le temps du sens (estela paskvan)

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Le temps du sens Estela Paskvan Je voudrais vous dire qu’à Barcelone, je participe à l’ enseignement des AE, accompagnée de mes collègues. Il s’agit d’ un séminaire qui a pour thème * Temps et jouissance *. C’est pourquoi j’ai pris comme référence deux séminaires de Lacan, les livres XX et XXI. Pourquoi? Parce que dans ces derniers, on développe d’un côté, la problématique des jouissances et de l’autre, une logique modale qui permet d’ordonner le temps de l’expérience analytique. Ce travail qui se poursuit à Barcelone, aujourd’hui ici et avec vous, me permet plus facilement d’effectuer un retour sur ma propre expérience pour pouvoir dire quelques choses en plus. Dans mon premier témoignage, j’ai parlé de deux tours du dire pendant la derniere analyse ; le premier tour a permis ce que l’on appelle * la traversée du fantasme *, le second, l’acte de conclusion . Aujourd’hui je les aborderai comme deux temps du sens. La croyance que * ça veut dire quelque chose * soutient l’analysant dans sa tâche de déchiffrage, c’est du fait que cette croyance qu’ il s’engage dans la voie du sens. En conséquence il suppose l’ inconscient comme nécessaire, c’est à dire qu’il suppose qu’ * il ne cesse pas de s’écrire *. La surprise du sens arrive souvent avec la signification de la vérité. C’est la raison pour laquelle la passion pour le sens et la passion pour la vérité marchent ensemble, bien serrées dans les bras l’une de l’autre bien que selon Frege, bedeutung et sinn marchent chacun de leur côté. Mais la vérité se dérobe et s’envole comme les oiseaux. Et le sens..., quant à lui, s´enfuit. Par conséquent le * il cesse * du possible témoigne, comme dit Lacan, * de la faille de la vérité *. Cependant l’analysant continue sa tâche encouragé par sa croyance au* ça veut dire *. Dans ce parcours, tout ne se volatise pas, bien sûr ; il reste des significations clefs accrochées à quelques signifiants qui rendent compte des identifications et du sens des symptômes. Mais il faut encore du temps et le plus de temps qu’il faut, révèle ce qui résiste à l’efficace du signifiant, la fonction de l’objet comme partie héterogène au signifiant. C’est la raison pour laquelle * un + a * est la formule qui écrit le temps dans le séminaire * Encore *, et le * Ne cesse pas * de la faille. La construction progressive du fantasme dessine le cadre qui ordonne ces significations. Sa traversée implique un coup sévère à l’Autre. Il se révèle un Autre construit sur la mesure de la jouissance pulsionnelle. Aujourd’hui, je n’insisterai pas sur ce moment de mon expérience car j’en ai déjà parlé à l’occasion de la journée des AE en septembre 2002. Attraper l’axiome, la phrase du fantasme , permet de trouver une signification absolue. Toutes les séries que l’on dispose, s’ordonne à partir de cette dernière, non sans le travail de l’analysant, bien sûr, ce que j’ai appelé à Bruxelles * une logique de conséquences *. Il y a un gain de savoir, sans aucun doute. De quel savoir ? Fondamentalement du savoir sur la jouissance, sur la cause de l’horreur au savoir. C’est pour cela que sur le chemin amorcé avec la croyance au « ça veut dire », le sujet vérifie quelque chose comme * je jouis *, c’est à dire, qu’il opère par là une subjectivation de la pulsion. Il avait confondu le nécessaire de cette dernière avec l’inconscient en tant que possible. Certes, l’axiome du fantasme s’attrape de façon contingente. La phrase, l’énoncé du fantasme, * cesse alors de ne pas s’écrire *. Il peut même arriver que s’ écrive pour le sujet un nom de jouissance, le nom du fantasme. Mais sur ce point Lacan a indiqué qu’il est nécessaire de considérer le contingent dans son rapport à

