le texte de la décision du tribunal des droits de la personne

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Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Albany Duhaime) c. Satgé 2016 QCTDP 12 TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE TROIS-RIVIÈRES N° : 400-53-000012-105 400-53-000014-119 DATE : 26 mai 2016 SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE Yvan Nolet AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURS : Me Yeong-Gin Jean Yoon Me Jean-François Boulais COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant en faveur de la succession de feu ALBANY DUHAIME Partie demanderesse c. ALAIN SATGÉ et LILIANE DE VRIES SATGÉ et WILLIAM SATGÉ et SCOOBYRAID INC. Parties défenderesses et SUCCESSION DE FEU ALBANY DUHAIME Partie victime JUGEMENT JN0334 AZ-51297270

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Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Albany Duhaime) c. Satgé

2016 QCTDP 12

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

CANADA PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE TROIS-RIVIÈRES

N° : 400-53-000012-105 400-53-000014-119

DATE : 26 mai 2016 SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE Yvan Nolet AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURS :

Me Yeong-Gin Jean Yoon Me Jean-François Boulais

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant en faveur de la succession de feu ALBANY DUHAIME Partie demanderesse c. ALAIN SATGÉ et LILIANE DE VRIES SATGÉ et WILLIAM SATGÉ et SCOOBYRAID INC. Parties défenderesses et SUCCESSION DE FEU ALBANY DUHAIME

Partie victime

JUGEMENT

JN0334

AZ-51297270

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[1] La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (la Commission) réclame, au bénéfice de la succession de feu Albany Duhaime (la Succession), 1 202 198,88 $ solidairement à Scoobyraid inc. (Scoobyraid), Alain Satgé et Liliane De Vries Satgé (madame De Vries) alléguant que ceux-ci ont exploité monsieur Albany Duhaime, une personne âgée, le tout, en contravention de l’article 48 de la Charte des droits et libertés de la personne1 (la Charte). Quant au défendeur William Satgé, la Commission s’est désistée de son recours contre lui.

[2] La Commission soutient également que par leurs agissements, les défendeurs ont compromis le droit de monsieur Duhaime à la sauvegarde de sa dignité sans discrimination fondée sur l’âge, contrevenant ainsi aux articles 4 et 10 de la Charte.

[3] Elle allègue enfin que l’exploitation dont monsieur Duhaime a été victime et l’atteinte à la sauvegarde de sa dignité ont été causées de manière illicite et intentionnelle par les défendeurs.

[4] La réclamation de la Commission pour la Succession se détaille ainsi : 1 052 198,88 $ pour les dommages matériels, 100 000 $ pour les dommages moraux et 50 000 $ pour les dommages punitifs.

[5] Pour leur part, les défendeurs plaident qu’ils n’ont pas exploité Albany Duhaime. Ils soutiennent essentiellement que ce dernier ne constituait pas une personne vulnérable et ajoutent avoir agi en tout temps conformément à ses instructions.

[6] De 2004 à 2009, les actifs de monsieur Duhaime sont passés de plus 1 000 000 $ à moins de 5 000 $. Est-ce là le résultat des seules décisions libres et volontaires de monsieur Duhaime ou celui-ci a-t-il été victime d’exploitation ?

I. LE CONTEXTE ENTOURANT LA TENUE DU PROCÈS

[7] Madame la juge Michèle Pauzé, alors présidente du Tribunal, a présidé les deux premières journées d’audience du procès tenues les 16 et 17 septembre 2013. Le 16 septembre 2013, les défendeurs ont présenté une requête afin d’être autorisés à vendre un bien immobilier dans le but d’assumer leur défense.

[8] À la suite d’un jugement stipulant que la requête des défendeurs serait entendue, mais après l’audition au fond du litige, le procureur des défendeurs a présenté une requête verbale pour cesser d’occuper. Une fois les représentations des parties complétées sur cette requête, le Tribunal accueille celle-ci mais ne permet au procureur de cesser d’occuper qu’après l’audition au fond du litige.

[9] En octobre 2013, les défendeurs ont requis la révision judiciaire de ces jugements devant la Cour supérieure.

1 RLRQ, c. C-12.

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[10] Le 1er avril 2014, la Cour supérieure accueille en partie la requête en révision judiciaire et ordonne au Tribunal de procéder à l’audition de la requête des défendeurs pour vendre un bien immobilier afin d’assurer leur défense. Elle ordonne également au Tribunal d’entendre, le cas échéant, la requête pour cesser d’occuper.

[11] Le 23 mai 2014, madame la juge Michèle Pauzé prend acte d’une entente intervenue entre les défendeurs et la Commission par laquelle les défendeurs s’engagent à provisionner une somme de 1 000 000 $ à même le produit de la vente de l’immeuble de Lamarche appartenant à Scoobyraid et rend jugement en conséquence.

[12] Lors d’une conférence de gestion de l’instance tenue le 11 septembre 2014, les procureurs des parties ont été informés que le soussigné serait assigné afin de continuer l’audition du procès. Quant aux témoignages de messieurs Michel Blais et Pierre Gervais qu’avaient entendus madame la juge Pauzé, il a été convenu que des procès-verbaux de l’écoute de ces témoignages soient préparés. Ceux-ci ont été déposés au dossier du Tribunal.

[13] De plus, les procureurs des parties ont également convenu que la continuation du procès aurait lieu en mai et juin 2015.

[14] En décembre 2014, madame la juge Ann-Marie Jones, présidente du Tribunal à cette date, « confie à l’honorable Yvan Nolet le soin de prendre les dispositions qui s’imposent afin de poursuivre l’enquête et de rendre jugement » le tout, tel que le prévoyait alors l’article 464 du Code de procédure civile2.

II. LES FAITS

A. La situation de monsieur Albany Duhaime avant le décès de sa conjointe

[15] Albany Duhaime est né à Trois-Rivières le […] 1916. Il est âgé de près de 93 ans au moment où débute l’enquête de la Commission. Il décède le 5 décembre 2013 à l'âge de 97 ans et 8 mois.

[16] À l'âge adulte, il est membre de la communauté des Frères des écoles chrétiennes à laquelle il appartient jusqu'en 1968. Jusqu’à sa retraite, il enseigne la psychopédagogie à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

[17] À l’occasion d’un voyage en France à la fin des années soixante, il rencontre madame Suzanne Juan, une citoyenne d’origine française, qu’il épouse en 1969. Il est alors âgé de 53 ans. Madame Juan a un fils d’une union précédente, Georges Bedos. Le couple n’aura pas d’enfant.

2 RLRQ, c. C-25.

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[18] Monsieur Duhaime est une personne qui s'en remettait naturellement à sa conjointe pour les choses de la vie quotidienne. Les témoignages concordent presque tous sur le fait qu’il avait, de façon générale, un manque d'intérêt pour l'argent et la valeur des choses matérielles. Certains en attribuent la cause à sa longue appartenance à une communauté religieuse. Il était notoire qu'il s’en remettait à sa conjointe pour le budget familial, les courses (épicerie, banque), l'organisation des voyages, mais qu'il voyait annuellement à faire préparer et produire ses déclarations fiscales.

[19] Le couple s’établit à Trois-Rivières où monsieur Duhaime réside. Madame Juan possède des biens immobiliers en Europe dont elle assume l'administration et en tire des revenus. Les époux effectuent chaque année des voyages en Europe pour des périodes de plusieurs mois. Ils effectuent également plusieurs autres voyages d'agrément.

[20] Bien avant sa rencontre et son mariage avec monsieur Duhaime, madame Juan est une amie de madame De Vries. Elles se sont rencontrées alors que toutes deux opéraient des commerces. Madame Juan possédait une blanchisserie et madame De Vries, dont le mari est boulanger, était impliquée dans la boulangerie familiale.

[21] C’est ainsi par l’intermédiaire de son épouse que monsieur Duhaime fait la connaissance de madame De Vries et de son conjoint, Alain Satgé. Ceux-ci opèrent toujours leur boulangerie en France. Une véritable amitié naît entre les deux couples qui se verront régulièrement par la suite.

[22] En 1998, les époux Duhaime aident les défendeurs à venir s’établir au Québec pour ouvrir un commerce à Trois-Rivières. Monsieur Duhaime leur présente le conjoint de sa nièce Johanne Dupont, monsieur Pérutel, lequel possède déjà un restaurant dans la ville.

[23] Des discussions s’ensuivent et un partenariat d’affaires prend forme entre les défendeurs et le couple Pérutel-Dupont. Ensemble, ils ouvrent un commerce qui porte le nom de «La Fougasserie ». L'association est cependant de courte durée, car moins d’un an après l’ouverture du commerce, les défendeurs désintéressent leurs partenaires et poursuivent seuls les activités de la boulangerie.

[24] De leur arrivée au Québec jusqu'au décès de madame Juan, les deux couples se visitent fréquemment. Monsieur Satgé décrira sa relation avec monsieur Duhaime comme une relation fraternelle et madame De Vries le considère comme un père.

[25] Avant 2003, monsieur Duhaime entretient des relations suivies avec les membres de sa famille, les Dupont et les Lehoux. Monsieur Dupont, son beau-frère, et son fils Sylvain témoignent de contacts fréquents (chaque semaine ou plusieurs fois par

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mois). Après 2003, les contacts s'espacent et se limitent à quelques fois par année. Ceux-ci sont néanmoins toujours chaleureux.

[26] Monsieur Duhaime est un homme d'une intelligence supérieure et d'une culture étendue. Grand lecteur, féru d'Histoire, il a des intérêts multiples et des opinions arrêtées sur de nombreux sujets. Il apprécie les voyages et prend plaisir à en entretenir son entourage. Il aime raconter, chanter et bien qu’il puisse parfois être solitaire, il est perçu comme étant un bon vivant.

[27] Dans la vie quotidienne, c'est sa conjointe qui conduit la plupart du temps leur automobile. Après le décès de cette dernière, c'est madame De Vries qui prendra la relève, tant à Lamarche qu'à Trois-Rivières. Elle dit d’ailleurs de lui qu’il était un piètre conducteur.

[28] En juin 2003, Lise Lehoux, l’une des nièces de monsieur Duhaime, conduit son oncle et sa tante à l’aéroport pour un voyage en France. Au moment de leur départ, les deux se portent bien et madame Lehoux doit retourner les chercher le 8 septembre.

[29] Durant ce séjour, madame Juan se plaint de violents maux de tête. Elle est hospitalisée et le diagnostic est consternant : elle souffre d’une forme particulièrement virulente de méningite résultant d’un cancer.

[30] Comble de malheur, alors que madame Juan est hospitalisée et que son état de santé s’aggrave, monsieur Duhaime chute et subit une fracture de la hanche et doit lui aussi être hospitalisé, mais dans un autre hôpital que celui de son épouse. Confiné à son lit le temps que les os fracturés puissent se souder d’eux-mêmes, il ne peut la soutenir dans l’épreuve qu’elle traverse.

[31] L’état de santé de madame Juan s’aggrave sérieusement et elle décède le 10 septembre 2003 en France. C’est Alain Satgé qui en informe monsieur Duhaime par téléphone depuis le Québec.

[32] Il confirme que monsieur Duhaime est en état de choc. En fait, vu son hospitalisation, non seulement il n’a pu être proche de sa conjointe lors de sa maladie, mais il n’est pas présent lors de son décès et ne peut même pas assister à ses funérailles.

B. La situation de monsieur Albany Duhaime après le décès de sa conjointe

[33] Dévasté, monsieur Duhaime complète sa convalescence chez une nièce de madame Juan et revient au Québec à la fin du mois d’octobre, accompagné de madame De Vries. Il s’installe dans sa résidence de la rue Jean-Talon à Trois-Rivières, là où il a vécu pendant 34 ans avec son épouse.

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[34] Monsieur Duhaime est alors âgé de 87 ans. Selon tous ceux qui l’ont côtoyé, il est démuni, seul et pleure énormément. II répète, continuellement, que son épouse lui manque beaucoup et qu’il aurait aimé être à ses côtés lors de son décès.

[35] Aussi, il se tourne vers le couple Satgé-De Vries (le couple Satgé) pour du support et de l’aide. En fait, leur origine française lui remémore son épouse décédée. Madame Lise Lehoux témoigne qu’il se sent plus proche d’eux par leurs habitudes culinaires et leur culture. À partir d’octobre 2003, son réseau social se limite au couple Satgé et il a peu de contacts avec d’autres amis ou avec les membres de sa famille.

[36] Devant le chagrin et la tristesse de monsieur Duhaime, madame De Vries, qui dit l’apprécier énormément et vouloir l’aider, s’engage à s’occuper de lui et de tout ce qui concerne la succession de Suzanne Juan (la « Succession Juan »). Dès le 10 décembre 2003, soit trois mois après le décès de madame Juan, madame De Vries entreprend à cette fin différentes démarches.

[37] Elle devient en premier lieu mandataire de monsieur Duhaime et peut ainsi accéder à son coffret de sûreté à la Banque de Montréal (la BMO). Ensuite, à la même date, elle ouvre un compte au nom de monsieur Duhaime à la Caisse populaire de Trois-Rivières3, compte pour lequel elle est également désignée comme mandataire4.

[38] Le 30 décembre suivant, monsieur Duhaime révoque son testament de 1990, testament dans lequel il léguait tout à son épouse et, advenant qu’elle décède avant lui, au fils de cette dernière, Georges Bedos. Il rédige par la suite, un testament olographe par lequel il lègue tout ce qu’il possède aux défendeurs. Le 5 janvier 2004, il rédige un nouveau testament au même effet, cette fois devant témoins.

[39] Moins de deux semaines plus tard, le 16 janvier, monsieur Duhaime donne une procuration générale à madame De Vries à la BMO pour qu’elle puisse s’occuper de la gestion de ses finances et de celles de la Succession Juan.

[40] En janvier et en février 2004, monsieur Duhaime, assisté de madame De Vries, ouvre deux nouveaux comptes à la BMO5 au nom de la Succession Juan. Ces comptes seront fermés respectivement aux mois de mars et de septembre suivants.

[41] Le 27 janvier, la BMO dépose dans le premier des deux comptes de la succession6, diverses sommes totalisant 172 094,63 $. Cette somme représente la

3 Le numéro de ce compte est le CP-70890. 4 L’ensemble des informations concernant les transactions financières impliquant les actifs de

monsieur Duhaime proviennent principalement du rapport d’expertise comptable préparé par le témoin expert Jacinthe Senneville, comptable agréée, Service des enquêtes sur les crimes économiques de la Sûreté du Québec. Ce rapport est produit à la pièce P-10 et P-10A, P-10C et P-10D.

5 Les numéros de ces comptes sont : BMO-3056-769 et BMO-8206-455. 6 Ce compte est le BMO-3056-769.

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valeur des placements de madame Juan auprès de la BMO à son décès. Le 11 février 2004, soit la journée de l’ouverture du second compte de la succession, un montant de 172 000 $ y est transféré7.

[42] Le 24 février, monsieur Duhaime mandate madame De Vries pour régler, en son nom, la Succession Juan en France.

