense est bien loin de se douter que lune; terre, et mme soleil,

    sont fort peu de choses dans l'univers; que notre brillant soleil, astre central du monde que

    nous habitons, est une modeste toile, une des innombrables toiles qui composent la voie

    lacte. L'auteur sacr ne voit que la terre et rapporte tout la terre, infime plante qui, en

    ralit, tourne autour d'une toile de septime grandeur; et cette toile-soleil, le pitre crivain

    la fait dpendre, astronomiquement, de sa plante!

    Ah! l'infortun Mose serait bahi, s'il ressuscitait de nos jours. Je m'imagine quelle tte il

    ferait, si, venant s'instruire, en n'importe quel observatoire d'Europe ou d'Amrique, il

    apprenait, par exemple, ce qu'est Sirius, toile de premire grandeur: Sirius, la plus belle et la

    plus brillante des toiles du ciel, sur laquelle l'Esprit-Saint ngligea d'appeler son attention;

    Sirius, dont la lumire met prs de vingt-deux ans nous arriver, sa distance la terre tant de

    52,174,000 millions de lieues, soit 1,373,000 fois la distance du soleil la terre. Que dirait le

    pauvre Mose, le jour o on lui rvlerait l'importance prodigieuse, dans l'univers, des autres

    mondes solaires qu'il ne souponna mme pas?

    Supposez le professeur enseignant simplement ceci Mose, d'aprs Humboldt: Quoique placs une si grande distance, Sirius et notre soleil appartiennent la mme couche d'toiles,

    isole dans les espaces clestes, une le d'toiles dans l'univers; et cette Ile de mondes et de

    soleils, de forme aplatie, lenticulaire, a dans son grand axe huit cents fois la distance de Sirius

    la terre; et, cependant, elle n'est qu'une petite couche, extrmement mince, si on la compare

    aux grandes couches, paisses et profondes, et incomparablement plus riches en toiles et en

    soleils, qui l'environnent. Mose, qui a bnvolement cru que la terre est le centre de l'univers cr par Dieu, en deviendrait fou.

    Revenons la cration selon la Bible:

  • 7

    20. Puis, Dieu dit: Que les eaux produisent en toute abondance des animaux qui se meuvent

    et qui aient vie; et que les oiseaux volent sur la terre, vers l'tendue des cieux.

    21. Dieu cra donc les grands poissons, et tous les animaux vivants et qui se meuvent, que les

    eaux produisirent en toute abondance, selon leur espce, et tout oiseau ayant des ailes, selon

    son espce; et Dieu vit que cela tait bon.

    22. Et Dieu les bnit, disant: Croissez et multipliez, et remplissez les eaux dans les mers; et

    que les oiseaux multiplient sur la terre.

    23. Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin; ce fut le cinquime jour.

    24. Puis, Dieu dit: Que la terre produise des animaux vivants selon leur espce; les animaux

    domestiques, les reptiles et les btes de la terre, selon leur espce; et ainsi fut.

    25. Dieu donc ft des btes de la terre selon leur espce, les animaux domestiques selon leur

    espce, et les reptiles de la terre selon leur espce; et Dieu vit que cela tait bon.

    Oui-d, tout cela tait bon, et matre Elohim, qui a des mains, les frottait avec satisfaction.

    Mais il y avait encore mieux crer.

    Pas un de ces animaux ne me ressemble, et c'est dommage! pensa-t-il. J'ai cependant une belle tte, l'oreille fine, l'il vif, le nez spirituel, et de la dent! Je pourrais bien crer un miroir, dans lequel je me contemplerais; mais il vaut mieux, je crois, me contempler en regardant

    mon semblable... Allons, c'est dit; il faut absolument qu'il y ait sur terre un animal qui ait ma

    tte.

    Tandis que papa Bon Dieu se tenait ce raisonnement, il est prsumer que divers singes, de

    cration rcente, vinrent cabrioler autour de lui.

    Ils ont quelque chose de moi, dut-il se dire; mais enfin ce n'est pas a. La presque totalit de ces espces est orne d'une queue, et je n'ai pas de queue. Quant ceux qui sont dpourvus

    de cet appendice caudal... non, ce n'est pas a encore!...

    Et les singes grimaaient et continuaient excuter leurs mirifiques cabrioles.

    Alors, papa Bon Dieu prit un bloc de terre humide, et n le ptrit . Aprs cela, venez donc soutenir que Dieu est un pur esprit et n'a pas de mains! La Bible dit aussi que Dieu, ayant form l'homme, lui souffla dans les narines une respiration de vie . Voil donc le

    premier homme ptri, puis anim grand renfort de postillons. C'est ainsi que l'homme fut

    fait en me vivante .

    Il est un passage, peu clair, du premier chapitre de la Gense, le verset 27, qui a donn croire

    quelques commentateurs occultistes que, de prime abord, l'homme avait t cr

    hermaphrodite, mais que Dieu s'tait ensuite ravis. En effet, ce n'est qu' la fin du second

    chapitre qu'il est question de la cration de la femme; or, 25 versets plus haut, la Bible dit en

    toutes lettres: Dieu donc cra l'homme son image; il le cra mle et femelle l'image de

    Dieu. C'est ce verset, traduit littralement du texte hbreu, qui a donn naissance la

    lgende du Dieu Andr ogyne, trs accrdite dans les diverses coles occultistes; et, d'autre

    part, ce verset tant fort gnant, les traducteurs chrtiens ont toujours eu soin de l'altrer.

    Nanmoins, on aurait tort d'attacher trop d'importance cette fantaisie biblique; bien d'autres

    passages sont encore moins comprhensibles!

    Voyons plutt ce qui est gnralement admis.

    Ds la formation de l'homme, papa Bon Dieu le constitua roi de la cration. Il lui fit

    immdiatement passer en revue tous les animaux. Car l'ternel Dieu avait form toutes les

    btes de la terre et tous les oiseaux des cieux; puis, il les avait fait venir vers Adam, afin qu'il

    vt comment il les nommerait, et que le nom qu'Adam donnerait tout animal vivant ft son

    nom.

    On se rend compte de ce dfil; c'est Buffon, sans doute, qui aurait bien voulu tre la place

    d'Adam!

    Tu rempliras la terre et l'assujettiras, avait-il t dit Adam; tu domineras sur les poissons

    de la mer, et sur les oiseaux des cieux, et sur toute bte qui se meut sur la terre. En tant que

  • 8

    roi de la cration, l'homme n'a pas toujours le dessus, quand il a affaire un lion, un tigre,

    un ours, un crocodile; voil ce qu'on peut rpondre. Et non seulement les btes froces nous

    croquent; mais encore l'humanit est victime de mille insectes dsagrables, puces, punaises,

    scorpions, sans parler des jsuites et autres cafards.

    En outre, Dieu, qui avait cr les btes froces savourant le bifteck humain, ordonna

    l'homme d'tre vgtarien. Voici: je t'ai donn toute herbe portant semence et qui est sur

    toute la terre, et tout arbre qui a en soi du fruit d'arbre portant semence; ce qui te sera pour

    nourriture.

    Finalement, tout tant termin ou peu prs au soir du sixime jour, papa Bon Dieu, heureux et de plus en plus satisfait de son ouvrage, et peut-tre lgrement fatigu, inventa la

    sieste et donna l'homme l'exemple du repos en se reposant lui-mme, le septime jour,

    comme un bon gros rentier qui prouve le besoin de ne plus rien faire.

    Or, l'Eternel Dieu avait plant un jardin en Eden, du ct de l'Orient, et il y avait mis

    l'homme qu'il avait form... Et un fleuve sortait d'Eden, pour arroser le jardin, et il se divisait

    en quatre fleuves. Le nom du premier est Phison; c'est celui qui coule autour de tout le pays

    d'Evilath, o l'on trouve de l'or; et l'or de ce pays est bon; c'est l aussi que se trouve le

    bdellium et la pierre d'onyx. Le nom du second fleuve est Ghon; c'est celui qui coule autour

    de tout le pays de Chus. Le nom du troisime fleuve est Tigre; c'est celui qui coule au pays

    des Assyriens. Et le quatrime fleuve est l'Euphrate. (Gense 2:8, 10-14)

    En entrant dans ces dtails, l'auteur de la Gense a voulu donner une ide approximative de

    l'emplacement du merveilleux Eden. Mais il aurait beaucoup mieux fait de ne rien dire; car il

    est impossible de se faire prendre plus sottement en flagrant dlit de gasconnade.

    En effet, tous les commentateurs s'accordent reconnatre que le Phison est le Phase, nomm

    plus tard l'Araxe, fleuve de la Mingrlie, qui a sa source dans une des branches les plus

    inaccessibles du Caucase, et, s'il y a dans cette rgion de l'or et de l'onyx, par contre personne

    n'a jamais pu dcouvrir ce qu'il fallait entendre par bdellium. D'autre part, il ne saurait y avoir

    aucune erreur au sujet des troisime et quatrime fleuves, le Tigre et l'Euphrate; d'o il rsulte

    clairement que, d'aprs la Gense, l'emplacement du paradis terrestre aurait t situ en Asie,

    dans la rgion du massif de l'Ararat, en Armnie, quoique (premire bvue de l'auteur sacr)

    Araxe, Tigre et Euphrate, tout en ayant leurs sources relativement voisines, les ont

    parfaitement distinctes. L'Araxe, loin d'tre driv d'un autre fleuve, sort du volcan Bingol-

    Dagh, d'o il coule vers la mer Caspienne. Quant au Tigre et l'Euphrate, non seulement ils

    ne proviennent pas d'un mme fleuve, mais au contraire ils se rejoignent Korna, pour former

    le C hat-el-Arab et se jeter dans le golfe Persique.

