le pin de la discorde

43

Upload: others

Post on 16-Jun-2022

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Le pin de la discorde
Page 2: Le pin de la discorde

Le pin de la discorde

Page 3: Le pin de la discorde
Page 4: Le pin de la discorde

Francis Dupuy

Le pin de la discorde Les rapports de métayage

dans la Grande Lande

Publié avec le concours du Conseil régional d'Aquitaine et du

Parc naturel régional des Landes de Gascogne

ÉDITIONS DE LA MAISON DES SCIENCES DE L'HOMME, PARIS

Page 5: Le pin de la discorde

Maison des sciences de l'homme - Bibliothèque Elément de catalogage avant publication

Dupuy, Francis Le pin de la discorde : les rapports de métayage dans la Grande Lande / Francis Dupuy. - Paris : Ed. de la Maison des sciences de l'homme, 1996. - VIII-407 p.-[32] p. de pl. ; 24 cm

Bibliogr. p. 387-393. Notes bibliogr. Index. - ISBN 2-7351-0702-7

Copyright 1996 Fondation Maison des sciences de l'homme

Imprimé en France

Première de couverture Huile sur papier de Jean-Roger Sourgen, 1975

Coll. écomusée de la Grande Lande Tous droits réservés

Relecture Georges Préli

Raymonde Arcier

Responsable de fabrication. conception et couverture Raymonde Arcier

Page 6: Le pin de la discorde

A mes parents.

A la mémoire de Jacques Berque.

Page 7: Le pin de la discorde
Page 8: Le pin de la discorde

Sommaire

Remerciements IX Avertissement XI Les sources XIII Introduction 1

1 La Grande Lande

1. La Grande Lande, cœur du massif forestier gascon 11 Questions de terminologie 14 Le contexte historique 23 Géographie humaine et habitat 26 Les données de la démographie 29 Le massif forestier depuis la dernière guerre 32

2. Le contexte historique du xixe siècle. De la lande à la forêt 41 3. Les trois systèmes économiques successifs 55

Le système agro-pastoral 55 Le système agro-sylvo-pastoral 63 Le système sylvicole 68

II Le cadre historique et juridique du .métayage

1. Des origines obscures 77 2. Développement et structuration du métayage 87

Le xvnf siècle 88 Le xixe siècle 101

3. La loi du bail à colonat partiaire (1889) et ses conséquences 105 La loi du bail à colonat partiaire 105 La codification des usages locaux 107 Les secteurs sociaux de la codification 110

III Les conditions sociales de la production dans

la société agro-pastorale

1. Les rapports métayers/propriétaires 133 Les classes sociales 140 Les marqueurs de la distinction de classe 143 La composition sociale des quartiers 155

Page 9: Le pin de la discorde

Le paternalisme 159 Les prémices d'un comportement de classe 165

2. La production agricole et l'organisation domestique 169 La production agricole 169 Le groupe domestique 175

3. Les causes du changement 201 Le boisement - La forêt « industrielle » 202 La constitution de grosses propriétés forestières 204 L'émergence d'une nouvelle bourgeoisie terrienne 208 Le développement de la rente en argent 211

IV Les nouvelles conditions sociales de la production dans

la société sylvicole

1. Les effets du changement 223 2. Une prise de conscience de classe 249

Les étapes de l'organisation syndicale 250 Les attributs d'un comportement de classe ouvrière 271

3. Les contradictions du mode de production 277 Les contradictions socio-économiques 277 Les contradictions idéologiques 283

V La fin des métayers-gemmeurs

1. Des métayers-gemmeurs encombrants 301 Le début de la fin 301 La fin 308 Changements de décor 309

2. Les derniers métayers, et autres portraits 319 Les derniers métayers 320 Les petits propriétaires-exploitants 329 Les grands propriétaires 332

3. Question subsidiaire : pourquoi le passage au fermage ne s'est-il pas opéré ? 337

Conclusion 343

Annexes 351 Bibliographie 387 Index 395 Listes 403

Page 10: Le pin de la discorde

Remerciements

Cet ouvrage est issu d'une thèse de doctorat dirigée par Maurice Godelier dans le cadre de l'École des hautes études en sciences sociales (Paris), et soutenue le 30 mai 1990 devant un jury présidé par Jacques Berque (t 1995).

Nombreux sont celles et ceux à qui ce travail doit beaucoup, à un titre ou à un autre.

Tout d'abord, je tiens à exprimer ma plus vive reconnaissance à Maurice Godelier, qui a bien voulu diriger mes travaux, qui les a inspirés et maintes fois éclairés sur les plans de la méthode et de la théorie.

J'adresse des remerciements particuliers, pour l'aide précieuse qu'elles m'ont apportée, aux personnes suivantes : Mesdames R. Bruzat, A.M. Cocula- Vaillières, Messieurs J.P. Lescarret, J.B. Marquette, P. Toulgouat (t 1992), J. Tucoo-Chala.

Je remercie également, pour leur aide technique, mes ami(e)s : Patrick Benquet, Christine Cuvelier, Guy Latry, Jean-Paul Lauga, Jean Pémartin, Gérard Rodriguez, Dominique Roux, Christian Sabarots, Hélène Sartre, Jacqueline Ursch.

Je remercie en outre le Parc naturel régional des Landes de Gascogne, en la personne de ses deux directeurs successifs, J.C. Ollagnier et H. Conan, pour m'avoir permis, grâce au poste que j'occupe à l'écomusée de la Grande Lande, d'être en contact quasi quotidien avec mon terrain d'investigation et de me tenir à son écoute.

Enfin, c'est une mention spéciale que j'adresse à tous ceux, anciens mé- tayers et autres, qui m'ont cordialement, voire amicalement reçu et qui m'ont fait part sans réserves de leur savoir et de leur histoire. Il serait impossible de les citer ici, et ils n'y tiendraient d'ailleurs pas. De plus, certains d'entre eux ne sont plus aujourd'hui de ce monde. Qu'ils soient tous assurés de ma plus sincère gratitude.

Page 11: Le pin de la discorde
Page 12: Le pin de la discorde

Avertissement

En ce qui concerne les noms de personnes et de lieux, nous avons adopté les règles suivantes :

- nous citerons les noms exacts des personnes lorsqu'il s'agira de docu- ments d'archives suffisamment anciens, en conservant l'orthographe selon la- quelle ils ont été transcrits. Lorsqu'il s'agira de personnes vivantes ou disparues depuis peu, et de personnes en rapport avec elles, par respect pour leur vie privée ou celle de leurs proches, nous nous limiterons à donner les initiales du prénom et du nom. Lorsqu'il s'agira de personnages publics, même contempo- rains (tels que les responsables syndicaux par exemple), nous citerons explici- tement les noms et prénoms.

- les noms de lieux seront tous cités sans aucune réserve, et lorsqu'ils figureront sur des documents anciens, nous conserverons, là aussi, l'orthographe que leur a donnée le rédacteur.

En ce qui concerne les mots gascons, après mainte réflexion, nous nous sommes résolu à ne pas utiliser la graphie normalisée, mais la graphie française. Il nous semble, à tort ou à raison, que lorsque l'on écrit une langue, il vaut mieux qu'elle puisse être lue par le plus grand nombre... Et que l'académisme doit savoir céder le pas.

Page 13: Le pin de la discorde
Page 14: Le pin de la discorde

Les sources

Les sources orales

- entretiens réalisés auprès d'informateurs locaux - en particulier d'anciens métayers. Certains de ces entretiens ont été enregistrés au magnétophone ; dans ce cas les bandes enregistrées se trouvent archivées au centre de documentation de l'écomusée de la Grande Lande (Sabres).

- d'innombrables discussions informelles - une source à ne pas négliger tant elle livre d'informations qui mises bout à bout dessinent un puzzle.

Les sources écrites

Les sources archivistiques

- Archives de l'écomusée de la Grande Lande : elles seront mentionnées au fur et à mesure dans les notes de fins de chapitres.

