le statut de la preuve en orthodontie

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International Orthodontics 2009 ; 7 : 269-275 269 © 2009. CEO. Édité par / Published by Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés/All rights reserved Article original Original article Le statut de la preuve en orthodontie The status of proof in orthodontics Hicham KHAYAT 1 1 DCD, polyclinique dentaire de Casablanca, 765 bd Modibo Keita, Polo, Casablanca, Maroc. Correspondance et tirés à part/Correspondence and reprints: Hicham KHAYAT, polyclinique dentaire de Casablanca, 765 bd Modibo Keita, Polo, Casablanca, Maroc. [email protected] Résumé La pratique orthodontique actuelle ne peut être considérée comme une discipline reposant entièrement sur des bases scientifiques. Des failles méthodologiques, inacceptables dans la plupart des disci- plines médicales entachent son diagnostic et sa thérapeutique. L’his- toire et la philosophie de la Médecine apportent des éléments qui donnent à penser. À l’heure où les instances communautaires incitent à une médecine basée sur la preuve, cet article est une invitation à réfléchir sur le statut des conventions et des faits généralement admis comme vrais dans notre spécialité. Cet article transpose le regard que porte la philosophie contempo- raine sur la médecine dans le champ plus spécifique de l’orthodontie et reprend les réserves exprimées dans la littérature orthodontique et concernant les méthodes avec lesquelles sont abordés le diagnostic ou la thérapeutique. Mots-clés Histoire de la médecine. Orthodontie. Clinique. Diagnostic. Céphalométrie. Biomécanique. Summary Current orthodontic practice cannot be considered to constitute a discipline entirely based on scientific evidence. Unacceptable methodological flaws tarnish diagnosis and treatment in the majority of medical disciplines. The history and philosophy of medicine give abundant food for thought. At a time when Euro- pean community bodies are calling for evidence-based medicine, this article issues an invitation to reflect about the facts and conventions in our specialty which are generally acknowledged to be well-founded. This article transposes what contemporary philosophy has to say about medicine in general to the more limited field of orthodontics and reiterates the reservations expressed in the orthodontic liter- ature regarding the methods used to address diagnosis and treatment. Key-words History of medicine. Orthodontics. Clinical setting. Diagnosis. Cephalometry. Biomechanics.

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International

Orthodontics

2009 ; 7 : 269-275

269

© 2009. CEO.Édité par / Published by Elsevier Masson SAS.

Tous droits réservés/All rights reserved

Article original

Original article

Le statut de la preuve en orthodontie

The status of proof in orthodontics

Hicham KHAYAT

1

1

DCD, polyclinique dentaire de Casablanca, 765 bd Modibo Keita, Polo, Casablanca, Maroc.

Correspondance et tirés à part

/Correspondence and reprints:

Hicham KHAYAT, polyclinique dentaire de Casablanca, 765 bd Modibo Keita, Polo, Casablanca, [email protected]

Résumé

La pratique orthodontique actuelle ne peut être considérée commeune discipline reposant entièrement sur des bases scientifiques. Desfailles méthodologiques, inacceptables dans la plupart des disci-plines médicales entachent son diagnostic et sa thérapeutique. L’his-toire et la philosophie de la Médecine apportent des éléments quidonnent à penser. À l’heure où les instances communautaires incitentà une médecine basée sur la preuve, cet article est une invitation àréfléchir sur le statut des conventions et des faits généralement admiscomme vrais dans notre spécialité.Cet article transpose le regard que porte la philosophie contempo-raine sur la médecine dans le champ plus spécifique de l’orthodontieet reprend les réserves exprimées dans la littérature orthodontique etconcernant les méthodes avec lesquelles sont abordés le diagnostic oula thérapeutique.

Mots-clés

• Histoire de la médecine.• Orthodontie.• Clinique.• Diagnostic.• Céphalométrie.• Biomécanique.

