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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 | 1 L’écologie politique, de la critique de la technologie à la constitution d’un véritable projet politique Sébastien BARON, Arnaud DIEMER, Maryvonne GIRARDIN Observatoire des représentations du développement durable (OR2D) Université Blaise Pascal, ESPE Clermont-Auvergne La prise en compte des enjeux écologiques a suscité à la fin du XX ème siècle deux orientations majeures. La première orientation considère que l’homme fait partie de la nature, laquelle, loin d’être donnée, est un construit. Par son activité (notamment industrielle), l’homme fût cependant amener à transformer et à détruire son environnement. C’est pourquoi l’écologie industrielle d’Erkman Suren (1994, 1998, 2001, 2004) prône une remise en cause du modèle de développement des économies industrielles en s’appuyant sur la notion d’écosystème industriel. Dans un article intitulé « Des stratégies industrielles viables », Robert Frosch et Nicolas Gallopoulos (1989), tous deux responsables de la Recherche chez General Motors, rappellent que « dans un système industriel traditionnel, chaque opération de transformation, indépendamment des autres, consomme des matières premières, fournit des produits que l’on vend et des déchets que l’on stocke. On doit remplacer cette méthode simpliste par un modèle plus intégré : un écosystème industriel » (1989, p. 106). Cet écosystème industriel doit fonctionner comme un écosystème biologique, c'est-à-dire en circuit fermé. La seconde orientation condamne les méfaits de l’action humaine sur la nature et vise à réagir à la surcroissance en prônant une croissance zéro, voire une décroissance. Réunis sous la bannière de la dissidence ou d'une approche hétérodoxe du développement (soutenable), ces tenants de l'écologie politique ont forgé un véritable programme « politique » soucieux de réconcilier l'écologie et l'économie. Notre article cherchera à présenter les thèses et à préciser la portée des messages véhiculés par ce que l'on a coutume d'appeler l’écologie politique (Dannequin, Diemer, Vivien, 1999). Cette expression associant une discipline, l’écologie, à un qualificatif, « politique », avait amené Catherine et Raphaël Larrère (1997, p. 298) à émettre un doute sur son avenir: « La prétention d’élaborer une écologie politique est, de surcroît excessive… Elle est loin de parvenir à l’élaboration d’une nouvelle synthèse… ». Il faut dire que cette association symbiotique n’est pas sans rappeler ce que l’on avait coutume d’appeler l’économie politique au 19 e siècle. L’économie avait alors noué un dialogue avec la philosophie morale et politique au point de constituer aux yeux de certains, une science morale (Sen, 1999). Peut on considérer qu’au même titre que l’économie politique, l’écologie politique nous invite à renouer le dialogue avec la

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Colloque « Penser l’écologie politique : sciences sociales et interdisciplinarité », 13 – 14 janvier 2014, Université Paris 7 |

1

L’écologie politique, de la critique de la technologie à la constitution d’un véritable projet politique

Sébastien BARON, Arnaud DIEMER, Maryvonne GIRARDIN

Observatoire des représentations du développement durable (OR2D) Université Blaise Pascal, ESPE Clermont-Auvergne

La prise en compte des enjeux écologiques a suscité à la fin du XXème siècle deux

orientations majeures. La première orientation considère que l’homme fait partie de

la nature, laquelle, loin d’être donnée, est un construit. Par son activité (notamment

industrielle), l’homme fût cependant amener à transformer et à détruire son

environnement. C’est pourquoi l’écologie industrielle d’Erkman Suren (1994, 1998,

2001, 2004) prône une remise en cause du modèle de développement des économies

industrielles en s’appuyant sur la notion d’écosystème industriel. Dans un article

intitulé « Des stratégies industrielles viables », Robert Frosch et Nicolas Gallopoulos

(1989), tous deux responsables de la Recherche chez General Motors, rappellent que

« dans un système industriel traditionnel, chaque opération de transformation, indépendamment des autres, consomme des matières premières, fournit des produits que l’on vend et des déchets que l’on stocke. On doit remplacer cette méthode simpliste par un modèle plus intégré : un écosystème industriel » (1989, p. 106). Cet écosystème industriel doit

fonctionner comme un écosystème biologique, c'est-à-dire en circuit fermé. La

seconde orientation condamne les méfaits de l’action humaine sur la nature et vise à

réagir à la surcroissance en prônant une croissance zéro, voire une décroissance.

Réunis sous la bannière de la dissidence ou d'une approche hétérodoxe du

développement (soutenable), ces tenants de l'écologie politique ont forgé un véritable

programme « politique » soucieux de réconcilier l'écologie et l'économie.

Notre article cherchera à présenter les thèses et à préciser la portée des messages

véhiculés par ce que l'on a coutume d'appeler l’écologie politique (Dannequin,

Diemer, Vivien, 1999). Cette expression associant une discipline, l’écologie, à un

qualificatif, « politique », avait amené Catherine et Raphaël Larrère (1997, p. 298) à

émettre un doute sur son avenir: « La prétention d’élaborer une écologie politique est, de surcroît excessive… Elle est loin de parvenir à l’élaboration d’une nouvelle synthèse… ». Il

faut dire que cette association symbiotique n’est pas sans rappeler ce que l’on avait

coutume d’appeler l’économie politique au 19e siècle. L’économie avait alors noué un

dialogue avec la philosophie morale et politique au point de constituer aux yeux de

certains, une science morale (Sen, 1999). Peut on considérer qu’au même titre que

l’économie politique, l’écologie politique nous invite à renouer le dialogue avec la

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philosophie morale et politique ou faut-il y voir plutôt la présence d’un véritable

projet politique pour l’écologie ?

Pour répondre à ces questions, nous procéderons en quatre temps, lesquels

correspondent à quatre étapes successives qui marquent le passage de l’écologie

politique d’une simple démarche à un véritable courant de pensée. La première étape

vise à resituer l’écologie politique parmi les écologies. L’écologie politique prend les

traits d’une défiance vis à vis de la technique et de la croissance illimitée formulée

par nombre d’économistes mais également de politologues, de sociologues et

d’écologues. Cette défiance est clairement introduite par Barbara Ward et René

Dubos dans le rapport du groupe d’experts de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement Humain (1971). Elle sera également régulièrement évoquée par des

auteurs tels que Bertrand de Jouvenel (1957), Jacques Ellul (1951, 1971) Rachel

Carlson (1965), Barry Commoner (1971), Ivan Illich (1973), André Gorz (1975),

Nicholas Georgescu-Roegen (1976), René Passet (1977, 1979)... Tous ces auteurs

prônent le ré-encastrement de l’économie dans l’écologie. La deuxième étape amène

les dissidents de la première heure à proposer une nouvelle conception de la science.

La théorie sous-jacente se situe au carrefour de la vision thermodynamique et

biologique du monde (Dannequin, Diemer 1998, 1999). La thermodynamique parce

qu’elle nous démontre que les ressources naturelles s’épuisent irrévocablement

(Georgescu-Roegen, 1971), la biologie parce qu’elle nous révèle la vraie nature du

processus économique (Georgescu-Roegen, 1977). Finalement la bioéconomie (NGR,

1975, Passet, 1971, 2011) propose une refondation de la science économique. La

troisième étape développe une dimension à la fois normative et positive qui fait

définitivement basculer l’écologie politique dans le giron des courants de pensée.

L’écologie politique est incarnée par de véritables programmes politiques souhaitant

rompre avec la logique productiviste du capitalisme moderne. La convivialité d'Ivan

Illich (1973), la décroissance de Nicholas Georgescu-Roegen (1975), le programme de

restructuration écologique d'André Gorz (1991), la sobriété heureuse de Pierre Rabhi

(1991), le programme des 8 R (réévaluer, reconceptualiser, restructurer, redistribuer,

relocaliser, réduire, réutiliser, recycler) de Serge Latouche (2006) se proposent tous de

réagir à la "surcroissance économique", incompatible avec les ressources finies de la

planète. La quatrième et dernière partie, associe l’écologie politique à une science

sociale, incarnée par des actions collectives et politiques. Les travaux de Deléage

(2010), Jin (1993, 2010) ou Lipietz (2012) ont associé l’écologie politique à une

véritable programme d’actions politiques et un nouveau paradigme cognitif (et non

moral) susceptible de reprendre le contrôle de l’économie. Par ce dernier point, nous

chercherons à mettre en lumière les traits principaux de l’écologie politique

« moderne » et à préciser en quoi ce programme est dans la continuité ou en rupture

avec celui initié dans les années 70. La maîtrise de notre destinée passe peut être par

l’émergence d’une technologie plus éco-citoyenne.

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L’écologie politique, une contestation du système capitaliste via

sa croissance illimitée et sa technologie aliénante

Dans son ouvrage intitulé Ainsi va le monde, Maurice Strong, Secrétaire général de la

conférence de Stockholm (1972), rappelle que « c’est à la fin des années 1960 que le terme environnement a pris son sens moderne, c’est à dire qu’il est apparu comme un sujet de préoccupation et un véritable enjeu pour les pays industrialisés. La question environnementale provenait en majeure partie des mouvements de conservation de la nature ». (2001, p. 89). Ces mouvements lançaient régulièrement des appels publics

sur la nécessité de préserver les ressources naturelles et de protéger les parcs et les

réserves. C’est durant cette période que les Nature Writers, notamment Rachel

Carlson et Barry Commoner, lancèrent de véritables cris d’alarme (DDT pour l’une,

Strontium 90 dans les dents de lait des enfants pour l’autre) sur la santé de la planète.

` Le livre de Rachel Carson, Silent Spring, paraît en 1962. Aux dires d’Al Gore, cet

ouvrage a semé « les graines d’un nouveau militantisme, qui est devenu l’une des plus grandes forces populaires de tous les temps1 » (2012, p. 12). En osant s’attaquer aux

puissantes industries chimiques et aux conséquences néfastes de leur produit, le

DDT, Rachel Carson a mis la science au service d’une cause : celle d’étudier le plus

objectivement possible l’impact des pesticides sur le monde vivant et de proposer

ainsi une vision plus écologique de notre planète : « L’une des caractéristiques les plus fâcheuses du DDT et des produits similaires est leur façon de passer d’un organisme à l’autre, en suivant la chaîne de l’alimentation. En voici, un exemple : un champ de luzerne est traité au DDT ; cette luzerne est donnée à des poules ; les œufs pondus par ces poules contiennent du DDT. Autre exemple : du foin contenant un résidu de 7 à 8 parts de DDT par million est donné à des vaches ; le lait de ces bêtes contiendra environ 3 parts de DDT ; le beurre fait avec ce lait en retiendra jusqu’à 65 ! Ainsi, par l’effet de ces transferts, une concentration initialement faible peut devenir considérable » (1962, [2012, p. 43]).

Le livre de Barry Commoner, The Closing Circle, paraît quant à lu en 1971. Cet

ouvrage eut également un retentissement considérable aux Etats Unis. Les lois de

l’écologie ont eu une influence considérable sur plusieurs générations

d’écologues. La première loi stipule que « Toutes les parties du complexe vital sont interdépendantes » (1971, [1972, p. 35]). Il importe donc de développer une approche

en termes de systèmes, qui s’appuie sur des principes cybernétiques, c’est-à-dire des

boucles de rétroaction, positives ou négatives. La 2ème loi de l’écologie précise que

« la matière circule et se retrouve toujours en quelque lieu » (1971, [1972, p. 41]). Il est ici

question des cycles biogéochimiques et des éléments (carbone, azote, phosphore,

soufre, etc.) qui traversent les systèmes écologiques, passant de l’environnement aux

1 Dans la troisième rive, Ignacy Sachs (2007, p. 247) précise que pour quelqu’un dont la problématique de l’environnement était plutôt étrangère, il avait lu « comme tout le monde, Les Racines du Ciel de Romain Gary et Le Printemps Silencieux de Rachel Carlson ».

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organismes vivants et des organismes à l’environnement. La troisième loi rappelle

que « la nature en sait plus long » (1971, [1972, p. 42]). Les hommes doivent ainsi user

de beaucoup de précaution et de prudence avec ce qu’ils rejettent dans la nature.

Enfin la quatrième loi indique qu’« il n’y a pas, dans la nature, de don gratuit » (1971,

[1972, p. 46]). Cette loi a valeur d’avertissement, elle souligne le fait que tout profit

doit avoir une contrepartie et qu la crise de l’environnement est un prix à payer pour

celui qui ne chercherait pas à préserver la nature.

C’est dans ce cadre de réflexion qu’il convient de positionner l’écologie politique.

Cette dernière s’inscrit dans le prolongement des thèses de Carlson et Commoner, à

un détail prés, elle se présente surtout comme un vaste mouvement contestataire2 vis

à vis des méfaits du système capitaliste (à savoir la croissance illimitée et le mythe de

la technologie) et de l’évolution de la société en général (Diemer, 2011). L’écologie

politique est née au début des années 70, à la suite des travaux de véritables

pionniers3 (De Jouvenel, Ellul, Illich, Gorz)…) mais également de rapports (CNUED,

Meadows, A Blueprint of Survival) qui ont dès 1972 posé la question

environnementale.

Fig 1 : La longue ascension de l’écologie politique

2 Dans un dossier paru dans l’Observateur (1972) et intitulé « Ecologie et révolution », André Gorz note que « l’écologie est une discipline foncièrement anticapitaliste et subversive ». 3 Les auteurs renvoient leurs lecteurs à l’excellent numéro d’Ecologie & Politique « Penser l’écologie politique en France au XXe siècle » (vol 44, 2012).

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Ecologie profonde Deep Ecology (1950 – 1965)

Rachel Carlson (Silent Spring, 1962)

Arne Naess (1955, 1957, 1958, 1960, 1964)

Barry Commoner ( Science and Survival,1963

Closing Circle, 1971)

RAPPORT MEADOWS 1972

CONFERENCE DE STOCKHOLM (1972)

Georgescu-Roegen (1971, 1974), Entropy Law

Passet (1971, 1979) L’économie et le vivant

Bioéconomie

Illich (1971, 1973), Libérer l’avenir, la convivialité)

Schumacher (1973) Small is beautiful

ECODEVELOPPEM ENT (Strong, Sachs)

RAPPORT BRUNDTLAND (1987)

SOMMET DE RIO (1992)

RIO + 20 (2012)

DEVELOPPEMENT DURABLE

Ecologie politique Georgescu-Roegen, 1995 Latouche, 2006, 2007, 2011 Caillé, Villeret, 2011 Rabhi, 2010, Passet, 2010

Décroissance, abondance frugale,

sobriété heureuse, bien vivre, convivialité

Ecologie industrielle (Frosch, Gallopoulos, 1989), Erkman (1998)

Ecosystème, Métabolisme, symbiose industriels, éco-conception, éco-efficience

Nature Writers

RAPPORT PALEY (1952)

RAPPORT DUBOS WARD (1972)

BLUE PRINT SURVIVAL Goldsmith-Allen (1972)

Ecologie industrielle et territoriale (Buclet, 2011, Beaurain, Brullot, 2011)

Bertrand de Jouvenel (1957, 1970, 1976) Ecologie Politique

Jacques Ellul (1954, 1977, 1988, la technologie)

Projet politique Jin (1993), Gorz (2000) Deléage ( 2010) : reprendre le contrôle de l’économie

Journal of Environmental Economics and Managment (1970)

Ecological Economics (1980)

Journal of Industrial Ecology (1990)

Le travail pionnier de Bertrand de Jouvenel (1957, 1970, 1976)

Si de nombreux travaux (Bourg, 1996 ; Rens, 1996 ; Passet, 2012) ont mis en lumière la

genèse de l’écologie politique, ils ont par la même occasion rappeler que Bertrand de

Jouvenel (1957) a été l’un des pionniers de ce nouveau courant de pensée (Dard,

2012). Franck-Dominique Vivien (2007, p. 68) note que ce sont ses réflexions qui ont

permis aux économistes de prendre conscience de la question environnementale.

Nous faisons ici référence à l’article « De l’économie politique à l’écologie politique »,

présenté par Bertrand de Jouvenel à une conférence internationale sur la croissance

économique qui s’est tenue à Tokyo, puis réédité dans son ouvrage La puissance de la civilisation (1976). Les propos préliminaires de Jouvenel méritent que l’on s’y attarde

quelque peu : « à cette date cet exposé surprit et choqua, et cela alors que je m’adressais à des économistes de tout premier ordre, pour lesquels j’avais et j’ai grande estime. Simplement nous ne regardions pas les mêmes aspects des choses » (1957, [1976, p. 50)]. Dans les

premières lignes de sa communication, Bertrand de Jouvenel revient sur l’évolution

de la science économique, celle-ci serait passée d’un discours sur la spécialisation du

travail, le fonctionnement des marchés et le retour à l’équilibre à une analyse de la

croissance économique. Si la discipline semble avoir d’autres préoccupations, ce qui

interpelle Bertrand de Jouvenel, c’est la capacité de la science économique à

comprendre la société moderne.

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Pour l’auteur, le principal grief tient en quelques mots, le concept de croissance

économique, appréhendé par le Produit national (net), réduit la plupart des choses à

un dénominateur commun, la monnaie. Or le raisonnement monétaire laisse de côté

une question cruciale, celle des obstacles naturels à l’obtention des quantités

physiques nécessaires pour atteindre les niveaux de croissance désirés. Bertrand de

Jouvenel s’appuie ici sur le rapport Paley (1952), Resources for Freedom, rapport

adressé en plein guerre froide au président Truman par the President’s Materials Policy Commission. Si ce rapport recommande au gouvernement américain de recourir

à la production de pays alliés pour conserver un approvisionnement régulier et

durable en matières premières, Jouvenel préfère insister sur le poids physique des

produits primaires dans la consommation par tête aux Etats Unis.

Cet exemple lui permet de souligner une lacune des modèles économiques, la

simplification de la fonction de production à deux facteurs, le travail et le capital. Si

cette présentation a l’avantage de permettre le calcul des productivités4 marginales

respectives des deux facteurs (et de faire apparaître des effets de substitution ou de

complémentarité), elle a « l’inconvénient majeur de faire croire que le flux des biens offerts pour la satisfaction des hommes ne dépend que de l’effort humain, dans une parfaite indépendance à l’égard du milieu naturel » (1957, [1976, p. 55-56]). En outre, elle n’offre

qu’une conception limitée des biens (combinaison technique de travail et de capital

permettant de produire un ensemble de produits). C’est pourquoi Bertrand de

Jouvenel propose que l’instruction économique soit toujours précédée d’une

instruction écologique : « Avant de parler de l’organisation des hommes pour l’obtention des biens, il faudrait montrer que ces biens sont obtenus à partir de l’environnement naturel et que, dès lors, l’organisation dont il s’agit est essentiellement une organisation pour tirer parti de l’environnement » (ibid). Même si la nature disparaît derrière le travail et la

capital, le fonctionnement des organismes biologiques nous enseigne, d’une part, que

la dépense d’énergie (le travail) doit toujours être compensée par des apports

d’énergie, (or ceux-ci proviennent toujours du milieu naturel), et d’autre part, que

toute forme de vie est nécessairement exploitation du milieu (c’est le cas d’une

civilisation).

Si les économistes n’arrivent pas à percevoir ces phénomènes (naturels), c’est qu’ils

continuent à être fascinés par le concept de productivité, au point de ne plus savoir

ce que l’on met derrière le terme capital - « La préoccupation aujourd’hui dominante est celle de la productivité, terme qui désigne le rapport de la production obtenue à l’input de travail humain. On sait que cette productivité croît avec l’input de capital, mais on évite trop

4 Bertrand de Jouvenel note que les économistes sont fascinés par le concept de productivité, au point de ne plus savoir ce que l’on met derrière le terme capital : « La préoccupation aujourd’hui dominante est celle de la productivité, terme qui désigne le rapport de la production obtenue à l’input de travail humain. On sait que cette productivité croît avec l’input de capital, mais on évite trop souvent de préciser si par capital, on entend ici tous les facteurs autres que le travail direct ou seulement, comme il est plus convenable dans ce contexte, les moyens de production reproductibles par le travail » (1957, [1976, p. 64]).

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souvent de préciser si par capital, on entend ici tous les facteurs autres que le travail direct ou seulement, comme il est plus convenable dans ce contexte, les moyens de production reproductibles par le travail » (1957, [1976, p. 64]) – ou de ne plus saisir la véritable

finalité d’un modèle économique : « Dans un système économique clos, l’effectif agricole optimal est celui qui produit la quantité de vivres désirée, et non pas celui qui déploie la plus forte productivité » (1957, [1976, p. 66]). Cette fascination pour la productivité aurait

même mystifié l’exemple anglais et la révolution industrielle. Bertrand de Jouvenel

note fort justement que la puissance économique et industrielle de l’Angleterre ne

saurait s’expliquée uniquement par l’innovation et la productivité des facteurs de

production. Le développement de l’économie britannique reposait en grande partie

sur son commerce maritime, capable de puiser dans le monde entier, les produits

primaires désirés : « L’Angleterre a été la grande provocatrice d’exportations primaires de la part des autres pays, finançant le développement des sources et des moyens d’enlèvement, n’ayant jamais aucune difficulté de paiement à cause que ses produits manufacturés étaient demandés dans le monde entier » (1957, [1976, p. 68]).

