le porte-bonheur proscenium - la plus grande bibliothèque de textes de … · 2015-07-24 ·...

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AVERTISSEMENT Ce texte a été téléchargé depuis le site http://www.leproscenium.com Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exemple pour la France). Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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AVERTISSEMENT

Ce texte a été téléchargé depuis le site

http://www.leproscenium.com

Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez ob tenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits (la SACD par exempl e pour la France). Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autor isation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droi ts des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues, mêm e a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représent ation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. L e non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre au tres) pour la troupe et pour la structure de représentation.

Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs.

Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux texte s.

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LE PORTE BONHEUR

LE PORTE-BONHEUR

Comédie

de Georges NAUDY

[email protected]

Une pièce de Théâtre tout public d’une durée approximative de 1h30/1h45

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LE PORTE BONHEUR

TITRE : LE PORTE-BONHEUR SUJET :

Un publicitaire, Franck Nolan, perd son emploi et presque en même temps, sa femme le quitte. On lui envoie, pour l’aider à remonter la pente, un curieux personnage, du nom de Baltchek, infirme et disgracieux. Il se présente comme un agent territorial dont la principale qualité est de porter bonheur à ceux dont il s’occupe. Mais a-t-il réellement un don ou n’est-il finalement qu’un redoutable mystificateur ? Tout le monde ne sortira pas indemne de cette histoire à moins que tout cela ne soit qu’une affaire de chance et d’humour.

PERSONNAGES : Hommes :

Franck Nolan : Publicitaire

Baltchek : Agent territorial : le porte-bonheur Femmes :

Graziella Nolan : épouse de Franck

Roxanne de Rouvignac : PDG d’une agence de publicité

Alluyne Vidal : Voisine de Franck DECORS :

Un intérieur bien entretenu avec une porte fenêtre donnant sur une terrasse, à l’arrière-plan, une cuisine d’où l’on voit le frigo. Un canapé-lit, une table basse, un bar. Dans le fond, une armoire. Une table de salle à manger avec une grande nappe qui touche le sol.

COSTUMES :

Contemporains ACCESSOIRES : Diverses peintures de piètre qualité dont une toile toute blanche. Un chien en peluche.

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LE PORTE BONHEUR

ACTE 1 Scène 1 PERSONNAGES : Graziella – Franck Graziella déboule dans le salon très chargée avec une grosse valise et plein d’affaires sous le bras. FRANCK : Mais qu’est-ce que tu fais, ma chérie ? GRAZIELLA : Ça ne se voit pas peut-être ?! FRANCK : Quoi, tu ne vas pas me laisser ! Ce n’est pas possible ! GRAZIELLA :

Très possible, au contraire. Regarde, j’ai tout pris ! Ma valise, mon ordinateur, mes bijoux, et même ma brosse à dents.

FRANCK : Mais enfin, Graziella, tu ne peux pas partir comme ça, sur un coup de tête !

GRAZIELLA :

Sur un coup de tête ? Je te signale que ça fait dix ans que j’y pense ! FRANCK :

Mais enfin, on n’est marié que depuis neuf ans! GRAZIELLA :

Justement, j’avais anticipé ! Mais là, c’est bon. Basta ! Stop ! Terminé ! FRANCK : Voyons, calme-toi ! On va sûrement trouver une solution ! GRAZIELLA :

Oh ! Mais ça y est ! La solution, je l’ai trouvée ! Je me barre, je me tire, je me casse ! Ah ! Si toutes les femmes savaient comme c’est si simple de prendre une valise et de foutre le camp, il y aurait moins de monde chez les psys et les conseillers conjugaux, tu peux me croire !

FRANCK : Reste, je t’en prie ! Tu ne vas quand même pas casser notre couple!

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LE PORTE BONHEUR

GRAZIELLA : Un couple ? Où est-ce que tu as vu un couple, toi ?

FRANCK : Mais moi je t’aime. GRAZIELLA : N’aggrave pas ton cas ! FRANCK :

Je vais sans doute avoir une promotion dans les jours qui viennent et passer chef de projet.

GRAZIELLA : Pourquoi ? Ils veulent couler la boîte ?

FRANCK :

Tu ne me crois pas ? GRAZIELLA :

Allons Franck, ça fait des années que tu me bassines avec une pseudo promotion de dernière minute et ça finit toujours par capoter ! C’est toujours quelqu’un d’autre qui a le poste !

FRANCK :

Jusqu’ici, il y a eu certaines circonstances qui ont fait que… GRAZIELLA : (le coupant) C’est bizarre, les circonstances ne te sont jamais favorables ! FRANCK : Ce n’est pas ma faute ! GRAZIELLA :

Ce n’est jamais ta faute ! Tu es un loser, Franck, un véritable loser ! FRANCK : Tu n’as pas le droit de dire ça ! C’est trop facile ! GRAZIELLA :

Mais regarde-toi ! Tu n’arriveras jamais à rien parce que tu es petit, ton esprit est petit, ta capacité de réaction est petite, et je ne parle pas du reste.

FRANCK : Tu n’as pas toujours dit ça.

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LE PORTE BONHEUR

GRAZIELLA : En plus, tu fais toujours semblant. On dit que les femmes simulent mais toi, tu es pire qu’une femme ! Tu es un harem à toi tout seul.

FRANCK : N’importe quoi ! GRAZIELLA :

Oh ! non, pas n’importe quoi ! Tiens, là par exemple, tu fais semblant de me retenir, mais au fond, tu n’en as rien à foutre que je me barre. Tu fais juste ça pour la forme ! Au fond, ça t’arrange.

FRANCK : Mais c’est faux ! GRAZIELLA :

C’est vrai ! Ta bouche me dit de rester mais tes yeux et même ton cœur me crient, ils me supplient même, de foutre le camp. Eh ! bien, tu vois, c’est ce que je fais ! Tu devrais être content !

FRANCK : Non, s’il te plaît, ne t’en vas pas ! Je te promets de… GRAZIELLA :

Ne te fatigue pas, de toute façon, c’est trop tard. FRANCK : Tu as quelqu’un d’autre, c’est ça ? GRAZIELLA :

Même pas. FRANCK : Où vas-tu aller ? GRAZIELLA : Qu’est-ce que ça peut te faire ? FRANCK : Tu sais que tu peux revenir quand tu veux ! GRAZIELLA :

Oui, jamais, ce serait bien. Allez, sans rancune ! Elle sort très chargée en fermant la porte du pied, plutôt violemment.

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LE PORTE BONHEUR

FRANCK : (après quelques secondes de silence) On dirait bien que je suis tout seul, maintenant ! Bravo Franck, tu as tout gagné ! (Il va vers le bar et se sert un verre qu’il boit à petites gorgées.) Ouais, il n’y a pas à tortiller du cul pour chier droit ! J’ai été vraiment nul sur ce coup-là ! Même ce whisky est dégueulasse ! (Il se prend la tête dans les mains.) Qu’est-ce que je vais devenir sans elle ? (Quelques secondes après) Et si elle avait raison ? Si j’avais vraiment la poisse avec moi ? Si j’étais un chat noir ?... Non, ce n’est pas possible, il faut que je lui montre, il faut que je rebondisse ! Et vite ! Qu’est-ce que je pourrais faire ? Si seulement j’avais une idée, une putain d’idée, une seule malheureuse idée ! (Il va machinalement vers le frigo et l’ouvre sans conviction. Il reste quelques moments sans réaction puis se saisit d’un morceau de gruyère.) Ben la voilà mon idée ! C’est parfait ça ! (Il le tourne dans tous les sens puis le repose.)

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LE PORTE BONHEUR

ACTE 1 Scène 2 PERSONNAGES : Franck FRANCK :

Allô ? Sydney ?... Oui, c’est Franck… Tu vas bien ?... Bon, écoute, je viens d’avoir une idée révolutionnaire qu’on pourrait présenter tous les deux à la direction, dès lundi. Seulement, j’ai besoin de toi pour habiller tout ça et la rendre plus…

VOIX AU TELEPHONE : (le coupant) Je t’arrête toute de suite. Ça ne va pas être possible. FRANCK : Attends ! Tu ne sais même pas de quoi je veux te parler ! VOIX AU TELEPHONE : Ecoute mon vieux, ton idée est sûrement très bien mais… FRANCK : Mais quoi ? VOIX AU TELEPHONE : Je pensais que tu aurais reçu le courrier. Enfin, normalement, tu aurais déjà dû le recevoir. FRANCK : Le courrier ? Quel courrier ? VOIX AU TELEPHONE : Je suis désolé Franck mais ton poste vient d’être supprimé. FRANCK : Comment ça, supprimé ? Je suis viré, c’est ça ? VOIX AU TELEPHONE : R.S.P. FRANCK : R.S.P ? C’est quoi, ça ? VOIX AU TELEPHONE : Réorganisation Structurelle Personnalisée. FRANCK :

RSP mon cul, oui ! C’est Mariani qui est derrière tout ça, j’en suis sûr. Quel salaud, celui-là !

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LE PORTE BONHEUR

VOIX AU TELEPHONE : Mais non, il n’y est pour rien. C’est un plan d’ensemble décidé par « La baronne » en personne.

FRANCK : Et on me vire comme ça, sans me demander mon avis ? C’est vraiment dégueulasse ! Et toi qui étais au courant, tu ne m’as rien dit ! Encore plus lamentable !

VOIX AU TELEPHONE :

Je ne l’ai su qu’il y a deux heures et puis je voulais te laisser le week-end tranquille, peinard avec ta femme.

FRANCK :

Très bonne initiative ! Si tu me disais ce qu’on me reproche exactement, ça m’intéresse ! Attends, je sais ! Ils veulent mettre un chinois à ma place, c’est ça ? Ils font chier ces chintoks !

VOIX AU TELEPHONE :

Mais non, pas du tout. Ecoute, ce n’est qu’une mauvaise passe et je suis certain que très vite…

FRANCK : (le coupant) Le bout du tunnel, c’est ça ? Sois gentil ! Evite-moi les clichés habituels, merci.

VOIX AU TELEPHONE : Je suis vraiment désolé, je te le répète.

