l_energie de demain - techniques - environnement - economie - edp sciences

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C G RENOBLE S CIENCES - R ENCONTRES S CIENTIFIQUES L'ÉNERGIE DE DEMAIN Sous la direction de J.L. BOBIN – E. HUFFER – H. NIFENECKER Groupe ÉNERGIE de la Société Française de Physique TECHNIQUES ENVIRONNEMENT ÉCONOMIE

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Demanda de energía

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  • CG R E N O B L E S C I E N C E S - R E N C O N T R E S S C I E N T I F I Q U E S

    L'NERGIE DE DEMAIN

    Sous la direction de

    J.L. BOBIN E. HUFFER H. NIFENECKER

    Groupe NERGIE de la Socit Franaise de Physique

    TECHNIQUESENVIRONNEMENTCONOMIE

  • LNERGIE DE DEMAIN

    TECHNIQUES - ENVIRONNEMENT - CONOMIE

  • Grenoble SciencesGrenoble Sciences poursuit un triple objectif : raliser des ouvrages correspondant un projet clairement dfini, sans contrainte

    de mode ou de programme, garantir les qualits scientifique et pdagogique des ouvrages retenus, proposer des ouvrages un prix accessible au public le plus large possible.Chaque projet est slectionn au niveau de Grenoble Sciences avec le concours dereferees anonymes. Puis les auteurs travaillent pendant une anne (en moyenne)avec les membres dun comit de lecture interactif, dont les noms apparaissent audbut de louvrage. Celui-ci est ensuite publi chez lditeur le plus adapt.

    (Contact : Tl. : (33)4 76 51 46 95 - E-mail : [email protected])

    Deux collections existent chez EDP Sciences : la Collection Grenoble Sciences, connue pour son originalit de projets et sa

    qualit Grenoble Sciences - Rencontres Scientifiques, collection prsentant des thmes

    de recherche dactualit, traits par des scientifiques de premier plan issus dedisciplines diffrentes.

    Directeur scientifique de Grenoble SciencesJean BORNAREL, Professeur l'Universit Joseph Fourier, Grenoble 1

    Comit de lecture pour Lnergie de demainLouvrage Lnergie de demain a tout dabord bnfici des travaux du groupenergie de la Socit Franaise de Physique. Il a ensuite t pris en charge parlquipe de Grenoble Sciences avec une contribution particulire de :

    Cyrille BOULLIER, Ingnieur de lcole Suprieure de Physique et Chimie Industrielles dela Ville de Paris,

    David VEMPAIRE, Ingnieur de lcole Nationale Suprieure de Physique de Grenoble, Michal WERNLI, Ingnieur de lcole Polytechnique Fdrale de Lausanne.

    Une analyse critique fut galement fournie par lAlliance Universit-Entreprise deGrenoble (AUEG), prside par Ren MEYZENC et plus particulirement par :

    Georges LESPINARD, Professeur mrite de lInstitut National Polytechnique de Grenoble

    Grenoble Sciences est soutenu par le Ministre de l'ducation nationalele Ministre de la Recherche et la Rgion Rhne-Alpes

    Grenoble Sciences est rattach lUniversit Joseph Fourier de Grenoble

    Ouvrage publi avec le concours du Centre National du Livre

    Ralisation et mise en pages : Centre technique Grenoble SciencesIllustration de couverture : Alice GIRAUD

    Ev8897 : Image courtesy of Earth Sciences and Image Analysis Laboratory, NASA Johnson Space Center(http://eol.jsc.nasa.gov)

    ISBN 2-86883-771-9 EDP Sciences, 2005

  • LNERGIE DE DEMAINTECHNIQUES - ENVIRONNEMENT - CONOMIE

    sous la direction de

    Jean-Louis BOBINElisabeth HUFFERHerv NIFENECKER

    C17, avenue du Hoggar

    Parc dActivit de Courtabuf, BP 11291944 Les Ulis Cedex A, France

  • Ouvrages Grenoble Sciences dits par EDP Sciences

    Collection Grenoble SciencesChimie. Le minimum savoir (J. Le Coarer) Electrochimie des solides (C. Dporteset al.) Thermodynamique chimique (M. Oturan & M. Robert) CD de Thermodyna-mique chimique (J.P. Damon & M. Vincens) Chimie organomtallique (D. Astruc) De l'atome la raction chimique (sous la direction de R. Barlet)

    Introduction la mcanique statistique (E. Belorizky & W. Gorecki) Mcanique sta-tistique. Exercices et problmes corrigs (E. Belorizky & W. Gorecki) La cavitation.Mcanismes physiques et aspects industriels (J.P. Franc et al.) La turbulence (M.Lesieur) Magntisme : I Fondements, II Matriaux et applications (sous la direc-tion dE. du Trmolet de Lacheisserie) Du Soleil la Terre. Aronomie et mto-rologie de lespace (J. Lilensten & P.L. Blelly) Sous les feux du Soleil. Vers unemtorologie de lespace (J. Lilensten & J. Bornarel) Mcanique. De la formulationlagrangienne au chaos hamiltonien (C. Gignoux & B. Silvestre-Brac) Problmes cor-rigs de mcanique et rsums de cours. De Lagrange Hamilton (C. Gignoux &B. Silvestre-Brac) La mcanique quantique. Problmes rsolus, T. 1 et 2 (V.M.Galitsky, B.M. Karnakov & V.I. Kogan) Description de la symtrie. Des groupes desymtrie aux structures fractales (J. Sivardire) Symtrie et proprits physiques.Du principe de Curie aux brisures de symtrie (J. Sivardire)

    Exercices corrigs d'analyse, T. 1 et 2 (D. Alibert) Introduction aux varits diffren-tielles (J. Lafontaine) Analyse numrique et quations diffrentielles (J.P. Demailly) Mathmatiques pour les sciences de la vie, de la nature et de la sant (F. & J.P.Bertrandias) Approximation hilbertienne. Splines, ondelettes, fractales (M. Attia &J. Gaches) Mathmatiques pour ltudiant scientifique, T. 1 et 2 (Ph.J. Haug) Analyse statistique des donnes exprimentales (K. Protassov)

    Bactries et environnement. Adaptations physiologiques (J. Pelmont) Enzymes.Catalyseurs du monde vivant (J. Pelmont) Endocrinologie et communications cellu-laires (S. Idelman & J. Verdetti) Elments de biologie l'usage d'autres disciplines(P. Tracqui & J. Demongeot) Bionergtique (B. Gurin) Cintique enzymatique(A. Cornish-Bowden, M. Jamin & V. Saks) Biodgradations et mtabolismes. Lesbactries pour les technologies de l'environnement (J. Pelmont)

    La plonge sous-marine l'air. L'adaptation de l'organisme et ses limites (Ph. Foster) L'Asie, source de sciences et de techniques (M. Soutif) La biologie, des origines nos jours (P. Vignais) Naissance de la physique. De la Sicile la Chine (M. Soutif) Le rgime omga 3. Le programme alimentaire pour sauver notre sant (A. Simo-poulos, J. Robinson, M. de Lorgeril & P. Salen) Gestes et mouvements justes.Guide de l'ergomotricit pour tous (M. Gendrier)

    Listening Comprehension for Scientific English (J. Upjohn) Speaking Skills inScientific English (J. Upjohn, M.H. Fries & D. Amadis) Minimum Competence inScientific English (S. Blattes, V. Jans & J. Upjohn)

    Grenoble Sciences - Rencontres ScientifiquesRadiopharmaceutiques. Chimie des radiotraceurs et applications biologiques (sousla direction de M. Comet & M. Vidal) Turbulence et dterminisme (sous la direc-tion de M. Lesieur) Mthodes et techniques de la chimie organique (sous la direc-tion de D. Astruc)

  • AUTEURS

    Jean-Louis BOBINProfesseur honoraire lUniversit Pierre et Marie Curie, Paris

    Elisabeth HUFFERIngnieur, retraite, Socit Franaise de Physique, Paris

    Herv NIFENECKERConseiller scientifique l'IN2P3 (CNRS),Laboratoire de Physique Sub-atomique et de Cosmologie (LPSC), Grenoble

    Jean-Marc AGATORIngnieur Chef de projet au CEA, Paris

    Thierry ALLEAUPrsident de lAssociation Franaise de lHydrogne (AFH2), Grenoble

    Denis BABUSIAUXProfesseur et Directeur de recherche lInstitut Franais du Ptrole, Paris

    Pierre BACHERRetrait, ancien Directeur dlgu et Directeur de lquipement de lEDF

    Roger BALIANMembre de lAcadmie des sciences,Professeur au Service de Physique Thorique, CEA, Centre de Saclay

    Franois BAUTINIngnieur la division charbon de TOTAL, Paris

    Diego DE BOURGUESDirecteur de la division charbon de TOTAL, Paris

    Roger BRISSOTProfesseur lcole Nationale Suprieure de Physique de Grenoble (ENSPG-INPG)

    Grard CLAUDETConseiller scientifique au CEA, Grenoble

    Grard DURUPIngnieur dtudes Expert Gaz de France, Dpartement Stockages Souterrains,Paris

  • 6 L'NERGIE DE DEMAIN. TECHNIQUES - ENVIRONNEMENT - ECONOMIE

    Jean-Franois FAUVARQUEProfesseur d'lectrochimie industrielle au Conservatoire National des Artset Mtiers (CNAM), Paris

    Jean-Marc JANCOVICIIngnieur conseil, Orsay

    Patrick JOURDEChercheur au CEA, Cadarache

    Jean LAHERRRERetrait, ancien Directeur des Techniques Exploration de Total

    Laurent LICharg de recherche CNRS au Laboratoire de Mtorologie Dynamique,Paris Jussieu

    Daniel MADETCharg de mission-Direction Contrle des Risques Groupe EDF, Le Vsinet

    Jean-Marie MARTIN-AMOUROUXAncien Directeur de recherche au CNRS, Grenoble

    Roland MASSEAncien Prsident de l'Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants(OPRI), membre de l'Acadmie des technologies et de l'Acadmie de mdecine

    Grald OUZOUNIANDlgu rgional Ile-de-France de lADEME

    Ari RABLResponsable scientifique ARMINES-cole des Mines de Paris

    Bruno RIVOIREIngnieur de Recherche lInstitut de Science et de Gnie des Matriauxet Procds, CNRS, Paris

    Michel ROSTAINGConseiller scientifique l'IEPE (Institut dconomie et de Politique de lnergie),CNRS, Grenoble

    Joseph SPADAROChercheur au Centre d'nergtique, cole des Mines de Paris

    Bernard TARDIEUPrsident Directeur Gnral de Coyne et Bellier, Bureau dIngnieurs Conseils,Paris

    Jean TEISSIIngnieur retrait, ex-responsable technique mines de TOTAL

    Bernard TISSOTMembre de l'Acadmie des technologies,Prsident de la Commission Nationale d'valuation, Paris

  • PRFACE

    Peut-on vivre sans nergie ? Bien sr que non, rpondront en chur le physicien, lechimiste et le mdecin : sans nergie, plus de liaisons nuclaires, plus de liaisonschimiques, plus de molcules, plus de mouvement, plus de chaleur, plus de diges-tion, donc certainement plus de vie !

    L'imprieuse ncessit de disposer de sources d'nergie commencer par cellefournie notre corps par notre alimentation ne fait donc aucun doute : la vie, c'estavant tout de la chimie, et pour faire, conserver, et dfaire les liaisons des mol-cules qui nous constituent, l'nergie est incontournable. Un monde sans nergien'est tout simplement pas pensable ! En cho au titre de cet ouvrage, nous pou-vons dj dire que l'nergie de demain, ce sera celle qui existait dj hier.

