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1 DOSSIER PEDAGOGIQUE DOSSIER PÉDAGOGIQUE Le Symbolisme en Belgique Dossier pédagogique Art par les textes

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Le Symbolisme en Belgique Dossier pédagogique Art par les textes

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Sommaire I Préambule 2 II Le symbolisme 3- 6 III Le symbolisme en Belgique 7- 9 III Art par les textes 10-28 IV Colophon 29

Préambule Ce dossier pédagogique a été réalisé par EDUCATEAM dans le cadre de l’exposition Le Symbolisme en Belgique qui se déroule du 26 mars au 27 juin 2010 aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Il s’adresse essentiellement aux enseignants et élèves désireux de préparer ou prolonger leur visite à l’exposition. De Rops à Spilliaert, en passant par Khnopff, Delville ou Minne, l’exposition dresse un panorama de la création fin de siècle en même temps qu’elle trace le portrait d’une société en crise. Elle examine aussi la portée d’influences étrangères comme le wagnérisme ou l’art des préraphaélites et intègre également le développement des arts décoratifs et des rapports entre le symbolisme et la littérature particulièrement mis en évidence dans l’exposition. C’est donc dans ce cadre que nous proposons d’aborder dans un premier temps le symbolisme et le contexte général dans lequel il est apparu, de développer ensuite les spécificités du symbolisme en Belgique et d’aborder les rapports littérature et Beaux-Arts dans un dernier chapitre ‘Art par les Textes’. Il s’agit là d’aborder spécifiquement le symbolisme belge par le biais de textes d’auteurs ou d’artistes, textes poétiques, critiques … dans l’esprit des Correspondances initiées à l’époque romantique, exprimées par Baudelaire dans son poème éponyme et développées dans le symbolisme. Nous proposons un simple face-à-face art-textes précédé pour la plupart d’une courte introduction. Certains textes comprennent des parties présentées en gris clair aidant à la compréhension générale

mais ayant moins de rapport avec l’œuvre correspondante. Enfin chaque correspondance est suivie d’une question en rapport avec le texte, l’œuvre ou les caractéristiques du symbolisme auxquelles elle se réfère.

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Le symbolisme∗

Repères et définitions

Pour marquer le début du symbolisme en tant que mouvement, on se réferre habituellement à la parution en 1886 du Manifeste du symbolisme dans le supplément littéraire du Figaro. Dans cet article, Jean Moréas évoque l’existence d’une ‘poésie symbolique’ qui cherche à ‘vêtir l’idée d’une forme sensible’. Le symbolisme est à l’origine considéré comme un mouvement essentiellement littéraire dont Jules Laforgue et Stéphane Mallarmé sont les principaux représentants en France. La Belgique connaîtra également une importante production littéraire symboliste à travers les œuvres de Maurice Maeterlinck, Emile Verhaeren ou Georges Rodenbach. Si Moréas écrit, dans un acte isolé, le Manifeste du symbolisme, c’est à Stéphane Mallarmé que l’on doit, dans sa conception du symbole, la vision la plus proche de ce nouveau langage poétique : ‘Nommer un objet, c’est supprimer les trois-quarts de la jouissance du poème qui est faite du bonheur de deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve. C’est le parfait usage de ce mystère qui constitue le symbole : évoquer petit à petit un objet pour montrer un état d’âme, ou inversement, choisir un objet et en dégager un état d’âme par une série de déchiffrements’ (S. MALLARMÉ, in l’Echo de Paris, 1891) . Les idées symbolistes sont alors véhiculées par les revues littéraires qui se multiplient à l’époque : Le Mercure de France ou Le Symboliste en France; l’Art Moderne et La Wallonie en Belgique. C’est précisément dans une de ces revues que le critique d’art français Albert Aurier donnera une définition du symbolisme appliquée à la peinture et dans laquelle l’œuvre d’art sera :

∗ Ce texte provient du dossier pédagogique consacré à Fernand Khnopff à l’occasion de la rétrospective consacrée au peintre du 16.01 au 9.05.2004 aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.

Géraldine Barbery

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‘premièrement Idéiste, puisque son idéal unique sera l’expression de l’idée; deuxièmement Symboliste, puisqu’elle exprimera cette idée par les formes; troisièmement Synthétique, puisqu’elle écrira ces formes, ces signes, selon un mode de compréhension générale; quatrièmement Subjective, puisque l’objet ne sera jamais considéré en tant qu’objet mais en tant que signe perçu par le sujet; cinquièmement (c’est une conséquence) Décorative, car la peinture décorative proprement dite, (…) n’est rien autre chose qu’une manifestation d’art à la fois subjectif, synthétique, symboliste et idéiste’ (A. AURIER, in Le Mercure de France, 1891).