FRANCK :

Quand je pense à tout ce que j’ai fait pour cette fichue boîte ! Juste au moment où j’avais un putain de projet révolutionnaire à défendre !

VOIX AU TELEPHONE : Vois ça comme des vacances, et puis, tu n’es pas tout seul, ta femme est là pour te soutenir.

FRANCK : Elle vient de me quitter. VOIX AU TELEPHONE : Ah ! Merde ! FRANCK :

Voilà, tu as bien résumé. Tu avoueras que je suis quand même bien enculé par le destin, non ?

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LE PORTE BONHEUR

VOIX AU TELEPHONE : Si je peux faire quoi que ce soit…

FRANCK :

Bien sûr que tu peux. Me trouver un autre emploi et vite ! VOIX AU TELPEHONE :

Ecoute, je crois que j’ai quelqu’un qui va pouvoir t’aider. Je vais te l’envoyer. FRANCK : Si c’est un psy, je n’en veux pas, je te préviens. VOIX AU TELEPHONE : Non, il est mieux que ça. C’est un spécialiste des situations difficiles. FRANCK : Oui, je vois. Un coach à la noix à 100 euros de l’heure…merci bien. VOIX AU TELEPHONE :

Non, tu n’auras rien à débourser. Je te promets, ce type est incroyable, il a un don.

FRANCK : Un don ? Quel don ?

VOIX AU TELEPHONE :

Tu te rappelles, l’an dernier, quand il y a eu cet embrouillamini avec mon permis de construire ? Même que tu t’étais demandé comment j’avais fait pour m’en sortir, eh ! bien, en réalité, c’est lui qui est intervenu.

FRANCK : Ah ! oui ? Et qu’est-ce qu’il est, exactement ? Magicien ? Sorcier ? VOIX AU TELEPHONE :

Non, juste un porte-bonheur ! Il porte bonheur aux gens qui lui font confiance, c’est comme ça.

FRANCK :

Un porte-bonheur, et puis quoi, encore ? Moi, je veux être réintégré, tu m’entends ? C’est tout ce que je demande ! J’ai un projet extra de marketing avec du gruyère. Tu peux lui dire ça à la baronne ?! Une idée révolutionnaire qui consiste à utiliser les trous qui sont dans le gruyère.

VOIX AU TELEPHONE : Je dois te laisser. Je t’envoie le gars immédiatement. Il s’appelle Baltchek.

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LE PORTE BONHEUR

FRANCK : Baltchek ? C’est quoi, ça ? Son nom ou son prénom ?

VOIX AU TELEPHONE :

Je ne sais pas. Tout le monde l’appelle Baltchek ! Simplement, je te préviens, il faut que tu passes outre son apparence physique car il a eu un problème à la naissance.

FRANCK : Oui et alors ? Je m’en fous, moi ! Je ne vais pas me marier avec lui ! VOIX AU TELEPHONE : Bon, je te laisse. Mais surtout fais-lui confiance! Il sait mieux que toi ce dont tu as besoin. FRANCK :

Ok, mais pour mon gruyère… ?... Allô ? Allô ? (Il range son portable.) Bon sang ! Je le savais, ce n’était pas ma journée, aujourd’hui !

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LE PORTE BONHEUR

ACTE 1 Scène 3 PERSONNAGES : Alluyne – Franck Sonnerie. Franck va ouvrir. ALLUYNE :

Monsieur Nolan, j’espère que tout va bien. J’ai entendu la porte claquer tout à l’heure alors, comme ce n’est pas habituel, je me suis inquiétée.

FRANCK : Vous ne travaillez pas aujourd’hui, Malouine ? ALLUYNE :

Non, pas le dimanche. La boutique est fermée, le dimanche. Et puis je ne m’appelle pas Malouine, mais Alluyne. A.l.l.u.y.n.e (Elle l’épèle.)

FRANCK : Excusez-moi, je n’arrive jamais à m’en souvenir. ALLUYNE :

C’est sûr que ce n’est pas très commun. Déjà à l’école, les garçons se moquaient de moi à cause de mon prénom. Ils m’appelaient « A l’huile ».

FRANCK :

Ecoutez, Alluyne, vous êtes adorable mais vous ne pouvez pas tout le temps débarquer comme ça, chez moi, sitôt que ma femme a tourné les talons. Ce n’est pas possible.

ALLUYNE : Je voulais juste m’assurer que vous n’aviez besoin de rien, c’est tout. FRANCK :

Je n’ai besoin de rien. Tout baigne. Allez, au revoir et merci ! (Il essaie de fermer la porte mais elle l’en empêche.)

ALLUYNE :

Je sais ce que vous pensez, qu’une petite fleuriste de quartier comme moi ne peut pas comprendre vos problèmes. Mais c’est faux. Regardez la fable du lion et de la souris.

FRANCK : (exaspéré) C’est le lion et le rat, pour commencer! ALLUYNE :

Oui, pour commencer peut-être, mais à la fin, le lion, il a bien besoin qu’un petit animal vienne l’aider à le libérer de son piège.

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LE PORTE BONHEUR

FRANCK : Je connais l’histoire, merci. (Il essaie encore de fermer la porte mais elle l’en empêche.)

ALLUYNE :

Monsieur Nolan, répondez-moi franchement. Vous ne pensez pas que c’est ultra important d’entretenir des rapports de bon voisinage ?

FRANCK :

Ah ! Mais tout à fait ! Et croyez-moi, la meilleure façon d’avoir des rapports de bon voisinage, c’est encore de ne pas avoir de voisins ! Sur ce, au revoir. (Il tente de fermer la porte mais elle résiste.)

ALLUYNE :

Vous êtes donc vraiment contre toute forme de solidarité ou d’amitié entre citoyens ? ALLUYNE :

Ce que vous appelez solidarité, n’est ni plus ni moins que de l’assistanat, alors, vous voyez, je crains qu’on ne soit pas vraiment sur la même longueur d’ondes. Quant à l’amitié entre les citoyens, si cela consiste à aller grignoter des chips chez les uns et boire du mauvais vin, chez les autres, je m’en passe très bien.

ALLUYNE :

Vous savez que notre concierge M. Da Fonseca part à la retraite à la fin de l’année. Ce serait sympa si malgré vos réticences, vous veniez à sa petite fête. Cela lui ferait plaisir.

FRANCK : Je viendrai sûrement. Le départ des étrangers, c’est toujours bien. ALLUYNE :

Je reviendrai quand vous serez moins en colère. (Elle s’apprête à partir) FRANCK :

C’est inutile. Vous confondez la proximité et la promiscuité. ALLUYNE : (qui se retourne pour l’affronter)

Vous, vous confondez la mer avec l’écume, le silence avec l’indifférence ; vous êtes un oiseau blessé tombé du nid ; vous êtes l’horizon qui a mangé le ciel ; vous êtes le poivre qui a dévoré le sel. Je voudrais que vous reveniez parmi nous, parce qu’il y a des choses simples qui vous ont échappé, mais la vie, elle, est toujours là, et il est toujours temps de remettre du bleu entre les nuages.

FRANCK :

Excusez-moi mais j’ai toujours eu horreur de la poésie. (Il lui ferme la porte au nez puis il va se resservir un autre verre.) Sale journée ! (Il boit d’un coup sec.)

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LE PORTE BONHEUR

ACTE 1 Scène 4 PERSONNAGES : Baltchek – Franck FRANCK :

(Un peu vif) Incroyable cette fille !... (Puis plus doux) Cette fille est incroyable… (Il est tiré de sa rêverie par une nouvelle sonnerie à la porte.) C’est pas vrai ! Qu’est-ce qu’il y a encore ? (Il va ouvrir et ouvre de grands yeux, surpris et a un mouvement de recul.) Euh… ?

BALTCHEK : (tenant une valise)

Bonjour monsieur. Mon nom est Baltchek. On a du vous annoncer ma venue, ou en tout cas, vous prévenir que j’arriverai parce que là, en fait, je suis arrivé.

FRANCK :

Ah ! Euh…Désolé, j’ai déjà donné pour les victimes de guerre. Bonsoir. (Il referme la porte un peu sèchement.) C’est un cauchemar, je vais me réveiller. (Nouvelle sonnerie. Il crie à travers la porte.) Il n’y a personne !!

BALTCHEK : (toujours derrière la porte)

C’est bien vous, le monsieur que je dois dépanner ? (Franck ouvre à contre cœur.) M. Nolan, c’est bien ici ? On m’a dit : Résidence Jean Moulin. Entrée C.

FRANCK :

Entrée C Jean Moulin, oui, c’est ici, mais je n’ai besoin de personne. Au rev… BALTCHEK : (forçant le passage) Merci. J’ai eu peur un moment que vous ne me laisseriez pas entrer. FRANCK :

Ecoutez, ça ne va pas être possible. Je n’ai pas l’habitude de recevoir des étrang… euh… des gens chez moi.

BALTCHEK :

Je vous fais peur ? FRANCK :

Peur, non, mais c’est-à-dire que je ne m’attendais pas à… Enfin… J’espère que vous n’avez pas croisé d’enfants, dans l’escalier.

BALTCHEK : Je ne sais pas. J’ai pris l’ascenseur. Oui, c’est ça, j’ai pris l’ascenseur parce que l’escalier n’était pas en marche.

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LE PORTE BONHEUR

FRANCK : Hein ? Je ne vous crois pas ! Ce maudit ascenseur est en panne depuis au moins deux mois !

BALTCHEK :

Je vous assure qu’il fonctionne très bien. Il suffit d’appuyer sur le bouton. (Avisant une toile accrochée dans l’entrée.) C’est vous qui avez fait ce tableau ?

FRANCK :

Oui, euh… J’essaie de peindre un peu, dès que j’ai le temps. Mais là, je crois que je vais en avoir pas mal. Vous aimez ?

BALTCHEK : Je peux poser ma valise quelque part ? Parce que ma valise, il faudrait que je la pose maintenant.

