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LE PÉRIGORD ET LES CARTES histoire de la cartographie en Périgord et le Périgord à travers les cartes et descriptions géographiques par Rémy Durrens Université de Limoges Et Lycée A. de Saint-Exupéry 24122 Terrasson [email protected] Le présent article se fait l’écho d’une thèse d’histoire soutenue, en décembre 2011 à l’Université de Limoges, sous la direction de Michel Cassan avec pour membres du jury Philippe Allée, professeur de géographie et doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Limoges, Anne-Marie Cocula, professeur émé- rite à l’Université de Bordeaux III et présidente du jury, Paul Dhollander, professeur d’histoire à l’université de Limoges, Isabelle Laboulais, professeur d’histoire à l’Université de Strasbourg et Jacques Perret, professeur à l’université de Poitiers. Cette thèse s’insère dans un champ historiographique qui a fortement évolué ces dernières années et ambitionne une double étude conjuguée : celle des représentations d’une province à tra- vers les cartes qui l’ont décrite au cours de cinq siècles et celle de l’évolution de la cartographie, dans ses techniques et réalisations, appliquée à ce territoire. Le texte de la thèse est constitué de deux volumes. Le premier d’environ 700 pages de texte, articulées en onze chapitres où sont inclus plus d’une centaine de documents et schémas explicatifs, comprenant également la présentation du corpus d’archives sur 35 pages, la bibliographie sur 47 pages et un index des noms de lieux et de personnes. Le deuxième volume consiste en un recueil de cartes et de plans au format A3 reproduisant 60 documents cartographiques parmi les plus importants. 69 CFC (N°215- Mars 2013) 1 Problématiques d’ensemble 1.1 Le cadre Les diverses sources historiques et cartogra- phiques révèlent que l’entité territoriale périgourdine s’est perpétuée, depuis le territoire de la cité gallo- romaine, en passant par les notions médiévales et modernes de comté et de sénéchaussée jusqu’à l’époque contemporaine avec des limites reprises, à quelques détails près, par celle du département de la Dordogne, ce qui est assez rare sur l’ensemble des départements français. Cette continuité d’un territoire n’a pas empêché une certaine fracturation interne : deux diocèses à partir du XIV e siècle (ceux de Périgueux et Sarlat), et deux « élections » ; un Périgord Noir ou haut Périgord et un Périgord Blanc, mentionnées à partir du XVI e siècle. Ce Périgord plu- riel, repris par les quatre pays actuels n’a pas nui à une unité qui s’est toujours confirmée. Le cadre chronologique pour les cartes de ce Périgord pluriséculaire a été, pour cette raison, envi- sagé le plus large possible, depuis les premières traces cartographiques jusqu’aux évolutions les plus récentes. L’étude de cette ancienne province, sur un temps long, et de ce qui s’y est passé en matière de cartographie, à travers les cartes et les écrits géogra- phiques qui les complètent ou les accompagnent avait donc pour ambition une certaine exhaustivité. La démarche n’est pas, en elle-même, nouvelle. Des approches de ce type, à l’échelle d’une province et sur plusieurs siècles, ont été quelques fois menées comme pour la Provence, la Bretagne ou la Franche- Comté. Mais, dans ces études, le corpus de cartes était soit trop important, soit peu approfondi ou seu- lement axé sur quelques cartes-clés ayant valeur d’exemple, et les documents y étaient souvent abor- dés d’une manière classique proche de l’étude archi- vistique.

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Page 1: LE PÉRIGORD ET LES CARTEStemps long, et de ce qui s’y est passé en matière de cartographie, à travers les cartes et les écrits géogra - phiques qui les complètent ou les accompagnent

LE PÉRIGORD ET LES CARTES histoire de la cartographie en Périgord et le Périgord à travers les cartes et descriptionsgéographiques

par Rémy Durrens

Université de LimogesEt Lycée A. de Saint-Exupéry24122 [email protected]