- Archives personnelles : même remarque. - Archives départementales des Landes (abréviation ADL) : Ont été utilisées les séries et sous-séries suivantes :

Série E: E suppl. 1435 E suppl. 1443-6 E suppl. 1437-10 E dépôt 27

Série M: 1 M 175 10 M 101 1 M 176 10 M 104 1 M 177 10 M 108 6 M 79 10 M 1I1

6 M 93 2 0 8 6 M 654 à 658 XVIII S 1 7 M 128 T Mat. 84

10 M 100 3 U 1-571

Les sources bibliographiques

Se reporter à la bibliographie en fin d'ouvrage.

Page 15: Le pin de la discorde
Page 16: Le pin de la discorde

Introduction

Lorsqu'il y a peu d'années, B. Manciet publia Le triangle des Landes (1981), les réactions que suscita son ouvrage furent diverses et fort intéressantes. Ce livre auquel beaucoup ne pardonnaient pas son ton corrosif - ce qu'il était effectivement surtout pour qui savait « lire entre les lignes » - contenait entre autres un chapitre consacré à Sabres, intitulé de façon suggestive : « Un village dans les marais ». Divers grands propriétaires forestiers accusèrent B. Manciet d'avoir écrit là « une charge contre les possédants », inspirée par d'anciens métayers rebelles et vindicatifs, amis et informateurs de l'auteur, dans une entre- prise destinée à assouvir une forme transposée de revanche contre leurs anciens « maîtres ».

Les braises de la discorde continuent donc de couver sous la cendre d'un édifice social en décomposition. Il n'y a plus aujourd'hui de mé- tayers en activité dans la Grande Lande. Les tout derniers ont arrêté au tout début des années 1980. Mais ceux qui sont maintenant à la retraite, leurs familles et leurs parentèles, constituent une bonne partie de la population locale. Même si ce n'est que par rapport à une histoire - récente certes, mais achevée - on continue encore de se définir par son appartenance aux « métayers » ou aux « propriétaires ». C'est dire que le clivage a imprégné durablement les fibres du tissu social. Dans une certaine mesure, la question est toujours d'actualité.

C'est ce que remarque également J.P. Lescarret, qui écrit : « Mode de faire-valoir prédominant pendant plus d'un siècle, le métayage a marqué d'une empreinte très profonde les rapports sociaux» (1978: 402). Et il précise : « L'enquête sur place effectuée en 1977-78 montre que le sujet passionne, voire enflamme toujours » (ibid. : 401). Comment pourrait-il en être autrement ? Une histoire passionnée et aussi chaude ne peut être qu'un sujet passionnel et brûlant. Ce qui a frappé si vio- lemment les imaginations ne peut être chassé aussi vite de la mémoire collective.

Car passionnée et ardente, cette histoire le fut. Dans cette Lande, réputée immobile et sauvage, l'histoire tout à coup s'est emballée. La modernité vint frapper de plein fouet, avec une violence à nulle autre pareille, ce pays terraqué, amarré de manière incertaine à l'hexagone,

Page 17: Le pin de la discorde

telle une pièce rapportée pour ne pas dire un corps étranger. Un pays déroutant, où déjà, on ne sait trop où finit l'eau et où commence la terre, une terre qui en plus, n'est même pas de la terre, mais du sable, un sable mouvant et stable à la fois, un sable peu respectueux des empreintes de l'homme. Un pays tel une concession qu'aurait accordée l'océan tumultueux au vieux continent.

Quant à l'image d'Épinal du berger sur échasses, superbe et intem- porel, il y a bien longtemps qu'elle n'est plus de saison. Elle a été rangée au magasin des accessoires, et si elle est ressortie de temps à autres ce n'est qu'à titre d'emblème à des fins touristiques, brouillant ainsi un peu plus des repères qui ne sont déjà pas si faciles à garder.

Il ne peut échapper à aucun observateur attentif de la société lan- daise que le métayage, son histoire, ses conflits et tout le cortège de situations sociales qu'il a généré constituent un axe prioritaire pour la compréhension de cette société. On ne peut faire l'impasse sur ce mode de faire-valoir qui a régi l'attribution des ressources et la distribution des richesses dans ce pays, depuis le début du xixe siècle surtout. Au plan quantitatif, déjà, l'affaire n'est pas négligeable : à la fin du XIXe, le département des Landes était celui qui en France comptait le plus de métayers. Il arrivait en tête, avec 19 100 métayers, des dix-huit dépar- tements de France où le nombre des métayers était supérieur à celui des fermiers1. Certes une statistique à l'échelle départementale gomme les particularismes micro-régionaux, et pour ce qui est des Landes, il faut savoir que la Chalosse - partie du département située au sud de l'Adour, une région qui à l'époque associait polyculture et élevage - comptait aussi de très nombreux métayers. Toutefois la zone forestière contribuait pour beaucoup à ce premier rang. C'est sur le mode du métayage que se faisait la quasi-totalité de l'exploitation de cette richesse nouvelle qui fit un temps la splendeur des Landes : la forêt résinière.

Au plan qualitatif ensuite, il est clair qu'une histoire qui laisse autant de traces dans la mémoire collective, qui bien qu'achevée depuis un certain temps continue à déterminer les appartenances et les compor- tements, ne peut être une histoire négligeable. Une telle histoire, faite d'heurs et de malheurs, mais surtout de peine et de sueur quotidiennes, de dureté à la tâche, d'abnégation et de lutte, de flambées de colère et de conflits tenaces, ne peut être pour ceux qui l'ont vécue un simple épisode sans envergure.

Cette double caractéristique - prépondérance économique et pré- gnance historique - s'imposa à nous peu à peu, au fur et à mesure que

1. Les dix-sept autres départements (statistique de 1892) étaient: la Dordogne, l'Allier, la Gironde, le Tarn, la Haute-Vienne, la Charente, les Basses-Pyrénées, la Haute- Garonne, la Corrèze, la Corse, le Gers, le Tarn-et-Garonne, l'Aude, l'Indre, l'Ariège, le Lot, la Creuse (Rouveroux s.d.).

Page 18: Le pin de la discorde

nous nous immergions dans la société landaise. Ceci, redoublé par le fait qu'aucune étude véritablement approfondie n'avait jusqu'à ce jour été consacrée à ce sujet2, nous conduisit à en faire notre thème d'in- vestigation. On peut s'étonner au premier abord de ce que ce sujet aussi important n'ait pas sollicité davantage l'intérêt de chercheurs ou d'au- teurs locaux - alors que les Landes, nous le verrons, ont abondamment inspiré les plumes les plus diverses. Cela s'explique sans doute en partie par le fait que des sujets aussi chauds sont des plus délicats à traiter. Ce qui est frais dans les mémoires présente l'avantage d'être a priori accessible ; mais cela présente aussi le terrible inconvénient d'être énor- mément chargé d'émotionnel. Quand l'histoire est passion et quand la passion se fait histoire, il est parfois bien difficile d'y voir clair. Comment traiter de manière sereine une histoire dont les acteurs sont encore en grande partie vivants et toujours travaillés par des blessures non cicatrisées ? Comment traiter de manière sereine une histoire dont la seule évocation suffit parfois à susciter les invectives, les anathèmes, les rancœurs et les jugements à l'emporte-pièce ? Comment traiter de manière sereine un passé qui empourpre le présent de la sorte ? C'est le défi que nous nous sommes fixé, sans être sûr - loin s'en faut - d'être à la hauteur de la tâche entreprise. Mais non sans avoir médité sur les vertus méthodologiques du « regard éloigné »... Si une possibilité existe d'éviter les pièges, elle ne peut passer que par la distance nécessaire et délibérée entre le chercheur et son objet d'étude.