    Au su jet du deuxime fleuve, appel Ghon par la Gense, la bvue de l'auteur sacr est

    fantastique. C'est, dit-il, le fleuve du pays de Chus. Or, d'aprs la version des Septante et

    mme la Vulgate, la terre de Chus (fils de Cham et pre de Nemrod) n'est autre que l'Ethiopie;

    par consquent, ce Ghon, c'est le Nil, qui coule, non pas en Asie, mais en Afrique, et

    prcisment dans le sens oppos l'Araxe, au Tigre et l'Euphrate, la direction gnrale du

    cours du grand fleuve africain tant du sud au nord. Si l'on place la source du Nil au Victoria-

    Nyanza, ainsi qu'on l'admet pour ne pas remonter plus haut, il y a donc au minimum dix-huits

    cents lieues de distance entre les sources des premier et deuxime fleuves mentionns par la

    Gense comme arrosant le mme jardin d'Eden! Il est vrai que les deux autres n'ont leurs

    sources qu' soixante lieues l'une de l'autre; ce qui est dj gentil pour un jardin. En outre, est-

    ce un jardin que cet immense territoire hriss de pics des plus escarps, form d'une des

    rgions les p lus impraticables du globe?...

    Enfin, troisime bvue, et l'on pourrait appeler celle-ci: la bvue du bout de l'oreille.

    Les prtres, on le sait, prtendent que l'uvre de Mose est le Pentateuque, c'est--dire les cinq premiers livres de la Bible: la Gense, l'Exode, le Lvitique, les Nombres et le Deutronome.

    Mais les savants ont eu l'impit de faire des recherches, et leur opinion gnrale est que ces

  • 9

    livres ont t fabriqus par Esdras, au retour de la captivit de Babylone, dans le courant du

    cinquime sicle avant Jsus-Christ, tandis que Mose, en supposant qu'il ait exist et en

    admettant un instant comme authentiques les dates qui le concernent, vivait mille ans

    auparavant: naissance au pays de Gessen, en Egypte, en 1571 avant notre re, et m ort en

    Arabie, sur le mont Nbo, en 1451.

    Bossuet s'est indign des travaux de Hobbes, de Sp inoza et de Richard Simon contre

    l'authenticit des uvre de Mose; dire que le vritable auteur du Pentateuque est Esdras, c'est blasphmer, selon le fougueux vque: Que peut-on objecter, s'crie-t-il (Discours sur

    l'Histoire universelle), une tradition de trois mille ans, soutenue par ses propres forces et par

    la suite des choses? Rien de suivi, rien de positif, rien d'important!

    N'en dplaise Bossuet, le verset 14 du chapitre 2 de la Gense, entre autres exemples, donne

    une preuve clatante de la supercherie littraire et religieuse, et dmontre, net comme deux et

    deux font quatre, que la dite Gense ne peut pas avoir t crite par Mose. C'est dans ce

    Verset qu'il est dit: Le nom du troisime fleuve est Tigre; c'est celui qui coule au pays des

    Assyriens. a y est en toutes lettres. Quelques traducteurs ont remplac les quatre derniers

    mots par: vers l'Orient d'Assyrie ; mais cela ne change rien. La question est celle-ci:

    Mose, mort en 1451 avant Jsus-Christ, ne pouvait pas employer les expressions Assyrie,

    Assyriens, par la bonne raison que l'empire assyrien, qui s'tendait la fois sur Ninive et

    Babylone et qui dura jusqu'au huitime sicle avant notre re, commena exister vers 1300,

    tout au plus. Les tmoignages d'Hrodote et du chalden Brose sont d'accord sur ce point et

    ont t confirms par les monuments.

    Les importantes dcouvertes accomplies depuis le commencement de notre sicle dans

    l'histoire des peuples de l'ancien Orient, avec l'aide des inscriptions en caractres

    hiroglyphiques et cuniformes, ne permettent plus aujourd'hui, mme dans les livres les plus

    lmentaires, de rditer les neries bibliques au sujet de cette premire partie des annales du

    genre humain. Les rsultats obtenus par les Champollion, les de Roug, les de Saulcy, les

    Mariette, les Oppert, les Rawlinson, les Lepsius, les Brugsch, etc., clairent l'histoire ancienne

    d'une lumire autrement certaine que les traditions colliges par le fumiste Esdras.

    Il est tabli que le fondateur de l'empire assyrien fut un prince nomm sur les monuments Ni

    nippaloukin, lequel vivait cent cinquante ans aprs Mose. D'autre part, la rgion qui fut

    appele Assyrie tait dsigne, du temps de Mose, sous le nom d'empire des Rotennou, ainsi

    que cela rsulte des monuments gyptiens, mentionns par Oppert et autres savants; nous

    voyons, en effet, dans diverses inscriptions gyptiennes, que les rois de la dix-huitime

    dynastie d'Egypte, contemporains de Mose, portrent leurs armes en Babylonie et se firent

    payer des tributs par les Rotennou, qui dominaient dans la Msopotamie, au pays mme du

    Tigre et de l'Euphrate. Si Mose tait le vritable auteur de la Gense, il aurait donc crit: le

    Tigre, fleuve qui coule au pays des Rotennou.

    Il est vrai que les tonsurs pourront toujours nous rpondre: Le vritable auteur de la Gense n'est pas plus Esdras que Mose; c'est l'Esprit-Saint! Par consquent, la Bible

    mentionnerait-elle mme Saint-Ptersbourg et New-York, cela ne devrait pas nous paratre

    illogique et ne saurait aucunement nous surprendre.

    Inclinons-nous donc, et reprenons la suite du sacr rcit, avec un joyeux rire; car cette

    difiante Gense ne manque vraiment pas de gat.

    Si le lecteur le veut bien, nous allons nous reporter par la pense ce merveilleux jardin

    d'Eden, o quatre grands fleuves provenant d'une seule fontaine roulent leurs eaux. Il nous

    semble voir Adam, se promenant dans sa proprit et se livrant aux douceurs du far-niente.

    Voici quel pourrait tre son monologue:

    Je suis l'homme, et j'ai pour nom Adam; ce qui veut dire, parat-il, terre rouge , attendu que j'ai t fabriqu avec de l'argile, comme une vulgaire poterie... Quel est mon

    ge?... Je suis n il y a cinq jours; mais, selon un vieux proverbe, on a l'ge que l'on parat. Et

  • 10

    voil pourquoi je puis dire qu'en ralit je suis n l'ge de vingt-huit ans, avec toutes mes

    dents... Non; pas avec toutes mes dents... Il me manque encore les dents de sagesse...

    Trs bien constitu, hein?... Dame! comment pourrais-je ne pas tre un bel individu, puisque,

    sauf l'ge et la barbe, je suis la fidle copie du seigneur Jhovah, l' tre le plus patamment

    chic qui existe dans l'univers?... Voyez-moi cette sant, ces bras robustes, ces jarrets d'acier,

    des nerfs en revendre, et, avec a, le teint frais... Pas le moindre rhumatisme... Je dis zut aux

    maladies... Je n'ai mme pas craindre la petite vrol e; papa Bon Dieu m'a fabriqu tout

    vaccin... Aussi, ce que je me gobe!... et je n'ai pas tort...

    Je me la coule douce, en ce sjour charmant... pas de concierge... aucun domestique, mme...

    Voil une vie heureuse!... Je vais, je viens, je cuei lle des fruits, tous succulents, et je m'en

    empiffre ma fichue fantaisie, bravant sans danger la diarrhe... Je n'prouve aucune fatigue,

    si longues que soient mes promenades, quand je me couche sur l'herbe, c'est pour mon

    agrment...

    L'autre jour, l'aimable seigneur Jhovah m'a offert une distraction, dont je garderai toute ma

    vie le joyeux souvenir Tous les animaux de la cration ont pass devant moi: Le nom que tu donneras chaque animal vivant sera son nom , m'a dit le vieux Pre Eternel... Comme

    attention, c'tait gentil, a!...