Le présent article se fait l’écho d’une thèse d’histoire soutenue, en décembre 2011 à l’Université de Limoges,sous la direction de Michel Cassan avec pour membres du jury Philippe Allée, professeur de géographie etdoyen de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Limoges, Anne-Marie Cocula, professeur émé-rite à l’Université de Bordeaux III et présidente du jury, Paul Dhollander, professeur d’histoire à l’université deLimoges, Isabelle Laboulais, professeur d’histoire à l’Université de Strasbourg et Jacques Perret, professeurà l’université de Poitiers. Cette thèse s’insère dans un champ historiographique qui a fortement évolué cesdernières années et ambitionne une double étude conjuguée : celle des représentations d’une province à tra-vers les cartes qui l’ont décrite au cours de cinq siècles et celle de l’évolution de la cartographie, dans sestechniques et réalisations, appliquée à ce territoire. Le texte de la thèse est constitué de deux volumes. Lepremier d’environ 700 pages de texte, articulées en onze chapitres où sont inclus plus d’une centaine dedocuments et schémas explicatifs, comprenant également la présentation du corpus d’archives sur 35 pages,la bibliographie sur 47 pages et un index des noms de lieux et de personnes. Le deuxième volume consisteen un recueil de cartes et de plans au format A3 reproduisant 60 documents cartographiques parmi les plusimportants.

69CFC (N°215- Mars 2013)

1 Problématiques d’ensemble

1.1 Le cadreLes diverses sources historiques et cartogra-

phiques révèlent que l’entité territoriale périgourdines’est perpétuée, depuis le territoire de la cité gallo-romaine, en passant par les notions médiévales etmodernes de comté et de sénéchaussée jusqu’àl’époque contemporaine avec des limites reprises, àquelques détails près, par celle du département de laDordogne, ce qui est assez rare sur l’ensemble desdépartements français. Cette continuité d’un territoiren’a pas empêché une certaine fracturation interne :deux diocèses à partir du XIVe siècle (ceux dePérigueux et Sarlat), et deux « élections » ; unPérigord Noir ou haut Périgord et un Périgord Blanc,mentionnées à partir du XVIe siècle. Ce Périgord plu-riel, repris par les quatre pays actuels n’a pas nui àune unité qui s’est toujours confirmée.

Le cadre chronologique pour les cartes de cePérigord pluriséculaire a été, pour cette raison, envi-sagé le plus large possible, depuis les premièrestraces cartographiques jusqu’aux évolutions les plusrécentes. L’étude de cette ancienne province, sur untemps long, et de ce qui s’y est passé en matière decartographie, à travers les cartes et les écrits géogra-phiques qui les complètent ou les accompagnentavait donc pour ambition une certaine exhaustivité.

La démarche n’est pas, en elle-même, nouvelle.Des approches de ce type, à l’échelle d’une provinceet sur plusieurs siècles, ont été quelques fois menéescomme pour la Provence, la Bretagne ou la Franche-Comté. Mais, dans ces études, le corpus de cartesétait soit trop important, soit peu approfondi ou seu-lement axé sur quelques cartes-clés ayant valeurd’exemple, et les documents y étaient souvent abor-dés d’une manière classique proche de l’étude archi-vistique.

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1.2 Le corpusL’ambition de cette étude sur le Périgord a été de

rassembler tous les documents connus ayant trait àcette province, ce qui n’est jamais aisé car ils sontdispersés dans de nombreux dépôts et ont parfoisdes restrictions d’accès ou de photographie. Lesprincipaux dépôts d’archives, sont bien sûr, ceux dudépartement de la Dordogne et de la bibliothèque dePérigueux, mais des fonds conséquents, notammentpour tout ce qui concerne l’intendance de Guyennese trouvent aux Archives départementales deGironde ou aux Archives municipales de Bordeaux.Les Archives nationales et la Bibliothèque nationalede France conservent également de nombreusescartes, plans et écrits de première importance demême que l’Institut géographique National et lesArchives militaires de Vincennes. Dans les départe-ments voisins de la Dordogne : Lot, Charente,Haute-Vienne, Corrèze, il existe aussi quelquesdocuments originaux et de manière plus surprenan-te dans les Pyrénées-Atlantiques, où une partie del’ancien fond Périgord avait été conservé, et dans lesYvelines avec une belle collection de plansd’Hyppolite Matisse.

Ce corpus rassemblé pour le Périgord et le dépar-tement de la Dordogne qui lui succède, sans tenircompte du XXe siècle marqué par l’inflation cartogra-phique, peut être estimé à environ 300 cartes etplans, y compris les exemplaires des grandes sériesde cartes topographiques. Si l’on excepte cette der-nière catégorie, le nombre est ramené à 220 et sil’on écarte les plans parcellaires, le nombre tombe àenviron 180 documents. Ce total présente l’avanta-ge d’être à la fois suffisamment important pour êtredémonstratif et suffisamment réduit pour être étudiéin extenso, de manière détaillée.