[43] En mars 2004, un nouveau compte au nom de monsieur Duhaime est ouvert à la BMO8. Ce compte sera utilisé pour y transférer l’argent de la Succession Juan et sera fermé en septembre. Le même mois, la répartition de la Succession Juan entre Georges Bedos, le fils de madame Juan, et monsieur Duhaime est complétée. Suite au partage, la somme due à monsieur Duhaime totalise 106 186 euros.

[44] L’acte de partage précise que cette somme est payée à monsieur Duhaime par le transfert, en pleine propriété, de tous les actifs mobiliers et immobiliers de madame Juan au Canada9. Elle correspond à l’évaluation faite d’un commun accord par monsieur Bedos et par madame De Vries.

[45] Le 6 mai, monsieur Duhaime, accompagné de madame De Vries, se rend chez le courtier BMO Nesbitt Burns afin de retirer la totalité de ses placements d’une valeur de 430 932,28 $. Quatre chèques de 107 733,07 $ sont émis par l’institution et sont déposés dans quatre comptes différents. Trois de ces comptes appartiennent à monsieur Duhaime10 et l’autre appartient au couple Satgé11. Madame De Vries dira, lors de son témoignage, que monsieur Duhaime lui en a fait cadeau.

[46] Le 18 mai 2004, monsieur Duhaime signe un acte de donation de sa maison de la rue Jean-Talon en faveur du couple Satgé. Selon cet acte, il conserve un droit d’usage de la maison, mais doit payer tous les frais inhérents à la propriété ainsi que les frais d’entretien.

[47] Entre 2004 et 2009, madame De Vries effectue, grâce à ses procurations bancaires, de nombreuses transactions dans les divers comptes de monsieur Duhaime.

[48] Elle complète des chèques signés par monsieur Duhaime, utilise la carte de guichet ou de crédit de monsieur Duhaime, effectue des retraits importants au comptoir et procède parfois à des dépôts. À d’autres occasions, elle effectue des transferts d’argent des comptes de monsieur Duhaime vers les comptes de membres de la famille Satgé-De Vries ou de leur société par actions. L’expertise comptable montre les

7 La somme est transférée dans le compte BMO-8206-455. 8 Le numéro de ce compte est le BMO-8207-132. 9 Pièce P-19, 2e partie : L’acte de liquidation et de partage et d’autres documents pertinents sont sous

le numéro 22, dont les informations aux pages 22-12, 22-13, 22-14 et 22-21. 10 Les comptes de monsieur Duhaime sont : CP-70890, BMO-8207-132 et BMO-8095-097. 11 Ce compte est à la Banque Nationale BN-2763795.

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mouvements de fonds entre les comptes de banques de monsieur Duhaime et ceux des Satgé et de leur entreprise12.

[49] Entre autres, entre le 25 mars 2004 et le 7 octobre 2005, il y a des retraits au comptoir, en argent comptant, effectués avec la carte débit de monsieur Duhaime pour une valeur totale de 445 059,86 $. Ces retraits varient de 5 000 $ à 50 000 $.

[50] De plus, entre le 25 mars 2004 et mai 2005, des retraits variant de 20 $ à 500 $ sont effectués à des guichets automatiques, pour une valeur totale de 39 720 $. Il y a de plus 13 593,67 $ en retraits au guichet automatique de l’un des comptes de monsieur Duhaime à la BMO13.

[51] À ces montants, s’ajoutent des dépenses de 169 127,95 $ effectuées au bénéfice de la famille Satgé avec l’argent de monsieur Duhaime. Parmi celles-ci, il y a l’appropriation de l’automobile Mitsubishi de monsieur Duhaime d’une valeur de 18 536,78 $ en 2004 et l’achat d’un camion Ford 350 (Camion) d’une valeur de 78 727,12 $ en 2005.

[52] Ce camion est revendu par les Satgé le 1er septembre 2009 à un tiers pour une somme de 25 000 $ et malgré ce transfert, non seulement le compte de monsieur Duhaime continue à être débité mensuellement des versements prévus au contrat d’achat du Camion, mais la somme de 25 000 $ est conservée par le couple Satgé.

[53] Les dépenses sont multiples et diversifiées. Il est de plus question de voyages, de transferts d’argent en Espagne, de transferts de fonds à leur fils Frank qui vit en France, de paiements de travaux et de rénovations à la maison du couple à Bécancour, d’achats de meubles livrés à Bécancour, d’achats de divers billets d’avion, de paiements des taxes pour le transfert de propriété du camion Ford et de l’automobile Mitsubishi, du paiement de la taxe de mutation immobilière pour le transfert de sa résidence, et cetera.

[54] Selon madame De Vries, c’est monsieur Duhaime qui a pris toutes les décisions pour les transactions bancaires et les retraits. Il comprenait et décidait de tout, dit-elle, et son rôle à elle se limitait à exécuter ses instructions. Elle mentionne aussi que monsieur Duhaime était très généreux avec eux, qu’il voulait les « gâter » et « (les) faire profiter de la vie. » Elle précise qu’ils ont pris soin de monsieur Duhaime alors que les membres de sa famille étaient absents. Selon elle : « (Il) était content de voyager et de vivre avec nous ».

[55] Pour expliquer les sorties massives de fonds en argent comptant ou autrement, madame De Vries mentionne que « c’était la guerre » entre Georges Bedos et monsieur

12 Pièce P-10A, Annexe 3. 13 Le compte est le BMO-8095-097. Pièce P-10A, page 41.

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Duhaime. Ce dernier avait peur que monsieur Bedos revienne chercher l’argent de la succession de sa conjointe, Suzanne Juan.

[56] Madame De Vries explique qu’avec monsieur Duhaime, ils découvrent le 11 février 2004, que 172 000 $ est déposé dans le compte de succession de madame Juan. Elle dit avoir alors compris, et ajoute que monsieur Duhaime a compris aussi, que ce montant aurait dû être comptabilisé dans le règlement de la succession.

[57] Elle indique que c’est pourquoi monsieur Duhaime a décidé d’ouvrir un compte à la Caisse populaire pour cacher son argent. Elle témoigne lui avoir alors dit : « Tu triches avec Georges? Tu n’as pas dit la vérité? (…) ». Monsieur Duhaime est content et lui demande de garder son secret en ajoutant ; « Ferme ta gueule ».

[58] Toujours selon madame De Vries, monsieur Duhaime « ne voulait pas que la banque sache qu’il avait de l’argent ». C’est pourquoi il lui a ordonné de sortir l’argent de ses comptes de banque, et ce, le plus vite possible.

[59] Elle ajoute qu’il ne lui dit pas à qui il donne son argent et que pour sa part, elle n’a posé aucune question. Elle effectue, dit-elle, ce qu’il lui demande. Non seulement monsieur Duhaime comprend et sait tout, mais c’est lui qui décide de tout. Des fois, il lui remettait 1 000 $ pour son travail.

[60] Madame De Vries confirme même : « Il voulait sortir de l’argent très vite. Il voulait que je fasse tout. Il était toujours avec moi (…) j’étais chargée de sortir l’argent pour lui. (…) Si je l’avais écouté, j’aurais été 10 fois par jour à la banque pour sortir de l’argent. (…) J’étais son exécutrice. Je lui remettais par la suite de grosses sommes d’argent comptant. Je n’ai pas posé des questions. ».

[61] Madame De Vries insiste que monsieur Duhaime voulait avoir l’argent à la maison. Il le cachait dans un coffre-fort ou dans le double fond de son orgue électrique. Personne ne savait cela sauf elle. Elle ajoute « (…) Je ne sais rien sur ce qu’il faisait avec son argent. ».

[62] La Fougasserie cesse ses activités en 2006 et déjà à ce moment, un nouveau projet d’affaires intéresse les Satgé. Madame De Vries témoigne que son fils William l’amène visiter le relais Scoobyraid14 à Lamarche. Elle dit avoir eu un coup de foudre pour le site. Selon elle, c’est une place « magnifique ». Le couple Satgé décide de l’acheter par l’intermédiaire de leur société par actions dont la dénomination sociale de La Fougasserie inc. sera modifiée par celle de Scoobyraid inc.

[63] Ils font visiter les lieux à monsieur Duhaime et selon madame De Vries, ce dernier voulait participer comme si ce projet était le sien. Le gouvernement devait les aider à hauteur de 250 000 $ sauf qu’il ne l’a pas fait. Monsieur Duhaime leur aurait, 14 Acheté le 14 mars 2007 de la Municipalité de Lamarche.

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selon elle, offert de contribuer à l’entreprise : « Si vous avez besoin, je vais vous aider ».

[64] Parlant d’aide, en novembre 2006, monsieur Duhaime assume en lieu et place de l’entreprise le paiement d’un montant dû à la Commission des normes du travail pour la Fougasserie. En mai 2008, il paie également 3 910 $ pour les honoraires des comptables de Scoobyraid.

[65] À cela, s’ajoutent de nombreux achats effectués pour Scoobyraid dans la région du Saguenay et totalisant 20 679,79 $ à même les comptes de monsieur Duhaime. L’experte comptable identifie lors de son témoignage les achats suivants15 :

65.1. Coop IGA Alma 1 790,91 $;

65.2. Maxi Alma 3 876,24 $;

65.3. Presto Jonquière 4 170,04 $;

65.4. SAQ Alma 1 806,61 $;

65.5. Rona le Regional Alma 5 389,36 $;

65.6. Wal-Mart Alma 2 383,83 $;

65.7. Fabricville 584,28 $; et

65.8. Pétro Canada 178,52 $.

[66] Fin décembre 2008, monsieur Duhaime est âgé de 92 ans lorsqu’il se présente à sa succursale de la BMO à Trois-Rivières. Alors qu’il attend de rencontrer une caissière, il se plaint, à haute voix, que des retraits non autorisés sont effectués dans son compte par le personnel de la banque.

[67] La directrice adjointe de la succursale, madame Marjolaine de la Chevrotière, intervient. Elle rencontre monsieur Duhaime et examine avec lui les transactions apparaissant à son livret. Ensemble, ils constatent qu’il y a des achats effectués au magasin Costco et des prélèvements automatiques pour le camion Ford. Madame de la Chevrotière explique alors à monsieur Duhaime que madame De Vries possède une procuration sur tous ses comptes bancaires depuis janvier 2004.

[68] Elle lui explique également que cette procuration autorise cette dernière à avoir accès à son compte à tout moment. Monsieur Duhaime lui répond alors qu’il ne l’a pas autorisée à retirer de l’argent « que si elle était vraiment mal prise ». Il ajoute qu’il en parlera avec madame De Vries. Quelques jours plus tard, il revient à la banque et informe madame de la Chevrotière que tout est réglé.

15 Voir aussi les pages 36-37 de la pièce P-10A.

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[69] Six mois plus tard, le 22 juin 2009, monsieur Duhaime se plaint à nouveau que la banque lui vole de l’argent. Cette fois, madame de la Chevrotière prend au sérieux le sentiment d’exploitation de monsieur Duhaime. Elle lui propose d’annuler à l’instant la procuration donnée en faveur de madame De Vries, ce qu’il accepte.

[70] Madame De Vries témoigne, qu’à la même période, monsieur Duhaime lui dit : « Quelqu’un pige dans mon compte ». Elle ajoute qu’il est inquiet et qu’il l’avise : « Tu ne te sers plus de la carte ».

[71] Une semaine plus tard, soit le 30 juin, monsieur Duhaime signe un document indiquant que personne ne lui doit quoi que ce soit. Il donne en effet à madame De Vries un « reçu pour solde » et atteste être à jour sur tout remboursement de carte de débit ainsi que de tous virements effectués sur son compte16 :

Reçu pour solde de tous comptes. Moi Albany Duhaime atteste en mon âme et conscience atteste d’être à jour des remboursements dû par la carte de débit sur mon compte 8095097. Également les virements effectués sur mon compte. Personne ne me doit rien. Trois-Rivières le 30 juin 2009. (sic).

[72] Le 3 juillet 2009, monsieur Duhaime signe un autre document de même nature en faveur, cette fois, de Scoobyraid. Le document atteste que la compagnie ne lui doit rien et que cela couvre tous ses comptes, cartes de débit, virements de fonds et chèques. Ces virements et ces chèques y sont décrits comme des dons pour « encouragement »17.

[73] Finalement, le 30 juillet, monsieur Duhaime signe un troisième document indiquant qu’il a tout donné à Liliane De Vries, qu’il ne réclame rien en retour et qu’il lui donne le droit d’en disposer à sa guise18.

[74] Les documents ci-dessus, datés respectivement du 30 juin, 3 et 30 juillet 2009, étaient en la possession des Satgé lors de leur arrestation au début de mai 2010.

[75] En août 2009, madame De Vries quitte pour la France19 et revient au Québec le 6 octobre20. En son absence, monsieur Duhaime est heurté par une automobile alors qu’il traverse une rue à pied. Il n’est pas blessé gravement, mais doit se présenter à l’urgence pour des examens. C’est sa sœur Jeanne d’Arc Dupont qui s’occupe de lui.

[76] À la même époque, monsieur Duhaime déclare, lors d’une réunion de famille chez sa sœur, qu’il ne comprend plus ce qui se passe dans son compte de banque et que quelqu’un y « pige ». Ces déclarations conduisent ses neveu et nièce, Sylvain et 16 Pièce P-20.5, p. L49. 17 Pièce P-20.5, p. L50. 18 Pièce P-20.5, p. L51. 19 Afin de suivre des traitements pour un cancer de la thyroïde. 20 Selon Immigration Canada, Annexe 18 du rapport de madame Senneville, pièce P-10A.

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Johanne Dupont, à porter plainte à la police et à demander une évaluation psychosociale de leur oncle.

[77] C’est ainsi qu’à la mi-octobre 2009, madame Véronique Guyaz, travailleuse sociale à l’emploi du CSSS de Trois-Rivières, rencontre monsieur Duhaime à sa résidence. À cette occasion, il lui parle de sa relation d’amitié (« grands amis ») avec le couple Satgé et dit avoir « donné un chéquier » à madame De Vries21. Il est en preuve que deux chéquiers ont été effectivement utilisés en même temps.

[78] Il parle également de dons effectués au couple Satgé. Il mentionne la Mitsubishi, donnée au couple après avoir abandonné la lutte pour la récupérer. Il confirme qu’il continue même à payer les contraventions de madame De Vries « par charité ».

[79] Il parle également du cadeau du camion Ford qu’il a fait « avec plaisir » et dont il paie toujours les mensualités. Il parle de la situation des Satgé à Lamarche et de ses revenus de retraite qui sont « élevés ». Questionné sur la possibilité de déposer une plainte contre les défendeurs, il dit que madame De Vries est venue s’excuser et qu’il refuse de porter plainte.

[80] Lors de cette rencontre, madame Guyaz note que monsieur Duhaime souffre de pertes cognitives22. Ainsi, il dit hésiter à retirer la procuration bancaire qu’il a faite en faveur de madame De Vries, procuration qui était déjà annulée depuis le mois de juin.

[81] Madame Guyaz organise une seconde rencontre avec monsieur Duhaime pour le 21 octobre 2009. Y participent certains membres de sa famille. À peine 10 minutes se sont écoulées que madame De Vries arrive, à l’improviste, affirmant être venue habiter « sa » maison pour aider monsieur Duhaime.