    C'est inou, ce qu'il en a dfil, des animaux!... Je n'aurais jamais cru qu'il y et tant d'tres

    vivants... Je n'ai pas t embarrass pour leur faire ma distribution de noms; car la langue que

    je parle sans difficult, et sans tre jamais all l'cole, est une langue d'une richesse

    extraordinaire, d'une abondance de termes dont il est impossible de se faire une ide... Ainsi,

    sans avoir besoin de chercher, je connaissais instantanment tout ce qui est propre chaque

    animal, rien qu'en le regardant, et par un seul mot j'exprimais toutes les proprits de chaque

    espce, de sorte que chaque nom donn par moi est en mme temps une dfinition complte et

    parfaite... Prenons, par exemple, l'animal qu'on appellera plus tard equus en latin, cheval en

    franais, horse en anglais, etc. Eh bien, je lui ai colloqu un nom qui exprime ce quadrupde

    avec ses crins, sa queue, son encolure, sa vitesse, sa force... Et l'oiseau que, dans les sicles

    futurs, on appellera bulbo en latin, hibou en franais, owl en anglais, etc., tous ces noms

    venir ne vaudront pas celui que j'ai imagin et qui caractrise le nocturne rapace, avec ses

    deux aigrettes mobiles sur le front, son bec court et crochu, sa grosse tte aux grands yeux

    ronds entours d'un cercle complet de plumes roides, ses pattes toutes garnies de plumes

    jusqu'aux ongles, ainsi que ses murs farouches et sauvages, son cri monotone et lugubre, son horreur de la lumire... Et ainsi de suite, pour tous les animaux vivants... Ah! elle est sans

    pareille, la langue que je parle, et comme il est triste de penser qu'un jour elle sera entirement

    et jamais perdue!... Cette pense est mon seul chagrin... Repoussons-la bien vite, et n'ayons

    nul souci.

    Oh! cette revue gnrale de tous les animaux vivants, voil ce qui a t superbe... Encore,

    superbe ne dit pas tout; car nous avons eu une partie drlatique dans le programme de la fte:

    'a t l'arrive des poissons... Pensez donc! ce jardin est en plein continent, pas de rivages

    marins, rien que des fleuves, c'est--dire de l'eau douce... Alors, vous voyez la grimace que

    faisaient les poissons de mer, en remontant le Tigr et l'Euphrate pour venir auprs de moi; ils

    n'taient plus dans leur eau sale habituelle, et a les embtait !... Vrai, c'tait se tordre... Et

    les gros ctacs, c'est ceux-l qui taient gns!... Heureusement, pour ce jour-l et titre

    exceptionnel, papa Bon Dieu a largi les fleuves de mon jardin; sans quoi les diverses espces

    de baleines n'auraient jamais pu passer... Sitt que je leur avais donn leur nom, il fallait les

    voir repiquer en arrire et se prcipiter, grands coups de nageoires, pour regagner le plus

    vivement possible leur Ocan... J'en ris encore!...

    Peut-tre y aura-t-il des gens qui ne croiront pas cette histoire... Les impies nieront que des

    phoques du ple Nord aient pu venir jusqu'en Armnie, dans les eaux suprieures du Tigre et

    de l'Euphrate, et cela en un seul jour de voyage, descendant tout l'Atlantique et faisant le tour

  • 11

    complet de l'Afrique; ils diront que ces intressants mammifres marins, htes de l'ocan

    Glacial, n'ont pu changer d'lment sans en mourir... Eh! qu'importe la critique!... Ma parole

    d'honneur, j'ai vu ici, en ce jardin d'Eden, dans cette circonstance, phoques et baleines, et

    j'ajoute que les phoques, tout contents d'avoir reu de moi un nom, m'ont remerci en disant

    papa! maman!...

    Les esprits pointilleux objecteront: Et les poissons des lacs, par o sont-ils venus?... Veut-

    on faire allusion au lavaret, ce dlicieux poisson du lac du Bourget, dont les habitants d'Aix-

    les-Bains parlent comme d'une gloire?... Et la fra, qui vit exclusivement dans le lac Lman,

    qui meurt aussitt qu'elle est mise dans une autre eau, mme douce, qui ne peut seulement pas

    vivre dans le Rhne, en de ou sn del du Lman?... Qu'on le sache donc: le lavaret et la fra

    ont eu une permission spciale de Dieu; ces deux poissons lacustres sont venus, par voie

    arienne, me rendre visite l'Eden... Et voil! anathme aux mcrants, qui ne se contenteront

    pas de cette explication!...

    Et puis, palsambleu! je suis bien bon de discuter ces choses... Tant pis pour qui ne me croira

    pas, quand j'affirme que j'ai vu tous les animaux vivants, vertbrs, annels, mollusques, et

    zoophytes!... Il n'est pas un seul insecte qui je n'ai donn un nom... Mais celui qui m'a le

    plus stupfi, c'est un grand ver blanc, long, plat, qui est sorti tout doucement de moi-mme,

    un vilain ver que les naturalistes futurs appelleront tnia ou ver solitaire de l'homme, et qui ne

    ressemble pas au tnia des porcs ni au tnia des moutons; ce grand diable de ver humain, ds

    sa sortie, m'a fait une profonde rvrence; je lui ai donn un nom; aprs quoi, il s'est refaufil

    chez moi par mon anus et a repris domicile en mon individu... Si j'en parle, c'est pour ne rien

    omettre; car je ne me savais pas habit. A part a, mon locataire ne m'incommode en aucune

    faon... Rien ne trouble cette vie de cocagne que je mne depuis cinq jours...

    Adam se mire dans l'onde limpide de la fontaine, source des quatre grands fleuves; puis,

    avisant une pelouse, il s'y tale mollement.

    Ah! qu'il fait bon vivre ainsi! murmure-t-il. Mais voil qu'il bille... il s'tire... une langueur inconnue s'empare graduellement de lui...

    Voil du nouveau, par exemple!... Il ne ressent pourtant aucune fatigue... Qu'est-ce que cela

    signifie?...

    Il n'y comprend rien. Il subit la mystrieuse influence, irrsistible. Ses paupires se ferment.

    Adam dort. C'est le premier sommeil de l'homme.

    Or, tandis qu'Adam ronfle comme une toupie d'Allemagne, papa Bon Dieu descend sur terre.

    D'abord, il arrte assez longuement ses regards sur le dormeur.

    Tout de mme, je travaille bien, quand je m'y mets! fait-il avec satisfaction. Le gaillard est rudement bti; on jurerait que c'est moi... quand j'avais quelques milliards de sicles de moins.

    Se baissant, il lui pince le gras du mollet. A celte divine factie, Adam rpond par un

    ronflement plus sonore encore que les prcdents.

    Parfait! continue matre Elohim; je n'aurai pas besoin d'insensibilisateur pour assurer le succs de mes talents de chirurgien... Je vois que le sommeil que j'ai envoy mon jeune

    Adam chri tait des mieux conditionns; on tirerait le canon auprs de lui, qu'il ne se

    rveillerait pas... Maintenant, il s'agit de me mettre l'uvre; car je suis venu ici pour une opration de premier ordre... Pendant que personne ne m'entend, je puis bien faire un aveu: je

    me suis aperu ce matin qu'il y a des moments o je suis quelque peu godiche. Ainsi, o

    avais-je la tte, quand j'ai cr l'homme sans compagne?... J'ai donn chaque animal une

    femelle; du moins, il n'y a que peu d'exceptions cette rgle. Le ver solitaire, je l'ai cr

    hermaphrodite, et a se comprend, puisque, s'il allait par couple dans les intestins o il

    demeure, ce ne serait plus un ver solitaire... Mais l'homme n'est pas un tnia, nom d'une

    pipe!...

    Il faut donc que je lui fabrique une compagne, et j'ai dcid de la lui faire avec sa chair...

  • 12

    Papa Bon Dieu tourna un moment autour d'Adam; il le ttait, tout en mettant haute voix ses

    rflexions.

    J'ai consult le Pigeon ce sujet, continua-t-il, et j'ai bien fait, car il est plus malin que moi... Ma premire ide avait t de couper un cor au cher Adam et d'en ptrir une petite

    femme... Le Pigeon ne m'a pas approuv; il a pens qu'un cor serait trop vulgaire et que les

    impies pourraient y trouver prtexte pour dire que la femme est de basse extraction... La

    conclusion est que c'est avec une cte que je vais fabriquer la seconde crature humaine...

    Allons! c'est le moment, c'est l'instant; soyons prompt et adroit comme un dentiste qui en est

    sa vingt millime opration.

    Et, ce disant, papa Bon Dieu arracha Adam une de ses ctes, et il resserra la chair la

    place. (2:21) Et l'Eternel Dieu construisit en femme la cte qu'il avait te Adam.

    (2:22)

    J'entends le cri de l'homme, se rveillant en sursaut:

    Ae! ae!... Oh! l l!... On vient de m'enlever un de mes biftecks! Et sa surprise en voyant la jolie poupe vivante:

    Qu qu'c'est qu'a? a? c'est ta femme, et je te la prsente, rpond Jhovah... Ose dire que je ne te fais point l un agrable cadeau!...

    Le fait est qu'elle est gentille... On en mangerait... Veinard, va!... Et pas de belle-mre !... Tu peux te vanter d'avoir toutes les chances, mon garon.

    La Bible raconte qu'Adam s'cria: Cette fois, celle-ci est l'os de mes os et la chair de ma

    chair. On la nommera hommesse, car elle a t prise de l'homme. C'est pourquoi l'homme

    laissera son pre et sa mre, et il se joindra sa femme, et ils seront ainsi une mme chair.

    (2:23-24)

    Inutile de commenter cette exclamation d'Adam, nouveau mari. Ah! qu'en termes galants ces

    choses-l sont mises?...

    Pour ce qui est de la cte enleve, il est bon de rappeler que, selon l'avis de saint Augustin,

    Dieu ne la rendit point Adam. Par consquent, Adam vcut ainsi avec une cte de moins.

    C'tait apparemment une de ses fausses ctes, a fait remarquer Voltaire; car le manque d'une

    des ctes principales et t trop dangereux.