Comparativement, le Périgord est loin d’être laprovince la plus riche en travaux cartographiques ;les régions frontalières, maritimes, ou autour de lacapitale, le sont incomparablement plus. Les régionstrès proches, comme la Saintonge, les Landes ou leBordelais sont aussi riches en ouvrages cartogra-phiques portant sur les villes et les côtes. LeLimousin voisin bénéficie quant à lui de nombreuxplans de domaines ecclésiastiques au XVIIe siècle,issus du Collège de Limoges fondé par les Jésuites,et d’un grand travail de cadastration au XVIIIe siècle,ce qui n’est pas le cas du Périgord.

Cependant le corpus, assez modeste et - saufdécouverte archivistique inédite - exhaustif jusqu’auXXe siècle, était-il suffisant pour qu’il soit possible dereconstituer l’histoire de la représentation du territoi-re périgourdin sans qu’elle soit trop discontinue ? De

toute manière, même avec des constantes spatiales,la vision globale d’un territoire vu à travers lesdiverses cartes qui l’évoquent ne peut être que frag-mentaire, car les regards et modes opératoires nesont pas les mêmes d’une œuvre à l’autre et varientsuivant les préoccupations, les commanditaires etles intentions de ceux qui les ont réalisées.

1.3 Les méthodesCe corpus disparate, présentant quelques discon-

tinuités, avec des échelles très variées, allant de lacarte de France en passant par des cartes deGuyenne, des cartes exclusives du Périgord, jus-qu’aux plans de villes ou plans cadastraux, a permisnéanmoins de retracer de grandes évolutions de lacartographie appliquée à une province ainsi que laplace et la perception de cette province suivant plu-sieurs axes à la fois chronologiques et thématiques.La recherche d’une cohésion et d’une évolution d’en-semble de l’expression cartographique y a été unedes préoccupations constantes pour essayer de tis-ser des liens, des filiations, entre les diverses initia-tives cartographiques qui se sont succédé enPérigord.

Dans cet objectif, l’étude a été guidée par deuxprincipes essentiels :

- Ne pas isoler les cartes de leur contexte, enparticulier des textes qui y sont souvent joints.

- Essayer autant qu’il est possible d’étudier toutle processus de réalisation d’une carte, nonpas en tant qu’œuvre achevée mais en ladéconstruisant depuis les idées qui ont préva-lu à sa réalisation jusqu’à sa diffusion, àsavoir :

- Quels en sont les commanditaires, les initia-teurs et leurs motivations ?

- Quelles sont les influences cartographiquesantérieures qui ont pu compter ?

- Quelles sont les sources utilisées par ces car-tographes ?

- Quelles dates et délais correspondants auxtravaux et parutions peuvent être établis oucalculés ?

- Qui sont les auteurs, leur formation, leurs com-pétences, métiers et position sociale?

- Quelles sont les méthodes employées et lematériel utilisé ?

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- Quelles ont été les conditions financières etconditions de vie éventuelles sur le ter-rain ?

- De quelle manière ont été élaborés le dessin,la gravure, la mise en page, la légende etl’échelle ?

- Quels sont les toponymes et éléments repré-sentés ? Quels moyens d’impression et, sipossible ce qui est rare, le nombre d’exem-plaires qui ont été imprimés et diffusés ?

- Quels sont les publics concernés et les utilisa-teurs possibles ou avérés ?

Chacun de ces points est révélateur de processusintellectuels, scientifiques, économiques, politiqueset sociaux que l’étude a essayé de déterminer. Lescartes étant des descriptions géographiques, il a étéutile de les confronter à des textes complémentairesmais aussi à tous les écrits qui se sont attachés,volontairement ou non, à une description de la pro-vince et de ses paysages. Ainsi, cette histoire carto-graphique appliquée à un territoire, a aussi abordél’histoire de la géographie en général en tant quescience humaine et la géographie du Périgord enparticulier, c’est-à-dire sa physionomie.

Enfin, l’étude a été complétée d’une cartographiehistorique et thématique réalisée personnellementpar l’auteur qui connaît bien le Périgord et y réside.Cette cartographie analytique et explicative a pourobjet des comparaisons, des reconstitutions, des cla-rifications et des mises en lumière de certains élé-ments ou processus. Les cartes ou schémas réalisésl’ont été grâce aux bases de données de l’IGN, avecdes logiciels de dessin bitmap mais surtout, dans laplupart des cas, à l’aide de logiciels de cartographievectorielle (fig. 1).

