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1 Le réarmement de l’armée française (janvier 1943 - février 1944) 1 Référence : TERRE 129-2779 Ecole des élèves aspirants de Cherchell (Algérie) : instruction et entraînement sur un char moyen Sherman M4 et un obusier automoteur de 75 mm Howitzer Motor Carriage M8. 10 décembre 1943. Photographe SCA / © ECPAD 1 Ces dates extrêmes correspondent à la datation des images fixes et animées disponibles sur le sujet dans le fonds Seconde Guerre mondiale de l’ECPAD. Le réarmement de l’armée française s’est poursuivi jusqu’en mai 1945.

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Le réarmement de l’armée française

(janvier 1943 - février 1944)1

Référence : TERRE 129-2779

Ecole des élèves aspirants de Cherchell (Algérie) : instruction et entraînement sur un char moyen Sherman M4 et un obusier automoteur

de 75 mm Howitzer Motor Carriage M8. 10 décembre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

1 Ces dates extrêmes correspondent à la datation des images fixes et animées disponibles sur le sujet dans le fonds Seconde Guerre mondiale de l’ECPAD. Le réarmement de l’armée française s’est poursuivi jusqu’en mai 1945.

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Sommaire

Introduction 1. La genèse du réarmement et les accords d’Anfa au Maroc 2. La première tranche du plan de réarmement et les premières livraisons (avril - juillet 1943) 3. La deuxième tranche du plan de réarmement (août - octobre 1943) L’assistance technique américaine aux unités françaises Le réarmement de l’armée de l’air et de la marine Conclusion Bibliographie

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Introduction Le réarmement de l’armée française à partir du début 1943 est rarement évoqué car il ne constitue pas un événement aussi impressionnant que les grandes batailles de la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, il est absolument déterminant car il marque le début d’une renaissance de l’armée française et permet l’engagement tangible des troupes françaises aux côtés des Alliés lors des combats de la Libération. Ce dossier ne veut pas traiter de manière exhaustive ce sujet, tant ce dernier est complexe, vaste et échelonné dans le temps. Le plan de réarmement de l’armée française a en effet fait l’objet de nombreuses négociations et tractations entre le haut commandement français et les états-majors interalliés, a donné lieu à de très nombreuses réunions et à un échange de correspondances non moins important entre les états-majors et les services alliés concernés et il a surtout nécessité la mise en œuvre d’une impressionnante logistique sur le terrain pendant près de deux ans.2 De nombreuses difficultés se sont imposées aux protagonistes tout au long de l’exécution de ce programme en raison de l’évolution des événements et des facteurs non pris en considération au départ : les demandes de réarmement trop ambitieuses et changeantes du haut commandement français (les effectifs français disponibles étant moindres en regard des demandes de réarmement), les susceptibilités des Britanniques redoutant que le réarmement français ne soit réalisé au détriment du leur et ne remette en question certaines opérations sur le terrain, la disponibilité des moyens maritimes pour le transport, les retards de livraison, le vocabulaire de désignation des matériels, les barrières linguistiques, etc. Ce programme de réarmement, difficile à appréhender, n’en constitue pas moins un réel enjeu pour l’avenir de l’armée française pendant la guerre et même l’après-guerre. Le dossier repose sur les reportages photographiques réalisés par le SCA (Service cinématographique de l’armée) alors basé à Alger, conservés à l’ECPAD et qui relatent cet épisode. Evalués à une quarantaine et répartis dans les séries « Terre », « Air » et « FFL », ils concernent avant tout l’armée de terre et dans une moindre mesure l’armée de l’air et la marine. Ils présentent des images des livraisons d’armement et de matériel américain en AFN (Afrique du Nord), des chaînes de montage et des dépôts de stockage d’Alger, d’Oran et de Casablanca, la répartition dans les unités françaises ainsi que de l’assistance américaine apportée aux soldats français, entre avril et octobre 19433. Les images abondantes sont le reflet de la masse de matériel livré. Il faut noter d’ailleurs qu’en même temps que les Etats-Unis pourvoient l’armée française en matériel militaire, l’Army Pictorial Service, le Service cinématographique de l’armée américaine, fournit de la pellicule au SCA qui disposait de peu de moyens à cette époque. 1. La genèse du réarmement et les accords d’Anfa au Maroc 4 Le plan d’aide militaire nécessaire à la reconstitution des forces françaises est envisagé dès octobre 1942 lors des entretiens de Cherchell (Algérie), entre le major general Mark W. Clark

2 Voir les archives consacrées au sujet conservées au SHD (Service historique de la Défense), cotes 5 P 1, 5 P 18, 5 P 48, 5 P 51, 7 P 12, 7 P 13, 7 P 17, 7 P 88, 7 P 202, 7 P 235, 7 P 236. 3 Seules les étapes du programme situées entre ces dates extrêmes sont majoritairement abordées dans les collections photographiques de l’ECPAD. Quelques images néanmoins couvrent les mois suivants jusqu’en février 1944. 4 « Historique sommaire du réarmement des forces françaises en AFN, 24 avril 1944, Alger », cote SHD 7 P 235.