Art de suggestion, d’idée, de mystère, le symbolisme deviendra un des mouvements les plus importants de la fin du XIXème siècle. Il dépasse largement les frontières de l’Europe et se développe dans de nombreuses disciplines artistiques : théâtre, peinture, poésie, architecture, arts appliqués… Dernier soubressaut du romantisme, le symbolisme y puisera la subjectivité et l’exacerbation de l’individu. En peinture, l’Art préraphaélite d’un Millais, Hunt, Rossetti et plus tard Burne-Jones constitue une des premières formes du symbolisme. Réunis en confrérie dès 1848, ce groupe d’artistes anglais prône un retour à l’art d’avant le classicisme de Raphaël et marque un goût pour la littérature du passé, les légendes médiévales ou les mythes anciens. Le style raffiné, la fuite vers le passé et l’omniprésence de la femme ensorceleuse et mystérieuse fascineront de nombreux symbolistes. À partir des années 1880 et jusqu’en 1900 où il connaît son apogée et

triomphe dans la ligne ‘Art nouveau’, le symbolisme connait un développement rapide grâce aux nombreux salons et cercles artistiques. Les XX à Bruxelles, les Salons de la Rose+Croix à Paris ainsi que les Sécessions munichoise, berlinoise et viennoise organisent des lectures, conférences, concerts et expositions dans un brassage de cultures, d’idées et de modes d’expressions artistiques. Ces “idées„ symbolistes perdureront jusqu’en 1914 où la guerre marquera un dur rappel à la réalité.

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Contexte et situation

Malgré des expositions, un manifeste ou d’autres déclarations, le symbolisme n’a jamais été un mouvement artistique officiel mais plutôt un état d’esprit qui se développe en réaction au positivisme ambiant et à la perte de spiritualité que connaît la deuxième moitié du XIX ème siècle. En effet, après le romantisme, apparaît une série de systèmes de pensée qui se présentent comme les dignes héritiers de la Révolution industrielle. Dans ce contexte d’inventions et de progrès, une nouvelle religion s’impose : celle de la Science. Le scientisme ira même jusqu’à déclarer que ‘le monde est aujourd’hui sans mystère’ (M. BERTHELOT, Les origines de l’Alchimie, 1885). Désormais tout s’explique. La foi en la Science remplace la foi religieuse. En 1852, Auguste Comte publie le Cathéchisme positiviste. Le positivisme d’Auguste Comte et d’Hippolyte Taine appliquera les méthodes scientifiques aux domaines de la pensée : l’histoire, l’art, la société sont régis par des lois, un milieu social et un temps. Pris dans l’engrenage de la Science et du matérialisme, le XIXème

siècle connaît une perte de spiritualité. L’homme lui-même, selon Darwin, n’est plus un produit du hasard mais fait partie d’une évolution où tout semble être déterminé. L’art se fera écho de ces courants idéologiques à travers l’objectivité du réalisme et les thèmes du naturalisme, pour aboutir à l’observation minutieuse et expérimentale des effets de la couleur et de la lumière chez les impressionnistes. Toutefois, à la fin du siècle, une vive réaction contre ce monde moderne se produit. Au positivisme de Comte répond le pessimisme de Schopenhauer. À la Bourgeoisie et sa confiance dans le progrès répondent le dandysme et le décadentisme. Et enfin, au réalisme et à l’impressionnisme répond le SYMBOLISME.

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Thèmes et aspirations

‘Anywhere out of the World’ (Ch. BAUDELAIRE) Fuir, N’importe où hors de ce monde, telle est la volonté des symbolistes.

Quitter à tout prix le monde matériel pour celui des idées et du rêve. Animés par cette quête, de nombreux symbolistes marquent un intérêt pour la spiritualité traduit chez certains par un goût pour l’ésotérisme et le satanisme. Une autre manière d’échapper à ce présent sera « la fuite en arrière », la recherche d’un paradis perdu. Les symbolistes le trouveront dans les mythes et légendes d’autrefois. Par ailleurs, les thèmes du sommeil, de la nuit, du silence, seront maintes fois exploités comme pour mieux nous préparer au rêve. Des correspondances aussi s’établissent entre les arts. ‘ Les couleurs, les parfums et les sons se répondent ’ (Ch . BAUDELAIRE, Correspondances, 1858). Toutes les formes artistiques, à l’image du « Gesamtkunstwerk » (œuvre d’art

totale) de Wagner, vu comme un véritable héros, servent l’idéal symboliste. À l’heure où la science impose ses certitudes, le symbolisme, lui, nous présente un univers dans lequel l’étrangeté et l’ambiguïté règnent en maître : êtres hybrides, androgynes, femmes à la fois attirantes et fatales peupleront l’univers symboliste. Si Berthelot prétend que ‘ le monde est aujourd’hui sans mystère ’, le symbolisme nous prouvera le contraire.