Parler du métayage aujourd'hui, c'est parler d'une époque à jamais révolue, dans les Landes comme ailleurs. Le métayage est l'un des modes possibles de faire-valoir indirect en agriculture. C'est un enga- gement contractuel par lequel l'exploitant (le preneur) s'oblige à cultiver un domaine qui ne lui appartient pas, en contrepartie de quoi il doit donner au propriétaire (le bailleur) une part des récoltes qu'il obtiendra, souvent la moitié. Le bailleur fournit les outils de production, le preneur donne une part de sa production. Le bail est à durée déterminée ou non, écrit ou non - en fait il est oral dans la grande majorité des cas. Le métayage suppose donc une rente foncière comportant deux caractéris- tiques essentielles : elle est en nature et elle est proportionnelle. A la différence du fermage qui, lui, implique une rente fixe, et souvent en argent. A cette rente proportionnelle, le régime du métayage ajoute, jusqu'à une période très récente, redevances et prestations que le preneur doit au bailleur ; les deux peuvent être fort variables en fonction des époques et des régions.

Le métayage prend ses origines au Moyen Age et en Europe méridionale. C'est au XIIIe siècle que l'on en constate les premières

2. A l'exception de J. Cailluyer qui y consacra un chapitre de son ouvrage-recueil (1983).

Page 19: Le pin de la discorde

manifestations en France, et c'est surtout aux XIVe - xve siècles qu'il se développe, lorsque la baisse des revenus force souvent les seigneurs fonciers à démembrer leurs réserves. Il connaîtra véritablement ses heures de gloire aux XVIIIe et XIXE siècles. Aujourd'hui c'est un régime agraire quasi défunt: il ne représente plus en 1982 que 1,2 % de la surface agricole utile et 3,9 % des exploitations, en France de façon générale. Il ne se maintient plus guère que dans quelques régions viti- coles. En 1981-1982, une loi devait être promulguée, qui aurait supprimé le métayage, pour cause d'archaïsme. En fait la loi restera au stade de projet. Celle du 1er août 1984 renoncera à prononcer son arrêt de mort. Dans les Landes, le recensement général de l'agriculture de 1979-1980 fait apparaître qu'il ne présente plus que 3,3 % de la SAU de l'ensemble du département, soit 696 exploitations. Pour la région agricole des Grandes Landes, il ne représente plus que 1,2 % de la SAU, soit 45 ex- ploitations. Les statistiques de 1985 enregistrent encore un affaissement : 1,3 % de la SAU. Autant dire que ce n'est plus qu'un reliquat.

Le métayage suscita un vif débat entre agrariens de tous bords. Dès la fin du xixe siècle il était dénoncé par les uns comme un régime anachronique, et une entrave aux progrès de l'agriculture, qui devait se mettre au diapason de l'industrie. Tandis que les autres, se situant sur- tout au plan social, le défendaient comme étant une saine collaboration entre le capital et le travail, une association entre possédants et non- possédants pour une gestion tranquille de l'ordre des champs. C'est surtout dans l'entre-deux-guerres que le débat battit son plein ; et le Front populaire accorda en 1937 quelques droits supplémentaires aux métayers et aux fermiers. Puis le régime de Vichy, soucieux d'asseoir sa légitimité au sein du peuple paysan où il comptait beaucoup de supporters, y alla de quelques aménagements législatifs et juridiques. Tout cela aboutit, au lendemain de la Libération (en 1946) à un nouveau statut du fermage et du métayage ; nouvelles dispositions qui visaient à faire en sorte que, le plus souvent possible, le premier se substitue au second. C'est ce qui se produisit de façon massive à partir de cette date. Cette mutation du métayage en fermage, conjuguée à l'arrêt de nom- breuses exploitations en métayage, trop exiguës et non rentables, s'acheva par la cessation quasi totale de ce mode de faire-valoir. Ce- pendant le métayage reste légal. La loi du 1er août 1984 ne comporte que deux dispositions timides favorisant encore plus la conversion au fermage, mais ne supprime pas le métayage.

La spécificité du métayage landais tient au fait qu'il associe, sur une même exploitation et dans un même cadre juridique, deux activités économiques : l'agriculture proprement dite (complétée ou non d'un élevage ovin) et l'activité résinière liée à la forêt de pins maritimes. Initialement, la première activité est prépondérante sinon unique. Mais au fur et à mesure que le boisement se développe, la partie résinière

Page 20: Le pin de la discorde

prend de plus en plus d'importance. Et lorsque le boisement devient systématique à partir du milieu du XIXe siècle, la résine - la gemme - devient à son tour prépondérante, ravalant l'activité agricole au rang d'activité subalterne, destinée à perpétuer vaille que vaille une base affaiblie d'autosubsistance.

La seconde caractéristique essentielle du métayage local, c'est que l'activité résinière qu'il intègre, activité tournée vers la commercialisa- tion, se réalise sur le mode d'une rente en argent et non d'une rente en nature. Il s'agit là d'une originalité majeure par rapport au principe qui fonde le métayage : le partage en nature.

L'objectif que s'assigne la présente étude est précisément d'exa- miner les modifications que ces deux caractéristiques engendreront dans les rapports entre métayers et propriétaires. Généralisation d'une forêt résinière à caractère industriel et, allant de pair, développement de la rente en argent sont deux éléments qui, on le sent bien, ne peuvent pas être sans effet vis-à-vis d'un mode de faire-valoir réputé pour son inertie. Ici, rien d'inerte, bien au contraire. Le mode de production perturbé et taraudé jusque dans ses soubassements ne tardera pas à réagir. Ce qui se traduira par des crises, des chocs et des frictions au sein des rapports sociaux. Ici, nous sommes bien loin de ce qu'en 1860 déjà Drouyn de l'Huys définissait, d'une formule devenue célèbre, comme « l'associa- tion sur un sol pauvre du travail lent et du capital timide ». Il n'y a guère que pour le sol pauvre que les Landes correspondent à cette définition en forme de boutade...

Après avoir esquissé, au cours de la première partie de cette étude, les cadres géographique, historique et économique, nous essaierons dans une deuxième partie de débusquer les bribes qui nous renseignent sur de probables origines du métayage dans le pays, pour le voir se déve- lopper dans le contexte agro-pastoral et se positionner vis-à-vis de l'en- cadrement juridique national. Au-delà, nous consacrerons l'essentiel de notre développement à tenter de suivre pas à pas l'évolution et les transformations des rapports de métayage sous les effets des facteurs déjà mentionnés ci-dessus. Et ce jusqu'à l'extinction de ces rapports, résolution drastique de toutes les contradictions à l'œuvre, par l'élimi- nation organisée de toute une catégorie de leurs acteurs.

« Le problème central d'une science de l'histoire, écrit M. Godelier, est d'expliquer les conditions d'apparition de structures sociales diffé- rentes et articulées d'une façon déterminée et spécifique et les conditions de reproduction, de transformation et de disparition de ces structures et de leur articulation » (1973b : 33). C'est bien dans cette perspective que se situe notre étude. C'est une histoire des causes, des effets et des enchaînements que nous essaierons de mettre en place ici. Il y sera aussi beaucoup question de classes sociales. L'anthropologie est majoritaire- ment peu encline à fonctionner selon ce concept, sans doute parce que

Page 21: Le pin de la discorde

son histoire propre l'a confrontée le plus souvent aux « sociétés sans classes », l'incitant par là même à opérer selon d'autres catégories (la parenté, les sexes, les catégories d'âges, etc.). Il nous semble pourtant tout à fait légitime d'utiliser ici le concept de classe sociale, pour l'étude d'une société où les appartenances sociales sont déterminantes et pré- gnantes, où les contrastes sont accusés et les clivages tenaces. C'est bien une dynamique sociale entre métayers et propriétaires, en tant que classes distinctes, qui traverse et travaille la société grand-landaise dans son histoire récente - nous irons même jusqu'à dire qu'il s'agit là de son fait majeur.