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et le général de brigade Charles Mast, représentant respectivement le président américain Franklin D. Roosevelt et le général d’armée Henri Giraud, futur commandant en chef civil et militaire en AFN. Les accords qui en résultent prévoient l’équipement des Français par les Américains, celui des Français libres restant assuré par les Britanniques. Après le débarquement anglo-américain en AFN le 8 novembre 1942, le réarmement de l’armée d’Afrique avec du matériel américain moderne se précise. Il est convenu d’octroyer rapidement un minimum de matériel et d’armement aux troupes françaises engagées en Tunisie et d’équiper l’armée française pour les opérations futures.

Référence : TERRE 17-168 Sur le front tunisien en février 1943, des officiers américains et français font un point de situation en commun. Photographe SCA / © ECPAD

Bien qu’équipées d’un armement périmé, les troupes françaises prouvent leur valeur en faisant preuve d’une grande combativité, ce qui renforce le sentiment de confiance des Américains. Aussi, le general Dwight Eisenhower, commandant en chef des forces américaines en Europe et en AFN, décide-t-il de prélever rapidement des lots d’armement sur les dotations de l’armée américaine destinée au théâtre d’opérations et de les mettre à disposition des Français (fusils semi-automatiques, pistolets mitrailleurs, mitrailleuses…). Les estimations du bureau « Organisation » du général de division Roger Leyer, aide-major général auprès du général d’armée René Prioux, major général des forces terrestres et aériennes, laissent apparaître que les effectifs de Français disponibles en AFN permettraient de mettre sur pied 6 divisions d’infanterie motorisée (DI) et 2 divisions blindées (DB). Deux divisions d’infanterie de plus pourraient être armées par les troupes coloniales d’AFN et d’AOF (Afrique occidentale française), le total représentant 8 DI et 2 DB. Ainsi, 8 000 Français devraient constituer les unités des services de corps d’armée et d’armée. Cependant, le général d’armée Henri Giraud souhaite armer rapidement une troisième division blindée grâce aux effectifs des coloniaux et à certains éléments de Tunisie, portant le total des grandes unités à 8 DI et 3 DB. A la fin du mois de décembre 1942, le général de division Antoine Béthouart, chef de la mission militaire française aux Etats-Unis, expose au War department américain cette première ébauche du programme de réarmement qui comprend notamment : l’équipement d’un QG d’armée, de trois états-majors de corps d’armée, de onze divisions et le matériel nécessaire au soutien de ces forces. Entre temps, le général Giraud exige deux divisions

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d’infanterie supplémentaires mais les Alliés n’accèdent pas à cette nouvelle demande d’autant que le commandement français privilégie la mise sur pied d’unités combattantes au détriment d’unités de soutien et des services pourtant indispensables aux combattants (cette situation perdure toute la durée d’exécution du plan).

Référence : TERRE 34-625

Sur une chaîne de montage à Alger, le général de division Roger Leyer, aide-major général chargé de l'organisation, donne des informations concernant un char léger Stuart M5A1

au général d'armée Henri Giraud, commandant en chef civil et militaire. 17 avril 1943. Photographe SCA / © ECPAD

Face à ces tergiversations du haut commandement français et aux difficultés techniques, présentes et à venir, rencontrées par l’état-major américain avec l’état-major français, le general Dwight Eisenhower créé le JRC (Joint Rearmement Committee) ou Comité mixte de réarmement, le 16 décembre 1942. Mis en place auprès de l’AFHQ (Allied Force Headquarters), le JRC, dirigé par le colonel de l’US Army air corps William Gardiner, est « responsable de la centralisation des demandes d’équipement, de l’élaboration et du suivi de l’exécution des plans, et de toute la coordination entre les autorités françaises et les autorités alliées concernées par le réarmement ».5 Le comité va, dans ce cadre et durant 22 mois d’existence, jouer un rôle capital dans le réarmement de l’armée française.