Cela étant, Bertrand de Jouvenel reste lucide, si la hausse de la productivité

(l’économie de travail) constitue le nouvel eldorado du système capitaliste, c’est

l’arbre qui cache la forêt. Le vrai problème, c’est la croissance exponentielle de la

population des machines. Ces machines ont un taux de reproduction élevé

(importance des investissements) et des exigences alimentaires croissantes (elles

exigent toujours plus de matières et d’énergie). Face à ce besoin insatiable, l’auteur

ne voit pas comment stopper une évolution aux conséquences si inéluctables : la

destruction des conditions de la vie humaine : « Continuant à considérer les machines comme une population, nous dirons de cette population qu’elle présente aujourd’hui une prodigieuse inégalité de densité dans le monde, que cette inégalité ira se réduisant tandis que la densité s’accroîtra partout. A l’accroissement de cette densité, on ne voit guère d’obstacles, vu que la machine se nourrit de matières mortes qui sont en abondance dans la croûte terrestre (dans les mers aussi qui contiennent tant de sels minéraux) et d’énergie que le soleil fournit en abondance » (1957, [1976, p. 74]).

Au final, Bertrand de Jouvenel suggérera de s’appuyer sur une histoire écologique

des civilisations afin de mieux appréhender le devenir de nos sociétés. Un système

de pensée, constitué autour de l’économie du travail (course à la productivité), du

désintérêt des ressources naturelles et de la maximisation du produit national, n’est

pas viable. Une longue marche vers l’écologie est nécessaire, cette dernière devra

réexaminer notre rapport à la nature. Dans son ouvrage « la civilisation de la puissance, Bertrand de Jouvenel (1976) reviendra sur cette question. Il note que la

nature joue deux rôles dans la vie humaine. L’un d’utilité, la nature constitue la

condition matérielle de notre existence, elle est « une servante, et combien exploitable »

(1976, p. 79). L’autre de sentiment, la nature est une compagne et c’est là un autre

rapport avec la nature. Or notre civilisation a toujours été brutale avec la Nature. Le

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rapport Paley (1952) évoqué précédemment, avait mis l’accent sur les incidences en

prélèvements sur la Nature du modèle américain. La panique d’achats de stockage

occasionnée en 1950 par la peur d’une guerre générale avait provoqué un

renchérissement des prix des produits primaires. Cependant, rappelle Bertrand de

Jouvenel, lorsque le rapport parut, « les prix étaient retombés, la cherté monétaire avait disparu et le thème était passé de mode » (1976, p. 80). Personne ne s’était alors penché

sur les conséquences d’une diffusion du modèle américain à l’ensemble des pays

développés et en développement (diffusion incarnée par l’ouvrage de Rostow, les étapes de la croissance économique, 1960). Il faudra attendre près de vingt ans pour que

le thème de l’environnement réapparaisse sous les traits du rapport Meadows (1972).

Ce rapport produit par le Club de Rome (dont Bertrand de Jouvenel fût un membre

fondateur) et qui tablait sur un scénario associant une pénurie des principales

matières premières à une croissance démographique galopante et une pollution

généralisée, a profondément marqué l’opinion publique. Le premier choc pétrolier et

l’envolée des prix des matières premières constitueront pour beaucoup une

illustration de ce scénario.

Ellul et la technologie aliénante

Dans un article intitulé « Aux sources de l’écologie politique : le personnalisme gascon de Bernard Charbonneau et Jacques Ellul » et paru dans les Annales canadiennes d’histoire

(1992), Christian Roy avance que c’est sous la plume de ces deux protagonistes qu’on

retrouve à cette époque « la première conception complète d’une écologie politique conçue en opposition à l’ensemble des idéologies de la société industrielle, qu’elles soient libérales ou totalitaires, comme le projet d’une éthique de la liberté5 » (1992, p. 71). Ce sentiment est

partagé par Frédéric Rognon (2012) qui les classent dans le mouvement de l’écologie

radicale. Si les travaux de Charbonneau6 sont peu connu du grand public (voir même

du monde de la recherche), ceux de Jacques Ellul ont franchi les frontières de

l’hexagone et ont été largement commentés Outre-Atlantique. Dans ses Entretiens avec Jacques Ellul (1994, p. 182), Patrick Chastenet reprenant les paroles de son maître,

a résumé l’essentiel de ses travaux sur la technique : « Je dirais que j’ai essayé de montrer comment la technique se développe de façon indépendante, en dehors de tout contrôle humain. Dans son rêve prométhéen, l’homme moderne croyait pouvoir domestiquer la nature, il n’a fait que se créer un environnement artificiel plus contraignant encore. Il pensait se servir de la technique alors que c’est lui la sert. Les moyens sont érigé en fins et la nécessité en vertu. Nous sommes conditionnés de telle façon que nous adoptons immédiatement toutes les

5 Ellul (1975). 6 Voir le Jardin de Babylone (1969) dans lequel Charbonneau explique que la Nature est « une invention des temps modernes » et Le Feu vert (1980) dans lequel il présente les origines socio-historiques et les enjeux éthiques du mouvement écologique.

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techniques nouvelles sans nous interroger sur leur éventuelle nocivité. L’inquiétant n’est pas la technique, en soi, mais notre attitude à son égard ».

Profondément influencé par l’analyse du capitalisme de Karl Marx, Jacques Ellul

considérait que le pouvoir et la capacité de reproduction de la valeur n’étaient plus

liés au capital mais à la technique. Dans son ouvrage La technique ou l’enjeu du siècle

(1954), Ellul pose clairement les objectifs qu’il s’est fixés : il s’agit de « transcrire, de traduire, de transmettre, au moyen d’une analyse globale une prise de conscience, à la fois concrète et fondamentale, du phénomène technique » (1954, Avertissement). Ellul précise

dès les premières lignes de son ouvrage que la technique ne doit pas être confondue

avec la machine : « Qui voit technique pense spontanément machine. Et l’on considère toujours notre monde comme celui de la machine… Cela vient de ce que la machine est la forme primitive, ancienne, historique de cette force » (1954, p. 1). Si la technique a

effectivement pris son point de départ dans l’origine de la machine, elle a fini par

dépasser largement le cadre strict du machinisme pour pénétrer les consciences. De

ce fait, elle a changé de statut et cessé d’être associée à une fonction de production.

Elle s‘est émancipée et a échappé même au contrôle de l’homme : « lorsque la technique entre dans tous les domaines et dans l’homme lui-même qui devient pour elle-même un objet, la technique cesse d’être elle-même l’objet pour l’homme, elle devient sa propre substance, : elle n’est plus posée en face de l’homme, mais s’intègre en lui et progressivement l’absorbe » (1954, p. 4). La technique forme ainsi un monde dévorant qui obéit à ses

propres lois. Il ne s’agit pas de trouver la meilleure formule parmi tant d’autres, mais

bien le moyen supérieur dans l’absolu. Ainsi le progrès technique commande la

totalité de l’évolution économique, non seulement les opérations de production, mais

également les opérations de répartition, le mécanisme des prix, le commerce

extérieur… Les conséquences en matière de croissance économique sont réelles, nous

serions passés d’une croissance réflexive, inconsciente ou instinctive à une croissance

rationnelle, intelligente ou consciente7 (Guitton, 1951). L’économie politique, en tant

que discipline n’échappe pas à cette emprise tentaculaire : « malgré les efforts récents des économistes pour distinguer science et technique économique, pour définir et placer des barrières, nous montrons que c’est la technique économique qui forme aujourd’hui la matière même de la pensée économique » (1954, p. 7). L’économie politique a quitté le domaine

de la science morale pour embrasser celui de la technique, illustrée par les recherches

(modèles, équations comptables et mathématiques, statistiques) et les applications en

microéconomie et en macroéconomie ; les interventions de l’Etat (planification)…

Selon Ellul, plus la technique économique se développe, plus elle fait rentrer dans la

réalité la notion abstraite de l’homme économique : « La transformation de la loi

7 Jacques Ellul distingue l’opération technique (tout travail réalisé avec une certaine méthode pour atteindre un résultat) du phénomène technique ( c’est le produit d’une double intervention, celle de la conscience et celle de la raison). Selon lui, c’est ce dernier qui constitue l’essence même de la technique, qui « fait passer dans le domaine des idées claires, volontaires et raisonnées ce qui était du domaine de l’expérimental, inconscient et spontané » (1954, p. 18).

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naturelle en loi technique s’accompagne du modelage de l’homme, de son adaptation, de sa cohérence à l’évolution. Au libéralisme économique répond l’individualisme social. Au planisme répond l’homme économique » (1954, p. 198). Ainsi l’homme se modifie

lentement sous la pression plus pesante du milieu économique « jusqu’à cet homme d’une minceur extrême que l’économiste libéral fait entrer dans ses constructions » (1954, p.

199). Sa vie entière est devenue fonction de la technique économique.

Ellul en déduit que la technique crée un monde unitaire nouveau. Ce monde qui s’est

construit entre la nature et l’homme, s’est tellement développé et autonomisé que

l’homme a définitivement perdu contact avec le cadre naturel et qu’il n’a plus de

relations qu’avec ce système organisé : « enfermé dans son œuvre artificielle, l’homme n’a aucune porte de sortie, il ne peut la percer pour retrouver son ancien milieu, auquel il est adapté depuis tant de milliers de siècles » (1954, p. 389). Nous cessons ainsi d’être

indépendants, nous sommes étroitement impliqués par cet univers technique,

conditionnés par lui : « Nous ne pouvons plus poser d’un côté l’homme, de l’autre l’outillage. Nous sommes obligés de considérer comme un tout « l’homme dans l’univers technique » (1965, p. 381). Dans un article intitulé Plaidoyer contre la défense de l’environnement (1972), Jacques Ellul en conclut que le problème environnemental

devient d’une extrême complexité. Le milieu naturel est remis en question par un

développement non pas anormal, mais normal de la technique, non pas un abus et

un mauvais usage des moyens, mais par leur simple naissance. D’une certaine

manière, l’homme ne vénère plus la nature, mais ce qui la profane, la pollue ou la

souille, la technique : « Toute se passe comme s’il y avait deux ordres de phénomènes parallèles et sans communication, se développant sans référence l’un à l’autre : d’un côté la croissance technique avec ses exigences ; de l’autre la protection de l’environnement » (1972,

p. 7). Les conséquences de cette sacralisation ne sont pas uniquement

environnementales, elles sont également psychologiques puisqu’elles se traduisent

par un sentiment d’addiction envers la technique.

Dans le Système technicien (1977) et le bluff technologique (1988), Ellul n’hésitera pas à

présenter la technique comme le facteur déterminant de la société, un facteur plus

important que le politique et l’économie. Depuis 1850, les relations de l’Homme et la

Science ont été marquées par les cinq périodes suivantes. D’abord, le scientisme

domine jusque vers 1900, puis décroit légèrement avec la première guerre mondiale.

Les responsabilités meurtrières n’incombent pas forcément à la Science mais plutôt

aux mondes économique et politique. Jusque vers 1945, l’auteur voit une

réorientation de l’idéologie de la Science vers le Bonheur. « C’est le moment où se développe la théorie selon laquelle lorsque la consommation est abondante, les régimes de dictature deviennent impossibles et on tend vers la démocratie » (Ellul, 1988, p. 326). Puis

pendant une trentaine d’année, c’est une sorte de crise qui s’installe partagée par les

scientifiques eux-mêmes. Les mystères à résoudre se complexifient et le lien étroit

entre Science et Technique se construit petit à petit. Cette dernière apparaît comme

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étant aux services des puissances. C’est l’idéologie de la Toute Puissance de la

Science, où les politiques seraient des garde-fous contre toute dérive négative. A

partir de 1975, la frontière entre Science et Technique devient ténue. La dépendance

de l’homme à la technique nait, portée par l’essor rapide de l’informatique. Le

monde de l’éducation, encouragé par le politique, s’engouffre dans cette voie, ce qui

désole Ellul : « On ne se rend seulement pas compte que c’est précisément en faisant de ces jeunes des scientifiques avant tout, que l’on transforme un possible ou une tendance en fatalité inéluctable ! ». (Ellul, 1988, p.339).

La Science devient aussi une réponse salutaire à des dangers et autres craintes

clairement identifiés mais aussi universalisés. Certes l’homme est fasciné par les

possibilités que lui offre la Technique, mais au sein de la communauté scientifique

une forme de résistance apparaît afin de faire une pause dans l’accélération des

découvertes et innovations et de se questionner sur les enjeux et conséquences. Dans

le même temps, la société se métamorphose pour devenir une société du rêve, où la

production d’information devient plus importante que la production de biens

matériels. Ellul appuie très souvent son argumentaire sur le fait que l’homme se situe

aux intersections de réseaux très complexes, et donc justifie une difficulté à pouvoir

se repérer, comprendre, décider. « Ce n’est plus l’homme qui peut décider et vouloir, il s’en remet à la science bénéfique en laquelle il croit ». (Ellul, 1988, p. 345). Le milieu dans

lequel il vit, voit ses mécanismes naturels se dérégler qu’il faut remplacer par des

mécanismes techniques : « […] jusqu’ici les difficultés rencontrées sont de l’ordre naturel, mais avec le mécanisme de remplacement elles seront techniques […] » (Ellul, 1977, p.60).

Le Système technicien constitue le cadre de réflexion d’Ellul. Système parce qu’il

est structuré autour d’un réseau d’interrelations entre chaque élément interne

constitutif. Les évolutions d’un ou plusieurs éléments modifient le système dans son

ensemble et inversement d’où une dynamique du système. Les éléments internes

préfèrent se combiner entre eux et engendre de fait une sorte de résistance aux

influences extérieures même si elles jouent un rôle particulier dans l’évolution de ce

système. Enfin le rôle des feed-back est primordial dans les possibilités qu’à le

système pour s’autoréguler, s’auto corriger, mais aussi dans l’influence avec des

systèmes extérieurs. Ce concept de système technicien décrit une part importante du

réel tout en reconnaissant l’incertitude qui en est liée : « […] le système technicien n’est pas achevé : il n’est pas clos, il n’est pas un système évoluant par sa seule et unique logique interne : il comporte une grande marge d’aléa » (Ellul, 1977, p. 89).

La notion d’incertitude occupera par la suite une place importante dans les

travaux d’Ellul, elle apparaît même central dans son ouvrage, le Bluff technologique

(1988). Ellul la décline sous la forme de quatre rubriques.

L’ambivalence : il conteste le propos classique que la technique peut-être bonne ou

mauvaise, mais qu’au final tout dépendrait de l’usage que l’on en fait. En fait, la

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situation est bien plus complexe puisque le développement de la technique se

construit autour d’éléments positifs et négatifs, impossible à dissocier. Et dans cet

univers, « tout progrès technique se paie » (Ellul, 1988, p. 97), et « soulève des problèmes plus difficiles que ceux qu’il résout » (Ellul, 1988, p. 110), où « les effets néfastes sont inséparables des effets positifs (Ellul, 1988, p. 124). A ce stade Ellul s’interroge sur le défaut de prise de conscience par la majorité. Compte tenu de cette ambivalence

marquée qui laisse au jour des aspects fortement négatifs, pourquoi « se précipite-t-

on dans le progrès technique sans réserve ? » (Ellul, 1988, p. 157). A cela il voit

plusieurs explications comme le décalage dans le temps entre la perception par le

public des effets positifs (dés le début de l’application) et du constat des effets

mauvais (bien plus tard alors que la majorité a adopté cette application). D’autre

part, ces effets néfastes sont pour la plupart du temps supportés par une frange

minime de personnes au regard de tous ceux qui en profitent positivement. Deux

autres explications à ce défaut de prise de conscience est que « les avantages sont visibles et certains […] et concrets. […] Les inconvénients sont diffus et incertain […] et abstraits. » (Ellul, 1988, p. 159-160). Le trio Technico-Militaro-Etatique, quant à lui, est

un obstacle à l’éveil de cette prise de conscience puisque le développement des

projets s’accompagne très souvent d’investissements trop importants pour pouvoir

être perturbés par des pauses réflexives dés qu’un effet négatif serait soulevé. Que ce

soit pour l’Etat ou les entreprises, le retour sur investissement est conditionné à un

déroulement sans encombre. De fait, il faudrait « accepter d’avance le principe de faire une balance effective entre les avantages et les inconvénients (tous les inconvénients), ceux-ci n’étant pas évalués en argent mais sur le plan aussi bien de structure des groupes sociaux que psychologiques ! Impensable ! » (Ellul, 1988, p.162). Pour lui, cette ambivalence

irrépressible rend vaines et inconséquentes toutes les volontés de démocratisation grâce

aux nouvelles techniques.

L’imprévisibilité : la pensée technicienne n’arrive pas à penser la Technique mais est

plutôt orientée dans le sens des progrès de la technique. C’est une des raisons de

cette imprévisibilité. « La pensée technicienne est toujours incapable de prévoir du nouveau, du véritablement nouveau : elle ne peut prévoir que le prolongement et le perfectionnement de ce qui existe8 » (Ellul, 1988, p. 190). Autre facteur explicatif de l’imprévisibilité est le

changement observé dans la société quant au rapport que l’homme entretient avec le

temps : « L’instantanée devient hégémonique […] » (Ellul, 1988, p. 194). Qu’en est-il alors

de la relation homme-objet ? Ellul reprend des travaux de Chesnaux, selon lequel « il s’est produit une inversion radicale entre le temps de l’usage et le temps de l’élimination » (Ellul, 1988, p.195). L’obsolescence des biens de consommation et leur potentiel de

renouvellement de plus en plus rapide génèrent des masses de déchets pour certains

longs à éliminer. « Cette inversion me parait tout à fait significative et montre comment les

8 Cela rejoint ce qu’il disait dans Le Système technicien : « La technique ne se développe pas en fonction de fins à poursuivre mais en fonction des possibilités déjà existantes de croissance. » (Ellul, 1977, p. 263).

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produits de la technique sont incapables de s’insérer dans les rythmes propres à l’homme, au monde naturel et à sa possibilité d’avenir » (Ellul, 1988, p.195). Cette question du rapport

au temps revêt une importance capitale dans la réflexion Ellulienne, puisqu’il

anticipe « des désordres psychiques » qui s’inscriront dans « la désagrégation des sociétés » (Ellul, 1988, p.196).

Le double feed-back : dans Le Système technicien, ce point était abordé sous l’angle des

capacités qu’aurait le système à pouvoir réparer une erreur commise. Très souvent,

la dynamique reprend après avoir modifié seulement une donnée du système :

« Ainsi le système technicien ne tend pas à se modifier lui-même lorsqu’il développe des encombrements des nuisances, […] cela n’entraine rien que des processus compensatoires »

(Ellul, 1977, p. 126). Pour Ellul, cette impossibilité du système technicien à se

contrôler, se corriger rapidement et en profondeur, confirme qu’il évolue selon sa

propre logique. Cela pourrait changer si le système avait des relations sans

discontinuités avec l’environnement, ce dernier lui donnant des instructions sans

arrêt. « Or, le système technicien ne possède pas un tel système parce qu’il a une domination absolue sur l’environnement […] » (Ellul, 1977, p. 126). Dans Le Bluff Technologique, les

feed-back sont présentés différemment. « […] tout le système technicien est aujourd’hui soumis à ces feed-back qui à la fois le complètent en tant que système mais aussi tendent à le dérégler » (Ellul, 1988, p. 212). Ellul évoque deux types de feed back, les positifs visant

à accentuer les effets des causes originelles (influence des choix politiques qui

encouragent le développement des techniques) et les négatifs qui au contraire les

atténuent. Ceux-là concernent surtout la relation entre la technique et le monde de

l’économie et de la finance. Dans une vision systémique, Ellul avance que « la technique permet la croissance économique. Mais elle exige de l’Economie un effort de financement tellement énorme, que l’Economie réagit pour freiner l’expansion technique en obligeant à des choix » (Ellul, 1988, p.2010). Un des choix à prendre en compte pour

l’auteur est la question des externalités de plus en plus nombreuses et donc « il faut comptabiliser soit les compensations nécessaires, soit les précautions à prendre, soit les recherches pour les substitutions, si l’on veut obtenir le cout réel du produit. » (Ellul, 1988,

p. 211). L’économie joue un rôle de « frein et de butoir » (Ellul, 1988, p. 212).