    La Gense nous dit encore (2:25): Or, Adam et sa femme taient tous deux nus, et ils n'en

    avaient point de honte. Les pieux commentateurs affirment que cette nudit sans nulle honte

    est une preuve de l'innocence de nos premiers parents; s'ils taient toujours demeurs dans

    cette pense qu'il n'y a aucune impudicit se promener tout nu, c'et t la marque d'une

    persvrante perfection. En vertu de ce raisonnement biblique, on pourrait donc estimer

    comme vivant dans l'tat de perfection les peuplades sauvages qui ne portent aucun vtement,

    et il y en a encore: nanmoins, lors de la dcouverte de l'Amrique, les fanatiques catholiques

    espagnols massacrrent en masse des peuplades indignes qui vivaient en belle innocence, et

    les prtres bnissaient les massacreurs. D'autre part, on a remarqu que c'est le froid qui fit

    inventer les habits; car les peuples nus sont ceux qui vivent dans les rgions les plus chaudes.

    En outre, quand tout le monde est nu, personne n'a honte de l'tre: on ne rougit que par vanit;

    on craint de montrer une difformit que les autres n'ont pas.

    Arrivons la grande affaire, l'tonnante aventure qui mit fin, hlas! au bonheur d'Adam et

    de son pouse.

    L'Eternel Dieu avait fait germer de la terre tout arbre dsirable la vue et portant fruit bon

    manger; et il avait mis l'arbre de vie au milieu du jardin d'Eden, et l'arbre de la science du bien

    et du mal. (2:9)

    L'Eternel Dieu avait parl l'homme avec commandement, lui disant: Tu mangeras

    librement de tout arbre du jardin. Toutefois, pour ce qui est de l'arbre de la science du bien et

  • 13

    du mal, tu n'en mangeras point; car, le mme jour que lu en auras mang, tu mourras de mort

    trs certainement. (2:16-17)

    Il est bon de faire observer d'abord que, sous prtexte de rsumer la Bible, les prtres ont

    rdig l'usage des fidles certains petits manuels portant le titre Histoire Sainte, dans

    lesquels ils ont soin de passer sous silence les passages de la divine Ecriture qui les gnent

    trop. Ainsi, en gnral, on ne parle aux fidles que du fameux arbre de la science du bien et du

    mal; nous verrons tout l'heure pourquoi les prtres ne soufflent mot de l'arbre de vie,

    parfaitement distinct de l'autre arbr e; nous reproduirons le verset 22 du chapitre 3, qui est

    toujours omis dans les livres donns aux na fs dvots.

    Pour l'instant, occupons-nous seulement de l'arbre dont le fruit causa la chute de l'homme.

    Rappelons que l'empereur Julien le Philosophe, dont la mmoire est si excre par les gens

    d'glise, se livra, au sujet de ce merveilleux arbre, quelques remarques pleines de bon sens.

    Il nous semble, crivit-il, que le seigneur Dieu aurait d au contraire ordonner l'homme, sa

    crature, de manger beaucoup de cet arbre de la science du bien et du mal; que non seulement

    Dieu lui avait donn une tte pensante qu'il fallait ncessairement instruire, mais qu'il tait

    encore plus indispensable de lui faire connatre le bien et le mal, pour qu'il remplt ses

    devoirs; que la dfense tait tyrannique et absurde; que c'tait cent fois pis que si on lui avait

    fait un estomac pour l'empcher de manger.

    Une autre rflexion que l'on ne peut s'empcher de se faire, c'est que le point de dpart de

    l'historiette prouve que le seigneur Jhovah avait une arrire-pense et qu'il tait bien aise que

    l'homme pcht. En somme, Adam aurait t en droit de lui dire:

    Mon petit pre Elohim, si je ne me trompe, le bien est ce qui est moralement bon, ce qui vous plat, et le mal, par contre, est ce qui est mauvais, ce qui vous dplat... Est-ce bien cela?

    Parfaitement, mon fiston, aurait rpondu le Crateur. Par consquent, aurait continu Adam, laissez-moi apprendre en quoi consiste le mal, af in que je l'vite; ou bien pourquoi avoir mis ici cet arbre, s'il ne faut pas que j'y touche?...

    Ce sont les curs qui se chargent de la rplique, au lieu et place de leur drle de Bon Dieu.

    Dieu, disent-ils, imposait une preuve l'humanit naissante; il voulait voir si Adam lui obirait, alors qu'il ne lui demandait qu'une seule et trs petite privation.

    Mais il est facile de rpliquer la rplique. D'aprs les curs eux-mmes, Dieu connat

    l'avenir: il avait donc prvu ce qui allait arriver; et, comme rien ne se fait sans sa volont, il

    savait parfaitement que l'homme mangerait du fruit de l'arbre en question. Il voulait donc la

    chute de nos premiers parents, cela ne fait aucun doute.

    D'ailleurs, toute la suite de l'histoire se retourne contre le seigneur Jhovah.

    Voyons comment les choses se passrent, selon le chapitre 3 de la Gense:

    1. Or, le serpent tait le plus rus de tous les animaux de la terre que l'ternel Dieu avait

    faits; et il dit la femme: Quoi! Dieu aurait-il dit; Vous ne mangerez point de tout arbre du

    jardin?

    2. Et la femme rpondit au serpent: Nous mangeons du fruit des arbres du jardin;

    3. Mais, quant au fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n'en mangerez

    point et vous n'y toucherez point, de peur que vous ne mouriez.

    4. Alors, le serpent dit la femme: Vous ne mourrez nullement;

    5. Mais Dieu sait qu'au jour que vous en mangerez vos yeux seront ouverts, et vous serez

    comme les dieux, connaissant le bien et le mal.

    6. La femme donc vit que le fruit de cet arbre tait bon manger et d'un aspect agrable, et

    que cet arbre tait dsirable pour donn er de la science; et elle en prit du fruit et en mangea; et

    elle en donna aussi son mari, l'entranant avec elle; et il en mangea.

    Ce qui frappe tout d'abord, dans ce rcit, c'est que le discours du serpent, sa conversation avec

    la femme, le fait mme de parler, de s'exprimer dans la m me langue que nos premiers

  • 14

    parents, n'est pas donn par l'auteur sacr comme une chose surnaturelle, miraculeuse, ni

    comme une allgorie. C'est bien le serpent lui-mme que la Gense prsente; c'est ce reptile,

    jouant un rle d'animal plein de malice et d'astuce, qui se fait le tentateur de la femme, avec

    une facilit d'locution que lui envierait un perroquet.

    Le serpent a t si personnellement mis en scne, que, depuis lors, les curs, trouvant

    invraisemblable l'pisode racont ainsi, ont jug ncessaire d'y faire une correction qui change

    tout, mais qui est en contradiction avec le texte tout entier de ce chapitre de la Bible. Selon les

    correcteurs, aussi roublards que pieux, c'est le diable qui aurait pris la forme du serpent et qui

    aurait, au moyen de ce subterfuge, tent Madame Adam; telle est la faon dont les pr tres ont

    arrang la chose, tel est leur enseignement d'aujourd'hui.

    Cet arrangement est une vritable falsification de la Gense. En premier lieu, pas un mot du

    texte sacr ne prte une telle interprtation. En second lieu, parmi les divers auteurs des

    livres qui composent la Bible, il y en a deux en tout qui ont mentionn le diable: l'auteur du

    livre de Job, d'aprs lequel le diable discute un beau jour avec Dieu, dans le ciel: et l'auteur du

    livre de Tobie, qui cite un certain dmon Asmode, amoureux d'une nomme Sara, dont il

    trangle successivement sept maris. Or, ces deux livres viennent tout--fait la fin de la

    Bible, et, pas plus dans ceux-ci que dans les autres, il n'est question du Lucifer-Satan que les

    catholiques font intervenir tout propos, pour pimenter l'intrt de leurs lgendes. Nulle part,

    on ne trouve cette aventure, pourtant si connue, de Lucifer se rvoltant contre Dieu et vaincu

    par l'archange Michel. Cela, comme tout ce qui a rapport au diable, a t invent aprs coup,

    non seulement longtemps aprs Mose, mais mme postrieurement Esdras.

    D'autre part, certains joyeux commentateurs, en ralit philosophes sceptiques, se sont amuss

    transformer en pommier, d'un symbolisme quelque peu grivois, le fameux arbre de la

    science du bien et du mal; et ils ont suppos que cet pisode signifie, mots couverts, que

    Madame Adam, ignorant l'amour, en reut la premire leon d'un diable sducteur,

    mtamorphose en serpent pour la circonstance...

    Mais tout en riant de cette plaisanterie, qui est une interprtation en valant bien une autre, il

    faut la mettre dans le mme panier que la falsification de texte imagine par les curs. Nous

    devons prendre la Bible telle qu'elle est, quand nous voulons l'examiner srieusement: ainsi,

    dans l'historiette dont nous nous occupons en ce moment, c'est bien l'animal d it serpent qui

    est en cause, et non un diable quelconque, les Juifs n'ayant pas de diables dans leur

    mythologie avant l'poque o furent crits les livres de Job et de Tobie; et quant aux sous-

    entendus amoureux, prts gratuitement au serpent testateur, il est vident qu'il est impossible

    de les dcouvrir dans le texte de la Gense, quand on l'a sous les yeux.