5 L’armée de la victoire, le réarmement 1942-43, Paul Gaujac, Editions Charles-Lavauzelle, Paris, 1984, page 110.

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Référence : TERRE 51-983

Sur le champ de manœuvres d’Alger, le général d’armée Henri Giraud prononce un discours lors d’une cérémonie franco-américaine pour la remise des premiers matériels américains aux

troupes françaises. Sont présents à ses côtés, le general Dwight Eisenhower et le colonel William Gardiner, président du JRC (Joint Rearmement Committee).

8 mai 1943. Photographe SCA / © ECPAD En janvier 1943, la conférence d’Anfa (banlieue de Casablanca au Maroc) réunit le président américain Franklin D. Roosevelt, le premier ministre britannique Winston Churchill et les généraux français Henri Giraud et Charles de Gaulle. Elle scelle définitivement l’engagement du président Roosevelt auprès des Français et ce malgré l’avis du War department qui trouve le programme d’armement trop ambitieux et la défiance des Britanniques envers l’armée d’Afrique qui lui reprochent d’être restée jusqu’à présent loyale envers le gouvernement de Vichy. Néanmoins, aux termes des accords qui constituent ce « plan d’Anfa » du 24 janvier 1943, les Etats-Unis s’engagent à rééquiper et à réarmer l’armée française sur la base de 8 DI et de 3 DB. Ce plan s’inscrit, selon la volonté du président Roosevelt, dans l’application de la loi sur le prêt-bail qui « permet aux Etats-Unis depuis mars 1941, de vendre, de prêter ou de louer du matériel de guerre à tout pays dont la défense apparaît comme vitale pour les intérêts des Etats-Unis ».6 2. La première tranche du plan de réarmement et les premières livraisons de matériel (avril - juillet 1943) Un problème, récurrent pendant toute l’exécution du programme, est celui du shipping (le transport maritime) nécessaire à la livraison du matériel devant équiper les 11 divisions. 325 cargos, dont les Alliés ne disposent pas, seraient d’ores et déjà nécessaires.

6 Le réarmement et la réorganisation de l’armée de terre française (1943 - 1946), chef de bataillon J. Vernet, Service historique de l’armée de terre, Vincennes, 1980, page 92.

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Aussi, dès le début de mois de février, les Américains font savoir qu’ils ne peuvent mettre à disposition plus de 25 000 tonnes de fret par mois. Le général Giraud propose une participation française à hauteur de 165 000 tonnes mais la plupart des navires français doivent être mis en carénage pour être modernisés. Cependant, en application des accords d’Anfa, le général d’armée René Prioux sollicite auprès du JRC l’expédition immédiate d’une première priorité pour 3 divisions d’infanterie motorisée, 4 bataillons de tanks destroyers, 2 régiments de chars ainsi que des groupes de DCA équipés en 40 mm (pour un fret estimé à 256 000 tonnes). Aucune unité de service n’est prévue mais le crédit nécessaire à leur armement passe de 8 000 à 11 000 hommes. Le shipping à 25 000 tonnes par mois n’étant pas respecté, les livraisons prennent du retard. A la mi-février, devant l’inquiétude des Français qui demandent une allocation de 100 000 tonnes par mois pour achever la première tranche en deux mois, les Américains se disent prêts à organiser un convoi spécial de 126 000 tonnes en prélevant le matériel sur des divisions américaines en cours d’organisation. Au début du mois de mars, la livraison des unités commandées au titre de la 1re priorité du plan d’Anfa est annoncée ainsi que les unités de services suivantes : 1 bataillon moyen de réparation, 1 bataillon lourd de réparation et 1 compagnie de services. Cette livraison constitue la première tranche du programme d’Anfa. Le 19 mars 1943, le convoi spécial baptisé UGS 6 bis composé de 15 Liberty ships appareille des Etats-Unis et accoste en AFN le 11 avril (11 cargos sont déchargés à Alger et 4 à Casablanca). Les navires transportent le matériel destiné à 2 divisions d’infanterie, 3 régiments de chars, 3 bataillons de tanks destroyers, 3 bataillons de reconnaissance et 3 bataillons de DCA. Le convoi comprend aussi bien du matériel lourd que de l’armement léger et de l’équipement individuel.