- les contradictions internes. Elles visent à accroitre les incertitudes au niveau de la

progression technicienne. Le justificatif temporel, souvent avancé pour de

nombreuses innovations technologiques, pose un paradoxe: « Pourquoi gagner du temps si ce temps libéré est vide, et sans signification ? » (Ellul, 1988, p. 215). Par ailleurs,

le système technicien est complexe et sa structure en réseau le fragilise et « la puissance (technicienne), qui engendre la richesse et l’abondance chez nous, est compensée par la pauvreté du tiers-monde. » (Ellul, 1988, p. 234).

D’une manière plus générale, le Système technicien et le Bluff technologique

soulève plusieurs types de problématiques, symbolisant les enjeux que la société doit

relever. Il s’agit tout d’abord du sens que l’on donne au Progrès Technique. Il ne faut

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pas se prendre pour « argent comptant » le postulat selon lequel tout objet technique

évolue au cours du temps. Pour Ellul, il faut surtout concevoir que « le progrès technique ce n’est pas de la technique qui évolue […]. La Technique comporte comme donnée spécifique qu’elle se nécessite pour elle-même sa propre transformation […] elle produit le phénomène de progression. […] c’est la conjonction entre le phénomène technique et le progrès technique qui constitue le système technicien. » (Ellul, 1977, p. 91).

Il convient ensuite de se demander si dans un environnement où l’incertitude est

prégnante, il est pertinent de suivre les technologiques dans leur volonté de

construire une culture technicienne. Pour Ellul, ce n’est pas possible. D’une part,

nous assistons à un empilement de savoirs dont l’accès est certes de plus en plus

facilité mais ne permet pas une mise en relation des savoirs entre eux, et donc d’avoir

une vision globale des tenants et aboutissants des sujets abordés. D’autre part, la

logique économique et commerciale autour de la culture empêche cette construction

tout comme les formes de langages qui se spécialisent d’une sphère à l’autre de la

société. Que dire de l’interrelation avec le citoyen ? « Dés lors, il n’y a aucune communication avec une culture, aucune aptitude à maitriser la technique : le discours commun est impossible » (1988, p.274). Egalement, comment construire une culture

technicienne alors que le temps technique très court s’oppose au temps culturel

humain. En effet, pour Ellul, une culture se construit à partir de la vie quotidienne et

« suppose une réflexion critique sur cette dernière, sur les mœurs, sur les rapports […], réflexion qui suppose une mise à distance de cette vie quotidienne pour l’apprécier et lui donner une forme culturelle. » (1988, p.276). Or durant cette phase de recul et d’analyse,

la technique aura progressé rapidement et ne fournira plus les mêmes repères

technologiques. Il s’agit enfin de s’interroger sur la place de l’Homme dans ce

Système ainsi que sur sa maitrise sur la Technique. Ellul nous rappelle que « nous sommes obligés de considérer comme un tout « l’homme dans l’univers technique » » (1988,

p. 93). L’Homme est « dans le système technique, il est lui-même modifié par le facteur technique » (1977, p. 334). La relation entre l’individu et la technique est fusionnelle,

puisque l’homme qui s’en sert devient de fait à son service, et inversement. Les

hommes sont tellement fascinés par la Technique qu’ils sont animés à la faire

progresser. Il faut également concevoir une forme de plasticité de la matière sociale

et humaine « de façon à se mouler selon les nécessités des nouvelles techniques, et suivre constamment ce progrès » (1977, p. 247). Par ailleurs, la part de la maitrise de l’Homme

sur la Technique est quasi nulle, puisque la plupart des choix sont conditionnés par

des contraintes sociales et économiques et parce que la multiplication des risques

incontrôlables à diverses échelles ne se dément pas. La technique n’est pas neutre,

c’est-à-dire « qu’en tant que système elle évolue en imposant sa logique » (1988, p. 284).

Dans ce contexte, Ellul rappelle les travaux d’Illich sur la convivialité, de Gorz sur

l’inversion des outils. L’Homme doit réinventer la démocratie pour affirmer sa liberté

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et il défend la nécessité d’un accès de l’information à tous afin de permettre que

chacun puisse participer et comprendre les choix de sociétés.

La place de l’Homme et ses moyens d’interventions sur le Système technicien sont

donc à revoir, il apparaît nécessaire de changer les choses dès lors que l’on reconnaît

une responsabilité de la Technique. Ce constat est d’autant plus vrai que dans un

context de finitude des ressource naturelles, la technique aura des conséquences sur

le devenir de nos sociétés. Trois scénarii d’évolution du système technicien sont ainsi

présentés : un blocage volontaire commandité par l’homme lui-même ou un blocage

catastrophique, involontaire, ou bien un freinage progressif. Même si cette dernière

proposition satisferait l’auteur, sa vision est différente. Il imagine « l’accroissement des déséquilibres et des dysfonctionnements à l’intérieur du système qui entrainera non pas un freinage mais un désordre par absence de feed-back qui peut produire une décélération de l’ensemble du système. » (Ellul, 1977, p.292). Dans les années 1970, Ellul affirmait que la

situation était bloquée, et que l’enjeu n’était pas de vouloir se rendre maitre de la

technique, ce qui n’a pas de sens. Par contre, il « s’agit d’être apte à réinsérer dans le système technicien des informations qualitatives externes susceptibles de modifier le processus à son origine […] » (Ellul, 1977, p.129).

Dans ses deux ouvrages, Jacques Ellul propose plusieurs leviers pour rendre le

citoyen acteur de ces changements. Le salut de la civilisation serait alors de penser en

termes de Prévoyance en prenant en compte dans la réflexion sur une nouvelle

technique, le pire scénario possible et accepter que cette situation critique soit belle et

bien du domaine du réalisable : « A partir de là, la Prévoyance devra entraîner des comportements, des institutions, une pédagogie fondés sur la présence du toujours possible accident de grande étendue » (1988, p. 199). La grande mode de vanter les mérites de la

Participation, n’est pas suffisante pour lui. Elle serait contre-productive puisque

l’individu qui y participerait serait « un homme manipulé, éduqué dans le bon sens par les médias, recevant des simulacres d’informations, incompétent sur presque tout » (1988,

p.300). Ellul accorde beaucoup plus de poids à la responsabilisation des acteurs

(politiques et techniciens) en mettant en jeu leur patrimoine personnel, ou leur

éligibilité. Dans ce sens il reprend les fonctionnements des républiques romaines.

Dans cette logique de responsabilisation, Ellul défend l’idée de l’action populaire : « la technique progresse par l’effort de tous » (1977, p. 217). Dés lors, chaque individu est un

citoyen qui doit être capable et en mesure de contrôler les décisions de ses

représentants et qui doit pouvoir attaquer en justice n’importe quelle décision ou

choix politique absurde ou injuste : « Le fait d’être citoyen de ce pays doit être suffisant comme intérêt » (1988, p. 544). Ce serait le fondement nécessaire pour rendre

responsables les dirigeants.

Si Jacques Ellul consacrera la majeure partie de ses travaux à la technologie,

d’autres écologistes ou philosophes reviendront également sur cette question afin de

souligner son action dominante sur l’homme. Dans son ouvrage Les Dieux de

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l’Ecologie (1973), René Dubos, auteur du rapport Only One Earth (1972) revient sur le

triomphe de la technologie : « Il est également facile de voir qu’en devenant plus puissante, chaque technologie a exercé une croissante influence sur la vie humaine, et a modifié progressivement la forme des civilisations. Toutes les technologies ont été créées pour le service de l’homme, mais voici que dans bien des cas, l’homme y trouve son maître, ou à tout le moins l’une des forces maîtresses de son destin » (1973, p. 155). La technologie serait

ainsi devenue une structure sociale hautement intégrée, avec des forces scientifiques,

organisationnelles, économiques et politiques en interrelation si complexe que les

hommes ne sont plus capables d’en saisir les rouages ni de la diriger. Dans son

ouvrage La Convivialité (1973), Ivan Illich part du constat suivant : la crise planétaire

trouverait ses origines dans l’échec de l’entreprise moderne, à savoir la substitution

de la machine à l’homme. Ce grand projet se serait métamorphosé « en un implacable procès d’asservissement du producteur et d’intoxication du consommateur » (1973, p. 26).

Aux yeux d’Illich, le dogme de la croissance accélérée a justifié la sacralisation de la

productivité industrielle. Or l’homme a besoin d’un outil avec lequel travailler, non

d’outillage qui travaille à sa place. Il a également besoin d’une technologie qui tire le

meilleur de l’énergie et de l’imagination personnelle, non d’une technologie qui

l’asservisse et le programme. Illich propose ainsi d’inverser radicalement les

institutions industrielles et de reconstruire la société de fond en comble sur le

principe de la convivialité : « J’entends par convivialité, l’inverse de la productivité industrielle… Le passage de la productivité à la convivialité est le passage de la répétition du manque à la spontanéité du don. La relation industrielle est réflexe conditionné, réponse stéréotypée de l’individu aux messages émis par un autre usager, qu’il ne connaîtra jamais, ou par un milieu artificiel, qu’il ne comprendra jamais. La relation conviviale, toujours neuve, est le fait de personnes qui participent à la création de la vie sociale. Passer de la productivité à la convivialité, c’est substituer à une valeur technique une valeur éthique, à une valeur matérialisée une valeur réalisée. La convivialité est la liberté individuelle réalisée dans la relation de production au sein d’une société dotée d’outils efficaces. Lorsqu’une société, n’importe laquelle, refoule la convivialité en deçà d’un certain niveau, elle devient la proie du manque, car aucune hypertrophie de la productivité ne parviendra jamais à satisfaire les besoins créés et multipliés à l’envi » (1973, p. 28).

Le rapport Meadows (1972)

Pour bon nombre d’économistes (Gorz, 1992) ou/et d’écologistes (Deléage, 2010)

s’intéressant à l’histoire de l’écologie politique, deux rapports auraient clairement

établi l’impossibilité de poursuivre dans la voie tracée par le modèle de croissance

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capitaliste : le rapport Meadows9 (1972) commandité par le Club de Rome et le

programme de politique écologique britannique publié dans la revue The Ecologist et

intitulé A blueprint of Survival.

Le Club de Rome a demandé en août 1970 au Groupe d’étude de dynamique des

systèmes du MIT d’entreprendre l’étude des tendances d’un certain nombre de

facteurs qui déréglaient la société. Ce groupe a cherché à définir les limites

matérielles qui s’opposaient à la multiplication des hommes et les contraintes

résultant de leurs activités sur la planète. La problématique des auteurs du rapport

Meadows (1972), au titre évocateur « Halte à la croissance10 » fût ainsi définie de la

manière suivante : « Dans ce contexte, partout les hommes sont confrontés à des théories de problèmes étrangement irréductibles et tout aussi insaisissables : détérioration de l’environnement, crise des institutions, bureaucratie, extension incontrôlable des villes, insécurité de l’emploi, aliénation de la jeunesse, refus de plus en plus fréquent des systèmes de valeurs reconnus par nos sociétés, inflation et autres dérèglements monétaires et économiques…Ces problèmes en apparence différents ont en commun, trois caractéristiques. Premièrement, ils s’étendent à toute la planète et y apparaissent à partir d’un certain seuil de développement quels que soient les systèmes sociaux ou politiques dominants. Deuxièmement, ils sont complexes et varient en fonction d’éléments techniques, sociaux, économiques et politiques. Finalement, ils agissent fortement les uns sur les autres et cela d'une manière que nous ne comprenons pas encore » (1972, p 139). Afin d’obtenir une évaluation générale

de la situation du monde, le groupe du MIT a choisi une méthode analytique

spécifique, mise au point par Forrester (1971), la dynamique des systèmes. Cette

dernière permettrait une représentation graphique ou numérique de toutes les

relations planétaires, en termes facilement compréhensibles. L’objectif principal du

MIT était ainsi la reconnaissance dans un contexte mondial des interdépendances et

interactions de 5 facteurs critiques : explosion démographique, production

alimentaire, industrialisation, épuisement des ressources naturelles et pollution

Le caractère exponentiel de la croissance

Pour les auteurs du MIT, dès que l’on aborde les problème relatifs aux activités

humaines, on se trouve en présence de phénomènes de nature exponentielle. Les cinq

paramètres de l’étude : population, production alimentaire, industrialisation,

pollution et utilisation des ressources naturelles non renouvelables, évoluent selon

une progression géométrique11. La quasi totalité des activités humaines, qu’il s’agisse

9 Ce rapport a été traduit dans trente langues (dont le français, avec un titre, Halte à la croissance !, plutôt mal approprié), il fut vendu à 12 millions d’exemplaires, succès confirmé dans sa réactualisation trente ans plus tard, Limits to Growth, The 30-Year Update (Meadows, Meadows et Randers, 2004). 10 On peut s’étonner du choix de la traduction française : Limits to growth devenant Halte à la Croissance. 11 Un quantité croît exponentiellement si elle augmente d’un % constant au cours d’un intervalle de temps donné.

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du développement des centres urbains ou de la consommation d’engrais, obéissent à

cette loi. La croissance exponentielle est un phénomène dynamique : elle met en jeu

des éléments qui changent en fonction du temps. Mais, quand plusieurs quantités

différentes en nature croissent simultanément au sein d’un même système, quand en

outre, ces quantités ont entre elles des relations complexes, l’analyse des causes de la

croissance et du comportement ultérieur du système deviennent très difficiles. La

méthode de la dynamique des systèmes « met en évidence les nombreuses relations entre éléments, formant des boucles avec couplage, et pour certaines à effets décalés dans le temps »

(1972, p 153). Ainsi une boucle positive (boucle d’amplification) apparaît à chaque fois

que l’on rencontre une quantité variant exponentiellement. Cette boucle positive est

en quelque sorte un cercle vicieux (exemple bien connu de la boucle prix-salaires).

Dans une boucle positive, toute séquence de relations de cause à effet aboutit

fatalement à son point de départ : tout accroissement donné à l’un des éléments

quelconque de la boucle amorcera une suite logique de modifications dont le résultat

final se traduira par une augmentation encore plus grande de l’élément de départ.

Une boucle négative a un rôle régulateur. Elle vise à maintenir à un niveau constant

une fonction qui tend à croître ou à décroître. Elle agit donc en sens inverse de la

variation de la fonction

Illustration 1: La croissance de la population humaine obéit à une loi exponentielle

(suite géométrique selon Malthus). La structure du système qui traduit la dynamique

de la croissance de la population est schématisée ci-dessous.

Ce système a deux boucles. Celle de gauche est positive. Elle représente ce que l’on

peut déduire de la courbe de croissance exponentielle observée : étant donnée une

population à taux de natalité constant, plus cette population est élevée, plus le

nombre de naissances annuelles sera élevé. Celle de droite est négative. L’évolution

d’une population est fonction du taux moyen de mortalité lequel reflète l’état global

de santé d’une population. La mortalité tend à réduire l’accroissement de population.

A taux de mortalité constant, un accroissement de la population tend à accroître la

mortalité annuelle en valeur absolue. Un nombre accru de décès diminue la

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population ce qui – toujours à taux de mortalité constant – provoquera l’année

suivante, un nombre de décès inférieur à l’année précédente.

Selon les auteurs du rapport Meadows (1972), l’espérance moyenne de vie, à l’échelle

planétaire, était de 53 ans, et devait croître. En termes de moyennes mondiales,

l’allure de la boucle positive (natalité) ne paraît pas devoir subir de modifications

sensibles. En revanche, les effets cumulatifs dus à la boucle négative (mortalité) vont

être considérablement réduits. Il en résulte un bilan nettement positif qui explique la

croissance exponentielle rapide de la population globale.

Illustration 2 : la production industrielle, second facteur essentiel de l’étude, a connu

une évolution encore plus rapide que la population. En prenant pour base l’indice

100 en 1963, on serait passé de 30 au cours de la décennie 1930-1940 (avec une forte

chute en 1932 et une légère pointe en 1937), à 50 en 1950, 70 en 1958 pour aboutir à

140 en 1968. Le taux de croissance moyen s’est élevé à 7% entre 1963 et 1968, et le

temps de doublement n’a été que de 10 ans (1958-1968). La structure du système qui

traduit l’évolution du capital industriel (biens d’équipement, usines, véhicules,

machines, outils…) se décompose de la manière suivante (figure 4).

L’évolution de ce capital industriel est également régie par deux boucles. Avec un

capital industriel donné, il est possible de produire chaque année une certaine

quantité de produits manufacturés. Une bonne partie des biens produits chaque

année sont des biens de consommation (textiles, voitures…) qui sortent du circuit

(consommation finale). En revanche, une autre partie de la production équivaut à un

apport complémentaire de capital puisqu’elle sert à produire à nouveau (machines à

tisser, laminoirs, machines-outils). Cette dernière partie de la production constitue

les investissements. Ces investissements caractérisent une boucle positive : « Plus le capital initial est élevé, plus il produit ; plus il produit, plus il permet d’investir et plus il permet d’investir, plus il s’accroît » (1972, p 159).

Dans ce système, le temps de réponse est le délai nécessaire à la formation de

nouveaux investissements, sources de nouveaux produits. Ce temps de réponse peut

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parfois être long : c’est une des caractéristiques des investissements à moyen et long

terme. La boucle négative souligne que le capital industriel n’est pas éternel. Il se

déprécie et meurt. Dans ce cas, il est perdu en tant qu’outil de production : « Plus le capital est important, plus la dépréciation moyenne annuelle est grande et plus grande est la dépréciation, moins il reste de biens d’équipements l’année suivante » (1972, p 159). Comme

le taux de croissance de la production industrielle est de 7% par an, et que la

population ne s’accroît que de 2%, le caractère dominant de la boucle positive paraît

autoriser l’optimisme. Selon les auteurs du rapport, une simple extrapolation de ces

taux de croissance tendrait à démontrer « que le niveau de vie matériel de la population mondiale doublera d’ici 14 ans à condition toutefois que cette production soit équitablement répartie entre les citoyens du monde entier, ce qui est loin d’être le cas. La plus large part de la croissance économique ne concerne, en fait, que les pays déjà industrialisés pour lesquels le taux de croissance de la population est relativement faible » (1972, p 160).

Les limites de la croissance exponentielle

La liste des moyens permettant de maintenir la croissance économique et la

croissance de la population jusqu’en 2000 et au delà, peut être divisée en deux

grandes catégories :

- Les moyens matériels indispensables à la satisfaction des besoins physiologiques et

au soutien des activités industrielles : produits alimentaires, matières premières,

combustibles naturels, ainsi que les systèmes écologiques de la planète qui absorbent

les déchets et recyclent les substances chimiques importantes.

- Les nécessités sociales : même si les systèmes purement physiques de notre globe

étaient capables de supporter une population beaucoup plus nombreuse et,

économiquement, beaucoup plus développée, la croissance effective de la population

et de l’économie dépendra de facteurs tels que la paix, la stabilité sociale, l’éducation,

l’emploi et l’évolution contrôlée du progrès technique. Selon les auteurs du rapport

Meadows, ces facteurs « sont plus délicats à évaluer que les facteurs matériels. Ni le rapport, ni même le modèle global en son état actuel ne peuvent traiter explicitement de ces données sociologiques » (1972, p 165).

Les produits alimentaires

Les estimations de la FAO à cette époque, faisaient ressortir une carence

fondamentale en calories dans la plupart des nations en voie de développement,

carence liée au manque de protéines. Les études démontraient par ailleurs que la

surface totale de terres susceptibles d’être cultivées n’excédait pas 3,2 milliards

d’hectares (environ la moitié des terres étaient alors cultivées). Pour défricher,

irriguer et fertiliser la seconde moitié, le coût moyen avait été estimé à 1150 $ à

l’hectare. Les auteurs notaient que même si la société acceptait de payer le prix de la

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mise en valeur de nouvelles terres ou d’une amélioration des rendements, un nouvel

accroissement de la population amènerait une nouvelle crise. Chaque crise successive

serait plus dure à surmonter. Toute duplication du rendement de la terre coûterait

plus cher que la précédente (loi des coûts croissants) : « La production de denrées alimentaire que l’on peut espérer dans l’avenir dépend des terres disponibles, des ressources en eau douce mais aussi des investissements consacrés à l’agriculture. Ces investissements, à leur tour, sont liés à une autre boucle positive dominante, celle des investissements globaux »

(1972, p 173).