FRANCK : Ah !? Euh…Vous voulez vraiment vous installer chez moi, alors ? BALTCHEK :

Ben oui, le temps que tout soit réglé. Cela peut prendre plusieurs jours ou plusieurs semaines.

FRANCK : Plusieurs semaines ? BALTCHEK :

Oui, mais il ne faut pas vous inquiéter. Je suis très discret et la discrétion, c’est comme la dame pipi à l’Opéra. Elle n’assiste pas aux représentations mais elle sait toujours quand c’est l’entracte.

FRANCK :

Oui, euh… Le problème, c’est qu’il n’y a pas vraiment de chambre d’amis, ici.

BALTCHEK : Rassurez-vous, ce canapé fera très bien l’affaire. Mais mettons les choses au point tout de suite : je ne fais pas la cuisine, je ne lave pas mon linge et je ne passe pas l’aspirateur. D’autre part, je me lève vers 9 heures et je me couche dès que j’ai sommeil, c'est-à-dire très souvent. Je mange très peu, essentiellement du poisson, des œufs et des fruits et je ne bois que de l’eau.

FRANCK : Comment ça s’appelle exactement ce que vous faites ? BALTCHEK:

A.T.A.C.E.P.I.

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LE PORTE BONHEUR

FRANCK: A.T.A.C.E.P.I. ?

BALTCHEK:

Agent Territorial pour l’Autonomie, le Confort et l’Epanouissement Positif de l’Individu. FRANCK : Bigre ! BALTCHEK :

Notez que c’est un service entièrement gratuit mis en place par le Conseil régional et qui s’adresse à tous les P.E.C.N.O.T.S !

FRANCK : Les pecnots, c’est à dire ?

BALTCHEK : Les Personnes Emotivement Contrariées et Non Ouvertes à la Trans Simultanéité. FRANCK :

Qu’est-ce que c’est ce charabia ? BALTCHEK : C’est tous les gens dans le caca. C’est bien votre cas ? FRANCK :

Euh… Oui, enfin… Je… ça doit vous faire un paquet de monde à visiter, non ?

BALTCHEK : Vous allez voir, tout va bien se passer. Faites-moi confiance. Oui, c’est ça, il faut me faire confiance.

FRANCK :

Mon collègue Sydney m’a dit que vous portiez bonheur. Vous êtes tombé dans une marmite de chance quand vous étiez petit, c’est ça ?

BALTCHEK : Je suis tombé mais de beaucoup plus haut. FRANCK : Et votre nom ? Vous ne vous appelez pas que Baltchek, quand même? BALTCHEK:

En réalité, mon nom complet est Baltimore Chek. Mais tout le monde m’appelle Baltchek.

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LE PORTE BONHEUR

FRANCK : Vous êtes né à Baltimore, peut-être ? BALTCHEK :

Non, je suis né en Macédoine, c’est ce qui explique que vous me voyez en plusieurs morceaux. Mais assez parlé de moi. Que puis-je faire pour vous ? (Il sort un carnet pour prendre des notes.)

FRANCK :

Ben, c’est très simple. J’ai perdu mon emploi et ma femme m’a quitté. Mais à part ça, tout va bien.

BALTCHEK :

Oui, je vois, c’est la formule classique. Vous n’avez rien d’autre ? Je ne sais pas, moi, un complexe, une phobie, une pathologie, un toc, un tic, une maladie, des enfants… ?

FRANCK : Non et pas d’animaux, non plus, je ne les supporte pas. BALTCHEK :

Bon, voici comment je travaille. Je n’agis que dans le positif et je ne peux forcer qui que ce soit à faire quelque chose qu’il n’aurait pas envie. Est-ce bien clair ?

FRANCK : Tout à fait. Je souhaite simplement être réintégré dans ma boîte le plus tôt possible et ensuite que ma femme revienne. Vous pouvez faire ça ?

BALTCHEK: Non, vous n’avez pas le droit de formuler les choses ainsi. Vous pouvez seulement demander que votre situation professionnelle et sentimentale s’améliore.

FRANCK :

Ok. Je souhaite que ma situation générale s’améliore. En même temps, elle ne peut que s’améliorer.

BALTCHEK :

Bien, je pense que ce devrait être assez facile. FRANCK :

Ah ! Tant mieux. Vous avez un taux de réussite de combien, à peu près ? BALTCHEK : 81% avec les hommes. 92% avec les femmes. FRANCK : Ce n’est pas mal.

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK: Vous n’êtes pas homosexuel ?

FRANCK : Non. Pourquoi ? BALTCHEK: C’est dommage parce qu’avec les homos, j’arrive à 99%. FRANCK : Comment ça se fait ? BALTCHEK: Ils sont en général plus aérés. FRANCK :

Ah ? Et comment allez-vous procéder ? Qu’est-ce que vous allez faire chez moi, tout ce temps ?

BALTCHEK :

Rien. FRANCK : Comment ça, rien ? On vous paie à ne rien faire ? BALTCHEK : Ben oui. Ma présence devrait suffire. FRANCK : Vous voulez dire que vous allez passer votre temps à musarder dans ce canapé ? BALTCHEK :

Justement, je crois que je vais l’orienter dans l’autre sens, ce sera mieux, qu’en pensez-vous ?

FRANCK : Comme vous voulez. BALTCHEK : (Mouillant le doigt pour voir d’où vient le vent.)

C'est-à-dire que si, on le laisse ainsi, j’aurais la tête au Nord et ça, ce n’est jamais bon. Oui, c’est ça, il faut que je pense à mettre la tête au Sud parce que ce n’est jamais bien de mettre sa tête au nord.

FRANCK : Vous répétez souvent deux fois les mêmes choses ?

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK : Pardon ? FRANCK : Je vous demandais si vous faisiez exprès de répéter deux fois les mêmes phrases ? BALTCHEK : Ben, je ne sais pas. Là, ça fait deux fois que vous me posez la question. FRANCK : (Haussant les épaules)

Je vais vous donner une couette. Ne bougez pas ! (Il va en chercher une et il revient) Dites, je pense à un truc. Si je vous demandais les numéros du loto, vous seriez capable de les donner ?

BALTCHEK : (Cherchant une orientation pour le canapé en le déplaçant dans tous les sens) Moi je ne prends que les couettes en fibres naturelles. Sinon, ce n’est même pas la peine. FRANCK :

Vous n’aimez que ce qui est naturel ? BALTCHEK : (Cherchant toujours une orientation pour le canapé)

Naturellement. FRANCK :

Bon, ça, y est avec ce canapé ? Vous lui avez trouvé une place ? BALTCHEK :

Les chiffres du loto, je peux vous en fournir plein, mais juste que ce ne seront pas les bons. Enfin, quand je dis juste, en fait, ils ne seront pas si justes que ça.

FRANCK : Ouais, faut pas rêver. BALTCHEK :

Ah ! Si, il faut rêver, au contraire. Les rêves, c’est comme quand on mange des chocolats à Noel, le meilleur, c’est quand on ouvre la boîte. Ça ne vous dérange pas si je me couche tout de suite ?

FRANCK : Mais il est à peine midi. BALTCHEK:

C’est normal, je reçois beaucoup d’ondes négatives ici, alors, ça me fatigue ! (Il se déchausse, range soigneusement des chaussures et s’allonge dans le canapé.) Donnez-moi votre main !

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LE PORTE BONHEUR

FRANCK : Pardon ?

BALTCHEK:

Je ne parle pas français ou quoi ? Donnez-moi votre main, je vous dis. FRANCK :

Mais pourquoi faire ? BALTCHEK:

Il faut bien que je reste en contact avec vous pendant mon sommeil sinon, ça ne sert à rien que je dorme.

FRANCK : Mais enfin, je ne vais pas rester là à vous tenir la main, en permanence. Je n’ai pas que ça à faire, moi !

BALTCHEK:

Vous plaisantez ! Vous êtes au chômage ! Et puis de toute façon, vous êtes obligé parce que sinon, je n’arrive pas à m’endormir.

FRANCK : Mais n’importe quoi ! Vous ne voulez pas que je vous chante une berceuse aussi, pendant que vous y êtes ?

BALTCHEK: Pourquoi ? Vous en connaissez une ? FRANCK : (un peu écœuré) Tenez ! Voilà ma main et tâchez de vous endormir très vite ! BALTCHEK: (repoussant la main)

Non, ça ne va pas ! Elle est toute froide. Vous devriez aller la passer sous le robinet, sinon, je vais attraper un rhume et alors là, je ne pourrai pas travailler. Oui, c’est ça, je risque d’attraper un rhume si vous ne la passez pas sous l’eau chaude.

FRANCK : Vous n’avez pas l’impression d’abuser, là ? BALTCHEK:

Allez-y, je vous attends. Ah ! Et tant que j’y pense, je prends du thé, le matin, avec du sucre roux. Monsieur Nolan, vous avez du sucre roux ?

FRANCK : (depuis la cuisine) On m’avait prévenu que vous étiez spécial, comme gars, mais là, c’est le pompon !

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK: Bon, ça devrait suffire. Venez maintenant.

FRANCK : (lui donnant sa main)

Là, comme ça, ça vous va ? Heureusement que Graziella ne me voie pas ! (Bientôt, on entend des ronflements. Franck lâche la main et s’éloigne pour téléphoner) Allô ? Sydney ?… Oui, il est là, ce con ! En train de roupiller sur mon canapé. Dis-donc, tu t’es bien foutu de ma gueule ?!

BALTCHEK : (Un peu agacé) Chut ! Bon sang ! Vous ne voyez pas que je travaille ?

NOIR

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LE PORTE BONHEUR

ACTE 1 Scène 5

PERSONNAGES : Baltchek – Franck Sept heures du matin. Baltchek passe l’aspirateur et le bruit réveille Franck qui déboule plutôt mécontent en pyjama. FRANCK : (criant) Qu’est-ce que vous faites ? BALTCHEK : (hurlant et faisant signe qu’il n’entend pas.) Comment ? (Mettant l’oreille en cornet.) Je ne comprends pas ! FRANCK : (stoppant l’appareil brutalement)

Non mais vous n’êtes pas bien ?