Référence : TERRE 112-2250 Des prisonniers italiens réquisitionnés déchargent une caisse de matériel destiné aux troupes françaises sur le port de Casablanca. Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

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Le marquage des caisses de transport (l’image ci-dessus présente une caisse livrée en octobre 1943) : UG = convoi en provenance des USA S = slow (lent) en opposition aux UGF (fast pour rapide) Selon les prescriptions de l’AFHQ, toutes les caisses sont identifiées grâce au marquage NAFUS pour North African French – US et des bandes tricolores (horizontales sur cette caisse). Les convois sont composés de cargos Liberty ships sur lesquels les caisses sont embarquées, de navires de débarquement LST (Landing ship tank) et LCI (Landing craft infantry) qui seront utilisés pour les différents débarquements en Méditerranée, de pétroliers ainsi que de destroyers d’escorte et de dragueurs de mines assurant la protection des navires. Le déchargement et le montage A Alger, à compter du 10 avril 1943, un détachement américain dirigé par le brigadier Ernest A. Suttles improvise en moins d’une semaine 5 chantiers d’assemblage (camions de transport GMC, camionnettes Dodge-Chevrolet, jeeps, remorques ainsi qu’une station-service et un point de contrôle des chars et des véhicules blindés). Du 14 au 21 avril, tous les cargos sont déchargés et le matériel assemblé très rapidement par 75 officiers et 2 300 hommes issus des chantiers de jeunesse, de la marine, des corps de troupes ou des écoles militaires, assistés de conseillers et d’instructeurs américains, jusqu’au 5 mai 19437, date à laquelle les Français devraient être autonomes. Ces derniers se heurtent toutefois à de nombreuses difficultés inhérentes à la réception d’un tel volume de matériel : les composants d’un même matériel ou véhicule sont parfois répartis dans des cargaisons différentes, les notices techniques de montage et d’utilisation ne sont pas systématiquement traduites en français, les catalogues d’inventaire d’un matériel recensent parfois jusqu’à 800 pièces différentes, etc.

Référence : TERRE 34-634 Le général d’armée Giraud inspecte une chaîne de montage de véhicules américains sur le port d’Alger. Au premier plan, un soldat français vérifie le moteur d’une jeep Willys. 17 avril 1943. Photographe SCA / © ECPAD

7 L’armée de la victoire, le réarmement 1942-43, Paul Gaujac, Editions Charles-Lavauzelle, Paris, 1984, page 118.

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Référence : TERRE 34-643 Sur une zone de stockage d’Alger, un colonel américain présente une jeep amphibie Ford GPA aux officiers généraux français présents : le général d’armée Giraud, commandant en chef civil et militaire, le général d’armée Prioux, major général des forces terrestres et aériennes et le général de division Leyer, aide-major général chargé de l’organisation. 17 avril 1943. Photographe SCA / © ECPAD

Le 29 avril 1943, l’armée française reçoit ses premières dotations en matériels, véhicules et armement américains modernes. Référence : TERRE 44-891 Le brigadier américain Ernest A. Suttles, responsable de la mise en place des chantiers d’assemblage d’Alger, et le général d’armée René Prioux, major général des forces terrestres et aériennes, échangent une poignée de mains lors des premières réceptions de matériel par l’armée française. Alger, 29 avril 1943. Photographe SCA / © ECPAD

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Référence : TERRE 44-893 Le portique surmontant une chaîne de montage de matériels américains installée sur le port d’Alger. La pancarte accrochée au portique porte l’inscription galvanisante : « Sous ce portique passe un fleuve d’énergie qui va concourir à la reconstruction de la France éternelle et de son empire ». 29 avril 1943. Photographe SCA / © ECPAD

La base de transit militaire d’Alger en avril 1943 est articulée de la manière suivante :

- la base, qui comprend les services généraux avec les services de manutention, de sécurité, de pointage, de convoyage, de régulation, de transport, les services médicaux,

- les chaînes de montage ou d’assemblage (7 000 véhicules y sont montés en moins d’un mois),

- les dépôts ou zones de stockage (huit dépôts locaux avant répartition du matériel dans les unités).

La répartition et la livraison du matériel aux unités.

Référence : TERRE 34-646 Un char moyen Sherman M4 du 5e RCA (Régiment de chasseurs d’Afrique) de la 1re DB (Division blindée) progresse sur une route du bord de mer pour rejoindre Boufarik à une trentaine de kilomètres du port d’Alger. 17 avril 1943. Photographe SCA / © ECPAD

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Référence : TERRE 48-965 Constitution d’un convoi ferroviaire transportant des chars légers Stuart M5A1. 4 - 5 mai 1943. Boufarik (Algérie). Photographe SCA / © ECPAD

Référence : TERRE 48-966 Des chasseurs de chars ou tanks-destroyers M10 sont alignés à Boufarik (Algérie) avant leur prise en compte par les escadrons d’un régiment de chasseurs d’Afrique. 4 - 5 mai 1943. Photographe SCA / © ECPAD

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Référence : TERRE 51-987 Sur le champ de manœuvres d’Alger, lors d’une cérémonie franco-américaine : des artilleurs des 1er et 2e groupes du 63e RAA (Régiment d’artillerie d’Afrique) de la 2e DIM (Division d’infanterie marocaine) sont sur les rangs avec leurs nouvelles dotations d’obusiers de 105 mm Howitzer M2. 8 mai 1943. Photographe SCA / © ECPAD

