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Le mystère du Cracovia Roman d'aventure Daniel Senécal Fondation littéraire Fleur de Lys Lévis, Québec, Janvier 2020, 200 pages.

Édité par la Fondation littéraire Fleur de Lys, organisme sans but lucratif, éditeur libraire québécois en ligne sur Internet. Adresse électronique : [email protected] Site Internet : http://manuscritdepot.com/

Tous droits réservés. Toute reproduction de ce livre, en totalité ou en partie, par quelque moyen que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur. Tous droits

de traduction et d’adaptation, en totalité ou en partie, réservés pour tous les pays. La reproduction d’un extrait quelconque de ce livre, par quelque moyen que ce soit, tant électronique que mécanique, et en particulier par photocopie et par microfilm, est interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur. Disponible en version numérique et papier. ISBN 978-2-89612-580-7 © Copyright 2019 Daniel Senécal. Illustration en couverture : Daniel Senécal. Dépôt légal – 1er trimestre 2020

Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Bibliothèque et Archives Canada Imprimé à la demande au Québec.

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Chapitre 1

Gibraltar

e capitaine de vaisseau William Andrew Ridgeway, vétéran de la Grande Guerre 1914-18, était adossé à la rambarde du Neptune, un cuirassé anglais de

30 000 tonneaux construit au tournant du 20 siècle étant consi-déré comme un dreadnought de seconde génération. Avec ses 10 canons de 342 mm, il avait servi sous les ordres de l’amiral Beatty à la bataille du Jutland en 1916. Le navire, mouillé dans la rade de Gibraltar depuis des mois, semblait s’ennuyer autant que son maître. Mais fort heureusement, cette situation allait changer. Effectivement, le capitaine avait dernièrement reçu

e

l’ordre d’appareiller dès le lendemain pour une visite protocolaire aux insulaires de Malte. Cette île, un protectorat anglais, située au milieu de la Méditerranée servait de base importante à sa marine.

L

À ses côtés, l’enseigne Stockwell, second lieutenant, est un officier d’âge moyen formé dans l’ancienne école de la marine prônant la suprématie des gros cuirassés d’après-guerre. Comme son commandant, il observe un magnifique sloop qui, toutes voiles dehors au grand large amures1, profite au mieux de son vent arrière pour gagner à grande allure la pleine mer.

1 Mettre les amures (cordages) pour atteindre le large.

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Le mystère du Cracovia

Il dépasse leur navire au plus près, exhibant aux deux officiers la finesse de ses structures et le galbe de sa coque effilée.

— Vois, Stockwell, comme il a fière allure ce yacht avec ses couleurs marine et beige. Il doit bien faire 3000 tonneaux et accueillir plusieurs passagers. Et son capitaine manœuvre habi-lement, il tire des lofts courts et précis pour se faufiler dans ce trafic dense de la matinée. D’après moi, il va rabattre est-sud-est pour prendre le large du cap d’Oran.

— C’est le Cracovia, capitaine, et il est en partance pour Le Caire. Il y a une dizaine de passagers à bord et que du gratin. Il appartient au comte Straszy et il a quitté Londres la semaine dernière. Puis, après avoir relâché à Lisbonne, il a repris sa route pour Gibraltar où il séjourne depuis trois jours.

— Comment sais-tu tout cela, mon sacripant de Don Juan ? Encore tes escapades nocturnes sur le caillou, j’imagine ?

— Pas plus tard qu’hier soir, capitaine, à la fête de l’hôtel Prométhée où monsieur le comte donnait je ne sais plus pourquoi un grand gala. Vous savez, ces gens-là ont toujours une raison pour faire la fête. Toute la grande salle de bal était comble, et, que du beau monde bien habillé, des dames parées de bijoux étincelants et des messieurs en costards parisiens.

— Et toi qui n’as pas même une redingote ni un penny vaillant, comment es-tu arrivé à te faire inviter parmi cette bourgeoisie ?

— J’ai le meilleur des gréements que l’on peut espérer avoir dans un port, capitaine, celui du bel habit de la marine de Sa Majesté. Puis la modeste prestance de mes quarante ans, alliée à mon talent pour faire danser les belles dames ont fait le reste. Ces atouts ne sont pas négligeables et ouvrent les portes et les cœurs. J’ai donc appris beaucoup de choses dans cette volière d’aras de première classe.

— Ainsi, je puis vous dire que la princesse Lobilia est à l’heure actuelle à bord et en route pour l’Égypte, pays de ses ancêtres. C’est une jeune femme d’une grande beauté qui a la réputation, bien méritée à mon avis, d’être dégourdie. Elle sait s’amuser et je le sais d’expérience. Toutes ces belles perruches s’ennuient avec leurs vieux perroquets déplumés.

Soudain, le lieutenant se tourna vers son capitaine qui, d’un air courroucé, lui fit la rodomontade qu’il méritait :

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Chapitre 1 – Gibraltar

— Ah bon ! Enseigne qui renseigne le va-et-vient de Gibraltar ! Je ne savais pas que la nuit vous preniez du service sur un dragueur, monsieur Stockwell ? Vous feriez bien d’être plus respectueux de l’âge, car vous risquez de perdre vous-même quelques plumes, lui lança le capitaine avec de gros yeux.

— Soyez rassuré, capitaine, je respecte toujours l’uni-forme que je porte surtout avec les jeunes princesses qui ont un caractère aussi brumeux ! Et je m’en tiens aux services d’usage, s’exclama le lieutenant pour tenter de rétablir l’honorabilité de sa fonction auprès de son supérieur. Mais le mal était fait et celui-ci comprit que des tâches l’attendaient ailleurs. Il laissa alors le vieux loup de mer contempler le grand large que le voilier allait pouvoir atteindre bientôt.

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Chapitre 2

Malaga — Andalousie

ohn Gardner ne cesse de faire les cent pas dans sa chambre. Sur le lit sont étalés les journaux rapportant les nouvelles du matin. Les gros titres vont pour le

mystérieux naufrage du Cracovia. Celui-ci devait arriver à Malaga la veille. Mais voilà, aucune nouvelle du sloop depuis deux jours. Un message de détresse qui ne précise pas la nature du problème aurait été envoyé par le voilier. Pourtant, le temps était beau sur cette route de Gibraltar à Malaga. Aucun navire n’avait aperçu le bateau qui semble s’être volatilisé en pleine nuit. John décide d’aller à la capitainerie du port pour en savoir plus. Ce jeune homme, début de la trentaine, semble témoigner un intérêt parti-culier pour cette affaire.

J

Dans le hall du prestigieux hôtel Palacio del Rey où il est descendu, c’est la bousculade du début de l’après-midi, l’heure où ceux qui quittent l’hôtel sont remplacés par ceux qui arrivent. À l’extérieur, John trouve difficilement un taxi pour l’amener au vieux port de la ville. Après un cheminement ardu sur les Ramblas2 encombrées, il finit par arriver au grand bâtiment en briques qui abrite les divers services portuaires. Là aussi, il y a

2 Une rambla est une avenue large bordée d’arbres et généralement munie d’un trottoir central.

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Le mystère du Cracovia

effervescence et c’est après bien des tâtonnements qu’il trouvera quelqu’un prétendument capable de le renseigner, un certain Miguel Torres, en habit de la marine espagnole, confortablement assise derrière un vieux bureau usé.

— Asseyez-vous, señor. Je crois que vous êtes journaliste ? — Non, je suis archéologue de l’Institut français du Caire.

Je viens pour me renseigner au sujet du naufrage du Cracovia. — Et en quoi le sort du Cracovia vous intéresse-t-il,

señor ? — Il se trouve qu’une amie, la princesse Lobilia, était à

bord de ce sloop et nous devions nous rencontrer ici à Malaga lors de sa relâche prévue dans cette ville.

— Ah ! Je comprends maintenant votre inquiétude, señor. Malheureusement, les dernières nouvelles ne sont guère rassurantes.

Le fonctionnaire espagnol poursuivit comme pour s’excuser de ne rien savoir.

— L’Escuador, un aviso que l’on a envoyé à sa recherche, n’a rien trouvé. Mais sur la côte de Donadona, des pêcheurs ont repéré des débris du navire ainsi que des articles appartenant aux passagers. Je crains fort qu’il ait bel et bien sombré au large de cette côte. Pour le moment, on n’en sait guère plus, mais les recherches se poursuivent, señor, et nous ferons tout ce qu’on peut pour comprendre ce qui a pu arriver au voilier.

Obligeant, ce dernier lui griffonna son numéro de téléphone sur un bout de papier, l’invitant à l’appeler plus tard pour avoir les dernières nouvelles concernant ce triste événement.

John sortit du vieux bâtiment de la capitainerie un peu perplexe. Ce jeune homme est d’origine britannique et il a fait des études avancées en archéologie à Cambridge. Il a travaillé à diverses fouilles en Mésopotamie pour ensuite se joindre à une équipe de chercheurs français en Basse-Égypte. Depuis, il habite Paris, mais il se rend régulièrement en Égypte. Il connaît donc assez bien cette route maritime qui mène de Gibraltar au Caire. Il s’interroge pour savoir comment un bateau aussi bien entretenu et commandé avait pu disparaître sur une mer presque calme aux parages si familiers. Encore s’il avait été en perdition, éperonné ou menacé d’échouer sur des récifs, il aurait signalé son péril. Mais il n’y a aucune île ou aucun récif le long de cette côte et aucun autre navire n’a été porté disparu. Des pirates

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Chapitre 2 – Malaga - Andalousie

ou un accident de machines, un feu ou une explosion ? Toujours possible. Que penser !

De retour à son hôtel, John s’installe au salon de l’accueil. Après avoir commandé un café corsé, il sort son portefeuille pour en tirer une petite carte. Elle est aux armes de la princesse Lobilia. Au dos, il relit l’écriture fine et soignée :

« Mon cher John, j’aimerais vous rencontrer au Palacio del Rey de Malaga, le 16 de ce mois. J’arriverai à bord du yacht du comte Straszy. J’ai des informations très secrètes au sujet d’un pharaon inconnu et de sa splendide sépulture. Mais surtout, il me plairait de vous revoir. Vous avez laissé un grand vide dans ma vie. Gardez cette rencontre dans la plus grande confidence. »

John fit la connaissance de la princesse à Paris il y a plusieurs mois à l’exposition égyptienne du docteur Lemarchais au Louvre. L’éminent égyptologue qui fut son professeur et son mentor lui avait présenté cette femme ravissante, dans la tren-taine comme lui, et qui s’empara aussitôt de son cœur et de son esprit. Un coup de foudre décrirait usuellement et plus simplement celle qu’il attendait dans sa vie, son billet pour le bonheur.

Il semble que cela ait été réciproque, car, lors d’une réception à son riche hôtel particulier, elle le convia aussitôt à un dîner entre amis. Elle lui raconta, sa naissance issue de l’une des familles les plus riches d’Italie dont les racines sont égyp-tiennes et elle lui relate un peu sa vie mondaine. Pendant quelques mois, ce fut le grand amour, du moins le croyait-il. Puis arriva la rupture abrupte et le comte Straszy en fut certainement la cause, car, dès que ce riche personnage de la vieille aristocratie polonaise débarqua à Paris, la princesse se fit plus discrète. Elle était plus aperçue que dans le giron de ce vieux monsieur austère et énigmatique. Quelle relation existait-il entre Lobilia et le comte Straszy qui avaient fait sa fortune en créant une nébuleuse d’entreprises un peu partout en Europe sous la bannière d’Europia ? John n’arriva pas à comprendre le comportement de Lobilia envers lui. Cette rupture soudaine, alors qu’ils se plaisaient l’un et l’autre ? Mais rapidement, elle se fit distante et absente. John, contre son gré, laissa aller. Il ne voulait pas la forcer ni s’imposer, pensant que, s’il y avait eu de réels sentiments amoureux entre eux, elle lui reviendrait.

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Le mystère du Cracovia

Puis un jour, John reçut par messager une petite enveloppe contenant cette simple carte. Il décida de satisfaire sa curiosité et surtout son irrésistible désir de revoir Lobilia. Il voulait surtout comprendre ce qui avait provoqué leur séparation. Il laissa son travail, animé par l’espoir suscité dans cette invitation, pour se rendre à Malaga tout au bout de la péninsule espagnole.

Perdu dans ses pensées, John ne savait plus ce qu’il devait faire. Encore si la missive de Lobilia signifiait clairement son attachement affectif, il serait disposé à remuer ciel et terre pour la retrouver. Sinon, pourquoi persister s’il n’est qu’un ami ? Il décida d’attendre encore quelques jours à Malaga pour essayer d’en apprendre plus sur cette mystérieuse disparition du Cracovia et remonta à sa chambre pour se changer. C’est alors qu’il remarqua que l’on avait légèrement déplacé ses vêtements dans les tiroirs. Il eut la certitude qu’on avait fouillé ses affaires. Qui et pourquoi ? Était-ce une simple intrusion du personnel de l’hôtel ou concernait-il ce rendez-vous secret avec Lobilia ? Et si c’était le cas, comment avait-on su pour ce rendez-vous qu’il n’avait pas révélé à quiconque ? Son intuition, au sujet de ce naufrage qui pouvait n’être qu’une mystification, s’en trouva renforcée. Il avait de plus en plus le sentiment que Lobilia était en danger et qu’elle l’appelait à son secours.

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Chapitre 3

Rome — Conférence de presse

enaldo avait eu une matinée exécrable. Sa Fiat, déjà passablement abîmée, avait dû ajouter une bosse à sa calandre dans le trafic que seuls les

Romains peuvent supporter à coups de klaxons et d’injures crachés entre eux comme d’amicaux bonjours. Stationné en triple sur le boulevard del Fiore, il dut courir dans les moult couloirs du bel immeuble du siège social d’Europia à Rome, afin de trouver l’endroit où les journalistes avaient été invités pour une conférence de presse. La salle était bondée des divers médias, télévision, radio et journaux, se bousculant avec les gens des milieux des affaires, de la politique et des autres curieux de la bonne société.

R

Darius Straszy mit un peu d’ordre dans ses cheveux ébouriffés pour se donner le courage d’affronter cette meute de curieux. Le directeur d’Europia, Lorenzo Tipio donna alors le coup d’envoi à cette réunion publique en montant sur l’estrade pour s’emparer du micro. En quelques mots, il expliqua que, à la suite du naufrage du Cracovia, le conseil d’administration du holding avait décidé de confier de façon intérimaire la direction à Darius Straszy et, sans plus tarder, il céda le micro à ce dernier. À lui le soin d’expliquer la situation et de répondre aux questions d’ordre pratique. Le fils unique du comte, sans émotion

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Le mystère du Cracovia

particulière, précisa que l’on poursuivait des recherches dans le but de retrouver d’éventuels naufragés et de comprendre ce qui avait pu arriver au Cracovia. Il répéta les renseignements obtenus de Malaga et il termina en remerciant monsieur Tipio et le Conseil de leur confiance.

Renaldo avait écouté les nombreuses questions des parti-cipants et les réponses de Darius Straszy qui se voulaient rassu-rantes. Il conclut que la disparition mystérieuse du navire ne pouvait être qu’un malheureux accident, du moins il le souhaitait. Tout le monde des affaires connaissait la lutte entre le fils et son père pour le contrôle d’Europia. Le jeune homme était depuis plusieurs années en discorde avec son père autant sur le plan familial que sur la gestion des affaires. En fait, à la mort de sa mère, Darius avait demandé une autopsie et une enquête sur la nature du décès. Eléonore Willis Straszy était une riche Américaine qui avait épousé le comte lui apportant fortune et relations d’affaires pour que ce dernier relance ses entreprises douteuses et se débarrasse de ses créanciers. Depuis, le fils n’avait de cesse de réclamer la part de sa mère dans les entreprises de son père.

Revenu au Journal, Renaldo rapporta l’essentiel de la conférence de presse à son patron Tonio Ortega, grand manitou de la presse italienne et propriétaire du grand journal l’Observatore. Tonio avait à l’époque couvert l’affaire de l’enquête criminelle d’Éléonore Straszy. Il avait été poursuivi pour diffamation et sa carrière avait été compromise pendant un certain temps par le comte. Il avait donc un contentieux à régler avec ce dernier. Il s’adressa à Renaldo avec une colère froide.

— Mon petit Renaldo, je soupçonne ce vieux serpent de Straszy d’un coup fumant, orchestré de toute pièce. Tout ça n’a aucun sens. Ce bateau ne peut avoir coulé sans avoir lancé un message, signalant des difficultés ou demandé de l’aide par TSF.

— Mais, rétorque Renaldo, cette soudaine disparition est une affaire en or pour son fils. C’est lui qui prend les rênes d’Europia, alors c’est peut-être lui qui a fait disparaître le Cracovia.

— Peut-être, mais peut-être pas. Darius n’a pas encore la maîtrise du groupe, sa présidence n’est que temporaire. C’est Tipio qui reste le président du Conseil et cela jusqu’à la fin de son mandat dans deux mois. Et crois-moi, il ne fera pas de cadeau à Darius. Non, je ne comprends pas bien dans quel but Straszy

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Chapitre 3 – Rome – conférence de presse

s’est volatilisé. Mais je suis persuadé qu’il a lui-même organisé cette drôle d’affaire.

— Mais patron, il est aussi fort possible que ce soit un simple naufrage. Ce n’était, après tout, qu’un frêle voilier, pas un paquebot !

— Eh bien ! Mon gars, avec ton incomparable caractère de fouineur, tu vas aller immédiatement à Malaga et me trouver des réponses. Tu as carte blanche, et un budget illimité, alors file faire ta valise et fonce à Malaga, on verra pour la suite.