BALTCHEK : Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? FRANCK :

Comment qu’est-ce qu’il y a ? Il y a qu’il est 7 heures du matin ! Ce n’est pas vous pas hasard qui me disiez que vous ne passiez jamais l’aspirateur ?

BALTCHEK :

Oui, mais là, ce n’est pas pareil, il y avait des miettes. (Il réenclenche et finit de le passer sous le regard médusé de Franck. Puis il éteint l’appareil et va le ranger consciencieusement). Les miettes, c’est comme les larmes d’un sandwich quand il reste encore du pain et qu’on a déjà fini le jambon. Oui, c’est ça, c’est le pain qui pleure parce que le jambon, il ne l’a pas attendu.

FRANCK :

A propos de sandwich, je suppose que vous voulez déjeuner maintenant ? BALTCHEK :

Ben non, parce qu’après, ça va refaire des miettes. FRANCK : (Il s’éloigne vers la cuisine.)

Je sens qu’on va avoir une rude journée ! Finalement, c’est fatigant, le chômage ! BALTCHEK :

Dites, cette nuit, je me suis levé et je vous ai pris des radis. Ça ne vous dérange pas, monsieur Nolan que je vous ai pris des radis ? (Élevant la voix) Vous m’entendez, Monsieur Nolan ?

FRANCK : Il faudrait être sourd pour ne pas vous entendre.

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK : Moi je dis toujours : les radis, c’est un peu comme les anglaises, on a beau les traîner au soleil, y a rien à faire, leur cul, il reste toujours blanc !

FRANCK :

Si vous cherchez la salle de bains, elle est à côté des toilettes. Vous ne devriez pas vous perdre. Pendant ce temps, je vous fais un thé.

BALTCHEK :

Non, merci, un café bien noir, s’il vous plaît ! Mais avec du sucre roux. Vous avez du sucre roux ?

FRANCK : (exaspéré)

Oui, j’ai du sucre roux. Mais vous ne m’aviez pas dit que vous ne buviez que du thé, le matin ?

BALTCHEK : C’est vrai, mais pas le lundi. On est bien lundi, aujourd’hui ? FRANCK :

Oui, on est lundi. Il faut suivre avec vous, hein ? J’ai aussi des biscottes. Tenez ! (Il lui met un paquet sur la table.)

BALTCHEK :

Oui, mais moi, je ne prends pas cette marque, d’habitude. Je prends celle où il y a des figurines à collectionner ? Vous ne collectionnez rien, vous ?

FRANCK : Si ! Les emmerdements et tout récemment, les emmerdeurs ! BALTCHEK :

Dites, j’espère que je ne vous ai pas réveillé, au moins ? Parce que, quelquefois, l’aspirateur, ça fait un peu de bruit.

FRANCK : Je vous ai mis une serviette propre. BALTCHEK :

Merci, mais j’ai ma propre serviette. (Il quitte la scène vers la salle de bains et on le quitte des yeux. Mais on l’entend toujours) M. Nolan ?

FRANCK : Quoi encore ? BALTCHEK : Vous êtes un chic type !

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LE PORTE BONHEUR

ACTE 1 Scène 6 PERSONNAGES : Baltchek – Franck – Roxanne Coup de téléphone. FRANCK : Franck Nolan, je vous écoute. ROXANNE : (voix au téléphone)

Franck, c’est Roxanne de Rouvignac. Comment allez-vous ? Oui, je sais, vous devez affreusement m’en vouloir mais les contraintes budgétaires, vous comprenez… Allô Franck, vous êtes toujours là, mon ami ?

FRANCK :

Bien sûr que suis là, madame la Présidente. Je suis prêt à reprendre ma place le plus rapidement possible. Je suis même prêt à travailler le week-end, sans supplément.

ROXANNE : J’entends bien mon ami, j’entends bien, mais moi-même, je ne vais pas très fort. Je ne devrais pas vous dire cela mais mon cher et tendre compagnon m’a quitté.

FRANCK : Toutes mes condoléances, madame la Présidente. ROXANNE :

Oui, 15 ans qu’il m’accompagnait dans tous mes déplacements. Mais suis-je bête, vous avez certainement dû le croiser ! Toufoune, mon adorable petit yorkshire tout noir ?! Eh ! bien, maintenant, c’est moi qui suis en noir. Snif ! Snif !

FRANCK : Je comprends madame la Présidente et je partage votre peine. ROXANNE :

Oh ! Mon cher Franck, vous êtes bien bon. Si vous saviez comme j’ai besoin de réconfort ! Puis-je passer prendre le thé chez vous, cet après-midi vers 16 heures ? Cela ne vous dérange pas ?

FRANCK : Avec plaisir, madame la Présidente. ROXANNE :

Vous comprenez, cela me ferait tellement plaisir de papoter un peu avec vous. C’est que je mets un point d’honneur à garder les meilleures relations avec tous mes ex-employés, vous comprenez ? Alors, c’est entendu pour un thé ? 16h ?

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK : (qui déboule sans prévenir, en peignoir en train de s’essuyer sa tête mouillée.) Dites Monsieur Nolan, vous n’auriez pas un shampoing qui pique pas parce que votre shampoing, il m’enfonce des aiguilles dans les yeux ; c’est comme si je me frottais avec de la peau de hérisson ?

ROXANNE : Allô ? Qui c’est qui a parlé ? Vous n’êtes pas seul ? FRANCK :

Euh… Tout va bien, madame la Présidente. C’est juste un ami que j’héberge quelques temps.

ROXANNE :

Oh ! comme c’est charmant ! Vous accueillez un nécessiteux dans votre humble demeure alors que vous-même, êtes dans la difficulté ! C’est vraiment très généreux de votre part...

FRANCK : Pas tout à fait. C’est que… ROXANNE :

Moi-même, je ferais pareil que vous, mon cher Franck, mais malheureusement, je n’ai que des amis fortunés qui n’ont besoin d’aucune aide.

FRANCK : Je compatis à votre triste sort, madame la présidente. ROXANNE :

Nous disons donc cet après-midi, 16 heures. Ainsi, vous me ferez les honneurs de votre sympathique petit logis.

FRANCK : C’est entendu, madame la Présidente !

ROXANNE : Bye ! Fin de communication. FRANCK :

Voilà qui s’annonce bien. Je commence à croire que vous portez chance. BALTCHEK : Vous avez quand même un problème…. Votre cumulus, il ne cumule plus du tout. FRANCK :

Comment ça, il ne cumule plus ?

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK : Ben oui, on dirait bien que votre eau, elle est en froid avec votre eau chaude ou alors, c’est l’eau tiède qui ne sait pas si elle doit rester chaude.

FRANCK :

Rrrrh ! Vous, en tout cas, j’ai l’impression que vous les cumulez toutes ! Ne touchez plus à rien, je vais voir ça !

Il quitte la scène.

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LE PORTE BONHEUR

ACTE 1 Scène 7 PERSONNAGES : Baltchek – Graziella Graziella entre et réprime un cri de surprise en voyant Baltchek pour la première fois. GRAZIELLA :

Mais…Mais qui êtes-vous et que faites-vous chez moi ? BALTCHEK : (en peignoir de bain) Euh…c’est le cumulus qui est complètement foutuS !… (Il prononce le S) GRAZIELLA :

Oui et alors ? Depuis quand les plombiers polonais en profitent pour prendre une douche chez leurs clients ?

BALTCHEK :

Euh… je ne suis pas polonais. GRAZIELLA :

Ah ! Non ? Vous êtes sûr ? BALTCHEK :

Et je ne suis pas plombier non plus ! C’est à cause de l’eau froide qui n’est pas très chaude.

GRAZIELLA :

En plus, ça, c’est mon peignoir ! Vous allez tout le déformer ! Vous ne savez pas combien il m’a coûté!

BALTCHEK :

Moi je dis toujours : le prix, c’est que pour les pauvres, parce que les riches, ils s’en fichent du prix ; ils peuvent payer même quand c’est gratuit.

GRAZIELLA : Mais qu’est-ce que vous racontez ? Vous êtes malade ?

BALTCHEK :

Si vous cherchez Franck, il est dans la salle de bains. GRAZIELLA : Quoi ? Ne me dites pas que vous avez pris une douche avec lui ? Quelle horreur !

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK : Oh ! Non, pas du tout. Je suis juste venu l’aider. Vous l’ignorez peut-être mais il vient d’être licencié.

GRAZIELLA : Cela ne m’étonne pas. Mais je n’y suis pour rien. Quand je suis partie, il était encore en activité.

BALTCHEK : Oui, Eh ! bien, là, c’est son activité qui est partie. Enfin, le principal est que vous soyez revenue.

GRAZIELLA : Mais je ne reviens pas, qu’est-ce qui vous fait croire que je reviens ?

BALTCHEK :

Vous ne revenez pas ?

GRAZIELLA : Non, je ne suis pas tarée à ce point et je ne suis pas non plus assez conne pour vous permettre de squatter chez moi. Car vous squattez, bien sûr !?

BALTCHEK :

Non madame. Je suis seulement invité. GRAZIELLA :

Invité ? Ecoutez, Franck est comme il est mais il n’invite jamais aucun étranger à la maison ; alors trouvez autre chose.

BALTCHEK : En tout cas, il sera heureux de vous revoir. Il avait peur que vous ne reveniez pas.

GRAZIELLA :

Mais en quelle langue il faut que je vous le dise ?! Je ne reviens pas ! Je suis juste venue prendre quelques affaires.

BALTCHEK : Si vous ne revenez pas, je peux donc rester. GRAZIELLA :

Alors là, je n’en reviens pas ! Il n’y a pas écrit : « Foire du trône » sur ma porte ! Et encore, même dans les trains fantômes, ils n’osent pas en mettre des comme vous.

BALTCHEK : Le trône, je connais, madame, je descends d’une haute lignée de princes slovaques.