Summary

Current orthodontic practice cannot be considered to constitute adiscipline entirely based on scientific evidence. Unacceptablemethodological flaws tarnish diagnosis and treatment in themajority of medical disciplines. The history and philosophy ofmedicine give abundant food for thought. At a time when Euro-pean community bodies are calling for evidence-based medicine,this article issues an invitation to reflect about the facts andconventions in our specialty which are generally acknowledgedto be well-founded. This article transposes what contemporary philosophy has to sayabout medicine in general to the more limited field of orthodonticsand reiterates the reservations expressed in the orthodontic liter-ature regarding the methods used to address diagnosis andtreatment.

Key-words

History of medicine.

Orthodontics.

Clinical setting.

Diagnosis.

Cephalometry.

Biomechanics.

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Introduction

La pratique orthodontique contemporaine est segmentée en éco-les et en méthodes. Ces divisions au sein de la spécialité mettentà nu l’absence de consensus autour de sujets fondamentaux telsque la conduite du diagnostic, le plan de traitement ou encore lemodèle de mécanothérapie. Une telle situation ne serait pasacceptable dans toute autre discipline médicale. Notre propos estde souligner encore quelques illogismes responsables de cettesituation.

Naissance de la Clinique

Vers la fin du

XVIII

e

siècle, un nouveau regard sur l’Homme prendplace. Parallèlement au développement des sciences exactes et àl’accumulation grandissante des connaissances se met en place,avec le progrès de l’imprimerie et de l’édition, une meilleure cir-culation du savoir.En regroupant les malades dans un même lieu – l’hôpital, initia-lement un repoussoir, un mouroir –, la société en prévenant lesépidémies les aura extraits aux conditions de leur foyer et auxsoins de leur famille ; réduisant la variabilité des formes d’unemême « maladie » liée aux particularités de ses milieux d’évolu-tion ; créant les conditions de naissance d’un autre regard, d’uneautre pensée ; enfin, rendant possible l’observation de similitu-des sur des patients différents.Une nouvelle perception des symptômes et des signes, l’observa-tion clinique, méthodique, exhaustive, la collection et le regrou-pement des signes en tableaux tranchent avec les discoursprécédents. La méthode clinique, c’est-à-dire la médecinemoderne, naît, sans que personne en particulier n’en revendiquela paternité [1]. Elle se constitue comme une façon de penser enopposition avec les archaïsmes de la pratique médicale anté-rieure. Par Clinique, il faut entendre une « méthodologie rationa-liste » de la médecine. Ce sens premier s’est perdu au fil dutemps. Beaucoup de médecins confondent aujourd’hui la Clini-que avec leur pratique médicale.

Oubli de l’oubli

Cette confusion tient peut-être au fait que dans sa généalogie, laclinique associe le Savoir, le Malade et l’Institution. Comme l’amontré Michel Foucault, ses fondements sont conjoncturels, ins-titutionnels et politiques. Quand les fondements changent, lesavoir se modifie et parfois se perd. Les médecins ont oublié lesens de la Clinique. Ils ont oublié ses découvertes anciennes.

Plus grave, les médecins ont oublié qu’ils ont oublié, n’aimantplus retenir que le « résumé » incompressible indispensable à unexercice de plus en plus normalisé et de moins en moins indivi-dualisé : la technique. Comme la Clinique s’est constituée pour

Introduction

Contemporary orthodontic practice is fragmented into differingschools and methods. The divisions within the speciality revealthe lack of consensus around such fundamental topics as howto conduct a diagnosis, draft a treatment plan or produce amechanotherapy model. This situation would be deemedunacceptable in any other medical discipline. Our aim here is tohighlight a number of illogical approaches which are responsiblefor this situation.

