le tourisme solidaire en afrique de l’ouest : les...
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Université de Provence Aix-Marseille 1 Département d’Anthropologie
MASTER PROFESSIONNEL
« Anthropologie & Métiers du Développement durable »
ETH.R11 Mémoire de recherche bibliographique
Le tourisme solidaire en Afrique de l’Ouest : les contradictions d’un tourisme de rencontre et de
« développement ». Des discours à la pratique.
Carol REBUFFE
Madame Anne Doquet
2007– 2008
REBUFFE C. ETH R11 Mémoire de recherche bibliographique : Le tourisme solidaire en Afrique de l’Ouest : les contradictions d’un tourisme de rencontre et de « développement ». Des discours à la pratique.
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Sommaire
Sommaire....................................................................................................................................1
Introduction ................................................................................................................................2
1. DE LA CONSCIENTISATION DU TOURISME...................................................... 6
1.1 La critique du tourisme de masse ................................................................................................................... 6
1.2 De la conscientisation des acteurs internationaux du tourisme ................................................................. 14
1.3 Souhaitez-vous voyager autrement ? L’avènement de tourismes alternatifs ........................................... 23
2. « BRONZER GENEREUX » : UN TOURISME AU DOUBLE VISAGE ............... 31
2.1. La promulgation d’un discours citoyen....................................................................................................... 31
2.2 La commercialisation d’un « tourisme autrement » ................................................................................... 40
2.3 Pourquoi voyager solidaire ?......................................................................................................................... 49
3. LE TOURISME SOLIDAIRE A L’EPREUVE DU « TERRAIN » .......................... 62
3.1 Les idéologies et représentations des acteurs du tourisme solidaire...................................................... 63
3.2. Les « dérives » entre discours et pratiques ................................................................................................. 72
3.3 Les intermédiaires touristiques : personnages clés du tourisme solidaire ................................................ 78
Conclusion................................................................................................................................86
Bibliographie ............................................................................................................................91
Table des matières ....................................................................................................................97
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Introduction
Tourisme n.m. 1. Le fait de voyager, de parcourir pour son plaisir un lieu autre que
celui où l’on vit habituellement1.
Selon cette définition, peut-on considérer le tourisme comme un objet d’étude légitime de
l’anthropologie ? Jusqu’aux années 1970, les anthropologues l’ont largement occulté en
raison de sa frivolité et de la distanciation qu’ils voulaient opérer avec des touristes amenés à
occuper les mêmes espaces de prédilection. Selon Dennison Nash, ces anthropologues « tend
to think themselves as intrepid fieldworkers and so do not want to be identified with tourists
in any way »2.
L’étude du tourisme a engendré depuis une production importante de travaux en raison des
phénomènes sociaux qu’il induit s’inscrivant dans les problématiques majeures de
l’anthropologie. L’étude des relations interethniques produites par le rapprochement de
cultures distinctes, les processus d’acculturation ou de valorisation identitaire engendrés par
l’activité touristique, le changement social qu’il produit sont ainsi quelques uns des thèmes
abordés par les anthropologues.
Amanda Stronza a pu classer les nombreuses études au sein de deux catégories majeures :
l’étude des touristes et des origines du tourisme d’un côté, celle des impacts de l’activité
touristique sur les populations réceptrices de l’autre3. Plusieurs chercheurs ont ainsi cherché à
« étudier en tant que tels les touristes, voyageurs ou vacanciers, s’interroger sur leurs mobiles,
percevoir leurs regards »4. D’autres se sont quant à eux penchés sur les incidences du
tourisme en percevant ce dernier « comme solution, comme catalyseur d’acculturation et
comme forme perverse de développement »5.
Malgré la multiplication des études, deux limites peuvent y être soulevées. D’une part, ces
dernières peinent encore à considérer les interactions dans leur ensemble, s’attachant
davantage à les décrire du côté des touristes ou des locaux : « Exploring only parts of the two-
1 ROBERT illustré (Le), 2000 (1996), Club France Loisirs, Paris: 1435 2 NASH Dennison, 1981, « Tourism as an Anthropological Subject », Current Anthropology, Vol.22, n°5, Octobre : 461 3 STRONZA Amanda, 2001, « Anthropology of Tourism : Forging New Ground For Ecotourism and Other Alternatives», Annual Reviews Anthropology, 30: 261-283 4 BOYER Marc, 2002, « Comment étudier le tourisme ? », Ethnologie française, XXXII, 3 : 393 5 MICHAUD Jean, 2001, « Anthropologie, tourisme et sociétés locales au fil des textes », Anthropologie et Sociétés, vol.25, n°2 : 15
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way encounters between tourists and locals, or between « hosts and guests », has left us with
only half-explanations »6.
D’autre part, les études centrées sur les autochtones ont davantage tendance à les considérer
comme des « ré-acteurs »7 en face des visiteurs, et non comme des acteurs, limitant leurs
réactions face à la mise en tourisme d’un lieu et d’une société.
Au contraire, l’anthropologie du développement et du changement social s’attache à
décrire et expliquer les multiples réactions des acteurs, en se focalisant « sur l’analyse des
interactions entre acteurs sociaux relevant de cultures et de sous-cultures différentes »8.
Pour quelle raison avoir recours à l’anthropologie du développement dans l’étude du
tourisme ? Ce dernier représente un élément majeur du changement social : selon Dennison
Nash, il est d’ailleurs dans certains cas la principale cause de transformation d’une société9.
Mais il est également considéré comme un vecteur de développement des populations
réceptrices par les acteurs qui le mettent en œuvre. Le tourisme peut alors s’inscrire dans la
définition que donne Jean-Pierre Olivier de Sardan du développement : « l’ensemble des
processus sociaux induits par des opérations volontaristes de transformation d’un milieu
social, entreprises par le biais d’institutions ou d’acteurs extérieurs à ce milieu mais cherchant
à mobiliser ce milieu, et reposant sur une tentative de greffe de ressources et/ou techniques
et/ou savoirs »10.
L’étude du tourisme solidaire s’inscrit donc au cœur de ces deux domaines de recherche
anthropologique. Né à partir du processus de décolonisation en Afrique de l’Ouest, puis
fortement occulté jusqu’aux années 1990, le tourisme solidaire peut être considéré comme la
forme la plus « développementiste » du tourisme. En effet, les voyages organisés par son biais
permettent, grâce aux retombées financières, d’instaurer des projets de développement à
l’échelle locale, au cœur des sites visités. Ces projets sont élaborés en concertation avec les
populations impliquées dans l’activité touristique, qui doivent être en mesure de les gérer de
façon autonome. Le tourisme solidaire a donc d’abord été instauré pour contribuer au
développement des acteurs du Sud, par la mise en œuvre d’actions de solidarité qui passent
par la « consommation d’une prestation »11 des voyageurs. Ce tourisme « de développement »
comme nous pourrions le caractériser, insiste par ailleurs sur la possibilité d’engager de 6 STRONZA Amanda, 2001 : 262 7 MICHAUD Jean, 2001 : 19 8 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995, Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social, Karthala, Paris : 6 9 NASH Dennison, 1981 : 461 10 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995: 7 11 CRAVATTE Céline, 2006, « La construction de la légitimité du tourisme solidaire, à la croisée de différents registres mobilisant le lien avec la « population locale » », Autrepart, n°40, décembre : 31
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véritables rencontres avec les populations locales, permises par l’authenticité de ces dernières,
encore préservées des flux touristiques.
A partir de l’ensemble de ces caractéristiques, nous pourrions définir le tourisme solidaire
comme un forme « idéale » de tourisme, prenant en compte les différents acteurs impliqués, et
bénéficiant prioritairement aux populations locales.
La problématique
Ces principes « solidaires » correspondent à la recherche croissante d’une éthique dans
les pratiques touristiques, qui a débuté dans les années 1980, liée à l’avènement du concept de
développement durable et du commerce équitable. Cette éthique, souhaitée par plusieurs
acteurs du Nord, a donné lieu à l’apparition de multiples formes de tourismes « alternatifs ».
Se situant au cœur de cette recherche particulière, le tourisme solidaire tente de mettre en
œuvre un tourisme plus « juste » pour les pays du Sud et leurs populations, le fait de voyager
devenant par son biais un acte de solidarité. Ce tourisme « de développement » et de
rencontre, instauré pour améliorer les conditions de vie des populations locales, semble donc
se servir de l’activité touristique comme d’un moyen pour y parvenir.
Plusieurs interrogations peuvent alors être soulevées : Qu’est-ce qu’un tourisme éthique ?
Dans quel contexte est apparu le tourisme solidaire ? Quels sont ses fondements ? Quels
discours sont employés pour assurer sa commercialisation ? Existe-t-il une demande
particulière pour ce type de tourisme ? Engendre-t-il, comme il le prétend, de véritables
rencontres ?
L’objectif du mémoire, pour répondre à l’ensemble de ces questions, est donc de tenter de
comprendre la manière dont se met en œuvre un tourisme éthique, et comment s’opère la
construction de sa légitimité à travers ses discours et sa pratique.
En prenant l’exemple du tourisme solidaire, nous tenterons de mettre en lumière la façon dont
il est perçu et pensé par ses organisateurs, les discours que ces derniers emploient pour
toucher une demande touristique, ainsi que les différentes idéologies et représentations qui le
sous-tendent. Les discours seront ensuite confrontés à la pratique du tourisme solidaire sur le
terrain, afin de mettre en évidence ses enjeux et éventuelles contradictions.
Le plan
Ce mémoire est divisé en trois parties, qui tentent chacune d’apporter un élément
différent de compréhension du phénomène du tourisme solidaire, de sa genèse à sa pratique
sur le terrain.
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Il nous semblait important de débuter par ses « origines », en s’attachant à décrire le contexte
dans lequel il s’est construit, ou plutôt reconstruit. Le tourisme solidaire n’est pas un
phénomène isolé, mais il s’inscrit au contraire dans un contexte assurément favorable, qui est
celui de « l’avènement de la doctrine du tourisme « durable » »12, concept récent développé en
parallèle de l’actuel engouement pour le développement durable. Il s’agit désormais
d’accorder une place plus importante aux populations réceptrices dans l’activité touristique,
qui passe par leur implication et leur respect. La recherche de l’éthique dans le tourisme a
donné lieu à de multiples « niches touristiques » politiquement, écologiquement et
culturellement correctes »13, dont le tourisme solidaire fait entièrement partie.
La seconde partie s’attachera quant à elle à expliciter de quelle manière est défini le tourisme
solidaire par les organismes français qui le défendent, et le vendent. La construction de sa
légitimité passe par le recours à deux types de discours, éthique et militant d’un côté,
commercial et onirique de l’autre. Ainsi, le tourisme solidaire offre à la fois la possibilité de
participer à un acte de solidarité en contribuant à aider les populations locales, mais surtout il
autorise la production de rencontres « véritables » avec ces populations, rendues possibles par
une immersion avec des sociétés encore préservées de la modernité, et donc authentiques.
Ces deux fondements, qui légitiment le tourisme solidaire, semblent correspondre à une
demande exprimée par certaines catégories de touristes se trouvant à la recherche d’échanges
et de distinction.
Le tourisme solidaire ainsi présenté pourrait être considéré comme une sorte de « tourisme
idéal », bénéficiant à l’ensemble de ses acteurs. Mais qu’en est-il des acteurs locaux ? Se
représentent-ils ce tourisme de la même manière que les acteurs du Nord ? Comment le
réinterprètent-ils ? La dernière partie s’intéressera surtout à la pratique du tourisme solidaire
sur le terrain, à partir de plusieurs exemples en Afrique de l’Ouest. Les représentations que se
font les acteurs de ce type de tourisme varient en fonction des contextes culturels, des intérêts
et des logiques sociales distinctes. Ces différences peuvent induire des décalages entre les
discours proclamés au Nord et les pratiques perpétuées au Sud. C’est alors qu’intervient la
« fonction « compréhensive » des sciences sociales14.
12 COUSIN Saskia, 2006, « De l’UNESCO aux villages de Touraine : les enjeux politiques, institutionnels et identitaires du tourisme culturel », Autrepart, n°40, décembre : 29 13 Ibid. 14 OLIVIER DE SARDAN, 1995 : 14
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1. De la conscientisation du tourisme
Depuis deux décennies, une prise de conscience semble avoir progressivement modifié les
pratiques touristiques des opérateurs et des voyageurs, tendant vers un respect croissant des
populations visitées et de leur environnement. Cette partie effectue un détour historique
mettant en lumière les différents facteurs qui ont permis cette conscientisation.
1.1 La critique du tourisme de masse
1.1.1. Les approches scientifiques du tourisme
Différentes approches ont accompagné le développement du tourisme, et notamment à
partir de l’essor du tourisme international à partir des années 1950 et surtout 1960. Plusieurs
facteurs ont pu expliquer l’engouement pour le voyage, comme le développement des
transports aériens, la baisse du coût des transports ou encore la hausse du pouvoir d’achat.
Cette progressive démocratisation des voyages et du tourisme a alors provoqué une série
d’études scientifiques et a entraîné un débat qui durera plus de trois décennies, sur les
bienfaits ou méfaits du tourisme. Les économistes se sont dans un premier temps opposés aux
visions des anthropologues, qui le décrivaient uniquement comme étant un facteur
d’acculturation et une « forme perverse de développement »15.
La vision économiste, quant à elle, se représente le tourisme comme un formidable moyen de
développement économique des pays en développement. Cette vision perdurera jusqu’au
début des années 1970. Le défenseur de cette théorie est l’économiste suisse Kurt Krapf qui la
soutient dans un article paru en 1961 dans la revue du tourisme16 et qui lui vaudra peu de
temps après de devenir expert auprès de la Banque Mondiale. Selon lui, plus un pays est riche
et plus ses citoyens voyagent, et en majorité dans les pays ne bénéficiant pas de la même
situation économique.
15 MICHAUD Jean, 2001 :15 16 KRAPF Kurt, 1961, « Les pays en voie de développement face au tourisme. Introduction méthodologique », Revue du tourisme, 16(3) :82-89
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Ainsi, le tourisme peut être un moyen de rééquilibrer la balance commerciale, en faisant
circuler les devises des pays riches en direction des pays pauvres. Les pays en développement
possèdent à la fois des ressources naturelles qui ne sont pas exploitées et une main d’œuvre
disponible et inemployée. Il faut donc qu’ils développent leurs infrastructures touristiques de
façon à attirer le maximum de touristes étrangers.
Cette théorie est adoptée par les Nations Unies qui déclarent lors de la conférence de Rome en
1963 que le tourisme est une « contribution vitale aux pays sous-développés »17. Le tourisme
est ainsi perçu uniquement comme une industrie économique, et les aspects sociaux, culturels
et environnementaux ne sont pas pris en compte. Il devient, pour les organismes
internationaux « une courroie de transmission entre pays riches et pays pauvres »18, et son
développement est alors pensé à une échelle globale : il faut canaliser les touristes vers des
zones touristiques et développer les structures d’accueil des pays du Sud, pour cela la Banque
Mondiale offre de nombreuses subventions et l’IUOOT, (Union Internationale des
Organismes Officiels de Tourisme) met en œuvre des actions de persuasion des pays du Sud.
Toutes ces actions semblent être légitimées par la théorie de Kurt Krapf, le tourisme étant un
facteur de développement économique. Désormais, le tourisme international est en marche.
A ce discours s’oppose dès le début des années 1960 et s’amplifiant dans le courant des
années 1970 celui d’anthropologues américains qui sont les premiers à se préoccuper des
effets du tourisme sur les cultures locales. Ces anthropologues rencontrent des touristes sur
leurs lieux d’étude et s’inquiètent des conséquences possibles de cette présence touristique
auprès des communautés autochtones.
Plusieurs études empiriques sont alors menées, comme celle de Theron Nuñez en 1963, dans
un village mexicain qui attire des citadins à la recherche de campagne lors des fins de
semaine19. Il montre que le tourisme, qui est dans ce cas un tourisme domestique, ou national,
bouleverse les identités et les organisations villageoises, sociales et économiques. Par
exemple, certains pêcheurs villageois ont arrêté leur activité de pêche et ont troqué l’usage
habituel de leurs bateaux pour en faire des véhicules de promenades des touristes. Selon
Nuñez et d’autres anthropologues contemporains, le tourisme est perçu comme un dangereux
facteur d’acculturation des populations réceptrices.
17 United Nations, 1963, Recommendations on International Travel and Tourism, Rome, United Nations Conference, cité par LANFANT Marie-Françoise, 2004, « L’appel à l’éthique et la référence universaliste dans la doctrine officielle du tourisme international », Revue Tiers-Monde, n°178, avril-juin :365-386 18 Ibid. :373 19 NUNEZ Theron, 1963, « Tourism, Tradition and Acculturation. Weekendismo in a Mexican Village », Southwestern Journal of Anthropology, 34 :328-336
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Dans les années 1970 ce cycle de recherches se poursuit et amène une critique virulente de la
part des anthropologues pour le tourisme de masse qui s’est désormais largement amplifié, et
qui entraîne selon eux une dégradation identitaire des sociétés d’accueil.
Le phénomène touristique est perçu comme « une forme perverse de développement ».
Plusieurs actions sont menées, comme la création d’une revue de recherche sociale sur le
tourisme qui voit le jour en 1974, la revue Annals of Tourism Research. De même, les
inquiétudes des anthropologues sont divulguées lors de conférences de l’American
Anthropological Association et plusieurs ouvrages collectifs d’analyses de cas sont édités à la
suite de ces conférences20.
Au sein des organismes internationaux comme l’IUOOT ou l’Unesco, les critiques
d’anthropologues et de sociologues ont-elles fini par montrer que le facteur économique ne
peut être le seul qui soit pris en compte dans le développement touristique ? Une variation
dans l’approche du tourisme se fait en tout cas ressentir dès les années 1970.
L’Unesco développe sa doctrine du tourisme culturel qui va à partir des années 1970 être
systématiquement opposé au tourisme de masse. Cette forme de tourisme, pléonasme pour
certains auteurs puisque le tourisme est « par nature » culturel, consiste en la visite de
monuments culturels et d’institutions culturelles, telles que les musées21. Ce tourisme culturel
devient la « bonne manière » de pratiquer le tourisme, légitimée par les critiques sévères à
l’encontre du tourisme de masse. Cette forme de tourisme permet à la fois aux pays récepteurs
de bénéficier des devises apportées par les touristes, mais surtout, il entraîne une meilleure
connaissance entre les peuples, une compréhension accrue et pourquoi pas une amitié entre
ces peuples. Ainsi, l’accent est désormais mis sur les rencontres interculturelles. En décembre
1976, un cycle d’étude est mis en place par l’Unesco et la Banque Mondiale, afin d’examiner
les impacts sociaux et culturels du tourisme sur les pays du Sud, et de les prendre en
considération. De ce cycle sera publié en 1979 l’ouvrage d’Emmanuel De Kadt, Tourisme :
passeport pour le développement ? , qui évoque notamment les impacts possibles du tourisme
sur les populations en les étayant de plusieurs études de cas22.
Le changement d’approche du tourisme concerne également l’IUOOT, qui devient l’OMT,
l’Organisation Mondiale du Tourisme, en 1976. Elle semble désormais réactualiser sa
20 MICHAUD Jean, 2001 :15 21 En 1999, la révision de la charte du tourisme culturel mettra l’accent sur ces formes de visites culturelles mais également sur la découverte des populations d’accueil. Pour de plus amples renseignements, voir COUSIN Saskia, 2008, L’Unesco et la doctrine du tourisme culturel, Séminaire « Tourisme : Pratiques, Institutions », EHESS, 17 avril. 22 DE KADT, Emmanuel, 1979, Tourisme : passeport pour le développement ?, Publié pour la Banque Mondiale et pour l’Unesco, éditions Economica, Paris : 345 p.
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doctrine officielle, qui fait du tourisme un « facteur de paix ». Alors que quelques années
auparavant, le facteur économique était l’unique élément pris en compte pour le
développement du tourisme et des pays récepteurs, l’OMT se replie sur les valeurs
socioculturelles et son discours rejoint celui de l’Unesco.
L’évidence de ce changement d’orientation est perçue lors de la conférence de Manille en
1980 et de la Charte du Tourisme qui en découle, qui insiste sur les valeurs de compréhension
et de respect des peuples. Comme l’explique Marie-Françoise Lanfant, « le tourisme en tant
que valeur socioculturelle est qualifié de "valeur universelle" »23.
Ce changement d’orientation va se poursuivre durant les années 1980, alors que le tourisme
de masse ne cesse plus d’être critiqué. Ses impacts sur les populations mais également sur les
ressources naturelles doivent désormais être minimisés. Nous entrons dans la voie du
développement durable.
De nouvelles épithètes se greffent à la notion de tourisme et le concept de « tourisme
durable » fait son apparition. Cette notion contient deux paradigmes complémentaires. D’un
côté, le tourisme doit être durable en préservant les ressources naturelles et culturelles, et de
l’autre il assure de cette façon sa propre durabilité, puisque sans sites touristiques, le tourisme
ne peut survivre ! Ainsi, l’OMT suggère : « il serait dans l’intérêt des responsables du
tourisme de contribuer à la protection de l’environnement et à la justice sociale »24.
Les critiques scientifiques ont-elles permis une prise de conscience des organismes de
développement du tourisme, ou bien ces derniers se sont-ils aperçus que le facteur
économique ne pouvait à lui seul contribuer au bon développement du tourisme ? Selon
certains auteurs, ce sont d’autres facteurs, comme la médiatisation du tourisme sexuel qui ont
« ouvert une brèche dans la bonne conscience touristique »25.
Toujours est-il qu’un consensus semble s’être opéré entre scientifiques et acteurs du tourisme
qui s’accordent pour dénoncer les multiples effets négatifs du tourisme sur les populations
autochtones et à préconiser d’autres formes de tourisme.
Avant d’aborder les discours progressifs de responsabilité autour du tourisme par ses
différents acteurs, il est important de revenir sur les impacts négatifs entraînés par ce
phénomène.
23 LANFANT Marie-Françoise, 2004: 374 24 OMT, 2000, Code mondial d’éthique du tourisme, http://www.world-tourism.org , cité par LANFANT Marie-Françoise, 2004 : 376 25 MARTIN Boris (dossier coordonné par), 2002, Voyager autrement. Vers un tourisme responsable et solidaire, éditions Charles Léopold Mayer : 17
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1.1.2. Les impacts de l’activité touristique
Le phénomène touristique représente aujourd’hui l’une des sources de devises les plus
importantes pour les cinq continents, et particulièrement pour les pays du Sud qui enregistrent
chaque année une forte croissance des arrivées touristiques.
Depuis 2000, l’Afrique présente une croissance d’environ 7% par an26, par rapport à l’Europe
qui a enregistré depuis la même période une croissance de 4% (Cette dernière reste la
première grande destination puisqu’elle enregistre plus de 75% des flux touristiques, et a reçu
plus de 480 millions de touristes en 2007).
Pour autant, le tourisme représente un apport significatif pour le PIB27 des pays du Sud
entraînant l’augmentation des emplois directs ou indirects liés à l’activité touristique (dans la
restauration ou en tant que guides « professionnels » pour ne citer que quelques exemples).
Malgré les bienfaits de cette industrie touristique sur les pays d’accueil, le phénomène
touristique entraîne de nombreux effets négatifs sur les pays et les populations réceptrices,
notamment dans les pays du Sud.
Le tourisme en général, et le tourisme de masse en particulier, sont sévèrement critiqués dans
les milieux scientifiques depuis les années 1970, débat toujours d’actualité aujourd’hui. En
effet, l’engouement touristique ne cesse de croître, ce qui contribue à accentuer le
développement du tourisme de masse. Les grandes firmes touristiques cherchent à moderniser
leurs infrastructures, et à diversifier toujours plus leurs offres touristiques en investissant de
nouvelles zones pour le moment plus ou moins préservées des flux touristiques.
Nous allons énumérer un certain nombre de critiques adressées au tourisme de masse
mais aussi à l’ensemble des formes de tourisme, qui semblent expliquer l’apparition
progressive du processus de conscientisation du tourisme désormais en plein exergue.
Les impacts négatifs du phénomène touristique se scindent en trois catégories fondamentales,
sur les plans environnemental, social mais aussi culturel.
1.1.2.1. Les impacts environnementaux
Plusieurs travaux portant sur le tourisme traitent de ses impacts, et tous s’accordent pour
dénoncer une dégradation et donc une profonde modification du milieu naturel, dans les pays
du Nord comme ceux du Sud. 26 Chiffres disponibles sur le site de l’OMT, http://www.unwto.org Les données pour l’Afrique datent de janvier 2008, et sont encore à l’état d’estimation, certains pays ne les ayant pas encore communiquées. 27 Produit Intérieur Brut
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L’aggravation de l’effet de serre est l’un des problèmes relevés de façon récurrente et
l’augmentation du trafic aérien y joue un rôle important. Ainsi, selon le collectif d’ONG
suisses et allemandes DANTE, « Près de la moitié des 130 millions de tonnes de carburant de
l’aviation civile dans le monde sont utilisées pour le tourisme »28. Les émissions de CO2 ainsi
générées agissent sur les changements climatiques dont on perçoit déjà les effets.
Le tourisme, et en particulier le tourisme de masse, entraîne également de larges pénuries
d’eau pour les populations locales. Selon Dora Valayer, un touriste utilise entre sept et dix
fois plus d’eau qu’un autochtone n’en a besoin pour cultiver sa terre et nourrir sa famille29.
Cela entraîne de graves restrictions imposées aux populations par les gouvernements, de façon
à assurer le confort des touristes. Ce confort est également perçu dans les inégalités criantes
relevées dans plusieurs pays en ce qui concerne l’accès à l’eau : à Agadir au Maroc, alors que
la population se trouvant à la périphérie des sites touristiques n’a pas accès à l’eau potable, les
pelouses des hôtels reçoivent un arrosage permanent30. Le collectif DANTE prend également
l’exemple des Philippines, au sein desquelles des terrains de golf font progressivement leur
apparition. Selon lui, l’arrosage d’un golf de 18 trous revient à utiliser 2,3 millions de litres
d’eau par jour et cela permettrait donc l’arrosage de « 65 hectares de terres cultivables soit de
pourvoir aux besoins quotidiens de 15 000 habitants de Manille, la capitale, ou de 60 000
habitants en milieu rural »31.
La dégradation des sols, de la biodiversité, de la faune et la flore sont également des effets
notoires du tourisme. Cela est du à la croissance de l’urbanisation touristique, qui a détruit
selon le PNUE32 les trois quarts des dunes de sable de la côte méditerranéenne33. Cette
dernière ne respecte souvent pas les réglementations et les règles de sécurité et les bâtiments
se construisent toujours plus près de la mer.
Aux effets du tourisme sur les ressources naturelles s’additionnent les impacts
socioéconomiques sur les populations.
28 DANTE, 2002, Un carton rouge au tourisme ? 10 principes et défis pour un développement durable du Tourisme au 21e siècle, éditions DANTE et le Groupe de Travail sur le Tourisme et le Développement, Bâle, février : 18 29 VALAYER Dora, 1998, « Le tourisme sous le regard de l’autochtone », dans MICHEL Franck (ed.), Tourisme, touristes, sociétés, L’Harmattan, Paris : 113 30 COLLOMBON Jean-Marie, BARLET Sandra, RIBIER Danièle (textes réunis sous), 2004, Tourisme solidaire et développement durable, GRET, Paris : 13 31 DANTE, 2002: 27 32 Programme des Nations Unies pour l’Environnement. Créé en 1972 lors de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement humain de Stockholm, qui a abordé timidement les questions de développement 33 Alternatives Economiques, 2008, Le tourisme autrement, Hors-série pratique, Scop-SA Alternatives Economiques, Paris, mars, n°33 :8
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1.1.2.2 Les impacts socioéconomiques et culturels
Comme nous l’avons évoqué précédemment, le tourisme est un vecteur d’emplois pour
les pays récepteurs. Pourtant, plusieurs auteurs dénoncent ces emplois considérés comme
« instables, saisonniers et peu qualifiés »34. Les postes à responsabilité sont le plus souvent
réservés pour des employés extérieurs au pays d’accueil, la main d’œuvre locale devant se
contenter d’emplois sous payés et précaires. DANTE insiste également sur la dégradation des
conditions de travail dues selon lui à la baisse des prix des voyages, qui se font ressentir au
niveau des salaires, du temps de travail et de leur flexibilité35. D’autres critiques concernent
notamment le nombre d’enfants de moins de 18 ans travaillant dans le secteur touristique, qui
s’élève à près de 20 millions, selon le BIT36. Enfin, le phénomène du tourisme sexuel, de la
prostitution de femmes et d’enfants, véritable fléau dans certains pays, est unanimement
relevé.
L’un des effets les plus néfastes du tourisme pour les populations locales est sans conteste
l’émergence de conflits fonciers qui sont visibles dans de nombreux pays. D’une part, la forte
demande augmente les prix d’accès à la terre. D’autre part, la pollution des terres (par l’usage
de pesticides par exemple) et la pénurie d’eau amoindrissent les productions agricoles et
obligent certains agriculteurs à abandonner leur activité. Ainsi, DANTE donne l’exemple de
producteurs thaïlandais reconvertis dans des emplois touristiques pour pouvoir survivre37.
En outre, le développement du tourisme, et plus précisément celui appelé écotourisme, peut
mener à l’expulsion de communautés de leurs terres, confisquées aux populations sur la
justification que le tourisme doit servir à préserver les ressources naturelles.