[82] S’ensuit une confrontation avec la famille. Le climat est tendu. Madame De Vries accepte de s’éloigner dans une autre pièce de la maison le temps que l’entrevue se poursuive. Toutefois, de son témoignage, il est clair qu’elle reste « à l’écoute ».

[83] Monsieur Duhaime déclare alors à madame Guyaz que « des gens » pigent dans son compte de banque et abusent de la procuration, un stratagème qu’il impute à sa succursale bancaire. La situation demeure tendue et constatant la difficulté à poursuivre l’entretien, madame Guyaz y met fin et fixe une autre rencontre, dans un autre lieu, pour le 28 octobre. Au moment de quitter le domicile, madame De Vries vient la voir et lui dit ne pas comprendre pourquoi monsieur Duhaime a « retiré la procuration ».

21 Lors de son témoignage, madame Guyaz interprète le terme « chéquier » comme une carte de

guichet. Toutefois, madame De Vries confirmera que monsieur Duhaime lui avait remis un chéquier. 22 Il cherche ses mots et il y a confusion quant aux dates. Elle émet toutefois l’hypothèse que ces pertes

sont conséquentes à l’accident d’automobile.

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[84] Quelques jours avant la rencontre du 28 octobre, monsieur Duhaime informe madame Guyaz qu’il refuse ses services. Il quitte peu de temps après sa résidence de Trois-Rivières en compagnie de madame De Vries pour habiter au relais Scoobyraid à Lamarche avec les Satgé. La rencontre du 28 octobre n’a donc pas lieu.

[85] Fin novembre, monsieur Duhaime se présente à la BMO, accompagné de madame De Vries. Il demande à rétablir la procuration qui avait été annulée en juin. Madame de la Chevrotière refuse. Selon son témoignage, monsieur Duhaime n’a plus la capacité de donner une procuration parce qu’il ne comprend pas vraiment ce que cela implique.

[86] Madame De Vries n’est pas d’accord. Elle affirme à madame de la Chevrotière détenir une procuration générale notariée qu’elle verra, dit-elle, à produire sous peu. La procuration notariée ne sera toutefois jamais transmise à la BMO.

[87] Ce même jour, après avoir quitté la banque en compagnie de madame De Vries, monsieur Duhaime revient seul et retire une somme de 4 000 $ comptant.

[88] En janvier 2010, la famille de monsieur Duhaime obtient une ordonnance judiciaire pour le faire évaluer en gériatrie à Trois-Rivières. Le 25 janvier, Sylvain Dupont se rend donc chez les Satgé, à Lamarche, pour ramener son oncle. Lorsqu’il le rencontre, celui-ci est en pyjama et en colère. Il tente de le calmer et, en présence de madame De Vries, les trois s’assoient à une table pour discuter.

[89] Madame De Vries est présente et alimente la conversation. Lors d’une pause, elle fait un mouvement vers monsieur Duhaime et lui donne « une pichenotte » sur l’oreille après quoi monsieur Duhaime affirme : « C’est vrai, j’ai tout donné aux Satgé ».

[90] Sylvain Dupont témoigne avoir été bouleversé et choqué par ce geste. Mais, devant l’attitude de monsieur Duhaime en présence de madame De Vries, il choisit de quitter laissant le soin aux policiers d’exécuter l’ordonnance. Celle-ci ne pourra toutefois être exécutée ce jour-là à cause de la météo.

[91] Le CLSC d’Alma est alors chargé de commencer l’évaluation de monsieur Duhaime, évaluation qui mènera à l’ouverture d’un régime de protection. Donc, trois jours plus tard, le 28 janvier, madame Isabelle Bergeron, travailleuse sociale au CLSC d’Alma23 se rend à Lamarche pour débuter l’évaluation psychosociale24.

[92] L’entrevue se passe en général calmement. Monsieur Duhaime collabore et il comprend bien les questions. Madame De Vries est présente pendant toute la durée de

23 Curriculum vitae déposé sous la cote P-22. Le Tribunal la relève de son secret professionnel

relativement au dossier de monsieur Duhaime. 24 Elle acheva son rapport d’« Évaluation médicale et psychosociale–volet psychosocial », le 4 mars

2010. Rapport déposé sous la cote P-3.

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la rencontre et favorise le travail de madame Bergeron en calmant monsieur Duhaime à certaines occasions. Madame Bergeron témoigne avoir senti que madame De Vries avait un « très bon lien » avec monsieur Duhaime et qu’elle était une « personne significative dans sa vie ». La plupart du temps, madame De Vries « enrichit » les réponses pour monsieur Duhaime.

[93] Madame Bergeron note que monsieur Duhaime est parfois confus pour ce qui est des dates. Relativement à la vente de sa maison, il répond « sûr de lui et de façon convaincante » qu’il l’a donnée pour 1 $ au couple Satgé à la condition qu’il puisse y vivre jusqu’à sa mort. Il précise également qu’il veut que les Satgé s’occupent de lui et qu’ils soient ses héritiers testamentaires. Il ajoute avoir donné sa carte bancaire à madame De Vries et ne pas connaître le solde de son compte.

[94] Madame Bergeron constate que monsieur Duhaime démontre de l’agressivité envers sa famille. À la mention de sa famille, elle l’a senti « craintif » et « colérique » et même sur la « défensive ».

[95] En mars 2010, madame Bergeron conclura que monsieur Duhaime « ne possède plus les habiletés nécessaires et d’autocritique pour administrer son budget et faire le suivi dans l’ensemble de ses opérations financières » et recommandera l’ouverture d’un régime de protection25. Cette conclusion est nécessaire pour que, jointe à l’opinion médicale, un régime de protection puisse être ouvert.

[96] Plusieurs sources signalent par la suite l’exploitation possible de monsieur Duhaime à la Commission. Celle-ci décide26, de sa propre initiative27, de tenir enquête.

[97] Sa résolution CP-602.6 fait état de transactions douteuses au compte bancaire de monsieur Duhaime. Elle mentionne également l’utilisation, à son insu, d’une carte de guichet par les défendeurs et le fait que ceux-ci auraient bénéficié de donations importantes au cours des années28.

[98] Le 9 février 2010, les policiers vont chercher monsieur Duhaime à Lamarche et le conduisent à Trois-Rivières pour une première rencontre avec la Dre Lucie Lavoie29, médecin spécialiste en gériatrie à l’hôpital de Trois-Rivières30.

25 Pièce P-3, page 3E, section 11. 26 Par résolution du 5 février 2010, CP-564.1, Pièce P-15. 27 En vertu de l’article 71 de la Charte. 28 Pièce P-14. 29 Le curriculum vitae de la Dre Lavoie est produit sous la cote P-20. Le Tribunal l’a reconnue comme

« experte en médecine interne de gériatrie » et l’a relevée de son secret professionnel relativement au dossier médical de monsieur Duhaime afin qu’elle puisse témoigner sur les faits du présent dossier.

30 Durant l’année 2010, la Dre Lavoie rencontre monsieur Duhaime à trois reprises. À la suite de ces rencontres, elle prépare trois rapports datés respectivement du 9 février, 7 juin et 17 décembre 2010. Ses rapports sont déposés en liasse sous la cote P-4.

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[99] À son arrivée, monsieur Duhaime est « dans tous ses états » et en colère. Il déclare, à plusieurs reprises, ne pas savoir pourquoi il est là et crie contre les membres de sa famille. Il est « hargneux, tangentiel et est même très délirant ». Il est méfiant envers la Dre Lavoie, et ce, même si elle lui explique qu’elle est médecin et qu’elle ne fait pas partie de sa famille.

[100] Devant le comportement de monsieur Duhaime, l’évaluation est extrêmement difficile. Le rapport de Dre Lavoie précise : « (…) Extrêmement désinhibé, disant des choses blessantes et ayant passé quelques propos à caractère sexuel. Il a une nette diminution du jugement même si on essaie de le recadrer par plusieurs fois. ». Elle le déclare temporairement inapte et pose un diagnostic de « trouble cognitif ». La Dre Lavoie le rencontrera à deux autres reprises durant l’année dont le 7 juin suivant31.

[101] Toujours le 9 février 2010, monsieur Duhaime rencontre également monsieur Michel Blais, enquêteur de la Commission, et l’enquêteur Pierre Gervais de la Sécurité publique de Trois-Rivières. Lors de l’entrevue, on exhibe à monsieur Duhaime plusieurs chèques pour lesquels il est incapable d’expliquer pourquoi ils ont été émis et signés, et ce, malgré le fait qu’il s’agit de montants importants. Il admet avoir donné sa résidence et deux véhicules au couple Satgé. Il dit de plus avoir été déshérité au décès de sa conjointe au profit du fils de cette dernière.

[102] Monsieur Duhaime dit détester les cartes de crédit ou de débit et ne s’en être jamais servi. Devant certains retraits importants ou la preuve de nombreux achats, il dit que cela a été fait à son insu. À plusieurs reprises durant l’entrevue, monsieur Duhaime dit avoir été victime d’abus.

[103] Pendant l’enquête de la Commission, la police apprend en mai 2010 que le couple Satgé prépare son départ pour la France avec monsieur Duhaime et qu’ils se sont procuré des billets aller-simple. Des accusations criminelles sont alors déposées et un mandat d’arrestation est lancé. Liliane De Vries et Alain Satgé sont accusés d’avoir, entre le 1er janvier 2004 et le 7 mai 2010, frustré par la fraude, le mensonge ou un autre moyen dolosif, monsieur Albany Duhaime d’une somme dépassant 5 000 $. Ils sont arrêtés le 8 mai 2010 au Lac St-Jean.

[104] Après ces arrestations, le policier enquêteur Gervais rencontre monsieur Duhaime chez lui pour l’informer des motifs de celles-ci et monsieur Duhaime lui dit que

31 Dre Lavoie écrit dans son rapport : « Monsieur Duhaime, à mon avis, a une maladie cognitive que je

ne peux pas caractériser étant donné le manque d’évaluation et le manque de participation de monsieur. Il s’agit probablement d’une maladie de type Alzheimer étant donné que un tiers des personnes en haut de 85 ans en est affecté. Toutefois, sa forte désinhibition de ce matin pourrait toujours être reliée à une démence frontale temporale qui survient dans 1 à 2 % des cas supérieurs à 80 ans. Je me questionnais également sur un traumatisme crânien après l’accident d’automobile toutefois il n’y a aucune évidence à l’examen physique. Monsieur, ainsi que le couple d’amis, refuse de passer une évaluation en imagerie. ».

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le couple Satgé a abusé de sa confiance. Selon sa nièce, madame Lise Lehoux : « Mon oncle tombait de haut après la rencontre de Pierre Gervais (…) Il a été ébranlé par tout cela ».

[105] Le 17 mai, en entrevue avec l’enquêteur de la Commission, monsieur Duhaime dit « qu’il (a) trop fait confiance aux Satgé », qu’il « ne leur a jamais donné la permission de prendre tout son argent ». Il réitère ces propos le 8 juin lors d’une nouvelle rencontre.

[106] Après la deuxième rencontre, qui a eu lieu le 7 juin 2010, entre la Dre Lavoie et monsieur Duhaime, celle-ci conclut qu’il est effectivement inapte, présentant les symptômes classiques de la maladie d’Alzheimer. Lors de son témoignage, la Dre Lavoie a émis l’opinion que la maladie était présente depuis 5 ou 6 ans.

[107] Le 23 août, la Cour supérieure ordonne l’ouverture d’un régime de curatelle en faveur de monsieur Duhaime et nomme sa nièce, madame Johanne Dupont, curatrice à sa personne et à ses biens32.

[108] Le 17 décembre 2010, la Dre Lavoie rencontre, une troisième fois, monsieur Duhaime. Ce dernier est incapable d’identifier les membres de sa famille ni ses biens ni les tenants et les aboutissants d’un testament. Elle considère qu’il est inapte à tester. Dans son rapport, elle écrit : « Il finit par dire que le couple de Français n’était peut-être pas tout à fait honnête et il pense peut-être devoir les poursuivre »33.

[109] Monsieur Duhaime décède le 5 décembre 2013 à l'âge de 97 ans et 8 mois.

[110] Le 17 novembre 2015, Liliane De Vries et Alain Satgé sont reconnus coupables par la juge Guylaine Tremblay de la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec34 des accusations portées contre eux. Ce jugement est porté en appel35 le 16 décembre 2015.

[111] Le 1er mars 2016, Liliane De Vries et Alain Satgé sont condamnés respectivement à quatre et trois années d’emprisonnement pour les crimes dont ils ont été reconnus coupables36.

32 Pièce P-5. 33 Pièce P-4, Rapport du 17 décembre 2010, page 1, par. 1. 34 R. c. Satgé, 2015 QCCQ 11977. 35 200-10-003200-156 (Liliane De Vries) et 200-10-003199-150 (Alain Satgé). 36 R. c. Satgé, C.Q. Trois-Rivières (Chambre criminelle et pénale), no 400-01-058691-106 (001 et 002),

1er mars 2016, j. Tremblay. Requêtes pour permission d'appeler sur la peine déposées le 31 mars 2016.

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III. LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

[112] La Commission soutient que les défendeurs ont profité, en toute connaissance de cause, de la vulnérabilité, de la dépendance et de l'isolement de monsieur Duhaime pour détourner, à leur profit, des sommes d'argent et des biens lui appartenant.

[113] Elle fait valoir que monsieur Duhaime est âgé de 87 ans lors du décès de sa conjointe des 34 dernières années. Il vit alors un deuil important, voit peu sa famille immédiate et dépend entièrement des défendeurs quant à la gestion de son quotidien et de ses finances. Ceux-ci se trouvent ainsi en position de force à son égard et utilisent cette position afin de prendre le contrôle de ses avoirs en exerçant une influence déterminante sur ses décisions financières.

[114] En somme, la Commission considère avoir fait la preuve que les défendeurs ont personnellement tiré profit de la situation de vulnérabilité de monsieur Duhaime. Elle ajoute qu’à titre de mandataire de monsieur Duhaime, madame De Vries n'a pas agi avec la prudence, l'honnêteté et la loyauté requises à l’égard de son mandant.

[115] Pour leur part, les défendeurs font valoir qu’il ne faut pas présumer qu'il y a eu exploitation du simple fait qu'ils ont sorti monsieur Duhaime de sa solitude. Ils soutiennent que malgré le décès de sa conjointe, il était en pleine possession de ses moyens et qu’il a lui-même géré ses avoirs comme bon lui semblait. Pour preuve, ils mentionnent sa signature à un document notarié qui précise les conditions du règlement de la succession de son épouse. Monsieur Duhaime savait donc clairement ce qu’il voulait et ce qu’il faisait.

[116] Même constat concernant les chèques signés de la main de monsieur Duhaime. Ce sont des documents officiels qui confirment qu’il avait bien l’intention de les émettre. Madame De Vries n'a, pour ainsi dire, été que l'instrument afin d'exécuter ses décisions.