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Chapitre 4

John quitte l’Espagne

ohn dîna seul dans un coin de la grande salle à manger du Palacio del Rey. Il ne voyait ni n’entendait le va-et-vient des serveurs qui s’affairaient à satisfaire

les nombreux convives bigarrés de cet hôtel cosmopolite. Il se remémorait les beaux moments passés avec Lobilia. Ces instants où elle s’abandonnait dans ses bras, mais aussi les longues discus-sions sur la civilisation égyptienne.

J

Lobilia était la fille de Mustapha, le patriarche influent d’une ancienne famille princière, gardienne des coutumes et connaissances de la vieille gloire de ce pays millénaire et énig-matique. Elle lui avait confié un jour qu’il restait encore bien des secrets enfouis dans les montagnes arides qui bornent le Nil. Depuis l’emprise anglaise sur le canal de Suez, sa famille jusqu’alors très riche et influente avait beaucoup perdu de ses prérogatives. À l’ordre religieux prédominant et conflictuel, le choc avec les sociétés modernes industrialisées avait brisé l’équilibre moral et économique d’un pays assis entre deux mondes.

Elle était venue étudier en Europe chez des parents du côté maternel en Italie afin de chercher une société plus libre et libérale permettant aux femmes de s’instruire. Elle voulait revenir dans son pays nanti des connaissances et des pouvoirs pouvant être utiles à sa famille pour mettre en œuvre une révolution

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Le mystère du Cracovia

devenue nécessaire. Surtout, elle désirait travailler à la réunifi-cation et à l’indépendance que méritait cette nation qui a été pendant des millénaires le phare du monde. Elle avait, semble-t-il, trouvé chez le comte Straszy l’outil qui lui servirait de tremplin pour rétablir la fortune de sa famille en Égypte. John se souvenait d’une conversation qu’ils avaient eu une nuit d’ivresse où Lobilia s’était faite confidente.

— Un jour, j’aurai les moyens de reconstruire un pouvoir économique capable de faire de l’Égypte un des pays les plus influents de la planète.

— Mais comment cela serait-il possible que ton pays ne possède pas les richesses pétrolières des pays arabes ni l’or des Juifs ?

— Le monde aura bientôt beaucoup plus besoin de ressources médicales que de pétrole. Les gens seront prêts à payer sans compter pour conserver leur santé et acquérir les moyens de vivre plus longtemps.

— Bien sûr, avoir accès aux biens matériels suppose de pouvoir se les procurer, mais surtout avoir la santé pour en jouir. La recherche dans ces domaines n’est pas très importante dans ton pays. Évidemment, ici tu peux espérer trouver les moyens d’améliorer la longévité de la vie. Cependant, c’est une longue quête et tu devras y consacrer toute ta vie.

— Tu oublies que les sciences étaient l’apanage de l’Égypte ancienne et cela pendant tous ces siècles où la culture des rois tout puissants ne servait pas que l’architecture ou les guerres, mais aussi les arts et les sciences associées à l’astronomie. C’est en Égypte que Ptolémée a calculé la circonférence de la terre avec une précision telle que son évaluation demeure aujourd’hui exacte. Les Grecs et les Romains, après avoir envahi mon pays dans les derniers siècles avant le Christ, en ont grandement bénéficié. Mais les anciens ont eu la sagesse de cacher les secrets les plus importants. Ils les ont enterrés avec eux dans leurs tombes que l’on découvre depuis le siècle actuel. Mais je sais que l’on n’a pas encore découvert les plus belles et les plus magnifiques.

— Pourtant ces dernières décennies, on a beaucoup fouillé la vallée des rois, il ne reste sûrement plus grand-chose à y trouver.

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Chapitre 4 – John quitte l'Espagne

— Il y a bien d’autres endroits qu’on ne soupçonne pas comme la vallée perdue d’Osinis à Dernath et de ses adeptes dont on n’a pas encore exploré les œuvres.

Elle lui avait donné bien peu de détails, mais, en sombrant dans le sommeil elle avait parlé d’un site inconnu, les cornes d’Hathor dans la région des côtes maritimes. Là se trouverait le palais d’Osinis et le seuil du savoir immortel. C’est ce dont il croyait avoir entendu et n’en avait pas une mémoire certaine. Peu de temps après, comme elle avait disparu de sa vie, il n’avait plus eu l’occasion de reprendre ces discussions sur ses projets et les moyens de les réaliser. Perdu dans ses souvenirs, il se demandait s’il avait eu un rôle affectif dans sa vie plus personnelle et, surtout, quel rôle.

John quitta la salle à manger pour se promener dans le jardin exotique de l’hôtel, remuant toutes ces idées un peu dis-parates. Puis soudain une illumination, ce n’était pas ici qu’il trouverait Lobilia. Ce projet de rencontre avait été contrarié par un événement qu’elle n’avait pas pu prévoir. Si Straszy avait débarqué ses invités en gardant Lobilia, sa destination n’était certainement pas touristique, mais plutôt pour les affaires. La finalité de ce voyage devait donc être l’Égypte. Alors si elle était toujours vivante, et il en avait l’intime conviction, c’est au Caire qu’il fallait espérer la retrouver. Il devait sans plus tarder se rendre dans cette capitale qui lui était si familière. De plus, il pourrait aller à l’Institut français de l’égyptologie afin de faire des recherches sur cette fameuse vallée invoquée par Lobilia.

C’est d’un pas décidé qu’il se dirigea au comptoir de la réception de l’hôtel où on lui proposa le Phénix, paquebot qui ralliait Alexandrie en ligne directe et qui serait en partance dès demain soir. Il réserva donc une cabine sur ce navire qui l’amè-nerait dans trois jours aux pays des pharaons. Il remonta à sa chambre avec la conviction qu’on ne retrouverait pas le Cracovia, car bien qu’il ait disparu, il n’avait pas sombré. Il s’était caché probablement pour que l’on ne sache pas où il allait.

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Chapitre 5

Rencontre en pleine mer

e lieutenant Stockwell peinait à garder son équilibre sur la passerelle de navigation du Neptune. Le cuirassé engagé sur les côtes de la Libye rencon-

trait un temps de chien. Il était précisément près de quatre heures du matin et le quart de l’officier se terminerait dans moins de deux heures. Pour l’immédiat, Stockwell gardait toute son attention sur la mer que les faisceaux des puissants phares du vaisseau éclairaient pauvrement. Dans cette mer démontée en pleine nuit, le danger est d’éperonner un autre navire. Surtout que cette partie de la côte est une route très fréquentée par la marine marchande. Des bourrasques, des embruns, mais pas de pluie intense, des conditions difficiles même pour un navire de ligne de cette taille. Les pilotes avaient tous leur attention sur la position à garder pour affronter les vagues au bon angle, surtout ces lames de fond qui pouvaient atteindre plusieurs mètres.

L

Stockwell observait intensément le halo des lumières de tribord, là où obliquait le Neptune sur son cap. Le tangage accentué faisait qu’au plein, les projecteurs balayaient la mer au ras des vagues, mais quand le navire se relevait, ils portaient loin en avant. C’est alors qu’il eût une apparition fantomatique, un voilier armé de deux focs sur son mât de misaine et dont la proue dansait terriblement. Pendant à peine quelques secondes,

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Le mystère du Cracovia

il put bien le voir. Aussitôt, il sortit du champ des pinceaux de lumières. L’enseigne, accrochée à la pôle plafonnière, cria « navire à tribord ». Toute la passerelle braqua les jumelles de ce côté. Pendant de longues minutes, on scruta le périmètre pour ne voir que les traits blancs des crêtes des vagues défer-lantes qui pouvaient être confondues avec la coque d’un voilier.

Le premier lieutenant qui était l’officier-commandant de la passerelle se porta à la hauteur de Stockwell. Il fit manœu-vrer les projecteurs plus vers l’arrière pour chercher ce navire qui, selon l’estime, devait avoir la même route que la leur. Pen-dant un fugace instant, le lieutenant crut aussi voir une ombre se profiler entre les rouleaux des vagues. Puis plus rien. S’il y avait un bateau, il devrait, maintenant être loin, derrière, car le Neptune tenait malgré le mauvais temps une vitesse d’une dou-zaine de nœuds, ce qui était impossible à un voilier affrontant l’assaut d’un vent debout. Mais comme Stockwell fut le seul à l’apercevoir et qu’il ne réapparut plus, son existence devenait problématique. La rencontre ne fut pas moins inscrite au Livre de bord du Neptune, mais ce ne fut qu’après l’interrogatoire du capitaine.

— Êtes-vous certain, enseigne Stockwell, d’avoir aperçu ce voilier ?

— Oui, capitaine, l’image que j’en ai est celle de ses voiles triangulaires, un grand foc et une trinquette bien visibles sur l’avant et si caractéristiques d’un sloop.

— Et vous, lieutenant Cooper, qu’avez-vous distingué ? — Je ne peux être totalement certain, était-ce une petite

embarcation ou le rouleau d’une grosse vague, je ne saurais le certifier, capitaine. Il m’a semblé que c’était une tache blanche verticale, mais ce pourrait aussi être une colonne d’écume d’eau à la tête d’une grosse vague, difficile à dire, capitaine.

— Et vous, Stockwell, vous affirmez que c’était un voilier ?

— Oui, capitaine, en plus, je suis certain que c’était le Cracovia. La découpe de sa coque, son beaupré, ses enfléchures et surtout son poste de pilotage typique que j’ai pu observer lors de sa sortie de la rade à Gibraltar, me sont restés familiers.

Le capitaine Ridgeway resta un peu abasourdi. Il se racla la gorge et marqua un temps.

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Chapitre 5 – Rencontre en pleine mer

— Dois-je comprendre que lors de votre soirée, vous avez aussi eu l’honneur de visiter la cambuse du voilier ? dit-il de façon narquoise.

À sa boutade d’humeur contrariée, il ajouta, j’essaie de vous faire comprendre, mon ami, qu’une telle déclaration im-pliquant un navire porté disparu chamboulerait bien des choses, et cela dans des circonstances très discutables où vous prétendez l’avoir aperçu, et que vous êtes le seul à l’avoir fait.

Pour le capitaine, c’était une situation embarrassante et son rapport devra être rédigé dans les formes. Il faut comprendre que, pour un capitaine, commander à plus de mille hommes d’équipage, assurer la navigation d’un monstre d’acier complexe sur tous les océans par-delà les caps les plus redoutables du globe et, à la rigueur, engager son navire dans un combat à mort était cent fois moins difficile que de rédiger un rapport à l’amirauté. En fait, décider c’est immédiat et donc instinctif pour un marin. Expliquer la logique de sa décision par la suite, c’est essayer d’expliquer sa façon de penser automatique qui est inhérente en grande partie à son caractère personnel, et ainsi mettre à nu son jugement intellectuel intime.

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Chapitre 6

Renaldo voyage en train

Renaldo, après avoir hésité, décida de prendre le train pour se rendre à Malaga. Il aurait pu prendre le bateau en partance du port d’Ostia près de

Rome. On ne mettrait pas plus de temps qu’en train, mais ce serait plus confortable. Sauf qu’il avait horreur de la mer et pour lui, elle n’avait d’attrait qu’à partir du rivage. Et puis, il y avait le navire et son mal de mer. Renaldo considérait que, sur un bateau, c’était l’endroit le plus ennuyant où l’on puisse se trouver. Dans ces boîtes d’acier, les cabines sont petites, froides et assourdissantes des bruits de basse des moteurs et des bruits de haute des passagers voisins. C’était comme être enfermé dans un haut-parleur. La seule alternative à l’isolement de la cabine spartiate est la promiscuité avec cette société de croisière très particulière que l’on doit affronter dans tous les autres espaces du paquebot. Il y a, par exemple, la flânerie sur les ponts encombrés de gens qu’il faut saluer ou tenter d’ignorer, le risque de les percuter, la promenade insipide pour respirer l’air froid au grand vent et toujours admirer le même tableau soit une ligne d’horizon séparant le bleu pâle du ciel du bleu sombre de la mer. Décidément, Renaldo préférait le train.

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Le mystère du Cracovia

Il choisit donc l’Express Rome-Madrid avec couchettes qui lui permettrait malgré l’inconfort de gagner quelques heures de sommeil. C’est pourquoi, après avoir fait rapidement ses pénates, il rejoignit la Gare Centrale. Dans la cohue qui régnait sur le quai au départ pour Madrid, il ne remarqua pas un grand type dégingandé à lunettes qui, sporadiquement, lui jetait des coups d’œil furtifs. Enfin installé dans son compartiment, il se mit à feuilleter les documents de l’entreprise Europia que lui avait remis son patron.

Il y apprit les nombreuses activités du holding et toutes les dissensions entre ses dirigeants. Il comprit le rôle important qu’avait Tipio et sa bande au conseil d’administration du groupe d’entreprises œuvrant dans tous les domaines. Puis s’ajoutent les activités frauduleuses du comte et de son fils, les liens entre Straszy et la princesse Lobilia particulièrement, et finalement la vie énigmatique de cette Égyptienne et de sa famille. Pendant ce temps, le train filait à grande allure vers Marseille en passant par Gêne. Il finit par s’endormir en se demandant ce qu’il devait chercher dans cette affaire. Le supposé naufrage, était-il fortuit ou un aboutissement ? Cette guerre entre le père et le fils prenait sa source dans une question toute simple : le comte avait-il tué sa femme ? Et si c’était le cas, toutes les dérives devenaient possibles y compris la disparition programmée du Cracovia.

Renaldo sommeilla jusqu’à la frontière française. Comme c’était l’heure du souper, il quitta son compartiment pour la voiture-restaurant. Il se plaça à une petite table pour deux personnes et commanda son repas. Il mangea en parcourant les journaux. Dans le quotidien espagnol El Pais, il apprit les efforts que l’on faisait pour retrouver le Cracovia. L’un des invités du comte relatait à la presse la curieuse fin de sa croisière.

— Le comte Straszy se comportait de façon bizarre et il avait l’air très préoccupé, ce qui n’était pas sa nature habi-tuelle, déclarait-il.

Renaldo songea que le comte devait se comporter comme quelqu’un qui s’apprête à faire naufrage. Pendant qu’il se con-centrait dans ses lectures, le journaliste était, sans s’en apercevoir, observé par le même homme qui, au départ de Rome, ne cessait de le reluquer.

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Chapitre 6 – Renaldo voyage en train

Puis ce fut l’arrêt à Madrid où il y avait une correspondance dans le rapide Madrid-Malaga. Après avoir tué le temps au Termini central, Renaldo monta dans le train en fin de soirée. Une contrariété l’attendait. Il avait réservé en première classe le compartiment numéro 32 dans lequel il s’installa. Mais il en fut expulsé pour le 23 par le contrôleur du train. Ce dernier, sans s’excuser, lui expliqua qu’il s’était installé dans le mauvais compartiment parce qu’il avait stupidement confondu le 32 pour 23. Mais Renaldo, bien que son billet indiquait vérita-blement le numéro 32, obtempéra sans discuter, car le 23 tout près était effectivement libre. Un type brun, à peu près de son âge qui accompagnait le contrôleur, passa devant Renaldo en le saluant et s’installa à sa place au compartiment 32.

Enfin, Renaldo put s’étendre sur la banquette et s’assoupir. Il ne se réveilla même pas au court arrêt que fit le train à Séville. Ce n’est qu’en traversant les montagnes du Guadalhorce qu’il se réveilla, car sur ce trajet le train effectue fréquemment des virages pénibles dans le fracas des freins et les soubresauts des rails.

Arrivé à la station de Malaga, Renaldo, à peine réveillé, ramassa ses affaires et tenta de sortir de son compartiment. Mais la porte qui s’ouvre sur le corridor resta bloquée. En insistant fortement il réussit à l’ouvrir pour déboucher sur des personnes entassées dans le couloir qui attendent qu’un policier libère le passage vers la sortie. On lui apprend qu’un homicide a été commis dans une cabine un peu plus loin. Puis, après une longue attente, le gardien de l’Ordre public finalement se range et laisse les passagers sortir. Renaldo, en passant devant le compartiment où a eu lieu le crime, remarque qu’il porte le numéro 32.

Sur le quai, il avise deux grands gaillards qui discutent en regardant une civière s’éloigner transportant un corps dans un sac. Il sait reconnaître des inspecteurs de police. Il les interpelle en montrant sa carte de journaliste.

— Tiens donc, voilà déjà la presse… le lui lance l’ins-pecteur-chef Ramones.

Il se présente en expliquant qu’il voyageait dans le train près du compartiment 32.

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Le mystère du Cracovia

— Alors, señor, avez-vous remarqué ou entendu quelque chose ?

— Non, inspecteur, j’ai dormi durant tout le trajet, mais vous semblez être sans explication pour ce crime ?

— Effectivement, la victime est tout ce qu’il y a de plus anodine, et l’on ne peut encore établir des hypothèses quant au mobile du criminel… sinon qu’il savait jouer du couteau, sûrement un professionnel.

Renaldo s’engouffre dans un taxi en lui donnant l’adresse de l’hôtel qu’il a retenu, le Palacio del Rey, puisque son budget est généreux. Chemin faisant, il ne peut s’empêcher d’associer l’imbroglio du mélange des numéros des compartiments. Le contrôleur du train doit certainement savoir, lui. Mais il s’est bien gardé de le mentionner à l’inspecteur Ramones. Sitôt arrivé, il demande au chauffeur de l’attendre le temps qu’il s’enregistre et dépose sa valise à la consigne. Puis il lui indique de prendre la direction de la capitainerie du port.

Le vieux señor Torres fait des va-et-vient derrière son bureau le téléphone en main. Il parle ou plutôt crie pour se faire entendre du haut fonctionnaire du gouvernement qui le questionne sur l’affaire mystérieuse du Cracovia.