    Mais au-del de ce qui lui est ncessaire pour entretenir son propre corps, l'homoindustrialis a aujourd'hui russi domestiquer, pour d'autres usages, peu prstoutes les formes d'nergie connues : l'nergie chimique (toutes les formes decombustion), l'nergie mcanique, l'nergie nuclaire, l'nergie lectromagntique,l'nergie thermique Cette profusion nergtique est alle avec une explosionde la taille de l'humanit, passe de 400 millions d'habitants en 1800 6 milliardsaujourd'hui, une multiplication de l'esprance de vie par 2 en deux sicles. Avecl'quivalent de 4 tonnes de ptrole par an, le Franais moyen dispose de l'qui-valent de 25 50 esclaves sa disposition, qui s'appellent rfrigrateur, lave-linge,automobile, avion, chauffage central, robots industriels, btonneuse, et qui ontpermis l'accession du moindre ouvrier occidental un mode de vie en comparai-son duquel un noble du Moyen Age tait un vrai pauvre.

    Mais en consommant une vitesse acclre des ressources qui ont mis des cen-taines de millions d'annes se constituer, en rendant le fonctionnement de notremonde moderne dpendant d'une abondance nergtique qui pourrait bien n'treque transitoire, en prenant le risque d'engendrer des perturbations climatiquesmajeures, n'avons-nous pas jou FAUST, en vendant notre me au Diable de laconsommation de masse, contre une abondance de quelques sicles ?

    Si l'nergie de demain sera qualitativement celle d'hier, bien des titres, la ques-tion qui se pose aujourd'hui est clairement celle des quantits, des moyens d'endisposer, et des inconvnients ou des risques que nous sommes prts courir pourcela. Pass le seuil de l'indispensable au maintien en vie, quelle est la bonne

  • 8 L'NERGIE DE DEMAIN. TECHNIQUES - ENVIRONNEMENT - ECONOMIE

    quantit d'nergie ncessaire notre espce, celle en dessous de laquelle nousallons vers le chaos social, parce qu'il est impossible de nous sevrer rapidement decette drogue moderne, et au-dessus de laquelle nous allons vers le chaos physique,parce que l'entropie aura cru trop vite ? Comment en disposer, dans un monde finiet soumis de multiples contraintes ? Comment apprcier les effets diffrs maisprobables de l'usage de certaines nergies, comme la rupture d'approvisionnement,le changement climatique ou, dans une bien moindre mesure cependant, le deve-nir des dchets nuclaires ? Il apparat dsormais aux yeux de plus en plus de phy-siciens et d'ingnieurs de l'nergie que la prolongation des tendances actuelles nousamnera, aprs la poursuite d'une phase de croissance pendant une dure inconnuemais probablement courte au regard des temps historiques, une dcroissancestructurelle inluctable dans un monde fini. Pouvons-nous retarder trs significati-vement cette issue ultime ?

    C'est autour de ces questions que tourne l'ensemble du prsent ouvrage. Lesauteurs ont cherch dresser de multiples tats des lieux, faire la part des cho-ses entre ce qui est peut-tre souhaitable, ce qui est seulement possible, et ce quine l'est pas. Il est bien sr impossible de tracer une ligne trs nette entre l'exposdes faits et les enseignements que l'on en tire, et certains lecteurs ne manquerontpas de parvenir des conclusions diffrentes des auteurs sur la base des mmesconstats.

    Ce livre aura pourtant pour ambition de concourir parvenir un consensus sur aumoins un point : il est urgent de s'interroger et d'agir pour la prparation de notreavenir nergtique, beaucoup plus activement que nous ne le faisons aujourd'hui.Sans nergie abondante et peu chre, rien de ce qui fait notre quotidien aujourd'huine peut perdurer, et il faut, beaucoup plus qu'aujourd'hui, que tout citoyen et touthomme politique s'en rende compte. Nous n'avons probablement pas l'ternitpour prparer la transition entre le systme nergtique actuel, que bien des phy-siciens et ingnieurs informs considrent comme non durable, et un systme quiprservera la joie de vivre tout en tant compatible avec les limites connues denotre plante.

    Jean-Marc JANCOVICI

  • PREMIRE PARTIE

    PROBLMATIQUE GNRALE

  • 1 - INTRODUCTION

    Le projet de ce livre a vu le jour loccasion du sminaire Daniel DAUTREPPE qui sesttenu Saint-Pierre-de-Chartreuse, en octobre 2000, et dont le titre tait Lner-gie au 21e sicle : techniques, conomie, environnement. Les sminaires DanielDAUTREPPE sont organiss chaque anne par la section grenobloise de la SocitFranaise de Physique. Le choix du thme de lanne 2000 sest fait dans le cadredune action de rflexion et de communication sur les problmes nergtiquesmene ds 1997. Dans une premire tape, des runions dont la dure variait entreune demi-journe et deux jours se sont tenues Paris, comme en Province. Cettetape fut couronne par le livre Lnergie dans le monde : bilan et perspectives,publi par EDP Sciences et rdig par les organisateurs de ces dbats, J.L. BOBIN,H. NIFENECKER et C. STPHAN. Le sminaire Daniel DAUTREPPE a permis dapprofon-dir la dmarche et ce livre a ainsi pu bnficier des contributions de professeursqui peuvent tre considrs comme tant parmi les meilleurs experts franais deleur domaine. Un certain nombre de domaines navaient toutefois pas t traits Saint-Pierre-de-Chartreuse. Quelques auteurs ont accept dajouter leur pierre laconstruction initiale. En particulier, les organisateurs de lcole dt E2PHI, quisest tenue Caen en aot 2001, ont accept quun certain nombre de contribu-tions publies dans le compte rendu de cette cole soient intgres dans le pr-sent ouvrage. Lcole E2PHI est organise annuellement par lInstitut de PhysiqueNuclaire et de Physique des Particules (IN2P3), avec le soutien de la SFP et delUDP (Union des Physiciens) parmi dautres partenaires. Elle sadresse plus parti-culirement aux enseignants du secondaire.

    La premire partie traite de la problmatique gnrale de lnergie, que ce soit auniveau des concepts (R. BALIAN), de lutilisation finale (J.M. MARTIN-AMOUROUX) oudes prospectives de consommation (H. NIFENECKER).

    La deuxime partie traite de linteraction entre production1 dnergie et climat(J.L. BOBIN et L. LI).

    La troisime partie traite des combustibles fossiles. Deux chapitres proposent unevision prospective de ces nergies (B. TISSOT et J. LAHERRRE). Le cas du charbon

    1 Nous utilisons ici le terme habituel de production dnergie alors quil serait plus correct, commemontr par R. BALIAN, dutiliser le terme transformation dnergie potentielle en nergie utilisable(chaleur ou lectricit).

  • 12 L'NERGIE DE DEMAIN. TECHNIQUES - ENVIRONNEMENT - ECONOMIE

    est trait en dtail par J. TEISSI et ses co-auteurs car il est relativement mal connu.De mme G. DURUP aborde la question cruciale du stockage du gaz. Enfin, les effetssanitaires de lutilisation des combustibles fossiles est traite par H. NIFENECKER.

    La quatrime partie traite des nergies renouvelables : l'hydraulique (P. BACHER etB. TARDIEU), biomasse (G. CLAUDET) ; gothermie (D. MADET), olien (H. NIFENECKERet J.M. AGATOR), solaire photovoltaque (P. JOURDE) et solaire thermodynamique(B. RIVOIRE).

    La cinquime partie traite de lnergie nuclaire : racteurs fission (R. BRISSOT),stockage gologique des dchets (H. NIFENECKER), fusion contrle (J.L. BOBIN) eteffets sanitaires des radiations (R. MASSE).

    La sixime partie traite du stockage de lnergie : piles et accus (J.F. FAUVARQUE),piles combustible (T. ALLEAU) et hydrogne (T. ALLEAU).

    La septime partie discute de lconomie de lnergie : systmes de fixation deprix (D. BABUSIAUX), prix et cots internes (J.M. MARTIN-AMOUROUX) et cots exter-nes (A. RABL).

    Dune faon gnrale, ce livre vite les dveloppements trs techniques. Toute-fois, les chapitres sur les oliennes et lenfouissement des dchets nuclaires fontexception cette rgle. En effet, il nous a paru difficile de trouver dans la littra-ture un expos des principes physiques luvre dans ces deux cas, et donc utileden exposer les grandes lignes.

    Nous sommes conscients que ce livre est loin dtre exhaustif. En particulier, nousnavons pas abord les dveloppements assez rcents de la production dlectri-cit par turbines gaz, les avantages et les difficults de la cognration, lutilisa-tion du solaire thermique pour le chauffage, les pompes chaleur, toutes les ques-tions relatives aux rseaux lectriques. Nous navons pas non plus trait des trans-ports. Il nous a fallu trancher entre la ncessit de ne pas laisser vieillir les premi-res contributions et le dsir dditer un ouvrage aussi exhaustif que possible. Nouspensons tre arrivs un compromis raisonnable qui permettra au lecteur de sefaire une opinion informe sur la problmatique prsente et future de lnergie. Nousesprons quil voudra bien excuser les lacunes dont nous sommes conscients.

    Jean-Louis BOBIN, Elisabeth HUFFER, Herv NIFENECKER

    Remerciements - Nous remercions tous les auteurs pour leur patience et leur bonne volontinpuisable. J. LAHERRRE, J.M. MARTIN-AMOUROUX et R. MASSE nous ont constamment soute-nus en nous prodiguant leurs conseils et leurs suggestions.

  • 2 - LES MULTIPLES VISAGES DE LNERGIERoger BALIAN

    On rappelle, dans la perspective des applications, les principes physiques fondamentauxassocis au concept dnergie : premier principe et deuxime principe de la thermodynami-que, dynamique des processus irrversibles, hirarchie des interactions lmentaires. Onexamine leurs consquences sur les questions dnergtique en comparant les formes cou-rantes de lnergie du point de vue de leur concentration, de leur dgradation et de leurstockage. On insiste sur les valeurs caractristiques des grandeurs en jeu.

    2.1 Consquences nergtiques des principes fondamentaux 142.2 Comparaisons 29Annexe - Llaboration du concept dnergie 34

    Ce chapitre introductif a pour but de mettre en vidence lclairage apport par laphysique sur les questions nergtiques. En deux sicles, lnergie a envahi notrevie quotidienne, facilitant les transports, lindustrie, le chauffage ou les multiplesusages domestiques de llectricit. Les problmes conomiques, sanitaires, go-politiques, technologiques quelle pose font la une des journaux. Pourtant, le dis-cours sur lnergie gagnerait en pertinence sil sappuyait mieux sur les donnesscientifiques qui sous-tendent sa production et son emploi, et qui sont trop fr-quemment ignores par les mdias ou par les politiciens. Le physicien sirrite sou-vent devant des affirmations simplistes en contradiction avec des ordres de gran-deur qui devraient tre connus de tous. Il est vrai que le concept dnergie est lundes plus abstraits et des plus multiformes de la science et quil ne date que dunsicle et demi ; ceci explique sans doute pourquoi lenseignement nest pas encoreparvenu rendre familires des notions de physique fondamentale qui sont essen-tielles la formation du citoyen, dans un monde o lnergie est omniprsente.

