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N Clment; le sens du silence
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Le sens du silence
Nadia CLEMENT, aide soignante, assistant de soins en grontologie
Points cls :
-La connaissance de lhistoire de vie de chaque patient est indispensable pour une bonne prise en
soin.
- Lcoute, lobservation et la communication
- Un tre humain est un tre avec des sentiments
- Un tre humain a toujours une place unique, quelle soit malade ou pas
Mots cls : trouble bipolaire, prendre soin, coute mme silencieuse, empathie.
Introduction
La situation de relation que j'ai vcue s'est
droule lors de mon deuxime stage que
j'ai effectu en grontologie psychiatrie.
C'est une petite unit de soins qui reoit
des personnes prsentant des troubles
psychiatriques aigus et bien souvent des
pathologies associes.
Mon rfrent, une infirmire du service me
prsente madame F. et me demande de la
prendre en soin. madame F. est
diagnostique d'une psychose maniaco
dpressive.
Madame F. est veuve et a perdu trois de
ses quatre enfants. Elle est ge de
79ans. Elle vit en maison de retraite et a
t hospitalise pour avoir t violente
envers un membre du personnel de cet
tablissement.
Depuis son arrive madame F. refuse tout
soin, ne mange, ne boit rien et ne prends
plus son traitement mdicamenteux. De
plus madame F. s'est enferme dans un
mutisme, elle ne dit plus un mot part: "je
suis morte", alors pour moi les premires
questions que je me suis poses ont t:
comment vais-je pouvoir entrer en contact
avec elle si elle se croit morte et si elle ne
souhaite pas me parler? Comment vais-je
pouvoir prendre soin d'elle si elle n'a pas
confiance en moi?
Description de la situation
Ce matin est grand jour pour moi car je
suis value pour la premire fois sur une
mise en situation professionnelle.
Il est 6h45, je commence ma journe par
lire les transmissions de la veille et de la
nuit passe.
D'aprs l'quipe soignante madame F.
refuse toujours les soins, s'exprime par
des gestes agressifs, reste dans
l'opposition de s'alimenter et de s'hydrater.
La situation m'inquite, je suis
dcourage. Je cherche comprendre son
silence depuis bientt quinze jours. Je
tente de rentrer en contact avec elle en
passant beaucoup de temps ses cts
malgr que l'absence de dialogue me mets
mal l'aise, mais je reste pour la rassurer
et pour lui faire savoir que je suis l pour
veiller sur elle. Je lui parle et je reste
toujours calme mais l, je me sens perdue,
dmunie.
Je vois les aiguilles de l'horloge qui
tournent, c'est la panique j'ai froid, j'ai une
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boule l'estomac et ma gorge est noue.
Elle m'a dstabilis ou plutt son silence
m'a branl. Un sentiment de culpabilit
m'envahit, je me mets penser que c'est
certain que madame F. ressentira ma
peur, mon stress, mon angoisse dans mes
gestes, dans mon regard et dans ma voix.
Je me ressaisis dans la minute qui suit et
dcide d'aller la voir.
Je rentre dans la chambre et m'approche
d'elle tout doucement, je m'accroupis pour
tre sa hauteur. Elle est rveille. Nos
regards se croisent. Je lui tends la main et
lui dit: "bonjour madame F." pas de gestes
de sa part mais elle me dvisage. Alors
d'une voix douce et calme je lui dis: "vous
n'avez pas envie de parler, c'est sans
doute difficile de vous exprimer pour le
moment mais je reste votre disposition,
c'est mon rle d'tre votre coute" puis
je lui explique qu'un jury vient ce matin
pour valuer mes comptences pour
devenir aide-soignante et que sans mon
diplme je ne pourrai pas exercer le mtier
que j'aime tant et que j'ai donc besoin de
savoir si elle accepte d'y participer.
Elle a l'air de m'couter. Je lui demande
alors si elle se sent capable de supporter
la situation. Elle hausse les paules et me
rponds: "je ne sais pas si je pourrais." et
me demande aussitt: "mais vous n'tes
pas aide-soignante?". Je la regarde et lui
sourit en lui rpondant: "non je vous ai
expliqu l'autre jour que je suis lve et
que je suis en stage ici pour un mois". Elle
me rtorque: "vous voulez tre aide-
soignante? Pourtant c'est un mtier
contraignant, les gens sont parfois
exigeants et pas toujours agrables". Je lui
rponds que pendant huit ans je me suis
occupe de personnes ges en maison
de retraite et que dans chaque unit ou j'ai
pu intervenir j'ai toujours fait de belles
rencontres.