En outre, le point de vue adopté au cours de cette étude accordera une grande place - pour ne pas dire une place prépondérante - à l'économie. Comment pourrait-il en être autrement quand on a choisi - ou quand s'est imposé à nous - de traiter un pareil thème ? Une histoire qui voit une confrontation entre métayers et propriétaires, entre d'un côté ceux qui possèdent les moyens de production et d'un autre ceux qui les mettent en valeur pour le compte de ceux qui les possèdent, est nécessairement et avant tout économique. Cela nous semble l'évi- dence même. Ce primat de l'économique, nous le revendiquons, en espérant toutefois avoir évité les pièges de l'économisme.

Nous voudrions tout de suite faire amende honorable pour l'impré- cision coupable avec laquelle seront employés certains termes. Par exemple, l'on pourra rencontrer ici ou là des emplois peu orthodoxes du concept de « mode de production », lequel pourra être à l'occasion qualifié de « semi-paysan » et/ou de « semi-ouvrier ». Ces utilisations aussi personnelles d'un concept aussi « chargé » ne manqueront pas de susciter critiques et réprobations de la part d'esprits rigoureux. Nous sommes conscients de ces faiblesses conceptuelles. Mais nous avons dû nous battre sur deux fronts à la fois : un vocabulaire piégé et une réalité sociale complexe. Traduire la seconde à l'aide du premier n'est pas toujours aisé. Lorsque nous n'avions le choix qu'entre ce qui n'était de toute façon que des approximations, nous avons « choisi » - non par paresse mais par contrainte - celle que nous pensions être la moins mauvaise...

Nous voudrions faire deux remarques concernant la configuration de cette étude. La première sera pour souligner le fait qu'il ne s'agit pas d'une monographie générale et exhaustive concernant la société grand-landaise mais d'une coupe dans le social. Nous l'avons dit, un thème a été choisi et privilégié comme angle d'attaque. Un parti a donc été pris. Nous pensons toutefois que cet axe d'étude est tellement pri- mordial qu'il sollicitera l'éclairage de bien des aspects de la société en question : cet axe est véritablement transversal. Nous ne pouvions traiter tous les aspects de cette société foisonnante, et nul ne peut prétendre à une saisie globale d'une société quelle qu'elle soit. Mais au détour de

Page 22: Le pin de la discorde

telle ou telle phrase, de tel ou tel chapitre, de telle ou telle note, des touches complémentaires seront apportées, soit parce qu'elles éclairent notre thème, soit parce qu'elles sont associées à l'un de ses aspects. Certes, nous l'avons dit, l'économique a été privilégié. Pourtant les rapports sociaux ne sont pas de purs enjeux économiques. « Le maté- riel » n'exclut pas « l'idéel », bien au contraire. Et si nous n'avons pas eu pour perspective de traiter tout du secteur de l'imaginaire social, nous n'en avons pas pour autant négligé, nous semble-t-il, la strate idéologique, en ce qu'elle constitue de pertinent dans le vécu - et même la détermination - des rapports sociaux de production.

Notre seconde remarque sera pour indiquer que nous n'avons pas donné dans les clivages disciplinaires. Certes, il s'agit d'une étude an- thropologique - du moins nous l'espérons ! Mais nous n'avons jamais cherché à cadenasser le contenu à l'intérieur de cloisons étanches. Pour tout dire, nous ne nous sommes jamais posé la question de savoir si, au fil de la plume, nous étions en train de « faire » de l'anthropologie, ou de l'histoire, ou de la sociologie rurale. D'une part, il nous semble que « l'esprit de clocher » dans les disciplines scientifiques relève d'une ère révolue. Et sans doute l'anthropologie se doit de montrer l'exemple, comme elle l'a souvent fait, elle qui se nourrit d'apports de toutes sortes, elle qui essaye de prendre le social « par tous les bouts ». D'autre part, lorsque l'on s'affronte à un exemple social précis, il apparaît clairement et très vite que les frontières disciplinaires s'estompent devant la complexité de l'objet d'étude.

Enfin, nous terminerons cette présentation en avertissant le lecteur d'une certaine liberté de ton qui ici ou là jalonnera le texte qui suit, forme que l'on n'a pas forcément coutume de rencontrer dans un exer- cice de type universitaire. A ceux qui seraient par trop surpris, nous répondons par avance que le ton employé est à l'image du pays dont il est question : rude, mais n'excluant pas les clins d'œil ; et à l'image de ceux dont nous allons conter l'histoire, de ces hommes et femmes pour qui le sort, lui non plus, n'a pas été tendre...

Page 23: Le pin de la discorde
Page 24: Le pin de la discorde

1

La Grande Lande

« Non pas tant une forêt que plutôt une province des arbres. »

J. Gracq. Lettrines, 2. Paris. José Corti. 1974 : 28.

Page 25: Le pin de la discorde
Page 26: Le pin de la discorde

1

La Grande Lande cœur du massif forestier gascon

L'aire géographique de cette étude pose quelques problèmes de déli- mitation, doublés de questions de terminologie.

Le vaste triangle que représentent les Landes de Gascogne est à première vue une région homogène. Ce triangle qui va de la Pointe de Grave au nord, aux portes de Nérac à l'est et à l'embouchure de l'Adour au sud est aujourd'hui le plus grand massif forestier d'Europe occiden- tale, d'une superficie d'environ un million d'hectares. Ce massif a une triple originalité. D'abord il est artificiel, en ce sens qu'il résulte de la création de l'homme, qu'il est la conséquence d'une sylviculture inten- sive et systématique - dans les Landes on cultive le pin maritime comme dans la Beauce on cultive le blé ou dans le Languedoc la vigne... Ensuite il est récent ; il date d'un peu plus d'un siècle, tout au moins dans l'aspect qu'il présente aujourd'hui ; comme nous aurons l'occasion d'en reparler, il y a toujours eu de la forêt dans cette région, mais dans des proportions bien inférieures à celles d'aujourd'hui ; la décision et la volonté de créer ce massif date des années 1850 et du Second Empire. Enfin il est composé pratiquement d'une seule essence d'arbre : le pin maritime (pinus pinaster Soland). Les Landes de Gascogne sont donc l'exemple même d'un écosystème artificiel spécialisé.

Cette région peut se résumer apparemment de façon très simple : un support : le sable ; une couverture végétale : le pin. Cette région, que l'on représente schématiquement par un triangle d'un vert uniforme dans le coin sud-ouest de la carte de France des écoliers est apparemment la région du vide. Une sorte de parenthèse entre Bordeaux et Bayonne, entre l'océan et le pays gersois. Pour un voyageur pressé qui emprunte la Nationale 10, il n'y a entre Bordeaux et Bayonne qu'un rideau d'arbres de chaque côté du ruban d'asphalte plat et rectiligne - les quelques bourgs que l'on traversait autrefois sont même aujourd'hui évités grâce à de récentes bretelles de déviation, ce qui renforce l'im- pression de monotonie. Dans la tête de notre voyageur, une seule idée : celle d'arriver le plus vite possible de l'autre côté, en ayant surtout bien soin de ne pas s'arrêter dans ce pays sans âme.

Mais contrairement à ce qu'elle laisse supposer, cette région, en fait, est multiple. Elle est composée d'une mosaïque de micro-régions, ou

Page 27: Le pin de la discorde

pays. Chacun de ces pays affirme son originalité dans des domaines divers, économie, milieu physique, langue, architecture vernaculaire, etc. Concevoir les Landes de Gascogne comme un bloc monolithique serait une erreur grossière, qui masquerait les nuances, les différences, voire les oppositions. La Grande Lande est l'un des pays qui composent les Landes de Gascogne. L'inconvénient réside dans le fait qu'à rencontre de certains pays comme le Médoc, ou le Marensin ou les Petites Landes, la Grande Lande n'affirme pas de frontières très marquées. Les contours sont des plus élastiques, en fonction des habitants, des auteurs, des institutions. Chacun a un petit peu « sa » Grande Lande. Le premier auteur à avoir employé systématiquement ce terme pour désigner une région culturelle, en même temps qu'il chercha à en fixer les limites, fut Félix Arnaudin1. Depuis, ce terme fut employé avec des sens divers, un peu à tort et à travers, pour désigner des réalités - ou des fictions ! - multiples. Depuis 1970, l'écomusée de la Grande Lande tente de mieux définir ce pays non seulement dans ses contours, mais aussi dans les similitudes qui l'intègrent dans l'ensemble des Landes de Gascogne et dans les singularités qui le démarquent des pays voisins2.