The birth of clinical medicine

In the late 18th century, a new view of Mankind emerged. Withthe development of the exact sciences and improved under-standing, and in combination with the innovations made inprinting and publishing, knowledge could now circulate morefreely. By assembling patients in one place, namely in hospitals where thesick were taken to die, society sought to ward off epidemics, but alsoremoved the afflicted from the conditions prevailing in their homesand from the care provided by their families. This also reduced thenumber of forms taken by any given “disease” as influenced by thespecific features of the environment in which they lived. This in turncreated a context in which a new vision of Man and a new mode ofthinking were to burgeon. And, lastly, it made it possible to observesimilarities between different patients and led to new ways ofaddressing symptoms and signs, to systematic, exhaustive clinicalobservation and to methods designed to collect and classify signsin tables which contrasted profoundly with previous approaches.The clinical method, i.e. modern medicine, was born, although noone in particular claimed to have fathered it [1]. This new approachmarked a radical break with the archaic thought processes whichcharacterized previous medical practice. At this time, the term “clini-cal” designated a “rationalistic methodology” applied to the medicalfield. This original meaning was gradually to be eroded over timeand for many physicians today the term “clinical” has come to besynonymous with their everyday medical practice.

Forgetting their forgetfulness

This confusion is perhaps due to the fact that, given its genealogy,the clinical method associates Knowledge, the Patient and the Insti-tution. As Michel Foucault has shown, it is built on a combination oflocal, short-term conditions and institutional and political factors.When this foundation shifts, Knowledge changes and is sometimeslost. Physicians today have forgotten what the term “clinical” means.Hence, they have lost sight of its former discoveries. More serious still, doctors have forgotten that they have forgottenand now prefer to focus exclusively on an incompressible “abridgedversion” which is essential to a method which is becoming moreand more standardized and less and less personalized, namely

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accueillir le nouveau, elle se délite quand elle n’est plus queconservation de ce qui est déjà connu, que répétition de ce quiest déjà acquis.

Par ailleurs, aujourd’hui, parmi les fondements conjoncturels dela Clinique, le marketing médical sous toutes ses formes occupeune place de plus en plus importante.

Toute théorie se tait ou s’évanouit toujours au lit du malade

Le postulat premier de la méthode clinique est l’adéquation par-faite entre le visible et le dicible. Un recouvrement sans resteentre le visible et l’énonçable. C’est la logique de Condillac. Unœil qui parle. Avec la méthode clinique, l’œil, enfin débarrassédes chimères est prêt à accueillir le nouveau. Et à le décrire.Nommer pour reconnaître. Reconnaître pour traiter. Le raisonne-ment probabiliste va apparaître et l’anatomopathologie assigneraun siège au mal dans l’épaisseur même du vivant.

Mais la Clinique qui réside tout entière dans ce rapport inéditentre le regard et le langage ne doit pas se réduire à la collectionsystématique de signes déjà décrits. Le « coup d’œil » du clini-cien, dans toute discipline, est, sera et a été à la base de touteavancée. S’appuyant sur ce qui est connu, disposant d’un vastelangage – un vocabulaire pluridisciplinaire – il saura trouver laparticularité décisive sans se perdre à tout voir et à tout mesurer.Le regard doit garder son acuité. Se garder des habitudes et dessystèmes. Refuser les œillères de la théorie. Fonctionner, pourdéceler le différent, le nouveau et le subtil.

Des barbiers-chirurgiens au « Golden job »

Dans les temps précliniques, des hommes et des femmes ont prisen charge la santé de leur communauté, se revendiquant d’unerationalité mythique. Les sorciers-guérisseurs des temps préhis-toriques invoquaient le malin. Les prêtres de l’antiquité intercé-daient pour le malade auprès du divin (Sérapis en Egypte,Apollon et Esculape en Grèce…). Mais l’Église abhorrait lesang :

Ecclesia abhorret a sanguine

1

. Les moines du Moyen-Âges’ingénient à consoler le malade :

« Question : Pourquoi Dieu permet-il qu’il nous arrive souvent degrands maux ?Réponse : Parce qu’il est expédient pour sa gloire et pour le bien denotre âme. Dieu

purifie par là ses élus ; ce n’est pas un juge quipunit, c’est un père qui corrige et qui

châtie. Ainsi les maux devien-nent de grands biens. »

[2]Les médecins, majoritairement membres du clergé et donclettrés, ne pouvant plus s’occuper de chirurgie, la pratique

1

Concile de Tours en l’an 1163.

the technical approach. Just as the clinical approach was strongwhen welcoming new ideas, so it is now wearing thin as it isreduced to merely preserving what is already known, or repeatingwhat has already been acquired. Moreover, current medical marketing, in all its variety, constitutesone of the short-term pillars of the modern clinical approach, andis playing an ever-greater role.