Le découpage chronologique de la thèse en troisparties peut paraître assez conventionnel ; il révèlenéanmoins des articulations particulières de la pro-vince et esquisse de grandes évolutions qui prennentnaissance ou se prolongent dans des périodes diffé-rentes.

Une première partie correspond à la premièremodernité où le Périgord n’est que partiellement ouindirectement cartographié.

Une deuxième partie du milieu du XVIIe siècle àla fin de l’Ancien Régime où le Périgord fait l’objetd’une cartographie spécifique mais où il est aussiinclus dans le territoire plus vaste de la Guyenne,

objet elle-même de grands travaux cartographiqueset topographiques.

Une dernière partie qui voit le prolongement etl’aboutissement de processus cartographiques initiéssous l’ancien Régime et l’apparition de nouveauxgenres de cartes grâce aux progrès des connais-sances et des techniques mais aussi aux change-ments des statuts territoriaux.

A l’intérieur de chaque partie, l’étude a été volon-tairement organisée de manière thématique ce qui apermis de définir de grands types de cartes et plans,parfois contemporains les uns par rapport aux autres.Cette étude thématique est plus variée et éclectiqueà partir du XIXe siècle car elle reflète la multiplicationdes cartes qui touchent particulièrement le Périgorddans des séquences temporelles qui ont été encorepeu étudiées par les historiens de la cartographie.

2 Pendant la première modernité, unPérigord partiellement ou indirecte-ment cartographié (fin xve, milieuxvIIe siècle)

2.1 Les premières approchesSeules deux cartes, antérieures au XVIe siècle,

font allusion au Périgord par quelques toponymes etconfondent souvent un peuple, les Petrocorii, son ter-ritoire et sa ville principale.

A la fin du Moyen Âge, quelques croquis d’arpen-tage relatifs à des litiges forestiers révèlent déjà l’em-ploi de techniques cartographiques locales dans unpays où le défrichement forestier est d’importance.

Au début de la première modernité, fin XVe - débutXVIe siècle, la redécouverte et le développement descartes ptolémaïques d’inspiration antique puismoderne, italiennes et françaises, en réintroduisantde nouveaux toponymes du Périgord révèlent unemeilleure perception et connaissance géogra-phiques. Le Périgord n’y est cependant pas différen-cié ni délimité par rapport aux autres provinces, lescartes étant pensées uniquement à l’échelle duroyaume.

2.2 Les premières cartes spécifiquesA la fin du XVIe siècle, la connaissance géogra-

phique du Périgord s’enrichit de plusieurs œuvresfondamentales qui sont surtout le fait du chanoinesarladais Jean Tarde, grande figure de l’humanismepérigourdin. Jean Tarde et son œuvre sont une desarticulations fortes de cette étude : un savoir carto-

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graphique acquis en Italie où le chanoine a accompa-gné à deux reprises son évêque italien, la mise aupoint et l’expérimentation de ses propres méthodesnovatrices explicitées dans ses écrits. Tout un proces-sus a pu ainsi être reconstitué depuis l’usage de laboussole sur le terrain, jusqu’à la constitution de laminute, et les cartes qui en ont résulté ; celles du dio-cèse de Sarlat (1594) et celle de la potamographie dela rivière Dordogne (1628) ont été des références chezles éditeurs qui les ont utilisées ou copiées pendantpresque un siècle. L’étude des diverses versions de lacarte du diocèse de Sarlat par Jean Tarde, met enrelief toute la richesse du contenu : de l’inventaireecclésiastique d’un espace déjà meurtri par lesguerres de Religion à la chorographie en miniature desprincipales villes fortifiées. Constructions scientifiqueset religieuses mais aussi hydrographiques, les cartesde Tarde ignorent pourtant les paysages et les forêts,de même que toutes les forteresses médiévales sinombreuses cependant (fig. 2).