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Page 1: Le Temps Du Sens (Estela Paskvan)

Le temps du sens

Estela Paskvan

Je voudrais vous dire qu’à Barcelone, je participe à l’ enseignement des AE, accompagnée de mes collègues. Ils’agit d’ un séminaire qui a pour thème * Temps et jouissance *. C’est pourquoi j’ai pris comme référence deuxséminaires de Lacan, les livres XX et XXI. Pourquoi? Parce que dans ces derniers, on développe d’un côté, laproblématique des jouissances et de l’autre, une logique modale qui permet d’ordonner le temps del’expérience analytique.

Ce travail qui se poursuit à Barcelone, aujourd’hui ici et avec vous, me permet plus facilement d’effectuer unretour sur ma propre expérience pour pouvoir dire quelques choses en plus.

Dans mon premier témoignage, j’ai parlé de deux tours du dire pendant la derniere analyse ; le premier tour apermis ce que l’on appelle * la traversée du fantasme *, le second, l’acte de conclusion . Aujourd’hui je lesaborderai comme deux temps du sens.

La croyance que * ça veut dire quelque chose * soutient l’analysant dans sa tâche de déchiffrage, c’est du faitque cette croyance qu’ il s’engage dans la voie du sens. En conséquence il suppose l’ inconscient commenécessaire, c’est à dire qu’il suppose qu’ * il ne cesse pas de s’écrire *.

La surprise du sens arrive souvent avec la signification de la vérité. C’est la raison pour laquelle la passionpour le sens et la passion pour la vérité marchent ensemble, bien serrées dans les bras l’une de l’autre ­bienque selon Frege, bedeutung et sinn marchent chacun de leur côté­. Mais la vérité se dérobe et s’envole commeles oiseaux. Et le sens..., quant à lui, s´enfuit.

Par conséquent le * il cesse * du possible témoigne, comme dit Lacan, * de la faille de la vérité *. Cependantl’analysant continue sa tâche encouragé par sa croyance au* ça veut dire *. Dans ce parcours, tout ne sevolatise pas, bien sûr ; il reste des significations clefs accrochées à quelques signifiants qui rendent compte desidentifications et du sens des symptômes. Mais il faut encore du temps et le plus de temps qu’il faut, révèle cequi résiste à l’efficace du signifiant, la fonction de l’objet comme partie héterogène au signifiant. C’est la raisonpour laquelle * un + a * est la formule qui écrit le temps dans le séminaire * Encore *, et le * Ne cesse pas * de lafaille.

La construction progressive du fantasme dessine le cadre qui ordonne ces significations. Sa traversée impliqueun coup sévère à l’Autre. Il se révèle un Autre construit sur la mesure de la jouissance pulsionnelle.Aujourd’hui, je n’insisterai pas sur ce moment de mon expérience car j’en ai déjà parlé à l’occasion de lajournée des AE en septembre 2002.

Attraper l’axiome, la phrase du fantasme , permet de trouver une signification absolue. Toutes les séries quel’on dispose, s’ordonne à partir de cette dernière, non sans le travail de l’analysant, bien sûr, ce que j’ai appeléà Bruxelles * une logique de conséquences *. Il y a un gain de savoir, sans aucun doute. De quel savoir ?Fondamentalement du savoir sur la jouissance, sur la cause de l’horreur au savoir.

C’est pour cela que sur le chemin amorcé avec la croyance au « ça veut dire », le sujet vérifie quelque chosecomme * je jouis *, c’est à dire, qu’il opère par là une subjectivation de la pulsion. Il avait confondu lenécessaire de cette dernière avec l’inconscient en tant que possible.