    Comme on le voit en consultant dictionnaires ou encyclopdies, lnergie ne peuttre dfinie quindirectement. Bien quelle soit lie aux proprits de la matire,cest un objet mathmatique abstrait. Ncessaire une formulation prcise dupremier principe de la thermodynamique, elle apparat lchelle microscopiquecomme une grandeur dynamique. Il sagit dune quantit que lon peut associer tout systme et qui est fonction des divers paramtres caractrisant ltat de celui-ci linstant considr ; elle dpend en particulier des positions et vitesses des

  • 14 Roger BALIAN

    parties du systme et de leurs interactions mutuelles. Son caractre essentiel estde rester constante au cours du temps lorsque le systme est isol.

    Lassimilation du concept dnergie suppose une longue familiarisation avec sesdivers aspects et avec les phnomnes o il intervient. Cest pourquoi son labora-tion, au cours des sicles passs, a t longue et tortueuse, comme en tmoignela date tardive laquelle le mot nergie est apparu dans le sens que nous luiconnaissons : 1850 en Angleterre, 1875 en France. Les nombreux pisodes de cettehistoire sont clairants : ils exhibent en particulier comment des pratiques ding-nieurs ont inspir la science fondamentale, et comment celle-ci a initi en retourde nouvelles perces technologiques. Nous en donnons en annexe un aperu quepourra consulter le lecteur intress.

    Dans la premire partie, nous rappellerons les principes physiques fondamentauxassocis au concept dnergie : premier principe et deuxime principe de la ther-modynamique, dynamique des processus irrversibles, hirarchie des interactionslmentaires. Nous examinerons dans la seconde partie leurs consquences surles questions dnergtique, en comparant les formes courantes de lnergie dupoint de vue de leur concentration, de leur dgradation et de leur stockage. Nousinsisterons sur les valeurs caractristiques des grandeurs en jeu.

    2.1. CONSQUENCES NERGTIQUESDES PRINCIPES FONDAMENTAUX

    Aujourdhui, on nattend plus gure de progrs conceptuels suggrs par lnerg-tique, mais linverse celle-ci continuera toujours reposer sur les donnes scienti-fiques. Nous passons ici en revue quatre catgories dides sur lesquelles sappuienttoutes les applications pratiques de lnergie : le premier et le deuxime principe,la thermodynamique hors dquilibre et la classification issue de la microphysique.Comme tous les autres grands principes de la physique, ces acquis de la sciencefournissent des contraintes qui limitent les activits humaines.

    2.1.1. PREMIER PRINCIPE

    Lnergie dun systme isol reste constante au cours du temps. Il ne peut secrer ni se dtruire dnergie, et il est impropre de parler comme on le fait couram-ment de production ou de consommation dnergie. Dans tous les cas, ilsagit de changement de forme, ou de transfert dun systme un autre.

    TRANSFORMATIONS DE LNERGIE

    La vie courante en offre de nombreux exemples. Consommer de lnergie lec-trique pour faire fonctionner un tlviseur signifie la transformer en nergie lumi-

  • 2 - LES MULTIPLES VISAGES DE LNERGIE 15

    neuse mise par lcran (en passant par lnergie cintique des lectrons issus dela cathode), en nergie acoustique diffuse dans lair ambiant (par lintermdiairedes nergies cintique et potentielle de la membrane du haut-parleur) et surtout enchaleur inutile (principalement par effet JOULE).

    Produire de lnergie lectrique dans une centrale hydro-lectrique signifie trans-former lnergie potentielle de leau du barrage en nergie cintique de cette eaudans les conduites, puis transfrer cette nergie cintique aux turbines et au rotordes alternateurs, qui en dfinitive la transforment en nergie lectrique ; la visco-sit de leau, les frottements et leffet JOULE soustraient de ce flux une faible partie,transforme en chaleur. Dans une centrale thermique, on transforme de lnergienuclaire ou chimique en chaleur, puis une partie de celle-ci (30 40%) en nergiecintique, enfin lectrique.

    De mme, dans une voiture, lnergie chimique du carburant est transforme enchaleur, dont une partie est communique au vhicule sous forme dnergie cin-tique ; celle-ci se transforme en chaleur en raison des frottements et de la rsis-tance de lair, de sorte quen dfinitive lors dun trajet en circuit ferm on a exclusi-vement transform de lnergie chimique en chaleur ! Lorsquon allume les phares,une partie de lnergie mcanique est transforme successivement en nergieslectrique, lumineuse et calorifique, de sorte que la consommation dessence aug-mente ncessairement.

    Enfin, la biologie fait intervenir des transformations entre nergies de diversesnatures : chimique (aliments, mtabolisme), radiative (assimilation chlorophyllienne),calorifique, mcanique (muscles), lectrique (influx nerveux).

    Parmi les diverses formes dnergie susceptibles de schanger les unes en lesautres, il convient de distinguer celles qui sont emmagasines dans la matire decelles qui se manifestent lors dun transfert dun sous-systme un autre. A la pre-mire catgorie appartiennent lnergie interne dun fluide, fonction de sa tempra-ture et de sa pression, lnergie chimique dun carburant, lnergie nuclaire dunmorceau duranium, lnergie lectrochimique dune batterie, lnergie potentiellede leau dun barrage dans le champ de pesanteur ou lnergie cintique dun vhi-cule. La seconde catgorie comprend par exemple la chaleur rayonne par un radi-ateur, le travail chang entre un piston et le fluide quil comprime ou lnergielectrique circulant dans une ligne. La plupart des nergies emmagasines ne sontaccessibles que trs indirectement.

    Les mesures dnergie sont aussi elles-mmes toujours des processus indirectsbass sur des changes ou des transferts (calorimtres, compteurs lectriques,bolomtres...).

    Les technologies de lnergie visent contrler ses divers processus de transfor-mation, afin de rduire la part des formes dnergie inutiles face la forme dner-gie que lon souhaite en dfinitive extraire. Le premier principe limite les possibili-ts, puisque la conservation de lnergie impose que les bilans soient quilibrs.

  • 16 Roger BALIAN

    UNITS

    Ces bilans ne peuvent tre effectus de faon quantitative que si toutes les formesdnergie sont mesures avec la mme unit. En principe, on ne devrait utiliser quele joule, unit lgale du systme international (SI). Lnergie cintique dune massede 1 kg lance la vitesse de 1 m/s vaut 0,5 J. En soulevant de 1 m au-dessus dusol une masse de 1 kg, on lui fournit un travail denviron 9,8 J.

    Dans la pratique, on continue employer dautres units que la tradition a imposesau gr des besoins. Le kilowattheure (1 kWh = 3600 kJ) est adapt aux usagesdomestiques, en particulier la fourniture dlectricit ; afin de faciliter les compa-raisons, le gaz, lui aussi, nest plus factur en France en mtre cube, mais en kilo-wattheure. Il serait souhaitable, pour permettre au public de mieux apprcier le prixde lessence et le pouvoir nergtique de ses diverses varits, de facturer gale-ment celle-ci non au litre mais au kilowattheure (la combustion de 1 L dgage envi-ron 12 kWh de chaleur).

    Les chimistes et physiologistes utilisent encore trop souvent lancienne unit dechaleur, la kilocalorie (ou Calorie), non-lgale, qui est la quantit de chaleur four-nir 1 kg deau pour lchauffer de 1 K ; sa valeur, 1 kcal = 4185 J = 1,2 Wh, a tmesure au XIXe sicle lorsquon a tabli lquivalence du travail et de la chaleur.

    La microphysique a besoin dunits dnergie beaucoup plus petites. Lunit adap-te aux phnomnes de physique atomique ou de physique des solides est llec-tronvolt, nergie acquise par un lectron lorsque son potentiel lectrique diminuede 1 V ; la charge dune mole dlectrons tant de 96 500 C, on trouve en divisantpar le nombre dAVOGADRO NA = 6 10

    23 mol1 que 1 eV = 1,6 1019 J. En physiquenuclaire et en physique des particules, on utilise les multiples de 103 en 103 dellectronvolt : keV, MeV, GeV, TeV. La mcanique quantique associe frquenceset nergies selon la relation E = h ; un photon au milieu du visible ( = 0,6 mm) aune frquence de 0,5 1015 Hz, donc une nergie de 2,1 eV. La relation dEINSTEINE = mc2 fait correspondre la masse de llectron une nergie de 0,511 MeV, ouencore une masse de 1 g une nergie de 25 kWh.

    Enfin, les conomistes et les mdias ont malheureusement impos une unitdnergie scientifiquement aberrante, la tonne quivalent ptrole (tep ou toe enamricain), ainsi que la tonne quivalent charbon (1 tec = 0,7 tep). Il sagit de laquantit de chaleur dgage par la combustion dune tonne de ptrole, soit 1 tep =12 MWh ; ce chiffre est approximatif car il dpend de la qualit du ptrole. De plus,les conventions internationales, adoptes par la France en 2002, font intervenirsimultanment plusieurs facteurs de conversion pour la traduction en tep des ner-gies lectriques. En ce qui concerne les consommations et les changes internatio-naux, la situation est simple : on utilise le facteur ci-dessus, soit 1 MWh = 0,086 tep.Cependant, pour la production dnergie lectrique, on emploie trois facteurs deconversion diffrents, selon la nature de la source et son rendement. Pour les cen-trales nuclaires, dont le rendement moyen est de 33%, la production de 1 MWh

  • 2 - LES MULTIPLES VISAGES DE LNERGIE 17

    dnergie lectrique ncessite le dgagement dans le racteur dune quantit dechaleur de 3 MWh ; en notant que cette quantit de chaleur pourrait tre fournieen brlant 3 0,086 tonnes de ptrole, on comptabilise pour llectronuclaire1 MWh = 0,26 tep. De mme, le rendement moyen des centrales gothermietant de 10%, on adopte 1 MWh = 0,86 tep pour lnergie lectrique issue de lagothermie. Mais pour toutes les autres sources dnergie lectrique (hydraulique,olienne, photovoltaque), on ne tient pas compte du rendement, de sorte que lonprend 1 MWh = 0,086 tep. Lemploi de ces facteurs de conversion diffrents, sanscompter le fait quils ont chang au cours du temps, nuit la comparaison entre lesdiverses formes dnergie et la clart du dbat sur les problmes nergtiques.

    En ce qui concerne la puissance, ou le flux dnergie, la situation est plus favora-ble car cest lunit lgale, le watt et ses multiples (kW, MW, GW ou TW) qui estle plus couramment utilise. Les conomistes emploient cependant aussi la tep paran, qui quivaut 1,4 kW thermique.

    2.1.2. DEUXIME PRINCIPE

    Lentropie thermodynamique est une grandeur additive que lon peut associer chaque tat voisin de lquilibre dun systme. Le deuxime principe peut snonceren exprimant que, pour tout processus spontan, lentropie dun systme isol est,dans ltat final, suprieure (ou gale) sa valeur dans ltat initial. A lchelle micro-scopique, cette proprit traduit une augmentation du dsordre. De manirequivalente, elle signifie que lvolution transfre une information macroscopiquesur ltat initial du systme vers des degrs de libert microscopiques inacces-sibles, de sorte quelle entrane une perte dinformation. Ces interprtations sontprcises par lexpression S = k ln W de lentropie, qui la relie au nombre W deconfigurations microscopiques quivalentes en ce qui concerne ltat macroscopi-que considr.