Cette cérémonie marque la fin de la campagne de Tunisie et les premières livraisons de matériel aux unités françaises dans le cadre du plan de réarmement d’Anfa. A la mi-mai 1943, sur les 293 000 tonnes allouées, 193 000 ont été livrées, dont 126 000 par le convoi spécial. Le reliquat de cette première tranche est livré par différents convois dans les deux mois qui suivent. 3. La deuxième tranche du plan de réarmement (août - octobre 1943) Dans la région d’Oran, dès la fin juillet 1943, l’équipement et la mise sur pied rapides du CEF (Corps expéditionnaire français) (70 000 à 75 000 hommes), destiné aux opérations en Italie au sein de la Ve armée américaine, permet d’appuyer la réalisation de cette nouvelle tranche. Ainsi, l’armement individuel qui équipe les unités du CEF est constitué de pistolets automatiques Colt, de pistolets mitrailleurs Thompson ainsi que de fusils modèles 1903 et 1917. L’armement collectif comprend des fusils mitrailleurs Browning, des mitrailleuses légères, des mitrailleuses de 12,7 mm, des lance-fusées antichars, des canons antichars, des obusiers et des mortiers d’infanterie. Les régiments de reconnaissance sont dotés de chars légers Stuart, d’automitrailleuses et de scouts cars. Les régiments de chasseurs de chars sont, quant à eux, équipés de tanks destroyers. L’artillerie dispose d’obusiers de 105 HM2 et de 155, celle des unités de montagne a du matériel de 75 « montagne ». Les véhicules sont bien adaptés aux nouvelles conditions de combat : jeeps, command-cars, camionnettes Dodge-Chevrolet, camions GMC et véhicules spéciaux selon les armes et les services. Les Etats-Unis fournissent également des collections d’habillement, des rations de combat, des lots médicaux et du carburant.

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Référence : TERRE 112-2259 Vue du port de Casablanca : Liberty ships à quai et au déchargement. Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD Néanmoins, deux évènements obligent le haut commandement français à revoir les prévisions du plan d’Anfa initié à 3 DB et 8 DI : - la fusion de l’armée d’Afrique (général Giraud) et de celle de la France libre (général de Gaulle) ; avec elle, la question du réarmement de la 2e DB (Division blindée) et de la 1re DFL (Division française libre) se pose (voir infra page 19) ; la décision de réarmer la 2e DB étant prise, le nombre de DB passe de 3 à 4 ; - la commande d’un 4e état-major de corps d’armée devient nécessaire. Par ailleurs, les Américains exigent que le nombre d’unités de soutien et les services soit augmenté et surtout que leur mise sur pied soit vraiment effective. Alors que la première tranche est encore en cours de livraison, la deuxième tranche est fixée, en tenant compte des éléments cités ci-dessus. Elle est mise en commande par l’AFHQ auprès du War Department, toujours sur les prévisions d’un rythme de livraison de 25 000 tonnes mensuelles, et comprend : 2 DB, 1 état-major d’armée, 2 états-majors de corps d’armée, 6 groupes d’artillerie et de DCA ainsi que 33 000 tonnes de fret destinées aux services. Sa livraison s’effectue assez rapidement à compter du 10 août 1943. A la demande de l’AFHQ, ce plan dit du « 15 août » est découpé en 6 tranches, la première correspondant à la première tranche déjà livrée et la seconde à la deuxième tranche en cours de livraison.

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Référence : TERRE 112-2317

Des Liberty ships sont à quai dans le port de Casablanca. Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

Référence : TERRE 91-1659 Le général d’armée Giraud, commandant en chef civil et militaire, et les officiers chargés des chaînes de montage de matériels américains, visitent les installations sur le port de Casablanca. 6 septembre 1943. Photographe SCA / © ECPAD A partir de la deuxième tranche du plan, les ports de Casablanca et d’Oran sont privilégiés, ils connaissent dés lors une grande activité comparée à celle du port d’Alger.

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Référence : TERRE 91-1664 Chaîne de montage de matériels américains sur le port de Casablanca : une automitrailleuse ou Light armored car Ford M8 est sortie de sa caisse de transport. 6 septembre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

Référence : TERRE 91-1665 Chaîne de montage de matériels américains sur le port de Casablanca : des soldats français déballent de leurs caisses de transport des autochenilles blindées ou half-track M3. 6 septembre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

Une estimation fixe à environ deux mois entre la date d’expédition du matériel depuis un port américain et sa réception par une grande unité française, soit :

- 10 à 15 jours pour le chargement, - 25 jours de traversée, - 10 à 15 jours pour amener à quai, - 4 à 5 jours pour le débarquement8.