De nombreux exemples illustrent ce phénomène, comme par exemple au Mozambique où les
pêcheurs situés sur l’archipel de Bazaruto se sont vus retirés l’accès à leurs terres et à l’eau
après la création de réserves naturelles. De même, au Bangladesh, les populations n’ont plus
accès aux forêts qui étaient les leurs après la décision de créer un « écoparc »38.
Le tourisme peut ainsi être vu selon la formule de Marc Boyer comme « dévoreur
d’espaces »39 et finalement contribuer non pas au développement des pays du Sud mais au
contraire à l’appauvrissement d’une partie de leur population. Selon Gilles Béville, « les
34 VALAYER Dora, 1998: 111 35 DANTE, 2002 :16 36 Bureau International du Travail 37 DANTE, 2002 : 21 38 Ibid. : 21, 24 39 BOYER Marc, 2002: 399
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acteurs lourds du tourisme de masse « colonisent » de nouveaux espaces, jusqu’alors
préservés des flux touristiques, et les populations qui y vivent »40.
Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’activité touristique n’est pas sans effet sur les
populations locales. Les anthropologues américains, comme Nuñez, ont les premiers publié
des travaux sur les interactions entre les touristes et les autochtones en s’inquiétant des
processus d’acculturation qui pouvaient se mettre en place.
Récemment, Liliane Bensahel a défini le tourisme comme conduisant au « « pillage » des
valeurs autochtones, aux heurts de civilisation, à l’échec de l’échange, (…), à l’exploitation de
la pauvreté et de la misère »41. Elle illustre ses propos par l’exemple de femmes marocaines
qui furent répudiées après avoir été prises en photographie par des touristes lors de la
célébration de leur mariage, ces photographies étant devenues des cartes postales mises en
vente dans les centres urbains.
Les impacts culturels dénoncés sont d’après Marc Boyer souvent les mêmes : « les sociétés
d’accueil perdent leurs repères, les structures familiales se dissolvent, les hiérarchies de
valeurs sont remises en question »42. Nous pourrions y ajouter la possible folklorisation des
sociétés, ou encore la perte de la propriété intellectuelle, les savoirs liés à un contexte ou une
activité n’étant plus transmis à partir du moment où ils ne sont plus pratiqués.
Enfin, des conflits intercommunautaires, voire intracommunautaires peuvent apparaître.
Ainsi, Charles F. McKahnn a pu mettre en évidence l’apparition de conflits dans la ville de
Lijiang située dans la province chinoise de Yunnan, près du plateau tibétain. Depuis
l’inscription de la ville au patrimoine mondial de l’Unesco en 1997, le tourisme de masse a
subit une croissance rapide. Il profite quelque peu aux citadins de Lijiang, mais surtout aux
Chinois de l’extérieur venus investir les lieux et qui ont ouvert des boutiques et des hôtels.
Les communautés rurales des alentours sont quant à elles complètement ignorées par le
phénomène. Cela a donc engendré de profondes inégalités entre les individus enrichis et
l’appauvrissement de la communauté locale, accentuée par la mise en scène de l’espace public
qui a supprimé les vendeurs traditionnels rendant l’approvisionnement en produits agricoles
des ruraux plus difficile. Ainsi, les conflits intercommunautaires ont été exacerbés par
l’activité touristique43.
40BEVILLE Gilles, 2004, « Le tourisme solidaire, levier de développement », Revue Espaces, n°220, novembre : 21 41 BENSAHEL Liliane, 2003, « Tourisme et éthique : une impérieuse obligation », Revue ReTour, (revue en ligne du réseau R2it : http://www.revuetourisme.com ) : 1 42 BOYER Marc, 2002 : 398 43 McKAHNN Charles, 2001, « Tourisme de masse et identité sur les marches sino-tibétaines. Réflexions d’un observateur », Anthropologie et Sociétés, Volume 25, n°2 : 35-54
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Nous avons vu précédemment que selon les théories économistes, le tourisme était un
moyen de rééquilibrer la balance commerciale en faisant entrer des devises dans les pays
récepteurs. Ces derniers bénéficient effectivement des arrivées touristiques, mais la majorité
des recettes repart vers les principaux pays émetteurs. La Thaïlande ne récupère ainsi selon
l’OMT que 30% des dépenses des touristes44. Ce phénomène s’explique en partie par le fait
que les grands groupes touristiques mettent en œuvre des offres « tout compris », allant du
transport à l’hébergement en passant par la prise des repas, et parfois même aux boutiques de
souvenirs. Dans ce cas, les dépenses effectuées sur place reviennent presque exclusivement à
ces groupes, majoritairement originaires du Nord45.
Ces multiples éléments ont concouru à une progressive conscientisation du phénomène
touristique.
1.2 De la conscientisation des acteurs internationaux du tourisme
La dénonciation depuis les années 1970 des multiples impacts négatifs du tourisme sur
l’environnement et les sociétés a engendré une prise de conscience des acteurs internationaux
du tourisme qui semble aujourd’hui réelle. Cette conscientisation du tourisme s’est
accompagnée de diverses mesures en vue de responsabiliser le tourisme et les touristes. C’est
donc ce discours citoyen que nous allons maintenant aborder.
1.2.1. La mise en place du discours éthique
La prise de conscience des effets négatifs du tourisme et donc la nécessité de pratiquer
un autre tourisme ne datent pas d’aujourd’hui. Depuis les années 1970 les institutions
internationales oeuvrent pour l’avènement d’un « bon tourisme », opposé au tourisme de
masse. L’Unesco mise comme nous l’avons vu sur le développement du tourisme culturel,
moyen de valorisation et de préservation du patrimoine. Elle met en place des méthodologies
d’actions, notamment par la publication d’une charte en 1976 qui défend des valeurs
44 COLLOMBON Jean-Marie, 2004 : 12 45 Ibid. Il prend l’exemple de Français ayant investis dans des « riads » au Maroc, pour y installer des chambres d’hôtes ou encore des investisseurs italiens intéressés par la côte Adriatique de l’Albanie
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humanistes comme l’universalité du patrimoine et proclame la redistribution des richesses, la
valorisation des ressources comme finalités du tourisme culturel46.
En 1980 se tient la conférence mondiale de Manille, qui reste dans la lignée du tourisme
comme valorisation culturelle. Elle revient sur les différents aspects du tourisme et précise
son rôle fondamental : « les éléments spirituels doivent l’emporter sur les éléments techniques
et matériels », comme le plein épanouissement de l’individu ou bien la contribution à
l’éducation. De nouveau, le tourisme culturel est le « bon tourisme ».
Puis, la même année est créée la journée mondiale du tourisme, qui a pour objectif principal
de mettre en évidence que le tourisme n’est pas qu’une industrie. Les thèmes abordés sont par
exemple : « le tourisme comme facteur de conservation et de promotion de l’héritage culturel,
de paix et de compréhension mutuelle » (en 1980), ou encore « le voyage, les vacances sont
un droit, mais aussi une responsabilité pour tous » (en 1983)47.
La vision du tourisme autrement comme étant le « bon tourisme » va se pérenniser durant les
années 1980 alors que le phénomène touristique prend un nouvel essor, se trouvant associé au
concept de « développement durable ».
En 1980, l’UICN48 proposa dans un rapport précurseur sur la Stratégie Mondiale de la
Conservation la notion de « soustainable development ». Cette dernière sera reprise quelques
années plus tard, en 1987, lors de la Commission Mondiale sur l’Environnement et le
Développement. Egalement appelée la Commission Brundtland d’après le nom de Madame
Gro Harlem Brundtland qui l’a présidée, elle a été suivie d’un rapport, « Notre avenir à tous »
reprenant la notion de « soustainable development ». Elle sera ensuite traduite par les termes
de « développement soutenable », puis « développement durable » ou encore
« développement viable ».
Selon ce rapport, le développement durable se définit comme « un développement qui répond
aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux
leurs ». Cela peut donc se traduire par la nécessité de gérer de façon rationnelle les ressources
de la terre, et procéder à une « équité dans leur utilisation et dans la répartition des bénéfices
qui en découlent »49. Le développement économique ne serait ou ne doit plus être
incompatible avec l’équilibre écologique.
46 COUSIN Saskia, 2008, Séminaire « Tourisme : Pratiques, Institutions », EHESS, 17 avril. 47 BRUNHES Jacques, 2004, Tourisme, éthique, développement et mondialisation : état des lieux et perspectives dans les pays francophones, Rapport de la commission de la coopération et du développement, document n°34, juillet : 8 48 Union Internationale de la Conservation de la Nature. Dès 1951, elle publie un rapport sur l’état de l’environnement dans le monde, mais qui n’aura pas d’effets significatifs. 49 PNUE, 2006, Vers un tourisme durable. Guide à l’usage des décideurs : 9
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En 1992 se tient à Rio de Janeiro la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le
Développement, la CNUED, plus connue sous le nom de Sommet de la planète Terre. Durant
cette conférence qui réunie plus de 180 Etats, le concept de développement durable évolue. Il
s’agit désormais de concilier l'écologique, l'économique et le social dans une sorte de cercle
vertueux entre ces trois pôles: c'est un développement économiquement efficace, socialement
équitable et écologiquement soutenable. Il est ainsi respectueux des ressources naturelles,
dans un souci d’efficacité économique, et en gardant à l’esprit les finalités sociales du
développement, c’est-à-dire la lutte contre la pauvreté, l’exclusion ou les inégalités.
La conférence de Rio a engendré la rédaction d’une déclaration et la mise en œuvre d’un plan
d’action. La déclaration de Rio a mis au point une grille de lecture, qui se veut universelle, du
développement durable, avec 27 principes à respecter pour conduire à des actions de
développement durable. Parmi ces principes, la déclaration insiste notamment sur la prise en
compte des populations, ainsi que la protection de l’environnement et la coopération entre les
acteurs50.
Le plan d’action quant à lui se nomme Agenda 21 (en rapport avec le 21e siècle). Quarante
chapitres ont été élaborés dans le but de guider les décisions des Etats, de façon à ce que le
développement durable puisse devenir une réalité. Près de 150 Etats ont signé ce Plan, ce qui
démontre une réelle prise de conscience internationale.
Enfin, d’autres conférences ont définitivement ancré le concept de développement durable
dans les stratégies politiques de nombreux Etats.
En 1995 se tient à Copenhague le Sommet Mondial pour le Développement Social qui va
cette fois-ci appuyer davantage sur le volet social du développement durable, souhaitant
notamment valoriser les ressources des groupes les plus vulnérables. 128 chefs d’Etats et de
gouvernements adoptent la déclaration de ce sommet.
Puis, en 2002 se tient, dix ans après Rio, la Conférence de Johannesburg ou Sommet Mondial
du Développement Durable, qui doit dresser un bilan des actions menées en faveur du
développement durable depuis la décennie écoulée. Ce bilan est loin d’être positif et un plan
d’application est adopté par les membres présents, comportant des objectifs, des moyens
d’exécutions et des calendriers pour mobiliser et pouvoir assurer un suivi de l’action
internationale.
Le concept de développement durable s’est donc établi de façon progressive dans les
stratégies politiques nationales, même si les mesures le concernant demeurent fastidieuses à
50 Principes (1), (20), (21) et (22) de la Déclaration de Rio.
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mettre en place. Le tourisme, quant à lui, n’a pas échappé à la déferlante de la durabilité, et
s’inscrit dans cette mouvance depuis les années 1980.
1.2.2. Le rôle des institutions internationales dans l’avènement d’un « bon tourisme »
Le discours de responsabilisation entamé depuis 1987 pour la sauvegarde des ressources
naturelles et le bien-être des populations présentes et futures s’est ainsi déplacé au cœur du
secteur touristique. Ce dernier trouve désormais sa pleine légitimité dans le concept de
développement durable. Cette nouvelle approche du phénomène touristique a donné lieu à la
publication de nombreux textes, émanant aussi bien des institutions internationales que des
gouvernements. Avant de les aborder, nous allons revenir sur la définition de ce que l’on
appelle désormais le tourisme durable, ou la recherche de l’éthique dans le tourisme.
C’est en 1988, un an après la Commission Brundtland, que l’OMT emploie le concept de
« tourisme durable », qui annonce un changement d’orientation de la vision du tourisme. Il
faut attendre le sommet de Rio de 1992 pour que le concept tente d’être défini. Le tourisme
durable devient une manière de produire un service touristique en rapport avec ces préceptes
du développement durable: « le développement touristique doit reposer sur des critères de
durabilité ; il doit être supportable à long terme sur le plan écologique, viable sur le plan
économique et équitable sur le plan éthique et social pour les populations locales »51.
En 1995, la Conférence Internationale qui se tient aux îles Canaries élabore dix-huit articles
qui façonnent les contours du tourisme durable, assurant notamment une place importante aux
populations locales. Ces dernières doivent devenir des « interlocuteurs » dans les projets
touristiques, et être assurées de la « solidarité » de tous les acteurs du tourisme52.
Ainsi, l’accent est mis sur les populations locales qui doivent devenir des acteurs touristiques.
Ce principe est repris par l’OMT qui donne sa définition du tourisme durable, en insistant sur
la nécessité de « respecter l’authenticité socioculturelle des communautés d’accueil », et de
les associer dans les projets touristiques par une « participation éclairée de toutes les parties
prenantes concernées »53. Elle souhaite également, dans un effort de réglementation, que des
contrôles permanents des impacts puissent avoir lieu.
51 Article premier de la Conférence Internationale de Lanzarote, cité par BRUNHES Jacques, 2004 : 7 52 Ibid. 53 PNUE, 2006 : 11
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Enfin, l’organisation insiste sur le fait que les touristes doivent bénéficier d’un « haut niveau
de satisfaction », tout en les « sensibilisant aux problèmes de développement durable et en
leur faisant mieux connaître les pratiques du tourisme durable »54.
Le respect et l’implication des populations locales, tout comme la préservation des ressources,
deviennent les principes majeurs du tourisme durable. Ce dernier semble s’adresser et être
applicable à toutes les formes de tourisme, y compris au tourisme de masse. La volonté de
maîtriser le tourisme donne lieu à des méthodologies d’actions, comme celle présentée par le
PNUE avec le concours de l’OMT en 2006 : Vers un tourisme durable. Guide à l’usage des
décideurs, qui définit un programme d’actions du tourisme durable reposant sur douze
objectifs s’appuyant sur les trois domaines fondamentaux du développement durable. Ces
objectifs se fondent sur deux aspects essentiels : le maintien du tourisme dans le futur et la
capacité pour la société et l’environnement de bénéficier du tourisme de façon pérenne55.
En réalité, le tourisme durable a une double mission : se développer tout en préservant les
ressources (donc un enjeu civique), se préserver lui-même pour « assurer son avenir »56 (enjeu
personnel).
La production de ce discours éthique et la promotion du tourisme durable sont dans un
premier temps le fait des différentes institutions internationales, avec les Nations Unies
comme le PNUE, l’OMT (qui depuis 2003 travaille en étroite collaboration avec ces
dernières), ou encore l’Unesco. Des partenariats sont mis en place entre ces institutions et
d’autres acteurs du tourisme, comme par exemple celui institué par l’Unesco, regroupant
l’OMT, la Banque Mondiale, le PNUD57 ainsi que des entreprises privées. Ce partenariat a été
mis en œuvre au moment de la décennie du développement culturel, de 1988 à 1998.
L’Unesco a développé par ce biais des soutiens à différents projets de tourisme culturel et
durable, telle la mise en place d’un code de conduite pour un développement durable du
tourisme au Sahara58.
Les organismes internationaux sont surtout les instigateurs de plusieurs conférences qui ont
servi à promouvoir cette forme de tourisme. Ainsi, ils ont organisé en 1995, avec le concours
de la commission européenne, la Conférence Mondiale de Lanzarote aux îles Canaries, qui
suit les applications du Sommet de la Terre de Rio. La Charte du Tourisme Durable, que nous
avons déjà évoquée antérieurement, sera publiée à la suite de la Conférence. Les dix-huit
54 PNUE, 2006 : 11 55 Ibid. : 18-21 56 LANFANT Marie-Françoise, 2004 : 375 57 Programme des Nations Unies pour le Développement 58 BRUNHES Jacques, 2004 : 10
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articles sont dans la mouvance de Rio et de l’Agenda 21, en prônant la durabilité du tourisme
pour son bon fonctionnement.
D’autres documents suivront comme la Déclaration de Berlin en 1997, sur la biodiversité et le
tourisme durable, et en 1999 au Chili, l’adoption du Code Mondial de l’éthique du tourisme
par l’OMT, qui sera ensuite adopté en 2001 par l’ONU.
L’OMT présente le Code comme un moyen de « promouvoir un ordre touristique mondial,
équitable, responsable et durable »59. Les notions majeures désormais appliquées au tourisme
sont ainsi assemblées pour régir les comportements du tourisme et des touristes. Il reprend les
thèmes déjà développés lors de la Conférence de Rio, et insiste sur le droit au tourisme qui
doit être donné « à tous les habitants du monde », ainsi que sur le droit des entrepreneurs de
l’industrie touristique. Il créé en 2001 un organisme de contrôle pour veiller à la bonne
application du Code.
Selon Marie-Françoise Lanfant, le Code de l’OMT a pour objectif de poser les bases d’une
politique touristique applicable à l’ensemble des pays signataires: « Le Code mondial
d’éthique du tourisme est justement destiné à forger le cadre juridique d’une politique
commune au niveau mondial »60, même s’il ne s’agit pas d’un texte juridique.
L’activité touristique est ainsi de plus en plus réglementée par les institutions internationales,
mêmes si ces mesures ne sont pour le moment pas contraignantes en raison de l’absence de
contrôles effectifs.
Malgré cette recherche de réglementation, des lacunes semblent obscurcir le bilan du Code :
plusieurs auteurs s’accordent sur le fait que les populations locales ne semblent pas réellement
prises en compte. Ainsi, selon Odile Albert il s’axe davantage sur les intérêts de l’industrie
touristique et des droits des voyageurs (ce qu’elle explique par la composition des membres
de l’OMT qui sont pour beaucoup des professionnels du tourisme !). 61
D’autres insistent sur la confusion qui entoure le Code ou encore son manque de rigueur.
Selon Dora Valayer, le touriste n’est ici pas considéré comme un acteur du tourisme, comme
un partenaire responsable, mais seulement comme un consommateur, qui doit être satisfait par
les prestations touristiques proposées62. Nous pouvons suivre dans une certaine mesure cette
pensée, à la lecture de l’article quatre du Code, paragraphe deux, stipulant que le tourisme
doit servir à « la survie et l’épanouissement des productions culturelles et artisanales
59 OMT, 2000, Code mondial d’éthique du tourisme, http://www.world-tourism.org : Préambule 60 LANFANT Marie-Françoise, 2004: 377 61 ALBERT Odile, 2002, « Un foisonnement de chartes, de codes, de recommandations », dans MARTIN Boris, 2002, Voyager autrement. Vers un tourisme responsable et solidaire, éditions Charles Léopold Mayer, Paris : 76 62 VALAYER Dora, 2002, « Tourisme : l’urgence d’une éthique », dans MARTIN, Boris, Ibid. : 43
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traditionnelles ainsi que du folklore, et non provoquer leur standardisation et leur
appauvrissement »63. Cet article donne davantage l’impression que ces ressources culturelles
doivent être conservées pour assurer le plaisir des touristes, et donc le succès et la pérennité
de ce tourisme.
Malgré les lacunes qui peuvent être reprochées au Code de l’éthique du tourisme, il a été l’un
des éléments qui ont permis une reconnaissance internationale de l’intérêt du tourisme pour le
développement durable. Ainsi, le Sommet Mondial sur le développement durable se déroulant
à Johannesburg en 2002 a préconisé la promotion du tourisme durable comme l’une des
stratégies pour la protection et la gestion des ressources naturelles. L’article quarante-trois
met ainsi l’accent sur les bénéfices du développement de l’industrie touristique, notamment
pour le « développement durable des petits États insulaires et de l’Afrique, ainsi que pour la
gestion de l’énergie et la conservation de la biodiversité »64.
En 2006 l’OMT déclarera que le tourisme durable est désormais la seule perspective
d’évolution du tourisme, mais que le défi est important en raison de l’augmentation constante
de la demande touristique et de la pression exercée sur les ressources naturelles et culturelles
des destinations.
Récemment, l’OMT a publié un guide pratique à l’usage du voyageur : Le touriste et le
voyageur responsables, qui décrit en huit points les comportements idéaux que les touristes
devraient adopter. Ces principes sont là encore basés sur le Code mondial, avec par exemple
« Respectez les droits de l’homme », « Aidez à préserver l’environnement », ou encore
« Renseignez-vous sur la législation (…) Abstenez-vous de tout trafic de drogues illicites»65.
Nous pouvons constater par ce guide l’emploi d’un vocabulaire de responsabilisation du
touriste qui devient par ce biais un acteur potentiel du tourisme responsable et durable, lacune
que dénonçait Dora Valayer dans le Code de 1999.
Des notions désormais corollaires du phénomène touristique se retrouvent, comme le
« respect », « l’ouverture d’esprit » et la « tolérance ». Le tourisme durable devient donc
l’affaire de tous, même si la diffusion du Code reste limitée et peu contrôlée.
Les institutions internationales ont ainsi joué un rôle important dans la
conscientisation du tourisme et dans l’avènement d’un discours éthique. Le tourisme est donc
affilié au concept de développement durable qui se développe dans la plupart des stratégies
politiques gouvernementales.
63 OMT, 2000 : préambule 64 PNUE, 2006 : 16 65 OMT, Le touriste et le voyageur responsables, http://www.world-tourism.org
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1.2.3. Les stratégies gouvernementales
La compréhension des notions de développement et de tourisme durables ne fait pas
encore l’objet d’un consensus entre les divers gouvernements, en raison notamment de la
diversité des situations rencontrées. L’intérêt même des Etats pour ces notions varie d’un pays
à l’autre. Ainsi, il s’agit davantage d’un moyen de lutte contre la pauvreté dans les pays du
Sud, alors que pour les pays du Nord l’intérêt se porte plutôt sur la gestion des visiteurs ou
encore la modernisation des sites. Pourtant de nombreux gouvernements, et dans une
croissance continue, semblent favoriser les stratégies de développement du tourisme durable,
en s’accordant sur ses enjeux de sensibilisation des acteurs du tourisme, sur l’équité et la
durabilité qu’il doit développer. Selon le PNUE et l’OMT, leur rôle dans la promotion du
tourisme durable est fondamental, puisque c’est eux qui permettent une coordination entre les
différentes entreprises touristiques de façon à entreprendre des actions collectives. Ils peuvent
également agir en « encourageant l’adoption de pratiques plus durables par le secteur privé et
influant sur l’évolution des flux et des comportements des visiteurs »66. Ils ont donc le rôle de
sensibiliser les consommateurs mais aussi les acteurs privés du tourisme sur les intérêts du
tourisme durable67. Enfin, les gouvernements peuvent servir directement les intérêts du
tourisme durable et de son développement en mettant en œuvre des actions d’aménagement
du territoire ou bien de protection de l’environnement.
Plusieurs exemples illustrent leur intérêt croissant pour les stratégies de développement du
tourisme durable.
Prenons le cas de la France. Un an après l’adoption du Code de l’OMT, le
gouvernement a mis en place sa propre charte, la Charte Nationale d’Ethique du Tourisme,
qui s’appuie largement sur les principes énoncés dans le Code. Elle propose différents
engagements qui doivent contribuer « au développement de l’éthique dans le tourisme » et à
« promouvoir « la paix (…) et l’entente entre toutes les nations du monde »68. Elle reprend
ainsi sans grands changements les engagements du Code et insiste également sur la
participation des populations locales aux projets touristiques.
66 PNUE, 2006 : 24 67 BEVILLE Gilles, 2004: 20-22 68 Charte Nationale d’Ethique du tourisme, 2000, http://www.tourisme.gouv.fr
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Ainsi, le gouvernement français s’est engouffré dans la voie du tourisme durable et multiplie
les interventions de promotion et de développement de l’offre depuis 200169. Il a notamment
créé depuis juin 2004 un Comité permanent pour le développement durable du tourisme, qui
regroupe différents ministères délégués au tourisme ainsi que des organismes associés comme
l’Agence française de l’ingénierie touristique (Afit). Ce comité a été créé dans le but de
proposer des actions visant à modifier les modes de fonctionnement liés au tourisme et
d’associer les politiques touristiques de l’Etat avec celles mise en place par ses partenaires
institutionnels et professionnels.
Un second exemple peut être donné avec la république du Sénégal. En 2002, elle publie la
Charte Sénégalaise du Tourisme Durable70, qui propose quatre objectifs majeurs
correspondant au Code et à la charte de l’OMT: développer le tourisme durable, protéger
l’environnement, impliquer les différents acteurs du tourisme et mettre en place différents
éléments de promotion et de diffusion de la charte. Comme le précisaient le PNUE et l’OMT,
certains enjeux diffèrent d’autres chartes comme celles de la France. Ainsi, le Sénégal insiste
sur la répartition des touristes qui doit s’exercer tout au long de l’année de façon à endiguer
ou du moins réduire l’exode rural, et assurer ainsi une meilleure diversification des activités.
Le Sénégal souhaite également que la charte puisse être visible auprès du public, des touristes
mais également des Sénégalais, et demande alors la traduction dans les différentes langues
nationales. Enfin, elle précise sa volonté de diffuser cette charte à l’échelle du continent
africain.
D’autres pays s’inscrivent dans la démarche de développement durable du tourisme. Nous
n’allons pas tous les citer ici puisque cela n’est pas notre objet de recherche. Mais selon
Jacques Brunhes, « une cinquantaine de pays ont transposé tout ou partie du Code mondial
d’éthique dans leur dispositif législatif »71, ce qui montre l’intérêt porté par divers Etats à
l’expansion et à l’application du tourisme durable.
Ce dernier, comme nous l’avons vu, tente de transformer les comportements des
usagers, dans un effort de respect de l’autre, et dans un objectif de réduction des effets
néfastes et déstructurant de l’activité touristique. Cet engagement en faveur d’un autre
tourisme se manifeste en France mais aussi dans d’autres pays par l’apparition, ou plutôt la
réapparition, de formes de tourismes alternatifs, pour « voyager autrement ». Quelles sont
donc ces formes de tourisme ? 69 Pour les actions détaillées du Ministère des Affaires Etrangères et du Ministère délégué au Tourisme, cf. l’article de BEVILLE Gilles, 2004 : 22 70 Projet technique de charte sénégalaise de tourisme durable, 2002, http://elp.unitar.org 71 BRUNHES Jacques, 2004 : 12
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1.3 Souhaitez-vous voyager autrement ? L’avènement de tourismes alternatifs
Plusieurs types de tourismes alternatifs, qui se présentent comme les « bons » tourismes,
sont progressivement apparus sur le marché touristique, et entraînent une légère confusion
tant dans leur finalité que dans leur concept même : au sein d’un même type de tourisme, les
représentations des acteurs institutionnels et professionnels peuvent être différentes. Entre
tourisme « équitable », « responsable », « écotourisme » et « solidaire », il est parfois difficile
de les différencier. Nous allons essayer de dégager leurs préceptes principaux.
Certains auteurs les évoquent comme des tourismes « rénovés »72, voire « évolués »73,
puisqu’ils sont finalement une alternative au tourisme de masse et se sont inspirés des
principes du développement durable. Nous pouvons donc les regrouper dans la désormais
grande famille du tourisme durable.
1.3.1. Quelques concepts touristiques…
Le tourisme responsable s’inscrit totalement dans la mouvance actuelle du tourisme
comme facteur de développement durable, puisqu’il part de l’émetteur, donc du voyagiste, et
se propose de modifier ses comportements, de l’intérieur. Il est né de la prise de conscience
des effets du tourisme sur l’environnement et les populations. Il met alors en œuvre des
actions de correction des pratiques sociales et environnementales, et publie des rapports sur la
responsabilité sociale des entreprises. Cette forme de tourisme est donc davantage centrée sur
elle, de façon à faire évoluer les comportements. Désormais en France, les plus grandes
entreprises du secteur touristique ont ratifié la charte nationale du tourisme que nous avons
évoquée précédemment, ce qui signifie leur volonté d’évolution vers davantage d’éthique
dans le tourisme. Seulement, aucun contrôle n’est effectué ce qui laisse finalement une grande
marge de manœuvre à ces entreprises d’appliquer ou non les principes de la charte.
Le concept d’écotourisme, vraisemblablement né en 1983, n’est pas nouveau. Une
confusion est souvent réalisée entre écotourisme et tourisme durable, alors que le premier 72 CHABLOZ Nadège, 2004, Tourisme solidaire au Burkina Faso : pratiques et représentations de soi et de l’Autre. Regards sur l’Autre et rencontres entre visiteurs français et visités burkinabés, Mémoire de DEA en anthropologie sociale et culturelle, EHESS, Octobre: 20 73 LAURENT Alain, 2004, « la longue marche du tourisme responsable vers le développement durable », Revue Espaces, n°220, novembre : 30
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s’inscrit dans certains des enjeux du second, malgré son antériorité. La première définition
aurait été formulée par Hector Ceballos-Lascuráin, auteur de la Stratégie nationale de
l’écotourisme au Mexique. En 1987, il le définit comme un : « tourisme à destination d’aires
relativement intactes ou historiques dans le but d’étudier, d’admirer ou de jouir du paysage,
des plantes, des animaux et des attractions culturelles »74. Les principes de durabilité ne se
perçoivent pas encore puisqu’il reste uniquement centré sur le plaisir passé auprès des
ressources environnementales. C’est lors du Sommet mondial de l’écotourisme en mai 2002 à
Québec, qui s’inscrit dans l’Année internationale de l’écotourisme, qu’une définition plus
« durable » en est donnée. Quatre principes clés sont énoncés, qui englobent les principes du
tourisme durable mais en développent également d’autres plus spécifiques ; nous y retrouvons
la volonté de protéger le patrimoine culturel et naturel, ainsi que l’inclusion des populations
dans les projets touristiques, mais aussi une pratique du voyage en individuel ou en petits
groupes. Enfin, il propose aux visiteurs une interprétation du patrimoine culturel et naturel75.