2.3 Les plans de villes et leurs évolutionsAvec le plan de la ville de Sarlat, publié en 1619 par

Jean Leclerc sur une nouvelle version de la carte dudiocèse, le chanoine Tarde enrichit un genre initié enItalie et surtout en Allemagne par Sebastian Münster,celui des plans de ville, dont le principal représentantfrançais est François de Belleforest. Ce dernier auteurest le commanditaire et le commentateur du « Vrayportrait de Périgueux » de 1575. Les précisions dansle commentaire du plan, illustration issue d’un autrehumaniste périgourdin, François Arnaud de Laborie,révèlent que Belleforest, accusé de n’être qu’un com-pilateur et un plagieur, a eu en réalité dans sa jeunes-se une relation toute particulière avec le Périgord. Lesplans de villes, entre 1575 et 1621, bien que très diffé-rents, font référence aux guerres de Religion : sacca-ge et siège de Périgueux par les Huguenots dont lacarte de Belleforest témoigne, visites pastorales aumilieu des passages de troupes et des révoltes pourcelle de Tarde en 1594. Fortifications de Bergerac,place de sûreté réformée, reprise en main par le roi deFrance lors des opérations militaires de 1620 ; plansmanuscrits pour l’édification de fortifications, planslevés sur ordre du roi Louis XIII : Bergerac est la villela plus cartographiée au XVIIe siècle. Puis nouvellephase de productions de plans de ville en 1651 à l’oc-casion de la Fronde qui a particulièrement touché lePérigord. Ces plans, toujours de type militaire, seconcentrent sur les fortifications, même si celui deBergerac livre déjà le détail du parcellaire (fig. 3).

La province, une fois pacifiée, à partir de 1653, n’estplus l’objet de plans urbains jusqu’à la fin du XVIIIe

siècle.

3 Le Périgord, cartographié dansson ensemble jusqu’à la fin del’Ancien Régime

3.1 Les cartes du comté du PérigordCes premières cartes relatives au Périgord ont

intéressé les premiers éditeurs d’atlas, tel le hollan-dais Willem Blaeu, des ingénieurs tels que ChristopheTassin, des graveurs et marchands d’estampes telsque Melchior Tavernier ou Pierre Mariette. Ces édi-teurs font chacun graver ou regraver des œuvres pré-existantes comme les fortifications de Bergerac deTassin en 1630 ou le diocèse de Sarlat de Tarde en1624. Ce genre est dominé par les éditeurs hollandaisde la maison Hondius-Jansson et de la maison Blaeu,concurrentes entre elles ; on leur doit les cartes lesplus décorées de l’époque moderne, dont celles rela-tives au Périgord sont de bons exemples. Ces édi-teurs marquent le passage des cartes ecclésiastiquesaux cartes laïques et introduisent pour la première foisla notion de Périgord en tant qu’entité territoriale, déli-mitée par un trait de contour. Paradoxalement, lecomté du Périgord est l’objet de cartes au moment où,rattaché au domaine royal, il perd son autonomie ets’efface, tout en restant sous les feux de l’actualitéavec les révoltes des Croquants puis la Fronde. Lacarte française de Philippe Delarüe éditée parMariette en 1651 s’en fait le meilleur écho (fig. 4).

L’étude montre comment des Hollandais, sansconnaître une province et sans s’y être sans doutejamais rendus, ont pu en construire une représenta-tion grâce à l’utilisation et à la compilation des diffé-rentes cartes partielles préexistantes.

Parallèlement à ce genre cartographique quiconcerne la période allant de 1620 à 1660, les raresdescriptions textuelles du Périgord mentionnent avanttout des curiosités naturelles ou historiques. Par rap-port à ces textes riches en détails, parfois insolites etinquiétants, les cartes du Périgord apparaissent plutôtcomme de simples supports de localisation.

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le cas péri-gourdin témoigne d’entreprises cartographiques plussystématiques qui ont abouti à des œuvres com-plètes, celles des géographes dits de cabinet, quidepuis leur atelier, ont bénéficié de sources impor-tantes telles que les pancartes diocésaines. C’est lecas de Nicolas Sanson à qui on doit les deux cartesdes diocèses de Périgueux et de Sarlat, ou deGuillaume Delisle, auteur de la carte « du Bourdeloiset du Périgord », qui emprunte aux cartes précé-dentes, tout en les complétant avec notamment lapremière figuration d’un réseau de routes.