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LE PORTE BONHEUR

GRAZIELLA : Ah ! Oui ? Eh ! bien, manifestement, vous êtes descendu trop vite ! BALTCHEK : Cela me permet de me retrouver à votre niveau. GRAZIELLA :

C’est cela ! Faites de l’esprit puisque c’est tout ce qui vous reste. En plus, je suis sûre que vos papiers ne sont même pas en règle ! Quel est votre nom, déjà ? (Elle attrape un carnet et commence à noter.)

BALTCHEK : Baltchek ! B.A.L.T… (Il commence à épeler) GRAZIELLA :

Oui, merci, je sais écrire. « Baltchek ». Ça commence par un B comme « bizarroïde » et ça finit par un K comme Quasimodo.

BALTCHEK : (Jetant un œil sur ce qu’elle écrit.) C’est sans C. GRAZIELLA :

Pardon ? BALTCHEK :

C’est sans C. GRAZIELLA :

Qu’est-ce qui est sensé ?

BALTCHEK : Mon nom ! Mon nom est censé s’écrire sans C.

GRAZIELLA : Vous vous moquez de moi, là !?

BALTCHEK : Mon nom s’écrit sans le C avant le K, contrairement à stock, stick, ou encore Franck, par exemple.

GRAZIELLA :

Oui, c’est bon, j’ai compris ! Juste un K ! BALTCHEK :

On a toujours tendance à mettre un C avant le K car beaucoup de mots sont dans ce cas.

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LE PORTE BONHEUR

GRAZIELLA : Vous voulez peut-être m’enseigner la langue française ? BALTCHEK : Et j’habite au 26 rue Pressensé. Sans C, également… Il n’y a que des S. GRAZIELLA : Ça va ? Vous vous amusez bien ? BALTCHEK :

Je préfère préciser. Ce sera plus facile si vous voulez me dénoncer. GRAZIELLA :

Vous dénoncer ? Non mais pour qui me prenez-vous ? Non, je veux juste créer une alerte citoyenne.

BALTCHEK : Une alerte citoyenne ? A cause de quoi ? De mon physique ?

GRAZIELLA :

Oh ! « Physique », je ne sais pas. On dirait plutôt une solution chimique qui aurait mal tourné.

BALTCHEK : J’ai dormi cette nuit dans ce canapé. Vous n’aurez qu’à le désinfecter. GRAZIELLA :

De toute façon, je voulais le changer. Ça fait longtemps que vous connaissez mon mari ?

BALTCHEK : Pourquoi ? L’interrogatoire de police est déjà commencé ? GRAZIELLA :

Comme je vous le disais, je suis venue récupérer deux ou trois petites choses. (Elle passe dans une pièce voisine mais laisse la porte ouverte.) Le peignoir, je vous le laisse en cadeau.

BALTCHEK : C'est-à-dire qu’il me serre un peu. GRAZIELLA : (revenant sur le seuil de la chambre, sidérée)

Quoi ? Mon peignoir vous serre ? BALTCHEK :

C’est peut-être la ceinture qui est trop courte, remarquez. Ça le fait parfois avec les contrefaçons.

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LE PORTE BONHEUR

GRAZIELLA : Pardon? Ecoutez-moi bien, cher monsieur de la Cour des Miracles, si mon peignoir est une contrefaçon, vous, vous êtes carrément une malfaçon ! Alors, un bon conseil, rentrez vos bosses, rectifiez votre scoliose, redressez vos épaules, rééquilibrez votre bassin, réalignez vos poumons, réajustez vos membres inférieurs, et après, on en reparle. (Elle pénètre à nouveau dans la chambre)

BALTCHEK : C’est marrant. Vous me faites penser à une galette des rois. GRAZIELLA : (depuis la chambre) Ah ! bon ? Voilà autre chose ! BALTCHEK :

Ben oui. Souvent, la pâte n’est pas assez cuite, la frangipane est ratée, le goût d’amande est artificiel, la fève, on s’y casse les dents et le tout est indigeste.

GRAZIELLA : (Elle ressort de la chambre avec un sac.)

Vous saluerez mon cher mari de ma part. Après tout, vous pouvez rester. Les monstres sont faits pour vivre ensemble. (Elle claque la porte.)

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LE PORTE BONHEUR

ACTE 1 Scène 8

PERSONNAGES : Baltchek – Franck FRANCK : C’était qui ? BALTCHEK : Oh ! Une personne tout à fait délicieuse. FRANCK : Et vous l’avez mise à la porte ? BALTCHEK : Croyez-moi, elle l’a prise toute seule ! FRANCK : (un peu en colère) Ma femme ! C’est ma femme qui était là et vous ne m’avez pas prévenu ! Pourquoi ? BALTCHEK :

Ce n’était pas le bon moment, il faut être patient ! Oui, c’est ça, l’impatience est un mauvais remède.

FRANCK :

Qu’est-ce qu’elle voulait ? Qu’est-ce qu’elle a dit ? BALTCHEK :

Elle m’a semblé assez pressée. FRANCK :

Il y avait quelqu’un qui l’attendait en bas, à tous les coups ! Elle n’aura pas mis longtemps pour me remplacer. Vous l’avez vu ?

BALTCHEK : Qui ? FRANCK : Ben son nouveau mec ! Vous pouvez tout me dire, vous savez ! A quoi il ressemble ? BALTCHEK :

Du calme ! Je n’ai vu personne. FRANCK :

D’accord mais qu’est-ce qu’elle vous a dit ? Vous pensez qu’elle va revenir ?

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK : Moi je ne connais que les oignons que l’on peut faire revenir avec un peu de beurre. Le problème, c’est qu’avec votre femme, ça ne passera pas comme dans du beurre. Mais en revanche, elle vous fera pleurer comme les oignons.

FRANCK : Mais elle n’a pas été étonnée de vous voir ici ? BALTCHEK : Si, un peu ! Mais on a tout de suite sympathisé. FRANCK :

Tant mieux, tant mieux. C’est un début. Sydney avait raison, vous êtes vraiment un porte-bonheur !

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LE PORTE BONHEUR

ACTE 2 Scène 1 PERSONNAGES : Baltchek – Franck FRANCK : (vérifiant le plateau posé sur la table basse)

Bon, je crois que tout est prêt. Le thé, les petits gâteaux, le lait, le sucre… Il faut absolument que ce petit five o’clock soit une réussite.

BALTCHEK :

Vous avez un truc à lui refiler, à votre patronne ? FRANCK : Pardon ? BALTCHEK :

Oui, un de vos tableaux, par exemple. FRANCK :

Mais pourquoi ? Je ne suis pas sûr qu’elle soit très branchée peinture. BALTCHEK :

Ça tombe bien ! Montrez-moi tout ce que vous avez fait. FRANCK :

C’est bien la première fois qu’on demande à voir ma collection ! Franck va chercher ses toiles enfermées dans une armoire. BALTCHEK :

Dans mon pays, on fait souvent des cadeaux aux invités. FRANCK : Noble tradition. BALTCHEK :

Oui, ça permet de se débarrasser de choses qu’on ne veut plus… Alors, quels trésors avez-vous ?

FRANCK : (Il lui montre une première toile) Eh !bien, il y a ces nénuphars par exemple. BALTCHEK : Ce sont des nénuphars ?...

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LE PORTE BONHEUR

FRANCK : Ben oui, pourquoi. C’est un peu stylisé, mais…

BALTCHEK : (Lui coupant la parole)

Les nénuphars, c’est bien ces fleurs où les grenouilles se posent dessus en attendant de se faire sauter ?

FRANCK :

Oui, mais je ne sais pas faire les grenouilles.

BALTCHEK : Les nénuphars non plus, manifestement. FRANCK : (Une autre toile est présentée)

Peut-être que vous préférerez ces poissons. (Baltchek fait la grimace.) Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Ils ne vous plaisent pas non plus, mes poissons ?

BALTCHEK : Ben, ce n’est pas ça mais… pourquoi vous les avez mis dans une assiette ? FRANCK :

Ce n’est pas une assiette, c’est un coquillage ! Ça se voit, quand même, que c’est un coquillage ! (Un temps puis il lui en montre une autre.) Ah ! Et que pensez-vous de ça ? Ça va vous plaire, c’est très contemporain. (On voit une grande toile blanche). J’ai intitulé cette toile : « Nuit noire »

BALTCHEK : (abasourdi) Nuit noire ?

FRANCK :

Oui, tout est dans le titre. Le plus dur a été de peindre tous ces arbres.

BALTCHEK : Quels arbres ? FRANCK : Ben, c’est normal qu’on ne les voie pas puisque c’est la nuit noire. BALTCHEK :

Vous êtes encore plus tordu que moi, vous. Non, ce qu’il faudrait, c’est… c’est une brouette !

FRANCK : Une brouette ?

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK : Oui ou une roue de charrue. C’est joli aussi, les roues de charrues. FRANCK :

Non, désolé, je n’ai pas ça en magasin mais si vous voulez, j’ai ce vieux moulin à eau, là, que mon père avait commencé à peindre mais qu’il n’a jamais eu le temps de finir. (Il lui montre la toile.)

BALTCHEK :

C’est votre père qui a fait ça ? (admiratif) Pas mal du tout !

FRANCK : Oui. C’est lui qui m’a transmis cette passion.

BALTCHEK :

Dommage qu’il ne vous ait transmis que ça ! (L’admirant) Oui, vraiment pas mal du tout ! FRANCK :

Tant mieux si ça vous plaît. Et vous avez vu ? Il y a une sorte de roue… BALTCHEK :

Oui, c’est exactement ce qu’il nous faut. Vous pouvez jeter le reste, enfin non, je veux dire : ranger le reste.

FRANCK : Mais qu’est-ce que vous allez faire avec cette toile ? Elle n’est même pas terminée. BALTCHEK : Justement, vous allez me rajouter une chèvre, là, dans ce coin. FRANCK : Une chèvre ? BALTCHEK :

Oui, une chèvre, blanche, noire, ou grise, on s’en fiche. Prenez vos pinceaux et mettez-vous tout de suite au travail.

FRANCK : Mais je ne sais pas faire les chèvres, moi !

Pendant ce temps, Baltchek installe le chevalet. Puis Franck débouche quelques tubes de gouache.