[117] Quant à la procuration bancaire en faveur de madame De Vries, ils soutiennent qu’il n’y a pas de preuve que c’est madame De Vries qui a fait des suggestions ou qui a pris les décisions. Elle n’a, tout au plus, été que l’accompagnatrice de monsieur Duhaime et lui a remis l’argent pour qu’il en dispose comme il le souhaitait.

[118] Selon les défendeurs, monsieur Duhaime n’était pas une personne vulnérable avant l’accident d’automobile dont il a été victime en septembre 2009. Tous les gestes qu’il a posés avant cet accident ne visaient qu’à avantager ses amis, ceux avec lesquels il avait construit des relations solides au cours de 20 années de fréquentations assidues.

[119] Par ailleurs, les défendeurs ajoutent qu’il faut s'interroger sur les motivations de ceux qui soutiennent que monsieur Duhaime était vulnérable avant septembre 2009. Le dépôt d'un projet de testament olographe et l'insistance de madame Johanne Dupont

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auprès de la Dre Lavoie pour que monsieur Duhaime soit déclaré apte à tester, démontre l'intérêt de la famille Dupont dans l'affaire.

[120] Les défendeurs plaident également que monsieur Duhaime s’est comporté avec eux comme s'ils étaient de sa famille. Ils ajoutent qu’à un âge avancé, seul depuis le décès de son épouse, il n'avait aucun besoin des sommes accumulées à la banque.

[121] Ayant, dès la fin de 2003, fait un testament en faveur des défendeurs, il n'avait aucune raison de les priver des cadeaux qu'il leur a faits. Tous ces dons sont le reflet d'une personne qui souhaite partager avec ses vieux amis, les dernières étapes de sa vie en faisant leur bonheur.

[122] Lorsqu'en 2009 et 2010, il rédige plusieurs lettres confirmant ses dons aux défendeurs, il veut couper court à toute contestation éventuelle dans le contexte où il les anticipe. Selon les défendeurs, la preuve n’a d’ailleurs pas établi que madame De Vries ait manipulé monsieur Duhaime et sa simple présence à ses côtés n'implique pas qu'elle l’ait fait.

[123] Dans leur plaidoirie, les défendeurs s’inspirent largement de l’analyse effectuée par le juge Hilton, lequel était dissident dans l’arrêt Vallée rendu par la Cour d’appel en 200537. Ils soutiennent qu’il faut reconnaître l’indépendance de la personne âgée et sa capacité à gérer ses biens à son gré. De plus, avant de conclure à l’exploitation de monsieur Duhaime, il faut s’assurer que les défendeurs connaissaient l’existence de sa vulnérabilité particulière, de sa dépendance envers eux et qu’ils aient décidé de mettre cette dépendance à leur profit en le manipulant, ce qu’ils nient formellement avoir fait.

[124] Enfin, les défendeurs soutiennent qu’il faut faire une distinction entre la responsabilité d'Alain Satgé et celle de Liliane De Vries. En effet, seule madame De Vries possédait un mandat. Monsieur Satgé n'aurait même pas été mis au courant des transactions décidées par monsieur Duhaime et exécutées par son épouse.

IV. LES QUESTIONS EN LITIGE

[125] Pour trancher le litige, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :

1) Les défendeurs ont-ils compromis le droit de monsieur Albany Duhaime d'être protégé contre l'exploitation des personnes âgées, contrevenant ainsi à l'article 48 de la Charte?

2) Par la même occasion, les défendeurs ont-ils compromis le droit de monsieur Duhaime à la sauvegarde de sa dignité sans discrimination fondée sur l’âge, contrevenant ainsi aux articles 4 et 10 de la Charte?

37 Vallée c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2005 QCCA 316, par.

79, 80 et 88 (Vallée).

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3) La Succession a-t-elle droit aux dommages matériels, moraux et punitifs réclamés en sa faveur?

V. L’ANALYSE

1ère Question : Les défendeurs ont-ils compromis le droit de monsieur Albany Duhaime d'être protégé contre l'exploitation des personnes âgées, contrevenant ainsi à l'article 48 de la Charte?

[126] L’article 48 de la Charte constitue le fondement du recours de la Commission :

Toute personne âgée ou toute personne handicapée a droit d'être protégée contre toute forme d'exploitation.

Telle personne a aussi droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu.

[127] Cet article est « une disposition de droit substantielle qui confère à la personne âgée le droit strict d’être protégée contre toute forme d’exploitation »38. Il s’agit d’un droit qui s’ajoute aux énoncés du Code civil du Québec39 pour autant que la personne soit une personne âgée et qu’elle soit victime d’exploitation40.

[128] La Charte vise ainsi à réprouver « toute forme d’abus » dont aurait pu être victime monsieur Duhaime, « abus qui peut se manifester par une disproportion, un déséquilibre important et injuste » dans ses rapports avec les défendeurs41.

[129] Il n’est donc pas nécessaire que la victime soit juridiquement inapte pour bénéficier des effets juridiques de l’article 48 de la Charte42. Ainsi, comme en l’espèce, bien que la preuve n’ait pas établi à quel moment antérieurement à 2010 il est devenu inapte, la vraie question à laquelle le Tribunal doit répondre est de savoir si monsieur Duhaime était vulnérable et s’il a été exploité.

[130] C’est à la Commission qu’incombe le fardeau de prouver les trois éléments de l’exploitation :

A. la vulnérabilité de monsieur Duhaime;

B. la position de force des défendeurs vis-à-vis monsieur Duhaime et;

38 Id., par. 23. 39 RLRQ (C.c.Q.). 40 Vallée, , préc., note 37, par. 24. 41 Id., par. 41. 42 Id., par. 46.

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C. la mise à profit de cette position de force à l’encontre des intérêts de monsieur Duhaime43.

A. La vulnérabilité de monsieur Duhaime

[131] Dans la présente affaire, il n’y a naturellement aucun débat concernant le fait que monsieur Duhaime, âgé de 87 ans en 2003, était une personne âgée. La prétention des défendeurs est plutôt à l’effet que malgré son âge, il ne constituait pas une personne vulnérable.

[132] Il est vrai que l’âge avancé d’une personne ne crée aucune présomption de vulnérabilité. De nos jours, bon nombre de personnes âgées demeurent au contraire très actives, autonomes et d’une vivacité d’esprit que l’âge n’a en rien altérée. Mais pour d’autres, différents facteurs jouent un rôle et contribuent effectivement à les rendre vulnérables. Il n’y a qu’à penser, entre autres, à la maladie, aux déficits physiques et cognitifs, au décès du conjoint et aux conséquences parfois dévastatrices de celui-ci tel l’isolement, l’insécurité, la détresse émotive et la fragilité psychologique44.

[133] Dans le présent dossier, monsieur Duhaime était un érudit aux champs d’intérêts multiples et, jusqu’au décès de son épouse, un homme comblé par la vie. Tous les témoins qui ont connu le couple Duhaime-Juan confirment qu’ils ont vécu en symbiose et qu’ils formaient, depuis plus de 34 années, un couple heureux.

[134] Ils s’entendaient bien et chacun avait ses forces. Celles de monsieur Duhaime n’étaient toutefois pas dans la gestion des affaires financières du couple ni même dans l’organisation de leur quotidien. Ce domaine était celui de feu Suzanne Juan qui voyait aux achats courants, à l’organisation des voyages, à l’épicerie et à la gestion des finances du couple. En cela, monsieur Duhaime était dépendant de son épouse et le couple Satgé le savait très bien.

[135] Les circonstances entourant le décès de madame Juan et l’accident dont monsieur Duhaime a lui-même été victime permettent de comprendre l’ampleur de sa peine et de son désarroi. C’est un drame d’une rare intensité qu’a vécu monsieur Duhaime et la preuve établit clairement sa grande tristesse, la lourdeur du deuil qui l’accable à son retour au Québec ainsi que son isolement des membres de sa famille.

43 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gagné, 2002 CanLII 6887, par.

91 (QC T.D.P.) (Gagné). Voir aussi les paragraphes 79-93 et 95-98. 44 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Jean, 2016 QCTDP 1, par. 60

et 61 (Jean).

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[136] Ainsi, suite à ce décès, aux circonstances de celui-ci et à ses conséquences, cet homme meurtri et peu attaché à l’argent est clairement une personne vulnérable : c’est tout son univers qui, en quelques mois, s’écroule.

B. La position de force des défendeurs vis-à-vis monsieur Duhaime

[137] Le couple Satgé est bien au fait de la grande vulnérabilité de monsieur Duhaime et même de sa soudaine dépendance envers eux. Ils savent qu’il est non seulement abattu, mais également dépassé par les questions financières, dont celles qui découlent du décès de son épouse. Mais surtout, ils sont conscients qu’il leur fait une confiance aveugle parce qu’il les perçoit comme ses véritables amis.

[138] Lorsqu’il est suffisamment rétabli physiquement, c’est madame De Vries qui se rend en France et le raccompagne pour son retour à Trois-Rivières. Monsieur Duhaime est alors âgé de 87 ans, en deuil, profondément triste et pleure fréquemment. L’homme qui revient avec madame De Vries en octobre 2003 est brisé par son malheur et celle-ci en est très consciente.

[139] À titre d’amie de longue date de son épouse, madame De Vries lui promet de s’occuper de lui et pour monsieur Duhaime, il est certain que cette présence le rassure. Quant à monsieur Satgé, il est l’ami, le frère, celui qui le rassure et qui, du même souffle, le rend encore plus vulnérable parce qu’en totale confiance.

[140] Cette confiance est d’ailleurs à la base de la stratégie du couple afin d’exploiter monsieur Duhaime. Elle leur permettra d’abuser de sa crédulité et de systématiquement le contrôler, le manipuler et enfin, de détourner selon leur bon vouloir tout son patrimoine. Leur position de force et leur emprise sur monsieur Duhaime apparaissent d’ailleurs à peine deux mois après son retour au Québec.

[141] En effet, dès le 10 décembre 2003, madame De Vries accompagne monsieur Duhaime pour l’ouverture de comptes bancaires et obtient un mandat bancaire sur ceux-ci ainsi qu’une carte lui donnant accès aux comptes et au coffret de sûreté.

[142] Ensuite, peu de temps après, le 30 décembre 2003, monsieur Duhaime révoque son testament fait en 1990. Il rédige un testament olographe par lequel il lègue tout ce qu’il possède à Alain Satgé et Liliane De Vries. Il signe un nouveau testament au même effet devant témoins le 5 janvier 2004. Certainement que pour eux, ce deuxième testament devant témoins était plus crédible que le testament olographe.

[143] Le 16 janvier 2004, monsieur Duhaime donne une procuration en faveur de madame De Vries à la BMO pour qu’elle puisse s’occuper de la gestion de ses finances. De plus, elle le représente pour le règlement de la Succession Juan. Ainsi, par leur influence auprès de monsieur Duhaime, madame De Vries et monsieur Satgé sont en contrôle de tout ce qui touche aux finances de monsieur Duhaime et à celles de la Succession Juan.

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[144] En fait, non seulement madame De Vries obtient carte blanche pour accéder directement à toutes ses affaires et à celles de feu madame Juan, mais de plus, parallèlement à tout cela, le couple Satgé met en place ce dont il a besoin afin d’exercer une emprise totale sur monsieur Duhaime. Ils alimentent sa colère et sa crainte tant envers sa famille qu’envers Georges Bedos.

[145] Concernant sa famille, monsieur Duhaime était déçu que personne ne se soit présenté en France pour les funérailles de son épouse. Le couple Satgé le savait et il leur a été facile de prendre avantage de cette déception afin de l’isoler de sa famille et même de le soulever contre celle-ci. Il n’y a qu’à se rappeler les réactions de monsieur Duhaime lors de sa rencontre avec madame Bergeron et à son arrivée pour le 1er examen avec la Dre Lavoie. Ces exemples sont assez révélateurs du conditionnement très négatif exercé sur lui par les défendeurs concernant sa famille.

[146] Quant à sa crainte de monsieur Bedos concernant les actifs de la succession de Suzanne Juan au Canada, madame De Vries mentionne que monsieur Duhaime avait peur d’un litige avec Georges concernant ces actifs, dont la maison de Trois-Rivières.

[147] Elle témoigne d’une inimitié sérieuse entre monsieur Duhaime et Georges, les deux seuls héritiers de madame Juan. Cette affirmation n’est toutefois corroborée d’aucune manière et elle est d’autant plus curieuse que monsieur Bedos négocie le règlement de la succession de sa mère en quelques mois, délai qui n’annonce habituellement pas un conflit entre des héritiers.

[148] Madame De Vries témoigne que c’est monsieur Duhaime qui lui a volontairement caché des informations concernant certains actifs de Suzanne Juan au Canada. Selon elle, il aurait volontairement triché afin d’induire en erreur monsieur Bedos. Il aurait même insisté pour qu’elle « ferme sa gueule ». Ainsi, à l’en croire, c’est monsieur Duhaime qui a tout orchestré afin de faire main basse sur l’argent de la succession Juan au Canada. C’est toujours cette crainte qui fait qu’il exige de plus qu’elle se rende à la banque à répétition afin de retirer d’importantes sommes d’argent comptant qu’elle dit lui remettre.

[149] Cette version est-elle crédible? À la lumière de ce que démontre l’expertise comptable, absolument pas. Cette version établit toutefois comment le couple Satgé s’y est pris pour arriver à ses fins.

[150] En fait, l’homme que décrit madame De Vries n’est en rien l’Albany Duhaime décrit par tous les autres témoins entendus : instruit, cultivé, religieux, conteur et surtout, peu intéressé par l'argent.

[151] L’expertise de madame Senneville45 révèle que c’est le 27 janvier 2004 que la BMO dépose au compte de la Succession les placements de près de 172 000 $ que 45 Pièce P-10A, page 10.

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madame Juan possédait à son décès. Manifestement, quelqu’un a donné des instructions et a fait le nécessaire pour que cette transaction survienne. Cette personne connaissait donc, avant cette date, l’existence de ces placements.

[152] Or, c’est le 16 janvier 2004 que madame De Vries devient mandataire de monsieur Duhaime à la BMO. Ainsi, la preuve prépondérante est à l’effet qu’il est beaucoup plus probable que ce soit madame De Vries qui donne à la BMO les instructions pour le transfert des placements de madame Juan que monsieur Duhaime, lequel était déjà, à ce moment, sous l’emprise totale du couple Satgé.

[153] Ainsi, lorsque le mandat de régler la succession est confié le 24 février 2004 à madame De Vries46, elle était déjà informée de l’existence et des avoirs de madame Juan et de ceux de monsieur Duhaime à la BMO. Donc, lorsqu’elle négocie et finalise les modalités du partage conclu le 13 mars 200447, c’est elle qui cache des informations, pas monsieur Duhaime.

[154] D’ailleurs, lorsque monsieur Duhaime affirme à l’enquêteur de la Commission, en juin 2010, qu’il n’a rien reçu de la Succession Juan, sauf sa maison de Trois-Rivières, c’est parce que c’est exactement ce que le couple Satgé lui avait dit. C’est donc qu’il n’a jamais su pour les placements que détenait son épouse au Canada au moment de son décès.