Il faut bien le reconnaître, la Grande Lande se définit avant tout par la négative, par ce qu'elle n'est pas... La Grande Lande est cette portion de l'arrière-pays, ceinturée à l'ouest par le Pays de Born, au sud par le Pays de Brassenx, deux pays aux contours précis, aux particularités af- firmées, à la profondeur historique indéniable. A l'est, se situent les Petites Landes, correspondant grosso modo au canton de Roquefort ; là, l'unité historique n'est pas du lot, mais l'originalité du milieu physique et du mode de vie sont assez clairement perceptibles. Là où les frontières de la Grande Lande deviennent très imprécises, c'est dans la partie nord et nord-est. Au nord, les Landes girondines nous semblent correspondre tout de même à un autre pays, attiré vers Bordeaux, et dont la société - et surtout la bourgeoisie foncière - a été décrite sans complaisance par

1. Félix Amaudin (1844-1921) - Né à Labouheyre, il y passa presque toute sa vie. Il réalisa une œuvre considérable de folkloriste, de dialectologue et de photographe. Il publia peu de son vivant, mais une partie des matériaux qu'il avait amassés fut publiée après sa mort. Tant la littérature orale qu'il recueillit avec méthode que le nombre considérable de clichés qu'il réalisa représentent aujourd'hui une masse de matériaux d'une valeur inestimable pour connaître l'ancienne lande et sa civilisation.

2. Écomusée de la Grande Lande. Son point fort est installé au quartier de Marquèze, sur la commune de Sabres. Cet équipement du Parc naturel régional des Landes de Gascogne tend à illustrer la culture traditionnelle du pays grand-landais en mettant particulièrement l'accent sur les relations homme/milieu. Pour le concept d'écomusée, son histoire et ses applications, nous renvoyons aux définitions et aux études de Georges-Henri Rivière, père fondateur de cette formule muséographique nouvelle, ainsi qu'aux études et réalisations de ses « disciples ».

Page 28: Le pin de la discorde

CARTE 1 Les pays de la forêt landaise

Extrait de : Louis Papy. Les Landes de Gascogne et la côte d'argent. Toulouse. Privat. 1978.

Page 29: Le pin de la discorde

François Mauriac 3. Avec cette Lande girondine, la Grande Lande possède une frontière physique, entre la zone de Sore (Landes) et celle de Saint- Symphorien (Gironde) ; cette « frontière physique » presque impercep- tible, qui peut même prêter à dérision dans un pays aussi plat, c'est celle de la ligne de partage des eaux - entre le bassin de la Leyre au sud- ouest et celui du Ciron au nord-est. Cette ligne nous apparaît comme une limite culturelle, entre pays girondin et pays landais ; et là, la limite départementale n'est pas seulement le fruit de l'arbitraire centralisateur. Une zone nous pose de gros problèmes de « classification » ; il s'agit de cette zone à l'est de Lencouacq, à la jonction des trois départements Landes, Gironde et Lot-et-Garonne. Cette zone n'est à rattacher ni aux Landes girondines au nord, ni aux Petites Landes au sud, encore moins à l'Armagnac. Loin d'être une aire culturelle bâtarde, elle nous semble au contraire être le lieu investi de quelque « essence » landaise, sorte d'isolât géographique et culturel, dans lequel semblent se trouver bon nombre de clés de compréhension du phénomène culturel landais dans son ensemble. Cette zone, dénommée par les anciens le Haut Lanne (La Haute Lande), par mesure de facilité et de cohérence, nous ne l'inclurons pas dans la Grande Lande que nous étudions ici, malgré notre désir intime d'y aller voir de plus près 4.

Autrement dit, la Grande Lande ainsi définie se résume à un noyau de quatre cantons : ceux de Sabres, Pissos, Sore et Labrit, soit un ter- ritoire de presque 200 000 hectares. C'est de cette Grande Lande qu'il s'agira au cours de cette étude.

Mais avant de parler plus en détail de ce pays, ouvrons une paren- thèse sur les questions de terminologie. Même s'il n'est pas du ressort de cette étude de clarifier cette affaire qui relève avant tout de « querelles internes », il nous semble difficile d'en faire l'économie. Les mots et les appellations employés à tort et à travers finissent par faire en sorte que tout le monde s'y perd, et il n'est jamais inutile de faire un peu le ménage dans tout ce fatras toponymique et lexical.

Questions de terminologie

Grande Lande (au singulier), Grandes Landes (au pluriel), Haute Lande, Petites Landes ; les termes fleurissent et il faut bien avouer qu'il y a de quoi s'y perdre, d'autant plus que chacun d'eux peut recouvrir des « réalités » différentes.

3. Voir entre autres le roman « Thérèse Desqueyroux ». Paris. Grasset. 1927. L'action se situe à Argelouse, qui en fait, n'est autre qu'un quartier de St-Symphorien, commune bien représentative de ces Landes girondines.

4. Nous envisageons une étude plus fine sur cette aire culturelle. Ne serait-ce que parce que pour un ethnologue une « intime conviction » ne doit pas rester en l'état.

Page 30: Le pin de la discorde

CARTE 2 La Grande Lande

La Grande Lande, nous l'avons dit, désigne un pays aux contours imprécis. Pour beaucoup, ce pays c'est l'intérieur des terres, tout de suite après les pays littoraux (du nord au sud : Buch, Born, Marensin, Maremne). Pour ceux-là la Grande Lande comprend non seulement les quatre cantons que nous avons cités, mais également tout ou partie du pays de Brassenx (grosso modo l'actuel canton de Morcenx, autrefois douze paroisses réunies autour d'Arjuzanx), ainsi qu'une partie des Landes girondines (notamment les cantons de Belin-Beliet, Saint-Sym- phorien et Captieux), et même éventuellement les Petites Landes de Roquefort. Au vu de ce que nous avons dit plus haut quant à la spéci- ficité de ces autres pays (Brassenx, Landes girondines et Petites Landes), il nous semble légitime de les soustraire à la Grande Lande, et de réserver à cette dernière un sens restreint.

La Grande Lande retenue donc pour cette étude est composée des quatre cantons de Sabres, Pissos, Sore et Labrit. Ces quatre cantons

Page 31: Le pin de la discorde

CARTE 3 Anciens diocèses

s'articulent autour de deux axes géographiques : les deux Leyres. Ces deux rivières landaises - la Grande Leyre à l'ouest et la Petite Leyre à l'est - se rejoignent à Moustey pour former à partir de là ce que dans la partie girondine on dénomme l'Eyre5, laquelle va se jeter par un delta dans le Bassin d'Arcachon. Cette rivière - ce fleuve - est le principal axe de drainage du plateau landais. Ces quatre cantons correspondent donc au bassin versant des deux Leyres, excepté le canton de Labrit qui appartient au Bassin de l'Estrigon, sous-affluent de l'Adour. De nos jours ces quatre cantons de la Grande Lande constituent ce que l'on appelle aussi le « coeur de la Haute Lande », défini en fonction de critères économiques - voir plus loin. Il s'agit de la partie la plus

5. Sur ce terme aussi persiste un long débat pour savoir si c'est la Leyre ou l'Eyre, et pour savoir si ces deux termes correspondent à des zones linguistiques différentes. Décidément les Landes sont le pays des imbroglios du langage.

Page 32: Le pin de la discorde

CARTE 4 Découpages politiques fin du xive siècle

* Labrit chef-lieu des Albret.

déshéritée du massif forestier landais, pour laquelle a été entreprise, depuis 1978, un programme spécifique de revitalisation sous l'égide de l'AIRIAL (Association interdépartementale pour le renouveau, l'industria- lisation et l'aménagement de la Haute Lande).