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3.2 Le Périgord inclus dans des espacesplus vastes à partir de la fin du xvIIe

siècleA la fin du XVIIe siècle, le Périgord est plutôt repré-

senté comme un espace non spécifique inclus dansun territoire plus vaste : celui du gouvernement deGuyenne puis de la généralité de Bordeaux , la peti-te échelle n’empêchant pas un net progrès dans lafiabilité et la précision. Ce changement d’échelle etde cadre, très révélateur, est ensuite repris par lesgrands projets scientifiques et systématiques lancéspar l’Académie des sciences à partir du premierquart du XVIIIe siècle. Le Périgord reçoit alors la visi-te des ingénieurs du roi, d’abord pour la grande tri-angulation dans les années 1730, qui reste ici trèslimitée, puis pour les travaux des Ponts et chaus-sées initiés par Trudaine dont il reste malheureuse-ment peu de plans dans le cas périgourdin, mais suf-fisamment riches et démonstratifs des conceptionsspatiales et techniques utilisées, tel qu’un atlasinédit de la route de Bergerac à Marmande.

3.3 Dans les grands chantiers cartogra-phiques du xvIIIe siècle, un Périgord révé-lé et révélateur

Le projet de la grande carte topographique deFrance de Cassini de Thury, et surtout sa déclinai-son régionale appliquée à la généralité de Bordeauxà une échelle deux fois plus précise, sont un destournants majeurs de la cartographie en Périgord.Les années 1760 voient émerger plusieurs person-nages essentiels pour la cartographie du Périgord :l’intendant Boutin ainsi que les différents ingénieurscartographes, Dailhé et Fontaine, et surtoutBelleyme. Le cas de Pierre de Belleyme est majeurpour cette thèse : périgourdin d’origine, il a été formésur place, contrairement à ce que l’on croyait, ausein d’une école d’arpentage exceptionnellementcréée pendant trois ans à Périgueux, puis àExcideuil, pour répondre à la nécessité de former denouveaux ingénieurs. La grande richesse documen-taire a également permis d’étudier tous les proces-sus de la cartographie de l’époque, les instrumentset leur utilisation, la vie et les déplacements sur leterrain, et tous les problèmes de gravure et d’impres-sion que Belleyme a personnellement supervisésau-delà de la Révolution française. Ces feuilles gra-vées de la carte de la généralité de Guyenne, dontles 3/5 correspondent au Périgord, donnent l’occa-sion d’évoquer les paysages, les cultures, l’écono-mie et les transports qui ont pu être ainsi reconsti-tués et cartographiés de manière thématique (fig. 5).

3.4 Les plans parcellairesParallèlement, en tant qu’outil d’inventaire et d’es-

timation, la cartographie s’est développée en réinves-tissant le savoir des ingénieurs et des arpenteurs,dans les plans-terriers qui se développent occasion-nellement dans la première moitié du XVIIIe siècle,puis de manière plus fréquente et variée vers la fin del’Ancien Régime. En Périgord, ce sont les grandsnobles tels que les Talleyrand dans leur marquisatd’Excideuil, les ducs de Noailles, les marquisd’Hautefort ou les Caumont, ducs de la Force, quisont presque exclusivement à l’initiative de cesplans. Ceux-ci, dispersés dans certains grands fiefsde l’espace périgourdin, offrent de bons exemples del’évolution des techniques de l’arpentage, de lanomenclature des parcelles liées aux terriers, desqualités graphiques ainsi que des motivations écono-miques ou judiciaires des commanditaires (fig. 6).

4 La Dordogne et la diversificationde la cartographie depuis la révolu-tion

4.1 Cartographie administrative dudépartement de la Dordogne

Le nouveau cadre territorial du département de laDordogne marque une nouvelle rupture dans cettehistoire de la cartographie. Les cartes relatives à l’ad-ministration départementale, déjà plus nombreusesse poursuivent sur une trentaine d’années, en men-tionnant et ancrant les différents découpages (arron-dissement, districts, cantons). Elles servent de sup-port à des tableaux statistiques entre 1804 et 1840,et évoluent vers 1850 en cartes patrimoniales avecun retour au décoratif et à l’édition commerciale d’at-las ; les trois versions successives de la carte deVuillemin ainsi que celle de Levasseur en sont lesmeilleurs exemples pour la Dordogne (fig.7).

4.2 Les générations successives decartes basées sur la topographie

Le début du XIXe siècle est marqué par le recrute-ment d’une douzaine d’ingénieurs et d’arpenteurspour le service du cadastre, qui s’effectue ici sur unepériode de près de quarante ans entre 1808 et 1845.Des ingénieurs travaillent aussi à l’édification et à laréactualisation périodique des plans de Périgueux etde Bergerac.