Every theory inevitably vanishes at the patient’s bedside

The first postulate on which the clinical method is based is the per-fect match between what is observed and what can be said aboutit, in other words, the total overlap of the visible and the expres-sible. This is the logic of the talking eye advocated by Condillac. Inthe clinical method, the eye is relieved at last of all chimeras and isopen to welcome innovation. And describe it. Naming in order torecognize. Recognizing in order to treat. Probabilistic reasoning willthen emerge and the anatomo-pathologists will attribute a place todisease within the very substance of the living. But the clinical method, built entirely on this novel relationshipbetween what is seen and what is spoken, should not be reducedto a systematic collection of signs which have already beendescribed. The clinician’s way of observing, in whatever disci-pline, is, and will remain, the cornerstone of any future advances.By drawing on what is already known, and with the support ofvast linguistic resources and a multidisciplinary vocabulary, theclinician will be able to discover the decisive detail without losinghis/her way in a maze of observations and measurements. He/she must remain an acute observer and beware of habits andsystems, refusing the blinkers of theory and directing their effortsat discerning what is different, new and subtle.

From barber-surgeons to the “Golden job”

In preclinical times, men and women were responsible for thehealth of their community, claiming to enjoy a mythical rationality.Sorcerer-healers in pre-historic days called upon the devil.Priests in ancient times would call upon the divine to intercede fortheir patients (Serapis in Egypt, Apollo and Esculape in Greece…).However, the Church detested blood

: Ecclesia abhorret asanguine

1

. Medieval monks would devise ingenious ways ofconsoling their patients:

Question: Why does God allow us to endure such terribleevils?Answer: Because it enhances his glory and the well-being of oursoul. God uses this means to purify his elect. God is not a puni-shing judge but a father who corrects and chastizes. Thus, theseevils become our greatest good.

[2]As most physicians were clergymen and thus had a literarytraining, they no longer practised surgery. As a result, medicinecame to be relegated to a lower standing in the eyes of society.Surgical procedures were performed by tooth-pullers, fairground

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médicale s’en trouve reléguée à un rang inferieur dans la société.Les actes chirurgicaux seront assurés par les arracheurs dedents, les marchands forains ou les barbiers. Ces derniersdeviendront nos précurseurs, les barbiers-chirurgiens, au termed’un long conflit avec les corps organisés, instruit et sachant lelatin des médecins.Grâce à la méthode clinique et à ses résultats thérapeutiquesplus prévisibles et plus reproductibles, le soignant devienthomme de science. Accusé, hier, de mentir comme un arracheurde dents, le docte dentiste aspire aujourd’hui à une pratiquebasée sur la preuve.