[155] Le Tribunal ne croit pas que c’est monsieur Duhaime qui a caché quoi que ce soit à monsieur Bedos, mais bien madame De Vries. Si le montant des placements de madame Juan n’a pas été dévoilé à monsieur Bedos, c’est que le couple Satgé avait manifestement d’autres visées concernant les avoirs de madame Juan au Canada.

[156] Ainsi, l’explication de madame De Vries pour justifier la décision de monsieur Duhaime de liquider tous ses avoirs en argent comptant ne tient pas la route.

[157] De plus, lorsque monsieur Duhaime se plaint que la BMO pige dans son compte, c’est parce qu’il ignore manifestement que c’est le couple Satgé qui le fait, et ce, depuis plusieurs années. Il ignore également qu’il ne reste rien de ses propres placements à la BMO.

[158] On comprend aisément que l’ensemble des opérations visant l’obtention de procurations, de révocation de testament, de rédaction de testaments sous deux formes, d’ouverture de multiples comptes bancaires, de nombreuses transactions entre ces divers comptes et de retraits au comptoir en argent comptant ne sont pas le fait d’un homme en deuil qui pleure le décès de son épouse survenu depuis quelques mois et qui n’a pas d’intérêt pour les questions financières.

46 Pièce P-20.5, page L-46. 47 Pièce P-19 (2e partie, index 22-13).

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[159] Ce sont les gestes d’un homme vulnérable qui les pose parce que les personnes censées l’aider les lui recommandent. Il ne pose pas de questions non seulement parce qu’il est vulnérable, mais surtout parce qu’ils sont ses seuls amis et qu’ils ont toute sa confiance.

[160] À la lumière de la preuve comptable non contredite qui sera plus amplement analysée ci-après, il y a lieu de conclure que les défendeurs, avant même le règlement de la Succession Juan, avaient décidé de ce qu’il adviendrait des avoirs du couple Duhaime-Juan au Québec. Ils voulaient se les approprier et c’est pour cela que dès décembre 2003, ils posaient les premiers jalons qui leur permettraient d’atteindre cet objectif.

[161] Madame De Vries n’a pas été, comme elle l’a soutenu, l’instrument des décisions prises par monsieur Duhaime. Elle a plutôt été celle par qui, avec la complicité de son conjoint, cette fraude monumentale a pris forme, et ce, dans le seul intérêt des défendeurs, des autres membres de leur famille et de Scoobyraid.

[162] Le Tribunal n’accorde donc aucune crédibilité au témoignage de madame De Vries concernant sa version des sorties des fonds des comptes bancaires de monsieur Duhaime.

[163] Ceci étant, la preuve révèle clairement qu’Alain Satgé et Liliane De Vries, tant à titre personnel qu’à titre de dirigeants de Scoobyraid48, étaient bel et bien en position de force à l’égard de monsieur Duhaime. Ils avaient une réelle emprise sur lui et ils lui ont fait craindre sa famille et monsieur Bedos dans le seul but de le manipuler et de s’approprier la presque totalité de son patrimoine. La « pichenotte » de madame De Vries à l’oreille de monsieur Duhaime et sa réaction sont éloquentes concernant l’énorme ascendant qu’elle exerçait sur lui.

C. La mise à profit de cette position de force à l’encontre des intérêts de monsieur Duhaime

[164] Revenons sur les constats éloquents qu’effectue l’experte Senneville dans son rapport49. Son témoignage principal s’est avéré très crédible et son contre-interrogatoire n’a pas affaibli la portée de son analyse. Le résultat de celle-ci est à l’effet que les retraits inappropriés des différents comptes de monsieur Duhaime ainsi que le don de sa propriété totalisent 1 058 113,22 $. Sans compter la propriété de la rue Jean-Talon, c’est plus de 950 000 $ en argent dont il est question.

48 Requête pour mesures d’urgences du 15 juin 2010, Pièce R-3 en liasse, Le Registraire des

entreprises, système CIDREQ : Alain Satgé : administrateur et président; Liliane Satgé De Vries : administrateur et secrétaire trésorier.

49 Pièces P-10A, P-10C et P-10D, les Annexes de 1 à 28 et les pièces justificatives.

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[165] Les procurations obtenues par madame De Vries, l’obtention d’un chéquier de monsieur Duhaime et des cartes de débit pour ces comptes donnaient au couple Satgé un accès total aux liquidités de monsieur Duhaime.

[166] Madame De Vries ne nie même pas son implication directe pour les retraits à ces deux comptes. À cela, ajoutons les dépenses pour la famille Satgé et les montants utilisés pour Scoobyraid. Pour justifier ces dépenses, elle fait valoir qu’il voulait les « gâter » et « (les) faire profiter de la vie ». Or, la preuve prépondérante a plutôt révélé que ce sont les Satgé qui voulait se « gâter » et « profiter de la vie » en abusant de leur « ami » à un point tel que lors de leur arrestation, il restait moins de 5 000 $ dans le compte de banque de monsieur Duhaime.

[167] Les sorties de fonds en argent comptant sont importantes tant par leur nombre que par les sommes retirées. Pour la grande majorité des retraits, l’expertise comptable mentionne qu’il a été impossible d’identifier clairement la destination de l’argent50. Pour le compte de la Caisse populaire51, une de somme 484 780 $ en argent comptant a été retirée par carte de débit : 445 059,86 $ par retraits au comptoir et 39 720 $ par guichet automatique. Dans le cas du compte BMO (8207-132 )52, un total de 78 000 $ en argent comptant a été retiré par Liliane De Vries. Pour le compte BMO (8095-097)53, des retraits de 66 593 $ ont été effectués, dont 36 000 $ au comptoir par madame De Vries et 13 593 $54 au guichet automatique.

[168] Un commentaire s’impose concernant ces importants retraits d’argent au comptoir pour les comptes mentionnés ci-dessus.

[169] Il est pour le moins surprenant que des institutions financières permettent qu’un mandataire puisse retirer en argent comptant, au comptoir, des sommes aussi importantes. Cela l’est d’autant plus lorsque le détenteur du compte est une personne âgée. Comment permettre de tels retraits sans, à tout le moins, s’interroger sur l’exploitation possible de cette personne?

[170] Rappelons que l’article 48 de la Charte précise clairement et sans ambigüité que toute personne âgée a droit d’être protégée contre toute forme d’exploitation. Lorsqu’une institution financière constate une situation manifestement très inhabituelle concernant les avoirs d’une personne âgée, elle a certainement un rôle à jouer pour que le droit reconnu par la Charte à son client soit protégé.

50 Seulement quelques retraits au comptoir ont été suivis de dépôt en argent comptant dans des

comptes appartenant aux Stagé. (Pièce P-10A, p. 25). 51 Compte numéro 70890 à la Caisse populaire de Trois-Rivières, pièce P-10A, p. 12 et Annexe 8. 52 Compte numéro 8207-132 à la Banque de Montréal, pièce P-10A, p.11 et Annexe 7. 53 Compte numéro 8095-097 à la Banque de Montréal, pièce P-10A, p. 24 et Annexe 9. 54 Des frais sont parfois ajouté aux sommes retirées d’une autre institution bancaire.

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[171] Ainsi, lorsque le mandataire d’une personne âgée de 87 ans retire plusieurs centaines de milliers de dollars au comptoir, en argent comptant, et ce, sur une période de quelques mois, il s’agit là d’une situation manifestement très inhabituelle qui mérite, à la lumière de l’article 48 de la Charte, des actions appropriées et judicieuses au regard des circonstances.

[172] L’expertise révèle également que monsieur Duhaime, qui n’avait eu, jusqu’en décembre 2003, qu’un seul compte de banque se retrouve avec six comptes : deux comptes de succession pour son épouse décédée, deux comptes personnels en plus du sien à la BMO (plus un coffret de sûreté) et un compte à la Caisse populaire. De l’avis de l’experte Senneville, monsieur Duhaime n’avait pas besoin d’ouvrir tous ces comptes.

[173] L’Annexe 3 du rapport d’expertise comptable expose par un tableau les mouvements d’argent entre les comptes ouverts au nom de monsieur Duhaime, ceux de la Succession Juan et les comptes des défendeurs. Selon madame Senneville, si monsieur Duhaime souhaitait retirer de l’argent, il n’avait qu’à le faire à partir de son compte bancaire existant.

[174] Elle explique que certains des comptes bancaires ouverts par madame De Vries au nom de monsieur Duhaime sont des comptes de transition. Elle précise que le but de l’ouverture de tels comptes est de vider le compte existant de monsieur Duhaime en brouillant les pistes. À cet égard, aucun témoin en défense n’a contredit cette affirmation ou les autres explications fournies par madame Senneville.

[175] En ce qui concerne la décision de monsieur Duhaime de liquider ses placements chez Nesbitt Burns, quel était son intérêt à lui de le faire ? Le Tribunal n’en voit aucun. La situation est toute autre concernant les défendeurs. En liquidant ces placements, ils pouvaient utiliser le stratagème décrit par l’experte Senneville afin de brouiller les pistes, cacher les opérations au regard de monsieur Duhaime et finalement faire main basse sur ceux-ci.

[176] Dans les faits, qu’est-il arrivé ? Des quatre chèques de 107 733 $ préparés par Nesbitt Burns pour fermer le compte, deux sont déposés dans les comptes de transition, dont la finalité sera de dépouiller monsieur Duhaime de ses avoirs. Le troisième est déposé directement dans le compte des Satgé à la Banque Nationale. Quant au quatrième chèque, il transite par un compte de monsieur Duhaime à la BMO. De ce compte, 183 000 $ sont ensuite versés au compte de transition de la Caisse populaire55.

[177] L’objectif des Satgé de s’approprier la totalité de la valeur des placements de monsieur Duhaime chez Nesbitt Burns a été atteint, et ce, à l’insu de celui-ci. La même 55 Voir l’Annexe 3 de la pièce P-10A. Une version couleur a également été déposée en preuve comme

pièce P-10D.

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conclusion s’impose d’ailleurs concernant les placements que détenait madame Juan à la BMO.

[178] Bien que madame De Vries mentionne que monsieur Duhaime lui a donné l’un des chèques de 107 733 $ pour son bénéfice personnel, il n’y a pas lieu d’accorder foi à cette prétention comme au reste de son témoignage. S’il avait vraiment voulu donner un montant à madame De Vries, il lui aurait fait un chèque. De plus, nous discuterons ultérieurement de ce que monsieur Duhaime considérait un « cadeau ».

[179] D’autre part, comme le rappelait la Cour d’appel dans Solomon56, un jugement rendu dans une affaire criminelle portant sur les mêmes faits, constitue un fait juridique important que le Tribunal ne peut ignorer. Or, tant monsieur Satgé que madame De Vries ont été trouvés coupables des accusations criminelles qui pesaient contre eux alors que le fardeau de la preuve était plus exigeant que celui devant le Tribunal.

[180] Le Tribunal conclut que la Commission a prouvé la mise à profit par les défendeurs de leur position de force à l’égard de monsieur Duhaime. Cette position et leurs manœuvres illégales leur ont permis de détourner à leur profit la presque totalité des actifs de monsieur Duhaime.

[181] En ce qui concerne l’implication de monsieur Satgé dans l’exploitation de monsieur Duhaime, y a-t-il lieu de nuancer celle-ci par rapport à celle de madame De Vries, comme le soutient leur avocat?

[182] La preuve révèle que les Satgé forment un tandem dans lequel chacun collabore, à sa façon, à l’objectif de dépouiller monsieur Duhaime de ses avoirs.

[183] Monsieur Satgé décrit son épouse comme celle qui s’occupe non seulement de la gestion et des questions financières du couple, mais également comme celle qui assumait l’administration de leurs commerces. La preuve a révélé que son rôle à l’égard de monsieur Duhaime a été de mettre en place le stratagème financier requis afin de s’approprier ses actifs.

[184] Il est certain qu’Alain Satgé est bien informé des agissements de son épouse à l’égard de monsieur Duhaime et de l’objectif ultime poursuivi. C’est d’ailleurs lui qui confirme que son épouse accompagne monsieur Duhaime lors du retrait de ses 430 932,28 $ de chez Nesbitt Burns.

[185] De plus, dans le jugement de la Cour du Québec précité, madame la juge Tremblay relate, au paragraphe 262 de son jugement, l’aveu judiciaire de madame De Vries concernant sa relation avec monsieur Satgé :

56 Solomon c. Québec (Procureur général), 2008 QCCA 1832. Voir aussi : Ascenseurs Thyssen

Montenay inc. c. Aspirot, [2008] R.J.Q. 28 (C.A.) ; Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7e éd., t. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, n° 1-80.

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[262] Selon le témoignage de son épouse, ils partagent tout depuis 50 ans; leur argent est mis en commun. Elle ajoute « Alain et moi, c’est pareil ».

[186] Au surplus, c’est Alain Satgé qui dépose régulièrement des sommes d’argent comptant dans le compte de La Fougasserie et dans celui de Scoobyraid57. Il est impensable de croire qu’en pareilles circonstances, il ne savait pas d’où provenaient les fonds ni ce que sa conjointe faisait pour les obtenir.

[187] Conséquemment, le Tribunal conclut que monsieur Satgé est le complice de madame De Vries et que c’est ensemble qu’ils ont planifié l’exploitation de monsieur Duhaime. Le Tribunal croit qu’il était non seulement informé de toutes les démarches de son épouse, mais qu’il acceptait et endossait sans restriction la finalité de ces démarches à savoir, l’exploitation de monsieur Duhaime.

[188] En ce qui concerne Scoobyraid, les sommes dont elle a bénéficié, sous forme d’avances de ses dirigeants, totalisent près de 195 000 $ en argent comptant58. Dans le cas de La Fougasserie, Alain Satgé a effectué sept dépôts en argent comptant totalisant plus de 20 000 $59. De plus, 26 500 $ provenant d’un compte appartenant à monsieur Duhaime a été comptabilisé comme avance des administrateurs.

[189] Les défendeurs n’ont fait aucune preuve crédible permettant d’identifier la provenance de ces sommes. Ils n’ont déposé aucune preuve documentaire corroborant leur témoignage, vague à souhait, à l’effet que ce sont des ressources personnelles qu’ils ont utilisées. Si telle était sérieusement leur prétention, il leur revenait d’en faire une preuve prépondérante, ce qu’ils n’ont pas fait.

[190] Dans les circonstances, Scoobyraid, par l’intermédiaire des actes de ses dirigeants, a participé à l’exploitation de monsieur Duhaime en s’appropriant sans droit, sous forme d’avances, de dépenses ou autrement, l’argent de monsieur Duhaime. Vu la preuve effectuée, la responsabilité de Scoobyraid dans l’exploitation de monsieur Duhaime est également engagée.

[191] En conclusion, Liliane De Vries, Alain Satgé et Scoobyraid ont exploité une personne âgée et vulnérable en la personne de monsieur Albany Duhaime, en s’appropriant la quasi-totalité de ses avoirs. Leurs agissements sont d’autant plus répréhensibles lorsque l’on constate, tel que l’établit le rapport de l’experte Senneville, qu’ils ont orchestré de toutes pièces le dépouillement systématique des avoirs d’un ami qui les croyait sincères.

