le phénomène japonais otaku-nicolas oliveri

11
91 Le phénomène japonais otaku La relation entre l'homme et les technologies provoque des questionnements particulièrement aigus. La technique est actuellement si proche de l'homme qu'elle évoque une forme de fusion. Les sociétés occidentales feraient bien de ne pas occulter la portée d'un débat qui nous met au cœur de quelque chose de grand, de proche, de presque palpable. Les utilisateurs assidus de la technique mettent au jour une série de nouveaux usages et de nouveaux comportements, quali- fiables de pratiques alternatives du cyberespace. Ces comport ements traduisent-ils des pathologies auxquelles une configuration historique, sociale, et technique donne une forme particulière? Préfigurent-ils des évolutions radicales des modes de vie en société ? La société japonaise témoigne d'un rapprochement entre l'humain et la virtualité, à travers un phénomène socioculturel parfaitement identifié, les otakus. « Si l'on m'avait interrogé, au début des années quatre-vingt sur le phénomène otaku, j'aurais sans doute répondu qu'il s'agis sait d'une mode passagère comme les médias japonais en sont friands1 ». Depuis deux décennies maintenant, l'otakisme nippon donne la possibilité d'observer l'utilisation à outrance des technologies informatiques et vidéoludiques, et d'évaluer leur impact sur le développement identitaire et social d'individus fragilisés. L'examen du phénomène otaku peut contribuer à la problématique générale des effets sociaux du développement des technologies de l'information et de la communication. Deux auteurs italiens, Rosa Isabella Furnari et Massimi- liano Griner, dressent le portrait des otakus : « Collectionneurs 1. Barrai, E., Otaku, les enfants du virtuel, Denoel Impacts, 1999, p. 13. NICOLAS OLIVERI L'otakisme est un phénomène qui préoc cupe depuis vingt ans les observateurs de la société japonaise. Il se caractérise par une hypertechnologisation de la vie quotidienne, qui affecte profondément le mode de vie. Les otakus ne se lient à autrui qu'au sein de communautés virtuelles. Ils désinvestissent toutes les pratiques sociales ordinaires. Nicolas Oliveri s'appuie sur l'étude de l'otakisme pour poser plusieurs ques tions centrales : les technologies sont- elles une cause ou une compensation à ce retrait hors de la société ? L'histoire du Japon de l'après-guerre et l'éduca tion des enfants peuvent-ils expliquer l'otakisme? La technologisation de la vie domestique et des loisirs qui gagne notre culture implique-t-elle le risque de telles modifications des pratiques rela tionnelles et des identités ? communication & langages - 151 - Mars 2007

Upload: fontaines-africaines

Post on 11-Jan-2016

5 views

Category:

Documents


0 download

DESCRIPTION

Le Phénomène Japonais Otaku-nicolas Oliveri

TRANSCRIPT

Page 1: Le Phénomène Japonais Otaku-nicolas Oliveri

91

Le phénomène japonais

otaku

La relation entre l'homme et les technologies provoque des questionnements particulièrement aigus. La technique est actuellement si proche de l'homme qu'elle évoque une forme de fusion. Les sociétés occidentales feraient bien de ne pas occulter la portée d'un débat qui nous met au cœur de quelque chose de grand, de proche, de presque palpable. Les utilisateurs assidus de la technique mettent au jour une série de nouveaux usages et de nouveaux comportements, quali- fiables de pratiques alternatives du cyberespace. Ces comportements traduisent-ils des pathologies auxquelles une configuration historique, sociale, et technique donne une forme particulière? Préfigurent-ils des évolutions radicales des modes de vie en société ?

La société japonaise témoigne d'un rapprochement entre l'humain et la virtualité, à travers un phénomène socioculturel parfaitement identifié, les otakus. « Si l'on m'avait interrogé, au début des années quatre-vingt sur le phénomène otaku, j'aurais sans doute répondu qu'il s'agissait là d'une mode passagère comme les médias japonais en sont friands1 ». Depuis deux décennies maintenant, l'otakisme nippon donne la possibilité d'observer l'utilisation à outrance des technologies informatiques et vidéoludiques, et d'évaluer leur impact sur le développement identitaire et social d'individus fragilisés. L'examen du phénomène otaku peut contribuer à la problématique générale des effets sociaux du développement des technologies de l'information et de la communication.