    Dans le systme SI, lunit dentropie est le joule par kelvin, en raison du choixcomme unit de temprature absolue du kelvin, qui est dfini en prcisant que latemprature du point triple de leau est 273,16 K. La constante de BOLTZMANN k,qui figure dans lexpression microscopique ci-dessus de lentropie, vaut alors1,38 1023 JK1. Il aurait scientifiquement t plus satisfaisant de mesurer les tem-pratures en unit dnergie ; lentropie aurait alors t une grandeur sans dimen-sion, ce qui est plus conforme son interprtation microscopique comme mesuredu dsordre ou du manque dinformation. Plus prcisment, lentropie sidentifie une information manquante si lon fixe son facteur multiplicatif en la redfinis-sant selon S = log2W, ce qui fournit S = 1 pour lalternative binaire W = 2. Elle semesure alors en bits, de sorte que le joule par kelvin quivaut 1,044 1023 bits ;ce choix dunit nest videmment pas adapt aux objets macroscopiques, dont ledsordre lchelle microscopique est gigantesque.

  • 18 Roger BALIAN

    Lentropie S dun matriau dpend de son nergie interne, ainsi que de toutes lesautres grandeurs extensives qui caractrisent son tat macroscopique. Par exem-ple, cest pour un fluide une fonction de lnergie, du nombre de molcules et duvolume. De mme que le nombre W de configurations microscopiques, S crot aveclnergie et avec le volume.

    IRRVERSIBILIT, DISSIPATION DENTROPIE ET DGRADATION DE LNERGIE

    Le deuxime principe implique que les processus pouvant survenir dans un sys-tme isol sont en gnral irrversibles : lorsquun certain processus est autoris,le processus inverse est interdit. Comme le premier principe, le deuxime exprimeune limitation de ce que permet la nature. Les processus rversibles, pour lesquelslentropie reste constante au cours du temps, sont des cas limites, autoriss maisexceptionnels en pratique. Le degr dirrversibilit dune transformation dun sys-tme isol peut tre caractris par la dissipation, que nous dfinissons pour plusde gnralit comme laugmentation de son entropie.

    Les transformations o lnergie change de forme doivent en particulier faire crotrelentropie globale (ou ventuellement la laisser constante). Or, leffet JOULE conver-tit intgralement une nergie lectrique en chaleur ; les frottements ou la viscositconvertissent intgralement une nergie cintique en chaleur. De telles transfor-mations dnergie lectrique ou mcanique en nergie interne sont irrversibles etdissipatives : lentropie augmente lorsque le systme reoit de la chaleur, parcequelle est une fonction croissante de lnergie interne, alors quelle ne dpendpratiquement pas des variables lectriques ou mcaniques macroscopiques. Pourcette mme raison, les conversions entre une forme ou une autre dnergie lec-trique ou mcanique sont des phnomnes rversibles (ou presque) : oscillationdun ressort ou dun pendule, auquel cas lnergie cintique et lnergie potenti-elle (lastique ou de gravit) schangent, fonctionnement dun alternateur ou dunmoteur lectrique (o leffet JOULE est faible). De ces observations merge unenouvelle classification des diverses formes dnergie. La transformation dner-gie lectrique ou mcanique en chaleur apparat comme une dgradation, car linverse une transformation intgrale de chaleur en nergie lectrique ou mcani-que est impossible. La chaleur est une forme dgrade dnergie, les nergiesmcaniques et lnergie lectrique sont des formes nobles, quivalentes en cesens quelles peuvent schanger de faon rversible.

    A lchelle microscopique, cette distinction traduit un caractre plus ou moinsdsordonn de chaque forme dnergie. La chaleur sinterprte cette chellecomme lnergie cintique dsordonne, inaccessible lobservation macroscopi-que, des particules (molcules pour un fluide, lectrons pour un mtal). Mais sicelles-ci ont un mouvement collectif global, avec une vitesse de drive densemblequi se superpose aux mouvements dsordonns, isotropes en moyenne, ce mou-vement collectif sobserve notre chelle comme un courant hydrodynamique ouun courant lectrique, auquel est associe une nergie ordonne.

  • 2 - LES MULTIPLES VISAGES DE LNERGIE 19

    Le mlange ( volume total constant) de deux gaz comportant M molcules dun pre-mier type et N molcules dun second type, respectivement, fait crotre le dsordre,dune quantit mesure par lentropie de mlange S = k ln[(M + N)!/M!N!]. Ici, il ya dissipation sans phnomne nergtique.

    Cependant, la notion de dsordre microscopique nest pas absolue ; elle dpend denos possibilits dobservation et daction par des moyens macroscopiques asso-cis linformation que nous possdons sur le systme. Ainsi, le plus souvent, lesractions chimiques librent de lnergie chimique sous forme de chaleur, notam-ment lorsquon utilise des carburants dans les vhicules, les centrales thermiquesou le chauffage domestique. Il faut alors considrer lnergie chimique (de mmeque lnergie nuclaire) comme dgrade. Mais ce nest pas toujours le cas, car onsait dans certaines circonstances (accumulateurs ou piles) convertir directement etde manire quasi rversible de lnergie chimique en nergie lectrique, ce quiconduit alors considrer lnergie chimique comme noble.

    BILANS DNERGIE ET DENTROPIE

    Bien des entreprises humaines visent contrecarrer la tendance naturelle vers ledsordre quexprime le deuxime principe. Il est videmment impossible dy parve-nir si le systme dintrt est isol. Cest pourquoi il faut coupler ce systme avecdes sources, autres systmes avec lesquels il peut interagir. Son entropie peutainsi dcrotre ds lors que les sources sont le sige dun accroissement au moinsgal dentropie. On exploite de la sorte la tendance globale du systme composite voluer vers un tat dentropie plus grande, afin de faire localement dcrotrelentropie du sous-systme dintrt.

    Si, par exemple, on souhaite refroidir un systme A, il doit pour satisfaire au pre-mier principe cder une certaine quantit de chaleur Q = UB = UA > 0 unesource B. Ceci implique que son entropie dcroisse (SA < 0) en mme temps queson nergie, en vertu de la dfinition

    1T

    SU

    = {1}

    de la temprature absolue. On suppose fixes les variables extensives autres quelnergie, telles que le volume et le nombre de particules. Il est donc ncessaireque, selon le deuxime principe, lentropie de B croisse au cours du processusdune quantit SB suprieure | SA|, ce qui implique

    0 1 1< + = + =

    S S UT

    UT

    QT TA B

    A

    A

    B

    B B A

    et par suite TA > TB. Le systme A ne peut donc se refroidir que sil a une temp-rature plus leve que celle de la source B, nonc de CLAUSIUS du deuximeprincipe.

  • 20 Roger BALIAN

    Cet exemple montre lutilit dans les questions dnergtique dun double bilantraduisant mathmatiquement les deux principes. Etant donn un ensemble desous-systmes interagissant les uns avec les autres, la variation dnergie de cha-cun deux doit tre gale lnergie quil reoit, tandis que sa variation dentro-pie doit tre suprieure lentropie quil reoit. Ces galits et ingalits four-nissent des contraintes sur les processus ralisables.

    Ici encore, la vie courante fournit de nombreuses illustrations. Si une cuisine conte-nant un rfrigrateur tait isole de lextrieur, il serait impossible de refroidir lint-rieur A du rfrigrateur par transfert de chaleur lair B de la cuisine, car la transfor-mation inverse, qui se produit spontanment, est irrversible ; mathmatiquement,la conservation de lnergie totale impliquerait pour ce processus une dcroissancede lentropie puisque TA < TB. On ne peut faire fonctionner le rfrigrateur, en abais-sant son nergie intrieure de |UA|, que grce un apport W dnergie fournie delextrieur sous forme lectrique et transforme en nergie mcanique dans le bloccompresseur. Le double bilan, dnergie et dentropie, fournit alors :

    0 1 1< = =

    S UT

    U

    TWT

    UT T

    B

    B

    A

    A BA

    A B

    ce qui dtermine la consommation minimale dnergie lectrique W de lappareil(un calcul complet, qui fournirait la puissance minimale du rfrigrateur, ncessitela prise en compte du flux de chaleur travers les parois). La mme estimation estvalable pour un climatiseur.

    Le mme bilan sapplique une pompe chaleur, qui a pour but de transfrer dela chaleur depuis lair extrieur A, froid, vers lintrieur B dune habitation afin de lachauffer. Etant donn quun tel flux va en sens inverse de celui que prvoit lnoncde CLAUSIUS, son tablissement ncessite la consommation (dans un appareillageanalogue celui dun rfrigrateur) dune certaine quantit dnergie mcaniqueou lectrique W, dont la valeur minimale se calcule comme ci-dessus. La quantitdintrt est cependant ici la chaleur UB cde lhabitation, et non celle extraitede la source froide (lextrieur). Le rendement maximal est ainsi donn par

    0 1 1< =

    S WT

    UT TA

    BA B

    ce qui montre que lnergie W consomme par la pompe chaleur peut tre trsinfrieure la valeur UB que lon aurait consomme en utilisant par exemple unradiateur lectrique : lnergie lectrique W utilise sest ajoute la chaleur |UA|tire de lextrieur. On peut imaginer de mme, en ne considrant que des sourcesde chaleur, que lon souhaite chauffer un local B laide dune chaudire C temp-rature leve. Pour une quantit UB de chaleur fournie au local, il est possible dco-nomiser la chaleur |UC| cde par cette chaudire en lutilisant non directement,mais pour faire fonctionner une pompe chaleur branche sur lair extrieur A, temprature plus basse (TA < TB < TC). La chaudire est alors la source chaude dun

  • 2 - LES MULTIPLES VISAGES DE LNERGIE 21

    gnrateur dlectricit alimentant la pompe chaleur. Le bilan global dnergieindique que la quantit de chaleur reue par le local B comprend non seulement lachaleur fournie par la chaudire C, mais aussi celle extraite de lair extrieur A. Lebilan dentropie de A, B et C,

    0 1 1 1 1< = + + =

    S UT

    UT

    UT

    UT T

    UT T

    A

    A

    B

    B

    C

    CC

    A CB

    A B

    montre que lon peut esprer pour borne suprieure du rendement global unevaleur trs suprieure 1 ; on peut gagner par exemple jusqu un facteur 10lorsque TA = 0C, TB = 20C, TC = 600C grce cette utilisation indirecte de lachaudire.

    Inversement, la production dune nergie mcanique ou lectrique W par unmoteur thermique ou une turbine ncessite videmment une source A dnergie,la source chaude dont lnergie UA doit diminuer. Mais cette diminution impliqueaussi une diminution (SA < 0) de lentropie SA, diminution qui doit tre compen-se par la croissance de lentropie SB dun autre sous-systme B. Ce dernier nestautre que la source froide du moteur, qui est en ralit une source de neguen-tropie ncessaire la satisfaction du double bilan ; la chaleur que cette sourcereoit doit faire crotre SB dune quantit SB suprieure |SA|, ce qui implique

    0 1 1< =

    UT

    U

    TU

    T TWT

    B

    B

    A

    AA

    B A B

    inquation qui dtermine le rendement maximal W / |UA| du moteur, commelavait dj vu CARNOT.

    Dans bien des cas, lnergie nest pas la seule quantit conservative en jeu, et lessous-systmes peuvent changer dautres grandeurs, par exemple des particulesde tel ou tel type, notamment en chimie. Ils peuvent aussi changer du volume,lorsque lun des sous-systmes se dilate aux dpens dun autre. En pareils cas, lesbilans doivent tenir compte de toutes ces grandeurs conserves. Par exemple, ledessalement de leau de mer ncessite une dcroissance de son entropie, puis-que la dissolution du sel dans de leau est un phnomne irrversible o la dissipa-tion est gale lentropie de mlange. Cette opration nest rendue possible quegrce un apport dnergie, calorifique, mcanique ou lectrique selon le procdutilis, apport permettant de faire crotre lentropie des sources extrieures dunequantit suprieure la baisse de lentropie de mlange. De mme, la croissancedordre associe au dveloppement dun tre vivant ncessite une croissance den-tropie de son environnement, accompagnant des transferts dnergie et de mol-cules diverses.