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Le symbolisme en Belgique Même si son apparition « officielle » est datée de 1886 avec la parution d’une série de textes et de manifestes, tant à Paris qu’à Bruxelles, le symbolisme constitue davantage un moment de la vie culturelle et intellectuelle de l’Europe à la fin du XIXe siècle qu’un mouvement structuré et organisé. Moment de rupture fondé sur une somme de crises – économique, politique et sociale – nourrie par un doute systématique qui touche aussi bien la religion que les sciences. Imprégné d’une tradition germanique, le symbolisme que professent les jeunes écrivains et peintres prolonge une aspiration romantique qui se transforme, sur le modèle de Mallarmé, en une culture de la crise : nuits douloureuses d’un Maeterlinck en proie aux « visions typhoïdes », « crise des tourments » d’un Elskamp, entre 1887 et 1892, incertitudes d’un Van Lerberghe, désir de retraite manifesté par un Verhaeren, encore jeune, dans son recueil Les Moines (1886). La crise des valeurs modernes est vécue en profondeur. Dans sa Confession de poète (L’Art moderne, mars 1890) Émile Verhaeren lance son mot d’ordre : « Se torturer savamment ». Celui-ci s’applique d’abord à la réalité qui devient l’objet d’une remise en question fondamentale. Paysages et portrait affirment moins la chose en soi qu’ils n’interrogent la place de l’homme dans le monde. Les registres thématiques qu’explore le symbolisme participent pour l’essentiel de cette esthétique de la rupture. Rupture sociale qui mobilise les figures de la marginalité : du fou au Christ en passant par le pierrot, le clown ou le vagabond. Rupture identitaire qui passe par la femme, l’androgyne ou la mort. Rupture territoriale qui conduit l’artiste urbain à se perdre dans le végétal ou à se noyer dans une eau qui évoque à la fois l’inconscient et l’indicible. D’origine bourgeoise, l’artiste s’oppose à sa classe sociale et aux valeurs dont celle-ci se revendique. L’image de la serre chaude traduit une aspiration double à la séparation et à la réclusion. Elle se décline en figures aquatiques où, progressi-vement, l’artiste trouve un milieu qui lui serait favorable, puis un état d’immobilité qui correspondrait à ce qu’il appelle son bonheur, avant d’être le lieu d’où il observera le monde de manière critique sinon désabusée. En même temps, ce lieu clos sera synonyme de tension ainsi que le révèle le premier théâtre de Maeterlinck aussi bien que les figures comprimées de la douleur que réalise George Minne. Comme chez Spilliaert, la mort s’y fait la mesure de toute chose. Aussi bien de la figure que du lieu solitaire tandis que l’image de Bruges, désertée par la mer, revient voilée de mélancolie.

Michel Draguet

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A cette crise du sujet répond l’ambition marquée de rompre avec la modernité et d’en revenir à une continuité que seule garantit le respect de la tradition. Antimoderne, le symbolisme joue aussi un rôle central dans l’affirmation d’une esthétique qui contribuerait à la rénovation de la foi chrétienne. Entre allégorie et symbolisme, un idéal primitif prend corps comme l’antidote d’une culture latine, perçue – en France – comme décadente. C’est sur ce terrain nourri de baudelairisime que Joséphin Péladan lance en 1884 sa saga de la « Décadence latine » avant de participer au renouveau de la Rose+Croix. Initiés en 1891, ses Salons d’art idéalistes connaîtront un succès qui ira en décroissant. Péladan se mue en animateur et annonce la consécration de « L’Art-Dieu » à travers une mise en scène spectaculaire des synesthésies. Désormais consacré en Mage – il use du titre de Sâr – l’écrivain espère orienter le sur le terrain de l’ésotérisme. Voulu international, le mouvement fédère essentiellement des artistes français et belges comme Fernand Khnopff et, surtout, Jean Delville. Dans le sillage des Salon de la Rose+Croix, Bruxelles est gagné par la frénésie idéaliste. Remarqué à l’occasion de la Première Geste, Delville y fonde en 1893 le cercle Pour l’Art soutenu par la revue Le Mouvement littéraire. Trois ans plus tard, minoritaire au sein du cercle, la mouvance acquise à Delville fera scission et se radicalisera dans son rejet de toute forme de réalisme. L’idéalisme se mue alors en une faction coupée du principe de réalité. Delville met sur pied un Salon d’Art idéaliste dont les principes esthétiques paraîtront en 1900 dans un essai intitulé La Mission de l’Art. Rallié à l’académisme et lauréat du Prix de Rome, Delville séjourne ensuite en Italie et développe une esthétique hantée par la nécessité d’affirmer son néo-humanisme. Cette aspiration à l’idéal touche tous les horizons de la culture de cette fin de siècle. A travers l’aventure africaine initiée par Léopold II, les artistes renouent avec un primitivisme qui fait de l’Afrique une terre de mysticisme qui aurait conservé le sens d’une beauté originelle vierge de toute outrance moderne. A travers Wagner, l’opéra s’impose comme le lieu de transmutation de l’art en religion. Le culte se voudra syncrétique en alliant des références aussi différentes que la musique de Wagner, le préraphaélisme anglais ou la mystique des Primitifs flamands. De même les arts décoratifs apparaissent comme le refuge d’une rêverie d’art dégagée indemne de toute réalité. Dans les circonvolutions d’une ligne qui tourne sur elle-même, dans les jeux irisés du cristal comme dans les matières les plus précieuses, l’objet d’art transfigure le réel en un idéal dégagé de toute entrave sociale. Urbain, le symbolisme s’est largement constitué en mesurant, à l’aune de la modernité et de ses innovations technologiques, la relation – nécessairement conflictuelle – qui lie nature et culture, civilisation et campagne. Doublée d’une crise sociale qui déséquilibre les structures ancestrales, celle-ci prend la forme d’un nouvel « appel aux primitivités » qui redéfinit le rapport à la nature. De la Fagne au village de Laethem saint Martin, certains artistes sont pris d’un même désir de revenir à un temps d’harmonie. Celui-ci parait lié à un état de nature qui

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définirait pour d’aucuns l’esprit d’un christianisme des origines. Dans cette perspective, la réalité sociale fait retour dans le champ clos d’un monde idéal. En proie au doute systématique, l’écrivain et le peintre y renouent avec un sentiment communautaire qui forge une identité elle-même reflet d’une crise inscrite dans l’âge contemporain. Conçue comme un récit visuel, l’exposition ne présentera pas de textes didactiques et pédagogiques. Ceux-ci sont confinés au catalogue qui forme en tant que tel un autre récit. Centrée sur la force des œuvres, l’exposition n’intègre que des fragments littéraires d’époque : textes et vers. Elle témoigne ainsi d’une aspiration au silence comme dépassement du langage verbal par essence limité et comme condition d’une pleine réalisation du visible.