Ce tourisme propose ainsi une gamme d’offres, qui englobe des aspects environnementaux et
sociaux. Selon Rafael Matos, ce concept d’écotourisme est devenu un véritable « or vert »
pour certains opérateurs qui s’en servent pour attirer les touristes. Nous avons évoqué dans le
premier chapitre les désastres qu’ont pu provoquer certains projets d’écotourisme, comme au
Mozambique ou au Bangladesh, pour lesquels la population locale n’est pas informée ni
impliquée, contrairement aux principes énoncés, ni de la mise en place du projet ni de sa
planification et encore moins de son exploitation. Il faut ainsi rester prudent quant à ces
dénominations, du moins tant qu’aucun label ne certifie la réelle appartenance à un type de
tourisme particulier.
Le concept de tourisme équitable est celui que l’on emploie le plus fréquemment
dans les différentes formes de tourismes alternatifs. Il s’inscrit dans le champ du commerce
équitable, qui tente de contribuer à la réduction de la pauvreté dans les pays du Sud en
garantissant aux producteurs une juste rémunération et en limitant le passage par des
intermédiaires. Le tourisme équitable s’inscrit dans cette voie, en faisant bénéficier les
populations locales d’une grande partie des retombées du tourisme, qui doivent ensuite être
réparties de façon équitable entre les membres de la communauté d’accueil. Ces dernières
doivent pour cela être en mesure de proposer des voyages ou des activités touristiques. Ainsi,
le tourisme équitable sous-entend les notions d’égalité et d’équité. Selon Nadège Chabloz, en 74 Cité par MATOS Rafael, 2003, « Ecotourisme, tourisme durable, tourisme de nature…Pour ne pas y perdre son latin », Cahiers de l’Aumônerie, Université de Genève, novembre, numéro spécial « Tourisme éthique -tourisme durable » : 4 75 Ibid. : 7
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plus de la participation des populations à l’activité touristique, cette forme de tourisme garanti
une prestation touristique organisée de telle sorte qu’elle ne déstabilise pas les équilibres
écologiques, économiques, humains et culturels locaux. Elle développe également une forme
de responsabilisation des touristes qui se trouvent informés des réalités locales et de « la
complexité des rouages du tourisme international, ses impacts sur les pays visités, et l’urgence
de changer la façon de voyager »76.
Le tourisme équitable cherche donc à développer les relations Nord / Sud dans une volonté de
partenariat et de rééquilibrage économique. Une charte du tourisme équitable a été élaborée
en 2002, par la PFCE77 et quatre associations de tourisme équitable. Désormais, les autres
associations qui s’en réclament doivent en principe ratifier la charte et se soumettre au
contrôle de la PFCE, bien que là encore, les contrôles soient difficiles à mener.
Une autre forme de tourisme alternatif est ce que l’on appelle le tourisme intégré. Ce
tourisme n’est pas récent mais il semble prendre un essor significatif ces dernières années.
Alors que l’ensemble des offres touristiques proviennent habituellement des pays émetteurs
de touristes, le tourisme intégré est quant à lui institué directement par les pays d’accueil qui
proposent aux voyageurs de venir les « découvrir », ainsi que leur pays, d’une façon plus
approfondie rendue possible par une immersion dans les villages.
Il semblerait, d’après les différents auteurs, que le Sénégal ait le premier développé le
tourisme intégré, dans les années 1970. L’ambition du projet était de redynamiser les régions
enclavées par un développement de l’économie régionale, par la création d’un tourisme
différent. Avec l’aide d’un coopérant français, Christian Saglio, ayant réalisé durant deux ans
un travail d’anthropologue sur le terrain, ils mirent en place à partir de 1971 un tourisme se
démarquant des autres par une offre axée sur la découverte du pays d’accueil et de sa
population. Pour eux, le tourisme balnéaire, majoritaire au Sénégal, n’encourageait pas de
réelles rencontres et a pu conduire à la divulgation de stéréotypes sur l’Afrique, appréhendée
comme une : « Afrique sauvage très sombre, d’une terre de plages désertes, de tam-tams, de
lions, de médecins sorciers et de poitrines nues »78. Contrairement au tourisme habituel, le
développement du tourisme intégré allait pouvoir engendrer de réels contacts avec les
autochtones, et permettre une meilleure compréhension entre les peuples. Quatre camps furent
créés dans des villages de Basse Casamance, en partenariat avec les villageois. Ces derniers se
76 CHABLOZ Nadège, 2004: 20 77 Plate-forme pour le Commerce Equitable, née en 1997 78 SAGLIO Christian, dans DE KADT Emmanuel, 1979, Tourisme, passeport pour le développement ? Regards sur les effets culturels et sociaux du tourisme dans les pays en développement, Economica, Paris, Unesco-Banque mondiale: 316
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trouvèrent impliqués dans l’activité touristique et les équipes d’accueil furent formées à partir
des villageois volontaires. La gestion des camps ainsi que la répartition des bénéfices furent
données aux coopératives villageoises créées pour le projet. Les touristes, quant à eux, se
trouvaient « immergés » dans les villages, sentiment d’immersion renforcé par l’hébergement
dans des habitats traditionnels, construits, gérés et exploités par les habitants79.
Selon Djibril Kassomba Camara, l’activité touristique mise en place a permis « le
rapprochement et un vrai voyage de découverte »80, et a également institué une diversité des
activités pour les villageois et de ce fait contribué à diminuer l’exode rural. Enfin, les
bénéfices engendrés ont permis de réaliser des aménagements collectifs81.
D’autres populations tentent désormais de développer le tourisme intégré, notamment en
Amérique latine ou en Inde : l’ONG Mass Education est née de l’initiative des populations
indiennes rurales qui ont développé une structure touristique connaissant une réelle ascension
aujourd’hui82.
Cette forme est sans doute la plus aboutie si l’on se réfère aux principes du tourisme durable,
du moins en ce qui concerne l’implication des populations réceptrices dans l’activité
touristique, ce qui en fait un tourisme « actif » et non pas « passif ». Elle présente toutefois
des problèmes de visibilité et de commercialisation de l’offre, qui peine encore à se
développer dans les pays émetteurs.
L’ensemble de ces formes de tourisme développe un autre sens du voyage, plus proche
de l’Autre, plus respectueux aussi, du moins dans ses intentions. Il ne s’agit plus de « bronzer
idiot » mais de participer à l’amélioration des conditions de vie des pays du Sud tout en
conservant une activité ludique durant son temps de loisir.
Le tourisme solidaire, que nous n’avons pas encore évoqué, est la forme de tourisme qui nous
intéresse particulièrement dans ce mémoire. Il regroupe certaines caractéristiques des
tourismes que nous venons d’évoquer, dans une sorte de « tourisme idéal ».
1.3.2. Le tourisme solidaire
Le tourisme solidaire assoit sa légitimité sur le développement des populations
réceptrices. Il semble en effet avoir été institué de manière à faire bénéficier prioritairement 79 SAGLIO Christian, dans DE KADT Emmanuel, 1979 : 319 80 CAMARA Djibril K., 2006, Pour un tourisme guinéen de développement, L’Harmattan, Paris : 68 81 L’intérêt pour cette forme de tourisme est perçu par l’augmentation du nombre de touristes, qui aurait été multiplié par six entre 1970 et 1980, CHABLOZ Nadège, 2004: 34 82 cf. http://mass-education.com
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les communautés d’accueil des retombées touristiques, en favorisant leur autonomie tout en
préservant leurs structures sociales, économiques et culturelles. Pour cela, il s’appuie sur trois
notions essentielles qui sont la rencontre, la solidarité et le développement.
1.3.2.1. Ses origines
La rencontre avec l’Autre est à l’origine de la naissance du tourisme solidaire, qui
s’effectue après le processus de décolonisation. Selon Nadège Chabloz, il provient de
l’initiative de plusieurs « groupes militants d’origines idéologiques ou religieuses, de mettre à
profit leur pratique du tourisme pour engager de nouvelles relations avec les populations
locales »83. Comme le précise Dora Valayer, plusieurs organismes envoient également
certains de leurs membres vivrent auprès des populations, de façon à approfondir la
compréhension entre les peuples, dans ce qui est appelé des « voyages d’immersion » ou
encore « voyage d’étude ». Elle explique qu’à travers ces voyages, « on vit aux côtés de la
population, on s’informe sur ses conditions de vie, ses conditions sanitaires, l’agriculture,
l’industrie, et aussi la philosophie, la religion, la politique. On sympathise avec l’autochtone.
(…) Ce sont des voyages chaleureux, fraternels, en petits groupes »84.
Cette approche du tourisme par la rencontre n’est pas nouvelle puisqu’elle se développe en
France dès le début du 20e siècle avec le tourisme social, et dans les années 1950 avec le
tourisme rural, parallèlement à l’expansion du tourisme de masse.
Le tourisme social apparaît avec l’augmentation du temps libre et l’accroissement des
loisirs. L’enjeu qui en découle est de maximiser l’accès aux loisirs à tous les groupes de
populations, notamment les familles et les personnes aux revenus modestes. Il revendique de
cette façon le droit aux vacances pour tous. Pour promouvoir ce droit, le BITS85 est créé en
1963, de manière à mettre en place des actions globales allant dans ce sens. En plus de ce
combat, le tourisme social vise à l’accroissement des rencontres et à la qualité des échanges
entre visiteurs et visités86. En 1996 s’est tenu le congrès du BITS à Montréal, qui a engendré
la déclaration de Montréal, qui a permis de compléter le précepte du tourisme social avec les
principes de la Charte mondiale de 1995, comme « le respect de l’identité de la population
locale », ou encore « générer des bénéfices économiques, sociaux et culturels pour la
population locale »87. Le tourisme social doit donc profiter aux touristes, mais également aux
83 CHABLOZ Nadège, 2004: 18 84 VALAYER Dora, 2002 : 37 85 Bureau International du Tourisme Social 86 JOLIN Louis, BELANGER, Charles-Etienne, 2005, « Du tourisme social au tourisme solidaire », Traverses, 196, mai : 6-7, http://wwwtourismforhelp.org 87 Ibid. : 6
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autochtones, « en introduisant une relation de solidarité entre le touriste et les populations
d’accueil et en ayant comme objectif « un développement durable et soutenu »88.
Le tourisme rural est quant à lui axé sur la découverte d’un territoire et de son
patrimoine, ses traditions, sa gastronomie. La rencontre est un élément essentiel puisque ce
sont les ruraux qui accueillent les touristes au sein de leur habitat et leur font découvrir leur
région. Il peut prendre plusieurs appellations, comme le tourisme de nature, l’agritourisme ou
encore le tourisme à la ferme. Selon Christophe Giraud, il prend son essor dans les années
1950, alors que les idéologies du Parti Communiste et notamment de la lutte des classes sont
influentes. Il doit alors servir à faire se rencontrer les classes ouvrières citadines et les
agriculteurs ruraux, pour « permettre une meilleure compréhension des individus au sein
d’une même société et prévenir ainsi les conflits sociaux »89. Ainsi, ce tourisme à l’échelle
nationale déploie des idées de découverte et surtout de compréhension accrue entre des
individus « socialement et culturellement différents »90. Il s’agit également d’un des préceptes
du tourisme durable, facteur de paix, que nous retrouvons dans le concept du tourisme
solidaire.
1.3.2.2. Ses principes
Ce dernier s’inspire donc largement de ces deux types de tourisme, puisque la rencontre
y est largement privilégiée. Elle peut être dans ce cas favorisée par l’immersion des touristes
dans un village, comme l’étaient les voyageurs aux heures de la décolonisation et comme elle
se pratique dans le tourisme intégré, mais également par le fait que les touristes sont pris en
charge par une partie de la population d’accueil, que ce soient les guides, les animateurs, les
artisans... Ainsi, les interactions avec les communautés réceptrices sont présentées comme
directes et vraies. Enfin, le nombre de touristes envoyés sur un lieu touristique est restreint, ce
qui permet d’encourager les relations avec les autochtones.
A la notion de rencontre s’ajoutent celles de solidarité et de développement.
Selon la définition qu’en donne l’Unat91, il « introduit une notion de solidarité entre le touriste
et les populations d’accueil. (…) Il peut revêtir plusieurs aspects comme, par exemple, le
soutien à un projet de développement ou la participation à un fonds d’entraide. Il s’inscrit
88 JOLIN Louis, BELANGER Charles-Etienne, 2005 : 6 89 GIRAUD Christophe, 2007, « Recevoir le touriste en ami. La mise en scène de l’accueil marchand en chambre d’hôtes », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 5, 170 : 20 90 Ibid. 91 Union Nationale des Associations de Tourisme
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dans la durée afin de garantir la pérennité des actions de solidarité »92. Selon cette définition,
le tourisme et la notion de solidarité serviraient directement au développement local des
populations.
Le principe du tourisme solidaire est ainsi de faire partir des groupes restreints de touristes
dans des lieux pour le moment préservés de la vague touristique, à une période précise de
façon à ne pas perturber les activités traditionnelles comme le travail aux champs, et sur un
laps de temps restreint. Ces touristes peuvent se trouver « immergés » dans des villages, ou
bien suivre un parcours défini par le voyagiste et les autochtones, les menant au cœur de
différents sites. L’intérêt majeur de ce tourisme est qu’une partie du coût du séjour est
prélevée, servant à la réalisation de projets de développement déterminés avec la population
d’accueil. Ces projets peuvent être du domaine de la scolarisation, de la formation ou encore
de la santé mais pas seulement, puisque récemment, une piste de danse dans un village du
Burkina Faso a été construite grâce à l’apport financier du tourisme.
Selon ses défenseurs, il est ainsi à la fois un moyen de faire découvrir aux touristes des lieux
encore « préservés » et surtout il contribue au mieux-être des populations d’accueil. Ces
dernières doivent en principe, comme pour les autres formes de « nouveaux tourismes », être
impliquées dans les différentes phases du projet, et il s’agit pour certaines de gérer, à terme,
l’activité touristique de façon complètement autonome. Les partenariats qui se créent ainsi
font dire à Mimoun Hillali que nous serions ici plutôt dans un mouvement altruiste
qu’humanitaire, contrairement aux systèmes d’assistance classiques93. Les voyageurs
solidaires deviennent acteurs du développement du Sud grâce à leur présence et à leur
contribution financière. Le tourisme solidaire est donc perçu comme un acte de solidarité.
Tous ces éléments placent donc le tourisme solidaire au cœur des préceptes du tourisme
durable, en ce qui concerne la conservation de l’environnement et des structures sociales,
culturelles et économiques des populations, leur implication dans les projets, ainsi que la
durabilité souhaitée de l’activité. Il se réfère selon Louis Jolin « directement aux valeurs de
solidarité et de responsabilité »94. Le tourisme solidaire est donc d’abord un instrument de
développement local des communautés réceptrices, qui s’appuie sur un discours de
responsabilisation du tourisme et des touristes. Il pourrait également s’appuyer sur ce que
92 UNAT, 2002, D’autres voyages, du tourisme à l’échange, cité par ZYSBERG Claudine, 2004, « Le tourisme solidaire et responsable, c’est du tourisme ! », Revue Espaces, n°220, novembre : 19 93 HILLALI Mimoun, 2007, « Tourisme et solidarité en Afrique. Humaniser la modernisation pour valoriser la tradition », Téoros, vol.26, n°3, automne : 37 94 JOLIN Louis, 2007, « Une éthique de la solidarité et de la responsabilité », Téoros, Vol.26, n°3, automne : 4
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Dora Valayer a appelé la « culpabilité post-coloniale » et « l’esprit tiers-mondiste »95 qui sont
apparus avec le développement des « voyages d’immersion », la découverte de l’Autre et de
ses réalités, et qui demeurent aujourd’hui encore présents.
Conclusion Alors que les années 1960 encourageaient un tourisme de masse pour le développement
économique des pays du Sud, l’avènement de codes de conduite, de nouvelles formes de
tourisme, la nécessité de « voyager autrement » indiquent un renouvellement de la perception
de l’activité touristique. Elle doit désormais être durable, préserver les espaces qu’elle
investit, faire bénéficier davantage les populations locales des retombées touristiques. Un
discours de responsabilisation et de citoyenneté entoure désormais le phénomène touristique.
Selon Isabelle Sacareau, c’est la mondialisation qui développe « une attention croissante des
sociétés occidentales aux grandes causes humanitaires, qui se traduit par le désir d’agir
localement et concrètement »96. Pourtant, la route est encore longue avant d’arriver à un
véritable tourisme durable, si réel tourisme durable il peut y avoir.
La demande en faveur de ces formes de tourismes progresse, mais demeure pour le moment
plutôt marginale. En 2002, l’économiste Gilles Caire dénombre un total de 50 000 voyages
responsables et solidaires à l’étranger, ce qui correspond à 0.3% des 17 millions de séjours
personnels des Français à l’étranger97. Il ne s’agit donc pas encore d’une part de marché
significative, et Nadège Chabloz fait remarquer que « la grande majorité des vacanciers
continuent de vouloir voyager pour se détendre et se reposer au soleil »98, les voyageurs
choisissant un tourisme responsable restant très minoritaires99.
Alors, quelles sont les stratégies des organismes de tourisme pour vendre le « rêve de la
responsabilisation » ? Quelles représentations et attentes ont les touristes de ces voyages ? En
nous penchant sur l’étude des discours des organismes de tourisme solidaire, nous allons
tenter de dégager quelques pistes de réflexion.
95 VALAYER Dora, 2002 : 37 96 SACAREAU Isabelle, 2007, « Au pays des bons sentiments. Quelques réflexions critiques à propos du tourisme solidaire », Téoros, Vol.26, n°3, automne : 6 97 LAURENT Alain, 2004 : 30 98 CHABLOZ Nadège, 2004 : 19 99 Une enquête réalisée par TNS-Sofrès montre que seulement 2% des sondés estiment avoir voyagé de façon responsable, citée par Alternatives Economiques, Ibid. : 30
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2. « Bronzer généreux » : Un tourisme au double visage
Comment lier solidarité et plaisir ? L’expression « bronzer généreux » prend dans le tourisme
solidaire tout son sens, puisqu’il s’agit bien de détente, mais raccordée aux notions de
générosité et de solidarité. Il ne s’agit plus de « bronzer idiot », contrairement au tourisme de
masse. Ne serait-ce pas une formule avant tout dédiée à la bonne conscience des voyageurs ?
2.1. La promulgation d’un discours citoyen
2.1.1. La multiplication des associations de tourisme solidaire
2.1.1.1. Présentation
La sincérité des différentes associations de tourisme solidaire pourrait faire dire le
contraire. Elles semblent avoir été conçues dans l’objectif premier de contribuer au
développement des pays du Sud. Prenons l’exemple de l’une d’elles qui se définit comme
mettant en œuvre « des projets générateurs d’activité économique, de richesses et d’emploi et
s’implique aussi dans des programmes de développement des services à la population (santé,
éducation…). Ces activités s’inscrivent dans le plan de lutte contre la pauvreté, l’exode rural
et l’émigration définit par le gouvernement sénégalais et mis en oeuvre par les Agences
Régionales de Développement (ARD) »100. La fonction touristique de l’association est déniée
dans ce discours politique, qui ne va être qu’un moyen d’aider les populations du Sud. Le
nom de cette association est en lui-même révélateur puisque rien ne laisse envisager qu’il
s’agit d’une association touristique : ICD Afrique, Institut de Coopération pour le
Développement.
100ATES, 2007, ATES, Association pour le Tourisme Equitable et Solidaire, dossier de presse, mai, http://www.tourismesolidaire.org : 19
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On compte aujourd’hui une vingtaine d’associations de tourisme solidaire en France101. La
plupart sont récentes, créées depuis les années 2000, mais certaines existent depuis les années
1980, comme c’est le cas de Croq’Nature, instituée en 1984. Créées selon des contextes
différents, toutes entretiennent des liens étroits avec les destinations où sont envoyés les
touristes. Les fondateurs proviennent de diverses origines, et peuvent être d’anciens
voyageurs, des professionnels de l’aide au développement, des migrants etc. Plusieurs de ces
associations sont nées d’une relation affective avec un ou plusieurs individus des pays du Sud,
créée à l’occasion de voyages.
C’est par exemple le cas de l’association La Case d’Alidou, qui existe depuis 2002. Elle est le
résultat d’une « amitié de longue date entre deux familles, l’une française et l’autre burkinabé,
la « grande » famille Yigo »102. Cette amitié de plus de vingt ans est à l’origine de la création
de l’association, qui est alors vue comme un moyen d’aider le village à se développer. La
famille burkinabé accueille et organise les séjours des touristes, et reçoit une partie du coût du
séjour pour des projets de développement.
L’association Vision du Monde a elle aussi été créée à la suite de rencontres, « avec des
paysans de l’Atlas marocains désireux de se diversifier dans ”l’agro-tourisme“ »103. Ces
associations sont alors, en tout cas à leur commencement, plutôt le fait d’amateurs que de
professionnels du tourisme. Le lien affectif ou sentimental pourrait peut-être expliquer
l’engouement pour le développement des pays visités, dont le tourisme apparaîtrait comme un
moyen plus rapide qu’un autre.
Ces associations proposent plusieurs destinations aux touristes, qui prennent là encore des
formes différentes. Il peut s’agir de séjours dans un village, de parcours itinérants, de visites
de sites touristiques ou encore de stage artisanal. Il est intéressant de noter que les destinations
proposées sont dans leur majorité tournées vers le continent africain. Quelques associations
tentent de développer des voyages en direction de l’Asie, comme le Laos ou le Cambodge
(Vision du Monde), en Amérique du Sud (Equateur, Pérou, Brésil), et également en Europe de
l’Est (Bulgarie, Serbie, Arménie). Mais les destinations principales restent l’Afrique de
l’Ouest et le Maghreb, avec le Maroc, le Mali, le Burkina Faso ou encore la Mauritanie. Selon
Dora Valayer, le choix des destinations serait influencé par le contexte historique : « le
101 Pour des précisions concernant les associations de tourisme solidaire : http://www.tourismesolidaire.org 102 Alternatives Economiques, 2008: 95 103 Vision du Monde, 2007, Voyages solidaires 2007-2008: 3
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tourisme à destination des autres continents est inséparable du colonialisme. Il en est resté
profondément marqué dans ses schémas et ses pratiques »104.
Pour la mise en place de ces séjours touristiques, les associations ont noué des partenariats
avec des acteurs locaux de développement, comme des associations villageoises. Couleurs
Sensations, association grenobloise, institue ainsi depuis plusieurs années des projets de
développement avec des ONG locales, à l’instar d’El Velah en Mauritanie ou Migrations et
Développement au Maroc. Ensemble, ils élaborent des projets comme le développement de
coopératives féminines ou la création de jardins maraîchers105.
L’activité touristique est alors gérée conjointement, les associations du Nord se chargeant de
sa visibilité et de sa promotion, les acteurs locaux de son organisation, de l’accueil et de la
répartition des bénéfices. Entre 3 et 15% du coût du séjour des touristes est reversé aux
acteurs touristiques locaux (en fonction des associations). Les actions de développement qui
en découlent touchent le plus souvent à l’éducation ou à la santé. Ainsi, les devises retirées de
l’activité en 2007 ont permis à ICD Afrique et ses partenaires de financer la cantine du collège
d’un campement sénégalais ainsi que la toiture d’une école maternelle. La majorité des projets
locaux réalisés sont des structures « en dur », visibles (et l’on peut se demander s’ils
correspondent aux réels besoins des populations ou s’ils servent davantage à appuyer l’image
de marque des associations).
2.1.1.2. La mise en place d’un réseau national
Depuis 2001, ces associations se sont regroupées au sein de l’Unat, Union Nationale des
Associations de Tourisme, existant depuis 1920, de façon à devenir plus visibles sur le
marché touristique, et obtenir une certification de leur activité. Une définition commune du
tourisme solidaire a été établie, de même qu’une grille d’identification des voyages solidaires,
regroupant six critères permettant de ne choisir que les « véritables » associations. Parmi eux
on retrouve la sensibilisation et l’information des voyageurs, ou l’implication des associations
dans les projets de développement. Vingt associations ont alors été sélectionnées, et en 2004
se créé le premier réseau national des associations de tourisme solidaire. Les efforts de l’Unat
pour la promotion du tourisme solidaire, comme la publication d’une brochure et
l’organisation de forums, sont consacrés en mai 2006, par la création de l’Ates, Association
pour le Tourisme Equitable et Solidaire, destinée à « mieux structurer le réseau, formaliser ses
104 VALAYER Dora, 2002: 35 105 cf. le site de l’association Couleurs Sensations http://www.couleurs-sensations.com
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objectifs et orientations, l’élargir à de nouveaux partenaires et augmenter sa visibilité auprès
du grand public »106. Ses membres fondateurs sont l’Unat, la fédération LVT (Loisirs
Vacances Tourisme) et la PFCE (Plate Forme du Commerce Equitable), et vingt associations
en sont membres actifs. Elle fédère ainsi au niveau national les acteurs et partenaires du
tourisme solidaire. Elle a défini cinq missions prioritaires, qui sont la promotion de l’offre, le
développement des partenariats et des échanges avec les acteurs du tourisme, que ce soit pour
la mise en œuvre de projets touristiques du Sud ou la création de réseaux au niveau européen.
Enfin, l’accent est mis sur la volonté d’une clarification des définitions, et la transparence de
l’activité par la mise en place de labels et de certifications107. D’autres réseaux ont été
institués en France, comme c’est le cas avec le réseau de tourisme solidaire DéPart, fondé
dans la région Rhône Alpes, regroupant plusieurs associations, par ailleurs déjà membres de
l’ATES, ou encore du réseau ATR, Agir pour un Tourisme Responsable.
Ce mouvement national connaît un essor similaire dans d’autres pays européens, et
notamment en Allemagne ou en Italie, dans lesquels les initiatives se multiplient, avec par
exemple la création de l’AITR (Associazione Italiana Turismo Responsabile).
Nous sommes alors en mesure de nous demander de quelle manière ces associations
cherchent à promouvoir leurs actions pour se rendre visibles et quels sont les discours utilisés.
2.1.2. La production du discours citoyen
Les discours employés par les associations de tourisme solidaire semblent dans un
premier temps s’appuyer sur les déclarations émises depuis quelques années par les
organisations internationales de tourisme. Elles suivent ainsi la même volonté de
développement du tourisme éthique et durable. Les chartes et codes du tourisme instaurés au
niveau international sont ainsi reformulés au sein de chartes nationales, mais aussi à un niveau
plus local, puisque de plus en plus d’associations produisent leur propre charte avec chacune
leurs spécificités.
L’Unat a développé une grille d’identification des voyages solidaires, aujourd’hui reprise par
l’Ates, qui regroupe six critères fondamentaux. Parmi ces critères, certains sont directement
tirés du Code mondial d’éthique du tourisme de l’OMT : « Le choix de travailler avec des
106 ATES, 2007 : 2 107 ATES, 2007: 3
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prestataires locaux», « Le respect et la prise en compte de l’environnement »,
« Sensibilisation et information des voyageurs »108.
TDS (Tourisme et Développement Solidaires), ONG de tourisme solidaire, a fait l’objet d’une
étude anthropologique approfondie par Nadège Chabloz. Dans un article récent109, elle
constate les similitudes de la « charte du tourisme en village d’accueil TDS » avec le Code
mondial d’éthique du tourisme. Sept thèmes principaux y sont abordés110 : « le respect » de
l’environnement et des traditions, visibles dans les comportements des touristes qui ne
doivent pas choquer ou blesser les populations ; « l’information » qui concerne à la fois les
touristes et les communautés d’accueil qui doivent s’informer sur les coutumes et mœurs des
uns et des autres. Des réunions d’information sont prévues à cet effet ; « le développement
durable » par la préservation de l’environnement ; « valoriser le patrimoine culturel », ou
encore la « participation et répartition équitables » ; « l’épanouissement, la rencontre
interculturelle », et la « sécurité ».
Finalement, l’éthique dans le tourisme peut se résumer selon le co-fondateur de TDS, Pierre
Martin-Gousset, et Bernard Schéou, son secrétaire général, à deux préceptes essentiels : « le
premier est le respect d’autrui en tant qu’être unique et irremplaçable, (…) et le second, non
sans lien avec le premier, est « le respect de la demeure de l’homme », c’est-à-dire, lorsqu’on
se place au niveau de l’humanité, la planète Terre toute entière »111.