    Enfin, lquivalence entre manque dinformation et entropie, mise en vidence parBRILLOUIN, implique que lenregistrement dans une mmoire dune information doitsaccompagner, ici encore, dune croissance dentropie de lenvironnement.

  • 22 Roger BALIAN

    2.1.3.PRINCIPES DE LA THERMODYNAMIQUE HORS QUILIBRE

    Les principes de la thermodynamique traditionnelle, rappels prcdemment, neportent que sur des tats de quasi-quilibre. Grce la comparaison de ltat initialet de ltat final, ils permettent de faire un bilan des divers processus, et fournis-sent ainsi une borne thorique suprieure aux rendements. Mais ils ne donnentaucune indication sur les rendements rels, qui dpendent de la valeur de la dis-sipation totale. Dautre part, on est souvent intress dans les questions nergti-ques, non seulement par lnergie mais aussi par la puissance. Or, la thermodyna-mique traditionnelle ne nous renseigne pas sur le droulement des processusdans le temps, sur lequel reposent les technologies. Comme nous lavons signal,les lois qui rgissent ces processus dynamiques, quils soient mcaniques, thermi-ques, lectriques ou chimiques, obissent des principes communs, tout au moinslorsque les tats successifs du systme restent voisins de lquilibre. Nous allonspasser sommairement ces principes en revue, en les illustrant laide de lexemplehistorique du problme de la chaleur. On pourra, en premire lecture, survoler laprochaine section.

    LES QUATIONS DYNAMIQUES

    Lorsque de la chaleur se propage dans un milieu solide, la seule grandeur trans-porte est lnergie. Ltat du systme chaque instant est caractris, dans cha-que lment de volume, par la valeur Ed3r de lnergie (qui se rduit ici lnergieinterne) ; le but est dtudier lvolution de la densit dnergie E(r,t). Dans un pro-blme gnral, ltat de chaque lment de volume (ou de chaque sous-systmehomogne) est caractris chaque instant par la donne dun certain nombre devariables extensives conservatives locales qui peuvent comprendre lnergie, laquantit de mouvement, le volume, ou le nombre de particules de tel ou tel type.

    A ces variables dtat sont associes des variables intensives locales, tempra-ture, vitesse hydrodynamique, pression, potentiels chimiques. Puisque chaquelment de volume est presque lquilibre, ces variables intensives sexprimenten fonction des prcdentes laide des mmes quations dtat quen thermo-dynamique dquilibre. Dans le cas particulier du problme de la chaleur, lquationdtat est la relation {1} entre densit dnergie et temprature, ce qui conduit caractriser la temprature locale par la variable intensive

    E Es

    T=

    =

    1 {2}

    inverse de la temprature absolue.

    Lorsque le systme entier est lquilibre global, la temprature est uniforme.Lcart lquilibre est donc caractris par la donne en chaque point du gra-dient de la temprature, cest--dire de E = T / T2, variable appele affinit. Achaque variable intensive est associe de mme une affinit ; ces grandeurs, par

  • 2 - LES MULTIPLES VISAGES DE LNERGIE 23

    exemple laffinit chimique, les tensions internes dun matriau ou la force lec-tromotrice, mesurent la tendance du systme retourner vers lquilibre.

    Le droulement des processus dans le temps est gouvern par le taux de trans-fert, dun sous-systme lautre, des grandeurs conservatives. Dans lexemple duchauffage domestique, ce taux est mesur par le flux de chaleur passant du radia-teur lair de la pice travers la surface qui les spare. Dans le cas gnral, desflux de chaleur peuvent exister pour toute paire de sous-systmes voisins (entrelair de la pice et les murs ou les fentres, entre celles-ci et lair extrieur). Selonla version dynamique du premier principe, la drive par rapport au temps de lner-gie dun sous-systme est gale la somme des flux dnergie quil reoit de sesvoisins. Pour un milieu continu, le flux de chaleur travers une surface est engen-dr comme lintgrale de surface de la densit de courant dnergie JE, un champde vecteurs. Le flux de chaleur sortant dun lment de volume infinitsimal d3rvaut divJEd

    3r. Le bilan pour chaque lment de volume de la loi de conservationde lnergie se traduit par lquation locale

    + =E

    EtJdiv 0 {3}

    Les flux (ou les densits de courant) qui caractrisent les transferts dautres gran-deurs, telles que charge lectrique, masse et quantit de mouvement en hydrodyna-mique, ou nombres de molcules en chimie, obissent des lois de conservationdu mme type.

    Les quations dynamiques sont compltes par des relations qui expriment lesflux en fonction des affinits. Pour la chaleur, il sagit de la loi de FOURIER :

    JE = T LEEE {4}

    o est la conductibilit calorifique, et o LEE T2. La forme de cette relation estintuitive. En effet, lquilibre global, les flux de chaleur sannulent avec les gradientsde temprature ; un cart de temprature entre un point et un autre provoque uncourant de chaleur qui tend rduire cet cart. Dans un rgime suffisamment pro-che de lquilibre, ce courant est selon {4} proportionnel la perturbation E. Pourtous les autres processus dynamiques considrs, quils soient chimiques, lectri-ques ou mcaniques, il sintroduit de mme des coefficients L qui caractrisent lamanire dont le systme rpond, grce un transfert, aux dviations par rapport lquilibre mesures par les affinits. Ils interviennent dans des phnomnes diverscomme la viscosit, la rsistance lectrique, la diffusion ou les vitesses de ractionschimiques. Les principes de la thermodynamique hors dquilibre fournissent descontraintes sur ces coefficients.

    Un ensemble dquations du type {2}, {3} et {4} gouverne ainsi tous les processusvoisins de lquilibre. En les combinant, on obtient par exemple lquation de trans-port de la chaleur :

  • 24 Roger BALIAN

    =

    E Et cdiv {5}

    o c est la chaleur spcifique par unit de volume du solide.

    TAUX DE DISSIPATION

    Le bilan dtaill de lentropie dfinit la dissipation. Pour un flux de chaleur, on tirede {2}, {3}, puis {4} la variation par rapport au temps de la densit dentropie s(r,t) :

    + = = = ( )st J J T T T LS E EE Ediv

    12

    2 2 ( ) , {6}

    o JS JE / T est la densit de courant dentropie. La comparaison avec {4} montreque lentropie nest pas conservative, et que son taux de cration par unit detemps et par unit de volume, ou taux de dissipation, est exprim par le secondmembre de {6}. Les autres processus thermodynamiques contribuent de mmeau second membre de {6} travers les coefficients L.

    Lun des principes de la thermodynamique hors dquilibre est alors exprim parlingalit de CLAUSIUS-DUHEM, selon laquelle lexpression {6} est en toutes cir-constances positive (ou ventuellement nulle). Cette proprit est apparente audeuxime principe de la thermodynamique traditionnelle, mais ne concide pasavec lui. Celui-ci, moins dtaill, se rfre en effet seulement ltat initial et ltatfinal, et non au droulement du processus dans le temps ; en revanche, il est plusgnral car il ne suppose pas que le processus soit voisin de lquilibre. La positi-vit de {6} implique des ingalits sur les coefficients de rponse L, par exemple > 0. Dans cette quation, le courant JS dcrit un transport dentropie dun point lautre, il sy superpose une cration dentropie en chaque point, proportionnelleau carr des flux ou des affinits. La dissipation totale associe un processusest lintgrale du second membre de {6} sur le volume du systme et sur la duredu processus.

    Ce rsultat est important pour les applications lnergtique. En effet, si le prin-cipe de CARNOT tablit lexistence dun rendement maximal pour un processus,le rendement rel peut tre nettement infrieur ; il dpend des phnomnes phy-siques et des dispositifs utiliss, et aussi du temps mis pour raliser le proces-sus. Pour un systme donn, si lon cherche en un temps transfrer dun sous-systme un autre une grandeur donne, par exemple en convertissant une cer-taine quantit dnergie dune forme en une autre, les flux doivent tre inversementproportionnels la dure du processus, J 1/. Il en est de mme des affinits, 1/. Il rsulte de {6} que le taux de dissipation est proportionnel 1/2, et doncque la dissipation totale est proportionnelle 1/. Ainsi, plus on cherche rali-ser une action rapidement, plus son irrversibilit est grande ; les transformationsrversibles, ayant le meilleur rendement possible, sont infiniment lentes. Lqua-tion {6} ou dautres similaires pour dautres variables i permettent destimer le vri-

  • 2 - LES MULTIPLES VISAGES DE LNERGIE 25

    table rendement. Ceci gnralise une observation courante : compte tenu de larsistance de lair, la consommation dessence dune voiture au kilomtre crot avecla vitesse.

    Toute ralisation technologique ncessite en dfinitive un compromis entre lam-lioration du rendement (dans les limites imposes par le deuxime principe) etle raccourcissement de la dure du processus. Un exemple extrme est celui delenrichissement de luranium par diffusion gazeuse : lusine de Pierrelatte, pourpomper lhexafluorure duranium gazeux travers les barrires poreuses qui lais-sent mieux passer lisotope 235 que lisotope 238, consomme une nergie mca-nique de 9 MWh/kg duranium enrichi, ce qui reprsente 7 107 fois plus que leminimum thorique impos par la diminution de lentropie de mlange !

    2.1.4. HIRARCHIE DES NERGIES

    La microphysique a mis en vidence lexistence de quatre interactions fondamen-tales entre particules lmentaires. Mme si la thorie est parvenue les unifierpartiellement, elles ont des proprits trs diffrentes qui se refltent sur les ner-gies qui leur sont associes lchelle macroscopique. Nous les passons en revuepar ordre dintensits dcroissantes, ce qui fournit encore une nouvelle classifica-tion des nergies.

    INTERACTION FORTE

    Linteraction la plus intense, dite forte, est responsable de la cohsion des noyaux.Elle est en jeu dans la radioactivit et dans la plupart des ractions nuclaires.Elle attire entre eux les nuclons (protons et neutrons). Sa porte est de lordre dufemtomtre (1 fm = 1015 m), et son intensit est de lordre de 1 10 MeV, ordrede grandeur de lnergie de liaison dun nuclon dans un noyau.

    Cette nergie est suffisamment forte pour quon puisse lobserver, selon la for-mule E = mc2, sous forme de masse. En effet, les masses atomiques ne sont pasexactement proportionnelles au nombre de protons et de neutrons, et le dfautde masse mesure lnergie de liaison, raison denviron 1 mg . mol1 pour 1 MeV.Ce chiffre, calcul laide des facteurs de conversion de la section sur les units,est une fraction significative de la masse atomique (1 g . mol1 pour H). Lnergiede liaison par nuclon est maximale au milieu du tableau de MENDELEEV : denvi-ron 8,5 MeV pour un nombre de masse 30 < A < 120, elle tombe 7,5 MeV pourA > 220 ; elle crot de 1 MeV 7 MeV entre 2H et 4He. On peut donc rcuprer delnergie (calorifique) par ractions soit de fission de noyaux lourds (U, Pu, Th) dansun racteur, soit de fusion menant 4He.

    Lnergie solaire, qui quitte le Soleil sous forme de rayonnement lectromagnti-que, est engendre dans son cur par des ractions de fusion successives trans-formant lhydrogne en hlium. Les recherches sur la fusion contrle ne reposent

  • 26 Roger BALIAN

    pas sur ces ractions, impossibles raliser, mme en laboratoire, mais sur la fusiondu deutrium 2H et du tritium 3H ; le premier peut tre extrait de leau de mer, lesecond doit tre produit par fission du lithium.