— Non, monsieur, il faut prendre très au sérieux le message du Neptune. C’est un cuirassé de la Marine anglaise. De plus, j’ai vérifié la possibilité que le Cracovia ait pu se trouver sur sa route et cela m’apparaît plausible, bien qu’inexplicable. Et il ajoute :

— le capitaine Ridgeway mentionne qu’il ne peut être absolument certain de cette rencontre, car c’est de nuit, en pleine tempête, en un court instant, on a possiblement rencontré un sloop ressemblant au Cracovia. Alors, monsieur, il n’en fait pas une déclaration officielle, mais une information qu’il faut tenir secrète pour l’instant.

Puis il termine son appel : — Oui, monsieur, je comprends les implications légales

et économiques… et soyez assuré que tout cela restera dans mon bureau, monsieur le ministre.

Enfin sa communication terminée, il sort de son bureau pour donner des instructions à sa secrétaire. Celle-ci s’avère absente de la salle d’attente, mais, à la place, il trouve assis

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Chapitre 6 – Renaldo voyage en train

dans un fauteuil des visiteurs le journaliste italien qui prestement se lève.

— Pardon, señor, je suis Renaldo Mancini, journaliste à l’Observatore, et j’arrive tout juste de Rome.

Au regard interrogateur de ce dernier il ajoute, in peto : — Et je crois que votre assistante est partie aux aseos,

señor, mais puis-je vous parler deux minutes ? Pris de court, l’officier invita son interlocuteur à entrer

en s’excusant et il partit à la recherche de sa secrétaire, laissant Renaldo seul dans le bureau. Ce dernier aussitôt tira avantage de la situation et se mit à fouiller les papiers épars étalés sur le bureau. Il avisa rapidement près du téléphone les notes du rapport concernant le Cracovia. Il releva des informations précieuses : près de Benghazi, le voilier semblait lutter pour entrer dans une baie, puis il nota dans son calepin les relevés en altitude et longitude. Ces renseignements inestimables s’ajoutaient à ceux qu’il avait entendus en pénétrant dans l’antichambre du señor Torres.

Il ouït alors la voix forte du fonctionnaire qui revenait. Il s’assoit dans un des fauteuils devant le bureau en croisant les jambes dans la pose patiente d’une personne résignée. Torres entra en coup de vent en s’excusant de nouveau. Puis, soudainement perplexe, il demanda :

— Rappelez-moi votre nom, señor ? — Renaldo Mancini, et j’arrive de Rome pour avoir les

dernières informations concernant le Cracovia. Le señor Tipio, président du conseil d’administration de l’entreprise du comte Straszy, qui est un ami personnel, est très préoccupé par cette disparition mystérieuse. Vous comprenez, il doit savoir pour rassurer la direction et les actionnaires de cette importante compagnie.

— Ha oui ! Je comprends, bien sûr, mais j’ai bien peu à vous dire. On a trouvé des effets flottants, valises et vêtements, au large du Cap Donadona. Mais, rien ne prouve que le navire a véritablement sombré et dans quelles circonstances. Actuel-lement, nous fouillons minutieusement la côte de cette région et tentons de repérer des débris pouvant provenir d’un naufrage. C’est une partie très escarpée de cette côte sauvage avec de nombreuses baies cachées.

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Le mystère du Cracovia

— Donc, on ne peut confirmer la disparition du navire et la mort de ses passagers ?

Torres s’exclama sur un ton fort embarrassé comme quelqu’un à qui l’on fait un reproche.

— Non, señor Mancini, en aucune façon, et j’en suis désolé. Nous déployons de grands efforts pour élucider ce curieux naufrage et, croyez-moi, nous dénouerons cette énigme bientôt. Oui, très bientôt.

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Chapitre 7

Tipio rencontre Darius

ipio avait bien du mal à se contenir. Pourtant, il n’avait pas le choix, car il était attablé dans un chic restaurant où tout se fait dans une atmo-

sphère feutrée et discrète. Il a devant lui Darius avec son air supérieur qu’il affiche depuis la disparition du comte. Jusque-là, les sujets de conversation avaient porté essentiellement sur les opérations du holding. Puis, Tipio aborda la question de la gestion de l’entreprise. Il essayait de connaître les intentions de Darius, sachant que bientôt il serait obligé de lui céder la direction. Mais Darius se méfiait du vieux renard qui devait certainement préparer un mauvais coup pour l’empêcher d’accéder à ce poste ou de neutraliser ses décisions. Les réponses évasives et mielleuses cachaient des pièges, il en était sûr. Le repas s’achevait avec alcool et cigares lorsque Tipio attaqua;

T

— Alors Darius, déçu du résultat de ton effort pour contrer la presse ?

— Que veux-tu insinuer ? De quel effort parles-tu ? J’ai été très clair lors de la dernière conférence de presse, rétorqua prudemment Darius.

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Le mystère du Cracovia

— J’ai lu dans le journal de ce matin qu’un innocent passager du Rapide Madrid-Malaga s’était fait trucider et l’on ignore tout du tueur comme du motif. Ça ne te dit rien cette affaire-là ?

— Pourquoi devrais-je savoir quoique ce soit à propos d’un fait divers comme celui-là et en quoi ça me concerne ?

— Mais, parce que dans ce train, comme tu le sais certai-nement, il y avait un journaliste curieux qui enquêtait sur tes petites affaires. Renaldo Mancinni, que l’on m’a dit, fait l’objet d’une surveillance rapprochée de la part de ton service de sécurité personnel.

— Ha ! C’est sans doute Ortega qui t’a mis au courant de cela. Tu es de mèche avec la presse, et tu les manipules pour ton service de renseignement personnel, se dévoila Darius.

— Je n’arrive pas à comprendre comment tu peux prendre des décisions aussi idiotes. Crois-tu que la police ne fera pas le rapprochement ? Tu risques gros et tu nous mettras tous dans un sale pétrin. Ce sera alors la chute en Bourse pour Europia.

— Ce n’est possible que si l’on suggère cela à la police. Mais effectivement, ça ne sera pas seulement moi qui serai visé, mais n’importe qui d’Europia y compris toi. Alors, vaut mieux que tu fermes ton clapet sur tes mauvaises idées qui, d’ailleurs, sont sans fondement.

— Pourquoi vouloir empêcher un journal d’enquêter, de fouiller dans cette histoire de plus en plus mystérieuse ? Surtout si l’on n’en connaît pas soi-même la raison.

Sur cette répartie perfide, Tipio se leva en lui jetant un regard noir et accusateur. Quant à Darius, il resta de marbre en continuant de siroter son cognac. Il n’avait guère relevé la menace de Tipio, mais il demeura songeur pour la suite des choses. Puis, doucement, dans un nuage de fumée, un vilain rictus balafra son visage.

— Tu te trompes, je n’ai rien ourdi en ce qui concerne le Cracovia. Cela m’inquiète autant que toi. Mais ça doit rester entre nous et je n’accepte pas que tu y mêles ton ami de la presse ni quelqu’un d’autre. C’est moi, et moi seul, qui gère ce problème et je le règlerai à ma façon.

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Chapitre 8

Sur le Phénix

a croisière de John sur la Méditerranée, pourtant tranquille en cette saison, ne se faisait pas sous de bons auspices en commençant par être mal

logée à bord de ce vieux rafiot qui assurait la liaison Gibraltar-Malaga-Alexandrie et plusieurs autres villes de la Côte. Son voyage ayant été décidé à la dernière minute, son choix de cabines avait été restreint. Ce « deux ponts » de 18 000 tonneaux qui datait du début du siècle portait le nom pompeux de Phénix. John pensait qu’il était grand temps qu’il se réincarne. Les machines produisaient plus de bruit que de vitesse. Caréné comme une barque de pêche, il dansait plus qu’il n’avançait, risquant à chaque traversée d’estropier plus de la moitié de ses innocents passagers.

L

L’avantage pour la compagnie qui exploitait ce navire était l’économie des repas, car la salle à manger demeurait pratiquement vide tout au long de la traversée. John qui avait le pied marin et l’estomac bien accroché avait un bon choix de tables orphelines. Parmi celles situées à la sortie des cuisines, il en trouva une inoccupée. C’était l’endroit parfait pour être bien servi et surtout bien camouflé des raseurs. Il s’y installa avec la satisfaction d’avoir fait un bon choix. Après avoir commandé

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Le mystère du Cracovia

son repas, il se plongea donc dans la lecture d’un manuel ancien sur la XVIIIe dynastie des pharaons.

Il déchanta lorsqu’une femme de stature imposante et à la voix puissante lança près de lui un appel strident à l’endroit d’un serveur. Puis se tournant vers John, elle l’interpella à son tour, « puis-je me joindre à vous », en s’assoyant devant lui sans attendre la réponse.

Aussitôt, le serveur accourut pour prendre la commande de son repas qu’elle avait déjà choisi. John détailla cette femme presque âgée, portant un chignon en nid de guêpes, chaussant de grosses lunettes à monture d’écaille posées sur un tout petit nez en dessous duquel une bouche remarquable par sa grandeur était constituée de lèvres d’un rouge à faire pâlir les feux de position du navire. Une fois sa commande donnée au larbin qu’elle expédia aux cuisines par un servicio pronto, elle planta son regard sur son compagnon.

— Je suis madame Marguerite Klein Verbelder, mais sans façon on m’appelle Messy.

John en eut le souffle coupé. Il avait bien reconnu l’épouse du célèbre archéologue, feu le docteur Albert Verbelder, celui qui avait découvert de nombreux sites oubliés dans la région d’Assiout. Elle avait repris les travaux importants de son mari près de la première cataracte. Cette femme était mondialement connue pour l’importance de sa fortune, son caractère dominant et pour ses connaissances remarquables de l’égyptologie.

— Enchanté, madame, je suis John Gardner, mais on m’appelle John tout court et je suis archéologue à l’Institut français du Caire.

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Chapitre 9

Renaldo s’embarque pour la Libye

enaldo, installé dans sa chambre, était absorbé devant une carte détaillée de la Libye. Il avait entouré au crayon la côte de Bambah du côté

égyptien. Elle correspondait à la région désignée par les relevés signalés par le Neptune lors de sa supposée rencontre avec le Cracovia. Un grand nombre de petites baies parsemaient le littoral près de Tobrouk. Il songeait à la manière d’aller faire une investigation dans ces parages. Son instinct lui suggérait que le sloop n’était pas là par hasard. Rejoindre Benghazi puis louer les services d’une embarcation de pêche pour aller reconnaître cette côte serait possible. Mais, comment atteindre rapidement cette ville située en plein milieu de la côte Africaine ? C’est alors qu’il eut une idée saugrenue.

R

Il prit de nouveau un taxi pour la capitainerie du port. Là, il avisa la régie des opérations portuaires. Il y trouva un gros type au visage buriné qui semblait diriger les activités du département. Il attendit patiemment que celui-ci fasse une pause en allant à la cantine de l’édifice. Accoudé à une petite table avec un café, l’homme s’alluma une cigarette. Renaldo, fumeur lui-même, s’approcha pour lui demander du feu. Quelques échanges sur le temps puis les allées et venues des bateaux lui permirent innocemment de poser la question qui l’avait amené.

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Le mystère du Cracovia

Sans se troubler, le marin, ancien capitaine, s’interroge puis répond :

— Vous voulez aller le plus directement possible à Benghazi ? Eh bien, il y a l’Amarines qui part ce soir, un cargo tout rouillé, mais encore solide. Le capitaine Ortiz vous prendrait certainement à son bord pour quelques dollars si vous n’êtes pas trop regardant pour le service.

Après s’être fait indiquer où trouver ce navire et remercier son interlocuteur, Renaldo se mit à la recherche dudit navire. Il finit par retrouver ce vestige des mers. Il monta à bord, ne trouva pas le capitaine, mais s’arrangea avec le second lieutenant qui parlait très bien l’italien. Il faut savoir que la Libye a été longtemps une colonie italienne. Négligé dans ses vêtements, il était difficile de croire qu’il était un officier. Évidemment, ce n’était pas un paquebot de la Cunard Line, mais la propreté et l’état général étaient plus que pauvres. Circonspect, il demanda à voir la cabine qui lui parut correcte. Il décida de la réserver et négocia un dépôt minimum.

Lorsqu’il revint à son hôtel, il se félicitait de cet arran-gement malgré le fait qu’il peinerait à faire ce périple en bateau. Le patron lui avait confié cette mission qu’il considérait comme une chance unique de montrer sa valeur. Il allait donc prendre tous les risques et vicissitudes pour la mener à bien. D’ailleurs, il ne manqua pas d’appeler Ortega pour lui raconter ce qu’il avait appris et ce qu’il allait entreprendre pour retrouver le Cracovia. Puis, il s’affaira à boucler ses bagages qui tenaient dans un sac plus léger que ses appréhensions pour l’aventure dans laquelle il se lançait sans trop réfléchir.

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Chapitre 10

Tipio à l’Observatore

uite à ce tête-à-tête avec Darius, Tipio était très inquiet. Il ne savait que penser de toute cette affaire, mais il était de plus en plus certain qu’elle

réservait des lendemains sombres. Le fait qu’Ortega avait mis un journaliste pour enquêter sur cette histoire lui laissait croire que cet homme avisé suspectait que ce n’était pas un fait divers. Et Darius, malgré son caractère irréfléchi qui prenait de si gros risques, devait savoir des choses importantes.

S

Il décida donc d’aller rencontrer Ortega pour sonder ses vues et surtout ses intentions. Il se présenta sans s’être annoncé à la Direction du Journal. Le grand patron ne le fit pas trop attendre, surpris de cette visite impromptue. Leurs relations sans avoir été cordiales avaient toujours été bonnes. Ortega l’invita à s’asseoir dans un petit salon attenant à son bureau. Un magnifique mobilier d’époque et des toiles de grands maîtres sur les murs en faisaient une retraite calme et réflective pour cet homme qui passait ses journées à courir en tous sens et à prendre des décisions qui influençaient le cours des affaires de l’État. Ortega attaqua sans détour :

— Qu’est-ce qui amène le grand patron d’Europia dans mon humble journal ?

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Le mystère du Cracovia

— Je viens simplement me renseigner à la source con-cernant le mystère du Cracovia. N’êtes-vous pas le détenteur originel de toutes les informations de ce monde ?

— Oui, et elles proviennent toutes de ceux qui la font, comme vous. Alors ce serait plus vous qui pourriez m’informer, mon cher Tipio.

— Pas dans ce cas, car il y a bien d’autres antagonistes dans cet imbroglio, comme Darius et son père, sans compter Lobilia et sa famille. À ce propos, j’ai cru comprendre que votre journaliste, Mancini a failli terminer sa carrière dans ce train espagnol il y a peu de temps.

— Et vous connaissez très certainement le comman-ditaire ? lui fit remarquer Ortega.

— Je vous assure que je n’ai rien à y voir et que je n’approuve pas ce genre de chose. Mais celui qui a décidé cela doit être bien inquiet de la surprenante disparition du comte. Oui, il doit être un peu aux abois, mais vous, que pensez-vous de ce supposé naufrage ?

— Les faits, mon cher Tipio, seulement les faits. Un navire ne disparaît pas sans raison et sans laisser de trace, surtout lorsqu’il appartient à la famille Straszy. Deuxièmement, la fourberie notoire du comte amène à penser qu’il y a là une supercherie. Troisièmement, pourquoi ne veut-on pas que l’on enquête, au point de vouloir assassiner mon journaliste ? Comme vous le dites, il y a de puissants intérêts en jeu.

— Comme vous le sous-entendez, Darius est la personne aux abois parce que ces événements ont tout l’air d’être une surprise pour lui. Il est dans l’expectative d’un coup fourré de la part de son père ou d’une autre partie qui essaie de l’écarter de sa marche vers le pouvoir.

— Et donc, ce que vous me dites c’est que vous ignorez tout de ce qui arrive et que vous n’êtes pour rien dans la tenta-tive d’empêcher que l’on y regarde de plus près en éliminant mon journaliste ?

— Je vous l’assure, Ortega, je cherche tout comme vous. Alors, je vous propose que l’on unisse nos efforts pour connaître la vérité.

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Chapitre 10 – Tipio à l'Observatore

— Je veux bien, mais il me faut tout savoir sur qui est vraiment le comte Straszy et particulièrement cette femme égyptienne, la princesse Lobilia. Celle-là je m’en méfie.

— Donc, je suppose que nous avons un accord de sincère collaboration et je vous fais confiance pour me dire tout ce que vous apprendrez. De mon côté, mon secrétaire particulier, Luciano, vous fournira tout ce que vous estimerez nécessaire dans la mesure de ce que je sais.

— Parfait, mon cher Tipio, j’affecte ma secrétaire parti-culière à cette tâche et convenons de nous rencontrer réguliè-rement pour échanger ce que nous apprendrons mutuellement.

C’est ainsi que le renard Tipio fit un pacte avec le diable de l’information. La partie devenait chaude et il lui fallait prendre les grands moyens pour la gagner.

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Chapitre 11

Lisa et Brutus

uciano dit Brutus était bien connu dans tous les milieux de la pègre italienne. Grand, bien musclé, d’âge moyen, il possédait toutes les vertus d’un

bon secrétaire sauf celles de savoir écrire. Dévoué, discret et surtout méfiant, il incarnait le fonctionnaire modèle en complet veston. Son pseudonyme « Brutus » lui venait de son passé au sein des forces occultes du pouvoir souterrain qui régit une partie des affaires du pays, celles que l’on ne nomme pas. Par ailleurs, Lisa, la secrétaire très particulière d’Ortega, était une femme très séduisante, mais d’un caractère acariâtre et prudent.

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Elle n’appréciait pas vraiment de devoir être en tête-à-tête avec ce vaurien de Luciano. Mais elle se devait de colla-borer pour obtenir les renseignements demandés par son patron. Il lui avait demandé d’essayer d’éclaircir les relations entre le comte, son fils et aussi Lobilia, et de comprendre pourquoi le Cracovia avait disparu après l’escale à Gibraltar et pas ailleurs.