Deux auteurs italiens, Rosa Isabella Furnari et Massimi- liano Griner, dressent le portrait des otakus : « Collectionneurs

1. Barrai, E., Otaku, les enfants du virtuel, Denoel Impacts, 1999, p. 13.

NICOLAS OLIVERI

L'otakisme est un phénomène qui préoccupe depuis vingt ans les observateurs de la société japonaise. Il se caractérise par une hypertechnologisation de la vie quotidienne, qui affecte profondément le mode de vie. Les otakus ne se lient à autrui qu'au sein de communautés virtuelles. Ils désinvestissent toutes les pratiques sociales ordinaires. Nicolas Oliveri s'appuie sur l'étude de l'otakisme pour poser plusieurs questions centrales : les technologies sont- elles une cause ou une compensation à ce retrait hors de la société ? L'histoire du Japon de l'après-guerre et l'éducation des enfants peuvent-ils expliquer l'otakisme? La technologisation de la vie domestique et des loisirs qui gagne notre culture implique-t-elle le risque de telles modifications des pratiques relationnelles et des identités ?

communication & langages - n° 151 - Mars 2007

Page 2: Le Phénomène Japonais Otaku-nicolas Oliveri

92

dévoués et maniaques, fétichistes de l'image, esthètes de la serialisation, les jeunes otakus habitent une dimension "autre, où l'univers des mangas, des jeux vidéo, du sexe médiatique, remplace tout principe de réalité"2 ». L'otaku s'inscrit dans une logique de démission sociale. Il s'extrait de sa culture réelle d'appartenance. Il établit son existence au cœur du virtuel et du multimédia. Serait-ce parce qu'il vit dans un pays qui, dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, a su développer ses affinités avec une culture de l'électronique ? S'est-il réfugié dans des univers virtuels pour s'approprier un substitut à sa famille, la structure de cette dernière s'étant dissoute ? A-t-il peur des sentiments ? Pourquoi cherche-t-il à retrouver ses semblables au sein de communautés virtuelles ? L'influence américaine dans la reconstruction économique du pays après-guerre, les spécificités de la culture japonaise, ainsi que l'omniprésence du groupe dans la tradition nippone, facteur latent de l'otakisme dans ce pays, seront nos principales pistes de réflexion.

Être otaku Le terme otaku voit le jour en 1983. Il est proposé par l'essayiste Nakamori Akio3. La langue française ne fournit pas de traduction appropriée pour ce mot. L'idéogramme japonais lui correspondant se rapproche des termes de « logis », « maison » ou de l'expression « endroit où l'on vit ». « La deuxième signification du mot est en fait une extension du premier sens : c'est un vouvoiement impersonnel et assez distant que les Japonais utilisent quand ils ont besoin de s'adresser à quelqu'un sans désirer pour autant approfondir la relation ainsi nouée »4. Tous les otakus s'interpellent entre eux ainsi et nomment leurs différents interlocuteurs de la sorte. Tenant lieu de carte d'identité collective, la dénomination proclame l'appartenance à cette grande communauté. « C'est une façon de marquer leur indifférence vis-à-vis des personnes avec qui ils parlent, de manifester une sorte d'égoïsme aseptisé comme si les ressorts de leur sensibilité et de leur affectivité étaient définitivement distendus »\ De ce fait, les otakus n'hésitent pas à appeler leur propre mère par ce singulier qualificatif, ce qui ne manque pas d'outrer la plupart des Japonais.

Tout hostiles qu'ils sont à la société japonaise, les otakus n'en ont pas été exclus. On retrouve ici la force de la cohésion sociale, qui ne donne pas l'occasion à ces jeunes de s'isoler et de vivre en autarcie. Les otakus sont rattrapés par la culture ; le lien social ne peut être définitivement rompu. Néanmoins, leur démarche antisociale est clairement perçue. Elle est ressentie comme le mal-être de la jeunesse d'une société postindustrielle. Trois domaines prédominants sont considérés comme à l'origine de l'otakisme : « Éducation, information, consommation »6. La reconstruction du Japon a nécessité des efforts colossaux dans ces

2. Griner, M. et Furnari, R. I., Otaku, I giovani perduti de Sol Levante, Castelvecchi editore, Roma, 1999. 3. L'article où apparaît pour la première fois le mot otaku est extrait de la revue de bandes dessinées pour adultes Burrico. Nakamori Akio est devenu le porte-parole de cette communauté en popularisant le terme otaku. 4. Barrai, E., op. cit., p. 26. 5. Yamanaka, K., Le Japon au double visage, Denoel, 1997, p. 249. 6. Barrai, E., op. cit, p. 13.

communication & langages - n° 151 - Mars 2007

Page 3: Le Phénomène Japonais Otaku-nicolas Oliveri

Le phénomène japonais otaku 93

différents secteurs. Les pouvoirs politiques n'ont pas réussi à raisonner à long terme et n'ont pas anticipé les effets sociaux de la dissociation de ces trois politiques.