Certes, l’axiome du fantasme s’attrape de façon contingente. La phrase, l’énoncé du fantasme, * cesse alors dene pas s’écrire *. Il peut même arriver que s’ écrive pour le sujet un nom de jouissance, le nom du fantasme.Mais sur ce point Lacan a indiqué qu’il est nécessaire de considérer le contingent dans son rapport à

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l’impossible, c’est à dire, le contingent * où l’impossibilité se démontre * (1). C’est la démonstration que lepassant fait dans la procédure de la passe car l’axiome du fantasme est en rapport avec l’impossibilité durapport sexuel.

Alors, s’il m’a été possible d’atteindre ce point dans un premier tour d’analyse, je peux me demanderpourquoi j’ai éprouvé le besoin d’entreprendre un deuxième tour ? J’ai déjà rendu compte de ce point ensignalant que * le passage pour vérifier l’inexistence et l’inconsistance de l’Autre n’avait pas épuisé le lientransférentiel avec l’analyste *. Et en effet il y restait bien quelque chose à ôter à travers une opération devidage de jouissance. Cette opération qui a suivi différentes voies, je propose de l’appeler , suivant Lacan:*opération de dé­sens *.

Une de ces voies a consisté à * forcer le sens de la langue *. C’est en effet à ce moment­là que la nostalgie pourle pays délaissé de ma jeunesse, s’est faite ressentir cruellement Il a été nécessaire de vérifier qu’elle était tisséedu sens joui de la langue familière. J’ai déjà parlé de tout cela , je crois avoir montré comment il a éténécessaire de parvenir à séparer le sens de la jouissance noués dans la langue. En séparant le sens, on constatequ’il reste la matière phonique. Si la nostalgie a disparu, ça a été parce qu’à la fin de cette opération, il n’estresté quelques signifiants, qui n’ont aucune signification; ils ne sont ni à comprendre ni à lire.

En dépit de ce que Freud affirmait, le surmoi peut être un personnage très puissant pour les femmes. Cepersonnage est très bruyant et très fidèle, il ne nous abandonne pas facilement. Si la vérité parleoccasionnellement en disant *je *, on entend le surmoi qui dit inlassablement * tu *. Dans mon cas, pour que lavoix de l’Autre puisse se taire, il a fallu passer par la défense construite contre * l’égarement * et * la folie * del’Autre jouissance. Ces significations très lourdes pour moi avaient été révélées mais cela n’empêchait pasqu’elles continuassent à me peser.

Il fallait faire l’expérience de S(A barré). Mais ne l’avais­je pas déjà faite ? Si,indubitablement, j’avais vérifié lemanque de l’Autre et l’objet avec lequel je le comblais, j’avais démonté la scène, il n’en restait pas moins que lefantasme ne peut pas rendre compte de toute la jouissance, surtout quand il se construit en * termes depulsion *. Pour démontrer l’accès à l’Autre du sexe, cette jouissance pulsionnelle ne suffisait pas. C’est laraison pour laquelle, sans le savoir, j’avais déjà cerné la signification de la jouissance énigmatique de * cetteAutre qu’on est à soi­même *.

Mais les significations, y compris la signification absolue du fantasme, devaient cncore se vider su sens. Grâceà quoi un nouveau silence peut régner, qui correspond à un assouplissement de la chaîne du fantasme.

Je crois que dans l’expérience analytique, il y a des temps du sens. Il y a le temps de l’émergence du sens etaussi celui de l’émergence du non­sens. Mais tous les deux, comme l’a si bien souligné Jacques­Alain Miller,ne sont pas mutuellement exclusifs (2). La structure de la métaphore montre le passage du sens dans le non­sens. L’analysant le vérifie dans la tâche de déchiffrage.Par contre, la structure du mot d’esprit se révèle àl’envers : le passage du non­sens dans le sens. C’est seulement dans l’attente d’un sens à venir, un temps desuspens, que l’effet de non­ sens se produit.