Ils se rencontrèrent dans un petit café près des bureaux de l’Observatore. Luciano lui raconta que Straszy avait épousé Eléonore Dumont à Paris, il y avait de cela une quarantaine d’années alors qu’il était en pleine ascension sociale. Le jeune comte portant beau avait séduit la fille d’un riche industriel de l’époque de l’après-guerre. La famille Dumont était associée au

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Le mystère du Cracovia

règne du général de Gaule et s’était enrichie dans la pharma-ceutique française. Le couple semblait vivre le parfait amour et le comte fut intégré aux affaires des Dumont.

Ce n’est qu’après plus de 10 ans de vie commune qu’enfin Eléonore enfanta un garçon que l’on prénomma Darius. Loin de faire le bonheur du couple, ce fut plutôt l’inverse. Plus l’enfant grandissait, plus le couple s’étiolait. Par la suite, le fils qui fit des études en économie fut intégré aux affaires du père, sous la protection de sa mère. Bien que les parents demeurent ensemble, chacun avait sa vie privée personnelle. Eléonore avait de bien des façons administré avec succès les affaires de Straszy qui, brillant pour trouver des combines, n’arrivait pas à les gérer profitablement.

C’est de cette manière que l’un complétait l’autre et qu’ils demeurèrent indissociables. Mais l’écueil de cette étrange union fut Darius. Ce dernier, ayant hérité d’une grande partie de la fortune de son grand-père Dumont, prit de plus en plus d’espace dans le holding Europia. Pour Eléonore, cette entreprise dans laquelle elle avait investi son temps et ses talents était son second enfant.

Puis survint le décès subit de cette dernière et les batailles juridiques pour la propriété majoritaire des actifs et de la direc-tion d’Europia. Alors que l’entreprise affaiblie par ces guerres internes frôlait la faillite, Tipio s’imposa comme médiateur et sauveur de l’affaire. Il réussit à calmer les ardeurs des anta-gonistes et à relancer le holding sur la voie de la prospérité. Il acquit beaucoup d’influences et de là naquit le triumvirat qui permit la stabilité et le succès des compagnies composant cette constellation sous la bannière d’Europia.

Au cours de ce long narratif, outre plusieurs cafés et quelques échanges sur leur vie personnelle, Lisa et Brutus apprirent à mieux se connaître. Pour Brutus, Lisa était tout à la fois attirante et circonspecte. Pour Lisa, Brutus finalement prit une forme plus humaine que canine. C’est ainsi qu’ils se quittèrent en se donnant un nouveau rendez-vous avec peut-être des intentions plus larges que de s’informer des affaires d’Europia.

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Chapitre 12

Le Phénix à La Valette

ohn, accoudé au bastingage du pont supérieur de la première classe, semblait contempler cette mer presque calme qui, au loin, était barrée par un épais

trait gris foncé. Le Phénix, profitant des bonnes conditions de la mer, contournait déjà la petite île de Comino pour trouver subséquemment sur sa route la grande île de Malte. Il n’y ferait qu’une courte escale de 12 heures. John n’observait plus ce magnifique décor, mais était plutôt perdu dans celui de ce lieu décrit par Messy, cette petite vallée, oasis de verdure, au bout du désert de la région de Dernah. Il voyait un grand prêtre au milieu de ses disciples, celui que l’on appelait Osinis, frère du pharaon. Ce que lui avait dépeint l’archéologue était-il un mythe ? Une allégorie du cerveau volcanique de cette femme qui de plus en plus l’impressionnait. Soudain, il fut ramené à la réalité par la voix forte et chaude de madame Verbelder. Tel un voilier, toutes jupes dehors, la digne personne s’avançait à grandes enjambées vers lui et l’interpella.

J

— Alors John, nous arriverons bientôt à La Valette, la capitale de Malte, allez-vous descendre pour respirer les odeurs épicées du quartier des marchands au pied du mur de la forte-resse ?

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Le mystère du Cracovia

— Certes chère dame, faire quelques pas sur la terre ferme me sera salutaire. En ferez-vous autant ?

— Bien sûr, j’ai à faire en ville pour aller saluer quelques connaissances, accepteriez-vous de m’accompagner ?

— Ce sera avec plaisir si vous m’assurez qu’on ne risquera pas de manquer l’appareillage du Phénix.

— Soyez rassuré, le capitaine est une aimable connais-sance. Il ne risquerait pas de partir sans moi.

Quelques heures plus tard, après avoir contourné les défenses impressionnantes du fort et de son château plusieurs fois centenaire, le navire entra prudemment dans la baie du port d’El Kebir. Ensuite, il s’immobilisa sur ses ancres près du débarcadère assigné aux paquebots des compagnies maritimes au pied de la vieille ville. Le couple descendit pour retenir les services d’une calèche afin de gagner le quartier de San Elmo. Il faisait une chaleur étouffante malgré l’heure matinale.

On fit une première visite chez le docteur Reiss, négociant juif et ami de Messy. Le thé fut servi dans la cour intérieure de sa très belle résidence au décor typiquement mudéjar3. On parla de tout et de rien jusqu’à ce que le docteur aborde la question du Cracovia avec John. Messy en profita pour s’excuser afin d’aller saluer la fille du docteur qui travaillait à l’étage.

John s’informa auprès du docteur des dernières nouvelles concernant le supposé naufrage. Ce dernier ne lui apprit pas grand-chose de nouveau, sinon qu’à ce jour, outre les quelques vestiges récupérés sur les plages de Donadona, le mystère demeurait entier. Puis il ajouta :

— C’est bizarre que l’on ait trouvé des articles personnels appartenant aux passagers, mais pas leurs corps. Je veux dire que, lorsqu’un navire coule, on ne retrouve généralement pas les effets personnels qui demeurent prisonniers dans les cabines des passagers.

Mais cette discussion qui commençait à être intéressante fut brusquement interrompue. Messy réapparut pour prendre rapidement congé de son hôte en le remerciant de son accueil.

3 L’architecture mudéjare est une architecture qui s’est développée dans la péninsule ibérique… Les Mudéjars sont des musulmans devenus sujets des royaumes chrétiens de León.

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Chapitre 12 – Le Phénix à La Valette

Elle ajouta qu’elle avait discuté avec sa fille et qu’elle était heureuse qu’elle demeure persistante dans ses projets d’avenir. John crut comprendre que cet échange quelque peu inusité contenait des formulations dont seuls les interlocuteurs pouvaient saisir le sens.

Puis, ils prirent la direction du souk pour aller déjeuner dans un petit estaminet familier à l’archéologue. John en profita pour connaître le point de vue de la dame concernant la dispa-rition du Cracovia en invoquant l’intérêt du docteur Reiss pour ce drame. Celle-ci eut un moment de silence, inhabituel chez cette femme si prompte de réponse. Puis, elle lui signifia qu’elle ne connaissait rien aux choses marines et qu’elle n’avait aucune opinion à ce sujet. Mais John, que cette répartie ne convainc pas, voulait pousser plus loin, peut-être pour exaspérer.

— Oui, mais il y avait sur ce bateau la princesse Lobilia que vous connaissez très certainement.

— Bien sûr que j’ai entendu parler de cette jeune personne que l’on dit fort belle, mais j’avoue ne pas bien la connaître, même si j’ai eu par le passé à collaborer avec cette femme fort instruite de l’histoire de son pays.

— Pourtant elle est la fille d’Adel Mustapha, grand notable au Caire. Cette famille héréditaire des traditions anciennes de l’Égypte a toujours un rôle politique important dans toutes les affaires de l’État, y compris les activités reliées à l’archéologie.

— Oui, je sais, je sais… mais à quoi voulez-vous en venir avec ces considérations ?

— Seulement que cela risque de perturber toutes les fouilles et les recherches archéologiques du pays, car Lobilia et sa famille sont très impliquées dans celles-ci à ce que j’ai su.

Alors, de la défense elle passa à l’attaque. — Vous exagérez mon petit John, vous semblez accorder

beaucoup d’importance à cette soi-disant princesse… Que savez-vous d’elle ? La connaîtriez-vous intimement ? Je remarque dans vos yeux un peu de passion, mon cher. De la part de l’archéologue ou de l’homme ?

Un peu surpris de cette réplique, John répondit d’un ton benêt.

— Non, tout juste de la curiosité professionnelle.

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Le mystère du Cracovia

John avait esquivé l’assaut de Messy comme il avait pu, mais comprit qu’elle ne s’y méprenait pas. Elle était aussi redoutable en cette matière que dans les autres domaines. Il se retrancha sans aller plus loin en louangeant la qualité des plats servis et autre badine concernant Malte. Mais John n’était pas dupe et devina que madame Verdelber connaissait certainement très bien la princesse. Mais quelle relation avait-elle avec Lobilia, sa famille et le docteur Reiss ? Il ne pouvait le deviner. Ils retournèrent à temps au Phénix qui, au soleil couchant, reprit cette mer calme qui l’avait amené.

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Chapitre 13

Le Neptune à La Valette

e Neptune croisa le Phénix à son entrée dans la baie d’El Kebir. Le vénérable cuirassé enveloppa pendant quelques minutes le paquebot d’un blanc

éclatant d’un nuage noir de suie de ses cheminées. Construit au début de la Grande Guerre, il exhibait fièrement au fronton de la passerelle l’étendard de la bataille du Jutland. Ses chaudières brûlaient des tonnes de charbon qu’elles crachaient en suie par les deux hautes cheminées trônant au centre du navire juste derrière le tripode de tir. Considérée comme vétuste, l’amirauté l’avait mis sur la liste du ferrailleur. En attendant, il finissait sa carrière en Méditerranée à diverses tâches ménagères.

L

Stockwell se tenait avec son capitaine dans la baignoire tribord de la passerelle de pilotage. Les deux hommes promenaient leurs jumelles autour du navire pour s’assurer que le chenal était libre. Sans relâcher son attention sur le trafic devant lui, Ridgeway s’adressa à son officier.

— Hier, j’ai reçu l’ordre de l’amirauté de me mettre à la recherche du Cracovia et de votre princesse, mon cher Stockwell. Pour ce faire, nous devons relâcher ici, pour refaire nos réserves de charbon et d’eau et aussitôt prendre la route de la côte est de la Libye. Qu’en pensez-vous, enseigne ?

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Le mystère du Cracovia

— Autant chercher une aiguille dans une botte de foin, capitaine. Cette côte fait bien des centaines de kilomètres. On ne peut pas convenablement l’explorer en quelques jours.

— Je suis bien d’accord, mais c’est bien toi, incidem-ment, qui nous as valu cette affectation avec ton apparition mysté-rieuse du voilier. C’est pourquoi vous le comprendrez, Lieutenant, je vous donne l’ordre d’examiner les meilleures options pour retrouver cette femme qui vous a tant ensorcelé que vous la voyez partout. Alors nous irons partout où votre cœur vous dictera d’aller.

Cette tirade du capitaine était plus une moquerie qu’un reproche. Mais c’était l’occasion rêvée pour l’enseigne de s’occuper à une tâche plus intéressante que celles de la routine habituelle. Il ne se fit pas prier et courut vivement dans la chambre des cartes pour étudier la question.

Il posa les prémisses suivantes : si le Cracovia avait simulé sa disparition et que c’était vraiment lui qu’il avait aperçu au large du littoral de Bamba, ce devait être que le sloop cher-chait dans ces parages un endroit secret, un mouillage invisible.

Il scruta la carte de la région d’Al Buhayrah, entre Bamba et Tobrouk. La côte escarpée était déchirée par de très nombreux fjords, un long cordon de falaises au pied desquelles des plages de sable reposaient sur des hauts fonds. Un secteur attira son attention. À environ 100 kilomètres à l’est de Bamba, il y avait des gorges profondes avec des atterrages parsemés de petites anses assez profondes pour abriter un voilier. Des oueds alimentaient en eau les ruisseaux qui avaient créé ces bassins profonds de mer.

Plus au sud sur le littoral, il y avait çà et là des parcelles de végétation et au-delà de la route qui reliait Tobrouk à Benghasi, on trouvait des plateaux verdoyants très accueillants. Stockwell fit part de ses analyses au capitaine qui décida, dès le ravitaillement terminé, de faire route vers ce site de la côte pour y dénicher le Cracovia. Cependant, il doutait du succès d’une telle entreprise.

Il n’était pas possible au Neptune de s’aventurer très avant dans ces petits fjords avec son tirant d’eau important sans risquer de s’échouer. Il faudra donc que les canots fassent ce travail, à condition que le temps le permette.

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Chapitre 14

Brutus et Lisa — 2e rencontre

isa eut son deuxième entretien avec Brutus dans le petit parc jouxtant l’immeuble du journal. Là, au milieu du jardin, il y avait le typique étang à

l’eau verdâtre où évoluaient des canards qui bouffaient toutes les cochonneries lancées par les citadins en quête d’un peu de fraîcheur.

LIls s’installèrent sur un vieux banc de bois rugueux

comme des amoureux qui en sont rendus à discuter du papier peint. Sauf qu’ici, il était plutôt question pour Lisa d’avoir des explications sur la relation entre le comte et Lobilia. À sa grande surprise, Lucianno lui apprit que la princesse n’était pas sa maîtresse, mais plutôt son égérie. Leur relation était d’abord professionnelle. Straszy s’était intéressé à la brillante chercheuse en biologie de l’Université de Paris où elle terminait ses études.

Lobilia avait, dans une thèse doctorale, démontré la relation étroite entre le processus de vieillissement et les cellules souches. Il relata que le comte avait flairé la bonne affaire. Il s’agissait au début de mettre au point des médicaments pouvant freiner les maux de la vieillesse. Puis les travaux de Lobilia subven-tionnés par le comte débouchèrent sur des possibilités de ralentir la vieillesse elle-même.

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Le mystère du Cracovia

Straszy possédait une petite entreprise pharmaceutique, Novavie, qu’il avait achetée quelques années auparavant. Il fit alors le projet, qu’avec un tel médicament, il pourrait la trans-former pour qu’elle devienne le fleuron d’Europia !

Il s’assura ainsi les services exclusifs de Lobilia en la couvrant d’or et surtout en lui faisant bénéficier de tous les privilèges sociaux que la jeune princesse affectionnait. Elle conservait toute liberté dans sa vie personnelle. Son caractère capricieux donnait bien des soucis au comte qui la surveillait d’aussi près qu’il lui était possible. De plus, Lobilia entretenait une filiation cachée avec sa famille égyptienne. Dans ses séjours au Caire, elle évoluait dans les sphères de son père, à la fois politique et religieux, intrigant au sein de communautés plus ou moins secrètes.

Puis, Brutus expliqua à Lisa que le Cracovia était le jouet préféré du comte. Il avait acheté et rénové à grand prix ce magnifique yacht de plaisance de plus de 100 mètres de long. Il aimait faire de courtes croisières, habituellement aux Canaries à partir de Lisbonne, port d’attache du sloop. Mais pour les grandes vacances de repos, Straszy invitait des personnalités tant politiques que du monde des affaires pour des croisières en Méditerranée. Il aimait particulièrement visiter la côte Adriatique et les îles grecques.

Ordinairement, Lobilia aimait ces voyages de luxe où elle exhibait ses charmes et sa qualité de princesse égyptienne. Mais elle ne devait pas participer à celui-ci, car le comte ne l’avait pas planifié. Ce voyage avait été décidé subitement pour des raisons connues de lui seul. La liste des invités était courte et n’était constituée que d’amis intimes du comte. De plus, l’itinéraire se limitait aux côtes espagnoles pour se terminer à Marseille. Enfin, il lui apprit qu’après Gibraltar, seuls la prin-cesse et Straszy avaient repris la mer à bord du sloop pour poursuivre cette étrange croisière. À l’évidence, celle-ci avait un but tout autre que le divertissement. Des impératifs avaient modifié son objectif. Mais lesquels ? Et pour aller où ? Voilà qui demeurait mystérieux.

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Chapitre 15

Proposition de Tipio à Ortega

rtega confia à Tipio que, selon ses informations secrètes, le sloop qui devait aller à Marseille devait plutôt faire route vers Le Caire au plus court,

soit en passant au large de la Libye. Les deux hommes recon-naissaient que le naufrage devait être une feinte et que Le Caire était réellement sa destination. Mais dans quel but inavouable, le comte avait-il monté cette supercherie, et quel était le rôle de la princesse dans cette affaire ? Surtout était-elle contrainte à participer à cette mystification ? Mais, cet objectif demeurait incompréhensible.

O

Tipio proposa à son nouvel associé de l’accompagner au Caire puisque c’était dans la capitale égyptienne que l’on pouvait espérer en connaître plus sur cette histoire. Et pour faire ce voyage, Tipio utiliserait l’avion privé de la compagnie. Europia avait dernièrement acquis un Scipio 10, avion de passagers italien bimoteur, à une capacité de six passagers. Ce serait un voyage avec de nombreuses étapes, car cet appareil n’avait pas un long rayon d’action. De plus à cette époque, les aéroplanes, comme on les dénommait, avaient un plafond de vol limité à moins de 6000 mètres, obligeant des conditions météorologiques favorables.

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Le mystère du Cracovia

Sieur Ortega restait dubitatif à l’offre d’une aventure aérienne si risquée. À cette époque, l’aviation demeurait limitée à de courts vols de plaisance, car les pannes de moteurs et autres défectuosités étaient fréquentes. Traverser la Méditerranée relevait de la pure folie. Mais l’homme aimait les risques et particuliè-rement les inventions modernes qui permettaient de courir vers de nouveaux horizons. Cette escapade, narrée dans son journal, amènerait un gros tirage et hausserait ainsi sa notoriété person-nelle. Par ailleurs, il espérait qu’il pourrait rejoindre son journaliste Renaldo qui, aux dernières nouvelles, faisait route vers Benghazi, puis probablement vers Le Caire.