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Art par les textes

La femme

Texte phare de Charles Baudelaire dans lequel on découvre l’essence des Fleurs du mal où l’auteur joue d’un va-et-vient incessant entre beauté, volupté et mort, pourriture… mal. Wiertz et Baudelaire partagent tous deux cette fascination pour la mort. Dans Charogne, l’auteur accompagné, découvre une charogne au bord d’un chemin…

Charogne Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme, Ce beau matin d'été si doux: Au détour d'un sentier une charogne infâme Sur un lit semé de cailloux, (…)

Et pourtant vous serez semblable à cette ordure, A cette horrible infection, Etoile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion!

Oui! telle vous serez, ô la reine des grâces, Après les derniers sacrements, Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses, Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté! dites à la vermine Qui vous mangera de baisers, Que j'ai gardé la forme et l'essence divine De mes amours décomposés!

Ch. Baudelaire, Les Fleurs du Mal, 1857

• À quels autres tableaux de l’exposition, ce texte pourrait-il être mis en

correspondance ? • Relevez tous les antagonismes (chiasmes) du texte et comparez-les aux

peintures ! • Quels types d’art sont mis en scène dans le tableau de Wiertz ? Observez

les détails !

BAUDELAIRE-WIERTZ

Antoine Wiertz, La belle Rosine, Deux jeunes filles, 1847, Bruxelles, MRBAB

Géraldine Barbery

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VAN LERBERGHE –DE SMET

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La Chanson d’Eve est considéré comme un des plus beaux poèmes du symbolisme belge. Charles Van Lerberghe y dépeint une Eve qui incarne sa vision de la femme idéale : ‘ Elle est ma pensée, Psyché si l'on veut, la Muse comme on disait jadis : moi et un certain idéal que j'ai non seulement de la jeune fille et de ses songeries, mais d'une âme féminine, très douce et pure, très tendre et rêveuse, très sage et en même temps très voluptueuse, très capricieuse, très fantasque. L'âme que j'ai dû avoir dans une autre existence, lorsque l'homme n'existait pas encore et que tout le monde avait encore un peu une âme de jeune Ève ’ (Charles Van Lerberghe, Commentaire sur la chanson d’Ève, décembre 1903). L’extrait choisi nous présente une Ève libre et fort éloignée de la culpabilité biblique.

(…) Je l'ai cueilli ! je l'ai goûté, Le beau fruit qui enivre D'orgueil, et je vis ! Je l'ai goûté de mes lèvres Le fruit délicieux de vertige infini. Mon âme chante, mes yeux s'ouvrent, Je suis égale à Dieu ! Un autre monde de beauté S'étend devant mes rêves ; De toutes choses sur la terre se lèvent De nouvelles clartés. Ah ! tout n'était qu'illusion humaine, Et songes décevants ! Pour la première fois je vois et je comprends, Comme Dieu même.

Ch. Van Lerberghe, La Chanson d’Eve, 1904

Gustave De Smet, Eve ou La pomme, 1913, Bruxelles, MRBAB

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Satanisme

Dans Certains, J.-K. Huysmans, dont le roman À rebours pourrait constituer le manifeste du dandysme et de l’esprit décadent fin-de-siècle, dresse le portrait de quelques artistes. Parmi eux, Rops dont les thèmes ne sont pas pour déplaire à Huysmans.

La nuit, au-dessus de Paris qui dort, un semeur immense emplit le ciel ; ses pieds, chargés de pesants sabots, posent sur les toits de la rive droite et sur le sommet des tours de Notre-Dame. Sous l’arche dessinée par ses maigres jambes, la Seine roule comme une eau de riz que glace la lune dont le disque semble excorié par la fumée des nues. D’un bras, Satan relève son tablier dans lequel des larves de femmes grouillent et, de l’autre, il fauche le firmament d’un geste qui lance, à toute volée, ces germes du mal sur la ville muette.

(…)

En scrutant l’horrible face, l’on peut discerner la jubilation froide et décidée du Diable qui sait de quelles vertus infâmes sont douées les

larves qu’il essaime. Il sait aussi que la récolte est sûre et ses hideuses lèvres susurrent des rogations à rebours, invitent railleusement son inerte Rival à bénir ces maux de la terre, à consacrer la formidable.