8 L’armée de la victoire, le réarmement 1942-43, Paul Gaujac, Editions Charles-Lavauzelle, Paris, 1984, page 137.

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Référence : TERRE 112-2291 Sur le port de Casablanca, une vue d’ensemble d’une chaîne de montage des matériels livrés par les Américains. Au premier plan, des remorques de jeeps sont déballées et assemblées par des marins français. Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

Référence : TERRE 112-2297 Une zone de stockage de jeeps Ford GPW assemblées sur une chaîne de montage de Casablanca. Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

Référence : TERRE 112-2299 Une zone de stockage d’automitrailleuses ou Light armored car Ford M8 en cours d’assemblage près de Casablanca. Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

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Référence : TERRE 112-2305 Un officier fait l’inventaire des pièces détachées et des accessoires dans la zone de stockage d’obusiers de 105 mm Howitzer M2. Casablanca. Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

Référence : TERRE 115-2361 Vue générale de la chaîne de montage de camions de transport GMC d’Oran. Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

Référence : TERRE 115-2365 Des pneus et des cabines de camions de transport GMC sont stockés sous un portique avant leur montage sur les châssis des véhicules à Oran. Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

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Référence : TERRE 115-2366 Des légionnaires et des soldats américains assemblent des camions de transport GMC CCKW sur une chaîne de montage à Oran. Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

Le plan sur lequel le réarmement va se poursuivre est entaché de problèmes récurrents : les Américains trouvent que le nombre de divisions blindées est trop élevé, que la proportion de services est encore trop faible et qu’il n’y a pas assez d’effectifs disponibles pour armer toutes les unités prévues. Ce déséquilibre entre les souhaits de l’armée française et ses moyens est de plus en plus prégnant. De fait, à partir de septembre 1943, les approvisionnements se poursuivent à un rythme plus lent. Par ailleurs, les difficultés de transport persistantes malgré les moyens considérables déployés ne permettent pas de livrer la totalité du matériel prévu et le nombre d’unités combattantes doit être réduit. Trois tranches et demie du programme d’Anfa, qui en comportait 6, parviennent en AFN entre mars et décembre 1943.

L’assistance technique américaine aux unités françaises

La mise en oeuvre rapide et efficace de ces matériels modernes nécessite une phase d’instruction indispensable. Aussi, dès le 19 décembre 1942, le general Dwight Eisenhower demande à la Ve armée américaine au Maroc d’assister les troupes françaises et au JRC d’établir des programmes d’instruction sur l’emploi et l’entretien du matériel et de l’armement. A partir des premières livraisons du mois d’avril 1943, des équipes d’instructeurs américains sont détachées auprès des unités françaises en cours de rééquipement (chaque équipe comprend une quinzaine de conseillers qualifiés, dirigée par un officier) alors que des instructeurs français sont formés directement auprès des unités et des écoles américaines en Afrique du Nord et aux Etats-Unis. « Les délais d’instruction sont estimés à deux mois pour les régiments d’infanterie, trois pour les régiments blindés et six pour les formations techniques ».9

9 L’armée de la victoire, le réarmement 1942-43, Paul Gaujac, Editions Charles-Lavauzelle, Paris, 1984, page 125.

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Référence : TERRE 114-2356 Au centre d'instruction de la 2e DB (Division blindée) de Temara au Maroc, un sergent instructeur américain donne des détails techniques à des soldats de la division sur les galets de roulement d’un obusier automoteur de 105 mm Howitzer Motor Carriage M7 (surnommé Priest par les Britanniques). Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

Référence : TERRE 114-2355

Au centre d'instruction de la 2e DB (Division blindée) de Temara au Maroc, un sergent instructeur américain donne des explications à des soldats de la division sur le fonctionnement d'un moteur de char. Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