Tipio, voyant les hésitations de son compère lui lança : — N’avez-vous pas envie de vivre une aventure plutôt

que de vous limiter à raconter celles des autres dans votre journal ? L’argument porta, et c’est ainsi qu’il décida finalement

son compagnon à le suivre.

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Chapitre 16

Renaldo sur l’Amarines

enaldo monta à bord de l’Amarines en fin d’après-midi, au moment où l’équipage s’affairait à la préparation du départ imminent du cargo

prévu au coucher de soleil. Alors qu’il hésitait à la coupée de la passerelle d’embarquement, il fut interpellé par le capitaine qui venait à son tour d’escalader la rampe. Renaldo se présenta au capitaine Ortiz qui l’examinait de ses yeux bleus injectés de sang. Son haleine témoignait également que l’homme avait un peu forcé sur les apéritifs avant de prendre son poste. Ayant écouté la tirade de Renaldo, sa voix puissante appela un jeune garçon qui était dans les parages, lui donnant l’ordre de le conduire à sa cabine et de lui faire connaître les espaces réservés aux passagers. Puis sans autre façon, il prit le chemin de la passerelle de pilotage. Alors, le jeune homme d’une quinzaine d’années, à l’aspect un peu négligé et qui était probablement Libyen, s’adressa à Renaldo dans un italien approximatif :

R

— Je m’appelle Rico, monsieur, et je suis mousse à bord. Suivez-moi, je vais vous amener à votre cabine qui se trouve à la poupe.

— Depuis combien de temps travailles-tu sur ce navire Rico ? demanda Renaldo.

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Le mystère du Cracovia

— Quelques mois, et j’accepte entre autres tâches celles des cuisines et le service aux passagers.

Pour cette traversée, outre Renaldo, il y avait un agent de commerce libyen et un jeune routard à la découverte du monde.

— Dis-moi Rico, le capitaine que je viens de rencontrer m’a semblé un peu irascible et surtout peu communicatif ?

— Un bon conseil, monsieur, sur un navire, tout s’entend malgré le bruit des machines. Alors, il faut rester discret dans ce que l’on dit.

La cabine de Renaldo située au deuxième pont était petite, propre, mais spartiate, composée d’un lit, d’une table avec une chaise et d’une penderie. Un hublot donnait directement sur le pont, assurant un peu la ventilation à ce réduit qui devait être étouffant comme un four.

Après avoir posé son bagage, Rico l’amena par le couloir à une plage, sur l’arrière du bateau, protégée par le balcon de l’étage supérieur. Une rambarde couronnait ce deck qui permettait une belle vue sur la mer et le sillage du navire. Il fit la connais-sance des autres passagers, puis suivit le mousse par l’échelle qui prenait sur cet espace pour descendre au pont inférieur par lequel on avait accès à la salle à manger. Rico l’avertit qu’il devait strictement s’en tenir à ce périmètre du navire pour sa sécurité.

Une heure plus tard, l’Amarines vibra de toutes ses tôles et manœuvra pour quitter le port de Malaga. Un magnifique soleil se couchait derrière les hautes montagnes qui entouraient cette ville ancestrale qui fut pendant 800 ans un fief arabe. Pour Renaldo, c’était un voyage un peu fou vers l’inconnu. Cette première nuit lui fut pénible : le mal de mer, les bruits inha-bituels d’un bateau qui s’éreinte dans la houle et surtout un malaise dont il n’arrivait pas à préciser l’origine.

Le lendemain, il partagea la vie du bord avec ses com-pagnons. En fait, seul le jeune aventurier qui s’installa en perma-nence sur le deck se montra volubile. Les repas lapidaires servis dans un réduit par Rico brisaient la monotonie des heures, sauf pour les pauses du jeune mousse qu’il venait prendre en sa compagnie. Issu d’une famille de pêcheurs d’un village près de Benghazi, le garçon se montrait curieux et rieur.

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Chapitre 16 – Renaldo sur l'Amarines

Ils se retrouvaient sur le balcon inférieur où ils pouvaient parler tranquillement sans être entendus. Rico aimait questionner Renaldo sur son métier de journaliste qu’il trouvait intéressant. Il confia qu’il n’avait pas l’intention de rester sur ce bateau pourri où il était maltraité. Il expliqua qu’une grande partie de la cargaison était constituée de produits de contrebande, dont des armes. Il devait servir ce capitaine Ortiz qui était un ivrogne sans scrupules comme presque tout l’équipage. Le cargo prenait des passagers pour montrer sa normalité et endormir la douane tout en fournissant un revenu discret au capitaine.

Trois jours étaient passés et l’on approchait de Benghazi. L’arrivée était prévue tôt demain matin. Renaldo avait pris son dernier repas et se félicitait de ne pas avoir encore été trop incommodé autant par le mal de mer que l’horrible nourriture du bord. Rico avait fait son possible pour lui servir une assiette particulière en lui choisissant ce qu’il trouvait de plus digeste. Il s’était attaché à Renaldo qui l’encourageait à reprendre des études, et possiblement l’aider à émigrer en Italie.

Il se coucha de bonne heure sachant que l’on débarquerait tôt en matinée. Mais il ne dormait pas profondément lorsqu’il entendit des coups sourds à sa porte. C’était Rico.

— Que se passe-t-il ? Tu as l’air terrorisé ? — Vite, Renaldo, prends ton bagage, il faut quitter le

navire immédiatement. Renaldo, interloqué, ne pouvait pas comprendre comment

on pouvait quitter le navire. — Pourquoi ? Nous ne sommes pas encore arrivés que

je sache ? Rico raconta d’un souffle à voix basse : — Et tu n’arriveras pas si tu restes là. J’ai saisi une com-

munication dans la chambre du capitaine; il a reçu l’ordre de te liquider cette nuit et de cacher ton corps dans la cargaison. D’autres vont ensuite simuler un attentat dans la ville pour que l’on y retrouve ton cadavre.

— Mais comment me sauver si le navire est toujours en mer ?

— J’ai un plan, alors suis-moi vite. On a peu de temps, trancha Rico.

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Le mystère du Cracovia

Tout se passa très vite. Il fourra ses affaires dans son sac de voyage et suivit Rico. Ils gagnèrent discrètement le balcon arrière du pont principal. Là, Rico lui demanda de l’aider à mettre à la mer un dinky. L’embarcation légère était munie d’un moteur hors-bord et servait aux diverses tâches d’entretien de la coque. Malgré sa petite taille, la manœuvre demandait une certaine habileté. Il fallait savoir comment positionner les bossoirs pour permettre de descendre la chaloupe le long de la coque. Mais Rico s’y connaissait bien et, finalement, elle se retrouva dansante sur l’eau le long du bordage de poupe du bateau.

Restait le plus difficile, soit, aller la rejoindre en em-pruntant une échelle de corde déroulée sur le flan de la muraille d’acier qui tanguait terriblement, et cela en pleine noirceur. Renaldo hésitait quand il entendit des hommes qui arrivaient par la coursive qui menait vers le pont.

Rico passa le premier, lui montrant comment faire. Il le suivit et, lestement, réussit la longue descente. Rico tenait déjà l’embarcation le plus près possible du bord, l’enjoignant de sauter dedans. Après un saut périlleux maladroit, Renaldo atterrit au fond de l’embarcation. Dès qu’elle fut détachée et libérée du navire qui continuait sa route, le canot s’éloigna très vite en bondissant sur les vagues.

Ils entendirent des coups de feu, des balles sifflèrent et Renaldo crut sa dernière heure venue. Puis, ce fut le grondement du hors-bord. Après quelques périlleuses embardées, la nuit avala le navire et seul le bruit du moteur et des vagues frappant l’esquif s’entendait. Renaldo observait le mousse manœuvrant l’embarcation au mieux. Ni lui ni Rico n’avaient été touchés. Mais Renaldo arrivait à peine à prendre conscience de ce qui venait de se produire, et dans quelle situation il se retrouvait. Ça lui était invraisemblable qu’en quelques minutes, de simple passager il fût devenu naufragé. Maintenant, il était perdu en mer, en pleine nuit, sur un frêle esquif rempli d’eau par les paquets de mer qui frappaient le plat-bord. Pire, on avait essayé pour une deuxième fois de l’éliminer. Décidément, le mystère du Cracovia voulait sa mort. Il ne savait où il se trouvait, mais il faisait confiance à Rico pour retrouver la route de la terre ferme.

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Chapitre 17

Lisa et Brutus à l’église

oin de là, Lisa et Brutus continuaient leur flirt professionnel. Cette fois, la rencontre avait lieu dans l’église de Sainte-Marie-Majeur. Dans cette

vaste enceinte aux plafonds en caissons enluminés de l’or des Incas, le couple passait pour des touristes. Luciano, de plus en plus méfiant, avait choisi cet endroit, car il savait que l’on ne tuait pas devant le Christ. En fait, ses craintes étaient plus orientées vers la protection de Lisa, à laquelle il s’attachait sentimentalement.

L

— Il faut savoir, ma chère Lisa, que, ces derniers mois, le comte était soigné en grand secret par Lobilia à la Salpêtrière à Paris, probablement pour ce qui pourrait être un cancer. Passa-blement amaigri et diminué, il restreignait ses activités en laissant croire à des problèmes passagers de digestion.

— Qui était au courant de son état de santé ? demanda Lisa.

— Tipio, certes, mais sûrement pas Darius qui était en voyage aux États-Unis et qui, de toute façon, est toujours écarté des affaires personnelles de son père.

Lisa à son tour expliqua à Brutus : — J’ai enquêté pour ma part sur ce qui a été un voyage

soudain et non planifié. J’ai interrogé un de ses invités qui m’a appris que sa croisière a été interrompue à Gibraltar. Il m’a expliqué

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Le mystère du Cracovia

que le comte s’était senti incapable de poursuivre la croisière à cause de ses problèmes de santé. Il s’était alors excusé en orga-nisant leur retour en France de la façon la plus intéressante possible. Mon informateur avait l’air certain que le comte n’allait pas bien.

— Donc, reprit Brutus, ou cela était manifestement un scénario improvisé pour répondre à une situation urgente, ou c’était un scénario élaboré d’avance pour faire croire au naufrage planifié.

Lisa fit la moue. — À peu près cela, sauf que le scénario, à mon avis,

était soigneusement préparé, mais pas pour cet échéancier. Il semble avoir été devancé, car Lobilia n’avait pas prévu cette croisière à son agenda.

Elle ajouta pour elle : — Peu importe, une chose est certaine, si le comte avait

été vraiment malade, il me semble qu’il n’aurait pas continué sa croisière.

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Chapitre 18

L’envol vers Le Caire

l était très tôt le matin au petit aérodrome de Santa Clara en banlieue de Rome. Le soleil marquait l’aube de ses rayons encore timides. Le gros CS-10

au nom d’Europia faisait l’objet de sa préparation pour son envol éminent. Deux grosses berlines noires surgirent sur le tarmac et se rangèrent près du hangar d’où l’on avait extrait l’oiseau de tôles ondulées. De la première voiture sortirent le président de la compagnie, Lorenzo Tipio et son homme de confiance ainsi que son secrétaire particulier, et de la deuxième, on vit s’extraire le patron de L’Observatore, Tonio Ortega, et sa jolie secrétaire particulière. Alors que ce dernier admirait le bel aéroplane, il fut rejoint par Tipio qui le salua chaleureu-sement. Les deux hommes avaient appris à mieux se connaître et semblaient maintenant s’apprécier du moins se respecter.

I

— C’est commode d’être riche et de pouvoir disposer d’un moyen de transport aussi puissant, mon cher Lorenzo.

— Mais cela ne peut remplacer le pouvoir de disposer d’un moyen de communication aussi puissant qu’un journal, mon cher Tonio.

Et il ajouta :

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Le mystère du Cracovia

— En fait, c’est ça le futur, manipuler les gens en leur racontant ce qu’on veut qu’ils pensent pour qu’ils agissent comme on le souhaite.

— Si vous voyez ainsi le progrès de l’humanité, je vous ferai un bon prix lorsqu’il faudra vendre mon journal.

Puis Ortega continua : — Mais pour l’immédiat, je vous félicite d’utiliser des

outils aussi modernes qui permettent d’agir rapidement et de gagner beaucoup de temps.

— Ce n’est pas à moi qu’il faut adresser vos félicitations cette fois, mais bien à cet excentrique de Darius. C’est lui qui en a fait l’acquisition, qui s’en occupe et qui s’en sert réguliè-rement pour toutes ses vantardises.

— Il est comme son père, il aime les jouets dispendieux et qui en imposent.

Et en sourdine, il ajoute; — Dites-moi, mon cher ami, devons-nous aussi nous

féliciter d’avoir réuni nos adjoints qui ont fait du bon travail, et cela, avec un zèle qui ne cache guère leurs sentiments d’appré-ciation réciproque ?

— Je partage votre estime des relations qui se nouent entre ces deux-là. Ils n’en deviennent que plus précieux pour notre association et nos projets.

— Tout à fait d’accord avec vous, mais venez donc maintenant, il semble que l’on n’attend plus que nous pour décoller.

Les gros moteurs Fiat firent un tintamarre d’enfer avant d’arriver à faire avancer doucement l’avion dans un nuage de fumée grise. Puis prenant rapidement de la vitesse, le CS-10, le nez au vent, oblique, s’arracha de la piste de terre battue en zigzaguant comme un crabe. À l’intérieur, les passagers calés dans des sièges en osier recouvert de satin retenaient leur souffle. Ce fut par paliers successifs que furent atteintes l’altitude de 6000 mètres et la vitesse de croisière autour de 350 km à l’heure. Ce n’est qu’à ce moment que le niveau sonore devint supportable dans l’habitacle, assez pour permettre des conversations audibles et que l’on put s’entendre et se parler. Il était prévu que le voyage se ferait en deux escales, la première à Palerme en Sicile, puis une deuxième étape à La Valette sur

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Chapitre 18 – L'envol vers le Caire

l’île de Malte, avant la destination du Caire. Le temps était dégagé et l’avion glissait au-dessus des nuages sans trop de perturbations. Lisa, très nerveuse, confia à Brutus ses appréhensions envers cette dangereuse escapade pourtant magique. Ce dernier riait un peu d’elle, comprenant le vertige effrayant que procure cette expérience unique de dominer le monde.

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Chapitre 19

John arrive au Caire

nfin, après plus de huit jours, le Phénix entra dans la rade du port d’Alexandrie, ville plusieurs fois millénaire. Le navire manœuvra avec délicatesse

pour accéder au terminal, car ce port antique était encore le lieu d’un trafic maritime intense. John, accoudé à la rambarde de la coursive, tentait d’oublier toute cette cohue et le décor industriel pour imaginer ce que devait être ce havre maritime au temps des Ptolémées et de Cléopâtre avec son célèbre phare, l’une des plus grandes merveilles du monde. Il était la principale porte d’entrée de l’Égypte et le refuge de la célèbre flotte du pharaon.

E

La fin de cette croisière était une délivrance pour John qui avait très hâte de se mettre à la recherche de sa princesse égyptienne, sa Cléopâtre. Il n’avait entretenu, tout au long de la traversée, que des rapports diplomatiques et réservés avec madame Verbelder, n’abordant que des sujets professionnels ou insignifiants. On ne reparla plus de Lobilia ou du Cracovia. Mieux valait éviter ces sujets avec cette tornade ambulante. Mais au moment où son imagination réussissait à draper les scènes pharaoniques de cette ville mythique, un grand cri traversa le pont… « Mon cher John » et Messy surgit de nulle part pour le harponner par une prise de bras touchante.

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Le mystère du Cracovia

— N’est-ce pas merveilleux que tout ce va-et-vient de navires de toutes sortes ? Ici, je me sens revivre, et c’est chez nous, car l’Égypte n’est-il pas le berceau de toutes les civilisations ?

— Certainement, ma chère dame, et l’Égypte reste un pays rempli de mystères et d’enseignement pour nos civilisations décadentes.

— Quels sont vos projets au Caire ? Avez-vous des plans précis pour cette excursion aux pays des pharaons ?

— Comme je vous l’ai confié, je vais faire quelques recherches concernant Osinis, et surtout sur cette cité perdue de Dernah. Je vais essayer de voir un peu plus clair sur cette période obscure d’Amenhoteph, de ses parents et de sa descendance.

— Si cela est vos intentions, laissez-moi vous proposer une visite fort éclairante de ce que j’ai trouvé dans la tombe thébaine du vizir Rekhmirê. J’y mène actuellement des fouilles qui se sont révélées fort intéressantes sur Thoutmosis IV, le père d’Amenhoteph III. Ce vizir est une trouvaille inespérée, car il a été l’un des administrateurs importants sous le règne des deux pharaons. Je vous attendrai devant le musée du Caire demain, sur l’heure de midi, si cela vous passionne vraiment.

John, rempli de curiosité, accepta sans hésiter. Cependant, il n’arrivait pas à deviner les réelles motivations de madame Verbelder dans cette offre surprenante. Elle devait avoir une idée en tête, car, habituellement, elle gardait jalousement pour elle son travail et ses découvertes.

Au sortir du terminus maritime des paquebots, John avait hélé un taxi vétuste qui luttait maintenant dans le trafic anarchique du Caire. Mais il était absorbé dans la lecture d’un journal anglais qu’il avait attrapé au sortir du paquebot. Rien de nouveau sur l’affaire du Cracovia. Aux pages Affaires, il lut l’article concernant les difficultés du conglomérat Europia suite à la disparition de Straszy et de la tutelle que son fils Darius tentait de mettre en place. Puis, après une longue course, le taxi s’arrêta dans la cour de l’Institut français d’Égypte dans le quartier de Mounira. Le magnifique bâtiment entouré de parcs de verdure était un refuge frais et calme dans cette ville bruyante et suffocante à cette heure tardive de l’après-midi. Paul Dubuisson, secrétaire général de l’Institut, l’accueillit avec plaisir, car ils

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Chapitre 19 – John arrive au Caire

étaient amis de longue date. Le vieux monsieur lui offrit le thé arabe habituel.