L'utopie de la technologie, qui allait devenir le fer de lance de l'économie nippone, répond à un besoin de maîtrise : chacun reçoit la possibilité de contrôler son environnement, au besoin avec une simple télécommande. Les otakus se sont rapidement approprié le potentiel offert par ces technologies. « Ils ont grandi en prenant les médias comme acquis et utilisent ces médias aujourd'hui comme foyer naturel pour la gratification instantanée de leurs désirs. »7 Un otaku ne se sent à l'aise que dans l'environnement qu'il s'est inventé, avec les règles qu'il a lui-même fixées. C'est une personnalité fragile, qui ne s'autorise pas des relations directes avec des personnes réelles. La sociabilité de l'otaku passe par l'instauration d'une culture commune, où l'ensemble des comportements de chacun des membres de cette communauté serait perçu et reconnu par la totalité du groupe, qui y trouverait un terrain partagé d'échange du sens. Dans ce cadre, la distance et la médiation sont les conditions de la relation. Elles permettent au sujet d'opérer à sa guise un double mouvement d'immersion et d'extériorité, qui tend à renforcer le sentiment de sécurité et de bien-être au sein de la communauté virtuelle dans laquelle un individu s'est engagé. La territorialisation s'inscrit dans une problématique virtuelle, où l'appropriation de l'espace ne dépend ni de l'incarnation ni de l'actualisation. Qu'il vive des aventures à travers un personnage de jeu vidéo ou de manga, qu'il fantasme sur une star de la pop, ou qu'il s'accomplisse dans la collection d'objets dérivés de sa série animée favorite, « [l'otaku] réussit sans doute à se faire croire qu'il vit, alors qu'il ne vit que par procuration, évitant soigneusement de prendre le risque d'une relation à l'autre qui pourrait le faire souffrir »8. Dès lors, l'otaku se renferme dans son univers virtuel et devient un autiste social, à un degré préoccupant. Un article9 extrait de YAsashi Shimbun donne un exemple de cette tendance à l'isolement extrême. Une mère se morfond en expliquant que son fils Satoru n'est plus sorti de sa chambre depuis quatre ans. Âgé de 21 ans, il ne communique plus que par l'intermédiaire de petits papiers qu'il dépose sur la table du salon, la nuit venue. Au début de l'année 1990, c'est plus de 7 500 familles qui se retrouvent dans le même cas selon les centres de consultation privés Friends Space de Matsudo et d'Osaka. Ces jeunes qui « refusent de sortir de la chambre » n'acceptent plus l'idée de côtoyer des êtres humains, de se plier au minutieux protocole de la rencontre, que l'on se doit de respecter à la lettre. Le spécialiste en médecine mentale Inamura Hiroshi pense que l'otakisme est caractérisé par trois symptômes : « Manque d'énergie (inertie), manque d'émotions (apathie), manque d'intérêt (indifférence) »10. Les otakus apparaissent comme des individus impuissants et désarmés face à la vie ordinaire. Celle-ci devient synonyme d'angoisse et est perçue comme une succession

7. Ibid., p. 27. 8. Ibid., p. 28. 9. Dossier : Japon, « Les illusions perdues », Courrier International, n° 332, p. 8 et 9, semaine du 13 au 19 mars 1997. 10. Inamura, H., in Yamanaka, K., op. cit., p. 250.

communication & langages — n° 151 — Mars 2007

Page 4: Le Phénomène Japonais Otaku-nicolas Oliveri

94

d'épreuves traumatisantes. L'otakisme concerne les jeunes d'une tranche d'âge relativement importante, puisque le syndrome apparaît d'une part chez des adolescents de 15 ans, accaparés par les interminables heures de cours prodiguées par la scolarité nippone, d'autre part chez les jeunes adultes de 25 à 30 ans, en fin de cycle universitaire, qui refusent l'insertion sur le marché du travail ou qui « décrochent » au bout de quelques mois passés au service d'une entreprise. La répartition par sexe montre une proportion de dix garçons touchés par l'otakisme pour une fille seulement. Cela s'explique peut-être par le fait que la reconnaissance sociale dans les sociétés orientales se mesure à la réussite masculine. La famille favorise l'éducation des garçons, augmentant considérablement le poids de l'attente qui porte sur l'enfant. En cas d'échec scolaire ou professionnel, la pression psychologique peut prendre de proportions démesurées. Le Japon reste un empire et la transmission du pouvoir, aussi bien au niveau de l'État qu'au niveau de la famille, est assurée par l'homme. La position sociale du garçon reste déterminante. L'investissement sur le garçon peut provoquer en retour démission et indifférence, phénomène observable chez les jeunes garçons japonais.