Si cette Grande Lande est aussi difficile à définir, c'est aussi parce qu'elle n'a jamais eu d'unité historique. Elle a été l'objet de découpages politiques, religieux et administratifs (cf. cartes ci-jointes)6 qui ne lui ont jamais donné l'occasion d'être une. Il aurait été plus simple pour nous que ce pays ait correspondu dans l'histoire à une seigneurie,

6. Ces cartes ont été dressées pour une exposition sur les écomusées organisée par le musée de Bretagne (Rennes) en 1984. La conception de ces cartes est de F. Dupuy et la réalisation graphique de J.P. Lauga (Parc naturel régional des Landes de Gas- cogne).

Page 33: Le pin de la discorde

CARTE 5

Pays d 'é lect ions et pays d 'États

comme c'est le cas du Born, du Marensin, du Brassenx ; au contraire l a G r a n d e L a n d e f u t « é c a r t e l é e » e n t r e p l u s i e u r s s e i g n e u r i e s 7 .

Enfin - comble de malchance - la Grande Lande n'a pas non plus d'unité sur le plan linguistique. Certes, la base est commune, c'est-à- dire le gascon, lequel se rattache à l'ensemble des langues d'Oc. Mais la partie ouest de la Grande Lande - c'est-à-dire en gros la vallée de la Grande Leyre (ou les cantons de Sabres et Pissos) - ont un parler « noir » (lou parla negue) comme toute la région plus à l'ouest jusqu'à l'océan. Alors que la partie est - c'est-à-dire les cantons de Sore et Labrit - ont un parler « clair » qui annonce le gascon de l'Armagnac.

7. Nous préciserons plus loin le sens de ce mot, et nous verrons que là non plus rien n'est évident !

Page 34: Le pin de la discorde

Les Grandes Landes sont l'une des régions agricoles composant le département des Landes. La direction départementale de l'Agriculture découpe le département en plusieurs régions, et les critères de distinction sont bien entendu, avant tout, des critères économiques. Certaines de ces régions agricoles « collent » plus ou moins parfaitement à nos « pays culturels », mais ces régions sont avant toute chose déterminées par des conditions socio-économiques, la nature du sol, les productions écono- miques, éventuellement par des éléments de structure agraire et de sur- face agricole utile. La pertinence de ces critères n'est pas toujours d'une grande limpidité, mais la démarche a le mérite de faire ressortir des découpages assez fonctionnels pour le maniement des chiffres, données, statistiques, etc. Les Grandes Landes définies par la DDA sont une région plus vaste que « notre » Grande Lande, tout en incluant en totalité cette dernière. Ces Grandes Landes landaises se doublent des Grandes Landes girondines, puisque, tout simplement, les DDA sont des structures ad- ministratives qui fonctionnent à l'échelle départementale - cf. carte des régions agricoles p. 20.

Les Grandes Landes ne sont pas sans apporter leur lot de confusion par rapport à la Grande Lande, et certains emploient volontiers une appellation pour l'autre.

Avec la Haute Lande les choses se compliquent considérablement. Au départ, cette appellation désigne deux réalités bien différentes. Pour les habitants du pays, la Haute Lande est initialement cette zone dont nous avons parlé, aux confins des trois départements, un espace im- mense de lande souvent humide où pacageaient troupeaux indigènes et troupeaux transhumants. Les gens de cette région désignent ainsi leur pays, et les gens de Sabres situent également là-bas la Haute Lande8. En parler local, cette zone est désignée sous l'expression le Haut Lanne - traduction littérale de Haute Lande. Pour les géographes qui ont depuis longtemps étudié la région landaise, comme Louis Papy, ancien doyen de l'université de Bordeaux (1978), la haute lande désigne toute zone d'interfluve, de partage des eaux, d'où s'écoulent tant bien que mal diverses sources qui finissent par donner ruisseaux et rivières. Ces zones de landes humides et marécageuses sont effectivement de relief élevé ; elles constituent les zones les plus hautes et les plus mal drai- nées du plateau landais. Le critère ici retenu est un critère de géogra- phie physique. Mais dans un certain sens, il recouvre l'acception de la Haute Lande traditionnelle - le Haut Lanne - puisque cette dernière est bien caractérisée par les traits retenus par les géographes pour dé- signer toute haute lande.

8. Il est à noter que les personnes âgées de la Grande Lande au sens où nous l'entendons ne font pas de confusion entre la Grande et la Haute Lande, alors que les plus jeunes la font.

Page 35: Le pin de la discorde

CARTE 6

Les peti tes régions agricoles des Landes de Gascogne

Page 36: Le pin de la discorde

Depuis dix à quinze ans, l'appellation connaît une mode locale croissante, car elle a été reprise par de nombreuses instances politiques, économiques et administratives dans une volonté d'aménagement rural (AREEAR 1977). Définie ici selon des critères économiques, la Haute Lande désigne à ce moment-là une aire géographique étendue :

- incluant des communes dont le territoire est recouvert pour plus de 70 % par la forêt ;

- excluant les communes entrant dans l'aire d'influence des villes de plus de 20 000 habitants (Mont-de-Marsan, Dax, Bordeaux, conur- bation du Bassin d'Arcachon) ;

- excluant les communes de la zone littorale et insérées dans le plan d'aménagement de la côte Aquitaine.

La Haute Lande ainsi définie représente un ensemble de 114 com- munes réparties en 14 cantons, à savoir ceux de :

- Belin-Beliet, St-Symphorien, Villandraut et Captieux, en Gi- ronde ;

- Gabarret, Labrit, Morcenx, Pissos, Roquefort, Sabres, Sore et Tartas-Ouest dans les Landes ;

- Houeillès et Mézin en Lot-et-Garonne. Elle représente une superficie 593 000 hectares, comptant une po-

pulation de 66 700 habitants en 1975, soit 2,6 % de la population de la région Aquitaine (AREEAR 1977). Cf. carte p. 22.

Enfin, dernier sens de cette expression, la Haute Lande tend au- jourd'hui à désigner pour les Landais une aire géographique encore plus large, puisqu'elle devient carrément synonyme de zone forestière, par opposition à la Chalosse, au sud de l'Adour. Il faut dire qu'il y a dans le vécu de ce département des Landes - dont le découpage fut fait, comme ce fut souvent le cas, en dépit du bon sens - une forte dicho- tomie - voire opposition - entre les deux régions de part et d'autre du fleuve Adour. Les divergences et rivalités entre ces deux régions cultu- relles bien marquées se transcrivent dans tous les domaines, tant éco- nomiques que politiques.

Les Petites Landes enfin sont une région aux contours assez précis et qui prêtent peu à controverse, même si elles sont incluses aujourd'hui dans la nouvelle Haute Lande. Cette région correspond en gros au canton de Roquefort - d'ailleurs on dit souvent « Les Petites Landes de Roquefort ». Elle n'a jamais eu d'unité historique, mais à défaut, elle présente une personnalité assez marquée sur le plan culturel et écono- mique. Un substrat géologique alliant sable et calcaire coquillé en ont fait un pays tout autant agricole que forestier, et où aujourd'hui encore la petite agriculture se maintient vaille que vaille. Le calcaire avait aussi favorisé la naissance d'une industrie originale, celle de la chaux, à Roquefort, qui entrait dans la fertilisation des sols acides des Landes ou dans l'architecture (mortiers pour le torchis et chaulage des murs).

Page 37: Le pin de la discorde

CARTE 7 La Haute Lande

Extrait de : Danielle Hays. La Haute Lande : vie rurale et aménagement. Thèse de IIIe cycle. Bordeaux. 1981.