    C'est vraiment le serpent seul, personnellement, qui est en cause; car l'auteur sacr voit cet

    animal avec les yeux de tous ses contemporains des diverses religions. Le serpent, dans

    l'antiquit, passait en effet, pour tre un animal trs rus, trs intelligent et rempli de malice.

    Plusieurs peuples africains l'adoraient. D'un autre ct, le cas de ce serpent qui parle, cas dont

    la Gense ne fait pas un miracle, est commun la littrature orientale; toutes les mythologies

    closes en Asie sont pleines d'animaux parlants; chez les Chaldens, le poisson Oanns sortait

    chaque jour sa tte hors des eaux de l'Euphrate, et, pendant des heures entires, il prchait le

    peuple accouru sur les rives, donnant de bons conseils, enseignant tout la fois la posie et

    l'agriculture. Ces temps o les animaux avaient la parole sont bien lointains; mais aucune

    religion d'Orient n'en eut le monopole. Donc, le serpent biblique parla, sans avoir besoin d'tre

    habit par un diablotin.

    D'ailleurs, en cette circonstance, le serpent fut moins rus qu'il ne parat. Les blagues de

    l'Ecriture Sainte sont d'une navet extraordinaire et crvent de contradictions. Ainsi, l'on a

    demand ce que le serpent entendait dire par: Vous serez comme les dieux. Cette

    expression, qui affirme la pluralit des dieux, ne se trouve pas dans ce seul passage de la

    Gense; nous verrons plus loin que le seigneur Jhovah, parlant lui-mme, ne se considre pas

  • 15

    comme le seul Dieu. Les commentateurs catholiques, embarrasss par cette phrase du serpent,

    ont prtendu que par les dieux, le reptile aura voulu dire les anges. On leur a rpondu qu'un

    serpent ne pouvait connatre les anges; mais, par la mme raison, il ne pouvait connatre les

    dieux. Navet, contradiction, galimatias; voil bien la Bible.

    Non, pas si rus que a, ce serpent!... Ses conseils taient forts incomplets. Un serpent

    vraiment malin aurait dit la femme: Mange du fruit dfendu, d'abord, et ensuite aussitt aprs, ne manque pas de manger du fruit de l'arbre de vie, qui, d'ailleurs, t'est permis.

    Et Jhovah, ne fut-il pas la cause premire do la tentation? Pourquoi avait-il donn la parole

    au serpent? Sans ce don, celui-ci n'et jamais pu se faire comprendre de la femme.

    La Bible ne nous fait pas connatre la conversation au cours de laquelle Madame Adam dcida

    son mari manger avec elle du fruit dfendu. Heureusement, il est facile de combler cette

    lacune de l'auteur sacr.

    Nous voyons la premire femme, dont la curiosit a t pique par le serpent, s'approcher de

    l'arbre de la science qui est au milieu du jardin, auprs de l'arbre de vie. Elle le considre

    longuement, non sans avoir quelques hsitations.

    Il n'est pas joli, joli, dit-elle, ce serpent qui vient de me parler tout l'heure; mais il est, ma foi, trs distingu de manires, et il a un langage charmant... Le conseil qu'il m'a donn me

    semble bon suivre; car, vraiment, c'est fort ennuyeux de ne rien savoir... Nous sommes,

    Adam et moi, comme des dindes, et nous pourrions tre comme des dieux !... Et puis, il est

    tentant, ce fruit... Il n'en est pas de plus beau dans tout le verger... Cependant, si le serpent

    m'avait cont une craque, voil qui ne serait pas gai!... La vie est si agrable!... Croquer ce

    fruit, j'en ai grande envie; mais si le rsultat de ma gourmandise doit tre de mourir?... Pas

    amusant du tout, a...

    Elle tourne autour de l'arbre; le serpent, cach derrire un buisson, suit de loin tous ses

    mouvements.

    Non, il n'est pas possible que nous mourions pour si peu de chose... C'est le pre Jhovah qui nous a mont un bateau!... D'abord, en y rflchissant, je lui trouve l'air ficelle, ce vieux

    barbon... tandis que le serpent... la bonne heure... sa petite tte, mignonne, a je ne sais quelle

    expression bon enfant, avec des yeux ptillants d'esprit... Ensuite, c'est d'une logique

    frappante, ce qu'il m'a dit... Le pre Jhovah a tout intrt ce que nous demeurions ignorants

    des belles choses qui sont le privilge des dieux... Sa menace, ce doit tre pour nous ficher le

    trac, voil... Il ne veut pas que nous sachions et tout-ci et tout-a... O h! les vieux! ils sont tous

    les mmes... des roublards... des conteurs de btises... Faut pas s'y fier...

    Elle tire un des bancs du jardin auprs de l'arbre, y monte, et cueille un des fruits. Mettons que c'est une pomme, puisque la Bible n'est pas explicite sur ce point et que d'ailleurs il

    importe peu d'appeler ce fruit ainsi ou autrement. Elle contemple la pomme, en se passant la langue sur les lvres. Le serpent, qui a tout vu, se dresse sur sa queue, derrire Je buisson,

    et pique un joyeux quadrille. Madame Adam approche la pomme de sa bouche. Au fait, comment a se mange-t-il, ce fruit?... Dois-je le peler ou y mordre mme?... Baste! d'une

    manire ou d'une autre, a doit tre bon... Elle hsite encore un peu.

    Savoir tout ou ne rien savoir, quelle alternative !... Quand nous jouons cache-cache, Adam et moi, est-ce bien ou est-ce mal?... Cruelle nigme!... Faut-il tondre nos moutons pour

    faire bien? ou commet-on le mal en ne pas leur laissant la laine sur le dos?... C'est y perdre

    la tte... Et Adam, qui se fourre tout moment les doigts dans le nez, c'est-y bien ou c'est-y

    mal?... Vrai de vrai, ce n'est pas vivre qu'ignorer ces choses-l!...

    Se dcidant net, elle donne un nergique coup de dent dans la pomme.

    Sapristi! que c'est bon!... Nouveau coup de dent, plus nergique encore.

    Nom d'ed l! que c'est bon!... Quel got dlicieux!... Ah! le vieux filou, qui m'avait dfendu ce nanan!...

  • 16

    Elle se couche sur le banc, s'y allonge et semble n'en savourer que mieux le fruit.

    Adam, arrivant, causant tout seul: Pour passer le temps, je viens de pcher une friture dans le Tigre... mais, comme je suis vgtarien, j'ai flanqu, sitt pche, ma friture dans

    l'Euphrate...

    Il aperoit son pouse.

    Hein! l'hommesse, qu'est-ce que tu grignotes l? Madame Adam, se mettant d'un bond sur son sant:

    Oh! ne me gronde pas!... C'est un fruit... de l'arbre... tu sais bien... de l'un des deux arbres du

    milieu du jardin...

    Je le vo is, fichtre!... C'est prcisment le fruit de l'arbre auquel il nous est interdit de toucher... Ah a! es-tu folle, ma petite femme?... Eh bien, et l'avertissement de l'autre?...

    Le pre Jhovah?... l'empcheur de danser en rond?... Parlons-en, ah! oui!... Il s'est pay notre tte dans les grands prix, le vieux singe!...

    Qu'est-ce que tu me chantes l?... Sa menace de mort... tu te rappelles, n'est-ce pas?.. Pour sr!... J'en ai froid dans le dos. Oh! la la! mon il!... Sa menace, mon cher, c'tait un truc... Voyons, tu bats Jeannot, tu perds la boule?... Un truc, que je te dis... A preuve, c'est que je sais dj des tas de choses, depuis que j'ai mordu la pomme...

    Tu sais ce qui est bien et ce qui est mal?... Tu sais ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire?... Tu sais le commentt le pourquoi de tout et de tout....

    Oui, a commence, mon petit chien-vert... Tiens, je sais dj combien il faut mettre de grains de sel dans un uf. Pas possible! Je sais pourquoi les coqs ferment les yeux en chantant... Tu m'pates!... Et pourquoi les grenouilles n'ont pas de queue, le sais-tu? Je viens de l'apprendre l'instant mme... Dis-le, pour m'instruire... C'est parce que a les gnerait pour s'asseoir. Ah! bah!... Tu me renverses... Plus fort que a... Eli bien, je sais, je suis sre, tu entends bien, je suis sre que tu es un petit homme sage comme une image et que tu ne m'as pas fait une seule infidlit...

    Adam est ahuri.

    Mille ptards! elle en a tout--coup, de la science, ma femme!... C'est vrai, tout de mme, que je ne lui ai jamais fait une infidlit... Saprelotte de saprelotte! c'est prodigieu x!... fit si je

    te faisais une infidlit, a serait-il mal en a serait-il bien?...

    a serait mal, monsieur!... trs mal!... Elle l'attire auprs d'elle, sur le bi du bout du banc.

    Au surplus, Adam de mon cur, il ne tient qu' toi de devenir instruit comme moi, aussi vite et si peu de frais... Mords la pomme...

    Elle lui tend la pomme.

    a me fait envie, moi aussi, ma petite femme bienaime; mais quoi a nous servira-t-il, d'tre savants comme des acadmiciens, si nous en mourons ds aujourd'hui... Car enfin, il

    faut se faire un raisonnement: mourir dans mille ans, la rigueur, a me serait gal; mais

    casser ma pipe aujourd'hui mme, non, a serait bte comme tout...