Selon Senno Mitsurô, « les otakus manifestent [...] leur volonté de déserter la société d'hommes qu'est la société japonaise. C'est leur façon de récuser la domination de l'homme, notamment son rôle de protecteur vis-à-vis des femmes »". Il poursuit : « enfin, ils veulent se libérer de tous les carcans sociaux existants pour se consacrer uniquement à ce qu'ils aiment. Cela explique leur attachement presque maniaque à leurs objets de collection, ce qui les isole encore davantage »12. La vie quotidienne d'un jeune garçon japonais constitue un terrain favorable au repli sur soi et au développement de la solitude. Chaque journée est comparable à une compétition perpétuelle avec ses camarades, aussi bien sur les bancs de l'école que dans les différents clubs culturels et sportifs qui s'offrent aux écoliers et aux étudiants. Ce lien social fondé sur la recherche de compétitivité provoque chez beaucoup de jeunes une tendance à l'isolement et à l'égocen- trisme. L'otakisme serait la forme pathologique de cette tendance. Si le Japon a conscience de la gravité de tels comportements, la jeunesse japonaise éprouve les pires difficultés à s'extraire du schéma tracé par les parents qui, pour la grande majorité, ont placé leurs espoirs dans leur unique enfant. Le coût de la vie extrêmement élevé au Japon ne permet pas à la plupart des familles japonaises de scolariser plusieurs enfants. Inamura Hiroshi craint une amplification de ce phénomène, dont il fixe l'origine vers 1985 : « L'histoire montre que les répercussions [consécutives à la crise que traverse le Japon] atteindront leur paroxysme une quarantaine d'années après qu'est apparu le syndrome de l'apathie des jeunes. Cela nous projette vers le Japon de 2025 »13. Observer ses contemporains et des phénomènes sociaux disparates encore nouveaux ne peut constituer que l'amorce de théories, limitées et instables. L'étude de l'interaction sociale informatisée à distance incite aux excès et donc à la prudence. Néanmoins l'otakisme, parce qu'on peut déjà l'observer avec un certain recul, permet de dégager quelques

1 1. Yamanaka, K., op. cit., p. 251. 12. Ibid., p. 251. 13. Inamura, H., in Yamanaka, K., op. cit., p. 253.

communication & langages - n° 151 - Mars 2007

Page 5: Le Phénomène Japonais Otaku-nicolas Oliveri

Le phénomène japonais otaku 95

traits d'une organisation microsociale associant la technologisation extrême à la construction de la personnalité.

Collection et contrôle L'otaku est un fan acharné doublé d'un collectionneur compulsif. Il fait preuve d'imagination et sait se montrer créatif. Il est cependant particulièrement attentif et précautionneux au moment du passage à l'achat. Tous les otakus évoluent dans des univers similaires, composés de mangas, de jeux vidéo et de dessins animés. Mais chacun d'entre eux vit sa passion de manière résolument personnelle et autonome. Chaque otaku se constitue une forme d'identité au sein d'un univers apparemment uniforme en privilégiant une série plutôt qu'une autre, en centrant sa collection sur un personnage bien précis ou en n'achetant que des mangas traitant des mêmes sujets. « II y a des otakus sur tout, pourvu que ce soit marginal »14. Le trait distinctif est l'intensité de l'investissement des objets. « Peu importe la direction, c'est la qualité de l'obsession qui compte »15. Cette volonté de se différencier de ses semblables apparaît comme le souci principal de l'otaku qui cherche à fuir le caractère fortement structuré de la culture de son pays, en lui substituant une autre structuration. Plus une passion sera perçue comme innovante et excentrique et plus il s'émancipera au sein de sa communauté virtuelle. Les inhabiletés sociales semblent devoir se dissoudre dans la virtualité, comme si l'originalité les compensait et garantissait une reconnaissance sociale, accordée par les autres otakus selon des critères propres à la communauté. La volonté de signifier le caractère individuel de leur démarche est infirmée par une multitude de rites de passage auxquels la quasi-totalité des otakus se soumet. Peu d'entre eux échappent à l'attrait viscéral pour la collection, qu'il s'agisse de mangas, de figurines ou de poupées, d'armes, de jeux vidéo, de dessins animés, de CD ou de DVD. Collectionner permet à l'otaku de maîtriser au mieux l'univers pour lequel il vit. En amassant des objets dans sa chambre exiguë, il déploie un fantasme d'omnipotence et a l'illusion de contrôler un monde.

Consommation, compétition... et dépression En moins de cinquante ans, l'archipel nippon est passé d'un statut autarcique rural à celui d'une super-puissance industrielle mondiale. Les objectifs de la nation furent totalement bouleversés à la fin de la guerre, l'ère féodale aux valeurs militaristes s'éclipsa au profit d'une course effrénée à l'industrialisation de masse. Le Japon fut reconstruit en un temps record, grâce à la cohésion sans faille et à l'esprit de groupe de tout un peuple. L'accent fut principalement mis sur l'« industrie lourde (métallurgie, constructions navales) dans un premier temps, puis sur l'industrie de transformation (automobile, textile, électroménager), avant d'évoluer vers les industries de pointe (électronique, robotique, informatique) »16. À la suite des fortes croissances des années soixante et quatre-vingt, le Japon est devenu un des pays où l'on consomme le plus. On observe une véritable

14. Cf. pages.infinit.net/heim/otaku.html 15. Cf. www.smacos.cl/15minutes/numero3/otaku.html 16. Ibid., p. 32.

communication & langages - n° 151 - Mars 2007

Page 6: Le Phénomène Japonais Otaku-nicolas Oliveri

96

métamorphose de l'archipel, qui en très peu de temps accède au statut de superpuissance économique, faisant une entrée remarquée sur la scène internationale. L'explosion actuelle du marché du jeu vidéo est un exemple symptomatique de « l'aura technologique » du Japon. Désormais perçus comme une véritable industrie, à la fois ludique et artistique, les jeux vidéo ont acquis leurs galons de nouveau média de masse17. Ce qui était il y a quelques années un modeste loisir marginal réservé aux enfants ou aux adolescents introvertis pénètre aujourd'hui toutes les catégories sociales et touche l'ensemble de la pyramide des âges. Le phénomène otaku se rattache directement à ces bouleversements socio-économiques et à l'équipement électronique. Quels effets ont eu, sur la société japonaise, ces changements radicaux ? La structure psychique des individus est-elle affectée ? Peut-on parler de mutations culturelles ?