Sens et non­sens produisent l’effet de surprise qui révèle sa contingence. Il est vrai qu’il y a des analysantsplus disposés à l’un ou à l’autre. Il y a les chercheurs d’or du sens mais qui n’acceptent pas très bien de se fairesurprendre par le non­sens. En général ils n’ont pas beaucoup d’humour. Il y a aussi ceux qui se plaignent àchaque séance parce qu’ils s’ennuient. Ils demandent : * surprends­moi ! *. Il faut dire qu’en général, ils nesont pas très travailleurs, leur demande à l’analyste est * travaille pour moi ! * Mais quand le non­sens arrive,ils peuvent l’accepter et arriver même à en rire. Cependant, comme nous le savons, toute surprise n’est pastoujours agréable.

Il se vérifie dans l’analyse que le sens et le non­sens vont ensemble tant qu’ils restent noués à la jouissance.Tous les deux concernent la jouissance ; cela se vérifie quand l’effet thérapeutique, en tant que possible, arrive.Dans mon expérience , cela a correspondu à un temps, un tour. Néanmoins je dois préciser que pendant cetemps, il s’est aussi produit une certaine réduction du sens, voire un échec du sens. C’est ainsi que Lacanl’exprime dans son séminaire, quand il définit le signifiant maître de la façon suivante : le signifiant * qui estentre tous les signifiants, ce signifiant dont il n’y a pas de signifié, et qui , quant au sens, en symbolise l’échec *. * C’est –ajoute t­il­ le mi­sens, l’indé­sens par excellence, ou si vous voulez encore, le réti­sens * (3). J’avais en effet déjàdégagé du contenu du savoir inconscient ,quelques­uns de ces signifiants maîtres qui révèlent leur valeurd’identification et de jouissance. Mais cela ne me sortait pas de la place de l’exception.

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Je distingue ce temps de celui que j’appelle, en me servant de Lacan « temps de dé­sens » et qui a prevalu dansle deuxième tour. Ce temps, comme j’ai essayé de le montrer, est une opération de vidage et il se constitue demoments contingents où le sens et la jouissance se séparent.

Si dans * la logique des conséquences * prédomine le * si P, alors Q *, maintenant il s’agit d’introduire unediscontinuité, une séparation entre l’antécédent et le conséquent ; c’est ce qui ressemble à la logique de l’acte.Ce n’est que par l’acte que le moment de conclure a lieu et avec une désubjectivation.

Ce temps a impliqué pour moi, de repasser par S(A barré) mais à la différence du premier tour, je dirais que lecoup sur l’Autre a été plus radical. Le savoir se révèle comme un savoir à inventer ; il n’était pas déjà décidé.À ce sujet , il y a maintenant une autre décision : consentir ou ne pas consentir , dé­sens ou réti­sens.

Ce vidage ne va pas sans restes qu’il s’agisse de signifiants, de lettres ou de noms. Je crois qu’ils fonctionnentcomme des bords du réel. Il reste un savoir sur cette expérience qui est de l’ordre de la certitude et quiconsiste à ce que la faille reste ouverte, bien que nous ne puissions pas toujours rester éveillé. Lacan a dit:*Iln’est sûr qu’on est réveillé que si ce qui se présente et représente est sans aucune espèce de sens * (4).

J’ai dejá parlé d’un souvenir infantile: C’était le titre d’un film * Si je meurs avant de me reveiller *. Il s’agissaitd’ une phrase d’une prière que les enfants disent avant d’aller au lit et qui indiquait le point de l’angoisse.

Quant à moi, je dors comme tout le monde, mais parfois je me réveille. Et de même que tout le monde , pourpeu de temps aussi.

(1) Lacan J., “Introduction à l’edition allemande des Écrits “, “Autres écrits”, Seuil, pag.559

(2) Miller J.­A., Cours “L’orientation lacanienne” (1995­1996),inédit.

(3) Lacan J., Le Seminaire, Livre XX “Encore”, Seuil, pag. 74.

(4) Lacan J., Le Seminaire, Livre XXIV, “L’insu que sait de l’une­bévue s’aile à mourre”,Ornicar? Nro. 17/18,pag. 21.