J-K HUYSMANS, Certains, Paris, 1889

• Que sont les larves que Satan essaime sur Paris ? •

Félicien Rops, Les Sataniques, 1879, Coll. privée

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GILKIN-DELVILLE

Iwan Gilkin est rataché à ce qu’on appelle en littérature l’école parnassienne. Opposée au lyrisme du romantisme et loin de toutes préoccupations sociales, cette tendance poétique n’a qu’un but, aboutir au Beau ; qu’un culte, celui de l’art. Le style doit donc être précis et la forme parfaite. Cependant, au niveau des thèmes, le satanisme de Gilkin, son obsesssion des corps et son goût de l’obscur le rattache à un certain héritage du romantisme et s’associe parfaitement à l’idéalisme de Delville.

(…)

Toi l’antique ennemi, toi, l’éclair centrifuge,

Multiforme apparence, ubiquité transfuge,

Toi, le feu du soleil et le flot du déluge.

A. Gilkin, Hymne à Satan in La nuit, 1897

• Comment Gilkin et Delville considèrent-ils Satan ?

Jean Delville, Les trésors de Satan, 1895, Bruxelles, MRBAB

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BAUDELAIRE-KHNOPFF

La Beauté

La Beauté

Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre, Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Éternel et muet ainsi que la matière. Je trône dans l’azur comme un sphynx incompris ; J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ; Je hais le mouvement qui déplace les lignes, Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris. Les poètes, devant mes grandes attitudes, Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments, Consumeront leurs jours en d’austères études; Car j’ai pour fasciner ces dociles amants, De purs miroirs qui font toutes choses plus belles : Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles.

Ch. Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857

• Pourquoi le symbolisme ‘hait le mouvement qui déplace les lignes’ ?

Fernand Khnopff, Portrait de Marguerite, 1887, Bruxelles, Fondation Roi Baudouin en dépôt aux MRBAB

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Correspondances

Le fameux jeu des correspondances baudelairien prend ici forme dans ce sous-bois de Fernand Khnopff.

Correspondance La Nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles : L'homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l'observent avec des regards familiers. Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, Et d’autres, corrompus, riches et triomphants, Ayant l’expansion des choses infinies, Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens, Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

Ch. Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857.

• Quelle vision Fernand Khnopff donne-t-il de la nature ? • À quels autres tableaux pourrait se rapporter ce poème ?

Fernand Khnopff, À Fosset. Sous les sapins, 1896, Bruxelles, MRBAB

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VERLAINE - MELLERY

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Verlaine signe ici un de ses poèmes les plus célèbres. Outre le sujet, le rythme et la musicalité du poème semble résonner dans l’œuvre de Mellery.

Chanson d’automne Les sanglots longs Des violons De l’automne Blessent mon cœur D’une langueur Monotone. Tout suffocant Et blême, quand Sonne l’heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure, Et je m’en vais au vent mauvais Qui m’emporte Deçà, delà, Pareil à la feuille morte.

Paul Verlaine, Poèmes saturniens,

1866

• En quoi le poème de Verlaine évoque-t-il le jeu des correspondances ?

Xavier Mellery, Chute des dernières feuilles d’automne,1890, Bruxelles, MRBAB

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VERHAEREN - KHNOPFF

Musique

Avec quelle religion elle écoute, et comme le milieu : cet appartement tranquille, quotidien, sans luxe tape-à-l'œil, et comme ce tapis épais et discret, et comme ce jour d'après-midi grisâtre et légèrement méditatif, augmentent l'impression. (…) En écoutant Schumann est la seule œuvre de modernité pure, signée Fernand Khnopff qui

nous plaise. Pourquoi? Parce qu'elle porte au-delà de l'extérieur et qu'elle réfléchit

une aile de l'âme d'aujourd'hui. Ce n'est que depuis peu d'années que la musique s'écoute ainsi non pas avec plaisir; avec méditation. L'effet de l'art, de notre art, est une influence de vague attirance vers un idéal triste et grave. Le tableau rend visible cet effet-là.

Emile Verhaeren, Silhouettes d’artistes, 1886

• Dans le tableau, quels ‘effets’ Khnopff utilise-t-il pour rendre visible cet idéal triste et grave dont parle Verhaeren ?

Fernand Khnopff, En écoutant du Schumann, 1883, Bruxelles, MRBAB

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RODENBACH - KHNOPFF

L’âme des choses Le héros, un jeune veuf, s’installe à Bruges. La ville devient alors la personnification de sa femme décédée…

La ville, elle aussi, aimée et belle jadis, incarnait de la sorte ses regrets. Bruges était sa morte. Et sa morte était Bruges. Tout s'unifiait en une destinée pareille. C'était Bruges-la-Morte, elle-même mise au tombeau de ses quais de pierre, avec les artères froidies de ses canaux, quand avait cessé d'y battre la grande pulsation de la mer.

(…)

C'est pour cela qu'il avait choisi Bruges, Bruges d'où la mer s'était retirée, comme un grand bonheur aussi. Ç'avait été déjà un phénomène de ressemblance, et parce que sa pensée serait à l'unisson avec la plus grande des villes Grises. Mélancolie de ce gris des rues de Bruges où tous les jours ont l'air de la Toussaint! Ce gris comme fait avec le blanc des coiffes de religieuses et le noir des soutanes de prêtres, d'un passage incessant ici et contagieux. Mystère de ce gris, d'un demi-deuil éternel!