    Madame Adam hausse les paules.

    Tu n'as pas l'air d'y croire, ma mignonne... Mais moi, je sais bien ce qu'il m'a dit, le vieux papa Bon Dieu; c'est moi-mme qu'il a parl, et je t'assure qu'il a t catgorique...

  • 17

    Permets que je te rpte textuellement ses paroles: Pour ce qui est de l'arbre de la science du

    bien et du mal, tu n'en mangeras point; car, le mme jour que tu en auras mang, tu mourras

    de mort trs certainement ... Il n'y a pas barguigner, tu vois; je tiens ma peau, moi, si tu

    ne tiens pas la tienne...

    Adam, Adam, lu me fais rire... Est-ce que je suis morte. dis? Non, t'es bien vivante... Seulement, la journe n'est pas finie; gare la bombe !.. Oh! que les hommes sont ttus!... Tu peux te vanter d'en avoir, de l'obstination, mon cher!... C'est insens, ce que tu mets de temps comprendre que le vieux rasoir s'est fichu de

    nous... Tiens, tu viens de citer les acadmiciens...

    Qui; et aprs? Les acadmiciens... so nt-ils des puits de science, ceux-l? Evidemment. Eh bien, c'est parce qu'ils sont des puits de science que les acadmiciens sont des immortels...

    Adam est troubl par l'argument. Son pouse se fait cline.

    Enfin, ne serait-ce que pour me faire plaisir, mords la pomme, mon petit homme chri... Quand tu en auras got aprs moi, nous serons tous deux comme les dieux...

    Gomme les dieux?... Ne cherche pas comprendre... C'est le serpent qui l'a dit... Adam, rsolu: Du moment que c'est le serpent qui l'a dit!... Donne, donne la pomme... Il croque la pomme avec avidit.

    Deux minutes se passent dans le silence; on entendrait voler un panamiste. Tout--coup,

    Adam pousse un cri; c'est la science qui lui arrive.

    Ventre-saint-gris! s'crie-t-il, nous sommes nus comme des vers!... C'est du propre!... Nombril du pape! fait la femme son tour, je n'ai mme pas de jarretires!... C'est indcent!...

    Et nous qui devons aller ce soir au bal des orangs-outangs!... Impossible de nous prsenter dans le monde, avec une tenue aussi nglige!...

    Vite, vite, il faut nous vtir!... Et les yeux de tous deux s'ouvrirent; et, connaissant qu'ils taient nus, ils cousirent ensemble

    des feuilles de figuier et s'en firent des ceintures. (3:7)

    Notez bien que le premier costume humain ne fut pas de feuilles de vigne; la gloire de

    l'invention de la vigne tait rserve au patriarche No.

    Une fois ainsi habills, les deux poux se regardent.

    Nous ne sommes pas trop mal en cet accoutrement, dit le mari. Moi, la feuille de figuier me sied merveille, fait la femme... Ces vtements sont peut-tre un peu poussireux; ils n'ont pas t battus depuis la saison dernire... Donne-moi un coup de

    brosse, Adam...

    Leur contentement ne devait pas tre de longue dure.

    Alors, ils ourent, au vent du jour qui souffle aprs midi, la voix de l'Eternel Dieu, qui se

    promenait (sic) dans le jardin. Et Adam et sa femme se cachrent de la face de l'Eternel Dieu,

    parmi les arbres du jardin. (3:8)

    Ce Jhovah, on le constate encore ici, est bel et bien un dieu corporel: il se promne, il parle;

    nous l'avons vu ptrir et souffler. La Gense prsente donc son Dieu la mode de toutes les

    autres mythologies. Les divers peuples de l'antiquit n'eurent, en effet, pas d'autre ide de la

    divinit; Platon passe pour le premier qui ait fait Dieu d'une substance plus ou moins thre,

    qui n'tait pas tout--fait corps.

    Les critiques demandent sous quelle forme Dieu se montrait Adam, et plus tard Can, aux

    patriarches, aux prophtes, tous ceux auxquels il parla de sa propre bouche. Les tonsurs

    rpondent qu'il avait une forme humaine, et qu'il ne pouvait se faire connatre autrement,

  • 18

    ayant cr l'homme son image. On rplique que la religion isralite ressemble alors

    singulirement, sur ce point essentiel, toutes les religions que les prtres catholiques

    fltrissent du nom de paganisme; les anciens Romains, qui avaient adopt les croyances des

    anciens Grecs, ne comprenaient, eux aussi, la divinit que sous un aspect humain. Cette

    remarque fait ajouter: au lieu que ce soit Dieu qui ait fait l'homme sa ressemblance, ne

    serait-ce pas plutt l'homme qui aurait imagin Dieu sa propre image? Mais n'insistons pas;

    car loger une telle opinion dans sa cervelle, c'est se vouer aux flammes de l'enfer. Rappelons

    seulement cette malicieuse rflexion d'un philosophe: si les chats s'taient fabriqu des dieux,

    ils les auraient fait courir aprs les souris.

    Des dtails, tels que ceux de la promenade de Dieu dans le jardin d'Eden, montrent

    premptoirement qu'il ne s'agit en aucune faon d'une allgorie mystique; tout le rcit de

    l'auteur sacr est dans le style d'une histoire vritable.

    9. Et l'Eternel Dieu appela Adam, et lui dit: Adam, o es-tu?

    Il tait piteux et confus, messire Adam, et sa femme aussi n'en menait pas large. Ils essaient

    de s'esquiver, ils se cachent; mais, je t'en fiche! comment chapper au regard divin qui plane

    sur tout?... En vain les infortuns s'efforcent-ils de dissimuler leur personnalit aux regards du

    Trs-Haut; derrire eux, partout, retentit le terrible appel du Seigneur, parlant en matre

    puissant, svre, et s'apprtant punir son serviteur, son esclave, qui lui a dsobi.

    Pas moyen de se tirer de ce mauvais pas; ils so nt pincs; il va leur falloir avouer la faute

    commise. Penauds, ils balbutieront de mauvaises excuses.

    10. Adam rpondit: Seigneur, j'ai entendu ta voix dans le jardin, et j'ai craint, parce que

    j'tais nu, et je me suis cach.

    Les voil donc devant le patron, devant ce Dieu qui connat l'avenir, qui avait prvu l'accident

    du serpent et de la pomme, et qui se fche comme s'il ne s'tait dout de rien, comme si ce qui

    vient d'arriver ne s'tait pas produit de par son omnipotente volont. Adam et sa femme ne

    songent pas cela dans leur moi; ils vont tenir le langage des coliers pris en faute: M'sieu, ce n'est pas moi qui ai commenc; c'est elle! M'sieu, je ne le ferai plus, tant je suis chagrine... Ah! non, pour sr, je ne recommencerai pas, vous pouvez m'croire !...

    11. Et Dieu dit Adam: Qui t'a appris que tu tais nu? Il faut que tu aies mang de ce que je

    t'avais dfendu de manger.

    12. Et Adam rpondit: La femme que tu m'as donne pour tre avec moi m'a donn du fruit de

    l'arbre, et j'en ai mang.

    13. Et Dieu dit la femme: Pourquoi as-tu fait cela? Et la femme rpondit: Le serpent m'a

    trompe, et j'ai mang du fruit.

    Maintenant, matre Elohim va distribuer les punitions. Il procde par ordre, et c'est celui qui a

    t le premier coupable qui coppera le premier. Attention !

    14. Alors l'Eternel Dieu dit au serpent: Parce que tu as fait cela, tu seras maudit entre tous

    les animaux et btes de la terre; tu marcheras sur ton ventre dsormais, et tu te nourriras de

    terre tous les jours de ta vie.

    15. Et je mettrai des inimitis entre toi et la femme, entre tes enfants et les enfants de la

    femme; ils chercheront t'craser la tte, et tu chercheras les mordre au talon.

    Ce chtiment inflig au serpent prouve, sans rplique possible, que les curs sont des

    blagueurs, quand, avec leur manie de fourrer le diable partout, ils attribuent la tentation de la

    femme au dmon ayant emprunt ce jour-l la forme du reptile, ce Lucifer-Satan dont les

    prtendues rvolte et dfaite ne se trouvent inscrites dans aucun des livres de la Bible. Si

    Satan tait le coupable, Dieu videmment lui aurait ordonn de rintgrer illico son domicile

    infernal et lui aurait octroy un supplment de supplice dans le sjour des tnbres.

    Or, la punition de la tentation atteint, uniquement et exclusivement, le serpent en tant

    qu'animal et bte de la terre. D'aprs le verset 14 du chapitre 3, il est croire que ce donneur

    de conseils perfides tait auparavant un animal pourvu de pattes; et c'est bien lui que Dieu

  • 19

    coupa ce jour-l les pattes, puisqu'il le condamna ramper dsormais, chtiment qui serait des plus injustes, si cette bte n'avait t pour rien dans l'affaire. Supposez que l'abb Garnier se dguise un beau matin en honnte homme, qu'il prenne le costume et se fasse la

    tte du papa Rue l, qui est un philanthrope, et qu'il aille ensuite sous ce nom commettre des

    escroqueries; que se passerait-il lorsqu'il serait enfin coffr, dmasqu et traduit en

    correctionnelle? le tribunal condamnerait-il l'amende et la prison le brave papa Ruel? Non,

    certes! il prononcerait sa sentence contre le vritable escroc, il appliquerait son jugement au

    Garnier, c'est clair.