Après la deuxième version de la carte révisée deCassini, la nouvelle campagne cartographique quis’opère dans le département entre 1841 et 1857 pourla carte topographique nationale au 1 : 80 000 sous

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la responsabilité des ingénieurs militaires, a laissésuffisamment de traces dans les archives de laDordogne pour qu’on puisse reconstituer de manièreprécise les campagnes géodésiques, les annonceset contacts avec les municipalités, la vie sur le terrainet le travail nominatif de chaque cartographe. Il en estde même pour les cartes topographiques au 1 : 50 000, réalisées en Dordogne entre 1908 et1940. Ces différentes générations de cartes ont per-mis d’étudier l’évolution de différents terroirs péri-gourdins représentatifs.

Entre cartes topographiques et routières, l’étude amontré que, dans une première moitié du XXe siècle,le Périgord en tant que cadre cartographique s’estune nouvelle fois effacé au profit d’une conceptionplus nationale, étatique ou par grandes régions géo-graphiques vidaliennes. Des cartes départementalesne réapparaissent dans certains programmes sco-laires que sous Vichy, où chacun devait se réappro-prier sa « petite patrie » ancestrale.

4.3 Le foisonnement approprié descartes thématiques

Les cartes thématiques de la Dordogne ont émer-gé lentement et tardivement. La cartographie desvoies de communication, due aux services adminis-tratifs départementalisés, jalonne l’évolution techno-logique et les ambitions de développement du terri-toire. Ces cartes se superposent, pour la plupart, surdes fonds de cartes topographiques préexistants.

Les cartes hydrographiques dominent ; ce sont lesplus anciennes car déjà en gestation depuis l’Ancienrégime qui a connu des plans d’aménagement de larivière l’Isle et des projets très utopiques ; elles per-durent jusqu’aux années 1870. Ces cartes se combi-nent ensuite avec des cartes routières, souvent le faitd’initiatives locales : services de la préfecture, Pontset chaussées et armée.

Puis elles servent aux projets et aux réalisationsdu réseau ferroviaire entre 1851 et 1902. L’étude ducas de la Dordogne présente un nombre conséquentde réalisations qui témoignent de toutes ces évolu-tions, ainsi que de leur mutation, au début du XXesiècle, en cartes touristiques.

Ces générations de cartes chronologiquementassez rapprochées marquent aussi une diversifica-tion de leurs auteurs : des ingénieurs et agents del’État, des géographes universitaires mais aussi deshommes de lettres.

La carte géologique de la Dordogne de 1870 est

un exemple complet d’un lent processus cognitif etscientifique né au XVIIIe siècle, rendu réalisable parle biais d’un ingénieur des mines qui a bénéficié de lanouvelle carte topographique du dépôt de la guerreet de l’aide financière du Conseil général, nouvelacteur de la cartographie.

4.4 Approches cartographiques récentesC’est dans la toute dernière partie du XXe siècle,

avec l’informatisation des techniques, que le départe-ment de la Dordogne est l’objet d’une cartographiequi s’intensifie et s’applique dans tous les domainesà destination du grand public, notamment les loisirs.Le Périgord, jadis perçu comme une région répulsivecar accidentée et boisée, considérée péjorativementà travers les descriptions géographiques et les diversrécits de voyage jusqu’à la fin du XIXe siècle, estdevenu à partir des années 1950, avec la mise envaleur littéraire, monumentale, gastronomique puispréhistorique, une région à l’image attractive. Cetteinversion positive dans les représentations duPérigord est également jalonnée par les cartes.

Dans la période récente, depuis 1970, l’émergen-ce de nouveaux paradigmes territoriaux tels que lesquatre Périgord de couleurs : Périgord noir duSarladais, Périgord blanc de la vallée de l’Isle,Périgord vert voisin du Limousin et Périgord pourpredu Bergeracois, ainsi que l’apparition de nouvellescollectivités territoriales et la montée en puissance dela Région Aquitaine, ont généré et continuent de pro-duire une cartographie abondante sur des supportstrès différents jusqu’aux SIG actuels.