(…)

Muettes analogies ! Pénétration réciproque de l’âme et des choses ! Nous entrons en elles, tandis qu’elles pénètrent en nous »

Georges RODENBACH, Bruges-la-Morte, 1892

Fernand Khnopff, Une Ville abandonnée, 1904, Bruxelles, MRBAB

Fernand Khnopff, Frontispice de Bruges-la-morte de Georges Rodenbach, Paris, Flammarion, 1894, Bruxelles, MRBAB

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MALLARMÉ -MELLERY

Si Xavier Mellery a réalisé des œuvres plus allégoriques, il touche ici, dans cette série de dessins rassemblés sous le titre générique L’Âme des choses, à l’essence même du symbole tel que l’entendait Mallarmé.

Nommer un objet, c’est supprimer les trois-quarts de la jouissance du poème qui est faite du bonheur de deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve. C’est le parfait usage de ce mystère qui constitue le symbole : évoquer petit à petit un objet pour montrer un état d’âme, ou inversément, choisir un objet et en dégager un état d’âme par une série de déchiffrements

S. Mallarmé in l’Écho de Paris, 1891.

• Observez les objets de cette chambre à coucher. Qu’ont-ils de particulier?

Xavier Mellery, Chambre à coucher, 1888, Bruxelles, MRBAB

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MALLARMÉ -MELLERY

Dans des registres différents, de nombreux artistes vont s’intéresser au théâtre symboliste de Maeterlinck et établir des correspondances : Minne ou Khnopff l’illustreront mais également le compositeur Debussy qui avec « Pelléas et Mélisande » créera un opéra « manifeste ». Ensemble, Khnopff, Maeterlinck et Debussy introduisent le silence - la mort ou l’absence chez Maeterlinck - comme élément fondamental de la construction de leurs œuvres. Quant à Mellery, ses mises-en-scènes se rapprochent de Maeterlinck dans l’art de rendre plus vivant le monde des objets ou des ombres que l’homme lui-même.

(…)

L’être humain sera-t-il remplacé par une ombre, un reflet, une projection

de formes symboliques ou un être qui aurait les allures de la vie sans avoir la

vie.

Maurice MAETERLINCK, Menus propos, cité par Michel DRAGUET, Khnopff ou l’ambigu poétique, Bruxelles, 1995, p. 189-190.

• Quel rôle Mellery accorde-t-il à la lumière?

Xavier Mellery, Béguines en prière, 1888, Bruxelles, MRBAB

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Idéalisme

Poésie parnassienne à lire devant un tableau « idéaliste ». Il s’agit toutefois d’une belle confrontation avec des points communs quant à la forme. Delville utilise également cette minutie formelle d’orfèvre mais à des fins idéalistes.

Le récif de corail Le soleil sous la mer, mystérieuse aurore, Éclaire la forêt de coraux abyssins Qui mêle, aux profondeurs de ses tièdes bassins, La bête épanouie et la vivante flore. Et tout ce que le sel ou l’iode colore, Mousse, algue chevelue, anémones, oursins, Couvre de pourpre sombre, en somptueux dessins, Le fond vermiculé du pâle madrépore. De sa splendide écaille éteignant les émaux, Un grand poisson navigue à travers les rameaux. Dans l’ombre transparante indolement il rôde ; Et brusquement, d’un coup de sa nageoire en feu Il fait, par le cristal morne, immobile et bleu, courir un frisson d’or, de nacre et d’émeraude

José-Maria de Heredia, Les trophées, 1893

Jean Delville, Les trésors de Satan, 1895, Bruxelles, MRBAB

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PÉLADAN - DELVILLE

En 1891, l’écrivain idéaliste et excentrique Josephin Péladan rebaptisé ‘Sâr Péladan’ fonde l’ordre de la Rose+Croix du Temple et du Graal. Cet ordre mystico-esthétique avait pour but de mener une quête vers un Idéal dans lequel l’Art et Dieu se confondaient. Outre les frasques et les écrits teintés d’occultisme et d’ésotérisme du Sâr, on retiendra de lui ses ‘ gestes ‘ ou salons qu’il organise à Paris de 1892 à 1897. De nombreux artistes de la scène symboliste participent à ces salons. Parmis les belges, Fernand Khnopff et Jean Delville en sont les plus assidus. Mais bientôt, tandis que Delville crée son propre Salon d’Art idéaliste à Bruxelles, Khnopff s’éloigne du mouvement rosicrucien.

Art tout puissant, Art Dieu, je t’adore à genoux, dernier reflet d’en haut sur notre putrescence […] Miracle, miracle, une rose s’élève et s’ouvre grandissante, s’efforçant d’enserrer en ses feuilles pieuses la croix divine du salut : et la croix consolée resplendit, Jésus n’a pas maudit ce monde, Jésus reçoit l’adoration de l’art.

Joséphin Péladan, Préface du 1er Salon Rose+croix, 1892

Jean Delville, L'ange des splendeurs, 1894 , Bruxelles, MRBAB (dépôt de la région Bruxelles Capitale)

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PÉLADAN-KHNOPFF

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Androgyne

O sexe initial, sexe définitif, absolu de l’amour, absolu de la forme, sexe qui nies∗ le sexe, sexe d’éternité ! Los

à toi Androgyne !