Les Japonais ont du mal à gérer le passage de la pénurie à l'opulence. Ils sont passés de l'achat de produits de première nécessité à une offre pléthorique et au suréquipement. Depuis les années soixante les jeunes Japonais sont exposés à la consommation à outrance. Ils ne connaissent pas non plus les douloureuses expériences de la guerre où les privations étaient forcées et nombreuses. Ils ont baigné dans un Japon qui a pris une forme de revanche sur le monde occidental, en l'ayant rejoint puis dépassé économiquement.

Dès les années soixante-dix, les Japonais sont parfois jugés blasés ; les jeunes commencent à se désengager peu à peu de la vie sociale ou politique, tout en continuant à consommer. C'est à partir des années soixante-dix qu'une expression vite populaire va voir le jour. Moratorium ningen, expression qui désigne une jeunesse en manque de repères et cherche à retarder le plus longtemps possible son entrée dans le monde du travail. Son auteur, un célèbre psychiatre japonais, Okonogi Keigo, lève le voile sur une jeunesse dont le principal souci est de profiter jusqu'à l'abus du rassurant confort que représente l'université, avec l'objectif non avoué de retarder une entrée dans la vie active, cette dernière étant synonyme de stress et de reproduction du modèle parental.

Une fois qu'un étudiant a pu intégrer une université, après les redoutables examens d'admission, il peut pratiquer de nombreux loisirs sans être confronté aux dures réalités du monde du travail. Son avenir professionnel ne le préoccupe pas outre mesure, car il sait que les entreprises viendront directement le recruter une fois son diplôme en poche. Diplôme qu'il n'aura d'ailleurs aucun mal à obtenir, la principale difficulté pour un étudiant étant d'intégrer une université. Après l'admission, les différentes sessions d'examens s'apparentent à de simples formalités. À partir de ce moment où les jeunes Japonais vont pouvoir penser à eux, ils vont irrémédiablement chercher à prolonger cette période oisive de leur vie. Dégagé des contraintes imposées par sa mère et en attendant celles à venir dispensées par l'entreprise, le Japonais aura pu, durant ces quatre années, exister en tant qu'individu, situation dont il peut craindre qu'elle ne se représentera plus à lui jusqu'à la fin de ses jours. L'essor fantastique de la consommation, conjugué avec des exigences éducatives demeurées intenses, a donc eu pour conséquence

17. Le chiffre d'affaire mondial de l'industrie du jeu vidéo dépasse désormais celui de l'industrie cinématographique.

communication & langages - n° 151 - Mars 2007

Page 7: Le Phénomène Japonais Otaku-nicolas Oliveri

Le phénomène japonais otaku 97

une forme de contradiction sociale. Les progrès obtenus en termes de condition de vie, de santé ou de production de biens ont engendré une jeunesse gâtée et fragile. Les jeunes, en grandissant dans l'opulence, ont pu perdre toute intention de se battre pour obtenir l'objet de leurs désirs.

Ces jeunes ne sont pas préparés à affronter un capitalisme prononcé, où les forts font disparaître les plus faibles, par le biais du système scolaire notamment. Plutôt que d'affronter la réalité, certains, découragés et poltrons à la fois, décident de ne pas se conformer au système en vigueur et préfèrent se retourner vers leur enfance, époque d'insouciance où tout leur était possible, rassurant et tellement facile. Au début des années 1980, les prémices de l'otakisme sont en place. Akai Takami, otaku de la première génération, leur associe la culpabilité liée à la guerre : « Jusqu'à la guerre, le Japon était une société d'ordre confucianiste où les enfants avaient une grande importance pour les adultes et, à l'inverse, les plus jeunes respectaient les plus âgés. [...] Nous qui sommes nés dans les années soixante, nous n'avons connu au cours de notre enfance que le déni du passé »18. Les différents gouvernements qui vont se succéder, trop soucieux de reconstruire le pays, puis de combler le retard sur l'Occident, ne sauront pas offrir de modèle pour la jeunesse, qui se reconnaîtra de moins en moins dans la politique appliquée. Le Japon n'a plus d'identité à offrir à ses jeunes et laisse la place à un vide immense. Akai Takami associe la compétition économique, la perte de confiance dans le monde adulte et la régression infantile : « alors ce vide, nous l'avons comblé à notre manière, avec le seul univers qui nous était encore crédible, celui de l'enfance. [...] Et ce qui peuplait notre imaginaire dans cette période idyllique, c'était les mangas, les héros des feuilletons TV. Otaku ou pas, je crois que la plupart des jeunes de ma génération ne font confiance, en leur for intérieur, qu'à leurs rares amis de la petite enfance et aux héros des dessins animés de leur enfance »19.