    INTERACTION LECTROMAGNTIQUE

    Linteraction coulombienne est la base de trs nombreux phnomnes nergti-ques. En raison de son comportement en 1/r, elle se manifeste avec deux intensi-ts diffrentes.

    A lintrieur des noyaux, o les distances entre nuclons sont de lordre du fem-tomtre, linteraction coulombienne e2 / 4 r entre deux protons, rpulsive, est delordre du mgalectronvolt. Elle est donc significative devant linteraction forte.Elle est responsable, lorsque les noyaux deviennent de plus en plus lourds, de ladcroissance de leur nergie de liaison puis de leur instabilit. Elle constitue le prin-cipal obstacle la ralisation de la fusion contrle, car elle soppose au rapproche-ment des noyaux chargs jusqu une distance gale la porte de linteractionforte susceptible de les lier. Afin de la surmonter, il faut communiquer aux noyauxune nergie cintique relative importante, grce une lvation considrable de latemprature (107 K dans le cur du Soleil) et de la densit. Enfin, elle intervientdans la radioactivit .

    Cependant, pour toutes les autres applications lnergtique, les distances entreparticules charges, noyaux ou lectrons sont de lordre de langstrm (1010 m =0,1 nm), et leurs nergies coulombiennes caractristiques sont donc de lordre dellectronvolt. En effet, les phnomnes lchelle atomique sont gouverns parlinteraction coulombienne et par la physique quantique qui rgissent la dynamiquedes lectrons (ainsi que celle des noyaux, mais ceux-ci, beaucoup plus lents, contri-buent beaucoup moins lnergie). Les seules constantes fondamentales et don-nes physiques qui apparaissent dans ce problme sont e, 0, h et la masse m dellectron (la constante c, par exemple, ne peut intervenir car les vitesses en jeu nesont pas relativistes). La seule grandeur ayant une dimension de longueur que lonpuisse construire avec ces constantes est, une constante numrique prs,

    40 53

    20

    2

    h

    me= ,

    le rayon de BOHR de latome dhydrogne. De mme, la seule nergie est :

    me42 2 232

    13 6 0 h

    = , eV

    lnergie de liaison de latome dhydrogne. Ces chiffres apparaissent comme uneconsquence de la comptition entre attraction coulombienne et tendance lta-lement impose par la physique quantique. Dans les molcules et les solides, dontles proprits sont aussi gouvernes principalement par les lectrons, les ordresde grandeur sont les mmes : les distances entre noyaux sont encore de quelques

  • 2 - LES MULTIPLES VISAGES DE LNERGIE 27

    angstrms, et les nergies de liaison typiques de 0,1 eV quelques lectronvoltspar atome.

    Ces ordres de grandeur se refltent notre chelle dans de nombreuses nergiesdusage courant, qui sont domines lchelle microscopique par linteraction lec-trique, ou plus gnralement lectromagntique. Lnergie chimique, libre parexemple par une combustion, nest autre quune variation dnergie coulombienneet cintique associe au rarrangement des molcules. Rapporte une mole, unenergie par particule de 1 eV conduit 96,5 kJ . mol1, cest--dire 27 Wh . mol1 ou23 kcal . mol1 (voir le paragraphe sur les units). On vrifie que la chaleur de com-bustion du ptrole (1 tep = 12 MWh) correspond bien quelques dizaines dlec-tronvolts par molcule (plus prcisment 0,45 eV fois la masse molaire moyenneen g . mol1). Dautres ractions chimiques que les combustions donnent en gn-ral des chiffres plus faibles, quoique comparables. Par exemple, en lectrochimie,la force lectromotrice typique dune pile, 1 3 V, indique que la variation dnergiedun lectron est de 1 3 eV lorsquil passe dune lectrode lautre. La mmevaleur se retrouve pour la largeur typique dune bande interdite de semi-conducteur,paramtre essentiel pour les photopiles et tous les dispositifs lectroniques. Enbiochimie, la source dnergie des processus intracellulaires est lhydrolyse delATP en ADP (adnosine tri- et di-phosphate), raction qui dgage 0,5 eV par mol-cule ou 50 kJ par mole. Dans un organisme humain, 40 kg dATP sont ainsi transfor-ms chaque jour, ce qui ncessite une rgnration permanente dADP en ATP parconsommation de glucose fourni par lalimentation ; ce chiffre est en accord avecla puissance moyenne absorbe sous forme daliments, 2700 kcal/jour ou 130 W.

    La cohsion des solides est analogue la liaison des molcules. En consquence,leur nergie lastique, par exemple celle dun ressort tendu, leur nergie calo-rifique, qui reflte notre chelle les vibrations du rseau cristallin ou dans unmtal les mouvements des lectrons, sont de nature lectromagntique. La valeurde lnergie de liaison peut sestimer laide des chaleurs de fusion et de vapori-sation, par exemple pour leau 0,06 eV (correspondant 80 cal . g1) et 0,1 eV parmolcule, chiffres encore en accord avec les ordres de grandeur ci-dessus.

    Bien entendu, lnergie lectrique macroscopique se rattache directement linter-action lectromagntique microscopique, quelle met en vidence notre chellegrce des mouvements collectifs de charges lmentaires ou des densits decharge macroscopiques. Les units lectriques usuelles traduisent dailleurs lesordres de grandeur de la microphysique. A lnergie de 1 eV pour un lectron cor-respond une diffrence de potentiel de 1 V. La charge de NA lectrons est le fara-day, qui vaut 96 500 C ; ce rapport de lordre de 105 traduit le fait que seule unefaible fraction des lectrons ou des ions est mobile dans un conducteur.

    Il faut souligner dans ce contexte limportance technologique du magntisme etsurtout du ferromagntisme, sans lequel nous naurions ni alternateurs, ni moteurs,ni transformateurs, ni donc lignes haute tension. Il est intressant de noter quele magntisme, proprit essentielle pour notre emploi quotidien de llectricit,

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    nexisterait pas en physique classique : il ne sexplique lchelle microscopiqueque grce la physique quantique.

    Enfin, lnergie radiative (solaire, ou mise par une lampe lectrique, ou transfor-me en chaleur dans un four micro-ondes) est aussi de nature lectromagntique.Ici encore, on retrouve lnergie caractristique de 2 eV, qui est celle dun photonde 0,6 mm au milieu du visible (paragraphe sur les units). Les plantes se sontadaptes cette valeur, puisque lnergie caractristique de lassimilation chloro-phyllienne est du mme ordre. En effet, la fixation dune molcule de CO2 atmos-phrique sur une molcule deau pour donner un chanon glucidique (CHOH) et deloxygne ncessite un apport dnergie de 5 eV (correspondant 500 kJ . mol1)fourni par le flux lumineux.

    INTERACTION FAIBLELinteraction dite faible, beaucoup moins intense que linteraction lectromagn-tique, est responsable de la radioactivit . Les nergies quelle met en jeu sontde lordre dune fraction de mgalectronvolt, donc apprciables mme en tantque variations de masse, comme pour linteraction forte. Sa faiblesse se traduit parune probabilit extrmement petite des processus quelle gouverne. Elle ninter-vient dans les questions nergtiques quen une circonstance, cache mais impor-tante. Parmi les ractions nuclaires successives qui librent lnergie solaire, laraction initiale est la fusion de deux protons en un deutron (plus un positon etun neutrino). Contrairement aux ractions ultrieures qui mnent en dfinitive aunoyau dhlium, cette fusion est un processus faible, donc trs peu probable. Elleest dailleurs inobservable en laboratoire. Elle constitue pour la dynamique desractions de fusion un goulot dtranglement qui rend trs lente la transformationdnergie nuclaire en chaleur dans le Soleil : la production de chaleur dans le curdu Soleil (qui reprsente 1/3000 de son volume) nest que de 800 W . m3, com-parer au dgagement de chaleur par le corps humain, 100 W au repos (dont 20%pour le fonctionnement du cerveau), 500 W en activit physique. Cest cette peti-tesse qui permettra au Soleil de rayonner pendant une dizaine de milliards dannes.

    INTERACTION GRAVITATIONNELLELinteraction gravitationnelle est la plus faible des quatre interactions fondamenta-les. Sa forme, GMM/r pour deux masses M et M, est semblable celle de linter-action coulombienne. Mais la constante de gravitation vaut G = 6,671011 J.m.kg2,de sorte que lattraction gravitationnelle entre deux protons est 8 1037 fois plusfaible que leur rpulsion coulombienne. Cette attraction devient sensible notrechelle grce la grande masse des objets en jeu. En particulier, cest la masse dela Terre qui engendre le potentiel de gravit, source de lnergie hydrolectrique.Les units SI sont adaptes ce phnomne, puisque la chute de 1 kg deau sur1 m lui communique une nergie cintique de 9,8 J = 2,7 mWh, faible devant lekilowattheure, nergie caractristique associe pour 1 kg de matire linteractionlectromagntique.

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    Lnergie cintique macroscopique, mise en uvre dans une turbine ou une oli-enne, sapparente lnergie potentielle gravifique du point de vue des ordres degrandeur. De fait, nergies cintique et potentielle schangent presque rversi-blement (aux effets de viscosit prs) dans une usine hydrolectrique. Sur le planthorique, gravitation et mouvement sont dailleurs unifis par la relativit gn-rale. Lnergie cintique microscopique, qui se traduit dans un gaz par son ner-gie interne, a un ordre de grandeur plus lev, sapprochant de celui des nergieschimiques.

    La gravitation, comme les autres interactions, joue un rle dans le fonctionnementdu Soleil en tant que machine nergtique. Une lvation accidentelle de tempra-ture a pour effet daugmenter le taux de fusion nuclaire, donc daccrotre la pro-duction dnergie. Si cette nergie excdentaire se transformait en chaleur, la tem-prature augmenterait encore, ce qui ferait en dfinitive exploser notre toile ! Alinverse, un refroidissement local serait amplifi par la baisse rsultante du tauxde raction, jusqu lextinction du Soleil. Cest la gravitation qui fournit un remar-quable mcanisme de stabilisation du flux dnergie solaire. On montre en effetque lquilibre entre forces de pression et de gravit lintrieur du Soleil impliqueque son nergie totale, ngative, est la moiti de son nergie gravitationnelle, doncloppose de son nergie interne. Un accroissement de lnergie totale provoquedonc, grce la dilatation du Soleil qui laccompagne, une diminution gale delnergie interne, donc une baisse de temprature, ce qui ramne le taux de conver-sion dnergie nuclaire en chaleur sa valeur stationnaire.

    2.2. COMPARAISONS

    Nous examinons maintenant les consquences des principes de la physique surtrois des facteurs qui conditionnent lemploi de lnergie : concentration, dgrada-tion, stockage. Dimportantes diffrences apparaissent de ces points de vue entreles diverses formes dnergie.

    2.2.1. CONCENTRATION

    Les formes dnergie que nous utilisons couramment sont plus ou moins concen-tres, selon la quantit de matire ncessaire pour les mettre en uvre. De faonremarquable, la hirarchie des nergies base sur la microphysique contemporaine,que nous venons de discuter dans la perspective de la science fondamentale, restevalable notre chelle et dans notre vie quotidienne. On est ainsi amen distin-guer trois niveaux de concentration, qui diffrent considrablement lun de lautre,par un facteur situ entre 104 et 106. Nous illustrerons ce fait en examinant quellemasse de matire est en jeu pour extraire une nergie de 1 kWh.