Nous sommes ainsi dans la mouvance des déclarations sur le tourisme durable et sur la
responsabilisation du voyageur. Ce dernier est tenu de s’informer des réalités locales, de
connaître les traditions de manière à ne pas les offusquer, d’avoir un comportement
responsable. Ce discours moralisateur est présent dans l’ensemble des chartes produites par
les organismes de tourisme solidaire, comme dans celle de Vision du Monde, qui appelle le
touriste à « respecter et économiser au maximum les ressources naturelles locales », ou encore
« à prendre conscience des conséquences de ses actes et de son attitude vis-à-vis des
populations locales tout au long de son séjour. Il doit par exemple demander l’autorisation
pour prendre des photographies »112.
Le discours moral ainsi délivré n’est pas à sens unique. Plusieurs chartes régissent également
les comportements des voyagistes et des communautés d’accueil. TDS a ainsi instauré la
108 Ibid. : 4 109CHABLOZ Nadège, 2006, « Vers une éthique du tourisme ? Les tensions à l’œuvre dans l’élaboration et l’appréhension des chartes de bonne conduite par les différents acteurs », Autrepart, 40 : 45-62 110 cf. le site internet de TDS : http://www.tourisme-dev-solidaires.org 111 SCHEOU Bernard, MARTIN-GOUSSET Pierre, 2004, « L’association TDS. Quand les voyageurs deviennent des villageois », Revue Espaces, n°220, novembre : 39 112 Charte de Vision du Monde, http://www.visiondumonde.org
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« charte du tourisme en villages d’accueil TDS », de même que Vision du Monde ou Couleurs
Sensations pour ne citer que ces exemples. L’information doit être, du côté des voyagistes,
divulguée de façon exhaustive et transparente aux voyageurs et aux populations locales. Ils
doivent effectivement promouvoir un tourisme durable et solidaire, respecter la charte et la
faire respecter. Enfin, du côté des « partenaires locaux » comme les appelle Vision du Monde,
ils doivent « fournir des prestations de qualité et faire preuve de professionnalisme » ou
encore « doivent favoriser le contact, l’échange véritable ». Nous n’allons pas ici étudier de
façon plus approfondie ces chartes de « bonne conduite » mais il s’agissait surtout de mettre
en évidence la similitude des Codes internationaux avec les chartes nationales et locales.
Le tourisme solidaire produit donc un tourisme qui se veut durable, respectant
l’environnement, les communautés d’accueil ainsi que les touristes. Il produit dans ce sens un
discours citoyen, de responsabilisation des différents acteurs du tourisme. Mais ces discours
vont en réalité plus loin que l’adhésion aux principes du développement et du tourisme
durables. Ils réalisent ce qu’Anne Doquet et Sara Le Menestrel considèrent comme « une mise
à distance du tourisme »113.
2.1.3. La mise à distance du tourisme ?
2.1.3.1. Le tourisme solidaire comme « levier du développement »
Les discours du tourisme solidaire procèdent de l’intention de faire sortir leurs activités
du tourisme classique. Il s’agit pour eux d’inscrire leurs actions dans le cadre plus large et
plus légitime de la solidarité internationale. L’expression « bronzer généreux » prend ici tout
son sens, puisque la seule action de partir avec un voyagiste solidaire transforme le touriste en
un acteur essentiel du développement local des pays du Sud. A la place d’un tourisme
éphémère se substitue le tourisme solidaire, qui « laisse une trace », son action s’inscrivant
dans la durée. Il est défini comme étant au service des populations locales, et selon Gilles
Béville « comme un catalyseur possible de ce développement », qui passe par « la viabilité
économique des projets et la maximisation des flux financiers en direction des populations
d’accueil, la valorisation des patrimoines culturels (…), l’implication à tous les stades du
113 DOQUET Anne, LE MENESTREL Sara, 2006, « Introduction », Autrepart, 40 : 5
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projet des populations locales qui gardent la maîtrise des opérations liées à la mise en valeur
touristique de leurs territoires… »114.
Ainsi, ces discours reprennent les fondements du commerce équitable qui prône la réduction
des intermédiaires entre producteurs et consommateurs, des revenus convenables et
équitablement répartis au sein de la communauté, et une autonomie à terme de ces
producteurs.
Selon Céline Cravatte, le recours à la catégorie de la « population locale » est en réalité le
fondement de la légitimité de ce tourisme. Les communautés d’accueil permettent d’après
elle de définir le tourisme solidaire comme « un tourisme moralement légitime »115, qui
s’oppose alors au tourisme classique et au tourisme de masse en particulier. Son but à lui est
d’allier développement de ces populations et « véritables rencontres », qui ne sont pas
réalisables autrement. C’est d’ailleurs la formule délivrée par l’Unat, qui défend que les
séjours solidaires « mettent au centre du voyage l’homme et la rencontre et qui s’inscrivent
dans une logique de développement des territoires »116.
L’activité touristique semble ainsi être vue et pensée d’abord comme un « levier du
développement » des pays d’accueil. Les loisirs, la détente sont exprimés d’une façon plus
diffuse dans les chartes, ce qui confère au tourisme un rôle moralement positif. L’exemple
d’ICD Afrique permet illustrer ce phénomène. Il n’évoque l’activité touristique qu’en terme
d’emplois générés ou de bienfaits pour les communautés d’accueil : « Chez nos partenaires du
Sud, les programmes mis en oeuvre créent une d’activité économique génératrice d’emplois.
Notre objectif est de pérenniser les emplois et annualiser les salaires en garantissant 20 à 25
semaines d'occupation des campements chaque année. (…) Chaque structure d’accueil génère
6 à 8 emplois directs avec une forte intégration des femmes au projet et 15 emplois induits.
Un emploi créé nourrit une famille de 10 personnes. Retombées économiques pour la
communauté rurale : en plus des emplois le comité de pilotage décide d’investir les bénéfices
sur des travaux d’intérêt collectif : Eau, Déchets, Santé, Education, Appui à la bonne
gouvernance »117.
D’autres exemples mettent en exergue la fonction solidaire de ce type de tourisme. Il permet
notamment à une partie de la population d’accéder à des formations, comme celles de TDS
destinées aux partenaires locaux, qui vont apprendre : « la gestion, la comptabilité,
l’organisation, l’auto-évaluation, l’animation, l’hygiène, la cuisine, le secourisme, les valeurs 114 BEVILLE, 2004 : 21 115 CRAVATTE Céline, 2006 : 35 116 UNAT, 2005, Tourisme solidaire. Des voyages vers l’essentiel, UNAT, Paris:3 117 ATES, 2007 : 20
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culturelles »118. L’objectif de ces formations est d’accroître la compréhension entre visiteurs
et visités et de pouvoir instituer à terme l’autonomie future des communautés d’accueil.
Enfin, il nous semble que l’exemple le plus illustratif est donné par l’association Point-
Afrique, qui n’est pas membre d’Ates119. Pour Point-Afrique, il ne sert pas à grand-chose de
réaliser des projets uniquement locaux, « en prenant une légère partie de leurs profits
(déductibles des impôts) [pour réaliser] une petite école, un dispensaire… (qui est
dupe ?) »120. Des causes plus importantes doivent être défendues, comme « des milliers
d’Haïtiens, qui à Punta Cana (Jamaïque) perçoivent 1,2 $/jour, sont amenés par camion et
parqués dans des baraquements insalubres »121. Pour l’association, le tourisme sert alors à
développer des projets de formation, de micro-crédit, ou encore de financement de projets
partenaires par le réinvestissement de l’intégralité des bénéfices touristiques. Dans les
premières pages de la brochure de présentation de l’association, aucune place n’est laissée à
l’activité touristique en elle-même, déniée, en raison de causes finalement bien plus
importantes que les loisirs touristiques de quelques privilégiés.
L’activité touristique solidaire sert ainsi un objectif plus légitime, ou en tout cas plus
« noble » que le tourisme classique, qui est l’assistance aux populations locales. Des projets
locaux se mettent en œuvre, comme la fondation d’un puits, l’éclosion d’écoles ou de
dispensaires, qui concourent tous vers une finalité plus globale. Finalement, les projets de
développement institués par cette forme de tourisme vont pouvoir être une alternative locale
aux dysfonctionnements, supposés ou réels, des économies des pays du Sud. Ils vont ainsi
permettre de créer des activités complémentaires pour des communautés en grande majorité
rurales et agricultrices, activités génératrices de revenus comme le défendent Point-Afrique et
l’ensemble des associations de tourisme solidaire. Le pouvoir attractif de ces « nouveaux »
revenus va fixer les jeunes ruraux dans les villages et contribuer de cette façon à limiter
l’exode rural, qui est une préoccupation largement partagée par les « acteurs solidaires » du
Nord. Enfin, les emplois ainsi créés vont favoriser une immigration nationale voire
internationale de populations rurales attirées par l’activité touristique, comme cela a été le cas
au Sénégal avec le tourisme intégré.
Nous nous trouvons donc emmenés par ce tourisme dans ce que l’on peut appeler un cercle
vertueux. Tout concourt à faire de lui le « tourisme idéal », puisqu’il préserve à la fois
118 SCHEOU Bernard, MARTIN-GOUSSET Pierre, 2004: 40 119 Cette non adhésion serait-elle due à l’idéologie véhiculée par cette association qui pourrait ne pas correspondre à celle défendue par l’ATES, soutenant des projets de développement à l’échelle locale ? 120 Point Afrique, 2007, Catalogue 2007-2008, rendez-vous en terres d’Afrique : 3 121 Ibid.
REBUFFE C. ETH R11 Mémoire de recherche bibliographique : Le tourisme solidaire en Afrique de l’Ouest : les contradictions d’un tourisme de rencontre et de « développement ». Des discours à la pratique.
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l’environnement et les structures sociales, culturelles et économiques des populations visitées,
et est perçu un acte de solidarité internationale qui contribue à la réduction de la fracture
Nord/Sud.
2.1.3.2. La production d’un discours militant
Aussi, le tourisme solidaire, d’après les discours tenus par les associations, semble
prendre la direction d’un tourisme « militant », comme le souligne Céline Cravatte122, qui
propose des séjours touristiques, mais qui véhicule surtout des valeurs d’altruisme et
d’intégrité. La distanciation avec le tourisme classique et avec l’objet même du tourisme en
général sert finalement à le légitimer, comme le soulignent Anne Doquet et Sara Le
Menestrel : « En définitive, tout consiste à mettre à distance le tourisme pour s’extraire de
cette catégorisation, en légitimant une démarche différente, motivée par l’adhésion à des
valeurs, à une éthique dont la noblesse s’oppose à la superficialité des loisirs »123. Cette
démarche particulière conduit notamment les associations à se départir des aspects ludiques et
attrayants des destinations, dans ce que Céline Cravatte définit comme un rejet de l’exotisme,
qui serait finalement paradoxal avec les discours tenus. Il passe comme nous l’avons vu par
une information et une sensibilisation des touristes de la « réalité objective » de ces pays, en
rejetant par ce biais: « un discours publicitaire touristique qui gomme les tensions sociales et
politiques et ne met en avant que la beauté d’un paysage et d’indigènes heureux »124.
Ainsi, à partir d’une définition commune et d’une vision plus ou moins similaire de l’utilité
du tourisme solidaire, les associations produisent un discours qui s’inscrit dans le cadre plus
large de la solidarité internationale. Chaque structure possède néanmoins des idéologies qui
lui sont propres et qu’elle tente de diffuser et de promouvoir. Nous verrons ultérieurement les
influences que peuvent engendrer ces idéologies sur la perception du voyageur.
Le consensus des structures associatives repose sur leur conception du tourisme solidaire
comme d’un « bon tourisme », en raison de son implication auprès des populations locales.
Ainsi, les voyagistes aident au développement des visités par l’envoi de touristes et ces
derniers, par leur seule présence, deviennent des acteurs du développement de ces
populations. Nous pouvons alors penser que le tourisme solidaire ne tient finalement que par
la présence effective de cette population locale, le comblement de ses besoins réels ou
fantasmés, et les échanges qu’elle est censée développer avec les touristes. Instrument de
légitimité, la population locale est-elle réellement vue en tant qu’un acteur effectif du 122 CRAVATTE Céline, 2006: 38 123 DOQUET Anne, LE MENESTREL Sara, 2006 : 6 124 CRAVATTE Céline, 2006 :38
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tourisme solidaire, ou plutôt comme le moyen d’attirer les touristes et de vendre des
voyages centrés sur la « rencontre »? Ce discours militant attire-t-il des candidats au départ ou
les associations ont-elles recours à d’autres types de discours ?
2.2 La commercialisation d’un « tourisme autrement »
L’ensemble des discours que nous venons d’évoquer nous amène à penser que le rôle du
tourisme solidaire est de diffuser des pratiques responsables et durables en faveur des pays du
Sud. Cette diffusion des pratiques passe cependant par la commercialisation des voyages, et
finalement par la rentabilité des associations. Cela pourrait représenter un paradoxe que
d’associer citoyenneté et rentabilité, mais il est toutefois annihilé par le fait que, selon le
fondateur de l’association Croq’Nature : « le but de l’histoire, quand même, c’est qu’il y ait le
plus d’argent qui reste là-bas »125. Ainsi, la population locale sert là encore d’instrument de la
légitimité d’un discours qui se trouve cette fois-ci être économique. Nous allons désormais
aborder ce discours en nous demandant si le tourisme solidaire tente de se démarquer des
démarches commerciales du tourisme classique et de quelle manière.
2.2.1. Les rencontres : au cœur du tourisme solidaire
Comme nous l’avons évoqué auparavant, le tourisme solidaire se proclame ordonnateur
d’un tourisme centré sur la rencontre et les échanges « vrais » entre visiteurs et visités. C’est
ainsi le fer de lance de l’Unat qui se distingue de cette façon d’autres formes de tourisme qui
privilégient l’environnement naturel tel que les plages, le soleil ou la mer. La brochure de
l’Unat publiée en 2005 résume ainsi sa conception des voyages de rencontres dans un titre
évocateur : « Tourisme solidaire. Des voyages vers l’essentiel »126. L’homme dans sa
diversité et les échanges interculturels sont ainsi mis en exergue, les rencontres devenant la
finalité de ces voyages touristiques.
Les rencontres sont rendues possibles dans le discours des associations en raison de la relation
privilégiée qu’elles entretiennent avec les communautés qui reçoivent des touristes. La Case 125 CRAVATTE Céline, 2006: 40 126 UNAT, 2005 : 72p.
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d’Alidou est à ce propos révélatrice, puisque nous rappelons que cette association est née de
l’amitié entre deux familles française et burkinabé. L’argument de la rencontre est ici
particulièrement mis en avant, puisque les voyageurs vont être placés en « immersion » dans
le village burkinabé et partager quelques instants de la vie quotidienne d’agriculteurs. Le
voyage est alors présenté comme un saut dans une « Afrique authentique », rurale, pauvre et
simple : « L’accueil, les rencontres et les animations sur place sont conçues et proposées par
nos partenaires locaux. Les personnes qui accueillent les voyageurs sont avant tout des
agriculteurs, des mères de familles. Sans formation, ni conseils, ils comprennent au fil des
séjours ce que les voyageurs viennent chercher auprès d’eux »127. Dans les différents textes
faisant référence à l’association, le nom de la famille burkinabé, la famille Yigo, est inscrit de
manière récurrente, ce qui doit introduire une relation de proximité avec les touristes, ou du
moins la sensation qu’une relation personnelle est possible. L’appellation « La Case
d’Alidou » encourage également cette sensation de proximité, entre habitat et prénom
traditionnels, nous sommes bien au cœur de l’Afrique !
L’offre touristique commercialisée par TDS diffère légèrement de ces types de séjours.
Comme La Case d’Alidou, TDS propose des séjours d’immersion, mais dans des conditions
davantage « professionnalisées ». Le titre d’un article paru en 2004 annonce que par
l’intermédiaire de TDS, « les voyageurs deviennent des villageois »128, mais pas à n’importe
quelle condition. Le concept de Villages d’Accueil des touristes a été développé par
l’association et diffusé dans quatre villages du Burkina Faso et s’étend aujourd’hui dans deux
villages du Bénin. Il s’est inspiré des campements touristiques de Basse Casamance dont nous
avons déjà parlé dans le cas du tourisme intégré, mais également de l’agritourisme, « un
tourisme initié par des « paysans » donnant à vivre et à partager la vie d’une exploitation
agricole et de son terroir, dans une proximité matérielle et humaine »129.
Dans le cas de ces villages d’accueil, TDS a formé un personnel volontaire qui est alors à
priori disposé à accueillir les touristes de la meilleure façon qu’il soit. Des formations ont été
dispensées, de gestion, d’organisation, de cuisine, pour que la compréhension soit renforcée et
pour que des références communes, dans le sens qu’en donne Christophe Giraud, puissent être
trouvées. Son étude s’est portée sur la réception des touristes en chambres d’hôtes dans la
France rurale, mais elle s’accorde également avec le tourisme d’immersion dont nous parlons:
« le jeu consiste à créer des références communes dans un contexte où les individus en
127 ATES, 2007: 21 128 SCHEOU Bernard, MARTIN-GOUSSET Pierre, 2004: 38 129 Ibid. : 39
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présence sont très distants socialement et où ils ne se connaissent pas »130. L’enjeu est que
l’accueil soit de cette façon rendu plus familier, plus proche entre visiteurs et visités, qu’il ne
l’est dans les formes de tourisme classiques.
Ainsi, le village sera apte à recevoir le touriste, qui sera apte à son tour à profiter du séjour, à
partager des moments comme « un sourire, une causerie, un coup de main, une danse
endiablée ou une visite… »131. Le discours proposé par TDS nous emmène donc dans le
registre de l’émotionnel, au cœur de situations qui se passent désormais rarement dans les
sociétés industrialisées, alors que l’Afrique « permet le temps de la rencontre et de
l’échange »132.
Les séjours en « immersion » avec les villageois ne sont pas les seules possibilités pour
partager la vie des autochtones. Plusieurs séjours incluant des excursions insistent eux aussi
sur les rencontres corollaires de ce type de tourisme. L’association solidaire Les amis de
Tamnougalt propose de partir au Maroc à la découverte « du monde berbère afin de favoriser
les échanges culturels et créer des liens d’amitié »133. Ces échanges seraient rendus possibles,
d’après le résumé proposé dans la brochure de l’Unat, par l’hébergement dans une maison
traditionnelle, la visite du village de Tamnougalt, les rencontres avec les artisans et la
participation à la confection du repas. La « petite fête de fin de séjour »134 viendrait clôturer
ce séjour riche en émotion.
D’après ces exemples, nous pouvons évidement nous poser la question de la qualité des
relations mises en œuvre, et si des échanges peuvent véritablement avoir lieu entre touristes et
autochtones.
Nous n’allons pas énumérer l’ensemble des discours qui s’appuient sur la rencontre
puisqu’elle se donne à voir au sein de l’argumentation de chaque structure. De nouveau, elles
font appel à des références différentes, comme nous l’avons vu avec ces exemples, mais
enclenchent toutes le registre de l’émotionnel, de la personnalisation de la relation et de la
proximité. L’Autre est ainsi rendu accessible par l’intermédiaire du voyagiste solidaire, qui
devient l’interface essentielle entre le touriste et l’autochtone, pour que la rencontre puisse se
faire.
Le registre de la « population locale » est ici utilisé différemment que dans le discours
citoyen légitimant le tourisme solidaire. Son implication dans l’activité touristique,
130 GIRAUD Christophe, 2007 : 18 131 UNAT, 2005 : 7 132 Ibid. 133 Ibid. : 45 134 Ibid.
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l’organisation de l’accueil ou de randonnées doivent induire des interactions moins
superficielles que celles orchestrées dans le tourisme classique, et invitent surtout les
voyageurs à venir découvrir des peuples et des pays lointains. L’aspect ludique et la
superficialité des loisirs auparavant condamnés semblent désormais reprendre du terrain sur
ce tourisme ne délivrant à priori qu’une réalité objective. L’étude iconographique des
brochures vient appuyer ce phénomène, et remettre une part de rêve dans le tourisme
solidaire.
2.2.2. L’étude iconographique des documents de commercialisation du tourisme solidaire
La commercialisation des séjours solidaires passe par la publication de brochures et par
l’éclosion des sites internet. L’ensemble des associations possède désormais son site
personnel, dont la visibilité se trouve renforcée par les sites de l’Unat ou de l’Ates qui rendent
publiques les adresses des associations. Ces deux moyens de commercialisation, qui
présentent à la fois les associations, leurs objectifs et les séjours qu’elles proposent, se situent
dans un registre qui diffère du discours politique jusque là largement employé. Il s’agit plutôt
ici d’exercer un pouvoir attractif sur les voyageurs potentiels, de leur donner envie de
voyager, passant pour cela par la mise en scène du tourisme. C’est ce que l’on pourrait
nommer la scénologie touristique. Alors que Céline Cravatte remarque que les associations
« soulignent volontiers, lors de conférence, qu’elles ne vendent pas du rêve, mais une réalité
objective »135, il semble pourtant que cette réalité soit quelque peu transformée, ou du moins
travaillée dans les instruments de commercialisation des séjours solidaires.
L’étude iconographique a été réalisée à partir de trois brochures, celle de l’Unat datant de
2005, celle de Vision du Monde136 pour la période 2007-2008, et celle de Point-Afrique
Voyages137, elle aussi pour les séjours des années 2007 et 2008. En plus de ces documents,
nous avons pris appui sur les sites internet de quelques associations, comme Couleurs
Sensations, ou encore TDS. Cet échantillon restreint nous empêche de pouvoir généraliser
cette étude à l’ensemble des associations, mais nous pensons néanmoins qu’il existe entre
elles de fortes similitudes.
135 CRAVATTE Céline, 2006 : 38 136 Vision du Monde, 2007 : 43p. 137 Point Afrique, 2007 : 98p.
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2.2.2.1. Le recours à l’imaginaire du voyageur
La vente d’un rêve, jusque là dénié, commence avec la lecture des brochures. Les trois
documents utilisés semblent vouloir nous emmener dans le domaine onirique des grands
explorateurs, des véritables voyageurs, et non des vulgaires touristes, par le recours au
« passé », à l’ « abîmé » et au registre du « bancal ». Ces brochures semblent en réalité avoir
déjà servi et accompagné un voyageur !
A l’intérieur de ces documents, la scénologie touristique fait appel au carnet de voyage, ce qui
accentue l’impression de pouvoir devenir, grâce à ces séjours, un voyageur et non un touriste
comme les autres. Les trois brochures présentent ainsi des illustrations presque toujours
bancales, comme si elles avaient été posées à la hâte. Cette impression est renforcée avec
Point Afrique puisque ces photographies semblent être retenues sur la page par un morceau de
scotch, qui se trouve lui aussi être bancal! Quant à Vision du Monde, les photographies sont
toutes entourées d’un liseré de couleur, comme si elles avaient été personnalisées par un
ancien voyageur. La présentation imitant le carnet de voyage est enfin rappelée pour Vision du
Monde et Point Afrique par le fait que les textes qui expliquent la durée et l’emploi du temps
du séjour sont inscrits sur un fond représentant des feuilles libres provenant de cahiers, ou de
bloc-notes, simplement posées sur l’arrière-plan.
Ainsi, la présentation des brochures de tourisme solidaire s’oppose aux brochures
habituelles du tourisme classique, en utilisant le registre du voyageur. Cette présentation peut
laisser penser l’on ne se situe plus dans une objectivité souhaitée par les associations. Cette
mise en scène conduit à une vision particulière des séjours proposés. Nous ne sommes donc
plus dans le registre d’une réalité qui ne doit pas être cachée, mais davantage dans celui d’un
véritable voyage d’excursions et de découvertes possibles. La transformation de la réalité est
encore accentuée par les photographies des différentes brochures.
2.2.2.2. La mise en scène du tourisme solidaire par les images…
Les similitudes entre les photographies des différentes brochures et des sites Internet
sont frappantes, puisqu’elles utilisent les mêmes registres de façon récurrente : l’homme, les
paysages et les éléments symboliques.
Alors que les associations de tourisme solidaire « veulent rompre avec un discours publicitaire
touristique qui gomme les tensions sociales et politiques et ne met en avant que la beauté d’un
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paysage et d’indigènes heureux »138, nous avons pourtant l’impression d’être totalement en
contradiction avec ces déclarations d’après les illustrations publiées dans les brochures. D’une
part, les hommes sont en grande majorité absents des photographies. Seuls quelques hommes
d’âge mûr sont présents, ou encore des chameliers sur le dos de leur dromadaire. Les femmes
et les enfants sont quant à eux surreprésentés, et ce pour l’ensemble des pays proposés. Le
sourire ne les quitte pas, ou peu, et devient un véritable leitmotiv au fil des pages.
Ce sourire est rencontré dans l’immense majorité des illustrations, et dans toutes les
situations. Une femme en train de faire la cuisine par exemple, ou encore une autre femme
bulgare qui transporte des tissus traditionnels139. Ainsi, l’absence d’hommes et le recours au
sourire semblent vouloir apaiser les différentes frayeurs des touristes, en créant un sentiment
de sécurité, voire d’amitié, entre une population amicale, accueillante, et les touristes qui s’y
rendent. La personnalisation de la relation est donc là encore mise en exergue. Nous pouvons
en déduire une mise en scène de la réalité, renforcée par l’absence d’illustrations de la vie
quotidienne, en dépit de quelques photographies représentant des femmes à leurs activités
comme sécher le poisson ou la préparation des repas.
Ainsi, comme le suggère Georges Cazes, « la vie économique n’est pas absente des publicités
touristiques mais elle y est enluminée et théâtralisée »140. Nous avons alors davantage
l’impression d’avoir affaire à des « indigènes heureux » qu’à des hommes dans leur vie
quotidienne. Certaines images sont montrées pour leurs caractéristiques sécurisante,
apaisante, ou attirante. D’autres restent enfouies, peut-être en raison de leur caractère trop
réaliste justement, ou pas assez spectaculaire, qui n’attire pas les touristes.
Par contre, il semble plus facile de montrer des photographies qui symbolisent certains traits
des sociétés visitées. Point- Afrique propose ainsi la photographie d’une théière bleue qui
rappelle à la fois le désert, les Touaregs, la prise conviviale d’un thé, et finalement
l’hospitalité, le bonheur. Les pirogues aux couleurs chatoyantes rappellent quant à elles une
Afrique active et animée. Nous n’allons pas multiplier les exemples, mais nous pouvons nous
rendre compte du pouvoir des photographies, qui est d’animer un imaginaire touristique141 par
une mise en scène symbolique de la réalité.
L’attraction indéniable de ces photographies hospitalières est accentuée par celles qui ont trait
aux paysages, à la faune, à la nature. Ici encore, nous pouvons relever une contradiction avec
138 CRAVATTE Céline, 2006 : 38 139 UNAT, 2005 : 15 140 CAZES Georges, 1989, Les nouvelles colonies de vacances ? Le tourisme international à la conquête du Tiers-monde, L’Harmattan, Paris : 322 141 AMIROU Rachid, 2000, Imaginaire du tourisme culturel, PUF, Paris : 156p.
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les discours solidaires. Montrer une réalité objective pourrait s’illustrer par des photographies
des villages concernés par les séjours solidaires ou les réalisations effectuées grâce au projet.
Mais au lieu de cela, nous retrouvons des paysages finalement très ordinaires et qui se
donnent à voir dans les brochures touristiques habituelles. Ainsi, la mer poissonneuse de la
Mauritanie, le désert marocain et ses dromadaires, ses oasis remplies de verdure… sont les
illustrations qui couvrent les pages des brochures et des sites internet des associations
solidaires. Nous sommes alors plus dans l’attraction par le rêve que par le militantisme, plus
dans le registre de la détente que celui de la solidarité.
Cette attraction du touriste par le recours au registre de l’imaginaire se poursuit jusque
dans les textes qui présentent les séjours touristiques.
2.2.2.3…et par les textes
Deux éléments peuvent distinguer le discours du tourisme solidaire d’autres formes
touristiques. C’est d’une part les projets de développement qui découlent des voyages, et
d’autre part le recours incessant à la formule de la rencontre « vraie ». Les brochures évoquent
les actions de développées grâce à l’activité touristique. Ainsi, l’Unat indique, pour chaque
séjour proposé, les projets de développement réalisés dans les villages, ainsi que la part du
prix du séjour qui est insufflée à ces projets. Vision du Monde explique également de quelle
façon sont répartis les fonds versés par les touristes, qui représentent « près de 7% la part du
prix du voyage consacrée au développement »142. Nous retrouvons par ces descriptions la
logique des associations solidaires, qui oeuvrent pour le développement du Sud. Mais sitôt
passées les premières pages, en ce qui concerne Vision du Monde et Point-Afrique, les actions
de développement sont largement occultées au profit d’un discours touristique qui ne nous
semble plus tellement différent des discours commerciaux habituels. Le tourisme solidaire
deviendrait-il par ce biais un tourisme ordinaire ?
A travers la lecture des Nouvelles colonies de vacances de Georges Cazes, certaines
caractéristiques narratives des agences publicitaires habituelles se révèlent être présentes au
sein du discours solidaire. Selon Richard Demarcy cité par Georges Cazes, le regard du
touriste est porté sur les « éléments spectaculaires de la société, que ce soit son folklore, son
passé, exprimé par ses monuments, ou encore son paysage »143. Les illustrations que nous
venons d’étudier introduisent donc un phénomène qui se reproduit à travers les textes.