Les ressources non renouvelables

A partir des estimations d’indices statistiques - S représentant le nombre d’années à

l’issue desquelles les réserves actuellement connues seraient épuisées si la

consommation annuelle des ressources se maintenait au taux actuel ; I correspondant

au temps nécessaire à l’épuisement des réserves globales connues en supposant une

augmentation annuelle du taux de consommation égale au % moyen -, le rapport

Meadows insiste sur le fait que même si l’on tenait compte de facteurs économiques

tels que la hausse des cours, corrélat de la raréfaction, on pourrait voir, que les

réserves de platine, or, zinc seront insuffisantes pour faire face à la demande : «Au taux actuel d’expansion, l’argent, l’étain et l’uranium pourront manquer avant la fin du siècle nonobstant la hausse inévitable des prix de revient. En 2050, d’autres gisements de minerais seront épuisés si la consommation annuelle se poursuit au rythme actuel » (1972, p

173). La croissance exponentielle de la consommation de ressources non

renouvelables serait liée à l’effet conjugué de deux boucles positives : croissance de la

population et croissance des investissements. En outre, l’utilisation exponentielle des

ressources naturelles diminuerait les réserves disponibles.

Illustration : Le rapport Meadows s’appuie sur le chrome pour préciser ses

conclusions. Les réserves connues de chrome étaient évaluées à 775 millions de

tonnes. Le taux d’extraction du chrome était de 1,85 millions de tonnes par an. Si ce

taux était maintenu, les réserves seraient épuisées en 420 ans. La consommation de

chrome augmentant de 2,6% en moyenne par an, les réserves pourraient être

épuisées non pas en 420 ans mais en 95 ans. En supposant que les stocks, par suite de

découvertes miraculeuses, soient 5 fois plus élevés que ne l’indiquent les estimations,

ils seraient épuisés en 154 ans au lieu de 95 ans (année 2014). Enfin, si l’on supposait

qu’à partir des années 70, il était possible de recycler intégralement le chrome utilisé,

et de cette manière, reconstituer les réserves initiales : par suite de l’accroissement de

la consommation, l’épuisement des réserves initiales se produirait au bout de 235

ans.

Interprétation : Au début la consommation annuelle croît exponentiellement et l’on

entame largement les réserves. Pendant un certain temps, les prix restent stables par

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ce que les progrès de la technologie permettent de tirer le meilleur parti des minerais

moins riches. Toutefois, la demande continuant à croître, les progrès techniques ne

sont pas assez rapides pour compenser les coûts croissants qu’imposent la

localisation des gisements moins accessibles, l’extraction du minerai, son traitement

et son transport. Les prix montent, doucement d’abord, puis en flèche. Ces prix plus

élevés incitent les consommateurs à utiliser moins de chrome et à lui substituer dans

la mesure du possible d’autres matériaux. Au bout de 125 ans, les réserves

résiduelles, environ 5% des réserves initiales, ne peuvent fournir le métal qu’à un

prix prohibitif et l’exploitation des derniers gisements est pratiquement abandonnée.

L’influence des paramètres économiques permettrait donc, dans le cas du dernier

modèle plus perfectionné de reculer de 30 ans (125 ans au lieu de 95) la durée

effective des stocks de chrome tels qu’ils ont été évalués en 1970.

Les auteurs font les mêmes projections pour les autres matières, ainsi les réserves

d’aluminium ne dureraient pas plus de 31 ans (en d’autres termes, elles ne devraient

plus exister aujourd’hui), et éventuellement 55 ans si l’on multipliait par 5 le chiffre

du stock actuellement connu. Dans le cas du cuivre, on obtiendrait respectivement 36

et 48 ans. A travers ces exemples, le rapport Meadows conclut « qu’étant donné le taux actuel de la consommation des ressources naturelles et l’augmentation probable de ce taux, la grande majorité des ressources naturelles non renouvelables les plus importantes auront atteint des prix prohibitifs avant qu’un siècle ne se soit écoulé » (1972, p 182). Cette

conclusion ne saurait être remise en cause quelles que soient les hypothèses les plus

optimistes quant aux réserves encore inconnues, aux progrès techniques susceptibles

d’être réalisés, à la découverte de produits de substitution et au recyclage des

matériaux tant que la demande continuera à croître exponentiellement.

La pollution

Les métaux et les combustibles utilisés ne sont jamais perdus. Leurs atomes sont

redistribués et éventuellement dispersés sous forme diluée, et non immédiatement

utilisable, dans l’air, le sol et les eaux de notre planète. Les systèmes écologiques

naturels peuvent en absorber une bonne part. Cependant, si ces déchets sont

produits en très grandes quantités, les mécanismes naturels d’absorption peuvent

être saturés. C’est ainsi que l’on retrouve le mercure dans l’organisme des poissons

de mer, les particules de plomb dans l’air des villes, les coulées de pétrole sur les

plages et des immondices dans les montagnes. Une autre grandeur exponentielle du

système global intervient ici : la pollution. Tous les polluants qui ont pu faire l’objet

de mesures, ont vu leur importance croître exponentiellement avec le temps. Les

polluants issus de l’utilisation croissante de l’énergie, peuvent être estimés d’après le

montant de la consommation individuelle moyenne d’énergie. Cette moyenne

individuelle, à l’échelon mondial, augmentait de 1,3% par an. En tenant compte de la

poussée démographique, on obtient un chiffre de 3,4% par an. Les auteurs notent que

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97% de l’énergie utilisée dans les années 70 provenait de combustibles fossiles :

charbon, hydrocarbures, gaz naturels. Brûlés, ces combustibles laissent échapper

dans l’atmosphère, de l’anhydride carbonique (CO²), environ 20 milliards de tonnes

par an. La loi de concentration de CO² dans l’atmosphère est également exponentielle

(le taux d’accroissement moyen étant de 0,2%).

En vertu des lois de la thermodynamique, la majeure partie de l’énergie utilisée par

l’homme est restituée au milieu ambiant sous forme de chaleur. Venant d’une source

d’énergie autre que le rayonnement solaire, cette chaleur réchauffe l’atmosphère soit

directement, soit par l’intermédiaire des fluides de refroidissement (généralement

l’eau12). L’énergie nucléaire engendrerait, quant à elle, un autre type de polluant : les

déchets radioactifs. L’anhydride carbonique, l’énergie thermique et les déchets

radioactifs ne constituent que trois des éléments perturbateurs que l’homme

introduit dans son environnement à un rythme exponentiel.

Les phénomènes de croissance à l’intérieur du système global

Les 5 grandeurs fondamentales (population, investissements, nourriture, ressources

naturelles et non renouvelables, pollution) sont liées les unes aux autres par un

réseau de relations et de boucles. Ainsi la population plafonne si la nourriture

manque, augmenter la production de denrées alimentaires demande des

investissements, la croissance des investissements implique l’utilisation de

ressources naturelles, l’utilisation de ressources naturelles engendre des déchets

polluants et la pollution interfère à la fois avec l’expansion démographique et la

production alimentaire. Les auteurs du rapport se sont intéressés aux modes

généraux de comportement du système population-investissements. Par modes de

comportement, ils entendent « les tendances aux variations des niveaux (population, pollution…) en fonction du temps. Une fonction peut croître, décroître, demeurer constante, osciller ou présenter successivement plusieurs de ces divers caractéristiques » (1972, p 201).

L’objectif est alors de déterminer lequel des modes de comportement est le plus

caractéristique du système global lorsque l’on se rapproche des limites ultimes de la

croissance.

Le réseau des boucles

De nombreuses interactions se produisent entre la population et les investissements.

Une partie de la production industrielle est constituée par des matériels, matériaux

ou produits utilisés à des fins agricoles : tracteurs, canaux ou conduites d’irrigation…

Le montant des capitaux investis dans l’agriculture et la superficie des terres

cultivées ont une influence marquante sur la quantité de nourriture produite. Le

12 Cette eau de refroidissement est généralement rejetée dans les rivières, on parle alors de pollution thermique.

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quota alimentaire individuel (quotient de la masse globale de nourriture produite

par le chiffre de la population) agit sur le taux de mortalité. Les activités industrielles

et agricoles peuvent toutes deux être cause de pollution (dans l’agriculture, il s’agit

des polluants tels que les résidus de pesticides, DDT, engrais, dépôts salins résultant

d’une irrigation inadéquate). La pollution peut avoir un effet direct sur la mortalité et

aussi un effet indirect en ce sens qu’elle diminue la production agricole. La figure

suivante insiste sur plusieurs boucles importantes.

Selon l’hypothèse Ceteris Paribus, un accroissement de la population entraînerait

une diminution de la ration alimentaire individuelle moyenne, un accroissement du

taux de mortalité et, en valeur absolue, du nombre des décès à l’intérieur de cette

population, et pourrait conduire à une diminution de la population (boucle

négative). Selon les auteurs du rapport, une autre boucle négative tend à

contrebalancer les effets de la première : «Si la ration individuelle tombe en deçà de la valeur souhaitée par la population, on aura tendance à accroître la fraction des

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investissements consacrés à l’agriculture, de sorte que la production agricole et par la suite la ration alimentaire individuelle pourront croître » (1972, p 208)

Les hypothèses du modèle

Les auteurs du rapport Meadows ont cherché à évaluer les conséquences des

variations de la population et des capacités de production sur différentes variables,

en l’occurrence la consommation par tête de ressources naturelles. Il est possible de

calculer la quantité de ressources naturelles consommées chaque année en

multipliant le chiffre de la population par la consommation moyenne de chaque

individu. Cette consommation moyenne n’est naturellement pas une constante. Au

fur et à mesure qu’une population s’enrichit, elle a tendance à consommer davantage

par personne et par an.

La relation entre la richesse (production industrielle par tête) et la demande de

matières premières (consommation par individu) serait exprimée par une courbe non

linéaire. L’historique de la consommation de l’acier et du cuivre aux Etats Unis

semblerait confirmer le sens de cette relation. Au fur et à mesure que s’accroissait le

revenu individuel moyen, la courbe de consommation s’élevait dans les deux cas,

d’abord rapidement, puis lentement. Le palier final vers lequel tend la courbe

signifierait que l’américain moyen aurait atteint le seuil de saturation de biens

matériels. Les augmentations ultérieures de revenus seront toutefois de moins en

moins consacrées aux biens de consommation de ce type, mais de plus en plus aux

services lesquels consomment moins de ressources naturelles.

Les conclusions du rapport

Pour les auteurs du rapport, le système global tendrait inéluctablement vers une

surchauffe suivie d’un effondrement. La cause de cet effondrement est la

disparition de matières premières. A partir du moment où les investissements

nécessaires pour maintenir un certain niveau de production ne peuvent plus

compenser la dépréciation du capital, tout le système de la production industrielle

s’effondre et entraîne l’effondrement des activités agricoles et des services dépendant

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de la production industrielle. Pendant un certain temps, la situation est extrêmement

dramatique, car la population, compte tenu du temps de réponse relativement long,

continue à croître. Un réajustement progressif, mais vraisemblablement à un niveau

plus bas ne pourra se produire qu’après une période de recrudescence de la mortalité

par suite de carence alimentaire et de détérioration des conditions d’hygiène et de

prophylaxie : « Cela nous permet d’affirmer avec une quasi-certitude que, au cas où aucun changement n’interviendrait dans notre système actuel, l’expansion démographique et l’expansion économique s’arrêteraient au plus tard au cours du siècle prochain (avant l’an

2100, précisera le rapport) » (1972, p 232). Le système s’effondre par suite d’une

pénurie de matières premières. Qu’adviendrait-il si le stock des matières premières

avait été sous-évalué ? Les auteurs du rapport sont formels : c’est le niveau de la

pollution qui serait la cause essentielle de l’arrêt de la croissance. Le taux de

mortalité monte rapidement sous l’action conjointe des polluants et du manque de

nourriture. A la même époque, les ressources s’épuisent dangereusement, bien que

les réserves initiales aient été doublées, tout simplement parce que quelques années

supplémentaires de consommation suivant une loi exponentielle ont été suffisantes

pour accélérer leur disparition : « L’avenir de notre monde sera-t-il caractérisé par une croissance exponentielle suivie d’un effondrement ? Si nous nous contentons de l’hypothèse selon laquelle rien ne sera changé à la politique actuelle, cela deviendra une certitude » (1972,

p 234).

A Blueprint of Survival (1972)

Ce rapport coordonné par Edward Goldsmith, Robert Allen, Michael Allaby, John

Davull et Sam Lawrence (1972) a été traduit en français sous le titre évocateur :

« Changer ou disparaître : plan pour la survie ». Dans la préface de l’édition anglaise, les

auteurs du rapport précisent qu’ils ont été conduits à le rédiger pour quatre raisons :

(i) l’examen objectif des informations disponibles sur la situation de la Terre. Ainsi,

sauf renversement de la tendance en cours, l’effondrement de la société est

inévitable, nous pourrions y assister à la fin du XXe siècle ; (ii) le manque de volonté

politique des gouvernements à cerner la gravité de la situation, la plupart tendant

même à minimiser les résultats scientifiques ; (iii) le souhait de relayer le travail

réalisé par le Club de Rome (rapport Meadows) et d’en tirer des conséquences pour

l’Angleterre ; (iv) la conviction qu’un tel mouvement doit inspirer une nouvelle

philosophie de la vie, susceptible de réconcilier l’homme avec son environnement.

Notons que ce rapport se présente sous la forme d’un véritable programme de

politique écologique et qu’il est signé par de grands scientifiques anglais, on peut

citer le prix Nobel Macfarlane Burnet (Université de Melbourne), le prix Nobel Peter

Medawar (Medical Research Council), le professeur de génétique Douglas Falconer

(Université d’Edimbourg), le professeur d’économie politique, E. Mishan (London

School of Economics), le directeur de l’Institute of Environmental Sciences, J. Rose …

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Le rapport est divisé en trois parties. La première partie reprend en quelques

pages les grandes conclusions du rapport Meadows. Les auteurs insistent sur la

nécessité d’un changement radical et les causes du mal, à savoir la croissance aussi

bien de la population dans son ensemble que de la consommation par habitant : « the present increases in human numbers and per capita consumption, by disrupting ecosystems and depleting resources, are undermining the very foundations of survival » (1972, p. 2). Les

conséquences de la croissance exponentielle doivent être prises en considération, E.

Goldsmith et al. n’hésitent pas à s’appuyer sur les propos de J.J Forrester afin que ses

lecteurs comprennent bien la gravité de la situation : « pure exponential growth possesses the characterictic of behaving according to a doubling time. Each fixed time interval shows a doubling of the relevant system variable. Exponential growth is treacherous and misleading. A system variable can continue though many doubling intervals without seeming to reach significant size. But then in one or two more doubling periods, still following the same law of exponential growth, it suddenly seems to become overwhelming » (1972, p. 3). Si

nous ne parvenons pas à renverser la tendance, les auteurs prophétisent la rupture

des écosystèmes (bien que l’écologie soit une science jeune, elle est en mesure de

formuler tout un ensemble de lois, à commencer par celle qui concerne la

prévisibilité de l’environnement) ; une crise alimentaire (« according to the FAO, at present rates of expansion none of the marginal land that is left will be unfarmed by 1985 »,

1972, p. 4) ; l’épuisement des ressources (les auteurs considèrent même que des

sources illimitées d’énergie seraient plus à craindre qu’à souhaiter, puisque l’énergie

est nécessairement polluante et que finalement nous serions débordés par nos

déchets thermiques) et l’implosion sociale13 (les pays développés ont un niveau de

consommation disproportionné, à moins d’un changement radical, il n’y a aucune

chance pour que les pays en développement ne puissent améliorer de façon sensible

leur niveau de vie).

La deuxième partie cherche à apporter une réponse à l’ensemble de ces maux. Les

auteurs proposent de créer une société viable (sustainable) à long terme, et qui assure

à chacun le plus de satisfaction possible : « Such a society by definition would depend not on expansion but on stability. This does not mean to say that it would be stagnant – indeed it could be well afford more variety than does the state of uniformity at the present being imposend by the pursuit of technological efficiency » (1972, p. 6). Pour parvenir à cette

société stable, Goldsmith et al. notent qu’il convient de respecter quatre conditions:

(1) générer le moins de perturbations possibles dans les processus écologiques ; (2)

conserver des quantités maximales de matières premières et d’énergie ; (3) maintenir

une population à son taux de remplacement ; (4) définir un système social tel que

chacun puisse voir dans les trois premières conditions des sources de satisfaction,

13 A nos yeux, ce scénario est le plus réaliste, il s’appuie sur une exaspération (pression du modèle capitaliste assujetti au dogme de la productivité et de l’économie du travail) et une frustration (des écarts de plus en plus importants entre ceux qui peuvent consommer les biens déversés par les marchés et ceux qui ont du mal à assouvir les besoins essentiels) des citoyens.

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plutôt que des contraintes. Pour satisfaire ces conditions, cette stratégie de

reconversion doit opérer sur plusieurs axes :

- des opérations de régulation visant à réduire les perturbations de l’environnement

(pesticides, engrais, ordures ménagères, déchets industriels) par des moyens

techniques ;

- des opérations de blocage des tendances actuelles et une conversion à une économie

de stock (gestion des ressources, prise en compte des ressources génétiques,

comptabilité sociale) ;

- des mesures « improvisées » destinées à remplacer les facteurs les plus dangereux

et à se substituer aux technologies dommageables à court terme ;

- un retour systématique aux processus naturels ou autorégulateurs ;

- la mise au point de nouvelles technologies cherchant à conserver l’énergie et les

matières premières au maximum

- une décentralisation économique et politique à tous les niveaux,

- l’éducation en vue de toutes les communautés.

En soumettant ces propositions, leurs auteurs sont bien conscients que le

changement ne se fera en un jour cependant le temps est compté (la croissance

exponentielle continue à faire des ravages) et c’est à ce prix qu’il sera possible de

réduire le chômage et nos dépenses en capital : « We believe it possible to change from an expansionist society to a stable society without loss of jobs or an increase in real expenditure. Inevitably, however, there will be considerable changes, both of geography and functions, in job availability and the requirements for capital inputs » (1972, p. 8).

Les auteurs peuvent insister dans la troisième et dernière partie sur le message

délivré et l’objectif qu’il convient d’avoir en ligne de mire : la société stable doit nous

apporter des satisfactions qui feront plus que compenser celles de l’état industriel

(qui ne vit qu’à travers le jeu de la croissance économique). Selon Goldsmith et al., le

programme d’écologie politique reposerait ainsi sur une demande sociale et

culturelle, il est fondé sur l’extrême urgence de la situation, scientifiquement

démontrable (ce qui explique l’interrelation entre l’écologie scientifique et l’écologie

politique) et doit déboucher sur une rupture à la fois avec la société industrielle et

son dogme de la croissance : « In a stable society, everything would be done to reduce the discrepancy between economic value and real value, and if we could repair some of the damage we have done to our physical and social environment, and live a more natural life, there would be less need for the consumer products tha we spend so much money on. Instead, we could spend it on things that truly enrich and embellish our lives » (1972, p. 21).

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Le rapport non officiel de la Conférence des Nations Unies sur

l’environnement humain (1972)

L’ouvrage de Barbara Ward et René Dubos14, Nous n’avons qu’une terre, aurait pu

passer inaperçu - notamment face au Rapport Meadows (1972) - s’il n’avait été

commandité par le secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur

l’Environnement Humain (CNUE), Maurice Strong15 (2001). Il s’agit du rapport de

base (bien que « non officiel ») rédigé par un groupe d’experts pour le premier

sommet de la Terre de Stockholm (1972). Parmi les conseillers qui ont bien voulu

accepter de collaborer à cet ouvrage, on note la présence d’Arthur Lewis (professeur

d’économie politique à l’Université de Princeton), Gunnar Myrrdal (professeur

d’économie internationale à l’Institut d’études économiques internationales de

l’Université de Stockholm), Paul Prebisch (Directeur général de l’institut latino-

européen de planification économique et sociale), Jan Tinbergen (Professeur de

planification du développement à l’Ecole d’économie de Rotterdam)…

L’ouvrage est divisé en quatre parties, l’une d’entre elle est entièrement consacrée

aux « problèmes de la technologie ». Barbara Ward et René Dubos y abordent

notamment la question de l’évaluation des coûts de la pollution. Ils notent à juste

titre que certains coûts relativement élevés finissent par incomber à la collectivité,

faute d’imputations individuelles : « les organisme industriels modernes n’englobent pas toujours dans leurs coûts les faux-frais découlant de la production ou de la distribution, tels que l’émission d’effluents dans l’atmosphère, ou la surcharge du terrain par des déchets imposants, ou encore l’absence de toute taxation pour l’éventuelle évacuation des résidus »

(1972, p. 94). Ceci est d’autant plus vrai que les problèmes de pollution impliquent

une vue générale sur la question et de nombreux correctifs.