[192] Il y a maintenant lieu de revenir rapidement sur les commentaires de la Commission concernant le rôle de mandataire de madame De Vries ainsi que sur

57 Pièce P-10A, Annexes 23 et 24. 58 Pièce P-10A, page 38 et Annexe 23. 59 Pièce P-10A, page 39, Annexe 24.

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certains arguments qu’ont fait valoir les défendeurs dans le cadre de leurs représentations. Ces sujets seront traités dans l’ordre suivant :

1 le rôle de mandataire de madame De Vries;

2. les écrits disculpatoires qu’allègue le couple Satgé;

3. le fait que le couple Satgé était les héritiers de monsieur Duhaime.

1. Le rôle de mandataire de madame De Vries

[193] Madame De Vries était la mandataire de monsieur Duhaime à la Caisse populaire, à la BMO ainsi que dans le cadre du règlement de la Succession Juan. En acceptant ces divers mandats, elle se devait d’agir non seulement avec prudence et diligence, mais également avec honnêteté et loyauté le tout, dans le meilleur intérêt de monsieur Duhaime60. De plus, madame De Vries devait éviter de se placer dans une situation de conflit entre son intérêt personnel et celui de monsieur Duhaime.

[194] S’il était vrai que monsieur Duhaime souhaitait liquider ses actifs de la façon décrite par madame De Vries, ce que le Tribunal ne croit pas un seul instant, pourquoi, en tant qu’amie et mandataire n’est-elle pas intervenue et l’a-t-elle laissé faire?

[195] Permettre à monsieur Duhaime de dilapider son argent sans intervenir constitue une violation élémentaire de ses obligations de mandataire. Cela est même impensable considérant que monsieur Duhaime avait préparé un testament les nommant héritiers. Pourquoi, en pareil cas, rester impassible alors que monsieur Duhaime dilapide systématiquement sous leurs yeux ce qui pourrait, à son décès, devenir leur patrimoine?

[196] D’autant plus que madame De Vries et monsieur Satgé considéraient monsieur Duhaime, ont-ils dit, respectivement comme un père et comme un frère. Si tel avait été vraiment le cas, pourquoi seraient-ils demeurés passifs et auraient-ils négligé de le protéger d’agissements dépourvus de tout bon sens et de toute logique?

[197] En fait, quand on aime vraiment une personne que l’on dit considérer comme un membre de sa famille, on la protège tout autant des autres que d’elle-même. C’est d’ailleurs l’obligation énoncée spécifiquement au 2e alinéa de l’article 48 pour les membres de la famille de la personne âgée vulnérable ou ceux qui en tiennent lieu :

Telle personne a aussi droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu.

60 Voir l’article 2138 C.c.Q.

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[198] Force est de constater, que madame De Vries à titre de mandataire, ainsi qu’elle et son conjoint à titre de personnes qui tenaient lieu de sa famille, ont fait systématiquement le contraire de ce que la loi leur dictait de faire à l’égard de monsieur Duhaime. Conséquemment, en contrevenant à leurs obligations légales, tant madame De Vries que le couple Satgé ont démontré que leurs véritables intentions étaient d’exploiter monsieur Duhaime.

2. Les écrits disculpatoires qu’allègue le couple Satgé

[199] Le couple Satgé allègue que différents documents manuscrits préparés par monsieur Duhaime en 2009 et en 2010 établissent que ce dernier était d’accord avec leurs agissements.

[200] Selon le Tribunal, loin de ratifier les actes des Satgé-De Vries, ces documents démontrent l’importante manipulation dont monsieur Duhaime a été victime de leur part. Et même en tenant pour acquis que monsieur Duhaime est réellement le signataire de ces documents, le Tribunal n’accorde à ceux-ci aucune valeur probante.

[201] La proximité entre les dates de rédaction de ces documents et certains événements portés à la connaissance du couple prouve que ces documents ont été préparés dès que les défendeurs ont commencé à soupçonner que leurs agissements répréhensibles étaient sur le point d’être découverts.

[202] De plus, la preuve établit que monsieur Duhaime ignorait totalement l’ampleur des sommes détournées au bénéfice du couple Satgé, de leur famille ou de Scoobyraid. Il n’a donc pu consentir valablement à des quittances rédigées en des termes vagues de façon à inclure subtilement et sans qu’il en soit conscient les montants considérables qu’ils se sont appropriés.

[203] Ces documents ne sont donc pas disculpatoires mais au contraire, ils font ressortir l’ampleur de l’emprise qu’exerçait le couple Satgé sur monsieur Duhaime.

3. Le fait que le couple Satgé était les héritiers de monsieur Duhaime

[204] Selon les défendeurs, parce qu’ils étaient les héritiers de monsieur Duhaime, il était normal qu’il leur fasse les cadeaux importants qu’ils soutiennent avoir reçus de lui.

[205] Le Tribunal ne croit pas, à la lumière des agissements répréhensibles des défendeurs, que les diverses dépenses des Satgé et de Scoobyraid ont été des « cadeaux » de monsieur Duhaime.

[206] L’appropriation de ces fonds par cartes de crédit, par chèque ou par carte de débit démontre, tel que l’a d’ailleurs mentionné monsieur Duhaime aux enquêteurs et au personnel de la BMO, qu’il ignorait l’existence même de ces sorties de fonds. Il ne s’agit donc pas de cadeaux mais bien d’appropriation illégale des biens d’autrui.

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[207] La preuve révèle toutefois certains cadeaux faits par monsieur Duhaime, tel celui à Alain Satgé. Lorsqu’il se montre généreux avec son ami Alain à l’occasion de son anniversaire, c’est un chèque de 1 000 $ qu’il lui donne.

[208] Ce chèque démontre ce qu’il considérait être un gros cadeau à un ami sincère. Il en est de même d’un prêt de 12 000 $, prêt que son ami ne lui a d’ailleurs jamais remboursé. Ce cadeau d’anniversaire et le montant du prêt suggèrent que monsieur Duhaime était généreux soit, mais pas au point de dilapider ses biens en cadeaux multiples comme le prétendent les défendeurs.

[209] Finalement, malgré le fait qu’ils aient pu se considérer héritiers en vertu d’un testament qu’ils ont fait signer à monsieur Duhaime, les Satgé n’avaient strictement aucun droit à l’égard des avoirs de monsieur Duhaime de son vivant. Comme mentionné précédemment, en tant que personnes qui tenaient lieu de famille, ils devaient l’aider, le protéger et assurer sa sécurité de manière à ce qu’il puisse bénéficier du droit fondamental que lui garantit la Charte à l’article 6 qui se lit ainsi :

6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

[210] Ainsi, l’amitié des Satgé envers monsieur Duhaime n’aura été qu’un leurre. Ils le remerciaient avec le sourire pour certains cadeaux et en même temps, le dépouillaient systématiquement de tous ses avoirs. En fait, les Satgé étaient totalement indignes de l’amitié que leur portait monsieur Duhaime.

2e Question : Par la même occasion, les défendeurs ont-ils compromis le droit de monsieur Duhaime à la sauvegarde de sa dignité sans discrimination fondée sur l’âge, contrevenant ainsi aux articles 4 et 10 de la Charte?

[211] La Commission soutient que les défendeurs ont compromis le droit de monsieur Duhaime à la sauvegarde de sa dignité, sans discrimination fondée sur l’âge.

[212] Avant d’aborder cette prétention, il y a lieu de bien comprendre la place de la dignité humaine dans l’élaboration des droits fondamentaux en la situant, dans un premier temps, dans le cadre plus général de divers textes internationaux et, par la suite, dans celui de la Charte.

[213] De nombreux textes internationaux réfèrent en effet à la notion de dignité humaine en tant que valeur qui sous-tend les droits fondamentaux qui y sont garantis. Elle n’y est cependant pas abordée comme un droit fondamental en tant que tel.

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[214] Le premier et le cinquième paragraphes du préambule de la Déclaration universelle des droits de l’Homme61 énoncent en effet :

Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.

[…]

Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité des droits des hommes et des femmes, et qu'ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande.

[215] Le préambule du Pacte international relatif aux droits civils et politiques62 prévoit également :

Les Etats parties au présent Pacte, considérant que, conformément aux principes énoncés dans la Charte des Nations Unies, la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde, reconnaissant que ces droits découlent de la dignité inhérente à la personne humaine, reconnaissant que, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’idéal de l’être humain libre, jouissant des libertés civiles et politiques et libéré de la crainte et de la misère, ne peut être réalisé que si des conditions permettant à chacun de jouir de ses droits civils et politiques, aussi bien que de ses droits économiques, sociaux et culturels, sont créées, considérant que la Charte des Nations Unies impose aux Etats l’obligation de promouvoir le respect universel et effectif des droits et des libertés de l’homme, prenant en considération le fait que l’individu a des devoirs envers autrui et envers la collectivité à laquelle il appartient et est tenu de s’efforcer de promouvoir et de respecter les droits reconnus dans le présent Pacte,

[…]

(Nos soulignements)

[216] De même, on retrouve dans le préambule du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels63 les références suivantes au principe de dignité humaine :

61 Déclaration universelle des droits de l’Homme, Rés. 217 A (III), Doc. off. A.G. N.U., 3e sess., supp.

n°13, p. 71, Doc. N.U. A/810 (10 décembre 1948). 62 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171 (entré

en vigueur au Canada le 19 mai 1976 et ratifié par le Québec le 1er novembre 1978).

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Considérant que, conformément aux principes énoncés dans la Charte des Nations Unies, la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde,

Reconnaissant que ces droits découlent de la dignité inhérente à la personne humaine,

[217] Dans tous ces textes, la dignité humaine est ainsi reconnue comme étant la source et le fondement des droits et libertés de la personne64. Comme l'écrit l'auteur Christian Brunelle, maintenant juge à la Cour du Québec :

C'est parce qu'elles sont intrinsèquement dignes que l'on doit reconnaître aux personnes humaines des droits et libertés.65

[218] Le Québec ne fait pas exception à cette conclusion et le préambule de la Charte réfère précisément à la notion de dignité comme source et fondement des droits et libertés de la personne. Il y a lieu de reproduire les trois premiers paragraphes de ce préambule :

Considérant que tout être humain possède des droits et libertés intrinsèques, destinés à assurer sa protection et son épanouissement;

Considérant que tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi;

Considérant que le respect de la dignité de l’être humain, l’égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des droits et libertés dont ils sont titulaires constituent le fondement de la justice, de la liberté et de la paix;

[…]

[219] La dignité de l’être humain y est donc énoncée comme une valeur fondamentale et même l’une des assises du droit de chacun à la liberté, à la justice et à la paix. Ce texte du préambule de la Charte constitue ainsi un 63 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, 993

R.T.N.U. 3 (entré en vigueur au Canada le 19 août 1976 et ratifié par le Québec le 21 avril 1976). 64 Édith DELEURY et Dominique GOUBAU, Le droit des personnes physiques, 4e éd., Cowansville,

Éditions Yvon Blais, 2008, p. 180; Roberto ANDORNO, « Article 3 : Dignité humaine et droits de l'homme », dans Henk A.M.J. ten HAVE et Michèle S. JEAN (dir.), UNESCO: la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme, Collection Éthiques, Paris, Ed. UNESCO, 2009, p. 99; Henk BOTHA, « Human dignity in comparative perspective », (2009) 20 Stellenbosch L. Rev. 171; Antonio PELE et Rafael de ASIS ROIG, « Dignité humaine et identité européenne », (2012) 3 Rom. J. Comp. L. 9, 10.

65 Christian BRUNELLE, « La dignité dans la Charte des droits et libertés de la personne : de l’ubiquité à l’ambiguïté d’une notion fondamentale », (2006) 66.5 R. du B. 143, 152 (Hors-série - La Charte québécoise : origines, enjeux et perspectives).

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« guide » susceptible de produire « d'importants effets juridiques » non seulement en facilitant l'interprétation des « termes ambigus » de la Charte québécoise mais en favorisant l'observance des « principes fondamentaux qui sont à la source même des dispositions substantielles » du texte quasi constitutionnel […].66 67

[220] Contrairement aux textes internationaux précités, la Charte ne se limite pas à consacrer la dignité humaine au seul statut de principe fondateur : elle va encore plus loin et édicte que la sauvegarde de cette dignité constitue l’un des droits fondamentaux inséré dans le corpus du premier chapitre, lequel est consacré aux libertés et droits fondamentaux.

[221] Cela confirme que la dignité humaine est d’une telle importance que sa sauvegarde constitue l’un des droits intrinsèques dont parle le premier paragraphe du préambule et qu’assure et garantit l’article 4 de la Charte, qui se lit comme suit :

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

[222] Bien que la sauvegarde de la dignité constitue l’un des droits fondamentaux que garantit la Charte, la notion de « dignité » n'est pourtant pas définie68, ni dans la Charte, ni dans les instruments internationaux cités précédemment69.

[223] Afin de mieux appréhender les contours de ce que constitue la dignité humaine, plusieurs auteurs70 réfèrent à l'interprétation qu'en fait le philosophe Kant :

The modern history of the phrase 'human dignity' in law and ethics, especially in Europe, is more profoundly influenced by the treatment of Immanuel Kant (1724-1804) In Grundlegung zur Metaphysik der Sitten (1785), he wrote (in translation):

But a human being regarded as a person, that is, as the subject of a morally practical reason, is exalted above any price, for as a person (bomo noumenon) he is not to be valued merely as a means to the ends of others or even to his own ends, but as an end in himself, that is, he

66 Id., 155. 67. Voir également concernant la dignité comme valeur transcendante : Commission des droits de la

personne et des droits de la jeunesse c. Transport en commun La Québécoise Inc., 2002 CanLII 9226, par. 31 (QC T.D.P.). Voir aussi, concernant la question de la dignité comme principe interprétatif : H. BOTHA, préc., note 64, 171.

68 C. BRUNELLE, préc., note 65, 147. 69 R. ANDORNO, préc., note 64, à la page 101. 70 Voir notamment : id., à la page 103; C. BRUNELLE, préc., note 65, 149; Michel T. GIROUX,

« Dignité, aide médicale à mourir et volontés contemporaines de la personne en fin de vie », dans S.F.P.B.Q., vol. 378, La protection des personnes vulnérables (2014), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 83, à la page 89.

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possesses a dignity (an absolute inner worth) by which he exacts respect for himself from all other rational beings in the world.71

(Référence omise)

[224] Cette interprétation philosophique exprime une exigence de non-instrumentalisation de l'être humain : ce dernier doit toujours être traité comme une fin en soi et jamais simplement comme un moyen72.