142 Vision du Monde, 2007: 4 143 DEMARCY Richard, 1973, Eléments d’une Sociologie du spectacle, cité par CAZES Georges, 1989 : 317
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Toujours selon Georges Cazes, différents registres sont utilisés pour décupler l’imaginaire
touristique. Tout d’abord, l’intérêt pour le lointain et l’aventure : « La découverte, l’évasion,
le rêve, et surtout l’aventure, sont les maîtres mots de ce florilège publicitaire »144. Nous
retrouvons le même registre au sein des discours des différentes associations.
Pour ne citer que quelques exemples, nous pouvons prendre la description faite par Vision du
Monde de l’un de ces séjours dans le Haut Atlas marocain : « massif le plus étendu et le plus
impénétrable (…). De larges vallées souvent difficiles d’accès, se cachent dans les plis de ces
puissants reliefs »145. L’organisme Point-Afrique offre quant à lui aux voyageurs une
immersion en plein désert appelée « Silence du désert », présentée de cette façon : « circuit
plein d’énergie et propice à l’isolement au sein d’espaces variés et de contrées saisissantes, au
fil des rencontres de bergers et de campements nomades. Vous êtes loin des sentiers
battus ! »146. Ainsi, une fois encore, nous nous trouvons en contradiction avec la volonté
déclarée des discours citoyens de présenter le tourisme solidaire comme un tourisme non
spectaculaire, s’attachant à révéler une « réalité objective » par les instants de vie quotidienne
des villageois.
Ces communautés, nous l’avons vu, tiennent une place importante dans les discours, mais
elles sont dans certains cas évoquées à travers le registre du pittoresque. Ainsi, Nadège
Chabloz remarque que TDS cherche à « montrer l’Autre et son côté typique, pittoresque »147.
Nous pouvons rapprocher ce registre de celui de la « réduction folklorisante »148 de Georges
Cazes, qui prône un « retour aux sources, naturelles et rituelles »149. Les brochures qui ont fait
l’objet de notre étude ne font pas exception à cette explicitation du typique.
Ainsi, Vision du Monde décrit le monde berbère marocain « vivant comme hors du temps »150,
invite « à la découverte d’un Mali rural, agricole et animiste »151, ou encore propose une
randonnée jalonnée de « cases à palabres, portes sculptées, greniers aux toits de chaume »152.
Les registres de l’aventure et du typique sont donc largement utilisés dans le discours
commercial des associations solidaires, et se veulent plus percutant par l’usage de superlatifs
et d’un vocabulaire basé sur le rêve ou sur l’irréel : « paysage fantastique de volcans
démantelés, de pics rocheux, d’orgues basaltiques, de gueltas limpides [qui] crée une
144 CAZES Georges, 1989 : 289 145 Vision du Monde, 2007 : 6 146 Point Afrique, 2007: 49 147 CHABLOZ Nadège, 2004 : 150 148 CAZES Georges, 1989 : 321 149 Ibid. : 322 150 Vision du Monde, 2007 : 6 151 Ibid. : 17 152 Ibid. : 21
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atmosphère surréaliste, presque apocalyptique »153. Enfin, les vocables idéalistes et mythiques
qui selon Georges Cazes doivent « répondre à l’obsession du départ »154 sont usités,
notamment par Vision du Monde pour décrire une randonnée chamelière au Maroc qui « nous
transporte dans la magie du désert : sons feutrés, reliefs doux, couchers de soleil majestueux,
ciels étoilés, parfum de thé, horizons infini »155.
Les quelques exemples choisis dans les brochures mettent en évidence que le processus de
commercialisation des associations de tourisme solidaire ne dénote finalement pas des
processus publicitaires ordinaires. Les projets de développement mis en place grâce au
fonctionnement de cette forme de tourisme, et l’aide aux populations d’accueil, qui sont les
fondements de leur légitimité, sont progressivement occultés du discours publicitaire. Le
registre de la rencontre est finalement le seul qui persiste, par son côté ludique et exotique,
opposé aux finalités réelles, humanistes, de cette forme de tourisme. L’occultation du discours
politique semble trouver son explication dans les propos développés par Lothar Nettekoven :
« Il conviendrait toutefois d’éviter un caractère pédagogique trop appuyé qui serait
incompatible avec l’idée de bonne humeur et de détente. Si les éléments académiques et
éducatifs sérieux sont mis au premier plan, la vacance perdra sa séduction de période exempte
de préoccupations quotidiennes »156. Ainsi, il nous semble retrouver dans le discours
commercial du tourisme solidaire, les arguments de commercialisation d’un tourisme
ordinaire. « La bonne humeur et la détente » sont prioritairement recherchées, et le touriste
reste finalement considéré comme le véritable « héros du voyage »157.
Nous sommes alors en mesure de nous demander pour quelle raison un tel paradoxe
émerge de l’évolution des discours, qui se tournent davantage vers un tourisme classique. Est-
ce, comme le rappelle Jean-Pierre Olivier de Sardan, parce que le développement prôné par
ces associations, et l’aide humanitaire en général, sont des « marchés », dans lesquels « Il
s’agit d’y « vendre » des projets, des slogans, des politiques… »158 ? Et dans ce cas, ces
discours s’appuient-ils finalement sur ce que recherchent les touristes qui partent en « voyage
solidaire » ?
153 Point Afrique, 2007 : 13 154 CAZES Georges, 1989 : 292 155 Vision du Monde, 2007 : 7 156 NETTEKOVEN Lothar, « Mécanismes des échanges culturels réciproques », dans DE KADT Emmanuel, 1979 : 142 157 DOQUET Anne, LE MENESTREL Sara, 2006 : 6 158 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995 : 58
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2.3 Pourquoi voyager solidaire ?
Encore trop peu d’études anthropologiques traitent de ce que recherchent les touristes
lors de leur temps de vacances. Les principaux travaux existant s’axent soit sur une typologie
des touristes, soit sur ce qui fonde l’imaginaire touristique. Le reste des travaux portant sur
ces questions sont pour la plupart réalisés par des économistes. Pourtant, il pourrait être
intéressant de se pencher sur les motivations qui sous-tendent les pratiques touristiques, et
notamment sur celles qui concernent le tourisme solidaire.
Toujours est-il que plusieurs études récentes annoncent une évolution des comportements
touristiques associée à une augmentation de la demande des touristes envers les multiples
formes de tourisme responsable.
2.3.1. Une intériorisation des discours de responsabilité ?
2.3.1.1. Une évolution de la demande
Des auteurs économistes comme Jean-Marie Collombon, Gilles Béville ou encore
Liliane Bensahel, remarquent que la demande évolue en faveur de pratiques plus éthiques.
Tous mettent en évidence une volonté récente de « consommer autrement », comme par
exemple Gilles Béville : « on constate que la demande touristique mondiale évolue en
fonction des changements socioculturels profonds que connaissent les sociétés développées,
avec notamment une attention de plus en plus forte aux effets et retombées de l’acte d’achat et
de consommation »159.
Ainsi, la société telle que nous la connaissons aujourd’hui serait encline à consommer de
manière plus juste, selon les principes développés par le commerce équitable. Selon Liliane
Bensahel et Myriam Donsimoni, la demande en matière de tourisme évoluerait donc dans une
démarche de qualité, tournée non plus vers les quatre « S » (Sea, Sand, Sun and Sex) mais
vers les quatre « E » développés par Pascal Cuvelier : environnement, événements (traduits 159 BEVILLE Gilles, 2004 : 21
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par les activités proposées), équipements (les différentes infrastructures) et l’encadrement
(traduit par l’auteur comme la qualité des ressources humaines)160.
Cette recherche d’un tourisme plus éthique est également mise en évidence par Nadège
Chabloz, qui s’appuie pour cela sur une étude réalisée en 2001 par l’Afit, Agence Française
de l’Ingénierie Touristique (aujourd’hui remplacée par l’appellation ODIT France). Cette
étude aurait ainsi révélé que « la demande des clientèles est aujourd’hui en osmose avec le
concept de développement durable »161. Ceci induit que l’environnement deviendrait l’un des
éléments essentiels pour choisir sa destination, dans un souci de préservation des
environnements naturels et culturels. En plus de la conscience environnementale, l’étude
poursuit : « à cette tendance s’associent aussi la recherche d’une moralité et d’une éthique
acceptables »162. Cette recherche de l’éthique par les voyages est également perçue par Gilles
Béville: « Cela se traduit par de nouveaux comportements des touristes et par une demande
différente en matière de produits. Une part croissante des voyageurs (environ 5% du marché,
selon les pays) recherche des voyages plus « éthiques » permettant une réelle découverte des
autres et une plus juste répartition des retombées financières des séjours »163.
A la lecture des différents travaux, nous pouvons nous apercevoir de l’intériorisation, du
moins en apparence, des préceptes du développement durable et du commerce équitable,
divulgués au sein des pratiques touristiques. Ces affirmations semblent être confirmées par la
publication de plusieurs études s’intéressant à la connaissance et à l’intérêt que portent les
Français sur le tourisme responsable.
2.3.1.2. Un intérêt croissant pour le tourisme responsable
La première étude a été instituée en 2004, sous l’impulsion du Ministère des Affaires
Etrangères avec le concours de l’Unat, confiant sa réalisation à l’institut de sondage Sofres.
Ce dernier a opéré un sondage auprès de la population française ayant effectué au moins un
voyage à l’étranger durant les années 2002 et 2003164. Il ressort de cette enquête que 32,5%
160 BENSAHEL Liliane, DONSIMONI Myriam, 1999, Le tourisme, facteur de développement local, Collection « Débats », Presses Universitaires de Grenoble : 22 161 CHABLOZ Nadège, 2004: 51 162 AFIT, 2001, « Piloter le tourisme durable dans les territoires et les entreprises », Guide de savoir-faire, Les Cahiers de l’Afit :18, cité par CHABLOZ Nadège, 2004 : 52 163 BEVILLE Gilles, 2004 : 21 164 MAE, UNAT, 2005, Le tourisme solidaire vu par les voyageurs français. Notoriété, image et perspectives, mars : 17p. L’échantillon de cette enquête est représentatif de la part des français de plus de 18 ans s’étant rendus à l’étranger au moins une fois au cours des années 2002-2003. Il se compose de 402 individus, interrogés par téléphone.
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des individus interrogés déclarent avoir déjà entendu parler du tourisme solidaire165, et 66% se
disent intéressés par cette forme de tourisme. Ces chiffres peuvent paraître assez élevés, mais
il faut rappeler que les personnes interrogées font partie de la tranche de population ayant
accès aux voyages, et pouvant être alors davantage informées des différentes formes de
tourisme disponibles sur le marché. Les enquêtés associent le tourisme solidaire en majorité
aux principes du commerce équitable, le désignent comme un tourisme se déroulant dans les
pays du Sud, et bénéficiant prioritairement aux populations locales. L’étude révèle également
que l’image dégagée par ce tourisme est surtout de permettre aux touristes d’ « avoir un
échange avec la population locale »166. Nous sommes alors au cœur du discours citoyen
promulgué par les organisations internationales de tourisme et les associations de tourisme
solidaire.
Le même institut de sondage a rendu publique une autre étude datant du mois d’avril 2008,
instituée à l’occasion des Trophées du Tourisme Responsable167. Elle révèle que les Français
sont de plus en plus nombreux à avoir entendu parler des différentes notions du tourisme
responsable, puisque le pourcentage s’élève désormais à 59%, contre 27% en 2007. L’intérêt
porté à ces formes de tourisme atteint 76% des individus interrogés, contre 66% en 2004 et
72% en 2007. Enfin, selon l’étude, 72% des individus se disent prêts à partir en voyage
solidaire, avec tout de même une majorité de réponse « probables ».
L’ensemble des études que nous venons d’évoquer s’accorde pour dire que l’intérêt en faveur
d’un tourisme plus responsable s’accroît, ce qui peut s’expliquer par une meilleure visibilité et
par une intériorisation progressive des discours en faveur du développement durable et de
l’adoption de comportements responsables. Il nous faut cependant conserver une certaine
prudence vis-à-vis de ces études qui peuvent comporter des biais, les discours des enquêtés
pouvant ne pas refléter leurs pratiques réelles et être instrumentalisés à des fins de distinction.
Il ne s’agit également que d’une tranche de la population française, que nous pouvons
considérer comme privilégiée, et non pas un échantillon représentatif des touristes en général.
Enfin, il semble que les intentions de départ en voyage solidaire soient encore bien plus
importantes que les départs effectifs.
165 La notion de tourisme solidaire regroupe dans cette étude l’ensemble des tourismes alternatifs responsables 166 MAE, UNAT, 2005 : 7 167TNS SOFRES, 2008, Le tourisme responsable en 2008, avril : 15p. Disponible sur le site internet : http://www.tns-sofres.com, consulté le 6 mai 2008. L’étude a été réalisée par téléphone, du 13 au 17 mars 2008. L’échantillon est composé de 800 individus âgés de 18 ans et plus, ayant effectué un voyage au cours de l’année 2007. Selon la Sofres, l’échantillon est représentatif de la population de voyageurs français en terme de sexe, âge, PCS du chef de famille et des régions.
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2.3.1.3. Une demande qui demeure marginale
L’économiste Gilles Caire estimait en 2002 que le tourisme responsable et solidaire
représentait environ 50 000 voyages à l’étranger par an, « soit 0,3% des 17 millions de séjours
personnels des Français à l’étranger. Un tel poids relève de l’exemplarité plus que d’une part
de marché significative »168. Un an plus tard, le Ministère des Affaires Etrangères constate
que « le secteur qui intéresse cette étude représente 1% du marché des voyages à
l’étranger »169. L’Unat estime la même année qu’environ 3000 voyages de tourisme solidaire
sont vendus au sein des vingt associations qui la compose, et l’ATR, l’association Agir pour
un Tourisme Responsable, qui regroupe une dizaine de tour-opérateurs et d’agences de
voyage, estime quant à elle à environ 100 000 le nombre de voyageurs responsables par an170.
L’étude de 2008 de la Sofres indique que 7% des individus interrogés ont déjà « voyagé
responsables », contre 2% en 2007. Ce chiffre peut paraître surestimé en comparaison du
marché que représente le tourisme responsable que nous venons d’évoquer. D’ailleurs, l’Ates
et l’ATR ont réagi à cette estimation en précisant que selon elles, les voyages solidaires
organisés par les associations de l’Ates ne représentent pas plus de 3% des voyages des
Français, avec environ 10 000 touristes en partance, et pour l’ATR, le chiffre s’élève à
200 000 clients171. Enfin, les rapports d’activité d’une association de tourisme solidaire et
équitable, Croq’Nature, confirme la hausse du nombre de voyageurs, mais qui reste somme
toute minime. Ainsi, le nombre des départs est passé de 1019 pour la saison 2003/2004 à 1063
pour la saison 2004/2005, créant une hausse de 3%172. En ce qui concerne la saison
2006/2007173, le nombre de voyageurs s’est élevé à 1194, ce qui correspond à une hausse de
près de 9% depuis la saison 2004/2005. En plus de la hausse des voyageurs, Croq’Nature
constate une augmentation du nombre de ses adhérents, notamment due au « bouche à
oreille », et une variation de la composition des adhérents, qui sont de plus en plus des
couples et des familles, et moins des personnes seules174.
A travers ces différentes sources bibliographiques, nous pouvons en déduire
qu’effectivement, une demande de la part des touristes vers un tourisme plus responsable
168 LAURENT Alain, 2004 : 30 169 MAE, UNAT, 2005 :3 170 L’ensemble de ces chiffres ne prend pas en compte les voyageurs individuels, qui partent sans passer par une agence ou un tour-opérateur. 171 Cf. le site Internet de TNS SOFRES http://www.tns-sofres.com 172 Croq’Nature, 2006, Rapport d’activités 2005/2006 des associations croq’nature et amitié franco-touareg, 11p, http://www.croqnature.com 173 Croq’Nature, 2007, Rapport d’activités 2006/2007 des associations croq’nature et amitié franco-touareg, 9p. , Ibid. 174 Ibid. : 1
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semble se formuler. Elle reste toutefois encore largement marginale si on la compare avec le
nombre de départs effectués par les voyageurs français. Nous pouvons également nous
demander s’il s’agit d’un effet de mode institué par le développement du commerce équitable,
et si ces formes de tourisme pourront constituer un véritable marché et non seulement
quelques niches commerciales. Toujours est-il que quelques milliers de touristes partent
chaque année au sein d’organismes de tourisme solidaire à la rencontre des pays pauvres.
Quels sont donc ces touristes, et que recherchent-ils à travers les voyages solidaires ?
2.3.2. Peut-on caractériser les voyageurs solidaires ?
Jean-Marie Collombon dresse dans son étude une forme de profil type des voyageurs
solidaires. Selon lui, ces voyageurs sont « plutôt jeunes » et d’un niveau d’éducation assez
élevé, aimant la nature, le sport, les rencontres et « les produits du terroir et les recettes
locales »175. Ils partent davantage en groupes, en famille ou entre amis, et sont dotés d’une
ouverture d’esprit qui encourage les rencontres avec les autochtones. Enfin, « ils s’intéressent
aux populations locales, à leur mode de vie, à leurs traditions, à leurs us et coutumes, mais
aussi à leurs difficultés. Ils sont respectueux de ces populations et de leur environnement »176.
Voici donc le portrait du touriste responsable, qui est complété par l’étude de 2005 du
Ministère des Affaires Etrangères et de l’Unat. Cette dernière révèle que ni l’âge, ni le sexe ne
semblent avoir d’importance dans l’intérêt porté à ce tourisme. Par contre, les personnes les
plus susceptibles de s’intéresser au tourisme solidaire sont des individus ayant pratiqué des
études supérieures, comme le décrivait également Jean-Marie Collombon, et appartenant aux
catégories socioprofessionnelles les plus élevées. Le revenu mensuel semble également jouer
sur la notoriété de ce tourisme, puisque l’étude estime que « les personnes ayant un revenu
mensuel net inférieur ou égal à 1500 euros sont significativement moins intéressées que celles
ayant un revenu de 3000 euros ou plus »177. Ainsi, nous décelons ici l’une des critiques les
plus fréquemment formulées vis-à-vis du tourisme solidaire, qui est son possible élitisme,
pouvant « trouver là un terrain fertile d’expression »178.
Enfin, l’étude montre l’influence du milieu associatif et de la « sensibilité associative » dans
le développement de l’intérêt pour les tourismes alternatifs : « 71% des personnes connaissant
175 COLLOMBON Jean-Marie, 2004 : 14 176 Ibid. 177 MAE, UNAT, 2005 : 8 178 MARTIN Boris, 2002 : 20
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le tourisme solidaire ont au moins une fois soutenu une action humanitaire (don de temps ou
d’argent), alors que ce chiffre est de 57.7% sur l’échantillon total »179. D’après cette
caractéristique, le discours citoyen formulé par les associations serait alors susceptible de
sensibiliser davantage les individus appartenant au milieu associatif. Ces deux études
illustrent donc le fait que le tourisme solidaire s’adresse prioritairement à des individus d’un
niveau social et économique élevé, ouverts d’esprit et plutôt militants. Etre solidaire serait-il
alors réservé aux « riches » ?
Le portrait que dresse Nadège Chabloz des touristes solidaires qu’elle a pu suivre lors d’un
voyage au sein d’un village burkinabé est pour le moins opposé à ce que nous venons de voir.
« Ses » touristes ne peuvent pas être considérés comme représentatifs de l’ensemble des
voyageurs en partance, puisque leur nombre était de six. Ils apportent cependant quelques
divergences qui semblent remettre le tourisme solidaire à un niveau plus accessible pour
l’ensemble des touristes. Ainsi, après avoir réalisé leur étude socioéconomique, elle conclut:
« Nous pouvons simplement dire que la moyenne d’âge de ces voyageurs est de 50 ans, et que
leurs profils socioéconomiques et leurs pratiques de voyages antérieures sont complètement
hétérogènes »180. Un couple présent est ainsi retraité, la femme étant une ancienne conductrice
d’autocars. Une seconde femme est employée à l’ANPE dans la Creuse, et une troisième est
enseignante d’équitation près de Bordeaux. Par ces quelques exemples, nous pouvons émettre
le fait les « jeunes » ne représentent pas la majorité des touristes solidaires et que les
catégories socioprofessionnelles les plus élevées ne sont pas les seules à pouvoir être
sensibilisées à ce tourisme. Aussi, d’après les contradictions émises par ces études, nous
sommes en mesure de nous demander si le profil type du touriste solidaire existe réellement.
La question de la sensibilité associative est également soulevée, car pour Nadège Chabloz et
contrairement aux conclusions de l’étude de 2004, les touristes solidaires ne sont pas
forcément liés au milieu associatif : « Tout se passe comme si ce séjour représentait pour
certains voyageurs l’unique occasion de l’année de «militer», d’effectuer un «acte engagé»181.
Les touristes solidaires sont, d’après ces études, plutôt hétérogènes, et il semble difficile de
pouvoir les « inscrire » au sein de caractéristiques particulières. Qu’en est-il de leurs attentes ?
Ces voyages représentent-ils seulement un « acte engagé », qui correspondrait au discours
responsabilisant du tourisme solidaire, ou davantage une part de rêve et d’aventure vendue par
les discours économiques ?
179 MAE, UNAT, 2005 : 5 180 CHABLOZ Nadège, 2004 : 52 181 Ibid.: 54
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2.3.3. Que recherchent les touristes solidaires ?
2.3.3.1. La quête d’authenticité, du lointain
2.3.3.1.1. La quête de la « vraie vie »
La demande de la part des touristes de pratiquer un « autre tourisme », c’est-à-dire autre
que le tourisme de masse, n’est pas nouvelle, même si elle est revivifiée aujourd’hui par
l’avènement des différentes formes de tourisme que nous avons évoquées. Ainsi, nous avons
vu que dès la décolonisation, des petits groupes s’en allaient explorer une Afrique
mystérieuse, partaient au contact des autochtones.
Les différents types de tourisme ont donné lieu dès les années 1970 à des typologies tentant
de classer les touristes en fonction de leur attentes, et notamment de leur recherche plus ou
moins active du familier et de l’étrange182. Nadège Chabloz indique par exemple que le
sociologue Nelson Graburn a regroupé les différents tourismes selon deux formes essentielles,
le « tourisme culturel » et le « tourisme de nature »183. L’anthropologue Valene Smith a quant
à elle réalisé une typologie fondée sur « le nombre de touristes, leurs caractéristiques et leur
adaptation au milieu d’accueil »184, distinguant sept catégories de touristes, allant des
explorateurs aux touristes à la recherche de l’insolite ou encore souhaitant un confort maximal
et des pratiques occidentalisées185.
Les « explorateurs » sont selon Valene Smith les touristes qui réussissent à vivre de la même
manière que les populations d’accueil. Peut-on en dire autant des touristes solidaires ?
Sans aller jusque là, il semble que ces voyageurs recherchent en premier lieu un contact avec
les autochtones. Cela se perçoit tout d’abord dans les réponses données aux études menées en
2004 et 2008. « Avoir des contacts avec la population locale » est ainsi considérée comme
l’attente la plus importante des touristes solidaires pour l’étude du MAE et de l’Unat186. Jean-
Marie Collombon perçoit lui aussi cette envie d’aller à la rencontre d’autres populations : « Ils
182 COHEN Erik, 1972, «Toward a Sociology of International Tourism», Social Research, 39: 164-182 183 GRABURN Nelson H. H., 1977, « Tourism : The Sacred Journey », dans SMITH Valene L. Hosts and Guests. The Anthropology of Tourism, University of Pennsylvania Press, Philadelphie, cité dans CHABLOZ Nadège, 2004: 47 184 Ibid. 185 Ibid. : 48 186 MAE, UNAT, 2005 : 9
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s’intéressent aux populations locales, à leur mode de vie, à leurs traditions, à leurs us et
coutumes, mais aussi à leurs difficultés »187. Un constat similaire est opéré par Nadège
Chabloz, qui remarque que l’attente fondamentale des touristes est de pouvoir « partager le
quotidien du village »188, découvrir les us et coutumes, et réaliser de véritables rencontres
avec les villageois.
Cette envie de découverte de l’autre tient en partie d’une recherche d’authenticité, de « vrai »,
d’un temps révolu dans les sociétés industrialisées. Ainsi, l’une des touristes interrogées par
Nadège Chabloz résume ses photographies prises pendant le séjour : « j’ai pris l’architecture
des concessions, les outils, poteries, des choses anciennes qu’on ne voit pas habituellement,
témoignage de l’ancien temps »189. Quant aux images qui resteront de son voyage, elle
indique que ce sont « les concessions, greniers tordus, baobabs, femmes (couleur des
vêtements et leur bébé dans le dos) »190.
Rachid Amirou considère que l’authenticité correspond à une « recherche nostalgique de la
« vraie vie » dans des sociétés anciennes ou exotiques, une recherche de la « réalité » des
choses »191. Cette « vraie vie » que les touristes s’attendent à trouver doit correspondre à des
temps passés, qu’ils ne connaissent plus, et qui peuvent rappeler le temps de l’enfance. Ainsi,
un voyageur interrogé par Nadège Chabloz indique que sa motivation principale le conduisant
à réaliser ce voyage était de : « retrouver une forme de simplicité perdue et faire des
rencontres »192. Le stéréotype véhiculé de la simplicité procure selon Aloïs Riegl une valeur
d’ancienneté, procurée par « son éloignement de la modernité »193 et donc des sociétés
occidentales, en tout cas de leur forme actuelle.
Enfin, une dernière forme d’authenticité est véhiculée par Edward Sapir, qui réside selon lui
dans l’imaginaire touristique des communautés restreintes, qui partagent une vision et des
valeurs collectives194. Ces communautés pourraient alors prendre la forme, dans l’imaginaire
des touristes mais aussi des associations, de la notion de « communauté villageoise
consensuelle »195 développée par Jean-Pierre Olivier de Sardan, notion qui fait apparaître
l’Afrique comme « le royaume du consensus »196.
187 COLLOMBON Jean-Marie, 2004 : 14 188 CHABLOZ Nadège, 2004: 49 189 Ibid. : 57 190 Ibid. 191 AMIROU Rachid, 2000 : 30 192 CHABLOZ Nadège, 2004: 50 193 AMIROU Rachid, 2000 : 30 194 Ibid. 195 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995 : 60 196 Ibid.
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Cette recherche d’authenticité a été bien comprise par les associations qui en véhiculent alors
quelques représentations dans leurs discours, comme le soulignent Céline Cravatte et Nadège
Chabloz : « As a whole, the brochure systematically concealed all elements that were too
obviously connected with modernity. (…) fair tourism associations also bring to the fore some
of the traditionnal characteristics oh authenticity (isolation, rural environment) »197.
2.3.3.1.2 La recherche de l’exotisme
La volonté de contact avec les populations se mêle ainsi avec d’autres logiques
touristiques, qui sont la recherche de l’authenticité, mais également d’une certaine forme
d’exotisme. Victor Ségalen définit l’exotisme comme « la notion du différent ; la perception
du Divers ; la connaissance que quelque chose n’est pas soi-même ; et le pouvoir d’exotisme,
qui n’est que le pouvoir de concevoir autre »198. L’exotisme peut alors être perçu comme le
lointain, le différent, voire l’aventure.
L’exotisme ressenti dans le cas du tourisme solidaire « en immersion » semble être un
« exotisme du quotidien », c’est-à-dire une recherche de scènes de vie traditionnelles. Les
populations locales semblent l’avoir bien compris, comme en témoigne l’un des animateurs
interrogés par Nadège Chabloz : « ce qui intéresse le plus les touristes, c’est aider le village à
travailler, aider à arroser, à piler le mil avec les femmes. L’artisanat qu’on peut aller
visiter»199.
Pour l’historien et sociologue Marc Boyer, les touristes à la recherche de cet exotisme du
quotidien pratiquent une autre forme de tourisme, appelée l’ethnotourisme, au sein duquel la
recherche de contact « avec des groupes humains « sauvages » ou « primitifs » est privilégiée.
Il se fonde selon lui sur une démarche de curiosité : « Les « ethnotouristes » veulent voir ces
peuples dont l’allure, les coutumes, les pratiques sont objet à la fois d’attirance et de
répulsion »200. Ce double jeu se retrouve dans les témoignages des touristes partis avec
Nadège Chabloz, qui alternent leurs discours entre le mythe du « bon sauvage » et le manque
de développement, les pratiques archaïques et la pauvreté des villageois201. Pour
l’anthropologue André Rauch, c’est cette curiosité de l’Autre, de l’étranger et de l’étrangeté
qui légitime le tourisme. Si l’exotisme n’est plus, le tourisme disparaît : « Si l’étranger que
197 CRAVATTE Céline, CHABLOZ Nadège, (A paraître), « Enchantment and solidarity : which dream does « fair tourism » sell ? », Tourist Studies: 5 198 SEGALEN Victor, 2007 (1978), Essai sur l’exotisme, Ed. Fata Morgana, Montpellier : 41 199 CHABLOZ Nadège, 2004 : 50 200 BOYER Marc, 2002: 400 201 CHABLOZ Nadège, 2004: 58
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l’on va visiter, sans pour autant prétendre réellement lui rendre visite, n’est plus un autre, à
quoi bon sortir de chez soi ? »202.