Josephin PÉLADAN, Hymne à l’Androgyne, 1891

• Pourquoi le mythe de l’androgyne fascine-t-il

les artistes symbolistes?

∗ Sic

Fernand Khnopff, Du Silence / Le Silence, 1890, Bruxelles, MRBAB

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MAUPASSANT-SPILLIAERT

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Fantastique réel Auteur réaliste, Maupassant connaîtra à la fin de sa vie des troubles nerveux importants. Certains ont décelé dans ses derniers textes les traces de l’évolution de sa maladie. À cet égard, même si le style reste réaliste, ses contes fantastiques ont l’intensité de ceux d’Edgar Allan Poe. Dans le Horla, Maupassant décrit à la manière d’un journal de bord les visions qui rongent le protagoniste (Je) jusqu’à la folie : Il croit qu’une autre personne ‘ rôde autour de lui ’ et veut prendre sa place…

Qu'ai-je donc ? C'est lui, lui, le Horla, qui me hante, qui me fait penser ces folies ! Il est en moi, il devient mon âme ; je le tuerai ! 19 août. - Je le tuerai. Je l'ai vu ! je me suis assis hier soir, à ma table ; et je fis semblant d'écrire avec une grande attention. Je savais bien qu'il viendrait rôder autour de moi, tout près, si près que je pourrais peut-être le toucher, le saisir ? Et alors !... alors, j'aurais la force des désespérés ; j'aurais mes mains, mes genoux, ma poitrine, mon front, mes dents pour l'étrangler, l'écraser, le mordre, le déchirer. Et je le guettais avec tous mes organes surexcités. J'avais allumé mes deux lampes et

les huit bougies de ma cheminée, comme si j'eusse pu, dans cette clarté, le découvrir. En face de moi, mon lit, un vieux lit de chêne à colonnes ; à droite, ma cheminée ; à gauche, ma porte fermée avec soin, après l'avoir laissée longtemps ouverte, afin de l'attirer ; derrière moi, une très haute armoire à glace, qui me servait chaque jour pour me raser, pour m'habiller, et où j'avais coutume de me regarder, de la tête aux pieds, chaque fois que je passais devant. Donc, je faisais semblant d'écrire, pour le tromper, car il m'épiait lui aussi ; et soudain, je sentis, je fus certain qu'il lisait par-dessus mon épaule, qu'il était là, frôlant mon oreille. Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite que je faillis tomber. Eh bien ?... on y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas dans ma glace !... Elle était vide, claire, profonde, pleine de lumière ! Mon image n'était pas dedans... et j'étais en face, moi ! Je voyais le grand verre limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux affolés ; et je n'osais plus avancer, je n'osais plus faire un mouvement, sentant bien pourtant qu'il était là, mais qu'il m'échapperait encore, lui dont le corps imperceptible avait dévoré mon reflet. Guy de Maupassant, Le Horla, 1887

Léon Spilliaert, Autoportrait au miroir, Ostende , MuZee, 1908

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William Degouve de Nuncques, La Maison Rose, 1892, Otterlo, Kröller-Muller Museum

POE - DEGOUVE DE NUNCQUES

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L’auteur américain Edgar Allan Poe (1809-1849) n’appartient pas à la littérature symboliste mais exerça une fascination sur toute une génération d’artistes symbolistes. Les traductions de Baudelaire et de Mallarmé ne sont pas étrangères à ce succès. La maison Usher (1857) semble s’être incarnée dans cette peinture de William Degouve de Nuncques tant par son climat lugubre et mystérieux que ces effets de lumières dont Poe use en crescendo dans sa nouvelle. L’extrait suivant montre l’effet que peut produire sur nous l’association d’éléments ‘naturels’. Il pourrait aussi être lu devant l’Empire des Lumières d’un certain…René Magritte !

Pendant toute la journée d’automne, journée fuligineuse, sombre et muette, où les nuages pesaient lourd et bas dans le ciel, j’avais traversé seul et à cheval une étendue de pays singulièrement lugubre et, enfin, comme les ombres du soir approchaient, je me trouvai en vue de la mélancolique Maison Usher. Je ne sais comment cela se fit, mais, au premier coup d’oeil que je jetai sur le bâtiment, un sentiment d’insupportable tristesse pénétra mon âme. (…) Qu’était donc — je m’arrêtai pour y penser — qu’était donc ce je ne sais quoi qui m’énervait ainsi en contemplant la Maison Usher ? C’était un mystère tout à fait insoluble, et je ne pouvais pas lutter contre les pensées ténébreuses qui s’amoncelaient sur moi pendant que j’y réfléchissais. Je fus forcé de me rejeter dans cette conclusion peu satisfaisante, qu’il existe des combinaisons d’objets naturels très simples qui ont la puissance de nous affecter de cette sorte, et que l’analyse de cette puissance gît dans des considérations où nous perdrions pied. Il était possible, pensais-je, qu’une simple différence dans l’arrangement des matériaux de la décoration, des détails du tableau, suffit pour modifier, pour annihiler peut-être cette puissance d’impression douloureuse.