Si les polluants sont directement liés au secteur industriel (chimique, électrique,

automobile, agricole…), ils sont surtout le résultat d’une avancée de la technique

(substances chimiques de plus en plus toxiques, économies d’échelle dans les stations

génératrices d’énergie) et d’une évolution de la société, celle de la mobilité

individuelle (la place de la voiture) et des loisirs. Au point d’envisager l’homme

moderne comme une espèce nouvelle de centaure mi-homme, mi-automobile : « c’est l’haleine chargée de sa moitié motorisée qui pollue l’atmosphère, envahit les poumons et contribue à la présence de brouillard dans les villes » (1972, p. 97). Mais la pollution ne se

14 René Dubos est également l’auteur d’un ouvrage intitulé « Courtisons la terre » (1980) dans lequel il défend une approche anthropocentrique : « [le propos de ce livre ] est de désigner l’interaction, simple d’abord, qui s’exerce entre nous, êtres humains, et l’environnement que nous modifions en fonction de nos besoins et de nos caprices, mais aussi l’interaction réciproque qui veut ensuite que la terre modifiée retentisse à son tour profondément sur notre personnalité » (1980, p. 105). 15 Maurice Strong est également l’auteur d’un ouvrage intitulé Ainsi va le monde (2001), dans lequel il expose – entre autre - la lente progression de la prise en compte de l’environnement dans les discussions internationales.

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réduit pas à un simple rejet de produits toxiques dans la nature, elle traduit

également notre ignorance vis à vis des usages que l’on fait des produits et nous

incite à une recherche plus poussée. Barbara Ward et René Dubos illustrent leurs

propos en reprenant le cas des pesticides, et notamment l’ouvrage Printemps Silencieux de Rachel Carson (1962) qui a révélé les conséquences de l’utilisation

abusive de certains hydrocarbures chlorurés, dont le DDT est le plus célèbre. Les

auteurs insistent surtout sur les retombées de cette affaire : « Dans son livre, Rachel Carson revient encore et toujours à la charge pour une science meilleure, une recherche plus poussée, une information plus adéquate, concernant l’usage des pesticides et leur conséquences. Par suite de son plaidoyer et en partie à cause de lui, on a poussé la recherche beaucoup plus en avant. Ce qui a aboutit à un tableau extrêmement complexe, qui justifie pleinement le procès fait à l‘ignorance et à l’usage abusif des pesticides » (1972, p. 108). La

pollution de l’eau (à l’image de ce qui s’est passé dans la Baie de Minamata au Japon)

constitue également un enjeu important surtout lorsqu’elle est liée à l’accroissement

constant de notre demande d’énergie. L’eau utilisée comme refroidisseur des centres

de production d’énergie est généralement reversée dans les fleuves, provoquant

l’augmentation de leur température et modifiant l’écosystème aquatique.

Ces pollutions engendrent une certaine responsabilité (la société a une note à payer)

vis à vis de la nature. Un moyen d’y remédier consisterait à fixer des critères

techniques pour les émanations (montant tolérable). Un autre serait d’imposer une

contribution nationale. Pour les auteurs, les citoyens vont devoir apprendre à payer

pour l’aménagement de l’environnement, un service qui était autrefois offert

gratuitement par la nature. Le problème réside cependant dans le respect d’une

certaine équité. La hausse des impôts destinée à compenser les phénomènes de

pollution risque en effet de peser sur le pauvres et d’augmenter certains prix de

consommation (notamment l’énergie).

A côté des pollutions environnementales, la gestion des déchets constitue un autre

enjeu important. Barbara Ward et René Dubos notent que ces déchets sont avant tout

des sous-produits de notre mode de vie. Or la tendance est d’étendre les tâches

industrielles au sein des zones urbaines et les procédés de la technologie industrielle

à des recherches agricoles. Les déchets posent plusieurs questions : leur évacuation

(ordures ménagères), leur élimination (décharges publiques, poids des déchets

solides), leur recyclage (ramassage des boîtes en aluminium)… Les solutions existent.

L’incinération est un procédé d’évacuation que l’on peut intégrer à une approche

symbiotique plus globale. Les auteurs citent l’exemple de la ville de Düsseldorf : « un nouveau type d’incinérateur… dessert 700 000 personnes et rapporte un revenu de 3.40 dollars par tonne de rebut traitée. On fait payer aux usagers industriels 3 dollars par tonne de déchets entassés. La vapeur qui provient de la combustion est vendue à d’autres secteurs de la ville afin d’être utilisée pour le chauffage ; les détritus ferreux récupérés sont également

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commercialisés, de même que les cendres qui servent au colmatage du sol ou à la formation d’agrégats à usages industriels ou ménagers tels que les parpaings » (1972, p. 140).

L’équilibre des ressources est un autre sujet qui intéresse Barbara Ward et René

Dubos. Il s’agit notamment d’estimer trois facteurs, le taux de croissance

démographique, l’importance prévisible de la consommation totale et la quantité de

ressources disponible, qui lorsqu’ils sont combinés, ont une incidence sur l’empreinte

écologique. Le problème démographique largement associé aux pays sous-

développés peut être ainsi présenté sous un angle nouveau : la régulation des

naissances consiste désormais à réduire la population au nombre d’individus que la

planète est capable de faire vivre. Cette pression exercée par les populations envers

les ressources naturelles et les services écologiques fournis par la nature est

différente d’un pays à l’autre, notamment d’un pays riche par rapport à un pays

pauvre. La conclusion à laquelle parviennent les auteurs est sans appel : « un bébé américain qui exigera 1 million de calories en nourriture et 13 tonnes de charbon par an durant une vie moyenne de 65 ans dépensera les biens de consommation de la biosphère au moins 500 fois plus vite qu’un bébé indien dont l’espérance de vie est de 50 ans et qui ne consommera pas plus d’un demi million de calories et pour ainsi dire pas d’énergie sauf celle qu’il produira lui-même à partir de ces calories. La brusque élévation du nombre de bébés indiens change naturellement le calcul. Mais si notre but est d’éliminer un surpeuplement insupportable de la planète, la politique des naissances dans les sociétés de consommation élevée de manière à y stabiliser le chiffre de la population » (1972, p. 189).

Cette pression de la consommation des pays développés sur l’environnement pose

manifestement deux problèmes. Il s’agit d’une part de savoir s’il existe une limite

biologique des désirs humains, en d’autres termes, y a-t-il un seuil au-delà duquel

les désirs sont satisfaits ? Selon Barbara Ward et René Dubos, nous ne l’avons pas

encore atteint - « Le niveau de vie proposé à la société est encore le luxe des très riches, dont toute le monde est informé par la télévision » (1972, p. 191). Il convient d’autre part d’en

cerner les conséquences en matière d’énergie. Bien que les sources d’énergie sont

interchangeables et qu’elles vérifient généralement l’hypothèse de substitution des

facteurs de production (« Si l’une d’entre elles se raréfie et que son prix commence à s’élever, une contrainte importante est imposée aux techniques qui l’utilisent alors plus parcimonieusement et la remplacent par d’autres sources », 1972, p. 197), les auteurs

rappellent qu’elles ne sont pas toutes inoffensives. L’énergie nucléaire issue de

l’arme atomique repose sur une technologie qui risque de causer un préjudice

irréversible aux générations futures. La seule attitude à avoir vis à vis de ce feu de

Prométhée , c’est l’extrême prudence et le respect du principe de responsabilité.

Pour conclure sur la question environnementale, Barbara Ward et René Dubos

n’hésitent pas à confronter plusieurs thèses en présence. D’un côté, ceux qui

considèrent que la seule façon de préserver l’environnement consisterait à ralentir le

progrès technique, à modifier notre consommation et à redéfinir les véritables

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agréments de la vie : « Si, concluent les critiques, notre poursuite des biens de consommation était moins passionnée, notre obsession des nouveautés et des gadgets moins grande, et notre usage de l’énergie plus modéré, nos problèmes seraient peu à peu simplifiés du simple fait de réfréner régulièrement nos tendances à dépenser de plus en plus et à polluer encore davantage » (1972, p. 214). De l’autre, ceux qui font de l’innovation et de la

concurrence, les deux stimulants du système économique. Les supprimer

équivaudrait à porter atteinte aux plaisirs de l’individu. Selon nos auteurs, ces deux

positions souffrent l’une et l’autre d’une importante lacune : l’absence d’un véritable

programme visant à résoudre les problèmes environnementaux et ceux de la

croissance économique. Au final, la croissance et l’environnement ne seraient pas

antinomiques16. Barbara Ward et René Dubos entrevoient une lueur d’espoir, encore

faut-il que les nations développées aient le courage de modifier leur modèle : « Si la population se stabilise, qu’on répare les injustices fondamentales, qu’on impose les pollueurs, qu’on développe les techniques nouvelles non polluantes, si l’on ralentit la course aux armements et qu’on persuade les citoyens, par l’éducation et par l’exemple, de recourir davantage à des plaisirs qui ne font pas appel aux ressources de la production, alors que les sociétés peuvent encore se développer, et cependant préserver et mettre en valeur leur environnement » (1972, p. 220).

L’écologie politique, un projet scientifique de refondation de la

science économique

Le concept de sustainable development (en anglais) ou de développement durable (en

français), popularisé par le Rapport Brundtland17 (1987) et le sommet de Rio (1992),

est aujourd’hui présent dans tous les débats et mobilisé lors de nombreuses causes

(réchauffement climatique, préservation de la biodiversité, recyclage des déchets…).

On rappelle qu’il s’agit d’un développement qui « répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de besoins, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations

16 Barbara Ward et René Dubos reviennent sur la mesure du bien être. Ils proposent notamment de combiner une conception de la qualité de vie avec la notion de croissance : « D’ici dix ans, nous ferons entrer en ligne de compte dans notre concept du produit national brut aussi bien les jeunes garçons qui nagent dans le Delaware ou la Volga que les journées gagnées au profit de l’industrie sur la bronchite et le rhume de cerveau, les teintures et les vêtements qu’on aura plus besoin de faire nettoyer , le nombre de journées sans brouillard dans les grandes villes, la bonne forme physique et la sérénité qui découleront de la promenade pour se rendre à son travail dans un environnement sympathique, la diminution des dépenses de police et de prison, l’importance grandissante des loisirs ; et les gens recommenceront à prendre plaisir à s’asseoir sur les bancs publics, à voir s’animer les parcs où l’on jouera de la musique pop ou du Bach, à se promener à la campagne ou dans les lieux plus sauvages qui feront l’objet de soins et de mesures de protection » (1972, p. 219). 17 Il s’agit plus précisément du Rapport de la Commission mondiale pour l’environnement et le développement (CMED) intitulé « Notre avenir à tous ».

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que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir».

Ce que l’on sait moins, c’est que durant la même période, la Conférence de Rome

(1991) avait pris connaissance d’un texte de Nicholas Georgescù-Roegen (NGR), dans

lequel on trouve une critique virulente « de la nouvelle doctrine internationale du développement durable » (Grinevald, 2005, p. 52), qualifiée de « charmante berceuse ».

Reprenant la distinction entre croissance et développement chère à son Maître Joseph

Schumpeter, NGR insistait sur le fait qu’il ne pouvait y avoir, à l’échelle écologique

globale du monde fini de la biosphère, de croissance mondiale durable. Dès lors, le

développement durable ne devait pas se réduire à un simple champ de

connaissances ou à une philosophie de l’action (analyse des enjeux et préconisation

de remèdes), mais entraîner une véritable refondation de la science économique.

Ce nouveau paradigme, que NGR (1975) qualifie de bioéconomie, se situe au carrefour

de la vision thermodynamique et biologique du monde, « la thermodynamique parce qu’elle nous démontre que les ressources naturelles s’épuisent irrévocablement, la Biologie parce qu’elle nous révèle la vraie nature du processus économique » (NGR, 1978, p. 353).

Depuis ses premiers travaux économiques (1951, 1954) jusqu’à ses plus récents

(1995), Nicholas Georgescù-Roegen n’a cessé de s’interroger sur les représentations

analytiques des économistes. Cette quête se trouve au cœur de la critique développée

dans son premier ouvrage, Analytical Economics : Issues and Problems (1966), puis de

son oeuvre capitale, The Entropy Law and the Economic Process (1971). Ces travaux

marquent un retour de l’évolutionnisme en amorçant la construction d’une

conception du temps à partir de la thermodynamique et en développant une analyse

de la technologie par analogies avec la biologie.

Thermodynamique, loi de l’entropie et temps irréversible

En s’attaquant aux concepts forgés par la théorie néoclassique, NGR a été amené à

porter son attention sur la fonction de production. Cette dernière habituellement

représentée par une relation technique (combinaison des facteurs de production) ne

décrirait aucune réalité physique. Afin de rompre avec cette approche, NGR

introduira la notion de processus, à savoir de transformation contrôlée de la nature

qui se déroule dans un certain contexte organisationnel, lui-même inscrit dans un

contexte socio-historique particulier (Dannequin, Diemer, 1998a). Les machines à

produire que sont l’usine et l’exploitation agricole (NGR, 1969) seront ainsi étudiées

de concert, chacune permettant de mettre en lumière les caractéristiques de l’autre,

tant sur le plan de la transformation de la nature qu’elles induisent que sur le plan

des contextes culturels et sociaux dans lesquels elles s’enracinent (Dannequin,

Diemer, 1998b, 1999). NGR exposera avec une clarté remarquable l’erreur

fondamentale de la pensée économique occidentale, à savoir l’approche mécano-

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descriptive des modèles standards qui réduisent l’essence de tous les phénomènes à

certains mouvements réversibles. Le processus économique, appréhendé à partir

d’une relation entre la physique et l’économie, doit être conçu sur une base

matérielle, laquelle se trouve assujettie à une série de contraintes : « The economic process is solidly anchored to a material base which is subject to definite constraints. It is because of these constraints that the economic process has a unidirectional irrevocable evolution » (NGR, 1976, p. 56). Un processus matériel ne produit ni ne consomme de

la matière énergie, il se limite à l’absorber pour la rejeter continuellement. Dès lors,

ce qui entre dans le processus économique consiste en des ressources naturelles de

valeur, et ce qui en sort prend la forme de déchets sans valeur.

Cette transformation qualitative, précise NGR, ne peut être appréhendée que par

la thermodynamique, une branche de la physique. La thermodynamique est née d’un

mémoire de Sadi Carnot sur l’efficacité des machines à vapeur (1824). Un des

résultats importants de ce mémoire a été d’obliger la physique à reconnaître pour

scientifique un fait élémentaire reconnu depuis longtemps, à savoir que la chaleur se

déplace toujours d’elle-même des corps chauds aux corps froids. Comme les lois de

la mécanique ne peuvent expliquer un phénomène unidirectionnel et irréversible, il a

fallu créer une nouvelle branche de la physique utilisant des explications non

mécanistes. Ainsi, souligne NGR, « il y aurait deux temps, un temps réversible dans lequel les phénomènes mécaniques prennent place, et un temps irréversible relié aux phénomènes irréversibles » (NGR, 1971, p. 71). Toutefois, ce qui interpelle NGR dans le travail de

Carnot, c’est sa dimension économique. En cherchant à déterminer les conditions

dans lesquelles on peut obtenir un rendement de travail mécanique maximum à

partir d’une quantité de chaleur donnée, Carnot aurait introduit les bases d’une

relation entre le processus économique et les principes thermodynamiques. Ainsi

« aussi extravagante que cette thèse puisse apparaître prima facie, la thermodynamique

[serait] en grande partie une physique de la valeur économique » (NGR, 1969, p. 94).

NGR s’appuiera sur la thermodynamique, et plus précisément sur la loi de

l’entropie, afin de pourfendre le dogme mécanique et reconstruire la théorie

économique : « irreductible opposition between mechanics and thermodynamics stems from the Second Law, the Entropy Law » (NGR, 1976, p. 7). Le premier principe de la

thermodynamique nous enseigne que lors de toute transformation, l’énergie est

conservée 18 (conservation quantitative). Toutefois sa forme et sa disponibilité

(dissipation qualitative) ont changé. L’énergie libre et utilisable par l’homme se

dissipe jusqu’à se transformer en chaleur – la forme la plus dégradée de l’énergie –

cette énergie liée devient si diffuse qu’elle ne peut plus être utilisée par l’homme

(Vivien, 1994). Ce deuxième principe de la thermodynamique, principe dit de

Carnot-Clausius, est encore appelé loi d’entropie. En établissant l’irréversibilité des

18 Alfred Marshall (1924, p. 63) a évoqué le fait que l’homme ne puisse créer ni matière, ni énergie.

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phénomènes physiques, en particulier lors des échanges thermiques, la loi de

l’entropie décrit une loi à laquelle on ne peut échapper, d’où l’insistance de NGR sur

le caractère irrévocable de cette évolution : « La loi de l’entropie occupe une place unique dans les sciences de la nature, c’est la seule loi physique qui reconnaisse que l’univers matériel lui-même est soumis à un changement qualitatif irréversible, à un processus évolutif » (NGR,

1995, p. 83). NGR a fait beaucoup pour la reconnaissance de la loi de l’entropie. Il est

même intervenu directement dans les controverses scientifiques en étendant cette loi

à la matière et en formulant une quatrième19 loi de la thermodynamique : « dans un système clos, l’entropie de la matière tend continuellement vers un maximum » (NGR, 1978,

p. 361). A la suite de ces phénomènes thermodynamiques, NGR sera amené à tirer

plusieurs conclusions. Tout d’abord, le processus économique est par nature

entropique. La transformation des ressources naturelles en déchets traduirait le

passage d’un état de basse entropie à un état de haute entropie. La lutte économique

de l’homme se concentrerait ainsi sur la basse entropie de son environnement.

Cependant, note NGR, le véritable produit du processus économique n’est pas un

flux matériel de déchets mais bien un flux immatériel qu’il qualifie de joie de

vivre (enjoyment of life): « la valeur économique ne pourrait se réduire à un seul élément physique… car cette valeur dépend aussi de la valeur de nos besoins impératifs, de nos goûts acquis, et de l’effort de notre travail - éléments qui ne peuvent être identifiés à de simples transformations physiques » (NGR, 1978, p. 370). L’accent est ainsi mis sur la vie (tandis

que l'entropie, c'est la mort). Tous les êtres vivants luttent contre l'entropie : « The first lesson is that man’s economic struggle centers on environnemental low antropy » (NGR,

1971, p 56). Ils sont, pour reprendre l'image d'Erwin Schrödinger (1945), des sortes de

démons de Maxwell qui, au travers de leur métabolisme, capturent de la basse

entropie pour produire de la néguentropie (Brillouin, 1956).

Ensuite, la basse entropie de l’environnement est rare et sa destruction est

irrévocable. La thermodynamique nous explique que les choses sont rares, parce que

d’une part, la quantité d’entropie faible inclue dans notre environnement décroît

continuellement et inévitablement, et parce que d’autre part, nous ne pouvons

utiliser qu’une seule fois la quantité donnée d’entropie faible. Ainsi la loi de

l’entropie est « la racine de la rareté économique. Si cette loi n’existait pas, nous pourrions réutiliser l’énergie d’un morceau de charbon à volonté, en le transformant en chaleur, cette chaleur en travail, et ce travail de nouveau en charbon » (NGR, 1979a, p. 51). Pour NGR, le

fait que la vie économique se nourrisse de basse entropie, a des répercussions

importantes en matière de théorie économique. Il existe un lien ancestral entre

entropie basse et valeur économique. La théorie de la valeur ne renvoie plus à un fait

relatif (la valeur d’échange exprimée en monnaie, c'est-à-dire un prix) mais bien à un

fait brut (matériel). L’utilité n’est plus la cause de la valeur économique d’un objet, la

19 Le troisième principe de la thermodynamique, appelé théorème de Nernst (1906) stipule que « l’entropie d’un système quelconque peut toujours être prise égale à zéro à la température du zéro absolu ».

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faible entropie devient désormais une « condition nécessaire pour qu’une chose soit utile » (NGR, 1969, p. 96). Dans ces conditions, le processus économique,

généralement associé à la multiplication des utilités rares, oblige les hommes à

inventer les moyens susceptibles de mieux capter la basse entropie. Grâce à sa

maîtrise de l’énergie, l’homme est capable de faire croître sa puissance productive.

Jacques Grinevald (1993, p. 13) parle de « révolution thermo-industrielle ».

Finalement, NGR tirera les conséquences à la fois économiques, sociales et

techniques des caractéristiques de la dot de l’humanité en basse entropie. D’une part,

le fait de puiser constamment dans les ressources naturelles n’est pas sans incidence

sur l’histoire, il constituerait même l’élément le plus important du destin de

l’humanité : « Man’s continuous tapping of natural resources is not an activity that makes no history. On the contrary, it is the most important long-run element of mankind’s fate »

(NGR, 1976, p. 56). Les guerres, les explorations et les migrations ont souvent été

liées à la richesse de la dotation des différents peuples en ressources naturelles. Il

serait ainsi possible de s’interroger sur la possible substitution de la lutte des classes

par la loi de l’entropie et l’exploitation des matières premières comme moteur de

l’Histoire. D’autre part, le rythme de prélèvement des ressources naturelles dépend

exclusivement du choix des individus, ainsi « we could exhaust all the known stocks of oil within one year if we wanted to do so and make ours plans accordingly » (NGR, 1969a, p.