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    Le niveau intermdiaire, le plus courant, correspond aux trs diverses nergies denature lectromagntique. Le kilowattheure y est associ des masses de lordredu kilogramme. Ainsi, pour lnergie chimique, les carburants fournissent de lachaleur raison de 1 kWh par 0,1 kg environ (souvenons-nous que 1 tep = 12 MWh).Les chiffres sont comparables pour lnergie biologique : un repas nous fournitenviron 1 kWh, dissip ensuite par notre organisme. Pour la chaleur, 1 kWh per-met de faire fondre 10 kg de glace, de porter de 20C 100C la mme quantitdeau, ou den faire bouillir 1,5 kg. Nos consommations domestiques dlectricitse mesurent aussi en kilowattheures, compte tenu de la puissance de nos appa-reils mnagers, situe entre 10 W et 5 kW. Enfin, la puissance du rayonnementsolaire est au niveau du sol de lordre de 1 kW par m2 perpendiculaire aux rayonsincidents ; ce chiffre est assez fort pour permettre aux mcanismes biochimiqueset bionergtiques de fonctionner, mais assez faible pour ne pas trop perturberceux-ci.

    Les nergies les plus concentres sont les nergies nuclaires bases sur linter-action forte. Ici, le kilowattheure est associ une masse de lordre du milli-gramme ou mme moins. Ainsi, une quantit de chaleur de 1 kWh est dgagepar fission dans une centrale nuclaire grce la consommation de 10 mg dura-nium naturel, contenant 0,7% duranium 235 fissile. Lemploi industriel de surg-nrateurs permettrait de gagner un facteur 100 en rcuprant lnergie de fissiondu plutonium produit par capture de neutrons par luranium 238 non-fissile. Lafusion, objectif lointain, serait encore plus efficace ; dans le Soleil, 5 g dhydro-gne suffisent la production de 1 kWh, cette mission de chaleur tant compen-se par une perte de masse de 0,04 g.

    Les nergies les plus dilues sont lnergie gravitationnelle et les nergies mca-niques, pour lesquelles le kilowattheure est associ des masses de lordre de10 tonnes. Pour produire 1 kWh dnergie lectrique dans une usine hydrolectri-que, dont le rendement est de 85%, il faut faire chuter 10 tonnes deau de 40 m ;avec une olienne, il faut rcuprer toute lnergie cintique de 20 000 m3 dair (27 t)arrivant 60 km/h. De mme, 1 kWh est lnergie cintique dun camion de 10 troulant 100 km/h. Pour prendre conscience de lcart entre ces nombres et ceuxassocis lnergie calorifique, on peut noter que si toute lnergie mcaniquedun uf tombant de la tour Eiffel tait absorbe par cet uf sous forme de cha-leur, sa temprature naugmenterait que de 0,7.

    Ces carts considrables ont dimportantes consquences. Un racteur lectronu-claire de 1000 MW lectriques, dont le rendement est de 33%, ne consommeque 27 tonnes duranium enrichi 3,2% par an, le quart de son chargement, alorsque pour la mme puissance une centrale thermique, dun rendement de 38%,consommerait 170 tonnes de fuel ou 260 tonnes de charbon lheure, et quunecentrale hydrolectrique ncessiterait la chute de 1200 tonnes deau par seconde,de 100 m de haut. La dilution, assez grande, de lnergie solaire se traduit par lefait quil faudrait 30 km2 de panneaux solaires semi-conducteurs pour atteindre

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    cette puissance en moyenne journalire, par effet photovoltaque. Lnergie duvent est encore moins adapte la production massive dlectricit ncessaire nos villes, puisquil faudrait 3000 oliennes dune puissance de 1 MW pour pro-duire la mme nergie annuelle quun racteur de 1000 MW, compte tenu du faitque les oliennes ne fonctionnent au mieux que pendant le tiers du temps (eten oubliant les pertes qui seraient dues au stockage si lon ne consommait pasimmdiatement llectricit produite). Le Danemark et les Pays-Bas, qui ont fait uneffort considrable pour squiper en oliennes, narrivent pourtant en tirer quequelques % de leur lectricit et doivent, dfaut de nuclaire ou dhydraulique,faire appel au ptrole ou au charbon de sorte que ce sont les deux pays dEurope(aprs le Luxembourg) qui produisent le plus de CO2 par tte, environ 12 t par per-sonne et par an (deux fois plus quen France, mais deux fois moins quaux Etats-Unis). Les formes dilues de lnergie, lorsquelles sont utilises pour produirede llectricit (oliennes, piles solaires, micro-centrales hydrauliques), devraienttre rserves des usages spcifiques, utiles quoique vous rester marginaux,comme lalimentation de lieux isols quil serait coteux de relier au rseau, ouencore pour le photovoltaque la fourniture de faibles puissances.

    2.2.2. DGRADATION

    Le deuxime principe implique, compte tenu de lexpression de lentropie en fonc-tion des variables associes aux diverses formes dnergie, que celles-ci ont ten-dance se dgrader : les nergies mcanique et lectrique en particulier tendent se transformer irrversiblement en chaleur. Lexemple du bilan nergtique dufonctionnement dune voiture, ou de la plupart des appareils mnagers (climatiseur,tlviseur, four, aspirateur, lampe, ordinateur, tlphone), montre que nos actionsont le plus souvent pour seul effet de transformer en dernier ressort diverses for-mes dnergie en chaleur. Cette remarque a donn naissance, au XIXe sicle, aumythe de la mort thermique de lUnivers . On peut, dans une certaine mesureet en utilisant des dispositifs appropris, contrecarrer cette tendance, conditionque lentropie totale des systmes isols en jeu ne dcroisse pas. Cest ce qui sepasse par exemple dans un moteur thermique o une partie du flux spontan dechaleur de la source chaude vers la source froide (qui fait crotre lentropie totale)est dtourne, notre profit, pour extraire une quantit limite de travail qui peut son tour tre transforme en quasi-totalit en nergie lectrique. Mais lnergienoble ainsi obtenue est souvent, volontairement ou non, reconvertie en chaleur.

    Nous avons aussi vu que la dissipation crot avec la rapidit des processus, de sorteque la dgradation de lnergie est dautant plus forte que nos actions prennentmoins de temps. Des compromis sont donc ncessaires entre les dures souhai-tes des processus et leurs rendements admissibles.

    Les problmes de rendement, notion lie lactivit humaine, sont en effet essen-tiels dans toute question nergtique, car ce qui compte en pratique nest pas la

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    puissance totale mise en jeu mais sa fraction utile pour tel ou tel usage. Cest pour-quoi il importe de distinguer par exemple, pour une centrale thermique, la puissancethermique (dont dpend la consommation de carburant) de la puissance lectriqueenvoye sur le rseau. Mme si une telle distinction peut paratre banale, elle nestpas toujours explicite dans les statistiques publies. Ainsi, il est dusage destimerlquipement en oliennes des pays europens en comparant les valeurs des puis-sances installes dans chaque pays, alors que les seuls chiffres significatifs seraientles puissances lectriques fournies en moyenne annuelle.

    Lnergie calorifique dgage par les activits humaines na certes pas dinfluencedirecte notable sur le climat, puisquelle ne reprsente que 1/10 000 de la chaleurreue du Soleil. Elle implique cependant un gchis considrable de nos ressourcesnergtiques. En effet, les centrales thermiques, quelles soient nuclaires, aufioul, au gaz ou au charbon, nont quun rendement de 33 38% en lectricit. Laplus grande partie de la chaleur produite par raction nuclaire ou chimique va doncse dgager en pure perte dans latmosphre, les rivires ou la mer travers lecondenseur. Or, le tiers de lnergie totale que nous consommons est consacrau chauffage domestique, assur le plus souvent par consommation directe decarburant ou dlectricit. On ne peut que regretter le trop petit nombre dinstalla-tions de rcupration de chaleur auprs des centrales thermiques, susceptiblesde produire de leau chaude notamment pour le chauffage urbain ; il est vrai quonse heurte la ncessit dinvestir dans un rseau de transport deau chaude.

    Nous avons signal le caractre relatif de la notion de dgradation dans le cas delnergie chimique. Celle-ci parat le plus souvent quivalente de ce point de vue la chaleur, puisque la combustion dun carburant dgage directement de lnergiecalorifique. Cependant, il est possible, laide de mcanismes ingnieux compor-tant en particulier une sparation spatiale dions ractifs, grce par exemple deslectrodes ou des membranes biologiques, de transformer directement une ner-gie chimique en nergie lectrique (batteries) ou mcanique (muscles). Lnergiechimique apparat alors comme noble et il est thoriquement permis de lutilisersans la transformer dabord en chaleur, et ainsi de rduire la dgradation. Certainesractions chimiques peuvent mme, selon la manire dont elles sont conduites,tre utilises thermiquement ou non. Ainsi, on peut imaginer des vhicules delavenir fonctionnant laide dhydrogne produit par lectrolyse de leau. Il seraalors beaucoup plus rentable, si la technologie le permet, dutiliser laide dunepile hydrogne ce corps pour produire de llectricit (transforme en nergiemcanique par un moteur lectrique), plutt que de le brler dans un moteur ther-mique dont le rendement est inexorablement limit par le principe de CARNOT. Maisil faudra encore bien des recherches pour que le rendement pratique de pareillespiles dpasse cette limite et que lon vite de gaspiller lnergie de lhydrogne pardgradation en chaleur. Le fait que le quart de lnergie totale que nous consom-mons soit consacr aux transports montre lintrt de telles tudes.

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    De mme, lnergie solaire est a priori une nergie noble, transporte par un rayon-nement ordonn. Sa dgradation par transformation en chaleur nest pas invitable.Les mcanismes biologiques (assimilation chlorophyllienne, muscles) en convertis-sent une faible part en nergie chimique ou mcanique. Les piles photovoltaques enconvertissent environ 10% en nergie lectrique. Mais le progrs nest pas limitpar des principes physiques.

    En dfinitive, ce ne sont pas des raisons de principe qui nous obligent passer parla chaleur pour exploiter les nergies chimique et radiative, mais des questions defaisabilit pratique, de connaissance scientifique ou technologique, de taille, lenteurou complexit trop grandes des mcanismes, ou de cot trop lev.

    2.2.3. STOCKAGE

    Nous avons vu que certaines des formes de lnergie sont emmagasines dans lamatire, tandis que dautres sont lies des transferts. Evidemment, seules lespremires peuvent tre utilises pour le stockage, opration indispensable afindassurer la souplesse demploi de lnergie. Des nergies renouvelables commele solaire ou lolien sont intermittentes ; lnergie lectrique scoule dans lesconducteurs : il importe de savoir les mettre en rserve et les rcuprer. Pour desbesoins particuliers, les modes de stockage de lnergie sont multiples : chaleuremmagasine (en heures creuses) dans un chauffe-eau, nergie lastique dans unressort, nergie cintique dans un volant en rotation rapide, nergie lectrostatiquedans un condensateur charg. Toutefois, seules deux formes dnergie se prtentau stockage de quantits importantes dnergie.

    Dune part, lnergie gravifique est mise en uvre dans les barrages hydrolec-triques. Ils assurent le stockage dune nergie originellement apporte par le Soleil,moteur de lvaporation de leau de mer et de sa retombe sous forme de pluie.Mais ils peuvent aussi tre utiliss pour emmagasiner une nergie dorigine lec-trique, puis la restituer : on pompe de leau daval en amont en heures creuses eton la laisse chuter en heures de pointe. Les nergies lectrique et mcanique tanttoutes deux nobles, on peut rendre les pertes par dissipation relativement faibles.