Il a été plus aisé pour ces jeunes gens de s'identifier à des personnages fictifs qu'à des êtres de chair et de sang. La raison en est simple. Les représentants du pouvoir au Japon ont une réputation épouvantable auprès des jeunes. Pour eux, les politiciens sont tous véreux, les professeurs sont des tortionnaires, obsédés par les résultats de leurs classes et les militaires, de vulgaires assassins. Cette jeunesse vit un quotidien sans repères, sans modèle d'identification, si bien qu'elle s'efforce de les trouver ailleurs, dans les univers virtuels principalement. Devenir otaku, c'est vivre dans la nostalgie de l'enfance pour chercher à affirmer sa personnalité. On se découvre un domaine de prédilection, une passion, et l'on finit par ne vivre que pour elle. Les otakus n'ont pas eu la chance de grandir en étant fiers d'eux.

L'OTAKU ET LA RELATION À AUTRUI C'est sur les plans des rapports humains et des relations amoureuses, principalement, qu'émerge une seconde variable, propre à tous les otakus. La sexualité fait partie intégrante de l'univers des otakus. Une large place lui est accordée dans le monde des mangas, aussi bien pour les garçons que pour les filles. Vivant repliés

18. Akai, T., in Barrai, E., op. cit., p. 38. 19. Ibid, p. 39.

communication & langages - n° 151 - Mars 2007

Page 8: Le Phénomène Japonais Otaku-nicolas Oliveri

98

sur eux-mêmes et refusant la rencontre, les otakus sont exposés par la société de consommation à un simulacre de sexualité accomplie dans lequel paradoxalement ils s'épanouissent pleinement. Le développement du cybersexe et des rencontres on Une fait figure de néo-sexualité. À travers les réseaux virtuels, au- delà de la communauté otaku, celle-ci concerne une population mondiale. Le domaine dans lequel la grande majorité des otakus se retrouve est celui des nouvelles technologies. Les produits concernant la sexualité en font partie intégrante. Vivant et ayant grandi dans un environnement où la technologie a toujours occupé une place prépondérante, l'otaku est devenu un expert dans l'art de maîtriser les produits multimédias. Un site dédié aux otakus précise : « Leur univers est constitué de matériel multimédia de toutes sortes : appareil vidéo, appareil photo, ordinateur, modem, jeux vidéos »20. Collection, sexe et nouvelles technologies sont l'apanage de millions d'otakus au Japon et à travers le monde.

De près ou de loin, chaque otaku développe sa passion dévorante à travers un de ces trois domaines ou, de manière plus efficace, en les combinant. Un otaku déclare : « J'étais nu devant ma machine, je l'entourais de mes bras, je caressais son écran lisse et froid comme si je caressais la peau d'une femme. [...] Je me réveillais alors, dans un état d'excitation intense »21. Ce type de rêve n'est pas un fait isolé. La plupart des otakus, principalement ceux dont la passion est orientée vers l'informatique et le multimédia, avouent refouler le même genre de fantasmes. La quête d'une plénitude sexuelle est prépondérante chez l'otaku. Il passe une grande partie de sa vie enfermé dans sa chambre. Le système de consommation ne cesse de lui proposer des produits axés sur le sexe. Les mangas restent le domaine où ce processus est le plus manifeste. Forts d'un marché porteur, les auteurs de mangas pornographiques répondent à une demande croissante. Pris en tenaille entre les conservateurs (parents d'élèves, professeurs, politiciens réactionnaires) et les « pro mangas », les auteurs et des éducateurs principalement, les otakus sont mis à nu par la psychologie japonaise. Le professeur Fukushima Akira, de la respectée université de Jôchi, considère que le goût pour les mangas est issu d'un désir d'émancipation dont l'effet est équilibrant : « En idéalisant l'enfance en tant que période angélique, la société et les parents fabriquent des "normosés", à l'énergie créatrice réprimée »22. « L'anti-norme » des mangas aurait un effet socialement apaisant : « Désireux de se libérer de la gestion étouffante de leur vie, imposée par la famille et l'école, les enfants recherchent dans ces mangas anti-normatifs un délassement et un défoulement par catharsis »23. Le professeur Fukushima donne ensuite les résultats d'études qui établissent que plus les ventes de mangas à caractère pornographique augmentent et plus le chiffre des délinquances sexuelles (viols et violences sexuelles) diminue. Cette interprétation montre que des experts japonais voient dans la virtualisation de la sexualité un contrôle indirect sur son expression et donne ainsi une logique sociale positive à l'otakisme. « Au cours de son enquête sur l'influence des

20. Cf. www.er.uqam.ca/pasteur/el36544/otaku.htm 21. Barrai, E., op. cit., p. 17. 22. Fukushima, A., in Barrai, E., op. cit., p. 145. 23. Ibid, p. 145.

communication & langages - n° 151 - Mars 2007

Page 9: Le Phénomène Japonais Otaku-nicolas Oliveri

Le phénomène japonais otaku 99

mangas pornographiques sur la jeunesse, l'Association japonaise pour l'éducation sexuelle parvient aux mêmes conclusions »24.