Edgar Allan Poe, La Chute de la maison Usher, in Nouvelles Histoires extraordinaires (trad. par Charles Baudelaire), 1857

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MAETERLINCK-MINNE

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Pessimisme fin-de-siècle

Puisant sa source dans la philosophie de Schopenhauer, une vague de pessimisme, d’angoisse existentielle et de fatalisme déferle sur le symbolisme. Minne et Maeterlinck incarneront ce pessimisme à travers les thèmes qu’ils abordent. Minne, qui illustra par ailleurs Maeterlinck, rejoint aussi l’auteur sur le plan formel par l’épure et un jeu de lignes synthétique, tout en tension et intériorité.

Ame de nuit

Mon âme en est triste à la fin;

Elle est triste enfin d'être lasse,

Elle est lasse enfin d'être en vain,

Elle est triste et lasse à la fin

Et j'attends vos mains sur ma face.

(…)

Maurice Maeterlinck, Serres chaudes, 1890

Georges Minne, Le Petit porteur de reliques, 1897, Bruxelles, MRBAB

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VERHAEREN -SCHLOBACH

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Avec Les Flambeaux noirs, Verhaeren clôture sa Trilogie noire (comprenant aussi Les Soirs et Les Débâcles). Le poème La morte illustré ici par le peintre Schlobach est teinté de ce pessimisme et cette fascination pour la mort qui touche Verhaeren à un moment où il est lui-même en proie à une grave dépression. Sur fond d’un Londres ‘industrialisé’, La morte pourrait incarner une certaine image du symbolisme…

En sa robe, couleur de feu et de poison, Le cadavre de ma raison Traîne sur la Tamise. Des ponts de bronze, où les wagons Entrechoquent d'interminables bruits de gonds Et des voiles de bâteaux sombres Laissent sur elle, choir leurs ombres. Sans qu'une aiguille, à son cadran, ne bouge, Un grand beffroi masqué de rouge, La regarde, comme quelqu'un Immensément de triste et de défunt. Elle est morte de trop savoir, De trop vouloir sculpter la cause, Dans le socle de granit noir, De chaque être et de chaque chose. Elle est morte, atrocement, D'un savant empoisonnement, Elle est morte aussi d'un délire Vers un absurde et rouge empire.

Ses nerfs ont éclaté, Tel soir illuminé de fête, Qu'elle sentait déjà le triomphe flotter Comme des aigles, sur sa tête. Elle est morte n'en pouvant plus, L'ardeur et les vouloirs moulus, Et c'est elle qui s'est tuée, Infiniment exténuée. Au long des funèbres murailles, Au long des usines de fer

Dont les marteaux tannent l'éclair, Elle se traîne aux funérailles. Ce sont des quais et des casernes, Des quais toujours et leurs lanternes, Immobiles et lentes filandières Des ors obscurs de leurs lumières ; Ce sont des tristesses de pierres, Maisons de briques, donjons en noir Dont les vitres, mornes paupières, S'ouvrent dans le brouillard du soir ; Ce sont de grands chantiers d'affolement, Pleins de barques démantelées Et de vergues écartelées Sur un ciel de crucifiement. En sa robe de joyaux morts, que solennise L'heure de pourpre à l'horizon, Le cadavre de ma raison Traîne sur la Tamise. Elle s'en va vers les hasards Au fond de l'ombre et des brouillards, Au long bruit sourd des tocsins lourds, Cassant leur aile, au coin des tours. Derrière elle, laissant inassouvie La ville immense de la vie ; Elle s'en va vers l'inconnu noir Dormir en des tombeaux de soir, Là-bas, où les vagues lentes et fortes, Ouvrant leurs trous illimités, Engloutissent à toute éternité : Les mortes.

Emile Verhaeren, in Les flambeaux noirs, 1891

Willy Schlobach, La morte, 1899, Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier, en dépôt aux MRBAB

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VERHAEREN-VAN DE WOESTYNE

Pèlerinage Où vont les vieux paysans noirs Par les chemins en or des soirs ? A grands coups d'ailes affolées, En leurs toujours folles volées, Les moulins fous fauchent le vent. Le cormoran des temps d'automne jette au ciel triste et monotone Son cri sombre comme la nuit. C'est l'heure brusque de la terreur, Où passe, en son charroi d'horreur, Le vieux Satan des moissons fausses. Par la campagne en grand deuil d'or, Où vont les vieux silencieux

(…) L'âpre semeur des mauvais germes, Au temps de mai baignant les fermes, Les vieux l'ont tous senti passer. Ils l'ont surpris morne et railleur, Penché sur la campagne en fleur; Plein de foudre, comme l'orage. Les vieux n'ont rien osé se dire. Mais tous ont entendu son rire Courir de taillis en taillis. Or, ils savent par quel moyen On peut fléchir Satan païen, Qui reste maître des moissons. Par la campagne en grand deuil d'or, Où vont les vieux et leur frisson ? (…)

Emile Verhaeren, Les Campagnes hallucinées, 1893

Gustaaf van de Woestyne, Le mauvais semeur, 1908, Coll. privée

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Sous la direction de Isabelle Vanhoonacker, responsable d’Educateam Conception et coordination Géraldine Barbery Relecture Jean-Philippe Theyskens Auteurs Michel Draguet, Géraldine Barbery Crédits Ce dossier est une réalistion d’Educateam, le service éducatif des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique. Il est destiné à un usage strictement éducatif et ne peut être reproduit ou utilisé dans un but commercial