    Les tonsurs feront donc bien de renoncer leur conte bleu de Lucifer tentateur de la premire

    femm e; cette blague-l ne tient pas debout. Ou autrement, vu le texte sacr, s'ils veulent la

    maintenir quand mme, il faut dire que le diable a t plus malin que le seigneur Jhovah, et

    que celui-ci, compltement ramolli, n'a vu que le serpent dans toute cette affaire, n'a pas

    aperu le moindre bout de corne de Lucifer, et a priv de pattes l'innocent serpent. Mon vieux

    Lon XIII, tire-toi de l!

    A vrai dire, quelque point de vue qu'on envisage cet extravagant pisode, il faut reconnatre

    que le fumiste Esprit-Saint s'est encore moqu du pieux auteur qui crivait sous sa dicte. S'il

    est vrai que les enfants de la femme, les humains, ont une aversion gnrale pour les serpents,

    s'il est vrai qu'en cas de rencontre les uns cherchent assez volontiers craser la tte de ceux-

    ci, qui de leur ct se dfendent ou attaquent en cherchant mordre au pied ou la jambe

    ceux-l, par contre il est une peine porte par Dieu contre les serpents, qu'ils n'ont jamais

    subie: les serpents ne se nourrissent pas de terre, jamais, au grand jamais. Cette sentence a

    donc t lude, moins que Jhovah n'ait dclar la loi Brenger applicable sur ce point;

    auquel cas, la Bible a oubli de mentionner ce sursis indfini.

    Mais, pour savourer la mystification del'Esprit-Saint dans toute sa joyeuse moquerie l'gard

    des crdules dvots, il faut considrer l'tendue immense du chtiment inflig au serpent.

    Quel tait exactement l'op hidien tentateur? La Bible ne prcise pas; mais peu importe: il est

    vident que ce ne pouvait tre la fois une vipre et une couleuvre, ou un boa et un crotale;

    les espces d'ophidiens qui vivent sur notre globe sont fort nombreuses. Admettons que ce

    soit la couleuvre qui ait provoqu au pch Madame Adam; admettons mme, si l'on veut, que

    le chtiment de la couleuvre soit raisonnable en s'tendant la postrit de cette espce, et que

    toutes les couleuvres de l'avenir soient logiquement prives de pattes pour expier la faute de

    celle de l'Eden... Or , si la femme n'avait pas russi entraner l'homme dans sa

    dsobissance, elle seule aurait t punie, n'est-ce pas?...

    Eh bien, pauvres serpents! la couleuvre seule fut coupable; mais voil que, du mme coup,

    l'aspic, le naja, le serpent sonnettes, le craste, l'orvet, la vipre, le python, le cobra-capello,

    le rouleau, l'laps, l'erpton, le bothrops, le fer-de-lance, l'atropos, l'hypnale, le rhodostoma,

    l'humbroni, le bongare, le psammophis, l'eunecte mangeur-de-rats, l'oxy-rope, le boa

    constrictor, le molure, et leur postrit, ont perdu leurs pattes et rampent jamais, malgr leur

    incontestable innocence!...

    16. Dieu dit ensuite la femme: Je multiplierai tes misres et tes grossesses; et tu enfanteras

    dans la douleur; et tu seras sous la domination de ton mari.

    A l'unanimit, les commentateurs sont d'avis que les peines de cette sentence visent non

    seulement Madame Adam, mais toutes les femmes jusqu' la fin du monde.

    Sans nous arrter ce que ce systme a d'injuste ou dnote un Dieu passablement loufoc, nous

    remarquerons d'abord, que, si la premire femme avait su rsister aux sductions du serpent,

    elle n'aurait pas enfant dans la douleur. Avant ce jour-l, elle tait donc conforme d'une

    faon toute diffrente de ce qu'elle fut son premier accouchement. Par consquent, en une

    seconde, c'est--dire l'instant mme o il pronona son arrt, Dieu bouleversa de fond en

    comble l'organisme de la femme. On le voit, quand le doigt de Dieu s'y met, il opre des

    choses tonnantes.

  • 20

    En second lieu, il est bon d'observer que, malgr cette toute-puissance, Jhovah n'est pas

    parvenu rendre gnrales les peines qu'il a dictes contre le sexe fminin: d'une part, il y a

    beaucoup de femmes qui accouchent sans douleur; d'autre part, celles qui portent la culotte

    dans leur mnage, celles qui mnent leur mari par le bout du nez, au lieu d'tre sous sa

    domination, celles-l sont lgion dans toutes les classes de la socit.

    17. Puis, Dieu dit Adam: Puisque tu as cout la voix de ta femme, et que tu as mang du

    fruit de l'arbre que je t'avais dfendu de manger, la terre sera maudite cause de toi, et tu en

    mangeras en travail tous les jours de ta vie.

    18. Et la terre te produira pines et chardons; et tu mangeras l'herbe des champs.

    19. Et tu mangeras ton pain la sueur de ton front, jusqu' ce que tu retournes en cette terre

    d'o tu as t pris; car tu es poussire, et tu retourneras en poussire.

    Mme observation que ci-dessus: le chtiment d'Adam doit frapper aussi bien tous les

    hommes; parfaite unanimit des thologiens sur l'interprtation de ces trois versets de la

    Gense.

    Le plus terrible de la sentence est la condamnation mort. Il est vrai que l'ineffable Jhovah

    oublie ce qu'il avait dcrt prcdemment, c'est--dire qu'en cas de boulottage du fruit

    dfendu l'homme mourrait de mort le jour mme du dlit (2:17). Ce manque de mmoire de

    papa lion Dieu valut au condamn un assez important ajournement de l'excution; en effet, s'il

    faut en croire la Bible, Adam vcut encore... neuf cent trente ans (5:5).

    Mais si Adam n'avait pas mang la pomme, il ne serait jamais mort, et nous-mmes, tous,

    nous serions immortels. Des gens curieux demandent: Alors, qu'auraient donc fait les hommes

    le jour o la terre aurait t insuffisante pour les contenir? car, Adam et sa femme ayant reu

    ds leur cration la facult de se multiplier, un moment serait forcment venu o leurs enfants

    et les enfants de leurs enfants auraient peupl notre plante d'une faon exubrante.

    Il est vident que ce problme est insoluble. Et alors, Dieu avait besoin, en quelque sorte,

    qu'Adam commt le pch: la mort apparat ainsi comme une ncessit; mais Dieu tenait ce

    que l'homme s'imagint avoir tous les torts, et c'est pourquoi il lendit nos premiers parents le

    pige de la pomme et donna la parole au serpent qu'il savait capable de tentation. Si Dieu

    existe tel que la Bible le reprsente, c'est tellement bien cela, que le serpent est devenu muet

    depuis cette poque, quoique la perte de la parole ne figure pas au nombre des peines qui lui

    furent infliges.

    Une autre observation se prsente d'elle-mme l'esprit, au sujet du pain qu'Adam et sa

    postrit ont t condamns manger grand renfort de sueurs. Il est probable qu'il n'y avait

    pas de pain dans les temps primitifs et que les hommes se nourrirent alors comme les

    peuplades sauvages qui existent encore de nos jours. Mais ne chicanons pas pour si peu, et

    admettons que le seigneur Jhovah ait parl par anticipation. Les Juifs, pour qui la Bible fut

    crite, mangeaient, en effet, du pain. Or les tonsurs nous disent que ce livre n'a p s t crit

    exclusivement pour les Juifs et qu'il est, au nom de l'Esprit-Saint, la loi religieuse du monde

    entier. Dans ce cas, ou est forc de reconnatre que l'on ne mange du pain que dans les pays

    o le bl pousse: les Lapons, pasteurs de rennes et pcheurs de phoques, et, en gnral, tous

    les peuples des latitudes polaires, ignorent absolument l'existence de la farine; en de

    nombreuses rgions des Indes, de l'Amrique, de l'Afrique centrale et mridionale, on vit de

    fruits et du produit de la chasse. Dira-t-on que le mot pain a t employ par Dieu au figur et

    qu'il dsigne toute espce de nourriture? On peut rpondre que le chtiment n'est pas gnral

    non plus: si les ouvriers triment pour se nourrir, si quiconque vivant de son travail se voit

    ainsi frapp par suite de la faute d'Adam, il n'en est pas de mme des jouisseurs de la vie qui

    naissent riches, millionnaires par hritage. Et les gros chanoines donc! ceux-ci, lorsqu'ils

    suent, c'est en t, cause de leur graiss e; ce n'est pas leur travail qui leur fait arroser de

    sueurs leur pain quotidien!

  • 21

    Le verset 18, en particulier, est trs malveillant envers l'espce humaine, lin dehors du pain,

    l'homme est condamn ne manger que l'herbe des champs, comme les bestiaux; que lui

    produira la terre? des pines et des chardons. Le pigeon nous la baille belle! Malgr Dieu, les

    hommes mangent autre chose que du pain et de l'herbe. Demandez Lucullus. Ou bien,

    pourquoi Jhovah ne dtruit-il pas, coups de foudre, les restaurants qui se permettent de

    faire figurer des plats de viande sur leur carte? Inutile d'insister.