Les différents travaux portant sur ce que recherchent des touristes en vacances montrent
que les attentes des touristes solidaires se différencient d’autres formes de tourisme par une
quête de l’autre, une volonté de rencontres et de compréhension. Mais les attentes de ces
touristes semblent également être englobées dans des logiques socioculturelles plus larges, qui
se donnent à voir dans les différentes formes de tourisme. Georges Cazes les résume ainsi :
« L’image globale proposée des pays lointains est moins une transcription idéalisée de leur
réalité qu’une projection des nostalgies occidentales : nostalgie de la nature, de la primitivité,
de l’ingénuité »203.
2.3.3.2. Un voyage « citoyen » et distinctif
Les touristes solidaires ne recherchent cependant pas uniquement la découverte de pays
lointains et les contacts avec des populations « vraies ». Beaucoup semblent vouloir « donner
un sens à leurs voyages » selon Pierre Martin Gousset et Bernard Schéou204. Cette volonté de
« bronzer généreux » se perçoit également à travers les études menées en France, qui font
ressortir le besoin de « se sentir utile au pays, à la région visitée »205. Nous pouvons alors
nous demander pourquoi les touristes éprouvent le besoin de se sentir utiles durant leur temps
de vacances, temps succinct qui plus est.
2.3.3.2.1. La légitimation des pratiques touristiques
Il semble que partir au sein d’un organisme de tourisme solidaire soit l’occasion pour
certains touristes d’accomplir un acte citoyen. Les discours de responsabilisation des
comportements ont provoqué selon Jean-Didier Urbain une conscientisation du touriste, mais
également une forme de culpabilité. Selon lui, le touriste est un être « mal dans sa peau » en
raison d’un statut dénigré dans nombre d’écrits. Le touriste n’est ainsi « ni pèlerin, ni
missionnaire, ni médecin, ni militaire, ni scientifique, ni ethnologue »206. De nombreux
discours l’incriminent et ne voient en lui qu’un être grégaire et destructeur de l’environnement
202 RAUCH André, 2002, « Le tourisme ou la construction de l’étrangeté », Ethnologie Française, 2, Tome XXXVII : 390 203 CAZES Georges, 1989 : 320 204 SCHEOU Bernard, MARTIN GOUSSET Pierre, 2004 : 40 205 TNS SOFRES, 2008 :9 206 URBAIN Jean-Didier, 2000, « De la conscientisation du touriste… », Revue Espaces, n°171, mai : 23
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et des populations207. Ainsi, le voyage solidaire peut être perçu pour certains touristes comme
une déculpabilisation et surtout une légitimation de leurs pratiques touristiques. Le tourisme
doit désormais servir à quelques chose, être utile : « l’oisif, le festif et le ludique culpabilisent
le touriste »208 selon Jean-Didier Urbain, et ce type de tourisme peut dans ces conditions être
considéré comme un tourisme salvateur. L’une des touristes interrogées par Nadège Chabloz
s’étonne même de ne pas travailler au village durant ses vacances : « Je pensais participer
vraiment à la vie, arroser les oignons tous les matins. (…)Mais je pense qu’il faut partager
une peine ou de la transpiration, une tuile, un événement pour rentrer dans la vie des
gens »209.
Le devoir d’utilité des vacances est également perçu par Nadège Chabloz qui s’appuie sur les
travaux de Jean Baudrillard. Pour lui, les pratiques touristiques s’inscrivent dans une
« assignation totale au principe de devoir, de sacrifice et d’ascèse »210, et renvoient de cette
façon à une dimension salutaire. L’impression d’accomplir une « bonne action » en voyageant
solidaire et le fait d’être considéré comme un touriste responsable sont alors les fondements
de la légitimation de la pratique touristique de ces voyageurs. L’image du touriste militant
s’oppose alors à la vision du touriste habituel donnée par Dora Valayer, qui considère le
tourisme comme « le droit du retour à l’enfance— celui d’être pris par la main, le droit au
rêve—puisqu’on paie, le droit à la régression »211. Au contraire, le tourisme solidaire
n’empêche pas le rêve ou la recherche d’exotisme, mais il devient un tourisme « moral », au
cours duquel il faut « respecter les règles de conduite, de vivre ses vacances sans rechigner
dans des conditions minimales de confort »212. Nous pouvons alors reprendre l’expression de
Jean-Didier Urbain formulée pour le tourisme désertique mais qui semble être appropriée ici,
les voyages solidaires pouvant être vus comme une forme « cathartique »213 de tourisme.
2.3.3.2.2. Une pratique distinctive
Ce type de tourisme devient également, par l’acte citoyen qu’il permet d’accomplir et
par les comportements responsables des touristes, une pratique distinctive. Il est considéré par
les voyageurs comme le « bon tourisme », comme l’illustre le témoignage d’un des touristes
séjournant au Burkina : « Les mauvais touristes cherchent toujours la même chose. Pas assez 207 URBAIN Jean-Didier, 2000 (1991), L’idiot du voyage. Histoires de touristes, Payot et Rivages, Paris : 353p 208 URBAIN Jean-Didier, 2000 :23 209 CHABLOZ Nadège, 2004 : 49 210 BAUDRILLARD Jean, 1970, La société de consommation, Ed. Denoël : 246, cité par CHABLOZ Nadège, 2004 : 53 211 VALAYER Dora, 2002 : 36 212 CHABLOZ Nadège, 2004 : 53 213 URBAIN Jean-Didier, 2000 (1991) : 234
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curieux, ils sont comme des moutons. Ils prennent ce qu’on leur donne sans se poser de
questions. Moi, je ne connais pas le tourisme comme ça, mais quand je les croise comme ça,
je n’ai pas envie de lier le contact avec eux, ça c’est sûr. (…) Un mauvais il n’a pas le respect
des gens et du pays où il va. Un bon s’intéresse aux gens surtout, à la culture.»214.
La pratique du tourisme solidaire peut alors permettre à ses voyageurs d’éprouver des
sensations d’autosatisfaction mais aussi d’ « autovalorisation ». Nous sommes alors bien loin
de « l’idiot du voyage » décrit par Jean-Didier Urbain. Ces sensations sont ainsi éprouvées par
l’une des touristes du Burkina Faso : « Ce qui me plait, c’est qu’on donne notre argent (le
voyage est très cher) mais on visite quand même, on ne fait pas que travailler, et avec notre
argent ils peuvent eux-mêmes construire leur école »215.
Il y a dans ce témoignage un autre élément de distinction, qui est le prix des séjours. Plusieurs
auteurs insistent sur les possibilités d’une pratique élitiste du tourisme solidaire, notamment
en raison des prix élevés. Pour Isabelle Sacareau, il s’agit d’un élément de distinction, auquel
s’ajoute celui de partir en petits groupes loin des lieux habituellement fréquentés par les
touristes, loin des sentiers battus216.
La volonté de se démarquer des touristes « classiques » est alors prégnante, et mise en avant
par les différentes associations qui privilégient dorénavant le terme de « voyageurs » pour
désigner ces touristes. Ces voyageurs, ou explorateurs, sont selon Jean-Didier Urbain
survalorisés dans les différents écrits, et cela dès le 19e siècle217. Ainsi, « le voyageur observe,
découvre, respecte, préserve, améliore… »218, mettant en pratique ce que le sociologue
Rodolphe Christin appelle « l’art du voyage »219. Ce dernier se demande d’ailleurs, d’après les
travaux antérieurs sur la question, s’il faut « supposer qu’il existe de « grands » et de
« petits » voyages », les seconds désignant naturellement ceux effectués par les touristes « de
masse »220.
Les touristes solidaires rechercheraient donc dans ce tourisme une forme de distinction,
obtenue par l’engagement citoyen dont ils font preuve, la responsabilité de leurs
comportements et par le privilège de pouvoir financer un tel voyage. Toutefois, là encore, la
notion de distinction ne s’applique par seulement au tourisme solidaire, mais semble être liée
aux pratiques touristiques dans leur globalité. Selon Marc Boyer, depuis la naissance du
214 CHABLOZ Nadège, 2004: 52 215 Ibid. : 50 216 SACAREAU Isabelle, 2006 : 11 217 URBAIN Jean-Didier, 2000 (1991) : 37 218 Ibid. : 74 219 CHRISTIN Rodolphe, 2000, L’imaginaire voyageur ou l’expérience exotique, L’Harmattan, Paris : 22 220 Ibid.
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tourisme, de nouveaux lieux, de nouveaux loisirs et de nouveaux types de tourisme sont
inventés dans un objectif constamment renouvelé de distinction des classes sociales les plus
élevées. Le tourisme serait alors, au même titre que le sport ou la mode, un élément
fondamental de distinction221.
Conclusion Plusieurs notions entourent donc le tourisme solidaire. A la dimension politique des discours
s’ajoute la dimension économique. Le tourisme solidaire, pour être viable, doit être rentable,
et varie quelque peu son discours pour assurer sa commercialisation. Enfin, la dimension
symbolique est introduite par les associations, associée aux rencontres annoncées des
autochtones, mais aussi à une forme d’authenticité retrouvée et d’exotisme du quotidien. Cette
dimension symbolique peut également être perçue par la quête identitaire qui semble liée à la
pratique de ces voyages solidaires, une identité recherchée et voulue de « bon touriste »,
citoyen oeuvrant pour les pays du Sud et désireux d’aller vers l’autre. Comme le soulignent
Denis Darpy et Pierre Volle, la consommation, qui prend ici la forme des voyages solidaires :
« prend donc une place centrale dans notre société car, non seulement, les individus expriment
qui ils sont à travers leurs possessions, mais ils expriment également ce qu’ils voudraient
être »222.
Ainsi, la volonté de partager des rencontres avec les populations locales et participer à un acte
citoyen, rendu possible par ce voyage, fondent la légitimité de ce tourisme éthique. Mais ces
fondements se retrouvent-ils réellement dans sa pratique ? Comment se déroulent les
rencontres « véritables » et la mise en place des actions de développement ?
Il est temps désormais de lier ces discours aux pratiques du tourisme solidaire. Nous allons
tenter de croiser les discours avec le pragmatisme du terrain, et voir de quelle manière le
tourisme solidaire peut être approprié, interprété, instrumentalisé par les différents acteurs du
tourisme.
221 BOYER Marc, 2002 : 393-404 222 DARPY Denis, VOLLE Pierre, 2007 (2003), Comportements du consommateur. Concepts et outils, éditions Dunod, Paris : 3
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3. Le tourisme solidaire à l’épreuve du « terrain »
Les études anthropologiques prenant comme objet de recherche le tourisme solidaire sont
encore trop peu nombreuses à ce jour, ce qui empêche une généralisation des propos qui vont
suivre. Nous pouvons toutefois émettre l’hypothèse que des similarités puissent se retrouver
sur les différents « terrains » de ce type de tourisme.
Ce dernier est présenté par les multiples associations comme un « bon tourisme », facteur de
mieux-être pour les populations impliquées, et qui leur bénéficie prioritairement, mais qui
bénéficie également aux voyageurs en raison des échanges « vrais », des rencontres
« authentiques » qu’il propose.
Il est en outre légitimé par la bonne connaissance qu’ont les voyagistes des espaces
touristiques et des populations, mais aussi et peut-être surtout par le fait que ces populations
doivent être impliquées dans l’activité touristique et dans les projets de développement, ces
derniers devant profiter de manière collective aux accueillants223. Ainsi, l’association TDS
souligne que : « Les retombées financières de votre séjour profitent directement à tout le
village et contribuent au mieux vivre de ses habitants »224.
Selon cette conception, le tourisme solidaire semble « idéal », et être effectivement un vecteur
de développement des pays du Sud.
Pourtant, à la lumière de l’étude anthropologique menée par Nadège Chabloz dans un village
du Burkina Faso accueillant des touristes solidaires, que nous avons déjà évoquée à plusieurs
reprises, il semblerait que tout ne se passe pas exactement comme ce qui était prévu. L’étude
met en évidence des « dérives », dans le sens qu’en donne Jean-Pierre Olivier de
Sardan : « C’est le produit nécessaire et in-intentionnel de l’entrecroisement de la complexité
des variables en jeu dans les réactions d’un milieu social face à une intervention volontariste
extérieure »225.
223 Voir parties 1 et 2 224 Cf. le site Internet de TDS : http://www.tourisme-dev-solidaires.org 225 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995 : 197
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Ainsi, comme dans toute action de développement, il existe des disparités entre les discours
énoncés et la façon de concevoir cette forme de tourisme, et sa pratique effective sur le
terrain. Le tourisme solidaire et surtout ses voyages solidaires s’inscrivent alors pleinement
dans le champ d’étude de l’anthropologie du développement, puisqu’ils font « intervenir de
multiples acteurs sociaux, du côté des « groupes cibles » comme du côté des institutions de
développement. Leurs statuts professionnels, leurs normes d’action, leurs compétences, leurs
ressources cognitives et symboliques, leurs stratégies diffèrent considérablement »226. Les
interactions entre ces acteurs sur le terrain induisent des « dérives » ou des écarts en raison de
comportements, de rationalités et de conceptions diverses, et parfois opposées, entre les
« développeurs » selon l’expression empruntée à Jean-Pierre Olivier de Sardan et les
« développés »227. Ainsi, les bénéficiaires ne réagissent pas forcément de la façon souhaitée
par les opérateurs de développement, C’est ce que nous allons tenter d’approfondir.
3.1 Les idéologies et représentations des acteurs du tourisme solidaire
3.1.1. Les idéologies et stéréotypes des associations
3.1.1.1. Le « mythe de la communauté »
Malgré le discours de certaines associations tendant à faire penser que le développement
du tourisme solidaire proviendrait en partie des pays récepteurs : « « C’est [les voyages
solidaires] aussi participer à une aventure humaine en répondant à l’invitation de
communautés villageoises »228, ce type de tourisme est surtout instauré dans les pays
émetteurs de touristes, c’est-à-dire les pays du Nord. Aussi, en dépit de la sincérité et de
l’assurance d’être dans la bonne voie dont font preuve ces associations, elles exportent et
diffusent avec elles des idéologies basées sur des stéréotypes induisant des biais dans la
conception des populations rurales.
Jean-Pierre Olivier de Sardan désigne dans son ouvrage Anthropologie et développement deux
grands types d’idéologies, qu’il nomme les « méta-idéologies » et les « infra-idéologies » du
226 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995 : 11 227 Ibid. : 8 228 Cf. le site Internet de TDS : http://www.tourisme-dev-solidaires.org
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développement229. Les premières permettent de légitimer les actions de développement, en les
désignant par exemple comme des actions réalisées pour « le bien des autres »230. Cette
conception est largement utilisée dans les discours des associations de tourisme solidaire, le
tourisme étant perçu comme « profitant pleinement aux populations locales »231, institué pour
elles, et les associations solidaires devenant, selon Céline Cravatte, « le relais d’une demande
émanant de la « population locale » »232. Aussi, les voyages solidaires puisent leur légitimité
dans leur aide aux populations et dans leur soutien vers un mieux vivre.
Le registre de la population locale est largement utilisé par l’ensemble des associations,
comme nous avons pu le voir antérieurement. Cependant, il est rattaché à une certaine
représentation qu’ont ces associations des populations rurales, qui participe à la production
d’une vision erronée de ces dernières. Nous pouvons rapprocher cette représentation des
« infra-idéologies » et plus précisément de ce que Olivier de Sardan désigne comme le
stéréotype de la « « communauté » villageoise consensuelle »233.
Aucune association ne semble échapper à ce stéréotype, qui encore une fois, légitime leurs
actions et représente également un argument de vente. Les populations locales sont alors
désignées comme fonctionnant de façon harmonieuse et collective, ce qui permettra à
l’activité touristique et aux projets de développement d’être appropriés par l’ensemble des
villageois. TDS présente ainsi son tourisme comme : « Un tourisme équitable géré par et pour
les communautés villageoises »234, quant à Vision du Monde elle évoque son soutien
pour : « des projets d’intérêt collectif, profitant aussi aux personnes non impliquées
directement dans l’accueil des voyageurs »235. Enfin, l’association La route des sens assure
que son tourisme permet : «une implication directe des populations locales dans
l’organisation et l’accueil du séjour » et que ses « séjours sont conçus en étroite collaboration
avec les populations locales »236.
Ce stéréotype de la communauté consensuelle semble être lié à une conception des paysans
ruraux considérés comme « non modernes » (au sens occidental du terme) et traditionnels.
Ainsi, selon Olivier de Sardan, « L’Afrique des villages serait le continent du collectif, le
royaume du consensus »237. C’est ce que les auteurs Irene Guijt et Meera Kaul Shah appellent
229 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995: 58-59 230 Ibid. : 58-59 231 Cf. site internet de Vision du Monde : http://www.visiondumonde.org 232CRAVATTE Céline, 2006: 37 233OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995: 60 234 Cf. site internet de TDS: http://www.tourisme-dev-soidaires.org 235 Cf. site internet de Vision du Monde : http:// www.visiondumonde.org 236 Cf. site internet de La Route des Sens : http://www.laroutedessens.org 237OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995: 60
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« le mythe de la communauté »238. Nombreux sont ainsi les projets de développement qui
s’appuient sur cette vision des populations rurales, fonctionnant comme des communautés
consensuelles. C’est notamment le cas pour les actions visant à metre en place des stratégies
participatives, comme le soulignent Irene Guijt et Meera Shah : « The broad aim of
participatory development is to increase the involvement of socially and economically
marginalized people in decision-making over their own lives. (…) The ultimate goal is more
equitable and sustainable development »239.
Toutefois, cette vision est erronée et ne prend pas en compte les multiples biais engendrés par
la complexité des intérêts, des stratégies au sein même de ces communautés, des rationalités
qui diffèrent selon l’âge, le sexe ou encore le statut social. Ainsi, les deux auteurs remarquent:
« Looking back, it is apparent that « community » has often been viewed naively »240. Ces
propos sont complétés par la vision que donne Emmanuel Fauroux de la « communauté de
base », qui est selon lui « fortement valorisée et quelque peu mythifiée (…) tendant à laisser
croire que tous les membres d’une même communauté ont les mêmes intérêts et les mêmes
stratégies, alors que, justement, ces communautés ne sont souvent que les arènes au sein
desquelles se déploient des interactions plus agressives que solidaires »241.
Les associations de tourisme solidaire n’échappent donc pas à ce stéréotype largement
répandu et tentent d’impliquer l’ensemble des villageois à leurs projets. Les objectifs sont le
plus souvent une gestion autonome de ces projets et de l’activité touristique, comme le montre
la mise en place des Villages d’Accueil de TDS, dont les membres sont issus des
communautés villageoises. Il semble alors que certaines dérives puissent se donner à voir
dans la mise en œuvre de l’activité touristique et des projets.
3.1.1.2. L’utilisation de notions « floues »
L’utilisation de la notion même de « population » est alors discutable. Elle présente
l’avantage de désigner un groupe cible, facilement identifiable pour les voyageurs. Ainsi, il
s’agira par exemple de la population du village de Doudou au Burkina Faso, que les touristes
contribueront à aider par leur présence. Comme le souligne Céline Cravatte, « La « population
238GUIJT Irene, SHAH Meera K. (edited by), 2006 (1998), The Myth of Community. Gender issues in participatory development, ITDG publishing, Warwickshire: 288p. 239 GUIJT Irene, SHAH Meera K., 2006: 1 240 Ibid. 241 FAUROUX Emmanuel, 2006, « De l’optimisme technologique à l’optimisme « participatif ». Les métamorphoses du discours des spécialistes du développement à travers des exemples malgaches », dans BARE Jean-François, Paroles d’experts. Etudes sur la pensée institutionnelle du développement, Karthala, Paris : 349
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locale » est essentiellement celle appartenant au village avec lequel l’association a décidé de
travailler »242. Mais cette notion pose tout de même le problème des « pré-supposés
consensuels »243, et donc de l’occultation de certaines réalités, comme l’appropriation de toute
action de développement par quelques individus ou groupes. Finalement, de qui s’agit-il
lorsque les associations évoquent « les populations » ou les « communautés villageoises » ?
Nous suivons en ce sens les interrogations formulées par Jean-Pierre Olivier de Sardan :
« qu’est-ce qu’une population ? Qui parle en son nom, ou prétend et à quel titre la
représenter ? »244.
Les différentes représentations peuvent alors conduire à des dérives, puisque les
conceptions erronées des associations se trouveront peut-être devant une réalité et des
pratiques autres que celles prévues par les discours. Il en est de même de la notion de
« besoins ». Il est intéressant de relever que ces associations proclament répondre aux besoins
des populations, alors même que les projets sont insufflés des pays du Nord, induisant une
vision occidentale des besoins des populations. En outre, « les besoins » d’une population
n’existent pas, comme le remarque Homer Barnett, puisque cette population, ou cette société,
est abstraite, n’a pas d’existence propre245. Aussi, comme le souligne Olivier de Sardan, « rien
n’est plus flou, incertain, imprécis et pour tout dire inutilisable que la notion de
« besoin » »246.
3.1.2. Les représentations des voyageurs
3.1.2.1. La diffusion des idéologies associatives
Les touristes solidaires ne sont quant à eux pas exempts de certaines représentations et
stéréotypes sur les populations qu’ils visitent. Ces représentations ne sont d’ailleurs souvent
pas étrangères aux idéologies divulguées par les associations, comme en témoigne la présence
du stéréotype de la communauté collective et consensuelle dans les témoignages des
voyageurs. Ainsi, l’une des touristes interrogée par Nadège Chabloz plaque sa conception du
fonctionnement d’un village africain sur la réalité : « Ils sont organisés, avec les groupements,
242 CRAVATTE Céline, 2006 :36 243 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995 : 14 244 Ibid. 245 « A group of people that we call society needs nothing because it is not an organism. It has no desires because it is an abstraction…» , BARNETT Homer., 1953, Innovation, the basis of social change, Mac Graw-Hill, New-York: 58, cité dans OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995 : 74 246 Ibid.
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la CVGT, chef du village, la hiérarchie, chacun sait ce qu’il a à faire. J’imagine qu’ils
s’entraident, vivent en harmonie… »247.
Parmi les témoignages que nous avons recueilli sur les différents sites Internet, il semblerait
que l’accueil des touristes au village soit le moment où cette collectivité harmonieuse est la
plus représentative. Ainsi, cette voyageuse revenue du Burkina Faso souligne : « Nous avons
vraiment été très bien accueillis par tout le village, et son chef en particulier »248, ou encore
cet autre touriste après un séjour solidaire en Mauritanie : « L’accueil, rempli de sincérité, de
ces populations aux tenues multicolores est extraordinaire. Leurs chants, leurs musiques, leur
joie de vivre et leur envie de bien nous recevoir nous transportent dans un autre
monde… »249.
Comme nous pouvons le remarquer, ces représentations de la « communauté consensuelle »
se donnent à voir dans de multiples témoignages élaborés de retour de voyages, nous faisant
penser que les stéréotypes demeurent vivaces même après que les touristes aient « été sur le
terrain ».
3.1.2.2. La « traditionnalité »
Une autre conception erronée de la réalité est celle que Jean-Pierre Olivier de Sardan
nomme la « traditionnalité »250 des populations rurales africaines, qui expliquerait leur
« retard » par rapport aux sociétés modernes occidentales. Selon lui, plusieurs facteurs sont
avancés, comme l’immuabilité des coutumes, des traditions ou encore les mentalités. Cette
représentation est présente dans de nombreux témoignages de touristes. L’un des voyageurs
partis avec Nadège Chabloz lui explique au cours d’un entretien que les Burkinabés n’ont pas
la même « vision du monde », et pas la même mentalité que les occidentaux, et « qu’ils disent
beaucoup pour faire pas grand-chose »251. Un second touriste complète ces propos en
expliquant leur retard par un manque de dynamisme : « Ils vont dans la bonne direction mais
ont encore beaucoup beaucoup de progrès à faire. Ils ne sont pas assez dynamiques. J’ai
l’impression qu’ils ont besoin de quelqu’un pour les commander, s’il n’y a personne pour les
commander, ils ne font rien »252.
247 CHABLOZ Nadège, 2004 : 57 248 Témoignage présent sur le site internet de TDS : http://www.tourism-dev-solidaires.org 249 Paroles d’un voyageur sur le site internet de Vision du Monde : http://www.visiondumonde.org 250 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995 : 64 251 CHABLOZ Nadège, 2004 : 56 252 Ibid. : 57
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Selon cette représentation, la traditionnalité empêcherait les populations rurales de se
développer, en les enveloppant dans les carcans de l’immuabilité, et ce serait alors le rôle des
pays du Nord, et donc des touristes dans ce cas, de leur venir en aide. Ainsi, un couple de
retour du Bénin assure que : « Nous avions conscience des problèmes de l’Afrique. Le séjour
nous a convaincu que cette forme de tourisme respectueuse est la seule qui veuille et qui
puisse aider l’Afrique à prendre conscience de sa capacité à s’en sortir mais sans copier les
occidentaux ! (…) Pour nous, c’est un réel espoir de permettre à des villages de se prendre
en charge et de faire évoluer toute la population »253.
Aussi, cette conception d’une Afrique immuable et dépendante semble légitimer le droit des
touristes de prodiguer des conseils, qui semblent avoir à leurs yeux plus de valeurs que les
savoirs locaux. Un couple de voyageurs ayant séjourné en Mauritanie se réjouit à son retour
« d’avoir pu leur apporter nos conseils, notre aide, faire partager nos connaissances,
expliquer », et tout cela « sans violer les us et coutumes de ce peuple éloigné »254.
Ces stéréotypes engendrent la vision d’une Afrique « sous-développée », que les touristes se
doivent de faire avancer. Ils se placent alors dans une perspective évolutionniste manifeste
dans plusieurs témoignages, et reprise de façon plus implicite par certaines associations.
L’ancestralité supposée des villages et des populations entraîne également une représentation
des villageois liée au mythe du « bon sauvage », comme l’évoque ce témoignage d’un
touriste ayant séjourné au Burkina Faso : « Ce voyage m’a enchanté et permis de rencontrer
une « Afrique » magique et des africain(e)s très généreux, très sympathiques qui ont su me
donner la « leçon » et je pèse mes mots »255.
Ainsi, les témoignages de certains voyageurs induisent selon Jean-Pierre Olivier de
Sardan une « représentation biaisée de la paysannerie, formée d’images enchantées ou
déformées de la réalité »256. Les représentations erronées des voyageurs ne laissent finalement
que peu de place aux marges de manœuvre des populations rurales, à leurs réactions possibles
face aux variations contextuelles comme l’arrivée d’actions de développement. Ces
conceptions de la traditionnalité et de la communauté consensuelle en Afrique procurent en
tout cas aux touristes une forme d’enchantement recherchée dans l’ancestralité d’un monde
qu’ils ne connaissent plus. Cependant elles peuvent également mener à l’apparition de
malentendus entre touristes et populations.
253 Témoignage d’un couple de voyageurs de TDS: http://tourisme-dev-solidaires.org 254 Témoignage d’un couple parti avec Vision du Monde en Mauritanie : http://www.visiondumonde.org 255 Paroles d’un touriste solidaire, parti avec TDS : http://www.tourisme-dev-solidaires.org 256 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995 :60
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3.1.3. Les touristes vus par les locaux
Plusieurs études anthropologiques ont tenté de percevoir la façon dont les « hôtes »
perçoivent les touristes. Seule l’étude de Nadège Chabloz nous permet d’appréhender les
visions qu’ont les locaux des touristes solidaires, mais nous pouvons toutefois la rapprocher
d’autres travaux, puisque ces représentations ne diffèrent pas réellement selon le type de
tourisme pratiqué. Ainsi, le travail mené par Anne Doquet257 sur les conceptions qu’ont les
guides maliens des touristes comporte quelques similarités avec celles des visités de Nadège
Chabloz. Elles peuvent être d’autant plus rapprochées que le Mali cherche à développer
depuis quelques années un « tourisme culturel », qui s’apparente davantage à de
l’ « ethnotourisme », puisqu’il est défini comme « un tourisme de rencontre partagée »258,
s’inscrivant dans une certaine mesure dans les objectifs du tourisme solidaire.
Des similarités existent également en ce qui concerne le tourisme hôtelier, dont l’ouvrage
collectif Le tourisme en Afrique de l’Ouest. Panacée ou nouvelle traite ?259 apporte des
précisions sur les perceptions des salariés locaux vis-à-vis de ces touristes « venus pour se
reposer »260.
3.1.3.1. Des représentations négatives
Il ressort des différentes études que les représentations des touristes par les locaux sont
largement déterminées par la couleur de peau de ces voyageurs. Ainsi, Nadège Chabloz
remarque que « Le marqueur symbolique de la couleur jouerait un rôle important dans le
regard que porte les Doudoulais sur les voyageurs »261. La peau blanche s’allie invariablement
avec la dénomination « toubab », comme le souligne Anne Doquet : « L’étranger à la peau
257 DOQUET Anne, 2005, « Tous les Toubab ne se ressemblent pas : les particularités nationales des étrangers vues par les guides touristiques maliens », dans Mali-France. Regards sur une histoire partagée, GEMDEV et Université du Mali, éditions Donniya et Karthala, Bamako et Paris : 243-258 258 Ibid. : 245 259 BOUTILLIER Jean-Louis, COPANS jean, FIELOUX Michèle (et al.), 1978, Le tourisme en Afrique de l’Ouest. Panacée ou nouvelle traite ?, François Maspero, Paris : 141p. 260 DIENG Mbaye, 1978, « Les touristes vus par ceux qui les servent », dans BOUTILLIER Jean-Louis, COPANS jean, FIELOUX Michèle (et al.), 1978 : 132 261 CHABLOZ Nadège, 2004 : 105
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blanche qui parcourt le Mali est inlassablement poursuivi par le mot « toubab » »262.
