l'entretien infini extrait - blanchot.pdf

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  • Lentretien infini extrait

    Je voudrais savoir ce que vouscherchez. Je voudrais le savoir aussi. Cette ignorance n'est-elle pas

  • dsinvolte ? Je crains qu'elle ne soitprsomptueuse. Nous sommes toujoursprts nous croire destins ce quenous cherchons, par un rapport plusintime, plus important que le savoir. Lesavoir efface celui qui sait. La passiondsintresse, la modestie, l'invisibilit,voil ce que nous risquons de perdre enne cherchant pas seulement.

    Le retour efface le dpart, l'erreur estsans chemin, elle est cette force aridequi dracine le paysage, dvaste ledsert, abme le lieu. L'erreur essentielle est sans rapport avec

  • le vrai qui est sans pouvoir sur elle. Lavrit dissiperait l'erreur, si elle larencontrait. Mais il y a comme uneerreur qui ruine par avance tout pouvoirde rencontre. C'est probablement cela,errer : aller hors de la rencontre. A la vue, la clart, aux contours nets etsolaires d'une vrit solaire, l'UN,Blanchot aime bien opposer la parolequi embrouille, droute, la paroletransgressive qui aveugle. Le Dieuparole de l'Ancien Testament oppos l'ternelle vrit statique de l'Imagegrecque. Alors que les courantsiconoclastes surtout venus de la Bible etplus tard du Coran ont dnonc l'imagecomme scandaleuse, Blanchot montre

  • que c'est la Parole qui est dangereuse,effraction, transgression, source dedsordre et de discorde, fitna. L'imagerelie, met d'accord, rassemble.

    Voir, c'est donc saisir immdiatement distance. ... immdiatement distance et par ladistance. Voir, c'est se servir de lasparation, non pas comme mdiatrice,mais comme un moyen d'immdiation,comme im-mdiatrice. En ce sens aussi,voir, c'est faire l'exprience du continu,et clbrer le soleil, c'est--dire, par-del le soleil : l'Un. Pourtant, nous ne voyons pas tout. C'est la sagesse de la vue, encore quenous ne voyions jamais seulement unechose, ni mme deux ou plusieurs, mais

  • un ensemble : toute vue est vued'ensemble. Il reste que la vue nousretient dans les limites d'un horizon. Laperception est la sagesse enracine dansle sol, dresse vers l'ouverture : elle estpaysanne au sens propre, fiche en terreet formant lien entre la borne immobileet l'horizon apparemment sans borne pacte sr d'o vient la paix. La paroleest guerre et folie au regard. La terribleparole passe outre toute limite et mme l'illimit du tout : elle prend la chosepar o celle-ci ne se prend pas, ne sevoit pas, ne se verra jamais; elletransgresse les lois, s'affranchit del'orientation, elle dsoriente.

    Je cherche, sans y arriver, dire qu'il y

  • a une parole o les choses ne se cachentpas, ne se montrant pas. Ni voiles nidvoiles : c'est l leur non-vrit. Il y aurait une parole par o les chosesseraient dites, sans, du fait de ce dire,venir au jour ? Sans se lever dans le lieu o il y atoujours lieu d'apparatre ou, dfaut,de se refuser l'apparence. Une paroletelle que parler, ce ne serait plusdvoiler par la lumire. Ce quin,implique pas qu'on voudrait rechercherle bonheur, l'horreur de l'absence dejour : tout au contraire, atteindre unmode de "manifestation", mais qui neserait pas celui du dvoilement-voilement. Ici, ce qui se rvle ne selivre pas la vue, tout en ne se rfugiant

  • pas dans la simple invisibilit.

    Erreur

  • "- La rechercheserait donc de la mme sorte quel'erreur. Errer c'est tourner et retourner,s'abandonner la magie du dtour.L'gar, c'est celui qui est sorti de la

  • garde du centre, tourne autour de lui-mme, livr au centre et non plus gardpar lui.- Plus justement, il tourne autour...,verbe sans complment, il ne tourne pasautour de quelque chose, ni mme derien ; le centre n'est plus l'immobileaiguillon, cette pointe d'ouverture quidgage secrtement l'espace ducheminement. L'gar va de l'avant et ilest au mme point, il s'puise endmarche, ne marchant pas, nedemeurant pas.- Et il n'est pas au mme point, quoiquey tant par le retour. Cela est considrer. Le retour efface le dpart,l'erreur est sans chemin, elle est cetteforce aride qui dracine le paysage,

  • dvaste le dsert, abme le lieu.- Une marche dans les rgions frontireset en frontire de la marche.

    (...)

    - Par l'erreur, vous dites que les chosesne se montrent ni ne se cachent,n'appartenant pas encore la "rgion"o il y a lieu de se dvoiler et de sevoiler.- L'ai-je dit ? Je dirais plutt : l'erreurest cette obstination sans persvrancequi, loin d'tre l'affirmation svrementcontinue, se poursuit en la dtournantvers ce qui n'a rien de ferme. L'erreuressentielle est sans rapport avec le vraiqui est sans pouvoir sur elle. La vrit

  • dissiperait l'erreur si elle la rencontrait.Mais il y a comme une erreur qui ruinetout pouvoir de rencontre. C'estprobablement cela, errer : aller hors dela rencontre."

    M. Blanchot, "Parler, ce n'est pasvoir", L'Entretien infini.