En diffusant aux otakus, mais également à l'ensemble de la jeunesse nippone, les images d'une sexualité débridée, les auteurs d'œuvres pornographiques, et plus généralement l'ensemble de la société de consommation japonaise, permettent à toute une strate de la population otakiste d'expérimenter une forme de sexualité jusqu'alors inconnue. Si la satisfaction de ses désirs sexuels demeure la priorité d'un otaku, ne s'agit-il pas là d'un incertain combat contre la solitude et le mutisme, dans lesquels il s'enferme et pense a priori s'épanouir ? Certains d'entre eux ressentent un sentiment de bonheur à travers l'amour pour une poupée ou une idole. La grande majorité des otakus est composée d'individus sans relations sexuelles ni amoureuses. Un nouveau phénomène, que les Japonais nomment hikikomori, c'est-à-dire « cloîtrés » ou « emmurés », désigne et qualifie une forme extrême de l'otakisme traditionnel. Les otakus ont une activité fantasmatique et imaginaire. L'hikikomori est végétatif. Il ne donne pas de signe d'une activité mentale, affective ou ludique issue d'une pratique du monde virtuel. L'hikikomori est un otaku qui manifeste une forme radicale de présence par l'absence25. Pression sociale mais également scolaire, pertes de repères, démission paternelle, éducation strictement matriarcale..., les mêmes causes sont avancées. L'hikikomorisme s'affirme comme une nouvelle mouvance, composée d'otakus de la génération précédente.

La socialisation par le cyberespace Les otakus, a priori démissionnaires en la matière, cherchent une socialite par le biais du cyberespace et parviennent à la trouver. L'établissement d'un cadre social au sein du cyberespace correspond à un déplacement des aspirations sociales et non pas à un renoncement. Bien que confiné dans l'espace physiquement clos de la chambre, l'otaku pourrait être un « chasseur de sociabilité », bien plus décidé que qui que ce soit à réintégrer une communauté d'appartenance en phase avec ses valeurs, sa morale, son éthique, ses passions. Afin d'affiner cette vision de la quête d'une communauté en tant qu'idéal de socialisation chez l'otaku, il convient préalablement de se pencher sur la question des implications socioculturelles des communautés virtuelles, de leur capacité d'intégration d'individus, ainsi que du pouvoir effectif de leur projet d'une intelligence partagée et recevable par tous ces membres. Howard Rheingold propose une définition large et consensuelle de la notion de communauté virtuelle. « Les communautés virtuelles sont des regroupements socioculturels qui émergent du réseau lorsqu'un nombre suffisant d'individus participent à ces discussions publiques pendant assez de temps en y mettant suffisamment de cœur pour que des réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberespace26 ». Philippe Quéau propose dans sa préface au livre de Rheingold une définition nettement plus orientée vers la notion de partage, d'échanges et de

24. Ibid, p. 147. 25. Barrai, E., « Les hikikomori sont-ils les nouveaux otaku ? », in Otaku, p. 10, n° 17, mars-avril 2004. 26. Rheingold, H., Les Communautés virtuelles, Addison Wesley, 1995, p. 6.

communication & langages - n° 151 - Mars 2007

Page 10: Le Phénomène Japonais Otaku-nicolas Oliveri

100

réciprocité. « Elles [les communautés virtuelles] ne sont pas basées sur le voisinage physique ou la proximité géographique, mais sur les connivences intellectuelles, sur le rapprochement des passions [...]. Ceux qui y participent tissent des liens affectifs ou professionnels, ils échangent, collaborent et s'entraident. Ils bâtissent des complicités affectives, bien "réelles", à travers d'innombrables échanges virtuels27 ». Il est aujourd'hui peu contestable que les technologies, au fur et à mesure de leur évolution, transforment nos savoirs, nos modes relationnels, les racines de notre socialisation. Le « réseau numérique interconnecté » est l'un de ces bouleversements qui va reconfigurer notre rapport à l'autre, et ce, dans des proportions dont les usagers eux-mêmes n'ont pas toujours conscience. La théorie de Rheingold justifie l'attrait pour une vie dans le cyberespace : la réalité n'offrirait plus autant de mises en contact entre protagonistes réels. Un parallèle s'établit ici avec l'otakisme. Le repli hors du cadre familial, scolaire ou professionnel social provoque chez de nombreux jeunes Japonais une rupture de liens communicationnels avec leur environnement physique proche. La reconquête d'une sociabilité s'opère par la suite, à travers la connexion continue et perpétuelle au réseau.