Soignant et principe de rationalité

L’orthodontie contemporaine est un exemple marquant du déclinde la Clinique, elle qui ne vise plus que des diagnostics « chif-frés », tableaux sans sens qui ne trouvent leur justification quedans le fait que tous les utilisent. On rejette le particulier dansune face ou dans un sourire, alors que la clinique s’est aucontraire établie à partir du particulier, pour accueillir le nou-veau loin de toute fermeture dogmatique.Les traitements se standardisent comme chez le barbier tournéen dérision dans les pièces de Moliere et qui ne traite que parsaignée : saignare, purgare et slyterium donare. Nous nouscontentons de dérouler des techniques indiquées par quelquesmesures et un raisonnement programmables et nous nous éloi-gnons de la voie d’Hippocrate qui ne s’est attaché qu’à l’observa-tion en méprisant tout « système ».Il faut regarder et regarder de biais. Le biais en tant que tactiqueintellectuelle, comme l’entend Michel Foucault, est une attitude.Il s’agit d’une invitation à regarder sous un angle neuf les proces-sus intellectuels par lesquels nous transformons la souffrancefonctionnelle ou la demande esthétique des soignés en résultatheureux, au travers de notre diagnostic et de notre thérapeutique.Ce regard en biais est la condition de naissance et de possibilitéd’une pensée pertinente et nouvelle [3]. Apprendre à mieux voir,à voir différemment. Apprendre à mieux dire. C’est la seuleapproche qui de tout temps a permis et qui peut encore permettrel’émergence de paradigmes en phase avec les connaissances etles possibilités techniques actuelles. Voir le sujet mais aussi sesexamens complémentaires. S’ouvrir à tous les vocabulaires de ladentisterie moderne et plus largement à tout savoir exact et uni-versel. Voir, savoir, traiter.À l’opposé, le « système de pensée prêt à porter », et ses illo-gismes, violent ce postulat premier, voilent le regard du praticien,cantonnent son vocabulaire et formatent ses raisonnements. Latechnique installe confortablement le praticien dans un statut de« machiniste » dont il peut être difficile de s’émanciper. S’enfer-mant dans ses certitudes, abdiquant son sens critique et sanscuriosité pour les savoirs fondamentaux, le praticien prend le ris-que de sombrer dans le dogmatisme. Mesurer, calculer, exécuter.Le discours, les enjeux et les promesses de la Clinique sontmenacés d’extinction dans les sillons de la technique et de larépétition.

merchants and barbers. These latter, following a long strugglewith the well-organized, educated and Latin-speaking body ofphysicians, were to evolve into our precursors, the barber-surgeons. Thanks to the clinical method and to the more predict-able and reproducible results it provided, the health carer becamea man of science. Formerly accused of “Mentir comme unarracheur de dents” (NDLT: “lying like a tooth-puller”) the well-trained modern dental-surgeon now aspires to practice evidence-based dentistry.

The practitioner and the rationality principle

Contemporary orthodontics offers a clear illustration of thedecline of the clinical method which now is aimed purely atobtaining statistics-based diagnoses and meaningless tables theonly justification for which is the fact that everyone uses them.The specifics of a face or a smile are ignored although the clinicalapproach was initially founded on specific features in order toadmit new findings untrammelled by narrow-minded dogmatism.Treatments are standardized like those provided by the barberssatirized in Molière’s plays and whose only medical procedurewas blood-letting:

saignare, purgare et slyterium donare

. Wecontent ourselves with rolling out techniques indicated merely bya few measurements and a programmed mind-frame while elu-ding the Hippocratic method which was based on observationalone and despised any form of “system”.We need to observe and observe by looking askew. As describedby Michel Foucault “looking askew” offers an intellectual tacticand a mind-frame. It involves a novel way of scrutinizing all theintellectual processes by which we transform patients' functionalpain or esthetic demands into successful outcomes via our diag-nosis and treatment. This indirect mode of looking at things is theprerequisite to the advent of a new and relevant mode of thinking[3]. Learning how to see things better and differently and learninghow to describe them more effectively are the only approacheswhich, since time immemorial, have allowed, and can still allow,the emergence of new paradigms in line with our current state ofknowledge and modern technology. Seeing our patients as wellas their records, opening up to all of the modern dental tech-niques and, more broadly, to all forms of exact and universalknowledge. Seeing, knowing, treating. In contrast, the “ready-made thought system” with all its inconsis-tencies is a violation of this primary postulate which limits practi-tioners’ ability to see, reduces their available vocabulary andformats their modes of thinking. Technique settles them into arole as machine-operators which it is difficult to shed. Locked intheir certainties and lacking all curiosity regarding fundamentalknowledge, they abdicate their critical judgement and run the riskof sinking into dogmatism. Measuring, calculating, implementing. The discourse, challenges and promises of the clinical methodare threatened with extinction in the wake of technique andrepetition.