524). C’est cette liberté qu’a l’individu d’utiliser à volonté les ressources naturelles,

qui serait responsable du spectaculaire progrès de la technologie. Il existerait ainsi

une relation de cause à effet entre l’exploitation intensive de la basse entropie et

l’essor des innovations technologiques.

Biologie, technologie, division du travail

Si les lois de la thermodynamique constituent chez NGR des « méta lois » auxquelles

les hommes ne peuvent échapper (De Gleria, 1995), celles de la biologie vont s’avérer

déterminantes sans être déterministes. En effet, comme toutes les autres espèces

naturelles, l’homme a toujours utilisé ses organes biologiques afin de puiser de la

basse entropie dans l’environnement : « The truth is that every living organism strive only to maintain its own entropy constant. To the extent to which it achieves this, it does so by sucking low entropy from the environment to compensate for the entropy to which, like every material structure, the organism is continuously subject. But the entropy of the entire system -consisting of the organism and its environment- must increase. Actually, the entropy of a system must increase faster if life is present than if it is absent » (NGR, 1976, p. 55). De

tels organes propres à chaque espèce vivante, sont selon la terminologie d’Alfred

Lotka (1945), des organes endosomatiques. Mais progressivement, les êtres humains

se sont distingués de la plupart des animaux en faisant appel à d’autres instruments

qualifiés d’exosomatiques : « The one outstanding exception is the human species. Here evolution, especially in more recent times, has followed an entirely new path. In place of slow

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adaptation of anatomical structure and physiological function in successive generations by selective survival, increased adaptation has been achieved by the incomparably more rapid development of « artificial » aids to our native receptor-effector apparatus, in a process that might be termed exosomatic evolution » (Lotka, 1945, p. 188).

Avec ces organes détachables, principalement des outils et des équipements

techniques l’espèce humaine est parvenue à accomplir de nombreuses réalisations.

Les organes exosomatiques sont même devenus aussi vitaux que les organes

endosomatiques ; les hommes en sont largement dépendants voire intoxiqués. Le

processus économique apparaît ainsi comme une extension de l’évolution

endosomatique, en d’autres termes, comme la continuation de l’évolution biologique

: « The institutions of the market, money, credit and enterprises of all sorts emerged in response of the progressive évolution of the exosomatiques nature of homo sapiens. Mankind’s mode of existence is dominated neither by biology nor by economics. It is instead a complex bio economic web, and in this web the crucial factor is production - the mushrooming production of exosomatic instruments» (NGR, 1986, p. 249). Ce point est fondamental car

il est à l’origine de l’approche bioéconomique du processus économique : «the term is intented to make us bear in mind continuously the biological origin of the economic process and thus spotlights the problem of mankind existence with a limited store of accessible resources, unevenly located and unequally appropriated » (NGR, 1977b, p. 361).

En nous révélant la vraie nature du processus économique (le processus

économique serait une continuation du processus biologique), la biologie permet de

tirer une série de conséquences plus ou moins fâcheuses et irrémédiables pour

l’humanité :

- La première souligne l’état de dépendance du genre humain vis à vis du confort

offert par les organes exosomatiques, mais également vis à vis du plaisir relatif à la

consommation de masse « the pleasure derived from extravagant gadgetry and mammoth contraptions" (NGR, 1977b, p. 363). Cette évolution exosomatique de l’espèce

humaine, déjà évoquée par Alfred Lotka (1945, p. 190) - « People’s appetite for food is limited. Their appetite for automobiles, radios, fur coats, jewelry, actually seems to follow the rule of the French proverb l’appétit vient en mangeant » - se révèle particulièrement

dangereuse étant donné qu’elle s’accompagne d’une production croissante de

technologies à partir de quantités d’énergie et de matières premières puisées dans les

entrailles de la terre. Ainsi, en vertu des principes de la thermodynamique (loi de

l’entropie) et du fait que les quantités d’énergie et de matières accessibles sont

nécessairement finies, on peut avancer que les activités industrielles ont participé à la

raréfaction absolue des dotations terrestres de basse entropie : « Man thus became a geological agent, an activity which nowadays is most strikingly illustrated by the monstrous gash of open-pit-mines. And because the Earth is undoubtedly finite, the third predicament of man’s exosomatic nature is the scarcity of natural resources » (NGR, 1986, p. 252). Un jour

ou l’autre, nous rappelle NGR, la croissance (la grande obsession de l’économie

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standard) touchera à sa fin. En effet, pour produire les organes exosomatiques, les

hommes doivent employer des ressources en énergie et en minerais, une concurrence

s'établira entre les "choses mortes" et les êtres vivants. "Chaque fois que nous produisons une voiture, nous détruisons irrévocablement une quantité de basse entropie qui, autrement, pourrait être utilisée pour fabriquer une charrue ou une bêche. Autrement dit, chaque fois que nous produisons une voiture, nous le faisons au prix d'une baisse du nombre de vies humaines à venir » (NGR, 1995, p. 67).

- La deuxième conséquence souligne, que comme toute évolution organique,

l’évolution exosomatique a divisé l’humanité en espèces exosomatiques aussi

différentes que les espèces biologiques. Cependant, contrairement aux espèces

biologiques qui peuvent fusionner sans le moindre obstacle, le cas des espèces

exosomatiques est plus problématique. La distinction entre l’Homo Indicus et

l’Homo Americanus, nous explique NGR est beaucoup plus profonde et plus solide

que celle qui sépare les espèces biologiques. Ainsi si l’Europe et le Japon ont connu

un redressement aussi spectaculaire après la seconde guerre mondiale, c’est qu’ils

appartenaient à la même espèce exosomatique que les Etats Unis, leur principal

fournisseur d’équipements. La plupart des pays en développement appartiennent

quant à eux à des espèces exosomatiques différentes. En d’autres termes, notre

compréhension étroite du processus économique aurait quelque peu biaisé

l’amélioration des instruments exosomatiques déjà en usage dans ces pays : «Un Homo Indicus criait à l’aide après que son âne soit tombé dans un fossé et se soit cassé une patte. Suivant, le conseil de ses autorités économiques, l’Homo americanus se précipita avec un pneu à carcasse radiale pour réparer la panne du véhicule » (NGR, 1978, p. 343). Toutes

les innovations ne sont donc pas une réussite ou n’arrivent pas toujours "à point

nommé", « every economic innovation is successful only if social community culturally adapts to it » (De Gleria, 1995, p. 26). NGR (1976) note d’ailleurs à ce sujet qu’aucune

innovation ne pourra indéfiniment réussir à garantir l'accessibilité des ressources.

- Cette évolution exosomatique a enfin engendré des conflits sociaux dans les

sociétés humaines. Un oiseau souligne NGR vole de ses propres ailes, attrape des

insectes avec son propre bec.... c’est à dire avec ses organes endosomatiques. Comme

ces derniers sont la propriété privée de chaque individu, ils ne peuvent faire l’objet

d’un véritable conflit. L’espèce humaine échappe cependant à ce principe. L’homme

a en effet utilisé les organes endosomatiques de ses congénères (esclavage, servage..)

ainsi que domestiqué certains animaux (boeufs, chevaux...) afin de se libérer des

contraintes de la nature. Ces actes, rappelle NGR, ont débouché sur des conflits, mais

pas nécessairement des conflits sociaux. Les conflits sociaux apparurent d’une part, à

partir du moment où les moyens de production furent séparés du corps de l’homme

(existence d’organes exosomatiques), d’autre part lorsque leur production et leur

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utilisation ne furent plus confinées au cercle de la famille ou d’un clan familial20. A ce

moment là note NGR, « les instincts de l’homme, d’habileté professionnelle ou de curiosité gratuite, ont peu à peu mis au point des instruments exosomatiques capables de produire davantage que ce dont le clan familial avait besoin. En outre, ces nouveaux instruments, par exemple un grand bateau de pêche ou un moulin, demandaient aussi bien pour leur construction que pour leur fonctionnement, plus de bras qu’un seul clan familial ne pouvait en fournir. C’est à cette époque que la production pris la forme d’une activité sociale plutôt qu’une activité de clan » (NGR, 1969, p. 101). Dans le même temps, la division du

travail, nécessaire pour organiser la production ne fût réalisée, ni en fonction d’un

quelconque rôle déterminé dès la naissance pour chacun de ses membres, comme

c’est le cas dans la ruche ou la fourmilière, ni en fonction des divers talents de

chacun, mais en accord avec les rôles requis par l’organisation sociale : « Production thus became a social enterprise, which has to be well planned, set in motion at the opportune moment, and directed and closely supervised thereafter. These new tasks created a division not of labour in the sense of Adam Smith21 (which certainly was already at work), but a role in the production process and the social organization" (NGR, 1986, p. 250). Cette division

sociale reposerait sur la distinction entre deux catégories de membres de la société :

les gouvernés et les gouvernants, encore appelés « élite privilégiée". La première

catégorie fournit des services ayant une mesure objective (les maçons peuvent en

effet compter combien de briques ont été posées). La seconde catégorie regroupe des

services sans mesure objective (on ne peut en effet mesurer le travail physique des

juristes, des avocats...). Dans ce contexte, souligne Nicholas Georgescù-Roegen, il est

toujours possible pour les gouvernants d’exagérer l’importance de leur travail et de

s’en servir pour affirmer leur supériorité et leur domination sur les autres membres

de la société. On voit ainsi, que le conflit social (lui-même issu de la division du

travail) dans les sociétés humaines n’existe que parce que l’espèce humaine en est

arrivée à vivre en société par évolution exosomatique et non endosomatique :

«Nothing in the soma of a newborn human determines his future role. Later, he may become a ricksha man just as well as a mandarin. And the rub is that, in contrast with the ant doorkeeper, a ricksha man would like to be a mandarin and, as a part of his ordinary efforts, would struggle to exchange roles" (NGR, 1977b, p. 366). Un conflit social qui fera

malheureusement partie du lot de l’humanité aussi longtemps que le mode de vie

des sociétés humaines (capitalistes) dépendra de la production à grande échelle

d’instruments exosomatiques. Pour retarder le plus possible l’arrivée de l’inéluctable,

Georgescù-Roegen préconise, pour le Tiers-Monde et pour tous les pays

20 NGR aborde ce problème dans le cadre de l’économie paysanne et des travaux de Tchayanov. 21 NGR ne partage pas la conception que Smith a de l’origine de la division du travail. En effet, alors que pour Adam Smith, la division du travail a pour origine "un certain penchant naturel à tous les hommes", pour NGR, elle a pour fondement « les instincts de l’homme, d’habileté professionnelle ou de curiosité gratuite » (NGR, 1969, p. 101),

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industrialisés, une politique conservationniste qualifiée de «programme bio-économique minimal ».

L’écologie politique, de la bioéconomie à la décroissance

Si la thermodynamique et la biologie jouent un rôle majeur dans la pensée de

Nicholas Georgescù-Roegen, il convient de préciser que NGR a été « le premier économiste et pratiquement le seul (depuis Malthus) à poser sérieusement le problème de l’économie de l’espèce humaine dans son contexte écologique global, c'est-à-dire à l’échelle de la planète toute entière » (Grinevald, 2005, p. 51). Sa bioéconomie et plus précisément

son programme bioéconomique minimal appelle à repenser complètement le

développement de l’ensemble de l’humanité en établissant une étroite corrélation

entre les sciences économiques et sociales, et les sciences de la vie et de la terre. C’est

également ce que suggère René Passet (1971, 1979, 2010) dans sa quête d’une

bioéconomie transdisciplinaire (Vivien, 2011). Par bioéconomie, Passet entend « une démarche qui ouvre l’économie sur la biosphère dont elle ne constitue qu’un sous-système -, et non point l’intégration dans une logique strictement économique qui l’engloberait » (2011, p.

896). L’économie doit forger ses outils et son cadre de réflexion dans la logique du

milieu naturel22 : précise que « le discours sur la vie nous apprend à situer l’économique dans le prolongement d’un double mouvement général : - de lutte contre l’entropie que mènent les organismes afin de maintenir et reproduire leur structure, - et d’évolution complexifiante dont la dimension cosmique n’exclut pas que les comportements y puissent jouer un rôle » (Passet, 1992, p. 87). Ainsi comme le suggère Dominique Bourg23

(1996), la bioéconomie ne vise pas à naturaliser les comportements économiques

humains, mais à tenir compte de leur insertion dans un contexte naturel aussi bien

que social et éthique. Ce ré-encastrement de l’économie dans l’écologie est

aujourd’hui symbolisé par le concept de la décroissance, dont NGR est le père

fondateur (Clémentin, Cheynet, 2005). Par ce terme, NGR entendait procéder à une

réorientation structurelle du processus de production et du mode de consommation.

Il s’agissait avant tout d’une décroissance physique des activités humaines. Le

message selon lequel il n’y a pas de croissance infinie possible sur une planète finie, a

trouvé un écho parmi certains économistes hétérodoxes, philosophes ou essayistes

que nous classerons dans le courant de l’écologie politique. La convivialité d’Ivan

Illich (1973), la restructuration écologique d’André Gorz (1991), la conquête des biens

22 René Passet (1992) ne s’est pas contenté de relier la bioéconomie à la thermodynamique et la biologie, il a également suggéré que l’activité économique introduisait à la fois une dimension énergétique et une dimension informationnelle : « l’économie est une activité néguentropique ayant pour effet d’incorporer de l’information structure dans la matière » (1992, p. 127). Voir Diemer (2012). 23 L’auteur (1996, p. 26) précise que la bioéconomie « récuse les trois présupposés fondamentaux de l’économie néoclassique : tout d’abord l’idée d’un équilibre atemporel du marché ; ensuite, l’indépendance des cycles économiques vis à vis de la nature ; enfin, l’indépendance de ces mêmes cycles par rapport aux autres dimensions de la société ».

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relationnels de Mauro Bonaïuti (2005) ou la décroissance conviviale de Serge

Latouche (2005, 2006, 2008) cherchent à remettre en cause certains aspects de notre

modèle économique de croissance, voire de notre mode de vie.

Le programme bioéconomique de Nicholas Georgescu-Roegen

En esquissant les bases de son programme bioéconomique minimal, Nicholas

Georgescù-Roegen a cherché à substituer une position normative fondée sur

l'irréversibilité et l'entropie, à la position orthodoxe s'appuyant sur la réversibilité et

la mécanique. Contrairement à l’économie politique qui ne précise pas qu’elle

« considère l'administration des ressources rares seulement pendant l'horizon économique d'une génération » (NGR, 1978, p. 374) et au modèle analytique standard dans lequel

"chaque génération peut utiliser autant de ressources terrestres et produire autant de pollution que son enchère seule en décide ” (NGR, 1995, p. 126), NGR entend définir un

programme bioéconomique qui concerne l'affectation des ressources dans l'intérêt,

non pas d'une seule génération, mais de toutes les générations. Ainsi dans le cas de

l'incertitude historique, pour laquelle nous ne pouvons établir aucune distribution

quantitative, le principe qui doit nous conduire, rappelle NGR, est celui « de minimiser les regrets futurs ».

Le programme bioéconomique suggéré par NGR repose sur huit points : (1)

l’interdiction de la guerre et de la production de tous les instruments de guerre ; (2)

l’aide aux nations sous-développées pour qu’elles puissent parvenir aussi vite que

possible à une existence digne d’être vécue mais dénuée de luxe ; (3) la diminution

de la population jusqu’à un niveau où une agriculture organique suffirait à la nourrir

convenablement ; (4) une réglementation destinée à éviter tout gaspillage d’énergie

(excès de chauffage, de climatisation, de vitesse, d’éclairage…) ; (5) une

désintoxication de « notre soif morbide de gadgets extravagants, si bien illustrés par cet article contradictoire qu’est la voiture de golf, et de splendides mammouths telles les grosses voitures » (NGR, 1995, p. 133) ; (6) l’abandon des effets de la mode (« C’est… un crime bioéconomique que d’acheter une nouvelle voiture chaque année et de réaménager sa maison tous les deux ans », 1995, p. 134) ; (7) la nécessité que les marchandises restent durables

et réparables ; (8) la guérison du cyclondrome du rasoir électrique qui « consiste à se raser plus vite afin d’avoir plus de temps pour travailler à un appareil qui rase plus vite encore, et ainsi de suite à l’infini » (ibid).

Cette nouvelle orientation éthique s’avère toutefois difficile. En effet, dans le

domaine écologique seule la pollution, mal le plus visible, retient le plus l’attention.

Or ce programme se fonde sur une véritable modification des valeurs au niveau

universel 24 (intégrant même les progrès technologiques). NGR proposera des

réglementations qualitatives concernant l’énergie. Ainsi, il faudrait développer la

24 Ce n’est pas un retour “à la bougie”, rappelle NGR, mais à l’âge du bois.

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recherche sur le solaire et diffuser les techniques connues pour “ apprendre par la pratique ” (NGR, 1995, p 132). Dès lors, l’innovation technologique pourrait aider à

lutter contre l’épuisement des matériaux (NGR ne cède pas aux sirènes d’un certain

scientisme qui peut tout résoudre par avance). La modification du comportement,

essentiellement des citadins, doit aboutir au contrôle de la demande par un contrôle

de l’envie : « Il est grand temps pour nous de ne plus mettre l’accent exclusivement /.../ sur l’accroissement de l’offre. La demande peut aussi jouer un rôle et même, en dernière analyse, un rôle plus grand et plus efficace » (NGR, 1995, p 132). En attendant l'hypothétique

survenue de Prométhée III - autrement dit, de la technique susceptible de prendre le

relais de celle utilisant l'énergie fossile - NGR met en avant toute une série de

mesures destinées à réduire les gaspillages, désignant ainsi le recours à l'énergie

pour des besoins considérés comme superflus, pour des gadgets et des armes. Pour

utiliser le langage de Ivan Illich (1973), NGR préconise la réorientation des sociétés

humaines modernes vers "l'austérité joyeuse", entendons par-là, un modèle de société

où les besoins sont réduits, mais où la vie sociale est plus riche : « Le seul moyen de protéger les générations à venir à tout le moins de la consommation excessive des ressources pendant l’abondance actuelle, c’est de nous rééduquer de façon à ressentir quelque sympathie pour les êtres humains futurs de la même façon que nous nous sommes intéressés au bien-être de nos “voisins” contemporains » (NGR, 1995, p. 129).

Ainsi ce qui intéresse NGR, c’est la qualité de la vie et « la répartition de la dot de l’humanité entre toutes les générations » (NGR, 1995, p.126). L’humanité est soumise à

une mondialisation de fait puisque la capacité de charge de la terre est limitée. La

hausse de la productivité agricole suit la loi des rendements décroissants et ne fait

qu’accélérer les conséquences de l’entropie. Seule l’agriculture organique trouve

grâce aux yeux de NGR. Cependant il admet la nécessité de “ l’industrialisation des

champs ” afin de faire face à l’explosion démographique. NGR esquisse ainsi une

nouvelle articulation des deux mondes, agricole et urbain. Ces derniers se

caractérisent par la différenciation des lois qui les régissent25. Les villes, bien que

dépendante des campagnes pour la fourniture de biens de subsistance, dominent ces

dernières. La pression pour obtenir de la nourriture à bon marché s’accroît d’autant

que le désir de consommer des nouveaux biens issus de l’industrie accompagne la

hausse du revenu des élites. Cette évolution est toutefois contrainte par la

démographie et les lois de la thermodynamique. Le développement aurait selon

NGR entretenu une croissance démographique ayant pour unique conséquence

d’accentuer la lutte pour la nourriture, d’où un retour sur les thèses malthusiennes.

La croissance démographique est commune aux deux mondes. Mais la campagne

seule ne peut plus répondre aux besoins : « In the contemporary era, however, the

25 NGR s’opposera à Marx. “ Selon toute probabilité, la plus grande erreur de Marx est de n’avoir pas reconnu que l’agriculture et l’industrie obéissent à des lois différentes. Cette erreur l’a conduit à soutenir que la loi de la concentration s’applique aussi bien à l’agriculture qu’à l’industrie” (NGR, 1978, p 245).