— Alors, mon cher, comment s’est passée cette traversée ? — Elle a été occupée par une certaine madame Verdelber

qui, j’imagine, ne vous est pas inconnue. — Certes non, c’est une femme voyante ici. Elle et son

défunt mari, Albert Verbelder, ont sillonné l’Égypte depuis plus de quarante ans, faisant çà et là des découvertes intéressantes. Mais depuis la mort de son époux, cette dernière s’est beaucoup intéressée à la guerre que l’Égypte a dû soutenir contre les Libyens, pendant plus de cinquante ans sous le règne du pharaon Amenhoteph III.

— Quand elle me parle de la vallée à la limite du désert de Dernah, où cela se trouve et que connaissez-vous de cette vallée dite perdue ?

— À ce que j’ai appris, madame Verbelder a centré ses dernières recherches dans la région d’Al Buhayrak. Elle a mis au jour des vestiges datant de la XVIIIe dynastie dans un très ancien village qui fut jadis une forteresse ayant servi au général Ouebensenou qui était le fils aîné d’Amenhoteph II.

— La XVIIIe dynastie n’est pas bien connue, d’autant plus qu’elle recèle beaucoup d’imprécisions de dates et de règnes.

— Effectivement, pendant la longue vie du pharaon, on sait que l’empire était pris en étau entre les assauts des Nubiens au Sud et des Libyens à l’Ouest. Puis il y a eu, semble-t-il, beaucoup de tensions internes concernant le pouvoir dans la famille du pharaon. Son fils, Thoutmosis IV, est mort vers l’âge de 30 ans après un court règne. Il y a eu, pense-t-on, une corégence par sa mère, la fameuse Tiyi, et peut-être son oncle Osinis. Madame Velberder aurait, dit-on, fait d’importantes découvertes précisément sur cette période énigmatique.

— Et quelles sont les relations entre madame Verbelder et la princesse Lobilia ?

— Mustapha, le père de Lobilia qui est très influent dans le gouvernement de Gamel Abdal Nasser, permet et protège les fouilles de sa fille qui s’est associée à madame Verbelder. Elles ont mené de nombreuses recherches dans la région de Dernah et plus précisément près de la côte entre Bamba et Derna, jusqu’à As Sallum, tant sur la côte que dans les déserts de

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Le mystère du Cracovia

l’arrière-pays. Mais leurs découvertes demeurent très secrètes. Tout ce que je sais, c’est que le gouvernement ne permet à personne d’autre de travailler dans cette région et qu’il y a investi beaucoup d’argent.

John, à la surprise de monsieur Dubuisson, l’informa de son rendez-vous avec Messy qui pourrait apporter quelques éclairages sur ces fouilles. Mais après des discussions, les deux hommes n’arrivaient pas à comprendre le but de cette rencontre autrement que dans la mystérieuse disparition de Lobilia et, incidemment, du Cracovia et de son propriétaire. John quitta son hôte en lui promettant de le tenir informé de la suite des événements. Non seulement il comprenait mieux les liens entre ces acteurs, mais, aussi, il voyait clairement la possibilité que le Cracovia n’eût pas fait naufrage, on l’aurait tout simplement fait disparaître.

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Chapitre 20

Le Neptune recueille Renaldo

a nuit avait été longue et froide dans cette petite chaloupe dérivant au large des côtes de Bamba. Au matin, Rico s’efforça de faire le point sur

leur situation et décida d’essayer de rejoindre le littoral à l’estime, à partir du point où le soleil s’était levé. Il connaissait bien les parages pour y avoir pêché jadis avec les marins pêcheurs de son village. Il remit le hors-bord en marche et prit la direction où il espérait trouver la côte de la Libye.

L

Vers midi, le soleil était à son zénith et ils crevaient de chaleur. Le peu d’eau dont ils disposaient s’épuisait tout comme l’essence. Le moteur, après plusieurs toussotements, s’arrêta. Pourtant, ils ne voyaient autour d’eux qu’une mer redevenue très calme. Renaldo se sentait de plus en plus faible et inquiet. Rico, comme pour s’excuser de leur situation périlleuse, lui expliqua qu’il avait pris la décision de quitter ce navire de forbans pour sauver sa vie et la sienne.

— J’ai saisi une conversation du capitaine avec le premier lieutenant. Ce dernier lui confia qu’il avait accepté juste avant le départ d’exécuter un contrat visant à éliminer le journaliste. Ils décidèrent de se débarrasser de moi en même temps parce qu’ils estimaient que j’étais trop familier avec toi et que je pourrais les dénoncer.

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Le mystère du Cracovia

Puis, après une pause, Rico demanda : — Pourquoi vouloir te tuer, qu’as-tu fait pour mériter

un tel sort ? Renaldo comprit qu’il était responsable de ce qui arrivait à

Rico. Il devait lui expliquer succinctement l’affaire sur laquelle il enquêtait. Il lui révéla les buts de son enquête et de son voyage vers la Libye et ce qu’il venait y chercher.

— Bigre, lui rétorqua Rico, je ne suis plus certain de vouloir devenir journaliste.

— Mais non Rico, c’est certain que souvent tu te fais des ennemis, mais rarement ils veulent te faire la peau…, quoique…, dans ce monde de plus en plus gouverné par l’argent et le pouvoir, tu as peut-être raison. Mais comprends que tout travail qui exige de la passion prend plus de ta vie que tout autre. Ces pêcheurs de ton village dont tu me parlais, ne risquent-ils pas tous les jours leur vie sur cette mer que je crains ? La différence, c’est qu’eux connaissent bien leurs eaux et moi je connais les miennes.

Le soleil allait se coucher après une journée inquiétante à errer sur cette mer presque plate. On avait un peu ramé pour passer le temps et fait quelques baignades pour se rafraîchir. Rico espérait pouvoir étudier les étoiles pour lire les points cardinaux. Vénus devait se lever du côté de la terre. Comme c’était une nuit au dernier quart de lune, la noirceur était totale.

Vers minuit, Rico poussa un cri qui réveilla Renaldo. Il le rejoignit à l’arrière du canot. Ils observaient une lueur scin-tillante au loin, lorsqu’ils entendirent un bruit sourd qui grandissait en emplissant de plus en plus tout l’espace. Ils ne purent situer la source qu’à la dernière minute. Droit devant, une masse immense plus noire que la nuit fonçait tout droit sur eux.

Renaldo, tétanisé, fixait le monstre qui allait les avaler. Mais Rico, plus habitué aux affaires de la mer, avait compris. Il ouvrit le coffre sous le siège arrière pour y trouver une grosse lampe à batterie qu’il alluma et braqua vers l’ombre menaçante. En quelques secondes, un gros navire dont on entendait maintenant le halètement des machines passa si près qu’il faillit les heurter. Le jeune Libyen s’était rué sur les rames pour orienter l’avant de l’embarcation de façon à couper les vagues de poupe

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Chapitre 20 – Le Neptune recueille Renaldo

du bateau inconnu pour ne pas chavirer. Des murs d’eau d’au moins cinq mètres fonçaient à leur rencontre. Le frêle esquif escalada ces rouleaux pratiquement à l’horizontale pour se retrouver ensuite dans le sillage bouillonnant du bateau laissant le canot rempli d’eau et ses occupants complètement trempés.

Renaldo, sur le bord de la crise cardiaque, lança à Rico : — Je préfère les risques du journaliste à ceux du pêcheur

mon petit. Le capitaine Ridgeway donna l’ordre de désengager les

hélices dès qu’il aperçut le lumignon des naufragés et d’allumer tous les phares avant et arrière bâbord. Pour sa part, Stockwell sortit au bout de la passerelle et regarda, stupéfait, le petit esquif qui disparut un moment sous la coque pour réapparaître tournoyant dans les grosses vagues du sillage en s’évaporant dans la nuit. On mit machine arrière toute pour freiner et immobiliser le cuirassé pendant que l’on mettait un canot à moteur à la mer avec une équipe de recherche.

À l’évidence, ce n’était pas une barque de pêche. Stockwell qui répondit rapidement à l’ordre de son capitaine s’était rué vers le pont pour diriger la manœuvre et prendre place avec l’équipage de sauvetage.

Les pinceaux des phares et les cris des occupants permi-rent rapidement la jonction avec les naufragés. Ils furent promp-tement transférés dans l’embarcation du cuirassé. Les deux hommes, complètement mouillés, étaient transis et surtout atterrés. C’est Rico qui finit par expliquer en quelques phrases hachurées l’origine de leur situation. On ramena les deux énergumènes au bateau pour les conduire à l’infirmerie où ils purent reprendre un peu de repos.

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Chapitre 21

L’écrasement

endant ce temps, ailleurs et au-dessus de la mer se jouait une autre aventure, celle du patron de Renaldo. Le CS-10, après avoir atterri à Palerme,

avait fait le plein de mazout pour reprendre sa route vers La Valette, à Malte. On espérait pouvoir arriver avant la tombée de la nuit. Ortega et Tipio devisaient sur les arcanes des possi-bilités qu’ouvrait l’aéroplane. Mais les discussions n’étaient pas très audibles, car les vrombissements des moteurs bruyants envahissaient la carlingue de tôle sans isolant. Derrière, Brutus jetait de temps en temps un regard calme vers Lisa pour tenter de rassurer la jeune femme enfouie sous une épaisse couverture. C’est qu’en altitude, le logement des passagers n’était guère plus isolé du froid que du bruit. En fait, on voyageait revêtu d’un chaud manteau de fourrure et de couvertures, avec un risque élevé d’un bon rhume à l’arrivée.

P

Le beau temps et les vents propices assurèrent une traversée rapide. On arriva avec une avance de deux bonnes heures au-dessus de Malte. Le CS-10 débuta donc son approche sur La Valette. Soudain, le pilote réalisa qu’il n’avait plus le contrôle de la gouverne de direction de la queue. Il ne pouvait plus orienter l’avion ni sur la gauche ni sur la droite. Il ne

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Le mystère du Cracovia

pouvait virer qu’en abaissant les volets des ailes de façon asymétrique, ce qui n’est guère commode.

L’aéroport se situait au fond de la cuvette que forme la baie entourée de hautes montagnes. Il choisit alors d’effectuer l’atterrissage en venant du côté de la mer. Après un long virage, il descendit très près de l’eau et tenta d’aligner au mieux l’appa-reil. Au dernier moment, le copilote avertit les passagers qu’ils risquaient d’y avoir de la casse. Très habilement, le pilote visa la ligne droite du terrain, mais hélas, il était légèrement décalé vers le côté. Après avoir violemment touché le sol en terre battue, l’aéroplane roula quelques 100 mètres, puis quitta la piste pour terminer dans les broussailles à l’orée du bois. Ce fut un inter-minable fracas de tôles froissées et de bois brisés. Puis un grand silence dans un nuage de poussière.

Après un long moment, ce fut Brutus qui réussit à reprendre connaissance. Il alla tout de suite vers Lisa pour trouver celle-ci inanimée. Il avisa un grand trou dans la carlingue, issue idéale pour sortir la jeune femme alors que les secours arrivaient. Par le même orifice s’extirpa Ortega qui traînait Tipio encore inconscient. Les ambulanciers mirent beaucoup de temps à libérer le pilote et son copilote qui étaient très mal en point. Tous les occupants furent amenés à l’hôpital de La Valette où l’on constata le décès du copilote. Lisa tout comme Brutus n’eurent que quelques écorchures et ecchymoses légères. Quant à leurs patrons, Ortega souffrait de diverses contusions mineures alors que Tipio fut opéré d’urgence pour retirer des éclisses de métal.

Le pilote raconta aux autorités qu’il avait perdu le con-trôle de la dérive de queue de l’appareil, mais il soupçonnait autre chose qu’il ne révéla pas. Il invita Brutus à le suivre pour visiter la carcasse de l’avion. Avec son aide, il fouilla dans l’amas de ferraille et, très vite, trouva ce qu’il cherchait. Il montra à Brutus un câble d’acier dont l’extrémité montrait clairement qu’on l’avait entamé avec une scie pour l’affaiblir. Puis il en trouva un autre dans le même état, mais celui-là par chance n’avait pas encore cédé. Il conclut au sabotage et remercia le ciel qu’on ait pu atteindre Malte avant que des avaries plus graves ne surviennent. Ortega fut mis dans la

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Chapitre 21 – L'écrasement

confidence. Les rescapés, qui avaient pris leur quartier dans un hôtel confortable de La Valette, discutaient de la situation.

— Il est clair, dit Ortega, qu’on voulait nous éliminer. Qui et pourquoi ?

— À mon avis, rétorqua Brutus, c’est un coup de Darius. C’est sa méthode de se débarrasser de ceux qui peuvent lui faire échec. Il est le seul qui s’occupait de cet avion et du personnel affecté à son entretien. Mais outre de vouloir la mort de Tipio, pourquoi vouloir nous empêcher de poursuivre les recherches concernant la disparition de son père ?

— Certainement parce qu’il est l’auteur du naufrage, proposa Lisa.

— Ou, conclut Ortega, il sait que c’est un coup fourré de son père et veut régler cela seul, en famille et dans le secret. Alors, il nous faut poursuivre notre quête pour découvrir la vérité, mais comment ?

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Chapitre 22

Le docteur Reiss intervient

e lendemain, Ortega rendit visite à Tipio. Ce dernier avait repris un peu ses esprits et retrouvait ses forces. Il était très peiné du décès du copilote

et choqué d’apprendre que c’était un sabotage. Il discuta avec Ortega de la situation et partagea avec lui ses appréhensions sur la suite de cette affaire.

LAprès un long silence de réflexion, il prit une décision. — Écoute bien, Tonio, cette affaire devient de plus en

plus pourrie et il faut rapidement intervenir afin d’y mettre un terme. Tu vas aller voir le Juif, le docteur Reiss. Il habite ici même à Malte. Il est un ami et compatriote de la célèbre archéo-logue allemande Marguerite Verdelber. Cette dernière est en relation étroite avec Lobilia et elle pourra vous donner de pré-cieux renseignements concernant l’endroit où elle se trouve. De plus, il vous aidera à la retrouver, et surtout, Straszy. J’ignore ce qu’ils trament, lui et son fils, mais cela est certainement de nature criminelle et ces gens n’ont aucun scrupule.

— Mais pourquoi ne pas avertir la police et désamorcer cette folie en faisant arrêter tout simplement ces bandits ?

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Le mystère du Cracovia

— Quelle police ? Italienne, égyptienne, française ou anglaise ? Non, ce sera trop tard et de toute façon c’est une affaire privée. Il faut intervenir personnellement et tout de suite.

Ortega se présenta chez le docteur Reiss un peu avant midi. Il s’était fait conduire en taxi par les charmantes petites rues de la vieille ville. Il se présenta en précisant qu’il venait de la part de Tipio. Le docteur le reçut dans son bureau sans mani-fester aucune surprise, mais plutôt de l’inquiétude. Le vieil homme désigna deux fauteuils rapprochés, s’assit, examina Ortega derrière ses lunettes cerclées d’or et attendit qu’il parle.

Ce dernier s’exécuta. Il résuma son rôle dans cette aventure et le comment il avait abouti à La Valette, le drame de l’écrasement et l’hospitalisation de Tipio. Le docteur marqua une pause après la fin de l’histoire. Il semblait perdu dans ses pensées, aux prises avec des décisions difficiles. Finalement, se redressant dans son fauteuil, il lui posa une question.

— J’ai appris, hier, les avatars de votre tonitruante arrivée. Il s’agit d’une affaire grave, dangereuse et pleine de risques. Êtes-vous décidé à y participer et à agir pour qu’elle trouve enfin son dénouement, monsieur Ortega ?

— Le journaliste que j’ai affecté à cette enquête, après avoir failli être assassiné, a maintenant disparu je ne sais où. Je n’en ai plus de nouvelles depuis plusieurs jours. À présent, on a essayé de me tuer, moi et mes collaborateurs. Croyez bien que je suis totalement décidé à aller jusqu’au bout et que je ne suis pas homme à abandonner, peu importe les risques.

— Alors, sachez que mon amie, madame Verbelder, m’a informé de ce qui se trame dans le désert d’Al Buhayrak. Elle est venue me rencontrer, il y a à peine trois jours, pour me raconter ce que vous venez de me révéler. Actuellement, elle s’apprête à prendre la route pour Dernah accompagnée de mes hommes de confiance, car nous croyons savoir où se trouve le comte Straszy. Elle interviendra selon ce que la situation exigera. Si vous voulez aller l’aider, soyez demain matin au lever du soleil à l’aéroport où vous avez failli perdre la vie.

Ortega sortit de chez le docteur Reiss en marchant vers le port. Il trouva un café convenable pour y prendre un alcool du pays. Il avait bien besoin de réfléchir à la suite des choses. Il avait compris que, demain, il devait reprendre l’aéroplane, pour

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Chapitre 22 – Le docteur Reiss intervient

Dieu sait où. Tipio ne pouvait plus l’accompagner, mais il exigerait sûrement que Luciano le suive dans cette nouvelle aventure hasardeuse. Seul aspect positif, Reiss savait où se trouvait Straszy et il avait déjà des sbires qui le traquaient. Le docteur disposait donc de beaucoup de moyens. Il devait faire partie d’une organisation puissante, capable de mettre un terme à cette affaire.

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Chapitre 23

Au Museum du Caire

ohn rejoignit Messy près du fameux Musée national d’archéologie égyptienne. L’imposante stature de l’archéologue seule lui permit de la reconnaître

aussitôt. Vêtue d’une combinaison militaire et d’un chapeau colonial, elle tenait une longue canne de rotin. Après les salu-tations d’usage, à la surprise de John qui croyait à une visite dans le musée, elle l’invita plutôt à monter dans sa Rover.