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Référence : TERRE 114-2354 Au centre d'instruction de la 2e DB (Division blindée) de Temara au Maroc, un sous-officier instructeur américain explique à des soldats de la division le fonctionnement et le démontage d'une mitrailleuse de 12,7 mm Browning M2. Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD Le réarmement de la 2e DB du général Leclerc est décidé lors de la fusion des armées des généraux Giraud et de Gaulle en août 1943. Les 2e DB et 1re DFL des Forces françaises libres doivent être intégrées dans le plan de réarmement des 11 divisions et doivent reverser tout le matériel qu’elles ont perçu auprès des Britanniques. Le général Giraud refusant de renoncer à deux de ses divisions propose un remaniement du plan d’Anfa à 4 DB triangulaires au lieu de 3 DB carrées10 ce qui permet d’équiper la 2e DB en plus des trois autres grandes unités blindées déjà prévues (modifiant ainsi le plan d’Anfa à 8 DI et 4 DB). Sa transformation en unité blindée et son réarmement sont effectifs en seulement quelques jours. La 1re DFL, finalement exclue du plan, reste équipée à la britannique. La 2e DB s’installe en juillet 1943 dans la forêt de Temara au Maroc à 60 km du port de Casablanca. Outre ces images, le sujet est relaté dans un extrait du film « Une et indivisible » de la série « Ici la France » « La revue filmée du mois » réalisée par l’OFIC en 1943 (voir le montage vidéo joint).

Le réarmement de l’armée de l’air et de la marine

Le réarmement de l’armée de l’air Lors de la conférence d’Anfa, tout comme pour l’armée de terre, le général d’armée Giraud a des vues très ambitieuses pour l’armée de l’air puisqu’il souhaite la création d’une force aérienne forte de 500 avions de chasse, de 300 de bombardement et de 200 de transport, soit

10 L’armée de la victoire, le réarmement 1942-43, Paul Gaujac, Editions Charles-Lavauzelle, Paris, 1984, page 131.

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un total de 1 000 avions. Le commandement de l’air français en AFN est, quant à lui, optimiste en avançant que cette force aérienne peut être mise sur pied et opérationnelle sur le terrain au 1er avril 1943.11

Référence : TERRE 9-113

Prise d'armes franco-américaine lors de l’arrivée du groupe "Lafayette" sur l'aérodrome d'Alger. Au premier plan, les avions de chasse Curtiss P-40F Warhawk du groupe.

8-9 janvier 1943. Photographe SCA / © ECPAD Le commandement français souhaite par ailleurs que ces forces aériennes d’Afrique du Nord, placées sous les ordres du général de corps aérien Mendigal puis du général de corps aérien Bouscat, agissent en étroite liaison avec l’armée de terre. Se pose donc le problème de la doctrine d’emploi de ces forces puisque les Alliés conçoivent l’appui aérien aux opérations terrestres sous la conduite d’un grand commandement alors que les Français préconisent la répartition des moyens aériens entre les grandes unités de l’armée de terre. Au mois de mai 1943, les Alliés font comprendre aux Français que le réarmement de l’armée de l’air est subordonné à la création d’un commandement aérien français indépendant. Après quelques revirements, les desiderata en matériel du commandement français soumis au commandement de l’USAF (US Air force) et aux combined chiefs of staff ou chefs de l’état-major combinés sont approuvés mais largement revus à la baisse. Ainsi, les Etats-Unis envisagent-ils de ne livrer que 450 avions sur les 1 000 souhaités. Les complications rencontrées par les Alliés après l’invasion de la zone libre en France, le débarquement des Allemands en Tunisie mais surtout les difficultés d’acheminement de l’énorme logistique nécessaire au soutien d’une force aérienne en campagne (munitions, carburant, matériel de

11 « A la reconquête de la France », Christian-Jacques Ehrengardt, in Aéro journal n° 23, février –mars 2002, Le réarmement 1943/1944, Aéro-Editions, Fleurance, 2002, page 7.

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piste, pièces de rechange, etc.) justifient ce changement et expliquent que la mise sur pied opérationnelle au 1er avril n’est pas achevée. Néanmoins, entre fin 1942 et fin 1944, de nombreux personnels navigants sont formés et une douzaine de groupes de chasse sont rééquipés en appareils américains et britanniques Curtiss, Spitfire, Hurricane…, une quinzaine de groupes de bombardement en avions Martin B-26 Marauder, Douglas SDB-3…, ainsi que des unités de reconnaissance, d’observation et de transport.

Référence : TERRE 112-2268

Remorquage dans une rue de Casablanca d’avions de reconnaissance et bombardiers en piqué Douglas SBD-3 Dauntless sortant d’une chaîne de montage.

Octobre 1943. Photographe SCA / © ECPAD

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Référence : AIR 38-729 Une chaîne de montage d'avions de chasse Curtiss P-40 à Casablanca. Les appareils sont livrés en pièces détachées dans des caisses en bois : une caisse contient le fuselage, une seconde contient les plans fixes horizontal et vertical ainsi que les accessoires de l’appareil. Février 1944. Photographe SCA / © ECPAD

Référence : AIR 38-733

Le fuselage d’un avion de chasse Curtiss P-40 est sorti de sa caisse de transport sur une chaîne de montage de Casablanca. L’assemblage se fait par suspension sur un portique.