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Le diagnostic par le « non-sens »

Le diagnostic orthodontique repose souvent aujourd’hui sur uneméthodologie fétichiste : la céphalométrie dimensionnelle et sta-tistique.Implicitement, cette céphalométrie postule qu’il existe des nor-mes chiffrées, un canevas géométrique « idéal », à partir des-quels il serait possible d’établir un diagnostic, d’élaborer un plande traitement et d’exprimer un pronostic. Ce que contreditd’emblée la formidable variabilité biologique et morphologiquedu vivant. La majorité des auteurs historiques ont pourtant misen garde contre l’emploi abusif de leurs propres indicateurscéphalométriques et en ont parfois « avoué » le caractère arbi-traire. La facilité de la méthode, compatible avec une orthodontiede masse en assurera néanmoins la domination.À l’opposé, une vision pertinente de l’extrémité céphalique existeavec l’analyse architecturale et notamment l’analyse structuraleet architecturale de Jean Delaire. Ici, l’œil du clinicien regardeles piliers, les poutres, les voûtes et les vides qui forment unecharpente fonctionnelle, vivante et pleine de sens : le théâtre etle spectacle de la fonction.Une fois pour toutes, notre propos n’est pas de condamner toutela céphalométrie qui garde une utilité comparative et statistique,mais de mettre en garde contre les raccourcis de la pensée« magique » qui transforment quelques mesures sans réalité cli-nique en panacée diagnostique. Contre la mal mesure del’homme

[4]. Contre cette vielle violence eugéniste du soignantqui force les « cas » dans des « cases » toujours trop étroites. Ladifférence est incommensurable entre un regard qui prend letemps d’observer et un autre qui « lit » des étiquettes, collées surun ombre radiologique.L’esthétique, qui occupe une place centrale dans le motif de laconsultation et dans la finalité thérapeutique n’est que très rare-ment l’objet d’un enseignement académique dans notre spécia-lité. Des droites, raccourcis désastreux de la pensée pressée,occultent les visages. Des yeux pour ne pas voir.

La recette en dépit de la mécanique

Nous voyons se déplacer les dents mais ce sont les alvéoles quise meuvent. La mécanique est l’essence du traitement orthodon-tique. Le produit des forces résultant à l’interface desmodontalepar le déplacement qu’elles provoquent, est une énergie méca-nique qui s’exprime en joules. Ainsi, à résultat égal, le meilleurtraitement, le plus respectueux, pourrait bien être celui quiminimise l’énergie totale transmise aux tissus parodontaux,labiles mais délicats. Cette entité biologique est aveugle auxsophistications sans fins de nos artifices. Seules comptent lespressions qui la stimulent ou au contraire la dégradent. Primumnon nocere.Fondamentalement, une force est un principe actif, au même titrequ’une molécule pharmacologique. L’analogie est féconde puisque

Diagnosing by “Non sense”

Orthodontic diagnosis often rests, today, on a form of fetishisticmethodology, i.e. dimensional and statistical cephalometry.

The cephalometric approach postulates implicitly that there existstatistically-based norms and an “ideal” geometric pattern enablingthe practitioner to make a diagnosis, draw up a treatment plan andproffer a prognosis. However, this method is immediately coun-tered by the formidable biological and morphological variability ofthe human being. Most leading authors in the past have warnedagainst the misuse of their own cephalometric indicators and haveeven confessed to their arbitrary nature. Nonetheless, the easewith which this method can be applied and made compatible withorthodontic practice has ensured its predominance. At the other end of the scale, architectural analysis and, more partic-ularly, the structural analysis devised by Jean Delaire have openedup a very pertinent approach to studies of the head. In this view, theclinician trains his/her eye on the pillars, beams, vaults and vacantspaces which constitute the functional framework of the head, thuslending it life and meaning as the theatre and spectacle of function.Our aim, once and for all, is not to condemn cephalometry out ofhand. This technique can still have its uses as a statistical tool forcomparison. However, we wish to warn against the short-cuts preva-lent in certain forms of “magic” thinking which transform a few mea-surements possessing no clinical reality into a diagnostic panacea.Against the mis-measure of man [4]. Against the old eugenisticviolence of those practitioners who try to force all their cases intothe same cramped pigeon-holes. There is a vast, incommensu-rable gap between the eye which takes time to observe and theeye which merely “reads” labels pasted on a radiological shadow. Esthetics is foremost among the reasons why patients consultand central to the aims of our treatment. And yet it is very rarelytouched upon in the courses taught in our speciality at medicalschool. The face is hidden behind a mesh of straight lines, like somany disastrous short-cuts devised by our hurried modes ofthought. Eyes unable to see.