J

Après quelques minutes, par des petites rues derrière le grand bâtiment où se trouvaient des entrepôts clôturés, ils entrè-rent dans une cour clôturée où s’alignait une suite de hangars vétustes.

Là, on s’arrêta au portail d’un vieux bâtiment de briques. Après avoir déverrouillé une porte d’acier, elle l’ouvra dans un grincement insupportable en l’invitant à entrer. Elle l’amena dans un des coins, ouvrit les lumières et, alors, un capharnaüm de pierres de toutes tailles apparut. Un grand nombre de ces pierres étaient alignées sur des tablettes de bois ou des tables. Mais elle lui fit voir un immense panneau constitué de fragments, le tout montrant diverses scènes et des textes hiéroglyphiques explicatifs. John était ébahi, comprenant tout de suite qu’il s’agissait d’une fresque importante de la XVIIIe dynastie qui apportait un nouvel éclairage sur cette période peu connue.

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Le mystère du Cracovia

Devant ce magnifique panneau sculpté avec soin et délica-tement colorié, la vieille archéologue était transfigurée. D’une voix sourde et intime, elle entreprit la narration de l’histoire que racontait la pierre. Elle commença par expliquer que ce panneau provenait de la tombe de Kherouef située à Al-Assasif, une petite vallée à l’ouest de Thèbes. Il était le scribe royal et l’inten-dant d’Amenhoteph II. Cela concernait la vie d’Osinis, frère du puissant Amenhoteph II qui régna entre 1427 à 1401 avant Jésus Christ. Osinis était grand prêtre à cette époque et considéré comme le détenteur du savoir de toutes choses. Son influence était prépondérante sur toutes les décisions concernant la maison du pharaon.

L’archéologue expliqua que l’empire à cette époque devait combattre les Nubiens dans la basse Égypte. Le valeureux roi remporta nombre de combats, mais il perdit son fils aîné. Le second de la lignée mourut de maladie. Puis le roi, devenu vieux et sénile, fit appel à son frère pour repousser les assauts des Libyens qui menaçaient cette fois la haute Égypte à l’ouest de son royaume. Osinis vainquit ces redoutables guerriers au-delà de Dernah et y installa sa retraite religieuse. À la mort de son frère, son jeune fils Toutmosis IV devint pharaon avec la régence d’Osinis. Mais ce dernier décéda vers l’âge de 30 ans. Ce fut son très jeune fils, Moutemoura, qui prit le nom Amen-hoteph III pour monter sur le trône de ses ancêtres.

Pendant cette période, Osinis continua d’assumer la régence de l’empire jusqu’à sa majorité. Une fois que ce dernier fut capable d’endosser ses fonctions royales, Osinis se retira à Dernah pour se consacrer à ses recherches et y finir sa vie. Pen-dant tout ce temps, il conduisit et entretint de nombreux disciples dans l’apprentissage de la sagesse et l’acquisition des connais-sances humaines dans tous les domaines. Cela lui permit d’accéder à la compréhension intime de l’âme et de l’immortalité du corps. De fait, la stèle le montre dans la gloire infinie de la vie.

Après ce bref exposé, Messy déclara à John qu’elle avait découvert le tombeau d’Osinis près de Dernah, et elle avait entrepris son étude avec l’aide de la princesse Lobilia et de sa famille. Elle lui précisa que le grand prêtre avait fait des décou-vertes mystérieuses qui lui avaient assuré une très longue vie. Lobilia s’était alors passionnée pour ces secrets et avait dirigé

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Chapitre 23 – Au Museum du Caire

ses études universitaires dans les spécialités inhérentes à la conservation de la vie sous toutes ses formes.

Ils sortirent en silence à l’extérieur où la lumière brutale du soleil à son zénith les aveugla un long moment. John remarqua qu’ils n’étaient plus seuls. Deux autres véhicules stationnaient avec une dizaine d’hommes vêtus de treillis et de djellabas. L’un d’eux, dénommé Hamed, à la stature puissante, accueillit Messy de façon familière. Il s’entretint avec elle dans une discus-sion animée. Elle retourna auprès de John et lui expliqua :

— Monsieur Gardner, j’ai une proposition à vous faire. Actuellement, j’ai la certitude que la princesse Lobilia se trouve à Dernah et probablement prisonnière du comte Straszy. J’ai obtenu l’aide du docteur Reiss pour organiser un raid afin de secourir Lobilia et cela ne peut plus attendre. Elle m’a confié son attachement à votre endroit et c’est pour vous révéler ses difficultés qu’elle vous avait donné rendez-vous à Malaga. Mais il semble que des événements imprévus aient ruiné ses plans. Nous partons pour Dernah dès le coucher du soleil, accepteriez-vous de m’accompagner en sachant que ce sera probablement dangereux ?

— Chère dame, rien ne me ferait plus plaisir et, même si je ne suis qu’un scientifique, je pourrais peut-être vous être utile. Mais de toute façon, comprenez surtout que mes sentiments pour Lobilia m’y obligent.

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Chapitre 24

On découvre le Cracovia

enaldo et son compagnon se remirent rapidement de leurs déboires avec les pirates du cargo libyen. Après s’être reposés tout l’après-midi, ils soupè-

rent avec le capitaine et le lieutenant Stockwell. Entre temps, l’amirauté, informée des derniers événements, maintint l’ordre de poursuivre la recherche du Cracovia. Conséquemment, le capi-taine demanda à Renaldo quels étaient ses plans.

R— Je me suis concerté avec mon ami Rico et il est

décidé à m’accompagner dans cette aventure. Je crois qu’il faut reprendre le plus tôt possible les recherches.

— Capitaine, intervint le lieutenant Stockwell, je propose que vous me confiiez une embarcation légère avec deux solides marins et, avec l’aide de ces deux-là, j’irai reconnaître les petites baies autour de Bamba, là où elles sont profondes et bien abritées.

— Auparavant, je crois, lieutenant, qu’il faut suivre le conseil de mon ami Rico et aller faire un tour au petit port de pêche de Bamba. Ces gens connaissent bien ces parages et pourront certainement nous désigner les endroits où un sloop de cette taille aurait pu se cacher.

Le capitaine conclut :

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Le mystère du Cracovia

— Tout cela est parfait messieurs. Terminons ce repas avant d’aller faire vos préparatifs pour gagner Bamba demain matin, avant l’aube, et questionner ces pêcheurs. Ainsi, on pourra peut-être en apprendre plus sur les dernières fréquentations marines de cette côte.

Le Neptune fit route sur Bamba pendant la nuit. Vers les trois heures du matin, la petite troupe embarqua dans le canot motorisé et le Neptune poursuivit sa route pour aller se positionner au large du secteur des recherches, à un endroit convenu. Il faisait un froid de canard et la mer agitée rendait les manœuvres périlleuses. Arrivé sur la plage du port, le canot fut affalé sur le sable et laissé à la garde de deux marins. Rico, qui avait jadis pêché avec ces gens rudes quelque peu acariâtres, et surtout très méfiants, proposa de le laisser les approcher. Il connaissait bien leur langage et la façon de leur parler. Tran-quillement, les pêcheurs arrivèrent sur la plage pour préparer leurs engins de pêche. Tour à tour, Rico les interpella. Stockwell et Renaldo demeurèrent un peu à l’écart.

Mais, bien que quelques-uns leur indiquent vaguement des endroits possibles, rien n’était précis. Les pêcheurs n’aimaient pas ce genre de questions et ils éludaient les réponses. Après un moment, découragés, les trois compères allèrent se concerter près d’un grand canot gisant sur le flanc. Absorbés par leurs délibérations, ils ne remarquèrent pas l’arrivée silencieuse d’un petit homme grassouillet qui s’arrêta près d’eux. Rico, le premier, le remarqua et interrompit les discussions. Il laissa lentement le groupe pour rejoindre cet homme qui n’était pas habillé pour aller en mer. Rico, avec beaucoup de respect, le salua avec les formules de politesse usuelles dans ce pays.

— N’es-tu pas le neveu d’Ibrahim de Nascas ? demanda le vieil homme.

— Je suis celui-là et je t’assure qu’il se porte bien et qu’il te salue.

— Pourquoi poses-tu des questions sur ce voilier ? — J’aide les Anglais qui veulent retrouver son propriétaire

parce qu’il a enfreint les lois de leur pays. Il est soupçonné d’entretenir des affaires illégales dans la région. J’estime qu’il faut les aider et se débarrasser de ces pirates afin de garder la

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Chapitre 24 – On découvre le Cracovia

paix sur nos côtes. Il n’est jamais bon que les autorités viennent mettre leur nez dans nos activités.

Cet homme devait être le chef du village, celui qui peut décider de ce qu’il est bon de faire dans l’intérêt de la petite communauté. Après un temps de réflexion, il répondit à Rico :

— Je te crois sincère et je veux que la paix soit pré-servée dans mon village. Tu trouveras ce bateau à la crique d’Alcashair dans la baie où se jette le Dernah. Il faut prendre l’étroit passage tout à l’est, au redan de l’entrée de la baie. Qu’Allah te protège toi et ta famille.

Le bonhomme tourna immédiatement les talons et disparut vers le village. Cette information inespérée redonna l’énergie au trio qui, aussitôt, reprit la mer en consultant les cartes pour situer l’endroit. Au sortir de la baie, les vents s’étaient levés avec un soleil barbouillé. On s’appliqua à pointer sur un cap escarpé au sud-est de Bamba. La longue houle d’un mètre malmenait le petit canot qui peinait à avancer avec ses cinq occupants. Ce n’est que vers midi que l’on put doubler cette pointe de roches comme la proue d’un grand navire. Au-delà, le littoral s’étirait en une suite de falaises crantées. Puis enfin, les argonautes atteignirent un estuaire enserré entre des murs de basalte noir. Son accès était couronné de récifs, parsemé d’épines rocheuses. Y entrer semblait si périlleux que Stockwell, qui pilotait, fit demi-tour à chaque tentative. Rico qui se tenait tout près de lui cria pour se faire entendre. Il lui désigna une direction à prendre en montrant le flan du côté est. On se dirigea vers cette façade haute d’au moins trente mètres qui plongeait abruptement dans l’eau.

Effectivement, une portion de mer entre ce plan de roc et des crocs blanchis d’écumes semblait offrir un couloir d’eau profonde assez large pour passer. Mais le ressac était si puissant qu’il n’était pas acquis que l’on puisse le franchir. Stockwell donna l’ordre aux marins de prendre les rames pour souquer afin de sortir de la zone des rouleaux. Puis, au-delà de cet obstacle, il prit la direction du portique liquide à la vitesse maximum qu’il pouvait tirer du moteur. Rico était affalé sur la pointe en tenant le câble d’amarrage du canot. Il surveillait l’apparition possible d’écueil immergé tout en alourdissant le nez de l’embarcation pour qu’il pénètre mieux dans les vagues.

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Le mystère du Cracovia

Soudain, au jusant surgit droit devant un croc rocheux qui aspira brusquement le bateau. Heureusement, un immense rouleau d’eau verte fit rempart et l’embarcation pivota, évitant de justesse la catastrophe. Mais le choc avec la vague fut si violent que Rico, s’arrachant de l’avant, fut projeté dans l’eau. Renaldo, juste derrière, eut le réflexe d’attraper le filin auquel il était encore agrippé.

La suite fut plus calme. Enfin entré dans le bassin de la baie en gardant Rico à la remorque, on put le sortir de l’eau. Épuisé et transi, le moussaillon affichait un large sourire tout comme les autres membres heureux d’avoir échappé au naufrage. Maintenant, le canot filait vers le fond du bassin sur un plan d’eau plus calme. Au bout, on apercevait une plage de beau sable. Mais Stockwell dévia de sa trajectoire pour s’orienter vers la gauche. Apparut alors une anse étroite aux berges parse-mées de pins rabougris et de gros cactus. Le bateau s’y engagea et, au détour d’un coude, on découvrit un splendide voilier : c’était la cachette du Cracovia.

Aussitôt, Stockwell éteignit le moteur et exigea le silence. Toutes les voiles carguées et les œuvres vives toilées, le Cracovia se balançait doucement sur ses ancres en plein milieu du lac cerclé de hautes falaises. Personne ne se manifesta et le bateau semblait déserté. Renaldo montra du doigt une plateforme de bois amarrée au bord de la rive. À l’aide des rames, on alla se ranger au quai. De là montait un escalier de pierres éparses menant plus haut à une corniche, comme un belvédère. Un rapide coup d’œil sur le lieu permit de repérer l’entrée d’une grotte. Il était clair qu’il s’agissait du seul autre accès à cet espace. Comme la journée s’achevait et qu’on était fatigué, on décida de remettre à demain l’exploration de ce passage.

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Chapitre 25

Voyage en Ballon

uant au petit matin, Ortega, accompagné de Brutus et de Lisa, arrivèrent dans la partie privée de l’aérodrome de La Valette, le docteur Reiss

s’affairait sur un engin tout droit sorti du siècle passé, un aérostat. À deux cigares jumelés de trente mètres de long pendait une nacelle comme une barque à ses voiles. En guise de rames de chaque côté, un gros moteur était arrimé à des poutres légères tendues entre les ballons et la nacelle.

Q

Le docteur les accueillit avec entrain. Celui qui avait hier l’image d’un vieil homme se présentait maintenant comme un jeune homme tout émoustillé, vêtu d’une tenue pour un safari avec verres fumés et chapeau des Boers. Il salua les arrivants et leur présenta son aéronef comme s’il s’agissait d’une voiture de course, détaillant chaque partie, énumérant ses caractéristiques et ses performances. La nef, construite en bois, était toilée et faisait pas moins d’une dizaine de mètres de longueur. Son aménagement sobre, mais confortable pouvait accueillir de quatre à six personnes en plus des réservoirs d’essence, d’eau et du lest pour les manœuvres. Le docteur présenta ses deux assistants, deux jeunes Maltais sveltes et agiles qui semblaient connaître l’appareil dans ses moindres détails. Puis il expliqua à Ortega;

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Le mystère du Cracovia

— Cher ami, ne soyez pas aussi dubitatif sur les qualités navigantes de mon oiseau. Il nous permettra de rallier la côte égyptienne en quelques heures si les vents nous sont favorables. De là, nous pourrons facilement explorer avec aisance tout son relief afin de trouver ce que nous cherchons.

— Mais, comment, diable, avez-vous eu cet aérostat et cette idée d’utiliser un tel véhicule ?

— Je suis membre du Club des voltigeurs de Malte depuis longtemps. Et quel meilleur outil pour observer du ciel tout ce qui se cache au ras du sol ! Sans se presser, on survole en planant silencieusement, et cela sans bouger de son salon dont le plancher est un tapis de verdure, de sable, de roches avec ici et là les constructions de ces fourmis que sont les hommes.

— Nous serons, un peu, comme le fameux docteur Fergusson de la Royal Society de Londres qui explora une grande partie de l’Afrique à la fin du siècle passé avec son ballon, le Victoria.

— Eh bien, docteur ! Vous m’avez un peu convaincu, mais je reste tout de même un peu sceptique sur nos chances d’arriver à traverser sur le continent africain avec cet engin. Mais comme vous êtes sûr de réussir, alors il me tarde que l’on s’envole puisque le soleil brille et l’air est léger. Je souhaite que, sur ces bons augures, nous vivions une aventure des plus intéressantes.

Quelques minutes plus tard, les amarres furent larguées et les deux ballons gonflés à l’hélium emportèrent la petite troupe dans le ciel. En prenant de l’altitude, il devint nécessaire de se vêtir plus chaudement même si les stores de lattes des fenêtres furent abaissés. Rapidement, on laissa l’île de Malte derrière pour courir vers un horizon d’eau que la houle moutonnait.

Dans le compartiment central, autour d’une table, les quatre passagers déjeunèrent en conversant de cette mystérieuse affaire du Cracovia et, surtout, du comte Staszy. À l’avant, Charim était au poste de pilotage tandis qu’à l’arrière Bhari surveillait les manœuvres. Ortega se sentait plein d’entrain, amusé par cette balade originale qu’il pourrait raconter dans son journal. Attablé, en train de déguster un excellent lunch accompagné d’un bon vin italien, et cela, à plus de 1000 mètres du sol, il vivait une expérience fantasmagorique.

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Chapitre 25 – Voyage en Ballon

Le docteur Reiss donna à Ortega des précisions sur la navigation du ballon. Au départ de Malte, on avait pris la direction sud-est droit vers le plateau libyen au-delà de Bengashi, afin d’atteindre les steppes du littoral des côtes égyptiennes. On devait donc survoler la mer sur plus de 500 kilomètres. Le docteur estimait la vitesse moyenne de l’aéronef à un peu plus de 100 km/h. Conséquemment, il prévoyait mettre environ six bonnes heures pour atteindre les parages de la ville d’Erythron, là où commenceraient leurs recherches. Mais encore fallait-il que les alizés leur soient favorables et que les moteurs ne fassent pas de caprice.

Une fois le repas terminé, les deux hommes restèrent seuls pour siroter un bon cognac, tout en admirant le tapis bleu rayé des motifs blancs que l’écume des vagues agrémentait. Le docteur entreprit de faire connaître à Ortega qui était cette dame Verbelder et son rôle dans cette aventure. Puis, il en vint à mieux se présenter en précisant qu’il collaborait à l’occasion avec les services secrets de Sa Majesté britannique à Malte. C’est ainsi qu’il avait reçu dernièrement la mission de surveiller les curieux agissements du comte Straszy et de sa collaboratrice, la princesse Lobilia. Puis, ce fut au tour d’Ortega de faire connaître au docteur la mission qu’il s’était donné envers le comte. Il lui expliqua comment il était décidé à contrer les agissements frauduleux de cet aristocrate avec son holding Europia.