Elle me sourit. Alors je tente de prendre sa
main, elle me laisse faire et lui pose la
question: "est ce que je peux compter sur
vous tout l'heure?" elle me donne ce
moment-l comme rponse: "je veux bien
y participer mais je ferai de mon mieux".
Je lui explique que les personnes
prsentent pendant les soins seront l
uniquement pour me regarder et me noter,
en aucun cas pour la juger et qu'il fallait
qu'elle reste elle-mme, naturelle tout
simplement.
Je me relve, m'loigne de son lit et en me
retournant pour fermer la porter lui dit: "je
vous fais confiance et vous remercie
d'avance."
Mon valuation commence et se droule
comme jamais je n'aurai pu l'imaginer les
premiers jours de mon stage.
Madame F. participe aux soins, voque
ses souvenirs de vacances avec son mari.
Je l'aide pour ses soins d'hygine et en la
touchant je trouve ses membres beaucoup
plus dtendus. Elle se lve pour la
premire fois sans difficults. Je lui
propose de passer dans la salle de bains
pour se laver les dents, elle accepte, elle
me suit et l, elle se regarde dans le miroir
au-dessus du lavabo. Elle fait des
commentaires de sa coiffure qu'elle trouve
affreuse. Dans son regard j'ai l'impression
que a fait un moment qu'elle ne s'est pas
vue physiquement.
Je l'accompagne jusqu' la salle manger,
elle s'arrte l'entre et regarde les autres
patients. Elle hsite et tiens mon bras, je
lui glisse l'oreille que je vais
l'accompagner jusqu' la table pour
l'installer, que je lui servirai son petit
djeuner. Elle avance et prends place
une table seule. Elle accepte son bol de
caf, sa brioche et prends son traitement
sans soucis.
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Le reste de la journe madame F. reste
comme son habitude prostre dans un
fauteuil relax l'accueil du service mais
elle m'interpelle aprs ma pause djeune
pour savoir si j'tais contente de mon
valuation. Je lui rponds que tout c'est
trs bien pass, je la remercie et lui fait
savoir que je suis ravie d'avoir entendu sa
douce voix. Elle demande ensuite si je suis
l le lendemain, je lui rponds que je suis
mon dernier jour, elle me regarde en
disant : " c'est dommage". Alors je tente de
la rassurer en lui expliquant que toute
l'quipe de soignants prsents dans l'unit
est l pour prendre soin d'elle et qu'ils sont
trs comptents. Je lui indique qu'elle peut
se confier eux, qu'ils sauront l'aider,
l'couter, qu'elle peut leur faire confiance.
La fin de ma journe arrive, je la salue et
quitte mon stage, contente d'avoir pu
changer ces mots avec elle
Analyse de la situation
Les premiers contacts que j'ai eus avec
madame F. m'ont mis en difficult car
j'tais confronte son mutisme. Ce
silence mettait une distance entre elle et
moi. Je ne comprenais pas, je souhaitais
dialoguer, changer avec elle mais elle ne
voulait pas.
J'tais tellement mal l'aise que j'en tais
arrive me dire que je prfrais sa
violence, car au moins dans ces moment-
l elle ragissait elle nous montrait qu'elle
existait.
Alors je me suis tout d'abord demand ce
que pouvait signifier son silence car j'avais
du mal croire qu'il n'avait aucune
signification.
Ma rflexion a commenc par des
suppositions.
Je me suis dit que peut tre elle ne
souhaitait pas parler, partager son
ressenti, qu'elle taisait ce qu'elle prouvait
pour mnager son entourage. J'ai pens
aussi qu'elle ne pouvait pas parler, que
c'tait trop dur pour elle, qu'elle ne trouvait
pas les mots pour traduire, exprimer ce qui
la proccupait. Je me suis demand aussi
si c'tait dans sa nature d'tre renferme
voir pudique.
Ensuite j'ai imagin qu'elle croyait peut
tre que parler ne changerai pas la
situation. Alors j'ai tent d'approcher
madame F. pour mieux comprendre la
situation car j'avais besoin de savoir ce qui
pouvait pousser quelqu'un se priver de
parler.
J'ai vite compris qu'il ne fallait pas que je
cherche com