BALTCHEK : Laissez-vous guider simplement. Attention, prenez le pinceau mais ne le tenez pas.

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LE PORTE BONHEUR

FRANCK : Hein ?!! BALTCHEK :

Oui, c’est ça, le secret. Vous devez tenir le pinceau mais sans le tenir vraiment. Vous comprenez ?

FRANCK : Non. BALTCHEK :

Ne vous occupez de rien, votre pinceau sait ce qu’il a à faire. C’est très intelligent un pinceau.

FRANCK : Si vous le dites. BALTCHEK : Appliquez-vous surtout pour les cornes. Oui, sur les cornes, il faut de l’application. FRANCK : Ne vous inquiétez pas pour ça. Les cornes, je maîtrise bien, je vous remercie. BALTCHEK :

C’est bien, continuez… Encore un peu…Stop ! Maintenant, faites-moi un peu de végétation, par ici !

FRANCK : Je bouche les blancs, c’est ça ? BALTCHEK :

Oui mais attention, on ne vous a pas demandé du faire du plâtre ! Légère, la végétation, légère.

FRANCK : (agacé)

Si vous voulez peindre à ma place, vous n’avez qu’à le dire ! (Il lui tend le pinceau.)

BALTCHEK : Non, je laisse faire l’expert mais si j’étais vous, j’arrêterais avec ce vert parce que là, il est quand même bien vert, ce vert ! (Il fait la grimace) Comme je dis toujours, le vert, c’est bien, à condition qu’on ne voie pas que c’est vert.

FRANCK : Bon, là, ça vous va ? Sinon, je sais faire les lutins aussi, ou les petits génies.

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK : Les lutins, je ne sais pas, mais vous avez peint jusqu’ici, sans génie, vous allez continuer… En fait, il manque juste un puits à cet endroit- là, et ce sera bon.

FRANCK : Mais pourquoi voulez-vous que je fasse un puits ? Vous ne préféreriez pas une brouette plutôt ? Je maîtrise mieux la brouette !

BALTCHEK : Un puits, je vous dis ! FRANCK : Comme vous voudrez ! (Il se remet au travail.) BALTCHEK : (faisant un peu la moue)

Stop ! N’allez pas plus loin, ça va comme ça ! FRANCK : (admirant son œuvre)

Oui, je crois que là, je me suis surpassé. Grâce à vous, Baltchek, je viens de faire des progrès vertigineux...

BALTCHEK : (pince sans rire)

Vertigineux, oui. C’est tout à fait le mot qui convient ! FRANCK :

Je vous laisse reboucher les tubes, si vous voulez bien. (Il emporte les pinceaux dans la cuisine.)

BALTCHEK :

OK. (Malencontreusement, il appuie trop fort sur un tube de noir qui part en jet sur la toile) Zut et triple zut ! Bon, ce n’est pas grave… Je vais arranger ça, on va dire que c’est un nuage. Oui, c’est ça, un gros nuage noir. (Il étale la peinture avec un sopalin puis il va placer la toile sur la terrasse.)

FRANCK : (de retour) Où avez-vous mis le tableau ? BALTCHEK :

Euh…Tout va bien, il sèche sur la terrasse…Excusez-moi mais j’ai du mal à supporter l’odeur de la peinture à l’huile. (Il quitte la scène)

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LE PORTE BONHEUR

ACTE 2 Scène 2

PERSONNAGES : Alluyne – Franck – Baltchek Sonnerie à la porte. ALLUYNE : (qui entre de façon tonitruante) Monsieur Nolan ! Monsieur Nolan ! Vous allez bien ? FRANCK : Oui, pourquoi ? Qu’avez-vous ? Vous êtes toute pâle ! ALLUYNE :

J’ai eu très peur ! J’ai vu un affreux bonhomme sur votre terrasse en train de vous voler un tableau ! Vous n’avez rien ? Vous n’avez pas été attaqué ?

FRANCK : Calmez-vous, voyons, je vais très bien ! ALLUYNE :

Tant mieux mais n’empêche que j’ai vu un drôle de type sur votre terrasse ! Un mélange d’ours et d’orang-outang ! Vous ne l’avez pas vu ?

FRANCK : Vous vous inquiétez pour rien. C’est… c’est un ami que j’héberge quelques temps. ALLUYNE :

Oh ! Excusez-moi, je ne savais pas que vous accueilliez des roumains chez vous, comme vous m’aviez dit que…

FRANCK : Des roumains ? Je ne sais pas s’il est roumain. Son nom est Baltchek mais… ALLUYNE : (le coupant)

Peu importe, je suis heureuse de voir que vous avez changé d’avis sur les étrangers. FRANCK : Non, non, je n’ai pas changé d’avis. Simplement, lui, c’est un peu différent. ALLUYNE : (gênée)

Ah ! D’accord, je ne veux pas être indiscrète mais sur le moment, j’ai vraiment cru que c’était un cambrioleur déguisé en épouvantail ou le contraire.

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK : (depuis les toilettes) Monsieur Nolan ! Vous m’entendez ? Vous êtes sûr qu’elle marche, votre chasse ? Parce qu’elle fait des bruits bizarres.

FRANCK : (forçant la voix dans sa direction) Jusqu’à présent, elle marchait très bien, en tout cas. BALTCHEK : Eh ! ben là, on dirait que la chasse, elle est comme qui dirait fermée ! ALLUYNE : Dites-donc, qu’est-ce qu’il parle bien, votre ami ! Presque sans accent. FRANCK : Oui, ça de ce côté-là, on le comprend bien, on l’entend même TRES bien. BALTCHEK : (hurlant presque) Vous êtes toujours là, monsieur Nolan ? Parce que vous n’avez plus de papiers, non plus !

NOIR

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LE PORTE BONHEUR

ACTE 2 Scène 3

PERSONNAGES : Roxanne – Franck – Baltchek FRANCK :

Entrez, madame la Présidente. ROXANNE : Oh ! Mais c’est vraiment adorable chez vous ! Votre femme n’est pas là ? FRANCK : Non, elle s’est absentée. Mais voici mon ami Baltchek dont je vous ai déjà parlé. ROXANNE : (qui ne l’avait pas encore aperçu) Dieu de ciel ! (Elle met la main à son cœur et fait un signe de croix.) BALTCHEK :

Bonjour Madame. FRANCK :

Asseyez-vous, madame la Présidente ! Je vais vous servir votre thé. ROXANNE : (s’affalant sur le siège)

Plutôt un remontant, si vous avez. (Elle se fait de l’air avec sa main et s’éponge le front avec un mouchoir.)

BALTCHEK : Moi je dis toujours : Les remontants, c’est bien, ils sont plus faciles à descendre. ROXANNE : (toute retournée) Euh… Oui sans doute, je…

FRANCK : (Il lui apporte un petit verre d’alcool.)

Ne vous inquiétez pas, mon ami est un peu surprenant mais très sympathique. Voici un petit calva ! J’espère que ça va aller.

ROXANNE :

Merci Franck! (Elle boit le verre d’un trait et elle le tend à nouveau. Franck la ressert et elle reboit aussitôt). (A voix basse) Vous auriez pu prévenir !

BALTCHEK :

Je suis désolé, madame. La prochaine fois, je me cacherai derrière un masque. ROXANNE :

Ne vous donnez pas cette peine. Il est inutile de faire ce que font la plupart des gens (Elle reboit une dernière gorgée.) Rassurez-vous, ça va déjà mieux.

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LE PORTE BONHEUR

FRANCK : Vous êtes très courageuse, madame la Présidente. ROXANNE :

Pourtant, je devrais être habituée. Ce n’est pas la première fois que j’ai affaire à des délégués syndicaux.

FRANCK :

Euh… Non, mon ami n’est pas du tout… ROXANNE :

Ah !? Vous n’êtes pas délégué syndical ? (Baltchek fait non de la tête) Ca alors ! Mais vous êtes quand même bien handicapé ?

BALTCHEK : Moi je dis toujours: les handicapés, ils devraient tous se présenter aux élections parce qu’au moins, la plupart seraient élus dans un fauteuil.

ROXANNE : Euh… il va de soi que je n’ai rien contre les handicapés. Moi-même, j’ai été obligée d’en prendre dans l’agence et je ne m’en plains pas. Ils sont très polis, très propres, et surtout, ils disparaissent au bon moment pour ne pas perturber les négociations avec les clients. Non, vraiment, je n’ai rien à leur reprocher. En plus, c’est mieux que les plantes vertes, pas besoin de les arroser !

FRANCK : (un peu gêné) Euh… Je vous sers votre thé, maintenant madame la Présidente ? ROXANNE :

Volontiers ! (Franck la sert.) Vous êtes un ange, mon cher Franck ! Et moi qui ait osé vous congédier alors que j’ai tant besoin de vous depuis que mon cher petit Toufoune s’en est allé.

FRANCK : C’est en effet une cruelle nouvelle. Mais peut-être que…

ROXANNE : (le coupant)

Ça y est, j’y suis! (s’adressant à Baltchek) Mon neveu ! Vous me faites penser à mon neveu !

BALTCHEK :

Votre neveu est infirme, peut-être, lui aussi ?

ROXANNE : Non, pas du tout. Mais pour ses huit ans, on lui a offert une boite de jeux de construction style mécano, avec plein de modèles à l’intérieur, vous voyez le genre ? Eh ! bien vous

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LE PORTE BONHEUR

me croirez si vous voulez, depuis le début, il éprouve un malin plaisir à tout monter à l’envers, exactement comme vous.

FRANCK : Madame la Présidente, le moment est peut-être mal choisi mais me permettez-vous d’évoquer mon nouveau projet sur l’optimisation des trous de gruy… ?

ROXANNE : (le coupant à nouveau)

Ah ! Mon cher Franck! Si vous saviez comme je suis malheureuse ! C’est arrivé si brutalement ! (Elle se mouche avec grâce.) Monsieur Rabjek…

BALTCHEK :

Mon nom est Baltchek, madame. ROXANNE :

Bien sûr, excusez-moi. Je suppose que vous avez des animaux, vous-même ? BALTCHEK :

En effet. J’ai un perroquet, trois ânes, deux poneys, cinq autruches, six moutons et trois ou quatre chiens. Plus un poisson rouge… J’en avais deux mais il y en a un qui s’est fait bouffer par le perroquet.