L’appellation « toubab » et la symbolique du blanc contiennent plusieurs conceptions, qui
peuvent être contradictoires. Elles semblent osciller entre une certaine « fascination » et une
« répulsion »263, voire une « haine »264 selon les propos d’Anne Doquet.
La peur du touriste blanc est ainsi manifeste dans plusieurs témoignages. C’est par exemple le
cas d’un cireur de chaussures (interrogé en 1977) qui déclare : « Je n’ai jamais eu d’histoire
avec les touristes, car ce sont des toubab et j’ai peur des toubab. Je n’ose pas leur faire de mal,
de peur qu’ils ne me fassent punir par les agents de police »265. Cette crainte du touriste a
également été perçue par Nadège Chabloz, mais elle est surtout décrite par quelques enfants :
« On pense qu’ils viennent pour faire la bagare dans notre village »266.
Mise à part la peur exprimée par certains individus, le Blanc semble davantage être perçu
comme étant solitaire et égoïste. Cet individualisme serait né de sa « richesse matérielle et [de
sa] puissance technologique »267 du monde industrialisé. Toutefois, Anne Doquet souligne
que cette perception, reprise par l’ensemble des Maliens, serait plutôt une façon de
contrecarrer les représentations qu’ont les touristes sur leur prétendue solidarité ou
communauté consensuelle, qu’une conception naïve vis-à-vis des touristes.
Enfin, l’étude de Nadège Chabloz révèle que certaines mœurs des touristes peuvent être
considérées comme « dépravées »268, vision également mise en évidence par les témoignages
recueillis par Mbaye Dieng au Sénégal. Ces mœurs concernent essentiellement l’avènement
de la prostitution, que les villageois tiennent à garder éloignée : « Et aussi quand on va à
Ouaga et qu’on voit les Blancs qui sortent la nuit et qui amènent les jeunes filles dans leur lit,
nous on veut pas, parce que ça va entraîner la prostitution »269.
3.1.3.2. La « richesse » du touriste
Cependant, il semble surtout que les visions liées aux touristes soient surtout
« positives », et plus ou moins « intéressées ». Comme le souligne Nadège Chabloz, le
« Blanc » serait associé à une vision idéalisante de la part des visités. Une des villageoises
262 DOQUET Anne, 2005 : 243 263 CHABLOZ Nadège, 2004 : 106 264 DOQUET Anne, 2005 : 251 265 DIENG Mbaye, 1978 : 134 266 CHABLOZ Nadège, 2004 : 106 267 DOQUET Anne, 2005 : 247 268 CHABLOZ Nadège, 2004 : 108 269 Ibid.
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décrit ainsi sa perception des touristes, qui symbolisent selon elle : « la pureté, le beau, en
tout cas la richesse, c’est cette image là que les enfants ont du blanc et du Français… »270.
La richesse semble être d’après les divers témoignages l’une des composantes essentielles qui
caractérisent les touristes. Ainsi, comme le remarque le cireur de chaussures : « Le touriste a
un gros sac et de grosses valises aussi. Ils rentrent toujours dans un taxi. Ils sont riches.
Beaucoup d’argent »271. La venue de touristes au sein d’un village peut alors induire l’idée
que ces touristes vont apporter avec eux de l’argent, ou des cadeaux pour les villageois.
Travailler au sein d’une activité touristique semble également être pour les employés une
source importante de revenus : « Le tourisme est bon pour moi et je souhaite qu’il se
développe, car c’est à partir du tourisme que je tire mes revenus »272.
Les visiteurs sont alors perçus comme des « bienfaiteurs »273 selon l’expression employée par
Nadège Chabloz, puisqu’ils apportent richesse et cadeaux. Des typologies ont même été
édifiées par les locaux, notamment au Sénégal, qui discernent « les bons et les mauvais
touristes »274. Les « bons » sont ceux qui apportent des cadeaux et nouent des relations avec
les visités.
Ainsi, il apparaît que les relations engagées entre visités et touristes soient, pour les
premiers, basées plutôt sur ce que Didier Masurier qualifie de « relation marchande », au
cours de laquelle la caractérisation du touriste « généreux » « s’apprécie-t-elle en fonction du
pourboire et des cadeaux plus ou moins conséquents qu’il donne »275. Au contraire, les
touristes semblent davantage occulter ces relations marchandes au profit de rapports plus
symboliques, ce qui induit d’inévitables malentendus. Après avoir vu les représentations des
différents acteurs du tourisme solidaire, il est temps de se pencher sur l’analyse des multiples
interactions entre ces acteurs.
270 Ibid. : 105 271 DIENG Mbaye, 1978 : 134 272 Ibid.: 131 273 CHABLOZ Nadège, 2004 : 105 274 DIENG Mbaye, 1978 : 131 275 MASURIER Didier, 1998, Hôtes et touristes au Sénégal. Imaginaires et relations touristiques de l’exotisme, L’Harmattan, Paris : 152
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3.2. Les « dérives » entre discours et pratiques
3.2.1. Les malentendus issus de représentations opposées
Les idéologies et représentations des villageois et du développement de ces derniers
divulguées par les différentes associations de tourisme solidaire se confrontent dans les
pratiques à une réalité qui se trouve être différente. Ces associations occultent le fait que les
populations ont elles aussi des représentations et des intérêts qui peuvent entrer en
contradiction avec les leurs. Comme le précise Jean-Pierre Olivier de Sardan, « une action de
développement est toujours l’occasion d’une interaction entre des acteurs sociaux relevant de
mondes différents (du type développeurs/développés), dont les comportements sont sous-
tendus par des logiques multiples »276. Ces logiques sont conduites par des rationalités
différentes, des stratégies qui diffèrent d’un monde à l’autre et entraînent inévitablement des
« dérives » dans les actions de développement qui peuvent être « adoptées, ignorées,
détournées, recomposées, refusées »277. En nous appuyant sur les travaux de Nadège Chabloz,
nous allons tenter de montrer quelques exemples de « dérives » induites par des
représentations erronées de la réalité et par l’occultation des stratégies locales.
3.2.1.1. Les projets de développement à l’échelle collective
Comme nous l’avons vu antérieurement, les différentes associations de tourisme
solidaire fondent la légitimité de leur tourisme sur les projets de développement qu’il permet
de mettre en place. Qu’il s’agisse de « petits » projets comme la construction du toit d’une
école en Mauritanie ou le soutien financier nécessaire à l’avènement de coopératives de
femmes, ils sont mis en œuvre pour contribuer, à une échelle locale, « au mieux vivre de ses
habitants »278. Le développement doit se faire à un niveau collectif, comprenant également les
individus qui ne sont pas impliqués directement dans l’activité touristique, de façon à ce qu’il
bénéficie à toute la communauté villageoise. Ainsi, la charte de l’association TDS stipule par
276 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995 : 125 277 Ibid. : 23 278 Cf. site Internet de TDS : http://www.tourisme-dev-solidaires.org
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exemple que « Les villages d’accueil réinvestissent les bénéfices moraux et financiers tirés de
leurs activités touristiques dans des actions et projets collectifs contribuant au développement
durable des communautés d’accueil »279. La gestion de ces bénéfices est dans le cas de TDS
laissée à des Commissions Villageoises de Gestion des Terroirs qui doivent les répartir
équitablement.
A travers l’idée du développement collectif des communautés, il est aisé d’établir un
rapprochement avec le stéréotype évoqué précédemment, de la communauté villageoise
consensuelle. Or, les communautés sont, comme nous l’avons vu, bien loin de fonctionner sur
le mode collectif, mais au contraire peuvent davantage être considérées comme des arènes où
s’affrontent différentes stratégies. Ainsi, il n’est guère surprenant d’apprendre par l’étude de
Nadège Chabloz que ce mode de fonctionnement des projets s’essouffle au bout de quelques
années dans le village de Doudou.
En effet, au modèle « collectif » souhaité par l’association TDS pour les projets s’oppose une
vision plus « individuelle » souhaitée par les habitants, qui permettrait selon eux un meilleur
développement du village. Ainsi, l’un des habitants du village interrogé par Nadège Chabloz
préconise le financement de projets personnels : « Déjà nous avons une école, nous avons
quelques points d’eau potable, un dispensaire qui est en voie d’ouverture, il va falloir que les
gens cherchent à manger, tant qu’il n’y a pas ça, je ne pourrai pas inscrire mon enfant à
l’école ni aller le soigner, il faut d’abord avoir à manger. Si on oeuvre dans des projets
personnels, il y aura plus de développement à Doudou que si on dit de travailler
communément »280. Il agrémente ses propos par l’exemple des habitants ayant réussi grâce à
un financement de départ : « Cette année nous avons eu des gens qui ont fait du jardinage, et
se sont acheté des mobylettes, ont construit leur propre maisonnette en tôle pour dormir
dedans, ils ont acheté des vélos, peuvent acheter de quoi manger, se soigner, inscrire leurs
enfants à l’école, c’est un développement »281.
Des conceptions opposées de la notion de développement s’affrontent alors au sein du village
burkinabé. L’association n’est guère favorable à ce type de financements individuels, car elle
se méfie de l’accaparement possible de ces financements par quelques villageois, le
développement ne profitant alors plus à l’ensemble de la communauté villageoise. De leur
côté, certains villageois ne comprennent pas cette conception collective du développement,
qui est moins efficace que celle qu’ils préconisent. D’ailleurs, Nadège Chabloz remarque
279 CHABLOZ Nadège, 2006 : 53 280 CHABLOZ Nadège, 2004 : 102 281 Ibid.
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qu’une partie de l’argent géré par la Commission est réinvestie dans des « projets » plus
personnels : « paiement d’une ordonnance médicale, achats de vaccins, accueil du préfet »282,
qui sont considérés comme du développement par les habitants.
Ainsi les stratégies et intérêts des acteurs divergent sur le concept de développement de façon
explicite. Pour l’association TDS, il s’agit de faire profiter l’ensemble de la population des
retombées touristiques, mais ces projets collectifs qui sont le plus souvent « en dur », comme
les dispensaires, peuvent également être un moyen de montrer aux touristes le bon
fonctionnement de leur système.
Quant aux villageois, ils semblent avoir adopté les deux principes fondamentaux développés
par Jean-Pierre Olivier de Sardan, qui régissent certains des comportements des ruraux, à
savoir « l’adoption sélective » et le « détournement » du projet283. Les villageois ont accepté
la mise en place du projet touristique et l’arrivée de touristes dans le village. Certains
habitants se sont trouvés impliqués dans l’activité, comme les artisans ou les membres du
campement qui reçoivent les touristes. Toutefois, comme le souligne l’auteur, « certains
thèmes « marchent », d’autres ne « marchent » pas »284, comme c’est le cas avec la vision
collective du développement. Les habitants ont alors entrepris un détournement de la charte
élaborée par TDS, en employant l’argent du tourisme à des fins plus individuelles et non
acceptées par l’association. Ainsi, comme le fait remarquer Jean-Pierre Olivier de Sardan, les
habitants du village de Doudou « utilisent les opportunités fournies par un programme pour le
mettre au service de leurs propres objectifs »285.
L’étude de Nadège Chabloz est actuellement la seule qui évoque quelques
dysfonctionnements liés aux idéologies des associations et aux stratégies locales. Toutefois,
l’ensemble des associations solidaires reposant sur cette conception collective du
développement, il ne serait guère surprenant de voir survenir des confrontations de ce genre.
3.2.1.2. L’exemple des cadeaux
Dans un registre différent, puisqu’il s’agit cette fois de la distribution de cadeaux aux
habitants, nous retrouvons une confrontation entre les représentations de l’association TDS et
des villageois. TDS interdit la distribution de cadeaux lors des séjours, mais l’encourage une
fois les voyageurs de retour chez eux, puisqu’ils bénéficieront d’un recul inexistant lorsqu’ils
282 CHABLOZ Nadège, 2006 : 54 283 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995 : 133 284 Ibid. 285 Ibid. : 134
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se trouvent dans le village. Selon l’association, ces cadeaux faussent la relation avec les
villageois et détruisent « la cohésion sociale des communautés villageoises »286. Cette
conception est partagée par l’anthropologue Franck Michel qui accuse les cadeaux donnés aux
hôtes de conduire à une relation biaisée : « Le voyageur n’est plus là pour recevoir mais pour
donner, il n’est plus là pour écouter mais pour dicter »287. Les voyageurs semblent également
adhérer à cette règle qui n’incite pas les habitants à pratiquer la mendicité.
Et pourtant, une partie des villageois dénonce cette règle, qui semble avoir été édictée sans
réelle concertation avec les différents villages d’accueil du Burkina Faso. Selon ces habitants,
elle empêche à la fois les relations de pouvoir se nouer entre visiteurs et visités, et freine
également les perspectives individuelles de développement. Ainsi, certains membres du
personnel déclarent que cette interdiction, c’est « tuer la relation »288. Comme nous l’avons vu
précédemment, les cadeaux distinguent les « bons touristes » des mauvais, et encouragent
alors l’accueil chaleureux de ces touristes.
Là encore, les différents acteurs détournent les règles de la charte. Alors que les touristes
approuvent cette règle, ils procèdent tout de même à une distribution de cadeaux, qui peuvent
prendre la forme de distributions de bonbons ou de stylos à l’école. Quant aux villageois,
principalement les guides et les animateurs, ils contournent la règle en ne demandant pas de
« cadeaux » directement aux touristes mais en sympathisant avec certains, de façon à ce que
ces derniers financent leurs projets personnels289.
3.2.2. L’accueil au village, ou l’enchantement de la relation touristique290
« Ca y est, nous arrivons au village de Koïrézéna…L’excitation monte ! Nous sommes très
attendus ! Les villageois nous font des signes de la main avec de larges sourires. (…). Quel
accueil ! Quelle chaleur humaine ! (…) Bruit du tam-tam. Nous sommes complètement
déboussolés. L’émotion nous fait monter les larmes aux yeux. Ça paraît tellement irréel et
286 CHABLOZ Nadège, 2006 : 51 287 MICHEL Franck, 2000, « Des hôtes et des autres. Tourisme et altérité », Revue Espaces, n°171 : 16 288 CHABLOZ Nadège, 2006 : 52 289 Ibid. : 53 290 Nous reprenons l’expression utilisée dans l’article de REAU Bertrand et POUPEAU Franck, 2007,« L’enchantement du monde touristique », Actes de la recherche en sciences sociales, 5, 170 : 4-13
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pourtant nous ne rêvons pas, nous sommes bien à Koïrézéna. C’est purement
merveilleux ! »291.
De la même manière que toute autre forme de tourisme, le tourisme solidaire plonge ses
voyageurs dans ce que Yves Winkin nomme, dans son ouvrage Anthropologie de la
communication, un état d’enchantement, ou « de permanence euphorique »292. Alors qu’il
emprunte la notion d’ « euphorie » à Erving Goffman, employée pour désigner une interaction
se déroulant normalement, il développe le concept de l’enchantement, qui, lui, est permanent.
Il est provoqué à la fois par l’interaction touristique et par la production d’une vision
enchantée des lieux et paysages fréquentés par les touristes : « Ils vivent alors, pour un temps,
dans des lieux réels de manière « irréelle » »293. Ces touristes achètent selon lui « un certain
regard », vendus par les professionnels. Le témoignage de la voyageuse cité ci-dessus illustre
alors parfaitement ce processus de production de l’enchantement, qui est d’abord le fait des
associations de tourisme solidaire.
Comme nous l’avons vu précédemment, ces dernières se transforment en marchandes de rêves
en proposant des séjours hors du commun aux voyageurs solidaires. L’analyse du discours
commercial a pu mettre en évidence une beauté des paysages vantée, l’insistance pour
proposer des lieux loin des sentiers battus, dans une « Afrique authentique ». Surtout, elles
vendent un voyage basé sur la rencontre « vraie », spontanée, avec des populations qui sont
décrites comme « traditionnelles » et donc « authentiques ».
L’accueil spontané de la communauté villageoise revient également comme un leitmotiv.
L’immersion au cœur des villages permet en outre aux touristes d’être intégrés à la population
locale, comme le souligne le titre d’un article de Bernard Schéou et Pierre-Martin
Gousset : « Quand les voyageurs deviennent des villageois »294. Ainsi, la production de
l’enchantement débute avant même l’arrivée dans le pays visité.
Cet enchantement provoqué au départ par les associations permet de mieux comprendre la
multiplication des témoignages évoquant l’accueil chaleureux réservé aux voyageurs. Ces
témoignages, qui proviennent de plusieurs associations, insistent en effet essentiellement sur
l’accueil au village, comme cette voyageuse revenue du pays Dogon : « Je dois dire que celui-
ci [le voyage] restera mémorable, de part le pays, l’accueil chaleureux des gens »295 ou cette
touriste partie dans un village burkinabé : « A notre arrivée, les villageois accourent. Parmi 291 Témoignage d’une voyageuse partie au Burkina Faso, cf. le site internet : http://koirezena.uniterre.com 292 WINKIN Yves, 1996, Anthropologie de la communication. De la théorie au terrain, éditions De Boeck & Larcier, Bruxelles : 239 p. 293 Ibid. : 200 294 SCHEOU Bernard, MARTIN-GOUSSET Pierre, 2004 : 38-45 295 Témoignage d’une touriste, site Internet de Vision du Monde : http://www.visiondumonde.org
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eux, beaucoup d’enfants. L’accueil se fait aussi en musique, 3 musiciens jouant du tambour et
des maracas »296.
Nadège Chabloz remarque également dans son étude à Doudou l’importance pour les touristes
de l’accueil qui leur est réservé et qui semble les ravir par sa spontanéité. Ainsi, l’un des
touristes s’adresse au chef du village pour lui témoigner sa reconnaissance d’un tel accueil,
précisant que « ça l’a touché au cœur »297.
Les associations jouent alors un rôle essentiel dans la construction de la vision que vont avoir
les touristes de leur séjour touristique et des villages d’accueil. Pour préserver « l’illusion
touristique »298 évoquée par Yves Winkin, elles vont même jusqu’à occulter certains
dysfonctionnements.
C’est le cas en ce qui concerne l’accueil des touristes dans le village de Doudou. Selon
Nadège Chabloz, cette situation de rencontre se fonde sur un malentendu fonctionnant comme
un « pieux mensonge », c’est-à-dire qu’il est dissimulé dans le but de conserver
l’enchantement des touristes299. Alors que les voyageurs sont persuadés de la spontanéité et
de la véritable « chaleur » de cet accueil, et qu’ils pensent partager avec les villageois un
échange privilégié, ces derniers apparaissent en réalité « lassés de se déplacer en plein soleil
pour l’accueil de groupes de touristes qui viennent certes en nombre limité mais de façon
continue depuis cinq ans, exigent en contrepartie que leur soit offert à boire sur la caisse de la
CVGT »300. Ainsi, il ne s’agit plus d’un accueil spontané mais plutôt d’une mise en scène de
cet accueil, que l’un des formateurs de Doudou considère à « un niveau théâtral »301, de façon
à ce que soit perpétuées « l’euphorie permanente » et l’illusion de l’échange, si chères aux
voyageurs.
Enfin, nous avons évoqué plus haut les détournements des chartes en fonction des intérêts des
acteurs, et nous percevons ici une autre forme de détournement, puisqu’une partie de l’argent
récolté est utilisée à d’autres fins que pour les projets de développement collectifs. Cette
somme représente selon un guide entre 40 et 50 000 FCFA302.
Ainsi, ces divers exemples mettent en évidence les différentes idéologies et les stratégies
locales qui interviennent dans la pratique du tourisme solidaire. Elles se confrontent et
donnent lieu à plusieurs types de malentendus, ces derniers ne détruisant pas toujours 296 Journal de bord d’une voyageuse, site Internet de TDS : http://www.tourisme-dev-solidaires.org 297 CHABLOZ Nadège, 2004 : 112 298 WINKIN Yves, 1996 : 193 299 CHABLOZ Nadège, 2007, « Le malentendu. Les rencontres paradoxales du « tourisme solidaire » », Actes de la recherche en sciences sociales, 5, 170 : 34 300 Ibid. : 42 301 CHABLOZ Nadège, 2004 : 113 302 Ibid. : 112
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l’illusion touristique. L’enchantement de la rencontre touristique est d’abord le fait des
associations, mais elle est ensuite largement produite par les intermédiaires qui se trouvent sur
le terrain.
3.3 Les intermédiaires touristiques : personnages clés du tourisme solidaire
3.3.1. Les guides et animateurs comme vecteurs de l’enchantement touristique
« Le touriste n’est jamais seul, en face à face direct avec l’Autre »303. Surtout lors de
voyages organisés comme c’est le cas pour les séjours solidaires, les voyageurs ne sont pas
laissés au contact direct avec les villageois. Même si certaines nuits peuvent être passées
« chez l’habitant », comme le proposent plusieurs formules, les touristes sont la plupart du
temps logés dans des campements touristiques et entourés par des intermédiaires, qu’Yves
Winkin appelle les « prestataires de services »304, qui peuvent être guides, animateurs,
chameliers, etc305.
3.3.1.1. Les intermédiaires comme « courroies de transmission » avec l’altérité
Ces « intermédiaires culturels »306 comme les nomme Anne Doquet, font le lien entre les
visités et les visiteurs, et tentent de rendre intelligible l’altérité et d’en donner les
significations. Comme le souligne Rodolphe Christin, « Le médiateur est l’interface entre
l’univers visité par le voyageur et l’univers culturel de ce dernier »307. Aussi, la majorité des
guides possèdent des connaissances, à la fois sur le monde visité et sur les visiteurs. C’est ce
que remarque Anne Doquet à propos des guides maliens308. Ces guides ont une perception
303 WINKIN Yves, 1996 : 195 304 Ibid. : 201 305 Pour faciliter la lecture, nous nommerons l’ensemble des guides, animateurs, chameliers des « intermédiaires », n’omettant pas pour autant qu’il existe les diversités entre chaque groupe et au sein même des catégories. 306 DOQUET Anne, 2005 : 248 307 CHRISTIN Rodolphe, 2000 : 71 308 DOQUET Anne, 2005 : 243-258
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fine des différents touristes qui se présentent à eux, et changent leurs façons d’être selon les
nationalités en présence.
Bien que tous ne possèdent pas les mêmes connaissances, les intermédiaires semblent
toutefois être des personnages clés de l’interaction touristique, puisqu’ils sont considérés par
Yves Winkin comme « le double du touriste »309. En effet, il souligne qu’« il est celui qui
médie le regard du touriste, s’interpose entre celui-ci et la réalité »310. C’est finalement par le
biais de ces médiateurs que les touristes peuvent appréhender le monde qu’ils visitent.
Toutefois, l’intermédiaire procède à la construction de la réalité en la montrant telle qu’il
pense que le touriste veut la voir, à travers les représentations qu’il a de lui. C’est finalement
cette construction de la réalité qui met en place le processus d’enchantement du monde
touristique. L’enchantement provoqué par ces intermédiaires et par ce que Winkin appelle
« l’euphorie interactionnelle »311 se donne à voir dans de multiples témoignages insistant sur
les qualités de certains guides. Ainsi, une voyageuse revenant du Maroc indique : « Hassan,
notre guide, un sacré personnage, d’une gentillesse extrême, compétent, très ouvert, plein
d’humour, a su nous faire découvrir et aimer son pays au cours des randonnées superbes
(…). Il a, j’en suis convaincue, beaucoup contribué à la réussite de ce séjour »312. Elle
n’évoque pas dans ce témoignage les rencontres avec les populations locales, ce qui
représente pourtant, comme nous l’avons vu, l’un des critères déterminants dans le choix de
voyager solidaire. Tout se passe finalement comme si les interactions touristiques étaient
majoritairement des échanges avec les intermédiaires. Cela peut se remarquer dans la suite de
ce témoignage : « Sans oublier bien sur la gentillesse de Mohamed Ali et Ahmed, nos
muletiers et celle de Mustapha, cuisinier »313.
Un autre témoignage rend quant à lui bien compte de l’enchantement dans lequel se trouvent
les touristes, même après leur retour en France : « Concernant le guide Amadou Dolo, j’ai
rarement vu quelqu’un aimer autant son pays (…). Il a su être discret et disponible et aussi
très attentif à ce que nous ne manquions de rien. Très grande capacité d’échanges,
d’écoute »314. Finalement, l’enchantement provoqué chez les voyageurs est plutôt le fait de
ces intermédiaires, et non des rencontres pourtant tant attendues avec la population d’accueil.
Comme le fait d’ailleurs remarquer l’une des touristes interrogée par Nadège Chabloz : « Non,
309 WINKIN Yves, 1996 : 203 310 Ibid. 311 Ibid. : 198 312 Témoignage d’une touriste revenue du Maroc : http://www.visiondumonde.org 313 Ibid. 314 Témoignage d’une touriste de retour du Mali, Ibid.
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je n’ai pas eu le sentiment de faire des rencontres avec les villageois ni de partager leur
quotidien »315.
3.3.1.2. La construction du processus d’enchantement
Certaines interactions avec les intermédiaires au cours du séjour à Doudou nous
permettent de déceler la construction de cet enchantement. Un exemple peut être fourni avec
l’attribution de noms lélé à chaque voyageur, réalisée par un animateur et un membre de la
CVGT. Les appellations sont données en fonction de ce que ces intermédiaires perçoivent
chez les voyageurs, un trait de personnalité ou une particularité. Ainsi, le couple de touriste le
plus âgé se voit attribué le nom lélé qui désigne le « baobab », puisque « c’est le plus vieux et
le plus vénérable des arbres en Afrique »316. Comme le souligne l’auteur, « Tous les
voyageurs sont fiers de leur nom «africain» et se sentent flattés car tous les noms choisis sont
élogieux »317.
En réalité, Yves Winkin assure que la construction de « l’euphorie permanente » est possible
et se perpétue tant que les intermédiaires « ne nous renvoient pas à notre condition
objective »318, c‘est à dire à notre statut de touriste. L’illusion de ne pas être un touriste
« comme les autres » est ainsi garante de l’enchantement nécessaire au tourisme, et elle se
retrouve dans d’autres formes de tourisme. C’est notamment le cas pour une forme de
tourisme particulière, qu’est le pèlerinage. Filareti Kotsi a réalisé une étude en Grèce, auprès
d’un lieu de pèlerinage reconnu, le Mont Athos319. Son enquête a porté essentiellement sur le
sens donné aux souvenirs religieux achetés sur place. Elle s’est ainsi rendue compte que ces
souvenirs, achetés directement sur un bateau qui entraîne les pèlerins aux abords du Mont
pour célébrer une cérémonie religieuse, possèdent une forte connotation sacrée, en tout cas
bien plus importante que ceux vendus en magasin. La majorité des « touristes » sont des
femmes qui n’ont pas accès au Mont Athos, ce qui lui confère une dimension de pureté. Les
intermédiaires sont ici représentés par des moines, qui effectuent la cérémonie avant de
vendre les souvenirs. Ces derniers sont désignés comme « purs » et « authentiques »,
puisqu’ils sont fabriqués par ces moines, et ne sont donc pas « considérés comme des objets
315 CHABLOZ Nadège, 2004 : 142 316 Ibid. : 114 317 Ibid. 318 WINKIN Yves, 1996 : 203 319 KOTSI Filareti, 2007, « Les souvenirs religieux du mont Athos. La frontière entre symboles sacrés et objets économiques », Actes de la recherche en sciences sociales, 5, 170 : 48-57
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« pour touristes » »320. Pourtant, plusieurs de ces souvenirs ne sont pas fabriqués sur le mont,
mais proviennent de France ou d’ailleurs ! L’enchantement est alors dans ce cas provoqué par
la présence des moines qui confèrent une dimension sacrée aux objets, mais il est également
créé par les touristes eux-mêmes.
En effet, les touristes, et notamment les voyageurs solidaires, participent activement à la
construction de l’illusion touristique en déniant les rapports économiques qu’ils peuvent
entretenir avec les intermédiaires, au profit de relations plus symboliques. C’est ce que Pierre
Bourdieu appelle la « dénégation » ou la « méconnaissance » de la dimension économique321.
Yves Winkin illustre cette dénégation par une expérience personnelle au cours de laquelle un
guide cherche à engager une relation marchande, alors que l’auteur préfère y voir un rapport
« interculturel »322, de façon à conserver un enchantement du pays mais aussi de son statut de
« voyageur ». En ce qui concerne l’étude de Nadège Chabloz, l’auteur montre que
l’enchantement perdure jusqu’au moment où certains touristes prennent conscience du type de
relations dans lesquelles sont engagés les guides. Alors que les voyageurs cherchent à
entretenir une relation de confiance avec eux, ou du moins une relation d’ordre symbolique,
ces derniers recherchent davantage à engager une relation marchande.
3.3.1.3. Le désenchantement provoqué par l’apparition de rapports marchands
Nadège Chabloz évoque la visite d’un marché près du village, au cours de laquelle les
guides ont emmené les touristes vers plusieurs stands qu’ils « connaissaient », en affirmant
que les prix étaient raisonnables. Pourtant, certains voyageurs en se promenant ont découvert
que les mêmes tissus à d’autres stands étaient vendus moins cher. Ainsi, les guides prélevaient
une commission sur chaque tissu vendu. Selon l’auteur, cette scène a engendré une déception
de la part de l’ensemble des touristes, à l’exception d’une voyageuse ne déniant pas
l’existence de rapports marchands : « Ce sont des gens normaux, ils ne sont pas cons. S’ils
peuvent en tirer profit, tant mieux, c’est normal. Je pense que c’est leur témoigner du respect
que de penser que nous sommes dans une relation commerciale »323.