Rheingold évoque les pionniers de l'interaction numérique, en citant les chemins parfois détournés suivis par les premiers concepteurs de ces nouvelles formes de sociabilité. L'histoire de la technique, et plus particulièrement celle de l'informatique, abonde en anecdotes présentant telle ou telle trouvaille comme le fruit du hasard, d'une expérience ratée, ou d'un usage imprévu d'un outil. « Les mutations techniques les plus profondes ont en général été initiées par les marginaux de l'informatique, et non par l'establishment de cette discipline28 ». Cette qualification de « marginaux de l'informatique » peut-elle être étendue aux otakus, hackers et autres dépendants du cyberespace, qui s'emploient chaque jour, par une immersion prolongée dans le virtuel, à faire émerger les nouveaux comportements et usages auxquels nous aurons peut-être à répondre dans les années à venir ? Un de ces usages est le jeu des identités. Le cyberespace offre à son « navigant » le don de revêtir autant d'identités que de communautés d'appartenance fréquentées. La frontière physique, suggérée par l'interposition graphique de l'écran, ne fournit a priori pas les moyens (hormis par l'utilisation d'une webcam) de vérifier qu'un individu correspond effectivement à l'identité qu'il s'est créée.

La culture numérique propose à l'otaku la possibilité infinie d'être ici et ailleurs, d'être quelqu'un puis un autre. Le risque de confrontation est ainsi écarté, au profit d'une multiplication des identités. Ana Vasquez rappelle que « l'individu n'a pas une seule identité, mais qu'il dispose d'un faisceau d'identités qu'il actualise l'une selon les contraintes de la situation et selon ses désirs et intérêts29 ». Les communautés virtuelles chez les otakus ne seraient pas à comprendre comme le fait du retrait et d'une culture de l'isolement, mais bien au contraire comme un espace de révélation de l'éventail d'identités possibles, que la culture « réelle » d'appartenance s'empresse d'atrophier. Parvenir à

27. Queau, P., in Rheingold, H., Les Communautés virtuelles, op. cit., p. 2. 28. Ibid., p. 7. 29. Camilleri, C, Kastersztein, J., Lipiansky, E. M., et ahi, Stratégies identitaires, Presses Universitaires de France, 1990, p. 144.

communication & langages - n° 151 - Mars 2007

Page 11: Le Phénomène Japonais Otaku-nicolas Oliveri

Le phénomène japonais otaku 101

s'émanciper dans le virtuel correspond donc à faire valoir les différentes facettes de l'identité d'un individu.

L'engouement pour le cyberespace traduirait alors l'expression massive d'un projet de se « connaître soi-même », en clamant des identités, sans crainte de devoir les assumer, grâce à la permanente mise à distance d'autrui.

Perspectives L'otakisme s'est développé de manière spectaculaire pour des raisons

conjoncturelles et culturelles. La reconstruction économique d'après-guerre, orientée vers les nouvelles technologies, une société consensuelle, un système scolaire draconien, une cellule familiale écartelée, sous le joug d'une domination maternelle écrasante, sont autant de facteurs au fondement de l'otakisme japonais et de ses conséquences socioculturelles. Au cœur d'une évolution très rapide des univers numériques au sens large, il apparaît fondamental de s'interroger sur les modes d'appropriation des mondes numériques par le grand public. Comment jouerons-nous aux jeux vidéo dans cinq ans ? Comment évolueront les enfants nés avec une télécommande et une souris dans les mains ? Comment les relations interpersonnelles vont-elles s'enchâsser dans les cyber- relations ? Quelle sera la place des robots dans nos quotidiens ? Comment ne pas devenir dépendant de tous ces objets techniques mis à disposition ? Les sociétés occidentales doivent peut-être considérer le phénomène otaku comme un sérieux avertissement. Nous ne disposons pas à ce jour des outils nécessaires pour décoder les mécanismes qui présideront réellement à la mise en œuvre de stratégies identitaires. Nous n'avons pas d'éléments sur le devenir du projet global d'un monde électroniquement interconnecté. Il convient par ailleurs de s'interroger sur les modèles d'identification véhiculés par les nouveaux produits culturels et promus par les systèmes complexes des industries culturelles actuelles. Porteur des espoirs les plus fous pour les uns ou figure délétère de la désincarnation de l'homme au profit de la machine pour les autres, le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication au sein de nos sociétés modernes préfigure l'opposition à venir entre la société ordinaire et l'ensemble de la mégapole cyber. S'il est aujourd'hui impossible de nier les changements radicaux issus de l'avènement des machines à communiquer, des ordinateurs, des réseaux, des jeux vidéo ou des formes de vies virtuelles à l'intérieur de nos existences, qu'en sera-t-il des interactions « humano-techniciennes » dans une dizaine d'années seulement ?

NICOLAS OLIVER1

communication & langages - n° 151 - Mars 2007