    Dautre part, la place prpondrante des carburants est lie au fait quils emma-gasinent de grandes quantits dnergie chimique. L encore, cette nergie leur at communique par le Soleil, lorsque dans un pass lointain se sont forms lesgisements de ptrole, de charbon ou de gaz. Malheureusement, il est difficile derendre une telle transformation rversible, en synthtisant des carburants laidedune autre forme dnergie. Des tudes sont cependant en cours pour y parvenir.Lhydrogne, extrait de leau par lectrolyse ou chauffage, puis utilis dans unepile combustible pour produire de llectricit (ce qui rduirait les pertes sousforme de chaleur inhrentes aux moteurs thermiques), pourrait un jour remplacerlessence de nos voitures. Lnergie chimique associe, de 32 kWh/kg, est nette-ment suprieure celle du ptrole (12 kWh/kg). Notons que, contrairement ce

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    quon dit trop souvent, lhydrogne ne sera jamais une source dnergie : cestseulement un moyen de stockage, puisquil faut pour le produire fournir au moinsautant dnergie que ce que lon en tirera.

    Une forme courante de stockage dnergie lectrique sous forme chimique estconstitue par les piles et accumulateurs. Leurs performances sont gouvernespar les contraintes de la physique et de la chimie, en accord avec les ordres de gran-deur indiqus plus haut pour les nergies de nature lectromagntique. Ainsi, lacapacit des accumulateurs au plomb est de 35 Wh/kg, celle des petites batteriesau lithium de 150 Wh/kg. Peut-on esprer faire beaucoup mieux ? Charger une bat-terie au lithium, mtal le plus lger, lve le potentiel des ions Li+ de 3 V, force lec-tromotrice de la batterie. Ceci correspond une fourniture dnergie de 3 96 500 Jpour une mole (7 g) de Li, cest--dire une capacit de 10 kWh par kg datomesactifs de Li de la batterie. Mais celle-ci doit aussi comprendre un nombre beaucoupplus grand datomes de structure, qui crent le potentiel vu par les ions Li+, secomportent comme une ponge travers laquelle ces ions peuvent se dplacer etdlimitent deux rgions o ils peuvent se fixer avec des potentiels chimiques diff-rents. La capacit actuellement ralise correspond une masse totale 60 foisplus grande que celle du lithium actif, et il semble difficile de rduire considrable-ment cette masse.

    La science fondamentale et ses principes conditionnent galement dautres aspectsessentiels de lutilisation pratique de lnergie, tels que transport, rserves ou nui-sances. Les possibilits quelle ouvre et les contraintes quelle impose se conju-guent avec des facteurs conomiques et sociaux (cots, investissements, besoinsmondiaux...) sur lesquels nous reviendrons dans la suite de louvrage. Par exemple,si lon souhaite mettre de lnergie disposition dutilisateurs loigns, lnergielectrique est la seule susceptible dtre facilement transporte et transformeen nimporte quelle autre ; lemploi dans ce but de lignes haute tension na trendu possible, nous lavons vu, que grce la matrise du ferromagntisme auXIXe sicle. Cette avance tait capitale, car sinon il nexiste gure dautre mthodede transfert distance de lnergie que le transport des carburants. Une matrisedautres phnomnes physiques sera sans doute ncessaire au dveloppementindustriel de nouvelles formes dnergie, comme le solaire photovoltaque.

    ANNEXE - LLABORATION DU CONCEPT DNERGIE

    Cette annexe a pour objet dillustrer la complexit et la subtilit du concept dner-gie grce lclairage apport par la perspective historique. De nombreux aspectsbiographiques ou anecdotiques intressants sortent cependant du prsent cadre.On consultera avec fruit le monumental Dictionary of Scientific Biography [1]. Seullhistorique du premier principe est prsent ici avec quelques dtails ; on pourra,pour le deuxime principe, se reporter au paragraphe 3.4 du livre From Microphysicsto Macrophysics [2].

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    ENERGIE MCANIQUE

    Mme en ce qui concerne la dynamique de processus non-dissipatifs comme lesmouvements des astres, les oscillations dun pendule non-amorti, les chocs lasti-ques de solides idaux ou la dynamique de fluides non-visqueux, la notion dner-gie mcanique, grandeur conservative, nest apparue clairement quau milieu duXIXe sicle. De tels processus sont caractriss par lvolution des variables dcri-vant les positions des divers lments du systme. Isaac NEWTON (1642-1727)trouva entre 1665 et 1667 les quations qui rgissent cette volution ; il les publiaen 1687 dans ses Philosophi naturalis principia mathematica. La conservation, aucours du temps, de la quantit de mouvement fut reconnue trs tt par ChristiaanHUYGENS, physicien et astronome (La Haye 1629-1695), mais il fallut plus dun siclepour montrer que les quations du mouvement conservaient aussi une autre gran-deur, lnergie.

    Un premier pas fut accompli grce ltablissement par LAGRANGE du thormedes forces vives : le travail reu par chaque point matriel (de masse m et devitesse v) dun systme au cours dun processus non-dissipatif est gal la moitide laccroissement de sa force vive m2. Afin de passer de l la conservation delnergie mcanique, somme des nergies potentielle et cintique, il restait recon-natre que les forces appliques au systme drivent en gnral dun potentiel, puis identifier leur travail la diminution dune certaine fonction des variables de posi-tion appele nergie potentielle , enfin baptiser nergie cintique la moitide la force vive.

    Ces tapes furent entraves par labsence dun vocabulaire adquat. Sans doute enraison du rle central que NEWTON faisait jouer la force dans sa formulation desquations de la dynamique, le mot de force fut longtemps employ non seulementdans son sens actuel mais aussi (accompagn ventuellement dun adjectif tel que vive ) pour dsigner une nergie, ainsi que le mot de puissance. MAYER critainsi en 1842 que les plantes absorbent une forme de puissance, la lumire, eten produisent une autre, la diffrence chimique . Le terme de travail dans sonacception scientifique ne fut propos quen 1821 par COULOMB. Lintroduction enphysique du mot energy date de 1807 ; elle est due Thomas YOUNG, physiolo-giste, physicien et linguiste anglais (1773-1829) ayant dcouvert le mcanisme delaccommodation par lil, les interfrences, les lois de llasticit, et concurrentpassionn de CHAMPOLLION. Mais ce vocable navait encore quun sens vague.Encore en 1847, lorsque HELMHOLTZ dcouvrit (voir plus loin) la gnralit et limpor-tance de la conservation de lnergie (sous toutes ses formes), il intitula le livremme o il lnonait ber die Erhaltung der Kraft. Cest en 1850 que WilliamTHOMSON proposa demployer energy au lieu de force . William RANKINE,ingnieur et physicien cossais (1820-1872) ayant perfectionn la machine vapeur,parvint enfin en 1853 formuler en termes modernes la conservation de lnergiemcanique (potentielle plus cintique). Le mot nergie napparat cependantpas avant 1875 dans la littrature scientifique franaise.

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    Une forme mathmatique prcise a t donne la conservation de lnergie mca-nique grce aux progrs de la mcanique analytique. Selon cette discipline, mar-que par les mathmaticiens Louis DE LAGRANGE (Turin 1736 - Paris 1813) et sirWilliam HAMILTON (Dublin 1805-1865), les quations de la dynamique non-dissipa-tive sont engendres partir du hamiltonien, somme de lnergie cintique etde lnergie potentielle considres comme fonctions des variables de position etde leurs moments conjugus. Pour un systme isol, le hamiltonien ne dpendpas explicitement du temps, et les quations du mouvement admettent une int-grale premire gale au hamiltonien lui-mme. Lnergie mcanique apparat donccomme la valeur, qui demeure constante au cours du temps, du hamiltonien. Ilpouvait sembler artificiel, au milieu du XIXe sicle, davoir mis sur pied une thorieaussi formelle et aussi labore pour ne traiter que de systmes particuliers, non-dissipatifs, somme toute exceptionnels. Nous verrons que cette mme thoriesest ultrieurement rvle adquate, de faon inattendue, pour les systmes lesplus gnraux, condition de les dcrire en tenant compte de tous leurs degrs delibert microscopiques.

    PREMIRES TUDES SUR LA CHALEUR

    Il na t question dans ce qui prcde que de phnomnes purement mcaniques,sans production ni absorption de chaleur. Ltude des phnomnes calorifiquescommence par les premires mesures de calorimtrie dues Pierre Simon DELAPLACE, astronome, mathmaticien et physicien (Beaumont-en-Auge 1749 - Paris1827), et Antoine Laurent DE LAVOISIER (Paris 1743-1794) qui dterminrent en1782-1784 une srie de chaleurs spcifiques et de chaleurs de raction.

    Ltape suivante est marque par Benjamin THOMPSON, aventurier et officier am-ricain (1753 - Auteuil 1814) devenu ministre de la guerre en Bavire sous le nomde comte RUMFORD. Aprs avoir perfectionn le calorimtre, il mesura entre 1798et 1804 la quantit de chaleur produite lors du forage de canons et comprit quelledevait tre proportionnelle au travail fourni.

    Inversement, divers inventeurs avaient dj russi extraire empiriquement une force motrice partir de la chaleur. Denis PAPIN, aprs avoir imagin sa clbre marmite , anctre de lautoclave, fit des tentatives dans ce sens lors de son exilen Allemagne et en Angleterre aprs la rvocation de ldit de Nantes ; il parvint construire, en 1707 Kassel, le premier bateau vapeur, qui fut malheureusementdtruit par les bateliers lors de ses essais, et il mourut dans la misre (Blois 1647 -Londres 1714). Les mcaniciens anglais Thomas SAVERY et Thomas NEWCOMENmirent au point entre 1689 et 1705 les premires machines feu, utilisables maisdont le rendement ntait que de 1%. James WATT, mcanicien cossais (1736-1819) charg par lUniversit de Glasgow de rparer un modle rduit de dmons-tration dune machine de NEWCOMEN, dcouvrit que celle-ci pouvait tre considra-blement perfectionne. Il breveta en 1769 la premire vritable machine vapeur,et y apporta par la suite de multiples amliorations.

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    Toutes ces expriences et ralisations sinterprtent aujourdhui comme des trans-formations en chaleur dune nergie mcanique ou chimique, ou inversement. Pour-tant, lpoque, en labsence du concept dnergie, on considrait gnralementla chaleur comme lun des quatre fluides impondrables , appel calorique, ct de la lumire, de llectricit et du magntisme. Ce calorique pouvait impr-gner les corps matriels pesants et se conservait lors des transformations deceux-ci. Une telle conception du calorique en tant que fluide conserv tait encorerpandue jusque vers 1840, malgr les expriences de RUMFORD et malgr la gn-ralisation des machines vapeur. Afin de progresser, il fallait mieux explorer lesproprits de la chaleur et comprendre sa nature. Lhistoire de cette qute, diffi-cile, qui stendit tout au long du XIXe sicle, fait lobjet du passionnant ouvrage,The Kind of Motion We Call Heat [3]. Nous la rsumons dans les deux paragraphesqui suivent.

    NAISSANCE DE LA THERMODYNAMIQUE

    Au cours de la premire moiti du XIXe sicle, les dcouvertes se sont succdesdans un ordre oppos celui que nous estimons actuellement logique ou pdago-gique. Cest ainsi quavec les tudes de FOURIER sur la propagation de la chaleur,la notion de flux dnergie, qui sous-tend la dynamique des processus irrversi-bles, est apparue une cinquantaine dannes avant celle dnergie, pourtant plussimple puisquelle concerne lquilibre. Il est vrai que, pour ce problme, le fluxdnergie pouvait encore sinterprter comme un flux de calorique