[225] L'expression « dignité humaine » fait ainsi

référence à la valeur intrinsèque de chaque être humain. C'est pourquoi la dignité est, par définition, la même pour tous et n'admet pas de degrés. Elle ne peut être gagnée ou perdue. Cette notion s'appuie sur l'idée que « quelque chose est dû à l'être humain du seul fait qu'il est humain » (Ricoeur, 1988, p. 236; De Koninck, 1995). Cela signifie concrètement que tout individu mérite un respect inconditionnel, quel que soit son âge, son sexe, son état de santé, sa condition sociale ou son origine ethnique, ses idées politiques ou sa religion.73

[226] On retrouve également au paragraphe 40 de la note explicative de l'avant-projet de la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l'homme74 quelques repères afin de préciser la signification de cette notion :

40. Le respect de la dignité humaine découle de la reconnaissance du fait que toutes les personnes ont une valeur inconditionnelle, chacune d’entre elles ayant la capacité de décider de sa destinée morale. Ne pas respecter la dignité humaine pourrait conduire à l’instrumentalisation de la personne humaine.75

[227] Dans l’arrêt Law, la Cour suprême du Canada a ainsi défini la dignité humaine :

La dignité humaine signifie qu'une personne ou un groupe ressent du respect et de l'estime de soi. Elle relève de l'intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle. La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelle qui n'ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne.76

71 Joseph AZIZE, « Human dignity and Euthanasia Law (Australie) », (2007) 9 U. Notre Dame Austl. L.

Rev. 47, 58. 72 R. ANDORNO, préc., note 64, à la page 103. 73 Id., à la page 102. 74 UNESCO, Déclaration universelle de la bioéthique et des droits de l’homme, Doc. off. UNESCO, 33e

sess., Doc. SHS/EST/CIB. 75 UNESCO, Note explicative sur l’élaboration de l’avant-projet d’une déclaration relative à des normes

universelles en matière de bioéthique, réunion d’experts, Doc. off. UNESCO, 2e sess., Doc. SHS/EST/CIB- EXTR/05/CONF.202/2 (4 mai 2005), par. 40. Il convient de préciser que ce document n'a pas de valeur normative.

76 Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, par. 53.

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[228] De plus, ayant à se prononcer sur la dignité de la personne protégée par l'article 4 de la Charte, la Cour suprême, dans l'arrêt Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand (C.S.N.) c. Québec (Curateur public), conclut que cet article

[105] […] vise les atteintes aux attributs fondamentaux de l'être humain qui contreviennent au respect auquel toute personne a droit du seul fait qu'elle est un être humain et au respect qu’elle se doit à elle-même.77

[229] En l’espèce, le Tribunal a déjà conclu que monsieur Duhaime a été victime d'exploitation en violation de l'article 48 de la Charte. Qu’en est-il de son droit à la sauvegarde de sa dignité ?

[230] Comme mentionné ci-dessus en traitant de la dignité humaine, toute personne, qu'elle soit âgée ou non et vulnérable ou non, mérite un respect inconditionnel. Dans le présent dossier, ce droit fondamental de monsieur Duhaime a définitivement été enfreint par l’exploitation dont il a été l’objet de la part des défendeurs.

[231] En effet, comme il en sera traité plus amplement dans l’analyse des dommages, la preuve a révélé que les défendeurs ont fait vivre à monsieur Duhaime une insécurité importante dans le but de le duper et de l’exploiter. Leurs nombreuses et diverses manœuvres visant à s’approprier ses avoirs ont été effectuées sans aucune considération ni respect pour sa dignité humaine. Ils l’ont soulevé contre sa famille, l’ont humilié et rendu inquiet et lui ont menti sur leurs véritables intentions et motivations. Bref, ils n’ont vu en lui qu’une personne qu’ils pouvaient exploiter sans retenue pour facilement s’enrichir.

[232] Rappelons que le cinquième paragraphe du préambule de la Charte énonce que les libertés et droits fondamentaux de la personne y sont affirmés « afin que ceux-ci soient garantis par la volonté collective et mieux protégés contre toute violation ». En cela, lorsque les droits fondamentaux d’une personne sont en péril, ce préambule énonce que la Charte constitue l’instrument juridique exprimant notre volonté collective afin d’assurer une protection adéquate contre toute telle violation.

[233] Or, lorsqu'une personne est âgée ou handicapée et qu’elle est vulnérable, elle est à risque d’être exploitée. C’est pourquoi l’article 48 exprime une volonté solidaire de la collectivité à protéger cette personne contre toute forme d’exploitation et oblige sa famille, ou les personnes qui en tiennent lieu, d’assurer sa sécurité et sa protection.

[234] C'est d'ailleurs en des termes semblables que la professeure Christine Morin traite de la valeur et de la portée de l'article 48 de la Charte :

77 Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand (C.S.N.) c. Québec (Curateur public), [1996]

3 R.C.S. 211, par. 105 (St-Ferdinand). Voir également Commission des droits de la personne c. Centre d'accueil Villa Plaisance, 1995 CanLII 2814, p. 17 (QC T.D.P.).

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Rappelons que le préambule de la Charte fait référence au « bien-être général » et à la garantie des libertés et droits fondamentaux par la « volonté collective ». La Charte exprime et promeut des valeurs sociales jugées fondamentales, notamment la protection des personnes âgées vulnérables. À travers l'article 48, l'État nomme et met en évidence un problème social. Il envoie un signal qui vise à orienter les comportements dans un objectif d'intérêt public. La Charte remplit ainsi une fonction pédagogique en exprimant la désapprobation sociale à l'égard de l'exploitation des personnes âgées. Elle met également en exergue la dimension collective ou d'intérêt public de l'exploitation des personnes aînées.

Soulignons par ailleurs que d'autres droits de la personne âgée, comme de toute personne, sont protégés par la Charte aux articles 1 à 38. Pensons notamment au droit à la vie, à la dignité, à l'intégrité, à la sûreté, à la liberté, à l'égalité sans discrimination fondée sur l'âge, etc. Tous ces droits fondamentaux participent à la fondation du droit à la protection de la personne âgée.78

(Références omises)

[235] Dans cette perspective, et prenant en considération ce qu’est la « dignité humaine », le droit à la protection contre l’exploitation des personnes âgées vulnérables devient le moyen de leur garantir qu'elles seront traitée dans le respect de leur dignité. En cela, l’article 48 de la Charte constitue un droit dont l’objectif précis est d’assurer aux personnes âgées vulnérables qu'elles seront protégées de toute situation d'abus qui se traduirait notamment par une déconsidération, une humiliation ou un manque de respect à leur égard, et ce, afin de leur permettre de vivre dans la dignité.

[236] Ce lien entre l'interdiction d'exploitation des personnes âgées et le respect de leur dignité se retrouve d’ailleurs explicitement énoncé dans plusieurs textes internationaux ou de droit étranger.

[237] Citons, entre autres, l’article 17 des Principes des Nations Unies pour les personnes âgées79, l’article 5 de la Déclaration politique adoptée lors de la Deuxième Assemblée mondiale de Madrid sur le vieillissement80, la section « Recommandation concernant les personnes âgées »81 adoptée par le Conseil de l’Europe, ainsi que http://www.canlii.org/fr/qc/qctdp/doc/2003/2003canlii28651/2003canlii28651.html?result

78 Christine MORIN, « La progression de la Charte québécoise comme instrument de protection des

personnes aînées », dans Le Tribunal des droits de la personne : 25 ans d'expérience en matière d'égalité, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 87, à la page 99.

79 Rés. 46-91, Doc. off. A.G. N.U., Doc. N.U. A/46/91 (16 décembre 1991). 80 Rapport de la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement , Doc. off. A.G. N.U., Doc. N.U.

A/CONF. 197/9 (12 avril 2002). 81Conseil de l'Europe, Comité des Ministres, 518e réunion des Délégués des Ministres, Recommandation

R (94) 9, p. 2 et 3.

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Index=3 - _ftn9#_ftn9l’article 9 de l’Inter-American Convention on Protecting the Human Rights of Older Persons82.

[238] Ainsi, lorsqu’il y a exploitation d’une personne âgée vulnérable, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il y discrimination fondée sur l’âge en vertu de l’article 10 de la Charte. L’article 48 visant, entre autres, à assurer le respect de la dignité des personnes âgées, c’est donc l’exploitation de ces personnes qui est la véritable cause de l’atteinte à leur dignité.

[239] L'auteure Jennifer Stoddart mentionnait à ce sujet qu’« il est difficile d'imaginer comment il peut y avoir une situation de profit abusif d'une personne âgée ou handicapée sans qu'il y ait violation de ses droits fondamentaux »83.

[240] Le Tribunal a d'ailleurs reconnu que des situations d'exploitation exercées par une personne envers une personne âgée ou handicapée, en violation de l'article 48 de la Charte, avaient également porté atteinte au droit à la sauvegarde de la dignité de la victime, protégé par l'article 4 de la Charte84.

[241] À la lumière des considérations mentionnées précédemment et de la preuve qui lui a été présentée, le Tribunal conclut que la dignité de monsieur Duhaime a fait l’objet de nombreuses atteintes sur une période de plusieurs années en raison de son exploitation par les défendeurs lesquels ont, de ce fait, contrevenu à son droit fondamental à la sauvegarde de sa dignité.

3e Question La Succession a-t-elle droit aux dommages matériels, moraux et punitifs réclamés en sa faveur?

A. Les dommages matériels

[242] Traitons, dans un premier temps, du montant des dommages matériels réclamés par la Commission.

82 15 juin 2014, AG OEA/doc.5493/15 corr. 1, 45e sess. 83 Jennifer STODDART, « L'exploitation au sens de l'article 48 de la Charte des droits et libertés de la

personne », dans S.F.P.B.Q., vol. 67, Développements récents en droit familial, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1995, p. 151, à la page 156.

84 Voir notamment : Commission des droits de la personne du Québec c. Brzozowski, 1994 CanLII 1792 (QC T.D.P.) (Brzozowski); Commission des droits de la personne c. Coutu, 1995 CanLII 2537 (QC T.D.P.) (Coutu); Commission des droits de la personne c. Bradette Gauthier, 2010 QCTDP 10 (Bradette Gauthier); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Lajoie, 2016 QCTDP 11 (Lajoie).

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[243] Cette dernière appuie sa réclamation sur l’analyse de la volumineuse preuve documentaire effectuée par l’experte Senneville qui traite précisément des retraits inappropriés réalisés en faveur du couple Satgé, de leur famille et de Scoobyraid.

[244] Lors de son témoignage, l’experte Senneville a expliqué clairement le stratagème mis en place par le couple Satgé et Scoobyraid afin de détourner, à leur profit, les avoirs de monsieur Duhaime.

[245] C’est donc sur la base des conclusions de l’expertise comptable que le Tribunal évaluera le montant des dommages à accorder à la succession de monsieur Duhaime.

[246] Le montant établi pour des retraits inappropriés est de 1 058 113,22 $. Pour en arriver à ce montant, madame Senneville n’a pas tenu compte de transactions douteuses totalisant 75 530,49 $ et a donné au couple Satgé le crédit de remboursements potentiels qu’il aurait effectués au bénéfice de monsieur Duhaime et totalisant 50 604 $.

[247] Dans le montant de ces retraits inappropriés, figure une somme de 91 400 $ représentant la valeur de la donation de la maison de la rue Jean-Talon ainsi qu’une autre de 200 757,23 $ pour des dépenses effectuées au bénéfice de la famille Satgé85. Parmi ces dépenses, les plus importantes sont l’achat du camion Ford (78 727,12 $), les deux transferts de fonds au fils Frank Satgé (45 925,64 $), un voyage en Espagne (22 219,11 $), des rénovations effectuées à la maison des Satgé de Bécancour et des billets d’avion pour la France (1 299,55 $ + 6 607,95 $).

[248] Monsieur Duhaime a signé devant notaire la donation de sa résidence. Il a de plus consenti par écrit au paiement du camion Ford et de certaines dépenses au bénéfice des Satgé. Ainsi, est-il raisonnable de prétendre que ces montants n’ont pas à être inclus dans le montant des dommages réclamés?

[249] La réponse est non. Surtout que dans le présent dossier, la preuve est accablante à l’égard du couple Satgé et de Scoobyraid concernant leur exploitation abusive et intentionnelle de monsieur Duhaime. Leur emprise était d’une telle importance sur monsieur Duhaime qu’ils l’ont systématiquement manipulé non seulement pour obtenir sa résidence, le camion Ford et le paiement de certaines dépenses mais également, et à son insu, la presque totalité de son patrimoine.

[250] Il est certain, en pareil cas, que l’accord de monsieur Duhaime à la donation, à l’achat du camion et au paiement de certaines des dépenses découle clairement de sa vulnérabilité, de la position de force des défendeurs vis-à-vis celui-ci et de leur volonté de mettre à profit leur position de force à l’encontre de ses intérêts.

85 Pièce P-10A, pages 41, 42 et 43.

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[251] En fait, concernant l’état d’esprit de monsieur Duhaime au moment de la donation de sa résidence, c’est le témoignage de madame De Vries qui est le plus éclairant.

[252] Selon elle, monsieur Duhaime craignait de perdre sa maison à cause de Georges Bedos. Or, cette maison avait une grande importance pour lui. Dans ce contexte, le transfert de la maison aux défendeurs s’inscrit dans la même dynamique de peur instaurée par les manœuvres des défendeurs. N’eut été de cette peur et des agissements frauduleux, mensongers et dolosifs des défendeurs, monsieur Duhaime n’avait aucune raison de leur donner sa résidence. S’il l’a fait, c’est parce que les défendeurs le lui ont conseillé.

[253] Ainsi, l’exploitation de monsieur Duhaime par le couple Satgé visait clairement à s’approprier l’ensemble de ses biens, soit en manœuvrant, à son insu, comme cela a été le cas pour la plus grande partie de son patrimoine, soit en le manipulant afin d’obtenir les avantages financiers recherchés. Les deux procédés s’inscrivent dans une seule et même motivation : exploiter une personne âgée vulnérable.

[254] Il y a donc lieu d’accueillir la demande relative aux dommages matériels réclamés par la Commission dont le montant indiqué au mémoire ré-amendé est de 1 052 198,88 $.

B. Les dommages moraux

[255] Lorsque la personne âgée victime d’exploitation est décédée lors du procès, il peut s’avérer difficile d’évaluer les dommages moraux et d’en quantifier la valeur. Rappelons à ce sujet les remarques de la juge Rayle de la Cour d’appel dans l'affaire Bou Malhab :

[62] S'il est moins palpable, il n'en est pas moins réel.

Le dommage moral ou extrapatrimonial est souvent difficile à chiffrer d'une manière exacte ou même approximative.

[…]

Dans tous ces cas cependant, le préjudice est direct certain et réel et doit donc être compensé, même s'il n'existe pas de base scientifique permettant de l'évaluer précisément.

[63] Que le préjudice moral soit plus difficile à cerner ne diminue en rien la blessure qu'il constitue. J'irais même jusqu'à dire que, parce qu'il est non apparent, le préjudice moral est d'autant plus pernicieux. Il affecte l'être humain dans son for intérieur, dans les ramifications de sa nature intime et détruit la sérénité à laquelle il aspire. Il s'attaque à sa dignité et laisse l'individu ébranlé,

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seul à combattre les effets d'un mal qu'il porte en lui plutôt que sur sa personne ou sur ses biens.86

(Référence omise)http://www.canlii.org/canlii-dynamic/fr/qc/qcca/doc/2010/2010qcca172/2010qcca172.html -

_ftn26#_ftn26

[256] Plusieurs situations permettent toutefois de mieux cerner les éléments susceptibles d’affecter la portée des dommages moraux d’une victime. Tel est le cas lorsque celle-ci été isolée de ses proches87, à la merci de l’exploiteur88 qui, par ses agissements, crée ou profite de sa dépendance affective89 ou encore qui la manipule afin qu’elle donne ses biens90.