Cette digression un peu trop longue pourra paraître oiseuse par certains côtés, tout au moins pour un lecteur qui n'est pas du lieu. Elle ne répond pas à un souci de tracer des frontières à tout prix. Elle ne vise qu'à faire apparaître des aires culturelles, dans la perspective d'une discipline - l'ethnologie - dont l'une des originalités consiste à travailler en profondeur sur des sociétés aux dimensions réduites. Mener cette étude à l'échelle des Landes de Gascogne n'aurait aucun sens, serait dénué de tout fondement. Même si, le cas échéant, nous serons obligé de faire référence au général pour éclairer le particulier. La partie, ici comme ailleurs, fait référence au tout, mais les disparités sont telles entre les parties qu'il serait illégitime de les amalgamer de façon sys- tématique. Cette petite excursion au monde du fatras des mots aura au moins, espérons-le, le mérite de montrer, ou de confirmer, combien il est difficile - bien que nécessaire - d'établir des frontières nettes et tranchantes en matière culturelle.

Page 38: Le pin de la discorde

L e c o n t e x t e h i s to r ique

On a longtemps pensé que la Grande Lande était un pays sans Histoire - et sans histoires... 9. Il ne pouvait en être autrement au pays du vide. On commençait à bien connaître l'histoire de l'Aquitaine et la Grande Lande en Aquitaine n'était considérée que comme un « no man's land ». En fait de vide, c'était surtout celui des chercheurs et notamment des historiens. Depuis un certain temps, des historiens comme J.B. Mar- quette (professeur à l'université de Bordeaux) se sont mis efficacement au travail, notamment sur la période médiévale ; et l'on s'est soudain aperçu que la friche cachait un terrain fertile et original.

L'idée que l'on se fait du Moyen Age et de l'Ancien Régime est souvent monolithique et stéréotypée, fruit d'une éducation scolaire trop sujette à la schématisation et aux images d'Épinal. S'il y a une région qui échappe aux idées reçues concernant la féodalité, c'est bien la région landaise, et particulièrement la Grande Lande. Cette région était avant tout le domaine de la diversité. Il n'y avait pratiquement pas deux paroisses qui obéissaient alors aux mêmes règles, aux mêmes statuts. D'où la difficulté d'en retirer quelques lignes maîtresses.

Toutefois, une première idée-force se dégage : la Grande Lande et ses pays avoisinants (Brassenx, Maremne, Marensin, Born) n'ont pas connu un régime féodal au sens classique du terme. Il y avait certes des seigneurs : les sires d'Albret (Marquette 1975-1979) ; le berceau initial de ce lignage fut la seigneurie de Labrit, d'où il rayonna ensuite dans toute la région landaise, puis vers le Condomois, et enfin la Navarre, pour finir sur le trône de France avec Henri IV. Remarquable expansion d'une famille qui utilisa dans ses desseins politiques moins la stratégie militaire que celle « du jupon 10 ».

Mais ces seigneurs n'avaient sur la plupart de leurs fiefs que des droits de nature banale (justice, péage, marché, etc.) ; ils n'étaient pas - à de très rares exceptions près - des seigneurs fonciers.

Il y avait, la plupart du temps, absence de servage. Encore qu'il faille ici introduire quelque nuance entre l'est et l'ouest de la Grande Lande : l'est (seigneuries de Labrit et Sore) connaissait quelques serfs, alors que l'ouest (seigneuries de Sabres et Labouheyre) étaient des pays de totale franchise. On peut dire quand même qu'à ce moment-là la presque totalité des hommes de la Grande Lande étaient des « hommes libres et francs ». Privilège considérable pour l'époque.

9. Ce texte reprend en partie une notice que nous avions rédigée en 1984 pour l'écomusée de la Grande Lande.

10. Bernard Manciet écrit avec sa causticité habituelle : « Si un homme a forcé une fille, pucelle ou non pucelle, il doit l'épouser (Coutume de Tartas). De sorte que des brigands nommés Albret deviennent sires de Labrit ; que les sires de Labrit deviennent ensuite sires d'Albret» (1981 : 182).

Page 39: Le pin de la discorde

La majeure partie de la Grande Lande était « terre de quête ». L'article XV (titre 8) de la coutume de Dax" définit ainsi la quête (ou queste) :

[La] queste c'est une rente générale uniforme, communément payée par raison de toute une paroisse, ou de tous les tènements et terres d'une Baronnie, par les habitants d'icelle pour le payement de laquelle chacun des habitants entr'eux contribue pour la quantité des terres qu'il a pris, ou autrement tient12.

Ce statut privilégié accordé par la coutume de Dax - transcrite seulement en 1553, elle faisait force de loi depuis le haut Moyen Age, et elle fut entre autres la base juridique du temps de l'occupation an- glaise de l'Aquitaine 13 - concernait les seigneuries de Labouheyre, Sabres, Brassenx, Marensin, Maremne, Seignanx, Laharie et Gosse. En contrepartie du paiement de la quête, les habitants avaient le droit de libre usage sur les landes communautaires pour le parcours et le pacage de leurs troupeaux (droit de padouentage) ; quand on sait comment fonctionnait l'ancien système agro-pastoral landais14, on comprend combien ce droit était fondamental.

Les habitants de ces lieux avaient un autre droit d'une grande importance : celui de propriété - ou du moins de possession (tenure), car le « propriétaire éminent » restait le roi. Étant des hommes libres et non des serfs, ils pouvaient par conséquent posséder un « héritage » (biens fonciers et immobiliers transmissibles aux descendants). L'habi- tant d'une paroisse et possesseur d'un héritage avait alors le statut de voisin (besin en gascon) ; ce statut lui accordait des droits et privilèges, mais lui prescrivait aussi des devoirs incontournables, à une époque où

Il. Les coustumes générales et particulières de la ville & Prévosté d'Acs, lesquelles ont esté approuvées, & par Édict perpétuel décretées & auctorisées par la Court de Par- lement à Bourdeaus. A Bourdeaus. par Simon Millanges, Imprimeur ordinaire du Roy, MDC III.

12. Cette redevance - souvent modique - était perçue par le seigneur ou parfois directe- ment par le roi, comme ce fut le cas pour la seigneurie de Labouheyre jusqu'en 1340.

13. Nous rappelons que l'Aquitaine fut anglaise pendant trois siècles, de 1154 à 1453. Après un premier mariage avec Louis VII, roi de France, Aliénor, duchesse d'Aquitaine, divorça d'avec celui-ci pour se remarier en 1152 avec Henri II Plantagenêt, futur roi d'Angleterre. C'est ainsi que deux ans plus tard, l'Aquitaine - que le premier mariage d'Aliénor n'avait pas véritablement annexée à la Couronne de France - fut rattachée à la Couronne d'Angleterre. A partir de ce jour, le roi d'Angleterre détint aussi le titre de duc d'Aquitaine. Après une longue rivalité et une guerre d'usure, l'Angleterre dut céder à la Couronne de France les derniers morceaux de l'Aquitaine suite à la bataille de Castillon (1453) qui vit la victoire définitive des armées françaises. Petit détail en ce qui concerne Aliénor d'Aquitaine : son berceau, comme celui de l'humanité dit-on, est un « berceau à roulettes » ; certains affirment qu'elle est née à Belin (Landes girondines), d'autres assurent qu'elle est née à Nieul (en Poitou)...

14. Cf. infra chap. 1.3.

Page 40: Le pin de la discorde

le sort de chacun était indissolublement lié à celui de la communauté (Toulgouat 1981). Les voisins étaient les gestionnaires effectifs des biens communs à la paroisse et pouvaient délibérer au sein de la vesiau ( a s s e m b l é e d e s v o i s i n s ) 1 5 .

U n d r o i t d e c a r a c t è r e e x c e p t i o n n e l l e m e n t l i b é r a l v e n a i t c o m p l é t e r

l e d r o i t d e p o s s e s s i o n , l u i d o n n a n t p a r l à m ê m e t o u t e s a p o s s i b i l i t é d e

r é a l i s a t i o n : i l s ' a g i t d u d r o i t d e « p e r p r i s e » . L a m ê m e c o u t u m e d e D a x

( A r t i c l e X I - D e s p r é s e n t a t i o n s ) a c c o r d a i t à t o u t h a b i t a n t d e s d i f f é r e n t e s

t e r r e s d e q u ê t e l e d r o i t d e « p e r p r e n d r e » u n t e r r a i n s u r l e s v a c a n t s l 6 .