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peasant economy has come to a crisis that the village alone can no longer solve. The Entropy Law makes the crisis inevitable : the population explosion has only speeded its coming. But leaving aside the population explosion – which is a biological rather than a economic phenomenon – we can easily see that the crisis stems from the scarcity of land – about which we can do rather little – and form the qualitative deterioration of agricultural land through millenary use with manuring only » (NGR, 1971, p. 525). La solution préconisée

consisterait donc à rechercher une mécanisation de l’agriculture, inévitable pour

l’avenir des peuples, mais « anti-économique à long terme », eu égard aux phénomènes

d’entropie. Les “ chicken factories ”, note NGR ont fait leur apparition. L’agriculture

moderne utilise de plus en plus d’engrais artificiels et consomme des quantités

croissantes d’énergie fossile. NGR parle de l’avènement de “la phase industrielle” de

l’humanité (NGR, 1970, p 58). Cette dernière accélérait la production du sol car le

recours à l’énergie solaire, cette énergie éternelle, ne peut nourrir 5 milliards de

personnes. La collaboration se substituerait donc à la domination (une armée de paix

sera l’outil éducatif de cette collaboration). La ville, devra pour le bien de tous, aider

l’économie de la campagne en s’adaptant à ses spécificités et en évitant de faire

pression sur les prix. Les fonds devront s’adapter à la nature des outils

exosomatiques (il ne s’agit pas de fournir aux campagnes des tracteurs géants). Une

modification des valeurs sera nécessaire (réduction de la consommation de biens de

luxe et croissance du temps de travail). L’objectif de la production citadine sera la

création d’un surplus destiné à la campagne. Dans cette vision fataliste de l’évolution

du monde, la campagne devrait progressivement s’aligner sur le processus

industriel, ce qui ne peut qu’accroître la rareté des ressources. Mais cela semble

inévitable du fait des besoins de nourritures. Et ce d’autant que NGR étend cette

analyse aux relations entre les pays en développement et les pays industrialisés.

Au final, NGR reste très pessimiste sur les chances de réussite d’un programme

bioéconomique. Il a en effet conscience que son modèle de « décroissance » sera

difficile à mettre en œuvre. « L’humanité voudra t’elle prêter attention à un quelconque programme impliquant des entraves à son attachement au confort exosomatique ? Peut être le destin de l’homme est-il d’avoir une vie brève mais fiévreuse, excitante et extravagante, plutôt qu’une existence longue, végétative et monotone » (NGR, 1995, p. 135). Tous ses espoirs

sont contenus dans la fusion de l’économie et de l’écologie (c’est toutefois

l’économie qui devra être absorbée par l’écologie) : « l’un des principaux problèmes écologiques posé à l’humanité est celui des rapports entre la qualité de la vie d’une génération à l’autre et plus particulièrement celui de la répartition de la dot de l’humanité entre toutes les générations. La science économique ne peut même pas songer à traiter ce problème. Son objet, comme cela a souvent été expliqué, est l’administration des ressources rares; mais pour être plus exact, nous devrions ajouter que cette administration ne concerne qu’une seule génération » (NGR, 1979, p. 95). Ce vœu pieu ne tombera pas dans l’oubli. En effet,

certaines voix, réunies sous la bannière de l’écologie politique (Dannequin, Diemer,

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Petit, Vivien, 1999), se sont élevées pour porter un regard nouveau sur les activités

économiques et revendiquer l’instauration d’un nouveau paradigme de

développement : la décroissance.

De la restructuration écologique à la décroissance

Si Nicholas Georgescu-Roegen est bien le père fondateur de la décroissance26

(Entropy Law and the Economic Provcess, 1971), on peut ajouter que la contestation de

la croissance économique est un fondement de l’écologie politique. Des auteurs

d’origines diverses se sont engagés dans une critique radicale du développement et

du progrès. Notre modèle économique, privé de ses dimensions environnementale et

sociale, serait incapable de cerner les limites physiques et sociétales du monde qui

nous entoure.

André Gorz (1991) fera un appel d’urgence en faveur d’une restructuration

écologique de la société. Cette dernière exige que la rationalité économique soit

subordonnée à une rationalité éco-sociale. En effet, la restructuration écologique

serait incompatible avec le paradigme capitaliste de la maximisation du profit et de

l’économie de marché, lequel contraint les entreprises à renouveler et à différencier

continuellement leur offre, à créer de nouveaux désirs et à repousser sans cesse la

satiété des consommateurs. Pour rompre avec cette logique – qui n’est autre que

celle du capital - et pour que s’opère une libération dans la sphère de la

consommation, il faut introduire du choix dans le travail des individus. Il faut que le

niveau des besoins et le niveau des efforts à consentir dans le domaine du travail

soient proportionnés et déterminés conjointement. « La décroissance de la production de marchandises et de services marchands devra être réalisée grâce à une autolimitation des besoins comprenant elle-même comme une requête de l’autonomie, c'est-à-dire grâce à une réorientation démocratique du développement économique, avec réduction simultanée de la durée du travail et extension, favorisée par des équipements collectifs ou communautaires, des possibilités d’autoproduction coopératives ou associatives » (1991, p. 39).

De manière générale, il s’agit de redéfinir les frontières de la sphère de la rationalité

économique et des échanges marchands. Les activités économiques doivent décroître

tandis que les activités non régies par le rendement et le gain doivent se développer.

Le sens de la rationalisation écologique peut ainsi se résumer en la devise « moins mais mieux ». Son but est « une société dans laquelle on vivra mieux en travaillant et en consommant moins. La modernisation écologique exige que l’investissement ne serve plus à la croissance mais à la décroissance de l’économie, c'est-à-dire au rétrécissement de la sphère régie par la rationalité économique au sens moderne. Il ne peut y avoir de modernisation écologique sans restriction de la dynamique de l’accumulation capitaliste et sans réduction par autolimitation de la consommation » (1991, p. 93).

26 Précisons que dans et ouvrage, NGR parle de declinig State et non de degrowth.

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D’un point de vue pratique, cette refonte écologique du système industriel

concernera les industries lourdes (recul des ventes de produits chimiques) ;

l’agriculture (passage à une agriculture plus respectueuse des équilibres naturels,

moins énergivore en engrais et produits phytosanitaires) ; les transports (priorité au

rail, limitation des vitesses, réduction de la production d’automobiles…).

La restructuration écologique d’André Gorz pose ainsi un véritable défi à notre

civilisation, celui de passer d’un modèle économique et social fondé sur l’expansion

régulière et continue (dont le symbole est l’augmentation du PIB) à une civilisation

plus sobre dont le modèle économique intègre les relations sociales et la finitude de

la planète. L’écologie politique – Gorz en attribue les fondements aux travaux

d’Illich, à l’article fondateur « Blueprint of Survival » de Goldsmith et Allen (1972)

paru dans The Ecologist et au fameux rapport Meadows (1972) - peut nous y aider.

Il s’agira entre autre d’amener les pays riches (capitalistes) à modifier (diminuer) leur

niveau de production et de consommation sans engendrer une implosion de leur

système social. Quelques années plus tard, Serge Latouche (2005) proposera d’entrer

dans la décroissance conviviale. La décroissance doit être organisée à la fois pour

préserver l’environnement et restaurer le minimum de justice sociale. Il s’agit plus

précisément de « renoncer à l’imaginaire économique, c'est-à-dire à la croyance que plus égale mieux », de considérer que « le bien et le bonheur peuvent s’accomplir à moindre frais », de « redécouvrir la vraie richesse dans l’épanouissement de relations sociales conviviales dans un monde sain » (2005, p. 26).

Fig 8 : les deux écologies vues par André Gorz

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Approche reposant sur l ’écologie scientifique visant à définir des seuils supportables à la sphère techno industrielle (normes de limitation dans le cadre d’un métabolisme société-nature)

ECOLOGIE SCIENTIFIQUE VS ECOLOGIE POLITIQUE ?

Gorz (1992)

Approche des mouvements écologiques : culture du quotidien. Ivan Illich (1971, 1973) : les machines technico-administratives qui aliènent les individus � contrôle total des individus).

L’écologie industrielle n’est pas une solution, surtout lorsqu’elle

prône la voie technologie

Article de Goldsmith/ Allen paru dans The Ecologist (1972) : « Blueprint of survival », Rapport Meadows (1972) : Limits to Growth

I m p o s s i b i l i t é d e continuer dans la voie du développement initié par le système capitaliste

Fondements pour amorcer une transformation en mouvement politique Projet de société : sortir de la malédiction du travail, la perspective de la décroissance peut être féconde, cependant elle comporte des obstacles politiques

Cette décroissance27, voulue et réfléchie, n’implique pas une réduction du niveau de

vie mais plutôt une conception différente du niveau de vie lui-même (Soper, 2001).

Pour Mauro Bonaïuti (2005), il s’agit d’une révision profonde des préférences et de la

façon de concevoir la production de la valeur économique (débat initié par NGR). Il

conviendrait de favoriser le déplacement de la demande de biens traditionnels à

impact écologique élevé vers « des biens relationnels » (Zamagny, 1998). Cette

demande de biens relationnels prendra les traits d’une demande de soins, de

connaissances, de participation, de nouveaux espaces de libertés... La décroissance

matérielle serait ainsi « une croissance relationnelle, conviviale et spirituelle » (Bonaïuti,

2005, p. 33) ; elle serait basée sur l’entraide28 et la réponse aux vrais besoins.

Serge Latouche (2006) note qu’un tel changement nécessite un programme plus

systématique29, plus radical et plus ambitieux. Les 8 R (réévaluer, reconceptualiser,

restructurer, redistribuer, relocaliser, réduire, réutiliser, recycler) constituent huit

27 En 1982, à Montréal, s’est tenue une conférence sous l’intitulé Les enjeux de la décroissance (The challenges of degrowth), mais le mot est utilisé alors comme synonyme de récession économique (ACSALF, 1983). 28 Décroissance devient un slogan activiste en France en 2001, en Italie en 2004 ("Decrescita’), en Catalogne et en Espagne en 2006 (‘Decreixement’ et ‘Decrecimiento’). 29 En 2004, la Décroissance entre dans un débat public plus large, par le biais du magazine mensuel La Décroissance, le journal de la joie de vivre, vendu aujourd’hui à près de 30 000 exemplaires.

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objectifs interdépendants « susceptibles d’enclencher un cercle vertueux de la décroissance sereine, conviviale et soutenable » (2006, p. 153). La réévaluation et la

reconceptualisation doivent mettre un terme à l’imaginaire dominant, il s’agit d’une

remise en cause des valeurs actuelles (couple richesse – pauvreté, abondance – rareté,

conception du temps 30 …) suscitées et stimulées par le système économique.

L’éducation, la manipulation médiatique et le mode de vie (consumérisme) sont à

l’origine de la « colonisation des esprits » (2006, p. 160). Pour s’en sortir, il convient de

rompre les chaînes de cette drogue (remettre en cause l’impérialisme de l’économie31,

sortir de l’économie politique en tant que discours dominant ; dénoncer l’agression

publicitaire ; entamer une cure de désintoxication par la baisse du temps de travail,

renoncer collectivement et individuellement à une consommation débridée…). La

restructuration et la redistribution traduisent le passage dans un autre ensemble de

représentations du monde. Restructurer, c’est « adapter l’appareil de production et les rapports sociaux en fonction du changement de valeurs » (2006, p. 182), redistribuer, c’est

« répartir [autrement] les richesses et l’accès au patrimoine entre le Nord et le Sud, comme à l’intérieur de chaque société » (2006, p. 191). Ce changement doit être radical

(redistribution de la terre, du travail, des revenus) pour ébranler les valeurs

dominantes du système en place. La relocalisation « constitue logiquement la première action et la base du processus » (2006, p. 197) de décroissance. Le localisme tend à

combattre les prétendus mythes du globalisme, à savoir la mise en concurrence des

territoires par la fiscalité, la flexibilité du travail et la dérèglementation

environnementale. Il s’agit de mettre un terme à la dislocation du tissu social et

d’encourager toute attitude pouvant renforcer les économies au niveau local

(Norberg-Hodge, 2005). La réduction, la réutilisation et le recyclage impliquent un

bouleversement des attitudes individuelles et collectives. La réduction de la

consommation, la réduction des déchets, la réduction de la durée du travail (Ellul,

1982 ; Harribey, 1997)… ne peuvent qu’avoir un impact positif sur la société. Cette

sobriété citoyenne (Rabhi, 2005) doit être renforcée par la disparition du gaspillage,

une amélioration de la durabilité des objets, un renoncement au dernier cri

technologique et au tout jetable. Le recyclage des déchets de nos activités est « une forme de rachat de notre dette à l’égard de la nature » (2006, p. 239).

Pour que ce programme frappe les consciences, Serge Latouche (2007) l’a érigé en

véritable « programme électoral ». Des mesures telles que la redécouverte de notre

empreinte écologique, l’intégration de certaines nuisances dans les coûts de

transports, la relocalisation des activités, la restauration de l’agriculture paysanne, la

30 Paul Ariès (2005, p. 131) précise qu’il convient « de rompre avec le fétichisme du temps qui fait que nous allons de plus en plus vite mais souffrons d’un manque de temps… La décroissance est l’inverse de la néantification du passé et donc du futur ». 31 Vincent Cheynet (2005, p. 144) note que le concept de décroissance conduit à s’extraire de l’économisme, « c'est-à-dire à replacer l’économie à sa juste place dans l’échelle des valeurs. Ce n’est pas à l’économie de dicter sa logique à l’homme. Elle est un moyen non une fin ».

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transformation des gains de productivité en réduction du temps de travail et en

création d’emplois, l’impulsion d’une production de biens relationnels, la réduction

du gaspillage d‘énergie, la pénalisation des dépenses de publicité, la mise en place

d’un moratoire sur l’innovation technoscientifique … font partie de la « pédagogie des catastrophes et du réenchantement du monde ».

La décroissance 32 n’est donc pas une fabulation de l’esprit, elle fait du

développement durable, un projet politique pour un renouveau des sociétés, « avec la responsabilité pour principe essentiel » (Larrère, 1997 ; Heurgon, 2007). Pour mieux

vivre, il s’agit désormais de produire et de consommer autrement. Cette nouvelle

manière de penser les liens entre économie et écologie se heurte toutefois à trois

mythes (Latouche, 2006), véhiculés par la pensée orthodoxe : l’éternelle

substituabilité des facteurs de production ; la dématérialisation et l’arme absolue de

l’éco-efficience.

Technologie et substituabilité des facteurs de production

A la suite des travaux de Beckerman (1972), Solow (1973, 1974), Johnson (1973) et

bien d’autres, le progrès technique associé à l’hypothèse de substituabilité des

facteurs de production (une quantité accrue d’équipements, de connaissances et de

compétences doit pouvoir prendre le relais de quantités moindres de capital naturel

pour assurer le maintien des capacités de production et la satisfaction du bien être

des individus) a été présenté comme une source de croissance économique

inépuisable. Nous serions ainsi toujours capable de trouver un substitut pour

remplacer une ressource rare (le capital artificiel se substitue au capital naturel), mais

également d’augmenter la productivité de n’importe source d’énergie et de matière.

Nicholas Georgescu-Roegen (1995, p. 100) a qualifié cette thèse de « sophisme de la substitution perpétuelle » et pointé du doigt l’analyse de Solow « Il faut avoir une vue bien erronée du processus économique dans sa totalité pour ne pas remarquer qu’il n’existe pas de facteurs matériels autres que les ressources naturelles. Soutenir en outre, que le monde peut, en effet, subsister sans ressources naturelles, c’est ignorer la différence qui existe entre le monde réel et le jardin d’Eden » (ibid). De son côté, Serge Latouche n’hésite pas à écrire

qu’il faut avoir « la foi des économistes orthodoxes pour penser que la substituabilité illimitée de la nature par l’artifice est concevable » (2006, p. 46).

Le mythe de la technique sans limites est à la fois condamné par les faits et la

problématique même de la technologie. Il n’existe pas de facteurs matériels autres

32 La Décroissance, en tant que mouvement social, a fait seulement ses débuts à Lyon, dans une vague de protestations visant à encourager les villes sans voitures, les coopératives alimentaires, à lutter contre l’invasion publicitaire (Journal « Casseurs de pub »), entre autres. Ces actions ont été suivies, début 2002, par la parution d’un hors-série de la revue Silence magazine, édité par Vincent Cheynet et Bruno Clémentin.La même année, s’est tenue à Paris, au siège de l’UNESCO, devant 800 participants, la conférence Défaire le développement, refaire le monde (Unmake development, remake the world).

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que les ressources naturelles : « la substitution à l’intérieur d’un stock fini de basse entropie accessible dont la dégradation irrévocable s’accélère avec son utilisation ne peut durer indéfiniment » (NGR, 1995, p. 100). Par ailleurs, l’histoire économique (voire les

différentes révolutions industrielles) confirme que tous les grands bonds du progrès

technologique ont été déclenchés par la découverte et la maîtrise d’une nouvelle

source d’énergie et que les innovations ont été suivies d’un accroissement substantiel

de l’extraction minière. Enfin, le phénomène plus connu sous le nom « d’effet

rebond » ou de « paradoxe de Jevons », précise que toutes les innovations

technologiques incitent à une augmentation de la consommation globale. Ainsi, les

gains potentiels dus aux perfectionnements techniques seraient plus que compensés

par l’accroissement des quantités consommées : « Les ampoules fluocompactes dépensent moins d’électricité, on les laisse allumées. L’Internet dématérialise l’accès à l’information, on imprime plus de papier. Il y a plus d’autoroutes, le trafic augmente… » (Latouche, 2006, p.

50). Pire, la technologie, par l’obsolescence programmée des produits, deviendrait un

puissant allié du consumérisme et un facteur d’aggravation de la pollution : « C’est ainsi que des montagnes d’ordinateurs se retrouvent en compagnie de téléviseurs, de réfrigérateurs, de lave vaisselle, de lecteurs de DVD et de téléphones portables à encombrer poubelles et décharges avec des risques de pollution divers : 150 millions d’ordinateurs sont transportés chaque année dans des déchetteries du Tiers Monde (500 bateaux par mois vers le Nigéria !) alors qu’ils contiennent des métaux lourds et toxiques (mercure, nickel, cadmium, arsenic, plomb) » (Latouche, 2007, p. 37).

Le capitalisme immatériel

L’économie des services, la nouvelle économie (techniques d’information et de

communication) et la société de la connaissance sont présentées par certains auteurs

comme des solutions viables en matière de développement durable. Dans son

ouvrage intitulé Vers une écologie industrielle, Suren Erkman (1998, p. 88) avance que

« si l’on veut atteindre un niveau de vie élevé pour une population mondiale en augmentation, tout en minimisant les impacts sur l’environnement, il faudra obtenir plus de services et de biens à partir d’une quantité de matière identique, voire moindre. Telle est l’idée de base de la dématérialisation, qui consiste, en d’autres termes, à accroître la productivité des ressources ». La dématérialisation du capitalisme – en d’autres termes le passage

d’une société de produits à une société de services mais également l’émergence du

capitalisme cognitif – conduirait à une consommation moins énergivore en matières

premières et en énergie. Cet espoir semble aujourd’hui s’être quelque peu assombri.

En effet, plusieurs critiques émanant de l’écologie politique tendent à souligner les

externalités négatives associées aux activités servicielles.

La première critique concerne tout d’abord la réalité de la dématérialisation.

Comme le souligne Serge Latouche (2006), cette nouvelle économie remplace moins

l’ancienne qu’elle ne la complète. Si l’activité industrielle a régressé en termes

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relatifs, elle continue à progresser en termes absolus : « Dans les vingt dernières années, elle a crû encore de 17% en Europe et de 35% aux Etats-Unis » (Latouche, 2006, p. 47). En

fait, les pertes d’emplois industriels seraient dues en bonne partie aux stratégies

d’externalisation des entreprises. En se recentrant sur le cœur de leur métier, ces

dernières ont été amenées à externaliser des services (entretien, maintenance,

sécurité, restauration, informatique…) qui étaient autrefois intégrées et

comptabilisées en emplois.

La deuxième critique renvoie au mode de développement du capitalisme

dématérialisé. Il semblerait que l’économie des services ait adopté les mêmes

logiques productivistes (taylorisme sur les plateformes téléphoniques), les mêmes

objectifs de performance et les mêmes priorités de rentabilité des capitaux que

l’économie industrielle. L’économie des services chercherait ainsi à couvrir certains

besoins (solvables) sans toutefois répondre à toutes les attentes qui s’expriment dans

la société (services à la personne). Ce qui fait dire à Josée Landrieu (2007, p. 9) que

« l’économie des services a plutôt tendance à ignorer les attentes humaines, à s’émanciper du soubassement sociétal…pour s’aligner sur les logiques de marchés et de l’économie mondialisée ».

La troisième critique s’adresse tout particulièrement au capitalisme cognitif, cette

société de la connaissance mise en valeur lors du Sommet de Lisbonne. André Gorz

(2003) note à ce sujet que le développement des connaissances technoscientifiques n’a

pas engendré une société de l’intelligence, mais bien une société de l’ignorance. La

grande majorité connaît de plus en plus de choses mais en sait et en comprend de

moins en moins. « La technoscience a produit un monde qui dépasse, contrarie, viole le corps humain par les conduites qu’il en exige, par l’accélération et l’intensification des réactions qu’il sollicite » (2003, p. 111). Pour reprendre l’expression de George Dyson

(1997, p. 209), les hommes seraient devenus des « goulots d’étranglement » pour la

circulation et le traitement de l’information. En s’alliant à la science, le capitalisme

(cognitif) chercherait à dépasser l’obsolescence humaine sans toutefois provoquer

poser les bases de son émancipation. C’est pourquoi André Gorz en appelle à

l’écologie, « elle seule cherche à développer une science au service de l’épanouissement de la vie et d’un milieu de vie (environnement) qui permet et stimule cet épanouissement » (2003,

p. 112).