Février 1944. Photographe SCA / © ECPAD

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Le réarmement de la marine Le réarmement de la marine dont il n’existe pas de photographies dans les fonds conservés à l’ECPAD, consiste surtout en un vaste programme de réparation et de transformation de bâtiments français ainsi que de cessions de navires. Des hydravions Walrus et Sunderland, des vedettes de défense du littoral et des collections d’habillement ont en outre été fournis. Ainsi, certains navires français sont mis en carénage aux Etats-Unis ou aux Bermudes dès janvier 1943. Pour certains, ils avaient subi des avaries lors des bombardements ou d’engagements au moment des évènements de novembre 1942 en AFN. Quelques-uns de ces bâtiments modernisés dans les ports américains sont :

- le Richelieu, bâtiment de ligne, qui rallie l’arsenal de Brooklyn en février 1943 où il est remis en état et ses armement et équipement modernisés ; il est incorporé dans la Home Fleet à Scapa Flow (nord de l’Ecosse, océan Atlantique) à compter de fin novembre 1943,

- le croiseur Montcalm qui appareille le 30 janvier 1943 pour les Etats-Unis où il subit également des travaux de modernisation à Philadelphie,

- les contre-torpilleurs, reclassés croiseurs légers, le Fantasque et le Terrible qui parviennent à Boston le 21 février 1943 où ils sont également modernisés jusqu’en mai 1943 (la DCA existante est transformée avec l’installation de canons de 40 mm et de 20mm, des radars et des sonars sont embarqués),

- les pétroliers Lot et l’Elorn (ce dernier fera notamment partie du convoi UGS 6 bis). Aux Bermudes, la Grande-Bretagne a également contribué au réarmement de la marine française en modernisant notamment :

- le torpilleur la Tempête modernisé en mai et juin 1943 (5 canons de 20 mm, grenadeur anglais, asdic, radar),

- les avisos dragueurs le Commandant Bory et Gazelle. L’éloignement géographique de ces opérations peut expliquer l’absence d’images prises par le SCA Marine alors stationné à Casablanca au Maroc. Conclusion Malgré le manque d’effectifs pour armer autant de divisions que le souhaitait le haut commandement français et en dépit de l’obstination de ce dernier à délaisser les formations de soutien et les services au profit des unités combattantes, le réarmement de l’armée française reste un succès eu égard aux résultats et aux difficultés rencontrées lors de l’exécution du plan d’Anfa. De janvier à août 1943, les livraisons sont relativement rapides et fidèles aux prévisions et permettent de mettre sur pied les divisions souhaitées. Les unités de services et de soutien font cependant cruellement défaut. Après octobre 1943, les tranches du plan de réarmement apparaissent plus floues et le rythme des livraisons est ralenti. Il n’en reste pas moins que cette importante aide américaine permet à l’armée française de renaître, de se consolider et de se lancer dans la campagne d’Italie aux côtés des Alliés dès novembre 1943. Constitué le 22 mai 1943 en Afrique du Nord, le Corps expéditionnaire français (CEF), majoritairement armé à l’américaine, arrive en Italie le 21 novembre 1943, placé sous le commandement de la Ve armée américaine du général Clark. Le SCA quitte alors l’AFN pour suivre le CEF en Italie : après s’être focalisés sur la couverture du réarmement, les reporters

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du SCA se mettent à relater la campagne d’Italie. Les reportages photographiques reflètent cette situation. Sources

- Archives du SHD (Service historique de la Défense), « Série P : Deuxième guerre mondiale » et plus précisément les cotes 5 P 1, 5 P 18, 5 P 48, 5 P 51, 7 P 12, 7 P 13, 7 P 17, 7 P 88, 7 P 202, 7 P 235, 7 P 236

- « Historique sommaire du réarmement des forces françaises en AFN, 24 avril 1944, Alger », cote SHD 7 P 235

Bibliographie succincte

- Le réarmement et la réorganisation de l’armée de terre française (1943 - 1946), chef de bataillon J. Vernet, Service historique de l’armée de terre, Vincennes, 1980

- L’armée de la victoire, le réarmement 1942-43, Paul Gaujac, Editions Charles-Lavauzelle, Paris, 1984

- « A la reconquête de la France », Christian-Jacques Ehrengardt in Aéro journal n° 23, février - mars 2002, Le réarmement 1943/1944, pages 4 - 30, Aéro-Editions, Fleurance, 2002

- Les navires français en images 1939 – 1945, Jean Moulin, Marines éditions, Rennes, avril 2005

Dossier réalisé par Albane Brunel et Christine Majoulet, responsables du fonds Seconde Guerre mondiale