C e l a s i g n i f i a i t q u e t o u t v o i s i n a v a i t l e d r o i t d e c o n v e r t i r e n p o s s e s s i o n

p r i v é e u n t e r r a i n d ' u s a g e c o m m u n a u t a i r e , s a n s p a y e r p o u r c e l a q u o i q u e

c e s o i t . Q u e l q u e s c o n d i t i o n s c e p e n d a n t : l e p r e n e u r d e v a i t a v o i r l ' a s s e n -

t i m e n t d e s a u t r e s m e m b r e s d e l a c o m m u n a u t é v i l l a g e o i s e e t i l d e v a i t

s ' e n g a g e r à m e t t r e e n v a l e u r c e t e r r a i n p r i s ( p o u r l ' h a b i t a t , l ' a g r i c u l t u r e

o u l ' é l e v a g e ) . C e d r o i t d e p e r p r i s e f u t a b o l i s o u s l a R é v o l u t i o n , m a i s

j u s q u e - l à l e s a y a n t s d r o i t e n u s è r e n t à d i s c r é t i o n .

O n l e v o i t , l a s o c i é t é l a n d a i s e m é d i é v a l e é t a i t - d u m o i n s d a n s s e s

p r i n c i p e s - r e l a t i v e m e n t é g a l i t a i r e . S o c i é t é t r è s p e u h i é r a r c h i s é e , t r è s

p e u m é d i a t i s é e , q u i n ' a v a i t p a s g r a n d - c h o s e à v o i r a v e c l a s o c i é t é p y -

r a m i d a l e c o n s i d é r é e c o m m e l e m o d è l e u n i q u e d e c e t t e é p o q u e . S o c i é t é

t r è s o u v e r t e é g a l e m e n t , d a n s l a q u e l l e l e s n o u v e a u x v o i s i n s é t a i e n t f a c i -

l e m e n t i n t é g r é s à l a c o m m u n a u t é e t a c c é d a i e n t à l a t e r r e p a r p e r p r i s e .

L a t e r r e , b a s e d e l a v i e , p o u v a i t ê t r e d e d e u x o r d r e s : s o i t p o s s e s s i o n

p r i v é e ( l e s h é r i t a g e s ) , s o i t d ' u s a g e c o m m u n a u t a i r e ( l e s v a c a n t s ) . L a

p r e m i è r e c a t é g o r i e é t a i t s o u m i s e à u n e m i s e e n v a l e u r i n t e n s i v e , l a

s e c o n d e à u n e g e s t i o n s o u p l e e t e x t e n s i v e .

L a c o u t u m e d e D a x e s t f o r m e l l e q u a n t à l ' u s a g e d e l ' e s p a c e , n o -

t a m m e n t p o u r l e p a c a g e d e s t r o u p e a u x : p e r s o n n e n e p o u v a i t m e n e r s o n

b é t a i l s e n o u r r i r s u r u n e t e r r e d ' a u t r u i s i e l l e é t a i t e n c l o s e ( A r t i c l e 1 -

D e s p a s t u r a g e s e t d o m m a g e s d u b e s t a i l ) ; p a r c o n t r e n ' i m p o r t e q u i p o u -

v a i t m e n e r p a c a g e r s o n b é t a i l s u r l e s t e r r e s c o m m u n e s o u s u r l e s c h a m p s

d ' a u t r u i u n e f o i s l e s r é c o l t e s a n n u e l l e s r e t i r é e s e t l a c l ô t u r e l e v é e

( A r t i c l e I I - i b i d ) . S e u l s l e s e s p a c e s c u l t i v é s d e p l a n t e s p é r e n n e s ( v i g n e

p a r e x e m p l e ) e t e n c l o s é t a i e n t i n t e r d i t s d e p a c a g e d e f a ç o n p e r m a n e n t e

( A r t i c l e I I I - i b i d ) . U n e c h o s e i m p o r t a n t e e s t à c o n s i d é r e r i c i : l e s s e u l s

e n d r o i t s c l o s - e t p a r c o n s é q u e n t n o n s o u m i s a u l i b r e u s a g e - é t a i e n t

l e s e n d r o i t s c u l t i v é s ( l e s c h a m p s , l e s p r a i r i e s , l e s t a i l l i s ) , c e q u i s ' e x -

p l i q u e d ' a i l l e u r s p a r f a i t e m e n t . C e l a s i g n i f i e e n m ê m e t e m p s q u e t o u t l e

r e s t e - e n d e h o r s d e c e s e s p a c e s c u l t i v é s e t d e s u p e r f i c i e l i m i t é e - é t a i t

15. Dans le Brassenx, chaque voisin devait fournir une arbalète à la maison commune, symbolisant ainsi sa participation à la défense de la communauté (Marquette & Poumarède 1978-1979).

16. Terrains communs soumis au libre usage. Synonyme : padouen. Deviendront les communaux après la Révolution.

Page 41: Le pin de la discorde

de libre accès et de libre usage. La lande ancienne apparaît donc comme un espace ouvert et de libre circulation.

Les Albret et leurs descendants détenteurs de la Couronne de France (Henri IV, Louis XIII) possédèrent la Grande Lande jusqu'en 1651. C'est à cette date que Louis XIV échangea le duché d'Albret 17 contre la principauté de Sedan avec les ducs de Bouillon, pour des raisons stratégiques. Ainsi les ducs de Bouillon devinrent ducs d'Albret, et le restèrent jusqu'à la Révolution.

La façon dont nous avons brièvement dépeint l'Ancien Régime dans la Grande Lande explique que la Révolution française n'eut guère d'écho en cette région. Sauf dans la partie nord, le comté de Belhade, terre soumise à un régime seigneurial classique, où, si l'on en croit les cahiers de doléances, la pression seigneuriale s'était fortement accrue au cours du XVIIIe siècle (de Chauton 1906: 117-124). Ici, la coupure historique ne fut pas la Révolution, mais le Second Empire, comme nous le verrons plus loin. Dans la Grande Lande, point de château à abattre, point de privilège à abolir, point de terre seigneuriale à confisquer. La Révolution transféra aux nouvelles communes d'immenses landes communautaires... qu'elles possédaient déjà (en tant que paroisses ou communautés de voisins) ; les vacants changèrent simplement d'étiquette, à défaut de changer de statut, et devinrent les communaux. La Révolution eut même ici des conséquences cocasses, à l'inverse de ce que l'on pouvait attendre ; c'est ainsi qu'en abolissant tous les systèmes coutumiers au bénéfice du Code civil, la Révolution supprima le droit de perprise : autrement dit, un terrain que l'on perprenait (gratuitement) sur les vacants avant la Révolution, il fallut par la suite l'acheter sur les communaux !

G é o g r a p h i e h u m a i n e e t hab i t a t

Le mode d'habitat grand-landais est assez particulier, en ce sens qu'il est à la fois dispersé et regroupé.

Il faut voir d'abord que les territoires des communes sont souvent considérables. Les communes les plus étendues sont : - Sabres 16 012 ha - Luxey 16 007 ha - Sore 14 631 ha - Pissos 14 077 ha

Sur ces territoires, le bourg occupe une position plus ou moins cen- trale - celui-ci pouvait être dans les siècles antérieurs réduit à sa plus simple expression. Sur le reste du territoire, s'égrènent des « quartiers » souvent éloignés du bourg et distants les uns des autres. Les habitations

17. La sirerie d'Albret avait été érigée en duché en 1556.

Page 42: Le pin de la discorde

Annexe 2 s u i t e

Page 43: Le pin de la discorde

Annexe 3

Contrat de métayage, Sore 1783