Recipes in spite of mechanics

We see the teeth move and yet it is the tooth-sockets whichmove. Mechanics is of the essence in orthodontic treatment. Theproduct of the forces resulting, at the desmodontal interface, fromthe displacement these forces trigger is a mechanical energywhich is measured in joules. Thus, taken at equivalent outcome,the best and most respectful form of treatment would no doubt bethe one which minimizes the total energy conveyed to the peri-odontal tissues which are flexible but delicate. The periodontal tis-sues pay no heed to the endless sophistication of our artifices.Their only concern is the pressures which stimulate or, conversely,damage them.

Primum non nocere

.Basically, a force is an active principle, just like a pharmacologicalmolecule. The analogy is appropriate since the point at which a

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le point d’application et la direction d’une force, comme le tro-pisme d’une molécule, décident du tissu cible. L’intensité d’uneforce correspond à la dose prescrite et la durée d’exposition à ladurée de prise. En l’état de l’art, et exceptionnellement pourl’orthodontie, on accepte que le surdosage, le sur-traitement et laprescription aléatoire ne soient pas mesurés.Le débat se fixe sur les « informations » des attaches, expriméesau degré près et censées garantir le succès thérapeutique. Pro-mettant, qui une ouverture et une fermeture « plus facile » del’attache, qui un comportement « optimal » de l’appareillage, quiencore une position « idéale » de la denture… Pensées magiqueslà encore qui occultent le fait que, en méthode directe ou indi-recte, cette information sera la conséquence de l’anatomie parti-culière de la dent autant que du positionnement des attaches parle praticien. Et surtout que de toute façon, cette information estinaccessible sans un montage diagnostique tenant compte desdéterminants occlusaux du patient. Le marketing comme fonde-ment de la Clinique.La mécanique est une science exacte, heureusement, tant nosvies en dépendent. Néanmoins, jamais elle n’est traitée avecsérieux. La grande majorité des articles de littérature orthodonti-que affichent des schémas « mécaniques » insensés.Plusieurs auteurs ont contribué avec grand succès à la rationali-sation de la mécanothérapie. Leur apport universel ne jouit pasde la même pénétration dans le corps professionnel que la tech-nique prêt à porter. Ils ne proposent rien à la vente et n’ont parconséquent aucun budget communication !

Sapere aude !

«

Osez penser

! » [5], criait Emmanuel Kant à ses contemporainspour les aider à s’émanciper de la minorité intellectuelle. Ledomaine de l’impensé en orthodontie est bien plus vaste que ceque l’on pourrait croire de prime abord. L’avènement d’uneorthodontie basée sur la preuve, dans le terreau des fétichismeset des illogismes de la spécialité est problématique. Une cure debon sens préalable est très indiquée. «

Le bon sens est la chose dumonde la mieux partagée ; car chacun pense en être si bien pourvuque ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autrechose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont… Et ainsique la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sontplus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nousconduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas lesmêmes choses »

[6].