Comme l’affirmait Didier Masurier précédemment, les visités semblent être engagés
dans une relation marchande qui se trouve être totalement déniée par les touristes. Ces
320 KOTSI Filareti, 2007: 54 321 BOURDIEU Pierre, 1994, « L’économie des biens symboliques », dans Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, éditions du Seuil, Paris : 212 322 WINKIN Yves, 1996 : 198 323 CHABLOZ Nadège, 2004 : 133
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derniers ne veulent voir dans leurs voyages qu’une relation chaleureuse et désintéressée, ou
comme le suggère Yves Winkin, « une partie de plaisir entre copains »324.
Ce type de rapports économiques entretenus par les intermédiaires semble en réalité être
englobé dans des logiques stratégiques plus larges de réussite individuelle.
3.3.2. Les réappropriations du tourisme solidaire par les intermédiaires
« Les opérations de développement sont bien souvent « appropriées » autrement que le
souhaiteraient leurs maîtres d’œuvre, en ce sens que des groupes particuliers dans les
populations cibles s’en servent à leur profit, pour accroître leurs privilèges ou simplement en
acquérir »325. La position interstitielle qu’occupent les intermédiaires, ainsi que leurs
connaissances culturelles et linguistiques en font des groupes « mieux lotis »326 pour utiliser le
tourisme solidaire en fonction de leurs intérêts. Plusieurs exemples nous permettent de tendre
vers l’idée que les stratégies adoptées doivent servir une logique de réussite individuelle.
3.3.2.1. L’accaparement de la relation touristique
L’accaparement des ressources touristiques est ainsi l’une des stratégies mises en œuvre
par les intermédiaires. Nadège Chabloz a pu la mettre en évidence à partir de deux types de
comportements. D’une part, les guides et animateurs « encadrent » les touristes, qui ne
peuvent pas se promener librement dans le village. Le campement touristique au sein duquel
ils passent leurs nuits n’est pas ouvert aux villageois, qui doivent pour y pénétrer d’abord
passer par les gardiens et les guides. L’explication donnée par les guides est qu’ils agissent
pour la sécurité des voyageurs, pour que ces derniers ne soient pas sollicités par les villageois
ni dérangés par le bruit des enfants327. Mais l’auteur souligne plutôt que cet « encadrement »
des voyageurs servirait davantage à ne pas leur laisser l’opportunité de créer des relations
avec les villageois, de façon à ce que tous les échanges se déroulent avec les intermédiaires :
« Tout se passe également comme si les membres du campement faisaient tout pour « garder
324 WINKIN Yves, 1996 : 201 325 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, 1995 : 137 326 Ibid. 327 Un second discours fait apparaître que cet encadrement servirait plutôt à la protection des villageois et de leurs lieux sacrés. CHABLOZ Nadège, 2004 : 153
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les touristes pour eux », afin de faire plus ample connaissance, et pourquoi pas de s’en faire
des « amis » qui pourront leur être utiles »328.
D’autres stratégies locales illustrent l’accaparement des ressources touristiques, et dans notre
cas de la ressource « voyageur ». Dès l’arrivée du groupe de touristes au village, les
intermédiaires engagent un échange amical qui se trouve en réalité enchâssé dans un rapport
marchand. L’une des accompagnatrice de TDS remarque ainsi que : « Les gens essaient de
sonder, pour voir jusqu’à quel point ce voyageur a la main légère ou peut être compliqué. Ils
essaient de le tester, ils voient que lui il a les ronds, il peut faire des cadeaux, ou il peut
résoudre ses problèmes, il reste collé à ce voyageur »329.
Ainsi, bien que la règle de l’interdiction de distribuer des cadeaux semble être plus ou moins
respectée, les intermédiaires ont mis en œuvre d’autres stratégies leur permettant de solliciter
les touristes pour que ces derniers acceptent de financer leurs projets personnels. L’illusion
d’une relation vraie et directe avec les villageois, annoncée par l’association TDS, se trouve
ainsi confrontée sur le terrain avec une réalité toute autre, engageant entre les acteurs des
rapports marchands fortement repoussés par les touristes. Ainsi, par les mêmes mécanismes
que dans toute activité touristique, mettant en présence des visiteurs (perçus comme riches) et
des visités, le tourisme solidaire entraîne la mise en place d’enjeux économiques que certains
acteurs cherchent à s’approprier, dans un objectif de réussite individuelle.
Les exemples tirés de l’étude de Nadège Chabloz peuvent être complétés par une
déclaration réalisée par Point-Afrique dans sa brochure datant de 2007. Dans ce qu’elle
nomme « Le tourisme et ses déviations »330, elle fait part d’une destination solidaire en
Mauritanie ayant engendré l’accaparement de plusieurs chameaux par des personnes « qui
maîtrisaient bien notre langue, sont naturellement devenues des intermédiaires entre les tours-
opérateurs étrangers et les chameliers »331. Les intermédiaires ont ainsi racheté les animaux
des chameliers, entraînant à la fois une dépendance vis-à-vis des intermédiaires, et provoquant
une augmentation de l’appauvrissement de ces chameliers. Le tourisme solidaire semble alors
comporter des enjeux économiques, que les différents acteurs tentent de mettre au service de
leurs propres intérêts.
328 CHABLOZ Nadège, 2004 : 153 329 Ibid. : 132 330 Point-Afrique, 2007 : 51 331 Ibid.
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3.3.2.2. La création de réseaux « transnationaux »
L’étude de Sébastien Boulay332 nous fournit un dernier exemple de l’appropriation de
cette forme de tourisme par les intermédiaires, qui sont ici représentés par les guides
mauritaniens. Ces derniers, que l’auteur qualifie de « passeur vers la culture locale »333 sont
les personnages clés de l’activité touristique dans l’Adrar Mauritanien, assurant le passage
entre deux cultures distinctes. La place stratégique qu’ils occupent, associée à leurs
connaissances culturelles et linguistiques leur permettent de créer des échanges, voire des
amitiés, avec les touristes, dont certains reviennent régulièrement, et de se constituer ainsi
d’importants carnets d’adresses. Lors de la basse saison, les guides répondent alors à
l’invitation de leurs « amis » et partent à leur tour visiter la France334. Selon l’auteur,
l’objectif de ces visites est double. D’une part il s’agit effectivement de visites « de
courtoisie » rendues aux différents contacts noués en Mauritanie, mais d’autre part, les guides
espèrent ainsi pouvoir créer des partenariats « translocaux » de manière à fonder en commun
un projet touristique, culturel ou encore commercial. Les partenariats mis en place peuvent
être de natures différentes. Il peut s’agir de réseaux amicaux, professionnels mais également
d’alliances matrimoniales, ces dernières étant considérées comme des signes de réussite335.
Les voyages et la mise en place de partenariats confèrent aux guides un gage de compétence,
mais également une reconnaissance de leur réussite individuelle et professionnelle, tant
convoitée dans le pays336.
Les guides acquièrent alors par l’activité touristique un certain prestige, voire même une
valorisation identitaire, puisque ceux qui ont « réussi » sont considérés selon l’auteur comme
des « symboles de réussite sociale »337, ce qui encourage certains jeunes à se professionnaliser
dans ce secteur. Là encore, la pratique du tourisme solidaire fait intervenir des stratégies
locales de réussite individuelle, qui passent dans ce cas par la mise en place de partenariats
transnationaux, dans un objectif de « quête de ressources pour l’avenir »338.
332 BOULAY Sébastien, 2006, « Le tourisme de désert en Adrar mauritanien : réseaux « translocaux », économie solidaire et changements sociaux », Autrepart, 40 : 63-79 333 Ibid. : 65 334 La grande majorité des touristes participant à ces séjours sont français. 335 Un autre signe de réussite est la possession d’une voiture Mercedes 190. BOULAY Sébastien, 2006 : 66 336 Sur ce sujet, voir notamment OULD AHMED SALEM Zekeria, 2001, « “Tcheb-tchib” et compagnie. Lexique de la survie et figures de la réussite en Mauritanie », Politique Africaine, n°82-juin : 78-100 337 BOULAY Sébastien, 2006 : 73 338 Ibid. : 66
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Conclusion
La mise en pratique effective du tourisme solidaire semble donc devoir faire face à quelques
modifications par rapport à ses discours et objectifs. Les stéréotypes de la communauté
consensuelle et de la traditionnalité sont les fondements de sa légitimité et donc de sa mise en
œuvre : les rencontres avec les autochtones sont véritables et profondes ; les touristes et les
associations du Nord vont œuvrer au développement du Sud par la mise en place de projets
collectifs, qui profiteront à l’ensemble de la communauté villageoise.
Ces projets communautaires doivent en outre permettre de faciliter la transparence de la
gestion et du suivi des revenus tirés du tourisme, et les structures « en dur » sont enfin un
gage de réussite des associations à présenter aux touristes.
Cependant, ces idéologies et représentations que projettent les associations et les touristes sur
les villages africains ne sont pas partagées par les villageois qui mettent alors en œuvre
d’autres types de stratégies correspondant à leurs propres rationalités. Ainsi, au
développement collectif souhaité par les associations s’oppose une volonté de développement
individuel, qui servirait mieux au développement du village. En outre, les « hôtes » semblent
davantage rechercher une sécurité et une réussite individuelle, qui entraînent la mise en place
de relations marchandes, l’accaparement des ressources touristiques, quelles qu’elles soient, et
l’élaboration de partenariats transnationaux.
Ces conceptions différentes peuvent alors mener à plusieurs types de malentendus entre
visiteurs et visités et entraîner à terme un possible désenchantement des touristes solidaires,
comme ce fut le cas au village de Doudou.
Ainsi, le tourisme solidaire induit des évènements qui ne sont parfois pas attendus ni même
souhaités par les associations. Ces écarts proviennent de l’appropriation par les multiples
acteurs de cette forme de tourisme, qui utilisent l’activité touristique de façon à ce qu’elle
réponde à leurs intérêts et objectifs.
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Conclusion
L’objectif de ce mémoire était ainsi d’appréhender la mise en œuvre d’un tourisme
éthique, à travers l’exemple du tourisme solidaire. Pour ce faire, nous voulions dans un
premier temps étudier l’avènement d’un discours plus éthique du tourisme à l’échelle
internationale, puis plus localement avec les discours des associations de tourisme solidaire.
Dans un second temps, nous voulions démontrer que ces discours pouvaient être réinterprétés,
appropriés différemment lors de leur mise en pratique et de leur confrontation avec des
logiques multiples.
L’éthique dans le tourisme ou l’avènement du tourisme solidaire
Assurément, le tourisme éthique semble désormais nécessaire, pour la conservation des
ressources naturelles et culturelles, mais aussi, comme nous l’avons évoqué, pour sa propre
préservation et pérennité.
Les diverses conférences internationales, les chartes et surtout l’élaboration du Code Mondial
d’éthique du tourisme en 1999 démontrent une réelle volonté de pratiquer un tourisme
« autrement », un tourisme durable. Désormais, les populations réceptrices doivent pouvoir
bénéficier du respect des différents acteurs du tourisme, tels que les tours-opérateurs ou les
touristes. Les divers articles de ces Codes et chartes insistent également sur le fait qu’elles
doivent être impliquées dans l’activité touristique, grâce à la mise en place de partenariats.
Les populations autochtones semblent alors acquérir, par le développement de ce discours
éthique, un rôle essentiel dans le phénomène touristique.
La diffusion de ce discours est perçue par la multiplication des stratégies touristiques
gouvernementales, à l’instar de la France qui développe des initiatives en faveur du tourisme
durable. Les ministères des Affaires Etrangères et du Tourisme organisent ainsi, en partenariat
avec plusieurs ONG et associations, le prochain forum international du tourisme solidaire
(FITS) qui se tiendra à Bamako en octobre 2008.
Cette diffusion du discours éthique se perçoit également par la revivification de formes de
tourismes alternatifs, qui furent développées dans les années 1960 et occultées jusqu’aux
années 1980. C’est notamment le cas du tourisme solidaire. Il donne lieu à la création de
multiples associations françaises, qui se regroupent au sein d’un réseau national, l’Ates, mais
se développent également à une échelle internationale. Pour l’année 2008, plus d’une
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vingtaine d’associations françaises se réclament du tourisme solidaire, et la création d’un label
est en cours d’élaboration.
Malgré une variation importante des définitions, toutes s’accordent sur l’importance donnée à
la mise en place de partenariats avec les populations locales, leur implication dans l’activité
touristique, et la possibilité de contribuer à leur développement grâce aux retombées
financières du tourisme, devant leur revenir prioritairement.
La production d’un double discours
L’ensemble des associations produit ce que l’on peut considérer comme un double
discours, entre d’une part un discours citoyen, voire militant et « désenchanteur », et de
l’autre un discours commercial, que nous pourrions qualifier « d’enchanteur ». Ainsi, la
pratique d’un « bon tourisme » revient à réaliser une action citoyenne, en contribuant au
développement des pays du Sud : il ne s’agit plus de « bronzer idiot » mais de « bronzer
généreux », en s’impliquant dans une action solidaire, qui passe par la « consommation d’une
prestation »339. L’activité ludique est déniée dans le discours militant, puisqu’il s’agit plutôt
de se rendre compte des réalités locales et des disparités entre pays du Nord et du Sud. A la
culpabilisation du touriste « oisif » évoquée par Jean-Didier Urbain s’oppose alors la pleine
légitimation de cette forme de tourisme, qui œuvre pour le mieux être des populations. La
recherche de distinction qui sous-tend les pratiques touristiques trouve donc ici un plein
espace d’expansion.
Les populations locales sont largement présentes dans les discours citoyen et commercial des
associations de tourisme solidaire. Ce type de tourisme permet de contribuer à leur
développement de façon collective et égalitaire, mais il privilégie également de véritables
échanges et des rencontres intenses et profondes avec elles. Les touristes sont plongés dans la
« vraie vie »340, celle des temps passés qu’ils ne connaissent plus mais qu’il leur est donnée de
partager quelques jours avec les autochtones, grâce aux voyages solidaires. Ces moments de
rencontres assurées et de partage de vie quotidienne sont mis en scène à travers les discours
de commercialisation, par le recours aux registres de l’authenticité, de l’exotisme et de la
traditionnalité. Les associations nous invitent ainsi à aller visiter des peuples traditionnels,
immuables, encore préservés de la modernité, ce qui correspond aux attentes des voyageurs
solidaires.
339 CRAVATTE Céline, 2006 : 31 340 AMIROU Rachid, 2000, L’imaginaire du tourisme culturel : 30
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Ces deux types de discours utilisés s’appuient sur des représentations et idéologies partagées
par les associations et les voyageurs. D’une part, les actions de développement perpétuées
doivent profiter de manière collective, à l’ensemble de la communauté villageoise. Cette
représentation repose sur l’idée que les populations rurales africaines seraient des
communautés consensuelles, vivant dans l’harmonie. D’autre part, le stéréotype de la
traditionnalité laisse entrevoir ces mêmes populations comme étant « en retard » par rapport
aux sociétés occidentales, en raison de leur mentalité, leurs coutumes, ou encore du fait qu’ils
ont besoin « d’être commandés »341. Ces productions idéologiques légitiment l’aide apportée
par le Nord, qui se perçoit alors lui-même comme un « bienfaiteur » : ainsi, Louis Jolin et
Claude-Etienne Bélanger souhaitent « faire connaître et apprécier le Mali aux Maliens, le
Sénégal aux Sénégalais, etc. »342.
L’immense majorité des projets de tourisme solidaire émane encore d’opérateurs du Nord, et
ces idéologies et représentations semblent partagées par l’ensemble des associations ayant fait
l’objet de notre étude. Aussi, ces dernières « plaquent » leurs conceptions sur les projets
institués au Sud, et il n’est donc guère surprenant que quelques « désillusions » puissent y être
rencontrées dans la mise en pratique du tourisme solidaire. Ainsi, comme le suggère Jean-
Pierre Olivier de Sardan, « les discours publics, les politiques proclamées (…), ne coïncident
pas toujours, tant s’en faut, avec les pratiques effectives, dans le développement comme dans
les autres aspects de la vie sociale »343.
L’étude réalisée par Nadège Chabloz met en évidence que, dans le cas du tourisme solidaire,
les discours se confrontent à la mise en œuvre de stratégies locales qui diffèrent des objectifs
souhaités par les associations. Le développement collectif prôné par l’association TDS se
trouve dans la réalité opposé à une conception plus individuelle du développement, qui serait
perçue par les villageois comme une forme légitime de développement du village. De la
même manière, alors que TDS tente de créer un tourisme qui bénéficie à l’ensemble de la
population, les guides et animateurs « accaparent » les voyageurs de façon à pouvoir nouer
des relations qu’ils espèrent profitables pour leurs projets personnels. Finalement, le
développement des populations locales et les véritables rencontres instituées avec elles, qui
sont les fondements du discours des associations, se trouvent confrontés à une réalité toute
autre.
341 Selon un voyageur interrogé. Voir CHABLOZ Nadège, 2004 : 57 342 JOLIN Louis, BELANGER Charles-Etienne, 2005 :7 343 OLIVIER DE SARDAN, 1995 : 10
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L’utilisation des cadres théoriques de l’anthropologie du développement
Evidemment, le manque d’études anthropologiques sur ce domaine de recherche nous
empêche de pouvoir généraliser ces propos. Un travail comparatif devrait être effectué dans
ce sens. Mais il nous semble tout de même que le tourisme solidaire puisse être entrevu grâce
à cette étude comme un espace de négociations entre acteurs, entre enjeux et intérêts distincts,
entre rationalités diverses.
Aussi, le tourisme solidaire semble pouvoir être considéré comme un objet légitime de
l’anthropologie du tourisme, mais également de l’anthropologie du développement. Cette
dernière pourrait permettre de fournir des outils d’analyse et de compréhension des
« dérives » qui se donnent à voir dans les pratiques sociales, ainsi que des multiples
appropriations de cette forme de développement par les acteurs impliqués. Ces appropriations
sont bien évidemment localisées, et doivent faire l’objet d’enquêtes anthropologiques fines,
permettant d’induire une « compréhension de l’intérieur (…) [pouvant] fournir le moyen de
surmonter ces « résistances »344.
L’étude de la mise en pratique du tourisme solidaire ne s’est penchée dans ce travail que
sur les logiques mises en œuvre par les acteurs locaux, et particulièrement sur les
intermédiaires, ou interfaces, entre visiteurs et visités. Pourtant, il est probable que chaque
acteur impliqué dans cette activité tente de se l’approprier selon ses propres logiques et
intérêts. L’étude de Nadège Chabloz évoque notamment certaines stratégies développées par
l’association TDS, dans ce qu’elle nomme un paradoxe345. Partagée entre le fait de réaliser
une action de solidarité et de vendre des voyages, TDS occulte certains faits dont elle a
pourtant connaissance, comme les commissions prises par les guides, ou encore l’accueil
« rémunéré » des touristes. Malgré la transparence dont elle doit faire preuve, l’association
tait ces pratiques déviantes, et encourage alors la production de malentendus entre touristes et
autochtones346, par la mise en œuvre de ce que Céline Cravatte et Nadège Chabloz nomment
« a subtle play between that is hidden ans that which is revealed »347.
L’étude du tourisme solidaire offre de nombreuses perspectives de recherche, encore
trop peu explorées à ce jour. Les multiples interactions qui résultent de l’activité touristique,
les différentes logiques mises en œuvre par les acteurs en fonction de leurs objectifs propres,
les phénomènes d’appropriation, le changement social provoqué par cette forme de tourisme,
sont des pistes de recherches passionnantes. L’une d’elles pourrait être l’étude des conflits 344 OLIVIER DE SARDAN, Jean-Pierre, 1995 : 139 345 CHABLOZ Nadège, 2006 : 60 346 CHABLOZ Nadège, 2007 : 47 347 CRAVATTE Céline, CHABLOZ Nadège, (A paraître) : 13
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inter et intracommunautaires qui se développent probablement avec l’avènement de la mise en
tourisme d’une société. La jalousie provoquée par l’accaparement de l’activité par certains
groupes, le prestige qui entoure les intermédiaires, et les guides en particulier, les relations de
pouvoir que l’activité entraîne, etc.
Le tourisme solidaire est un phénomène complexe faisant intervenir des enjeux
économiques mais également politiques et sociaux, que toute étude devrait prendre en
considération. Ainsi, pour qu’effectivement, cette forme de tourisme puisse être considérée
comme « durable », et qu’elle profite réellement à l’ensemble de ses acteurs, les études
anthropologiques devront se pencher sur ses multiples « jeux et enjeux »348. Comme le
suggère André Rauch, « il revient à l’ethnologue de gratter ce vernis sans histoires, cette
logique trop lisse et si fonctionnelle. Apparaissent alors, au travers des conflits et des enjeux
réels, ruptures et différences qui traversent l’avènement de plusieurs formes de loisir »349.
348 CHABLOZ Nadège, 2007 : 47 349 RAUCH André, 2002 : 392
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Table des matières
Sommaire....................................................................................................................................1
Introduction ................................................................................................................................2
1. DE LA CONSCIENTISATION DU TOURISME...................................................... 6
1.1 La critique du tourisme de masse ................................................................................................................... 6 1.1.1. Les approches scientifiques du tourisme .................................................................................................. 6 1.1.2. Les impacts de l’activité touristique ........................................................................................................ 10
1.1.2.1. Les impacts environnementaux ....................................................................................................... 10 1.1.2.2 Les impacts socioéconomiques et culturels ...................................................................................... 12
1.2 De la conscientisation des acteurs internationaux du tourisme ................................................................. 14 1.2.1. La mise en place du discours éthique ...................................................................................................... 14 1.2.2. Le rôle des institutions internationales dans l’avènement d’un « bon tourisme »................................... 17 1.2.3. Les stratégies gouvernementales ............................................................................................................. 21
1.3 Souhaitez-vous voyager autrement ? L’avènement de tourismes alternatifs ........................................... 23 1.3.1. Quelques concepts touristiques…............................................................................................................ 23 1.3.2. Le tourisme solidaire ............................................................................................................................... 26
1.3.2.1. Ses origines ...................................................................................................................................... 27 1.3.2.2. Ses principes .................................................................................................................................... 28
Conclusion ......................................................................................................................................................... 30
2. « BRONZER GENEREUX » : UN TOURISME AU DOUBLE VISAGE ............... 31
2.1. La promulgation d’un discours citoyen....................................................................................................... 31 2.1.1. La multiplication des associations de tourisme solidaire ........................................................................ 31
2.1.1.1. Présentation...................................................................................................................................... 31 2.1.1.2. La mise en place d’un réseau national ............................................................................................. 33
2.1.2. La production du discours citoyen........................................................................................................... 34 2.1.3. La mise à distance du tourisme ?............................................................................................................. 36
2.1.3.1. Le tourisme solidaire comme « levier du développement » ............................................................ 36 2.1.3.2. La production d’un discours militant ............................................................................................... 39
2.2 La commercialisation d’un « tourisme autrement » ................................................................................... 40 2.2.1. Les rencontres : au cœur du tourisme solidaire ....................................................................................... 40 2.2.2. L’étude iconographique des documents de commercialisation du tourisme solidaire ............................ 43
2.2.2.1. Le recours à l’imaginaire du voyageur ............................................................................................ 44 2.2.2.2. La mise en scène du tourisme solidaire par les images… ............................................................... 44 2.2.2.3…et par les textes............................................................................................................................... 46
2.3 Pourquoi voyager solidaire ?......................................................................................................................... 49 2.3.1. Une intériorisation des discours de responsabilité ?............................................................................... 49
2.3.1.1. Une évolution de la demande........................................................................................................... 49 2.3.1.2. Un intérêt croissant pour le tourisme responsable ........................................................................... 50
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2.3.1.3. Une demande qui demeure marginale ............................................................................................. 52 2.3.2. Peut-on caractériser les voyageurs solidaires ? ....................................................................................... 53 2.3.3. Que recherchent les touristes solidaires ? ................................................................................................ 55
2.3.3.1. La quête d’authenticité, du lointain ................................................................................................. 55 2.3.3.1.1. La quête de la « vraie vie » ...................................................................................................... 55 2.3.3.1.2. La recherche de l’exotisme ...................................................................................................... 57
2.3.3.2. Un voyage « citoyen » et distinctif .................................................................................................. 58 2.3.3.2.1. La légitimation des pratiques touristiques ............................................................................... 58 2.3.3.2.2. Une pratique distinctive ........................................................................................................... 59
Conclusion ......................................................................................................................................................... 61
3. LE TOURISME SOLIDAIRE A L’EPREUVE DU « TERRAIN » .......................... 62
3.1 Les idéologies et représentations des acteurs du tourisme solidaire.......................................................... 63 3.1.1. Les idéologies et stéréotypes des associations......................................................................................... 63
3.1.1.1. Le « mythe de la communauté » ...................................................................................................... 63 3.1.1.2. L’utilisation de notions « floues » ................................................................................................... 65
3.1.2. Les représentations des voyageurs........................................................................................................... 66 3.1.2.1. La diffusion des idéologies associatives .......................................................................................... 66 3.1.2.2. La « traditionnalité »........................................................................................................................ 67
3.1.3. Les touristes vus par les locaux ............................................................................................................... 69 3.1.3.1. Des représentations négatives .......................................................................................................... 69 3.1.3.2. La « richesse » du touriste ............................................................................................................... 70
3.2. Les « dérives » entre discours et pratiques ................................................................................................. 72 3.2.1. Les malentendus issus de représentations opposées ................................................................................ 72
3.2.1.1. Les projets de développement à l’échelle collective........................................................................ 72 3.2.1.2. L’exemple des cadeaux.................................................................................................................... 74
3.2.2. L’accueil au village, ou l’enchantement de la relation touristique .......................................................... 75
3.3 Les intermédiaires touristiques : personnages clés du tourisme solidaire ................................................ 78 3.3.1. Les guides et animateurs comme vecteurs de l’enchantement touristique .............................................. 78
3.3.1.1. Les intermédiaires comme « courroies de transmission » avec l’altérité ........................................ 78 3.3.1.2. La construction du processus d’enchantement ................................................................................ 80 3.3.1.3. Le désenchantement provoqué par l’apparition de rapports marchands.......................................... 81
3.3.2. Les réappropriations du tourisme solidaire par les intermédiaires .......................................................... 82 3.3.2.1. L’accaparement de la relation touristique........................................................................................ 82 3.3.2.2. La création de réseaux « transnationaux »....................................................................................... 84
Conclusion ......................................................................................................................................................... 85
Conclusion................................................................................................................................86
Bibliographie ............................................................................................................................91
Table des matières ....................................................................................................................97
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NOM : REBUFFÉ PRENOM : Carol Date de soutenance :
20 Juin 2008 DIPLÔME : Master Professionnel « Anthropologie & Métiers du développement durable » Département d’anthropologie - Université de Provence ETH R11 Mémoire de recherche Bibliographique TITRE : Le tourisme solidaire en Afrique de l’Ouest : les contradictions d’un tourisme de rencontre et de « développement ». Des discours à la pratique.
RESUME en français: (100 à 200 mots) Le tourisme se veut désormais « éthique ». Les concepts du développement durable se diffusent progressivement dans l’activité touristique, qui doit être plus respectueuse de l’environnement et des populations. S’inscrivant dans cette lignée, le tourisme solidaire se définit comme un acte de solidarité puisqu’il contribue au développement des populations locales grâce aux retombées financières de l’activité. Il permet également d’établir de véritables rencontres avec ces populations, en favorisant l’immersion des voyageurs au cœur de lieux préservés et authentiques. Ces deux fondements se trouvent confrontés sur le terrain à des « dérives » engendrées par les représentations distinctes que se font les acteurs du tourisme solidaire, et par ses multiples réappropriations. Le recours à l’anthropologie du développement et aux enquêtes ethnographiques permet alors de fournir des outils d’analyse et de compréhension des diverses logiques sociales, de façon à réduire les décalages entre discours et pratiques, et favoriser ainsi la durabilité du tourisme solidaire. MOTS CLES : (5 à 7) Tourisme solidaire, éthique, discours, développement, rencontre, représentations, réappropriation TITLE: Fair tourism in Western Africa: the contradictions of an encounter and “development” tourism. From discourses to practice. ABSTRACT in english : (100 to 200 words) Tourism nowadays wants to be "ethical". The concepts of sustainable development are spreading gradually in the tourism industry, which should be more respectful of environment and populations. “Fair” tourism defines itself as an act of solidarity because it contributes to the development of local populations who benefit financially from these activities. It also allows the establishment of genuine encounters with local people, by facilitating the social immersion of travellers in the heart of protected and authentic places. Both characteristics above are on the ground confronted with “drift” caused by the different representations conveyed by the actors about fair tourism, and by its multiple appropriations. Towards a solving of these issues, the anthropology of development as well as ethnographic surveys can provide tools for the analysis and understanding of various social logics, in order to reduce the gaps between rhetorics and practices, and promote by these means the sustainability of fair tourism. KEY WORDS : (5 to 7) « Fair Tourism », ethic, discourse, development, encounter, representations, appropriation CENTRE DE FORMATION : Département d’anthropologie, Université de Provence, Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme : 5 rue du Château de l’Horloge - B.P. 647, 13094 Aix-en-Provence CEDEX 2 France