[257] Ajoutons également les sentiments négatifs vécus par la victime, tels que l’inquiétude, la tristesse, la déception et la peine vécues91, sans oublier la perte de jouissance de la vie, les souffrances psychologiques92 et le stress causé par la situation d’exploitation93.

[258] En somme, les dommages moraux visent à compenser la personne âgée d’avoir été traitée comme un sujet exploitable94 en contravention de ses droits protégés par la Charte95. Il y a lieu également de tenir compte de la gravité de l’atteinte à ses droits dans l’évaluation des dommages moraux.

[259] Les faits de la présente affaire font ressortir une atteinte importante au droit à la sauvegarde de la dignité de monsieur Duhaime et à son droit d’être protégé contre toute exploitation.

[260] Les défendeurs ont fait croire à monsieur Duhaime que c’était sa famille qui constituait pour lui une menace et il les a crus. De plus, l’exploitation dont il a été victime a été insidieuse et vile parce qu’orchestrée de toutes pièces en lui faisant vivre une insécurité dans le but précis de le manipuler. Toute l’histoire concernant Georges

86 Bou Malhab c. Métromedia CMR Montréal inc., 2003 CanLII 47948, par. 62 et 63 (QC C.A.). 87 Vallée, préc., note 37 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Payette,

2006 QCTDP 14. 88 Brzozowski, préc., note 84; Vallée, id. 89 Vallée, id. 90 Bradette Gauthier, préc., note 84. 91 Gagné, préc., note 43. 92 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Venne, 2010 QCTDP 9. Voir

aussi : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Bertiboni, 2009 QCTDP 5, par. 33.

93 Bradette Gauthier, préc., note 84. 94 Id. 95 Brzozowski, préc., note 84; M.C. c. Service d'aide à domicile Bélanger inc., 2011 QCCS 4471; Vallée, préc., note 37; Bradette Gauthier, id.

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Bedos et l’ensemble des manœuvres illégales et déloyales qui en ont résulté ne visait qu’un seul objectif : l’exploiter.

[261] Les informations fausses et trompeuses communiquées à monsieur Duhaime lui ont non seulement fait vivre de l’insécurité mais aussi de l’incertitude, de la crainte, de l’angoisse et de la colère. En cela, les défendeurs n’ont donc eu aucune considération pour la personne humaine qu’il était et ont gravement porté atteinte à sa dignité en ne voyant en lui que l’occasion de s’enrichir à ses dépens, et ce, malgré les droits fondamentaux que lui garantissait la Charte.

[262] Le fait qu’il ignorait, jusqu’en 2010, que ses amis l’exploitaient, ainsi que le fait qu'il était alors devenu inapte, n'ont pas comme conséquence de diminuer la valeur du préjudice moral qu’il a subi ni d'amener le Tribunal à conclure que monsieur Duhaime n’a pas réellement subi d’atteinte à sa dignité ou encore que cette atteinte est de moindre importance vu ces circonstances.

[263] En effet, dans l'arrêt St-Ferdinand, la Cour suprême précise qu'il n'est pas pertinent de tenir compte de l'état ou de la capacité de perception des bénéficiaires de l'hôpital St-Ferdinand, car « en présence d’un document de la nature de la Charte, il est plus important de s’attarder à une appréciation objective de la dignité »96. Tel que l'écrivent également les auteurs Édith Deleury et Dominique Goubau, « [i]ndépendamment de la perception ou de la conscience que l'individu peut avoir de sa dignité, il y a celle qui est inhérente à la condition humaine »97.

[264] Qui plus est, il ressort de la preuve que lorsqu'il a été informé que des fonds avaient été détournés de ses comptes bancaires, il a compris, malgré son inaptitude, que ceux qu’il croyait ses amis avaient profité de manière éhontée de la confiance qu’il avait en eux. Il a été blessé par la découverte de l’arnaque dont il a été victime. Somme toute, il a été attaqué dans ce qu’il avait de plus précieux, soit sa confiance envers des amis de longue date qui lui rappelaient l’époque heureuse vécue avec son épouse qu’il a profondément aimée.

[265] Compte tenu de la preuve effectuée en l’instance, monsieur Duhaime a subi des dommages moraux importants et sa succession est en droit de percevoir une compensation adéquate pour ceux-ci98.

[266] Aux situations aggravantes précitées, ajoutons que les agissements des défendeurs ont été systématiquement planifiés et que leur trahison s’est déroulée sur une période de plusieurs années. Conséquemment, le Tribunal estime qu’il y a lieu d’accorder une somme de 70 000 $ afin de compenser la Succession du préjudice

96 St-Ferdinand, préc., note 77, par. 82 et 108. 97 É. DELEURY et D. GOUBAU, préc., note 64, p. 179. 98 Brzozowski, préc., note 84, p. 1473-1474.

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moral dont a été victime monsieur Duhaime de son vivant et découlant directement de la contravention par les défendeurs aux dispositions des articles 4 et 48 de la Charte.

1. Scoobyraid et la solidarité des défendeurs

[267] La Commission réclame, en regard aux dommages matériels et moraux, une condamnation solidaire de Scoobyraid et des défendeurs en raison de leur implication collective dans l’exploitation de monsieur Duhaime.

[268] La preuve a effectivement démontré que Scoobyraid, en tant que personne morale, par les manœuvres orchestrées par ses dirigeants, a exploité monsieur Duhaime et a porté atteinte à son droit à la sauvegarde de sa dignité. Cette personne morale a clairement pris avantage des ressources financières de monsieur Duhaime soit par les fonds transférés à ses comptes bancaires en provenance de ceux de monsieur Duhaime99, soit par les avances en argent comptant100 provenant, selon la prépondérance de la preuve, également des avoirs de monsieur Duhaime 101. Il y a eu des achats effectués dans la ville d’Alma102 et aussi des mises de fond en argent comptant pour La Fougasserie effectuées par Alain Satgé103.

[269] Bien que les montants dont a bénéficié directement Scoobyraid soient moindres que la somme totale réclamée, il n’en demeure pas moins qu’en matière d’exploitation, c’est la globalité des actions de ceux qui exploitent qui doit être prise en compte. Il est en effet impossible de déterminer laquelle des contraventions au droit de monsieur Duhaime d’être protégé contre l’exploitation a été la plus gravement préjudiciable au respect de ses droits fondamentaux, dont son droit à la sauvegarde de sa dignité.

[270] La violation du droit de monsieur Duhaime d’être protégé contre l’exploitation constitue donc, dans les circonstances du présent dossier, une faute extracontractuelle entraînant la responsabilité solidaire de ses trois auteurs.

[271] L’article 1526 C.c.Q. précise, en effet, que :

1526. L'obligation de réparer le préjudice causé à autrui par la faute de deux personnes ou plus est solidaire, lorsque cette obligation est extracontractuelle.

[272] La Commission, au nom de la Succession, peut donc réclamer la totalité du montant accordé pour le préjudice subi par monsieur Duhaime de tous les

99 Le montant est de 26 500 $. 100 Le montant est de 194 773 $. Voir la pièce P-10A, page 38, Annexe 23. 101 Annexes 3 et 23 de la pièce P-10A. 102 Le montant est de 20 679,79 $. Voir les pages 36 et 37 de la pièce P-10A. 103 Id., page 39, Annexe 24.

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défendeurs104. Conséquemment, Scoobyraid, Lilianne De Vries et Alain Satgé sont solidairement responsables du paiement de la somme de 1 122 198,88 $ à la Succession, soit 1 052 198,88 $ en dommages matériels et 70 000 $ en dommages moraux.

C. Les dommages punitifs

[273] L'octroi de dommages punitifs répond à des objectifs de punition, de dissuasion, et de dénonciation. Les critères devant guider les tribunaux dans l'attribution d'un montant à ce titre sont énoncés à l'article 1621 C.c.Q. :

1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, tout ou en partie, assumée par un tiers.

[274] Ainsi, l’octroi des dommages punitifs ne peut donc excéder ce qui est suffisant pour atteindre les objectifs mentionnés précédemment et doit s'apprécier en tenant compte, notamment, de l'étendue de la réparation à laquelle le défendeur est déjà tenu envers le créancier.

[275] Dans l'arrêt Richard c. Time inc., la Cour suprême écrit qu’une condamnation criminelle est un facteur à prendre en compte dans la décision d’imposer des dommages punitifs :

Finalement, au-delà de l’attribution des dommages-intérêts compensatoires, le tribunal de première instance peut également, dans le cadre de la poursuite civile dont il est saisi, prendre en compte, dans sa détermination du quantum approprié des dommages-intérêts punitifs, les sanctions disciplinaires, criminelles ou administratives déjà infligées au contrevenant pour sanctionner le comportement qui lui est reproché (Whiten, par. 123). Le quantum de dommages-intérêts punitifs octroyés peut donc, dans des circonstances appropriées, être limité parce que ces autres sanctions auraient déjà contribué à l’atteinte de l’objectif de prévention visé par le législateur.105

(Nos soulignements)

104 Voir notamment : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Pigeon, 2002

CanLII 21498 (QC T.D.P.); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 2314-4207 Québec inc. (Resto-bar Le Surf), 2007 QCTDP 9.

105 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265, par. 208.

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[276] Dans une décision récente, le Tribunal écrivait :

Tenant compte de la condamnation prononcée contre la défenderesse par la Cour du Québec, ainsi que du montant de dommages moraux auxquels la défenderesse est condamnée par le présent jugement, le Tribunal considère que la condamnation de la défenderesse à des dommages punitifs doit demeurer symbolique. Le Tribunal fixe donc à 1 $ le montant de ces dommages punitifs, tout en ajoutant qu'ils comportent une valeur de prévention, de dissuasion et de dénonciation aussi grande que si un montant plus élevé avait été retenu.106

[277] La Cour suprême a établi, dans l'arrêt St-Ferdinand, que les paramètres suivants doivent être rencontrés afin de qualifier une atteinte d'illicite et intentionnelle :

En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence. Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.107

[278] Dans le présent dossier, le caractère illicite et intentionnel de l’exploitation de monsieur Duhaime par les défendeurs a été largement établi par l’expertise comptable produite. Celle-ci permet de comprendre clairement que les défendeurs ont posé, en toute connaissance de cause, de nombreux gestes afin d’exploiter systématiquement monsieur Duhaime en s’appropriant ses biens. En agissant ainsi, les défendeurs savaient que leurs agissements étaient fautifs et ils en assumaient les conséquences convaincus qu’ils étaient de ne jamais se faire prendre.

[279] Toutefois, considérant les peines d’emprisonnement de madame De Vries et monsieur Satgé, lesquels ont été condamnés respectivement à quatre et trois années d’emprisonnement, il n’y a ainsi pas lieu d’accorder le montant de 50 000 $ réclamé par la Commission.

[280] Vu ces peines d’emprisonnement et le montant des dommages tant matériels que moraux auxquels sont condamnés madame De Vries et monsieur Satgé, tenant également compte de l’absence de preuve concernant leur situation patrimoniale, le Tribunal fixe à 1 000 $ le montant des dommages punitifs qu’ils devront versés et précise que ce montant répond, vu l’ensemble des circonstances du présent dossier, aux objectifs de prévention, de dissuasion et de dénonciation de leurs agissements.

106 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Rioux, 2014 QCTDP 14. 107 Préc., note 77, par. 121. Appliqué dans Commission des droits de la personne et des droits de la

jeunesse c. Arvaniti, 2013 QCTDP 4, par. 126 et 128.

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[281] Concernant Scoobyraid, celle-ci a aussi largement profité des biens de monsieur Duhaime et elle a été partie prenante à son exploitation. L’imposition de dommages punitifs de 35 000 $ est donc appropriée dans son cas considérant les agissements intentionnels et illicites de ses dirigeants ainsi que les actifs immobiliers dont elle est propriétaire et les mesures d’urgence qui les concernent108.

VI. CONCLUSIONS

[282] Concernant les frais des experts en écriture dont les rapports ont été produits sous les cotes P-11 et P-20.5, il y a lieu que la Commission les assume. En fait, ces rapports n’ont pas servi à l’analyse des faits de l’affaire et de plus, le Tribunal n’a pas tenu compte de l’opinion de l’experte qui a témoigné vu les représentations de la Commission à ce sujet.

[283] Enfin, il y a lieu d’accueillir en partie la demande ré-amendée de la Commission apparaissant au mémoire ré-amendé daté du 26 novembre 2015.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[284] ACCUEILLE en partie la demande ré-amendée;

[285] CONDAMNE solidairement Scoobyraid inc., Alain Satgé et Liliane De Vries Satgé à payer la somme de 1 052 198,88 $ à la succession de feu Albany Duhaime à titre de dommages matériels, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 6 juillet 2011, date de la signification de la proposition de mesures de redressement;

[286] CONDAMNE solidairement Scoobyraid inc., Alain Satgé et Liliane De Vries Satgé à payer la somme de 70 000 $ à la succession de feu Albany Duhaime à titre de dommages moraux, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 6 juillet 2011, date de la signification de la proposition de mesures de redressement;

[287] CONDAMNE Liliane De Vries Satgé à payer la somme de 1 000 $ à la succession de feu Albany Duhaime à titre de dommages punitifs, avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date du jugement;

[288] CONDAMNE Alain Satgé à payer la somme de 1 000 $ à la succession de feu Albany Duhaime à titre de dommages punitifs, avec les intérêts et l’indemnité

108 Voir les États financiers de Scoobyraid inc. déposés à titre de pièces justificatives au soutien du

rapport d’expertise P-10C et le jugement 2014 QCTDP 22 rejetant la requête interlocutoire amendée de Scoobyraid inc. pour obtenir la mainlevée de l’ordonnance rendue par le Tribunal le 23 février 2011.

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additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date du jugement;

[289] CONDAMNE Scoobyraid inc. à payer la somme de 35 000 $ à la succession de feu Albany Duhaime à titre de dommages punitifs avec les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date du jugement;

[290] LE TOUT, avec les frais de justice incluant les frais de l’expertise comptable de Jacinthe Senneville, mais à l’exclusion des frais des rapports d’experts en écriture produits sous les cotes P-11 et P-20.5.

__________________________________YVAN NOLET, Juge au Tribunal des droits de la personne

Me Michèle Turenne Me Maurice Drapeau BOIES DRAPEAU BOURDEAU 360, rue St-Jacques Ouest, 2ième étage Montréal (Québec) H2Y 1P5 Pour la partie demanderesse Me Pierre Gagnon FRADETTE, GAGNON, TÊTU, LE BEL, GIRARD 282, rue Ste-Anne, suite 301 Chicoutimi (Québec) G7J 2M4 Pour les parties défenderesses Dates d’audience :

Les 16 et 17 septembre 2013, les 19, 20, 21 mai, 1er, 2 et 3 juin, 23, 24, 25, 26 et 27 novembre 2015.

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