ROXANNE :

Grand dieu! Vous devez avoir un grand domaine ! BALTCHEK :

Oui, sur plusieurs hectares, à l’Ouest de Paris. Mais moi, j’ai juste un petit deux pièces à Sarcelles !

ROXANNE : Ciel ! Mais comment faites-vous donc ? BALTCHEK : Pour avoir seulement un deux-pièces ? ROXANNE : Non, pour habiter Sarcelles ? FRANCK : (qui fait signe à Baltchek d’aller voir plus loin.) Madame la Présidente… ROXANNE : (ignorant totalement Franck)

Je dois vous paraître affreusement curieuse mais enfin qui s’occupe de toutes ces pauvres bêtes quand vous n’êtes pas sur place ?

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK : Les bénévoles de ma fondation. (Qui improvise) La… La Musarde !

ROXANNE : La Musarde, dites-vous… ? BALTCHEK :

Oui, euh… C’est un acronyme. Mouvement Utile à la Société des Animaux et à la Recherche Durable de l’Environnement. La Musarde. Une sorte d’Arche de Noé grandeur nature.

FRANCK : Sinon, il y a mon gruyère aussi. ROXANNE : (qui continue à se désintéresser totalement de Franck) Je suppose que votre fondation s’appuie exclusivement sur des capitaux privés ? BALTCHEK :

C’est exact. Nous avons de nombreux donateurs, des particuliers plus ou moins fortunés, des mécènes en quelque sorte! Oui, c’est ça, des mécènes fortunés, et particulièrement des gens qui donnent.

ROXANNE : Des mécènes ! Comme c’est charmant ! BALTCHEK : Et notamment, M. Nolan, qui est un de nos principaux donateurs. FRANCK : (très surpris) Hein ? Ah ! Euh… oui, bien sûr ! (A voix basse) Mais qu’est-ce qui vous prend ? ROXANNE : Franck ! Vous êtes mécène ! Vous m’aviez caché ça ! FRANCK : Oui, euh… spécialiste en mécène de ménage, essentiellement. ROXANNE :

Mécène de ménage, très drôle, Franck ! Mais comme c’est fâcheux! Maintenant que vous avez été licencié, vous n’allez plus pouvoir aider la fondation de votre ami ?!

FRANCK : Justement, si vous pouviez considérer un instant mon projet sur les trous de… ROXANNE :

Oui, bien sûr, bien sûr.

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LE PORTE BONHEUR

FRANCK : (Qui reprend espoir). Ah !

ROXANNE : C’est terrible !

FRANCK : Terrible, peut-être pas mais… ROXANNE :

Si, si, c’est terrible comme mon cher petit Toufoune me manque ! (Elle sort un petit mouchoir pour s’essuyer les yeux.)

BALTCHEK :

Heureusement, mon ami a tenu à vous remonter le moral en réalisant une toile à votre intention.

ROXANNE :

Une toile ? Mais quelle délicate attention! FRANCK :

Je viens à peine de la terminer. Elle sèche encore sur la terrasse. ROXANNE :

Vraiment Franck, je ne sais que dire. J’ignorais que vous étiez artiste-peintre ! BALTCHEK :

Mon ami est en réalité un grand timide et d’ailleurs, il ne peint que la nuit.

ROXANNE : Bien sûr, l’influence de la lune… J’espère seulement, mon cher Franck, que vous n’avez pas trop insisté sur les rides de mon visage. (Elle passe les doigts sur ses tempes et sous les yeux.)

FRANCK : Euh… c'est-à-dire que je n’ai pas fait de portrait, mais plutôt un… une sorte de…

ROXANNE : (qui ne cache pas sa déception) Ah !? BALTCHEK :

Ne soyez pas trop déçue, madame. Aucun pinceau ne saurait rendre hommage à la noblesse de vos traits. (Roxanne remercie de ce compliment en inclinant la tête avec grâce.)

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LE PORTE BONHEUR

FRANCK : Il s’agit en réalité, d’une œuvre bucolique, madame la Présidente. Je vous l’apporte tout de suite. (Il va la chercher.)

ROXANNE :

Bucolique ! Quelle merveilleuse idée! J’adore le bucolisme. (A ce moment on entend Franck qui pousse un petit cri de surprise car il a découvert la modification suite à la maladresse de Baltchek.) Qu’y a-t-il mon ami ?

FRANCK :

Rien du tout, juste que le séchage réserve parfois des surprises. (Regard intrigué à Baltchek qui lève les bras en signe d’impuissance.)

ROXANNE : Voyons vite ! (Elle se frotte déjà les mains et attrape la toile.) FRANCK : Prenez garde de ne pas vous salir les mains, madame la Présidente. ROXANNE : Oh ! Dieu de Ciel, c’est vous qui avez peint ça ? Comment est-ce possible ? FRANCK : Cela vous plaît ? ROXANNE :

Si ça me plaît ? Mais je trouve cela incroyable ! Totalement incroyable ! Comment avez-vous su ?

FRANCK : Su quoi, madame la Présidente ? ROXANNE :

Eh ! bien, cette toile est tout simplement l’histoire de ma vie. Il y a de cela bien longtemps, j’ai vécu dans un moulin tel que celui-ci et quand j’étais petite, j’allais traire des chèvres dans la ferme voisine, où il y avait ce genre de puits… C’est bien un puits, n’est-ce pas ? (Franck hoche la tête) non, vraiment, c’est incroyable et le plus touchant, c’est que vous avez eu la délicatesse de peindre mon petit Toufoune. Merci mille fois Franck, vous n’auriez pas pu me faire un plaisir plus grand.

FRANCK : Euh… J’ai peint votre chien, vous dites ? ROXANNE :

Oui, vous ne vous en souvenez pas car vous deviez être dans un état second mais là, dans les nuages, cette mignonne boule noire avec ses petites oreilles, son petit museau, c’est

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tout à fait lui. Mon petit Toufoune est au ciel. Oh ! Mais quel bonheur ! Combien vous dois-je pour cette toile ?

FRANCK :

C’est un cadeau, madame la Présidente, je vous l’ai dit. Je suis très honoré qu’il vous plaise.

ROXANNE :

Mais tout l’honneur est pour moi. Si vous permettez, je vais faire un chèque alors pour la fondation de votre ami.

BALTCHEK : Merci madame mais je n’y tiens pas particulièrement. ROXANNE : Comment ça, vous n’y tenez pas ? BALTCHEK :

Vous pouvez en faire un si vous le voulez, bien sûr. Mais je préférerais de loin, que mon ami Franck retrouve un emploi dans votre agence… si cela vous était possible, bien sûr.

ROXANNE : C’est vraiment ce que vous voulez, Franck ? FRANCK :

Oh ! Oui, madame la Présidente et comme vous le savez sans doute, j’ai un magnifique projet sur l’optimisation des…

ROXANNE :

Ecoutez, la période est très difficile, vous ne l’ignorez pas, et en ce qui concerne votre projet de valorisation des trous de gruyère, je pense pouvoir vous dire que c’est râpé, si vous me passez l’expression.

FRANCK : (très dépité. Il encaisse le choc avec difficulté)

Ah ?! ROXANNE :

Mais nous avons peut-être d’autres perspectives. Je vous promets de réfléchir à la question. (Elle se prépare à partir.)

FRANCK : Merci madame la Présidente. ROXANNE :

De grâce, cessez de me donner du « Madame la Présidente ». Appelez-moi Roxanne et puis, c’est moi d’abord, qui vous remercie. Nous nous reverrons bientôt.

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LE PORTE BONHEUR

Baltchek lui donne une grande poche pour la toile. ROXANNE : Je vois que vous pensez à tout, mon ami. Vous êtes artiste vous aussi ? BALTCHEK :

Hélas non, madame, même si par certains côtés, je ressemble à Guernica. Je serais plutôt un artisan.

ROXANNE :

Un artisan ? BALTCHEK :

Oui, je repeins la vie en rose. ROXANNE :

Vaste chantier… Bonsoir Messieurs. FRANCK :

Au revoir, madame… Euh… Roxanne. (Il ferme la porte.) Comment diable avez-vous fait pour peindre ce satané chien dans les nuages ?

BALTCHEK : Un coup de chance. FRANCK :

En tout cas, merci. Sauf pour cette histoire de fondation. C’est du grand n’importe quoi. Qu’est-ce qui vous est passé par la tête ?

BALTCHEK : Simple stratégie. Ne vous en faites pas. FRANCK :

Simple stratégie, simple stratégie, d’accord mais si elle se rend compte que cette Musarde n’existe pas, elle risque de très mal le prendre.

BALTCHEK :

Vous avez noté que je n’ai pas accepté son chèque. Oui, vous avez vu, son chèque, je ne l’ai pas pris.

FRANCK : Peut-être que vous auriez dû !

NOIR

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ACTE 2 Scène 4 PERSONNAGES : Alluyne – Baltchek Sur le pas de la porte que Baltchek vient d’ouvrir. ALLUYNE : Bonjour Monsieur Baltchek, je suis Alluyne, la voisine de M. Nolan. BALTCHEK : Enchanté, mademoiselle. Je suis désolé, Franck vient de sortir. ALLUYNE :

Ça ne fait rien. Vous lui donnerez ceci de ma part. C’est une quiche lorraine. Au départ, j’avais l’intention de faire une tourte mais je me suis trompée dans les proportions, alors, finalement c’est devenu une quiche.

BALTCHEK :

Ce n’est pas grave, on la mangera quand même ! Merci. (Il va la poser à la cuisine.) Je suis très content de vous rencontrer, vous savez, car Franck me parle souvent de vous.