Une clinique à l’envers

Tournant le dos aux savoirs exacts et aux savoirs universels, les« spécialités » de la pratique contemporaine s’enferment dansdes techniques normées et, finalement, semblables. Les enjeuxde la Clinique se noient dans les sillons de la répétition. Dans cecontexte, la recherche n’est plus que vérification de ce que l’onsait déjà.

force is applied and its direction, like the tropism of a molecule,determine the tissue to be targeted. The intensity of a force corre-sponds to the dose prescribed and the duration of exposure to thetime over which a drug is taken. In the current state of our art, and toan exceptional degree in orthodontics, we accept that over-dosing,over-treating and random prescription need not be measured. Debate has focussed on the “information” contained in the bra-ckets, expressed to within a single degree and supposed to gua-rantee a successful outcome. Some promise that the bracket willbe easier to open and close, others that it will give optimal results,and others again that it will ensure the ideal position of the teeth.Magic thinking once again which disguises the fact that, whetherusing the direct or indirect method, this information will dependupon the specific anatomy of the tooth as well as on the position-ing of the brackets by the practitioner. In any case, and above all,the information remains inaccessible without a diagnostic over-view taking into account the patient's occlusal features. Marketingas a pillar of the clinical method. Mechanics is an exact science. And fortunately too, since ourlivelihoods are so dependent on it. Nevertheless, it is a sciencewhich is never taken seriously. The majority of articles in the orth-odontic literature display extravagant “mechanical” diagrams. Several authors have helped very successfully to streamlinemechanics although their universal contribution has not enjoyedthe same popularity among the orthodontists as the ready-madetechnique. They have nothing to sell so they enjoy no advertisingbudget!

Sapere aude!

“Dare to think

!

[5], exclaimed Emmanuel Kant to his contempo-raries in an attempt to help them to work free of the intellectualminority. The area covered by thoughtlessness in orthodontics isfar greater than one would at first believe. The advent ofevidence-based orthodontics amidst the mulch of fetishism andillogicality which characterize this specialty raises a number ofproblems. “

Common sense is the most widely shared asset in theworld since everyone believes they are so well provided with itthat even those people who are most finicky in every otherrespect generally feel no desire to be better endowed than theyare… And thus, the diversity of our opinions stems not from somebeing more reasonable than others but merely from our conduct-ing our thinking along differing paths, and not considering thesame things

” [6].

The clinical method turned upside down

By turning their backs on the exact sciences and the universal sci-ences, modern-day orthodontic specialists are shackling them-selves with standardized and, ultimately, similar techniques. Thechallenges set by the clinical approach are being smothered by thefurrows of repetition. In this setting, research is no more than a vali-dation of what is already known. Undoubtedly, it would be beneficial

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Il sera sans doute intéressant de retrouver tout le potentiel sub-versif de la Clinique. Subversif, au sens propre, qui est : mettre àl’envers ; déplacer les choses ; transgresser l’ordre qu’elles éta-blissent entre elles pour mieux les dépasser. Car c’est justementdans ce qui est difficile à saisir ou à énoncer par le clinicien querésident les avancées futures. Eloignons nous des fermeturesdogmatiques. Là est l’enjeu de la Clinique. Là sont les inventionsqu’elle promet.

Références/References

1. Foucault M. Naissance de la Clinique, PUF, Paris, 1963, Quadrige, 2007, 212 p.2. Lebrun F. Se soigner autrefois. Médecins, saints et sorciers au XVIIe et XVIIIe siècles. Messidor,

1983, éd. En poche, Le Seuil, 1995.3. Gould SJ. The Mismeasure of man. New York. WW Norton. 1996 (Traduction française : La mal

mesure de l’Homme. Éditions Odile Jacob).4. Sabot P. L’Expérience, le Savoir et l’Histoire dans les premiers écrits de Michel Foucault.

Archives de Philosophie 2006;69:285-303.5. Kant I. Was ist Aufklärung? Berlinische Monatschrifte, 1784. Meiner Felix Verlag, 1999 (Tra-

duction française : Qu’est-ce que les lumières ? Emmanuel Kant).6. Descartes R. Le discours de la méthode. 1637. Librio, 2004.

to rediscover the subversive potential of the clinical method. Sub-versive, in the literal sense of the word, namely, that which turnsthings upside down, gets them moving and transgresses the orderthey establish with one another in order to surpass them. Because itis quite precisely by targeting that clinician finds it difficult to graspand express that future progress will be made. Let us leave behindthe closed box of dogmatism. There resides the challenge for theclinical method. There await the inventions the method can provide.