    C'est le cas de dire qu'Adam aurait t bien inspir en envoyant le pre Bon Dieu promener,

    puisque la promenade plat Jhovah.

    Mais voici ce qui se passa aprs le prononc du jugement:

    20. Alors Adam nomma sa femme Eva, parce qu'elle est la mre de tous les vivants.

    Le cher homme n'avait pas encore pens donner un nom sa compagne; jusqu'alors il s'tait

    born la qualifier d'hommesse, ainsi qu'on l'a vu au verset 23 du chapitre 2. Ce qui est

    curieux, c'est que le nom donn par Adam son pouse soit prcisment un nom hbreu;

    Hvah signifie la vie . D'o l'on est en droit de poser ce dilemme l'auteur de la Gense:

    ou la langue de nos premiers parents est l'hbreu, et alors, cette langue n'ayant pas t perdue,

    il faut biffer l'histoire de la tour de Babel; ou Adam a donn sa femme un nom pris dans la

    fameuse langue primitive, aujourd'hui perdue, et alors l'auteur sacr a commis un impair.

    Dans un cas comme dans l'autre, le pigeon inspirateur s'est moqu, celte fois encore, de

    l'crivain.

    Maintenant, on va voir que Jhovah ne chassa pas immdiatement Adam et ve du paradis

    terrestre, contrairement l'opinion rpandue. D'abord, papa Bon Dieu, trouvant trop sommaire

    leur costume en feuilles de figuier, s'improvisa tailleur.

    21. Et l'Eternel Dieu f it Adam et sa femme des robes de peaux, et il les en habilla.

    Pour la confection de ces vtements, voil donc un massacre d'innocentes btes; l'abattoir tait

    inaugur par Elohim en personne. Aprs a, comment voulez-vous que nos premiers parents

    n'aient pas pens aussitt utiliser pour leur nourriture la viande des animaux si prestement

    immols et dpouills? Zut pour le rgime au pain et l'herbe! durent-ils se dire en eux-

    mmes.

    El le seigneur Jhovah aurait fort bien laiss Adam et ve vivre et mourir en Eden, si, quelque

    temps aprs les avoir habills, il n'avait pas song ce mirifique arbre de vie, dont l'homme et

    la femme n'avaient pas eu l'ide de croquer les fruits.

    22. Or, l'Eternel Dieu se dit: Voici, l'homme est devenu comme l'un de nous (sic); il connat

    le bien et le mal. Mais, maintenant, il faut prendre garde qu'il n'avance aussi la main vers

    l'arbre de vie, qu'il n'en cueille le fruit et n'en mange, et qu'ainsi il ne vive ternellement.

    Tel est le verset 22 que les tonsurs omettent, et pour cause, dans leurs rsums de la Bible.

    Ainsi, c'est clair, a: nos deux nigauds Adam et Eve, qui le fruit de l'arbre de vie n'avait pas

    t interdit, le ngligrent sottemen t; et si l'homme et la femme, pendant que Jhovah tait

    occup tailler leurs costumes de peaux, avaient eu la bonne inspiration de sauter sur un de

    ces fruits merveilleux et de l'avaler vivement, c'est le vieux juge rageur qui aurait fait un

    nez!... V'lan! sa sentence devenait tout coup inexcutable.

    N'est-ce pas, qu'elle est rigolotte, dcidment, la Sainte Bible, ds qu'on la lit de prs?... Non

    seulement il a la berlue, ce Dieu unique qui lche une constatation d'existence de plusieurs

    dieux; mais encore, lui, prtendu tout-puissant, il avoue, comme un imbcile, son impuissance

    appliquer son arrt portant condamnation mort. A quoi cela a tenu, voyez un peu! Avec de

    la prsence d'esprit, Adam et Eve se rendaient immortels, malgr Dieu lui-mme!!!

    Et ce que le vieux Jhovah dut se fliciter de s'tre enfin remmor ce coquin d'arbre de vie!...

    non, ce n'est rien de le dire... Bien sr, il avait fait un nud son mouchoir. Sans a!... 23. Et l'Eternel Dieu fit sortir Adam du jardin d'Eden, afin qu'il labourt la terre dont il avait

    t ptri.

  • 22

    24. Ainsi il chassa l'homme; et alors il plaa un Chrub au-devant de l'entre du jardin, avec

    une lame d'pe de feu, qui se tournait et l pour garder le chemin de l'arbre de vie.

    Pas d'erreur, n'est-ce pas?... C'est bien ce malencontreux arbre de vie qui proccupait le plus

    matre Elohim. A aucun prix, il ne fallait qu'Adam et ve pussent y retourner. Mais aussi

    quelle fichue ide papa Bon Dieu avait-il eue de crer cet arbre!... Voyons: avec sa

    connaissance de l'avenir, il savait d'une faon certaine que nos premiers parents pcheraient et

    qu'il les condamnerait mort, eux et toute la race humaine; alors, cet arbre de vie ne pouvait

    tre pour lui qu'un embarras; il tait si simple de ne pas le planter!... Voil un sacr Jhovah

    qui ne ferait pas mal de se mettre au rgime des douches; aprs a, peut-tre les

    tablissements d'hydrothrapie brillent, au ciel, par leur absence, quoique le dbut de la

    Gense nous ait appris l'existence d'eaux suprieures, situes au-dessus de l'tendue o se

    meuvent les astres... Et encore, cette ide d'immobiliser un Chrub avec pe flamboyante la

    porte de l'Eden, c'est a qui est d'un bte, oh! oui!... D'une parole, d'un seul effort de volont,

    Dieu pouvait anantir le fcheux arbre de vie, dsormais sans raison d'tre; et le Tout Puissant

    n'y a pas song!...

    Enfin, va pour le Chrub, factionnaire sans gurite!... Ce Chrub est un planton prcieux, si la

    dcouverte de l'Eden tente quelque nouveau Christophe Colomb.

    Allons, on demande un explorateur de bonne volont. Parmi mes lecteurs, quelqu'un veut-il

    s'inscrire?... Puisque papa Bon Dieu a pris la peine de faire garder la porte de l'Eden, puisqu'il

    a tant fait que de prendre des mesures dfensives pour empcher jamais l'humanit d'entrer

    dans le chemin qui mne l'arbre de vie, c'est que le paradis terrestre et le merveilleux arbre

    existent encore quelque part. Si, en explorant la rgion o sont les sources du Tigre et de

    l'Euphrate, nous apercevons sur une route, en avant d'un portail, un Chrub agitant une lame

    d'pe de feu, nous n'aurons aucun doute, nous pourrons dire: Nous y sommes t c'est ici!

    Cent mille francs de rcompense qui trouvera le Chrub!

    Et d'abord, qu'est-ce exactement que ce paroissien-l ?... Chrub est le mot qui figure dans

    le texte hbreu de la Gense. Ce mot signifie un buf ; il vient de charab, labourer . En effet, les Hbreux avaient gard de nombreux souvenirs de leur servitude en Egypte, et ils

    copirent assez largement les Egyptiens en maints usages, mme ce qui concernait les menus

    dtails du culte; c'est ainsi qu'ils sculptrent grossirement des bufs, dont ils firent des espces de sphinx, des animaux composs, tels qu'ils en mirent dans leurs sanctuaires. Ces

    figures avaient deux faces, une d'homme, une de buf, et des ailes, ainsi que des jambes d'homme et des pieds de buf. Aujourd'hui, les tonsurs ont chang tout a: de Chrub ils ont fait Chrubin, et les Chrubins du nouveau culte sont de jeunes anges joufflus, mais sans

    corps, n'ayant qu'une tte d'enfant avec deux petites ailes; on voit de ces anges cocasses dans

    quantit de tableaux d'glise... Il est probable que l'anglique portier du paradis terrestre ne

    rpond pas ce dernier signalement, et que c'est, au contraire, un Chrub la mode hbraque,

    avec tte deux faces, dont l'une de buf; ce qui permettra notre explorateur de le reconnatre de loin. Ou, si c'est un Chrubin la mode catholique, sans corps ni mains, c'est

    avec les dents qu'il doit tenir son pe flamboyante, et. de celte faon encore, il ne pourra pas

    rester inaperu. Mais je penche pour le pipelet tte mi-humaine mi-bovine.

    Hardidonc la recherche de l'Eden! avis aux amateurs!... Quand bien mme nous ne

    russirions pas pntrer, l'excursion sera intressante; on fera, tout au moins, le tour du

    jardin, et l'on fixera l'emplacement sur les cartes de gographie, qui, sans cela, seraient

    toujours incompltes.

    En attendant, voyons prsent ce que firent Adam et ve, une fois hors du paradis terrestre, et

    ayant la connaissance intgrale du bien et du mal... y compris le mal de mer.

  • 23

    2 CHAPITRE

    COURTE HISTOIRE DES PREMIERS HOMMES

    L'Ecriture Sainte n'abonde pas en dtails biographiques sur le compte des premiers hommes.

    Le quatrime chapitre de la Gense coupe court aux suppositions des commentateurs joviaux,

    qui ont voulu voir l'uvr