ALLUYNE :

Ah ! bon ? Ça m’étonne. BALTCHEK : (Il revient vers elle) Je vous assure. Pourquoi croyez-vous que sa femme soit partie ? ALLUYNE : Quoi ? Sa femme est partie ? Mais depuis quand ? BALTCHEK :

C’est tout récent. Elle lui a fait comme ça : « Oui, tu comprends, j’en ai assez que tu me parles de cette fille, Alluyne par ci, Alluyne, par là. Il n’y en a que pour elle, j’en ai assez ! »

ALLUYNE : Mon dieu, mais c’est épouvantable ! Je ne veux surtout pas être la cause d’un divorce.

BALTCHEK :

On n’en est pas encore là. Ce n’est pas parce que la jument a déjà tourné le dos au foin que la cabane va tomber sur le chien.

ALLUYNE :

Euh… Je ne connaissais pas cette expression.

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LE PORTE BONHEUR

BALTCHEK : En plus, là, il n’est pas bien parce qu’il a été licencié. ALLUYNE : Oh ! Le pauvre ! Qu’est-ce que je peux faire pour lui ? BALTCHEK : Rien, vous lui avez déjà fait une quiche ! ALLUYNE :

Je sais ce que vous pensez, que j’ai tort de m’accrocher à un homme qui est déjà marié, mais la moule, elle s’accroche bien à son rocher et pourtant, le rocher, il est déjà marié avec la mer.

BALTCHEK :

Oui, euh… je ne sais pas si j’aurais choisi cet exemple de la moule. ALLUYNE :

Je vais vous dire la vérité. J’ai eu le coup de foudre pour lui dès le premier jour où il s’est installé ici. Vous savez, des hommes dans ma boutique de fleurs, j’en vois tous les jours et même certains sont très charmants et très gentils avec moi, mais Franck c’est autre chose. Oh ! Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça, on se connaît à peine.

BALTCHEK :

Vous pouvez avoir confiance et tout me dire.

ALLUYNE : Le problème est que Franck ne s’intéresse pas à moi parce que j’ai une vie médiocre, avec un travail médiocre, un salaire médiocre, et des loisirs médiocres.

BALTCHEK :

Sauf qu’avec vos bouquets, vous offrez aux gens des pétales de vie et cela n’a pas de prix.

ALLUYNE : Oh ! C’est drôlement joli ce que vous dites. BALTCHEK :

Heureusement que ce que je dis est joli, ça compense avec le reste.

ALLUYNE : Justement, il faut que je vous avoue quelque chose, Monsieur Baltchek ! Quand je vous ai vu ce matin, sur la terrasse depuis ma fenêtre, avec un tableau dans les mains, je vous ai pris pour un cambrioleur échappé d’un cirque. Je suis vraiment désolée. C’est ridicule.

BALTCHEK :

Vous êtes toute pardonnée. J’étais en train de mettre une toile de Franck à sécher.

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LE PORTE BONHEUR

ALLUYNE : Quoi ? Franck fait de la peinture ? Mais de quel genre ?

BALTCHEK :

Genre, euh… ALLUYNE :

Un peu cochon, vous voulez dire ? BALTCHEK :

Cochon, non pas vraiment. Là, il serait plutôt dans sa période chèvre. La toile que vous avez aperçue, il l’a d’ailleurs offerte à sa patronne.

ALLUYNE : Sa patronne, celle qui l’a foutu à la porte ? Je ne comprends pas. BALTCHEK :

Simple stratégie. ALLUYNE :

Dites, vous croyez que je peux jeter un œil sur son travail ? Vous ne lui répéterez pas, hein ?

BALTCHEK :

Je ne répète rien, je dis seulement les choses deux fois. Ne bougez pas. (Il ouvre l’armoire)

ALLUYNE :

Peut-être qu’un jour, il sera connu, riche et célèbre. (Elle reste quelques secondes songeuse.)

BALTCHEK : (lui montrant une à une les toiles. Alluyne semble peu enthousiaste) Voilà toute sa collection. ALLUYNE : (plutôt consternée)

Ah ?!

BALTCHEK : Ça n’a pas l’air de vous plaire. ALLUYNE :

Il n’aurait peut-être pas dû offrir une toile à sa patronne. Elle risque de prendre ça pour une insulte.

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BALTCHEK : Chut ! J’entends l’ascenseur. C’est peut-être lui. (Il range à toute vitesse les toiles dans l’armoire.)

ALLUYNE : Il vaut mieux que je m’en aille tout de suite. BALTCHEK : Non, j’ai une idée. Cachez-vous sous la table. ALLUYNE : Sous la table ? Mais pourquoi faire ? BALTCHEK : Je suis certain que cela sera très instructif, vous verrez. ALLUYNE : Oui mais enfin, je… BALTCHEK :

Ne discutez pas, allez-y ! Elle obéit à contrecœur.

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ACTE 2 Scène 5 PERSONNAGES : Baltchek – Franck BALTCHEK : Ah ! Enfin, vous voilà ! Vous en avez mis du temps ! FRANCK : Le temps qu’il faut. Pourquoi ? BALTCHEK :

C’est que j’ai eu toutes les peines du monde à me défaire de votre voisine, la petite Alluyne.

FRANCK :

Allons, allons, vous me faites marcher ! Elle vous a aperçu ce matin, sur la terrasse et elle a eu peur, alors ça m’étonnerait qu’elle vienne vous relancer quand je ne suis pas là.

BALTCHEK :

Oh ! Mais ce n’est pas moi qu’elle relance, c’est vous ! Figurez-vous qu’elle vous a apporté une quiche faite maison. Vous vous rendez compte ? Une quiche ! Et puis quoi, encore ? Pourquoi pas une tourte ? Je lui ai pourtant dit que vous n’aimiez pas du tout les tartes, et surtout pas celle-là !

FRANCK :

Mais qu’est-ce que vous racontez ? J’aime beaucoup les quiches, au contraire. Ça fait même très longtemps que je n’en ai pas mangé pour la bonne raison que Graziella a horreur de ça.

BALTCHEK : Ah ! Je ne savais pas. Alors, moi, je lui ai dit que sa quiche, elle pouvait se la… FRANCK : Mais n’importe quoi ! Vous êtes complètement à l’Ouest !… BALTCHEK :

Ah ! Non, là, vous faites erreur. L’Ouest, ce n’est pas vraiment mon coin. FRANCK :

C’est ça, faites le malin ! Vous étiez censé rester dans ce canapé, je vous rappelle, pour observer, ce sont vos propres mots, et à cause de vous, je vais passer à côté d’un vrai petit plaisir !

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BALTCHEK : Oui, mais moi j’ai pensé qu’il fallait mettre le holà tout de suite, parce qu’elle vous apporte une quiche aujourd’hui, d’accord, mais demain, ce sera des ris de veaux, ensuite une ratatouille, après des anguilles à la crème…

FRANCK : Arrêtez, je ne vais pas tarder à vomir là… BALTCHEK :

Je vous le dis, sa quiche, c’est le genre d’omelette qu’il faut tuer dans l’œuf ! FRANCK :

Mais qu’est-ce que vous racontez ? Vous n’aviez pas le droit d’être désagréable avec elle, d’abord !

BALTCHEK :

Il faudrait savoir. Vous voulez récupérer votre femme, oui ou non ? Alors, ce n’est pas le moment que cette petite pimbêche décolorée vienne vous les brouter menus.

FRANCK : « Brouter menus » ! Vous connaissez cette expression, vous ? BALTCHEK : Evidemment ! Je suis français, moi monsieur, et j’aime la France. FRANCK : Ça ne m’étonne pas. Elle est un peu dans le même état que vous. BALTCHEK :

Cela dit, il faut la comprendre. Comme elle sait que votre femme s’est tirée, elle vient tenter sa chance.

FRANCK : Comment sait-elle que Graziella s’est barrée ? C’est vous qui lui avez dit ? BALTCHEK :

Absolument pas. Je joue toujours franc jeu avec les personnes qui ont besoin de mes services.

FRANCK :

Oui, mais il n’était pas nécessaire d’être si dur avec Alluyne. On n’a rien en commun, d’accord, elle est progressiste, humaniste, européiste, toutes ces imbécillités altruistes mais n’empêche, quand elle est là, je suis tout près de retrouver d’anciennes sensations.

BALTCHEK :

Quelles sensations?

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FRANCK : Comme celles quand j’étais gamin. (Baltchek l’encourage du regard). Je me souviens, c’était pendant les vacances. Mes parents m’emmenaient toujours dans les Landes. J’étais immobile sur la plage ; je regardais les vagues mourir une à une à mes pieds, tandis qu’au loin, le soleil déclinait. Il y avait d’autres enfants qui batifolaient dans l’eau tout autour ; ils voulaient que je joue avec eux, mais moi je ne bougeais pas, je ne les entendais pas. Je sentais juste le vent qui soulevait mes cheveux et me faisait frissonner. J’étais simplement bien et cela me suffisait. Je crois même que j’étais heureux.

BALTCHEK :

Moi je dis toujours : la plage, c’est bien, dommage qu’il y ait tout ce sable ! FRANCK : (sortant de son rêve)

Ouais, en tout cas, ce qui est sûr, c’est que vous avez été grossier avec Alluyne qui n’a certainement pas mérité ça ! Déjà qu’elle n’a pas un prénom facile ! Non, là, franchement, vous avez merdé.

BALTCHEK : J’ai voulu sauver votre couple. FRANCK : Mon couple ? Mais où voyez-vous un couple ? BALTCHEK : Rassurez-vous. En ce qui concerne la quiche, elle l’a quand même laissée. FRANCK : Waouah ! C’est vrai ? Où est-elle ? BALTCHEK : Dans le frigo. FRANCK : Eh ! bien, vous savez ce que je vais faire ? Je vais l’inviter à dîner. BALTCHEK : Je ne sais pas si c’est une bonne idée. FRANCK :

Bien sûr que si ! Il faut bien que je rattrape vos bêtises. Je vais même l’appeler au téléphone tout de suite.

BALTCHEK : Hein ? Pourquoi ? Vous avez son portable ?

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FRANCK : Bien sûr, elle me l’a donné en cas d’urgence et là, c’est carrément une urgence. (On entend la sonnerie sous la table.) Mais qu’est-ce que c’est que ce bazar ?

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