ConclusionL’histoire des cartes en Périgord est donc assez

riche et variée. Elle permet de retracer concrètementles grandes phases de l’histoire de la cartographie.Ces cartes sont aussi marquées par l’histoire spéci-fique de cette province en rapport avec la monarchieet les différents pouvoirs hiérarchiques. Les grandesétapes cartographiques, à la lumière de l’étude, sedécoupent par séquences d’une durée de 50 à 70ans, à l’exemple des plans parcellaires entre 1720 et1789, de la carte de Belleyme entre 1761 et 1819,des plans parcellaires et cadastraux levés entre 1780et 1845, de la carte géologique entre 1835 et 1882,des cartes routières et ferroviaires départementalesentre 1826 et 1889. Ces phases cartographiquessont à l’échelle d’une vie humaine, la carrière entièrede certains ingénieurs y a été consacrée. Ce travailde recherche a essayé d’exhumer la mémoire de ceshommes et de souligner leur importance locale, etparfois nationale, souvent méconnue.

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L’étude a enfin permis d’établir des rapproche-ments entre les cartes et certains de leurs utilisa-teurs, comme le savant Nicolas Desmarest ou l’ins-pecteur des manufactures Paul de Latapie. Elle amême déterminé des cas de manipulation, ajout,collage ou surcharges manuscrites. Des plans dePérigueux ont servi de base aux historiens desannées 1820 pour crayonner la localisation des sitesantiques de Périgueux. Les planches assemblées dela carte de Belleyme ont servi de document fondateurpour les commissaires qui ont tracé à la main lescontours du nouveau département de laDordogne en 1790. Un jeu de feuilles de cette mêmecarte de Belleyme a été découpé et colorié à la mainpar l’ingénieur de mines Louis Marrot pour établir sacarte géologique en 1850. Les services départemen-taux des Ponts et chaussées ont colorié et modifiédes cartes départementales pour créer la premièrecarte thématique en nuances de couleurs en 1874,ou ont surchargé des feuilles au 1 : 80 000 pouractualiser les diverses routes ou le chemin de fer.

L’appréhension et la description du Périgord à tra-vers les cartes et l’étude de la cartographie enPérigord ont donc été envisagées d’une manièrepolysémique, sur des champs épistémologiques dif-férents et souvent croisés. Il s’est agi à chaque foisd’études de cas amenant à dialoguer avec ces pro-ductions, à les déconstruire, les parcourir, confronterleurs toponymes, débusquer les erreurs, leurs simili-tudes, relever les traits de construction et leur filia-tions, leurs innovations ou leurs plagiats.

Cette recherche cartographique portant sur desespaces imbriqués et représentés à des échelles trèsvariées, évoluant sur une durée de plus de 450 ans,apporte sa contribution à l’histoire de la cartographiemais aussi à la géographie historique et à l’histoirede la géographie, en attendant d’autres comparai-sons et confrontations de même ordre relatives àd’autres provinces.

Bibliographie

Cocula Anne-Marie, Périgord, Bordeaux, Éditions Sud-Ouest, 1999.

Dainville François de, La carte de la Guyenne par Belleyme, 1761-1840, Bordeaux, Delmas, 1957.

Dainville François de, Cartes anciennes de l’Église de France, Paris, Vrin, 1956.

Laboulais Isabelle, Les usages de la carte aux XVIe- XIXe siècles, Strasbourg, P. U. de Strasbourg, 2008.

Palsky Gilles, La naissance de la cartographie thématique, XVIIe- XIXe siècles, Bordeaux, La Carte, 2005,

Palsky Gilles, Des chiffres et des cartes. La cartographie quantitative au XIXe siècle, Paris, CTHS, 1996.

Pastoureau Mireille, Les atlas français, XVIe-XVIIe siècles, Paris, BNF, 1984.

Pelletier Monique, La carte de Cassini, Paris, CTHS, 2002.

Tarde Jean (chanoine), Les usages du quadrant à l’Esguille aymantée, divisé en deux livres, Paris, Gesselin, 1621.

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Figure 1 : Sources cartographiques de la carte du Périgord issue de l'atlas de Janssonnius de 1643

Figure 2 : Seconde carte du diocèse de Sarlat par Jean Tarde, atlas Leclerc, 1624.

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Figure 3 : Bergerac par Christophe Tassin, plans et profils de toutes les principales villes

et lieux considérables de France, 1631.

Figure 4 : Comté de Perigort, par Philippe de la Rüe, chez Mariette, 1651.

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Figure 5 : Extrait de la feuille n°15 de la carte de la généralité de Guyenne, 1777.

Figure 6 : Plan parcellaire de la forêt de Lanquais, par Matisse, 1719.

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Figure 7 : Département de la Dordogne, Atlas national illustré de Levasseur, 1856