La quatrième critique concerne les effets des technologies de l’information sur

l’environnement. Contrairement à une idée répandue, les NTIC et le capitalisme

cognitif seraient beaucoup plus gourmands en inputs et en intrants matériels qu’il

n’y paraît. Si les logiciels incorporent de la matière grise, une étude intitulée

« Computers and the Environnement » et réalisée par Ruediger Kuehr et Eric Williams

(2003) pour le compte de l’ONU, a révélé que les composants électroniques

assemblés dans les ordinateurs étaient un danger avéré pour l’environnement. Ces

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chercheurs ont établi que pour produire un ordinateur de bureau avec un écran de

17 pouces, soit 24 kg de matière utilisée, il fallait l’équivalent de près de deux tonnes

de ressources naturelles : soit 240 kg de combustible, 22 kg de produits chimiques et

près de 1.5 tonne d’eau claire. La fabrication d’une puce mémoire de 32MB DRAM en

silicium de 2 grammes, pièce qui permet de transformer l’information au sein de

chaque ordinateur, nécessite 1.2 kg de matières fossiles, 72 grammes de produits

chimiques et 32 litres d’eau pure. La quantité de matière et d’énergie nécessaire pour

produire une puce est ainsi disproportionnée par rapport à la taille du produit

(équivalent de 600 fois son poids). Par comparaison, les combustibles fossiles

nécessaires à la production d’une automobile ne représentent qu’une à deux fois son

poids (Grégoriades, 2007). Cette soif de matière et d’énergie33 génère également des

problèmes de toxicité (plomb dans les tubes cathodiques des écrans, cadmium pour

les revêtements de protection, chrome hexavalent pour lutter contre la corrosion des

composants, polybromodiphényles et polybromodiphényléters utilisés dans les

circuits imprimés pour les rendre inimflammables, mercure et lithium dans les

batteries, aluminium dans les disques durs…) et de recyclage des produits (plus de

150 millions d’ordinateurs sont aujourd’hui vendus dans le monde). Le rythme

auquel les nouvelles technologies se développent, implique que la durée de vie utile

des ordinateurs est courte34, ce qui engendre une accumulation de produits obsolètes

(la loi de Moore – la puissance des puces électroniques doit doubler tous les 18 mois

– pousse au renouvellement permanent !).

La cinquième critique tend à souligner les méfaits de la nouvelle économie sur la

situation environnementale des pays du Sud. Serge Latouche (2006, p. 48) note que

« la prétendue économie de la connaissance postindustrielle de l’OCDE repose sur un transfert massif de sa base industrielle et énergétique vers les économies émergentes ». Yves

Cochet (2005, p. 117) précise de son côté qu’un « transfert d’activités énergivores des pays du Nord vers les pays émergents s’additionne à une augmentation du trafic mondial de marchandises pour accroître finalement la consommation d’énergie ». Les pays asiatiques

(Chine, Pakistan, Inde) font notamment face au recyclage des ordinateurs en fin de

vie venus des pays développés. Les inquiétudes vis-à-vis des risques posés par les

décharges de matériel informatique sur l’environnement contrastent avec les récentes

décisions européennes. Il semblerait que la question environnementale ait un prix

que seuls les pays du Nord peuvent payer.

33 D’après le rapport « Mobile Toxic Waste » du Basel Action Network (BAN, 2007), les téléphones portables sont composés (en poids) en moyenne de 45% de plastiques (PVC, ABS enduit de bromure retardateur de flamme), 40% de circuits imprimés, 4% pour l’affichage à cristaux liquides, 3% de magnésium, 8% de métaux dispersés (cadmium, mercure, tangstène…). 34 L’EPA, l’agence américaine de protection de l’environnement, estime qu’entre 1999 et 2007, un demi milliard d’ordinateurs obsolètes sont venus rejoindre les déchets américains (soit près d’un demi million de plomb). Dans leur rapport, Williams et Kuehr (2003) ont ainsi préconisé d’aller au-delà du simple recyclage et de s’intéresser au marché de l’occasion, à la réparation…

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La dernière critique nous invite à nous pencher sur le sens de la vie. Le bonheur,

rappelle Robert Reich (ancien ministre du Travail du Président Bill Clinton et

économiste à Harvard), n’est pas une fonction croissante du revenu monétaire et des

biens relationnels. Le mythe de la nouvelle économie ne doit pas nous faire oublier

que ce que nous gagnons, nous le gagnons au prix d’un immense sacrifice : celui des

relations sociales. « Nous tirons tous de grands avantages de la nouvelle économie… Nous jouissons des extraordinaires opportunités qu’elle nous offre en tant que consommateurs et, toujours plus, comme investisseurs/spéculateurs. Nous poussons la nouvelle économie en avant. Et pourtant, il y a un « mais ». Quelque merveille que soit la nouvelle économie, nous sacrifions sur son autel : des pans entiers de famille, de nos amitiés, de la vie collective, de nous-mêmes. Ces pertes vont de pair avec les bénéfices que nous en retirons. En un certain sens, ce sont le deux faces de la même médaille » (Reich, 2000).

L’éco-efficience

Au début des années 2000, les sciences de l’ingénieur ont connu un certain succès

auprès des instances de l’Union européenne et l’écologie industrielle s’est mise à

‘surfer’ sur la vague de l’écotechnologie35 et de l’éco-efficience. L’écotechnologie

recouvre à la fois « les techniques intégrées qui évitent la formation de polluants durant les procédés de production, et les techniques en bout de chaîne qui réduisent les rejets dans l’environnement de toute substance polluante générée. Elle peut également englober les nouveaux matériaux, les procédés de fabrication économes en énergie et en ressources, ainsi que le savoir faire écologique et les nouvelles méthodes de travail » (COM, 2002, p. 5). Il

semble extrêmement difficile d’évaluer la contribution de l’éco-technologie au

développement durable. Néanmoins, il est possible de rendre compte de cette

corrélation à partir des éco-industries. Selon l’OCDE et Eurostat (1999), les éco-

industries concernent « toutes les activités qui produisent des biens et services visant à mesurer, prévenir, limiter ou corriger les atteintes à l’environnement touchant l’eau, l’air ou le sol, et les problèmes en rapport avec les déchets, le bruit et les écosystèmes ». Cette

définition englobe trois catégories d’activités : la gestion de la pollution de nature

préventive (réduction des émissions de gaz à effet de serre) ou curative (réparations

des atteintes à l’environnement) ; les techniques intégrées et les produits peu

polluants (c'est-à-dire les activités qui améliorent, réduisent ou éliminent de façon

continue les incidences des techniques générales de l’environnement) ; la gestion des

ressources (notamment des énergies renouvelables telles que l’éolien, le solaire, la

biomasse).

Dans la mesure où ces nouvelles techniques relevant de l’écotechnologie

réduisent les coûts de la protection de l’environnement, elles permettent également

de renforcer la protection de l’environnement pour un prix moins élevé ou de

35 Aux Etats-Unis, l’écologie industrielle et l’écotechnologie font désormais partie du prestigieux MIT.

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satisfaire aux normes actuelles à moindre coût. Cela permet de libérer des ressources

qui peuvent être utilisées ailleurs et de dissocier la pollution de l’environnement et

l’utilisation des ressources de la croissance économique. Ce « Green Business »

constitue pour les tenants de l’écologie politique, autant de danger que la

surexploitation des ressources naturelles et la destruction des bases de la vie. Selon

André Gorz (1991), les éco-industries et les éco-business obéiraient aux mêmes

impératifs de rentabilité maximale que les autres industries de consommation. Il ne

s’agirait pas de satisfaire les besoins fondamentaux de la manière la plus rationnelle

possible mais au moyen d’un flux maximal de marchandises aussi profitables que

possible à produire. Dès lors, « la reproduction des bases de la vie peut être organisée dans le cadre d’un éco-techno-fascisme qui remplace artificiellement les cycles naturels par des niches synthétiques, économicise en quelque sorte le milieu de la vie, industrialise la production de la vie elle-même, y compris la vie humaine, commercialise des fœtus et des organes, maximise les performances des organismes vivants, y compris les performances humaines, par des moyens d’ingénierie génétique » (1991, p. 109). L’éco-efficience ne

serait que la modernisation écologique du capitalisme et la dernière « potion magique » des industriels. Economiser 30 à 40% des intrants, est tout à fait possible en

accroissant l’efficience et en luttant contre le gaspillage. Les nouvelles technologies

permettraient même d’aller jusqu’à 90% d’économies. Toutefois, comme le souligne

Serge Latouche (2006, p. 49), « que l’efficience écologique puisse s’accroître est une excellente chose. Elle pourrait faciliter le passage à une société de décroissance… mais dans le même temps la perpétuation de la croissance forcenée entraîne une dégradation globale ».

L’écologie politique, un projet politique pour l’éveil des

consciences

Dans ce qui précède, nous avons pris le parti d’associer la décroissance à un projet

politique porté par les pionniers de l’écologie politique. Bien entendu, il ne s’agit pas

de réduire le champ de l’écologie (Deléage, 2006) à la décroissance, mais bien de

penser cette dernière comme une réponse des économistes hétérodoxes aux dérives

du capitalisme. Il nous semble que c’est à partir de cette grille de lecture que l’on

peut comprendre l’extension du champ de l’écologie politique et son ancrage à la fois

dans la science en général (écologie scientifique) et dans les sciences sociales, plus

particulièrement. Dans son ouvrage les Scénarios de l’écologie (1996), Dominique Bourg

s’est appuyé sur la crise de l’idéologie économique pour présenter ce qu’il nomme,

les trois modalités de la pensée écologique. Le rejet le plus radical, celui de la Deep Ecology (Ecosophie d’Arne Naess, 1955, 1957, 1958…) cherche à en finir avec

l’humanisme moderne en instituant un système de valeurs biocentrique

reconnaissant à chaque espèce, un droit égal à l’existence. Le scénario intermédiaire,

celui du principe de responsabilité de Jonas, entend repenser nos responsabilités vis à vis

des générations futures et de la nature à l’aune des pouvoirs nouveaux conférés par

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les sciences et les techniques. Enfin, le scénario démocratique doit initier « une critique sans complaisance des aspects les plus délétères des sociétés industrielles, sans pour autant rejeter ce dont elles sont foncièrement solidaires, à savoir les droits de l’individu et les institutions démocratiques » (1996, p. 30). L’auteur place dans ce courant de pensée des

auteurs tels que Ivan Illich, André Gorz et même Philippe Van Parijs.

Si Jean Paul Deléage (1996) reconnaît l’importance du scénario démocratique, il

note, d’une part, que « les difficultés qu’il soulève sont énormes » et d’autre part, que « le pessimisme de la raison doit être et peut être, contrebalancé par l’optimisme de la volonté »

(1996, p. 128). Ces quelques mots en disent long sur le positionnement de l’écologie

politique. Il constitue à nos yeux une nouvelle étape dans cette longue émergence

d’un véritable courant de pensée, une étape teintée à la fois de postures positive et

normative. L’écologie politique passe du projet politique à l’action collective (au sens

cognitif), une sorte d’éveil des consciences qui sur des valeurs précises, « interroge le système représentatif dans son organisation et sa finalité » (Villalba, 2012, p. 98)

Cette quête ne cesse d’interroger le champ de l’écologie politique tout en

proposant des réponses claires et précises. André Gorz (1992) note que l’écologie

politique ne peut se réduire à une limitation des consommations mais implique de

sortir du productivisme capitalistique et du laisser faire libéral, tout en préservant

l’autonomie individuelle aussi bien que la solidarité sociale. Zin (2010) insiste sur le

fait que l’écologie politique doit nous amener à déterminer un revenu garanti qui

permettrait de sortir du salariat productiviste et de passer du travail subi

(subordonné) au travail choisi (autonome), comme de la sécurité sociale au

développement humain. Villalba (2012) voit dans l’écologie politique, une façon plus

écologique (post totalitaire) de faire de la politique : une démocratie des minorités,

ancrée dans le local et le face-à-face, à l’opposé de toute dictature majoritaire, et

pouvant constituer à terme une véritable démocratie cognitive en interaction entre

agir local et penser global. Si ces trois illustrations constituent à nos yeux une fronde

anti-capitaliste, il reste cependant à préciser le cœur de ce nouveau paradigme.

Jean Zin (1993) revient sur cette question en présentant ce qu’il appelle les trois

tendances contradictoires de l’écologie. Il y aurait ainsi une écologie fondamentaliste

et réactionnaire dont le mot d’ordre est « respectons les lois de la nature ». La liberté

humaine (individuelle) représente le mal absolu. Une écologie environnementaliste,

libérale et centriste, dont le mot d’ordre est « la qualité de la vie se réduit à préparer les futures industries de l’environnement, l’intégration de la gestion des déchets de l’économie… ». Une écologie politique dont le mot d’ordre est « la prise en compte de la totalité et la maîtrise de notre environnement, des conséquences de nos actions sur nous mêmes et notre avenir ». Il s’agit ici de reprendre le contrôle de l’économie, de parler

de besoins réels, de globaliser les problèmes, de chiffrer les nuisances indésirables…

Ce monde reste à construire en fondant notre société sur de nouvelles solidarités.

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Dans son ouvrage Qu’est ce que l’écologie politique, Alain Lipietz (1999, 2012) apporte

quelques éléments de réponse. Tout en précisant que l’écologie politique « est l’écologie d’une espèce particulière, l’espèce humaine, une espèce sociale et politique » (1999,

p. 11), il ajoute que c’est également « un mouvement social pour transformer l’écologie réellement existante de notre espèce humaine » (ibid). C’est donc une politique et une

éthique, une aspiration morale à plus d’harmonie, d’autonomie, de solidarité, de

responsabilité. L’écologie politique se place ainsi au rang des sciences sociales et a

son propre slogan : « le bien vivre » ou « le mieux vivre » (Bertrand de Jouvenel,

1968) : « la politique écologiste est d’abord une science sociale ; une politique du mieux vivre prend en compte les conséquences de nos actes sur notre santé, celle de nos proches, sur cette nature que nous empruntons aux générations futures » (ibid).

Fig 9 : L’écologie politique, un nouveau paradigme cognitif

GRILLE DE LECTURE

Typologie de JIN Ecologie Politique = projet politique

Ecologie politique : une revendication….. Revue Ecologie Politique

Ecologie politique : courant hétérodoxie

Pères fondateurs

B. De Jouvenel J. Ellul N. Georgescu-Roegen H. Daly R. Passet I. Illich A. Gorz S. Latouche P. Rabhi

Les trois écologies(1993) - Fondamentaliste (lois de la nature) -Envi r onnement al i st e (libérale et capitaliste) - Politique (reprendre le contrôle de l’économie, prendre en compte les besoins réels, globaliser les problèmes…)

Conscience des problèmes écologiques et de notre

appartenance aux écosystèmes

Nouveau paradigme cognitif (modernité réflexive) et non

moral

Affirmation des principes de responsabilité et de solidarité

Ecologie politique : réalité locale et concrète (ce n’est pas une utopie), le s y s t è m e c a p i t a l i s t e e t l a consommation de masse sont des utopies.

Négation de la séparation des sphères technologique, économique, sociale, écologique…

Critique de la société capitaliste et nouveau

projet de société : la convivialité, le bien

vivre, la décroissance…

Quelques années plus tard, Jean Paul Deléage (2010, p. 21) éprouvera le besoin de

faire le point sur les dernières avancées en matière d’écologie politique. Cette

dernière se résumerait aux cinq points suivants : (1) le constat de la nouveauté et de

l’ampleur des contradictions qui affectent les rapports de l’espèce humaine à sa

planète (cadre de l’écosystème) ; (2) le constat que l’humanité, envisagée comme une

espèce, soit devenue une force géophysique majeure (Deléage se réfère au concept

d’anthropocène - forgé en 2002 par le Prix Nobel de chimie Paul J. Crutzen – lequel

suggère que nous serions entrés dans une nouvelle période géologique) ; (3) la

nécessité d’exprimer en action politique la triple nécessité suivante : repenser

totalement notre alliance à la nature, repenser le contrat social que les êtres humains

ne sont pas un simple agrégat d’individus mais font société, repenser la question de

la souveraineté politique ; (4) la nécessité d’esquisser ce qui pourrait déterminer les

spécificités, les prérogatives et les choix politiques d’un état de droit ainsi que les

modes d’organisation interétatiques les plus efficaces à l’époque de l’anthropocène

(Deléage précise que l’écologie, qu’elle soit politique ou scientifique, recouvre deux

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démarches distinctes mais interconnectées36) ; (5) la forme concrète de l’engagement

politique. Aux yeux de Jean Paul Deléage et au vu de la crise écologique que nous

traversons, ce dernier point constitue l’un des chantiers les plus importants: « il me semble urgent d’être partie prenante des processus de recomposition de l’écologie politique en cours, notamment dans notre pays » (2010, p. 21). Le mouvement écologique doit être

l’avant garde d’une nouvelle conscience, celle de l’action collective : « La question est de savoir comment producteurs et consommateurs peuvent se rassembler pour réfléchir et décider collectivement et souverainement quoi et comment produire et consommer » (2010, p.

28).

Fig 10 : L’écologie politique vue par J.P Deléage

ECOLOGIE POLITIQUE

Con sta t e t a m pl e ur d es contradictions entre l’espèce humaine et la Planète

Humanité = espèce de force géophysique majeure

Anthropocène (Crutzen, 2002)

Action politique doit répondre à un triple défi - Repenser notre alliance avec la nature - Repenser notre contrat social - Repenser notre souveraineté politique

Spécificités, prérogatives et choix politiques d’un Etat

Ecologie politique

Ecologie scientifique

Participation à la recomposition de l’écologie

politique

Notons que nous ne sommes pas très éloignés des thèses défendues par les tenants

de la décroissance. Jean Paul Deléage en est conscient puisqu’il ajoute : « A partir de ce point de vue, la perspective de la décroissance peut s’avérer féconde, mais elle se heurte à d’importants obstacles politiques dont il est urgent de débattre sérieusement dans la perspective de leur mise en œuvre » (ibid). La proposition de Vincent Legey et al. (2013)

visant à instituer une dotation inconditionnelle d’autonomie (DIA) susceptible

36 Deléage (2006, p. 207) note à propos de l’extension du champ de l’écologie qu’il est nécessaire d’adopter « une approche historique des concept scientifiques », d’articuler « différentes échelles d’espace et de temps », de créer « des liens entre disciplines pour une meilleure intelligence de la Terre ».

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d’assurer à toutes et tous une vie décente, illustre la volonté de proposer un modèle

de transition dont les citoyens seraient les acteurs et d’enclencher une décroissance

choisie : « La DIA est justement un moyen pour nous aider à sortir de manière transitoire de la société de Croissance, nous désintoxiquer de la religion de l’économie, nous protéger de la peur du lendemain, de la peur de l’autre » (2013, p. 37).

Conclusion

Dans un monde où les crises sont à la fois protéiformes (financière, économique,

sociale, écologique) et globalisées, l’écologie politique se présente de plus en plus

comme une alternative au système capitaliste tel qu’il se présente aujourd’hui. Face

à la course à la productivité, aux dysfonctionnements de la régulation marchande et

à l’aliénation de la technologie, nombre de penseurs de la société ont suggéré de ré-

encastrer l’économie dans la société. Longtemps rangés sous la barre de

l’hétérodoxie, ces pionniers (Ellul, Illich, Gorz, Georgescu-Roegen…) ont posé les

limites biophysiques de notre expansion tout en proposant des programmes

alternatifs (la décroissance, la sobriété heureuse, la convivialité, la restructuration

écologique). Il faudra cependant attendre l’émergence du concept puis des

représentations du développement durable pour que ces idées et programmes

structurent un véritable courant de pensée. Aujourd’hui, l’écologie politique semble

franchir une nouvelle étape. A côté des critiques sans concessions de nos modes de

production et de consommation, elle tend de plus en en plus à s’inscrire dans une

démarche réflexive, une quête de sens qui passe par l’action collective et la

refondation du politique : « Dans ce cadre, et comme son nom composé l’indique, l’écologie-politique doit intégrer la contradiction entre nature et culture (campagne et ville), posant des limites aux possibles, à nos capacités techniques de transformation du monde comme de nous- mêmes, mais il est bien question d’intelligence collective à construire et non de conversion des âmes, il est question de projet politique et non de morale » (Zin, 2010, p.

41).

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