— J’ai toujours eu la conviction que Straszy avait éliminé son épouse pour obtenir le pouvoir complet sur Europia. Cette dernière protégeait son fils et n’aurait jamais permis qu’il soit évincé de l’administration et surtout de la direction du holding. Les projets de Straszy n’étaient pas ceux de Darius.

— Mais de là à supprimer cette femme et risquer la corde pour contrôler seul une entreprise, c’est du fanatisme. Il devait y avoir des motifs plus impératifs, plus personnels ?

— Éleonor était une femme bien qui acceptait de moins en moins les perfidies de son mari. Elle imposait le respect et la confiance aux investisseurs. Sa forte personnalité et son sens de l’honneur savaient les rassurer. Cependant, Straszy connaissait la force de son honnêteté et il savait qu’elle aurait été capable de le dénoncer s’il tentait de se lancer dans un nouveau forfait.

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Le mystère du Cracovia

Alors, il a décidé d’effacer la mémoire de tous ses crimes passés en la supprimant.

— Mais alors, monsieur Ortega, vous supposez qu’il était en train de préparer un mauvais coup, une nouvelle combine, n’est-ce pas là une raison supplémentaire pour éliminer celle qui était son cerbère ?

— C’est une certitude, et je suis persuadé que celle-là est de taille mondiale. Mais j’en ignore autant la mécanique que l’objectif.

Pendant ce temps, dans leur petit coin près du pilote, Lisa et Brutus s’entretenaient de choses, disons moins angoissantes et plus intimes. Ils se racontaient, comme si l’invraisemblance de leur aventure, la gravité des événements vécus et à venir permet-taient une certaine urgence à un rapprochement tendrement humain. Luciano, ce froid desperado, n’avait-il pas déjà com-promis des sentiments de cœur inusuels pour une personne qu’il venait de sauver ? Et Lisa ? N’avait-elle pas contracté une dette personnelle l’obligeant à mieux connaître son créancier ?

Ainsi les heures passaient tandis que dérivait ce fragile ballon dans un ciel où de plus en plus de nuages gris s’amon-celaient.

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Chapitre 26

La nuit de John au Relais

epuis plusieurs heures en file indienne, les trois camions tout terrain roulaient à vive allure sur la route en direction de Dernha. Ce n’était guère

plus qu’une piste poussiéreuse, mais droite et plane, sur laquelle les véhicules gardaient une certaine distance entre eux afin de conserver une visibilité minimum. Madame Verbelder et John étaient dans le camion du centre. Même les fenêtres fermées, la poussière pénétrait dans l’habitacle surchauffé. Les passagers étaient en sueur quand soudain un appel radio retentit venant du camion de tête. Il annonçait un arrêt pour permettre de rafraîchir les cabines et de prendre un peu de repos. On sortit en laissant les portières grandes ouvertes pour ventiler l’intérieur des camions. Sur ce plateau aride où ne poussent çà et là que des buissons rachitiques, il n’y avait rien ni personne. Au loin, une frange sombre de collines escarpées se dessinait. Le soleil allait bientôt disparaître derrière elles dans un ciel qui s’obscurcissait en bleu gris.

D

Les conducteurs dégageaient les pare-brise et les grilles de ventilation où le sable fin s’était accumulé. Messy expliqua à John qu’ils devaient atteindre ces montagnes avant le soir afin d’y installer un camp pour la nuit. On n’arriverait sur le site de Dernah que le lendemain par des défilés et des cols

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Le mystère du Cracovia

assez abrupts. C’était une route qu’elle connaissait bien, l’ayant fréquemment empruntée dans les cinq années pendant lesquelles son défunt mari et elle avaient travaillé au déblaiement et à la découverte du tombeau du Pharaon Osinis.

Hamed, le chef de l’expédition, les rejoignit. S’adressant à madame Verbelder :

— Madame, il nous faut reprendre immédiatement la route, car je crains fort qu’un simoun se prépare.

— Sera-t-il possible d’atteindre l’abri de l’entrée des défilés avant qu’il arrive ? demanda-t-elle à Hamed.

— Je l’espère, madame, sinon nous serons coincés en plein désert avec le risque de passer la nuit dans les véhicules et sans aucune protection naturelle.

— Alors vite Hamed ! Repartons sans tarder, car le péril est sérieux.

Immédiatement, les camions reprirent la route avec célé-rité. Mais déjà, des rafales charriant le sable et la végétation morte couraient sur cette plaine ocre. On força l’allure au point de risquer de sortir de la piste et de s’enliser. Les passagers étaient secoués comme des salades. Puis, à moins d’une heure de ce rythme d’enfer, il fallut ralentir progressivement. Le vent et les accumulations de sable freinaient les camions qui durent subite-ment stopper. Dehors, on ne voyait guère à plus de quelques dizaines de mètres. Hamed cogna à la portière de John qui baissa la glace. Il s’adressa à madame Velbelder…

— On n’arrive plus à tenir la route qui disparaît sous la couverture de plusieurs centimètres de poussière que charrie le vent. J’ai peur qu’il nous faille préparer ici le camp de la meilleure façon possible, car nous n’atteindrons jamais les collines.

— Mais Hamed, ici au beau milieu de la steppe ? Ça risque d’être notre mort ! Au plus fort le simoun va nous enterrer vivants, répondit la dame.

— Je ne vois pas ce que l’on peut faire d’autre. Dans moins d’une heure, on ne pourra plus rien voir ni respirer. Il faut se préparer maintenant alors que c’est encore possible.

— Mais j’y pense Hamed, il y a près d’ici un relais pour les camions et ses abris en briques nous fourniront des refuges salutaires. Allons Hamed ! Misons le tout pour le tout

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Chapitre 26 – La nuit de John au Relais

et continuons. Orientez les puissants phares des toits du côté droit de la route, on finira bien par trouver ce refuge, proposa Messy.

— Bien, madame, souhaitons que vous ayez raison et qu’Allah nous protège, lui lança-t-il en retournant rapidement dans son véhicule.

La caravane se remit en route tous les phares scrutant le bas-côté droit. On roula à peine quelques kilomètres lorsque apparut subitement une pancarte annonçant le fameux relais. Il était temps, car les rafales devenaient si fortes que les véhicules peinaient à avancer et menaçaient d’être renversés par les bourrasques. La halte était constituée principalement d’un grand bâtiment en grosses briques avec un toit charpenté de pièces de bois à peine équarries, bâti dans une cour ceinturée d’un haut mur de pierres pour le défendre.

Rapidement, on déchargea les bagages pour le coucher, et les camions furent rangés le long des murs et recouverts de bâches. À ce moment-là, les rafales avaient atteint une intensité impressionnante dépassant les 100 kilomètres à l’heure. Il était miraculeux que l’on ait pu trouver ce refuge, car on aurait certainement péri ensablés sur la route.

À l’intérieur, on s’affairait à préparer le repas sur un petit poêle à l’alcool et les couchers pour la nuit. Une symphonie de sifflements aigus accompagnée par les battements sourds des volets et le crissement de la structure du toit obligeaient les occupants à hausser le ton pour se parler. Le souper constitué de cassoulet en boîte et de galettes fut pris dans le verbiage et les rires des compagnons de Messy qui leur donna allègrement la réplique. John, dont la connaissance de l’arabe était médiocre, ne comprenait qu’à moitié ces échanges rapides dans cette atmosphère remplie de bruits et de poussière qui pénétrait de partout. Épuisés, les hommes allèrent se coucher tandis que John et sa compagne s’assirent sur des sièges de fortune près d’une cheminée pour prendre le café soutenu par un verre de scotch.

La tempête semblait se calmer quelque peu, mais l’air s’était refroidi et la femme avait revêtu un manteau chaud. Quant à John, il s’était enroulé dans une couverture après avoir réussi à allumer un maigre feu de branches dans l’âtre. Il entama

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Le mystère du Cracovia

la conversation en demandant comment elle avait découvert ce tombeau dans cette région si peu explorée par les savants.

— C’est mon mari Albert qui l’a découvert. Il avait travaillé à Thèbes sur une tombe contenant la momie du Vizir Kherouef dont vous avez admiré un des bas-reliefs tantôt au Caire. Il était sur un des murs de l’antichambre. Il révélait qu’il avait été disciple d’Abhenath, nom religieux du frère d’Amenhoteph II, et qu’il avait régné sous le nom d’Osinis. Sur un des autres panneaux demeurés dans la tombe, il est fait mention d’une cité religieuse appelée Birah, fondée par Abhenath.

— Mais on n’a jamais établi qu’il y ait vraiment eu un pharaon entre Amenhoteph II et le troisième ?

— En fait, à la mort d’Amenhoteph, le fils aîné avait été tué en tentant de repousser les Libyens à l’ouest. Le suivant de ses fils mourut d’une maladie inconnue, et c’est ainsi que le troisième fut destiné à devenir pharaon alors qu’il n’était âgé que de cinq ans. C’était un enfant malade et peu apte à gou-verner. C’est alors son frère Abhenath, grand prêtre du royaume, qui assura la régence de celui-ci et qui allait devenir Amé-nophis IV comme je vous l’ai expliqué. Mais ce fils malingre n’a vécu que 30 ans. Sitamon, son épouse, lui a donné un fils. Mais encore une fois, celui-ci était très jeune. À cette époque, l’Égypte était attaquée de toute part. Son oncle dut encore assurer cette succession. Il se serait alors sacré lui-même pharaon sous le nom d’Osinis, tout en préparant le futur Amenhoteph III à prendre le sceptre des rois.

— Mais comment en est-il venu à s’installer dans cette vallée si loin de Thèbes ?

— Abhenath n’avait jamais prétendu au trône et il ne s’intéressait ni à la politique ni à la guerre. Il était un érudit qui consacra toute sa vie à la recherche philosophique et scientifique. Ce sont les circonstances qui l’obligèrent à prendre les destinées de l’empire. Il se montra un excellent administrateur et un redou-table général des armées de son pays. Il remporta la guerre contre les Nubiens au Sud pour combattre avec autant de succès les Libyens au nord-ouest. C’est au cours d’une de ses campagnes qu’il découvrit dans la région de Maturba une magnifique vallée près de la mer, entre Dernah et la baie de Bamba.

— Et c’est là qu’il fonda une nouvelle capitale ?

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Chapitre 26 – La nuit de John au Relais

— Non, ce n’est qu’après avoir restauré la paix et la prospérité du royaume qu’il abdiqua en faveur de son neveu devenu majeur. Il l’avait élevé comme son fils, lui enseignant la sagesse et toutes les qualités requises pour devenir le grand pharaon qu’il est devenu. Après, Osinis disparut entièrement de la vie du royaume. Il prit la route vers cette vallée qu’il avait admirée pour s’y installer avec ses disciples et fonder ce qui n’a guère été qu’une petite cité d’érudits qu’on dénomma Birah. Là, il n’y avait que des huttes et maisons en briques du pays. Aucun temple, aucun palais ou autre monument n’y ont été construits et cette cité n’aurait pu survivre plus que quelques décennies.

— Mais alors, où est-il mort et enseveli si ce ne fut qu’une obscure bourgade en marge du royaume ?

— Birah se situe dans une petite vallée peu large, comme un corridor, et encadrée sur toute sa longueur par des falaises abruptes de chaque côté. Osinis décida d’y mourir et pour cela, il y fit construire sa dernière demeure. Cependant, sa tombe ressemble plus à un palais somptueux qu’à un mausolée. Je n’ai jamais admiré un tombeau de pharaon plus grandiose et magnifique, mais aussi mieux caché. Construite profondément dans la montagne en grès, on y accède par un long couloir. Son portail d’entrée a été obstrué par un éboulement gigantesque de la partie du plan de roc la surplombant afin de sceller pour l’éternité la dernière demeure du pharaon.

— Comment l’avez-vous trouvé ? — Par les cornes de la déesse Hathor, celles de la vache

sacrée qui surplombent l’endroit. Ce sont en fait des colonnes jumelles, excroissances géologiques naturelles en haut du surplomb rocheux.

— Mais encore, il fallait connaître cette spécificité géo-graphique.

— Eh oui ! Et c’est dans la tombe du grand vizir qu’Albert en a eu l’illumination. Il est fait mention que le pharaon repose sous les cornes d’Hathor, son protecteur. Albert chercha d’abord cette vallée mystérieuse et repéra les cornes en discernant cet ornement typique de pierres accrochées à la montagne depuis trois mille ans.

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Le mystère du Cracovia

— Mais dans la chronologie que vous me faites de cette période, Osinis aurait donc vécu très vieux, soit au moins 90 ans, ce qui est absolument inhabituel à cette époque. Comment est-ce possible ?

— Effectivement, c’est assez mystérieux. Lobilia était fascinée par cette longévité. Elle en a cherché l’explication dans les nombreux parchemins qu’Osinis a laissés dans sa bibliothèque et qu’il a fait aménager dans son tombeau. Il faut comprendre qu’il croyait peu à la réincarnation selon les rythmes et croyances égyptiennes. Il cherchait surtout la vie éternelle du corps ou du moins sa durée. C’est dans la science plutôt que dans la religion qu’il choisit de trouver la solution.

— Votre mari était un sacré bon archéologue. Pourquoi n’a-t-il pas fait connaître son immense découverte au monde entier ?

— Ha ça ! C’est une autre histoire que je vous compterai une autre fois. Pour l’immédiat, je suis morte de fatigue et si vous le permettez, je tombe de sommeil et je n’aspire qu’à quelques heures de repos.

— Je vous imite, chère dame, et vous souhaite une bonne nuit.

Aussitôt, on s’endormit profondément malgré le hurlement des vents et les ronflements de leurs compagnons. Le dieu des tempêtes, Seth, continua à manifester ses ires sans déranger les voyageurs pour le reste de la nuit.

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Chapitre 27

Renaldo à l’entrée du tunnel

enaldo et ses amis retournèrent sur le Cracovia pour faire l’examen exhaustif des ponts aux cales. C’était un magnifique sloop avec des

aménagements fonctionnels et de bon goût. Il était évident que l’on n’avait pas abandonné le navire, mais qu’on l’avait quitté pour une longue escale. Tous les gréements étaient bien rangés et protégés, ainsi que les cabines et salles communes. Aucun bagage personnel ni victuaille n’avaient été laissés et aucune trace d’un quelconque accident ou bris occasionné par une navigation difficile. Le Cracovia était en bon ordre de marche et prêt à reprendre la mer. Stockwell rejoignit Renaldo sur la plage de poupe du sloop.

R

— Il me semble évident que cet atterrage était proba-blement la destination du Cracovia.

— Oui, lieutenant, on ne voulait pas que quiconque le sache. Mais pourquoi une baie perdue du littoral de cette région inhabitée et inconnue de la Libye ?

— Parce qu’ici, il y a ce passage que l’on a repéré là-haut dans la montagne et qui, certainement, nous mènera à la vraie raison de ce voyage. Comme cet endroit n’est pas une station balnéaire, j’en déduis alors que c’est un repère secret pour dissimuler des affaires secrètes et donc, pas du tout légales.

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Le mystère du Cracovia

— Alors quel est le programme de la Royal Navy, lieu-tenant ?

— On retourne sur le Neptune pour recevoir les ordres du commandant. On verra pour la suite. Maintenant, dépêchons-nous, car la journée va vite s’achever.

Tout le monde rembarqua dans le canot qui prit la direction du cuirassé. Entre temps, la mer s’était un peu calmée et il fut plus facile d’amarrer à l’échelle de bordage du navire. Aussitôt arrivé sur le pont, le capitaine salua le groupe et invita l’officier et le journaliste au rapport dans la salle des cartes. Ceux-ci firent la narration de ce qu’ils avaient constaté.

— Si je résume, messieurs, le Cracovia n’a jamais été en perdition, il ne faisait que se dissimuler pour venir ici dans des desseins inavouables. Et pour l’heure, ses occupants ont emprunté ce tunnel dans la montagne pour rejoindre une cachette dans ce massif de montagnes escarpées qui bordent le littoral.

— C’est ce que je conclus mon capitaine, reste à savoir dans quel but.

— On se trouve ici dans un protectorat britannique où des activistes essaient de fomenter des troubles pour renverser le gouvernement en place, afin ultimement de le remplacer dans l’objectif de prendre le contrôle exclusif du Canal de Suez. Il est alors possible que le comte Staszy apporte son soutien à cette ignominie, car, ne l’oublions pas, la famille de la princesse Lobilia, sa compagne, est impliquée à un haut niveau dans les affaires politiques de l’Égypte.

— C’est une hypothèse plausible, rétorqua Renaldo, en ajoutant qu’il fallait pour s’en assurer retourner parcourir le tunnel et tenter de retrouver le maître du Cracovia.

Le capitaine mit alors fin à cette conversation. — Eh bien, messieurs ! Je suis d’accord. Conséquemment,

lieutenant Stockwell, veuillez vous préparer à poursuivre cette mission immédiatement.

Il fut planifié d’aller s’installer à l’entrée de la grotte pour y passer la nuit afin que, tôt au matin, l’expédition puisse se mettre en marche pour retrouver le comte Straszy et élucider cette histoire. On prépara rapidement le matériel nécessaire et le lieutenant choisit les meilleurs hommes pour une action de terrain de ce genre. Une heure plus tard, le canot quitta le Neptune

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Chapitre 27 – Renaldo à l'entrée du tunnel

pour se poser sur le petit promontoire devant la grotte, assez tard en cette fin de journée. À leur arrivée, le ciel qui tantôt était limpide devenait de plus en plus sombre. Stockwell décida que l’on installerait le campement à l’intérieur de la grotte, un abri utile contre les vents et la pluie imminente.

Le souper frugal fut vite préparé et servi pour se coucher tôt, car on se mettrait en route au milieu de la nuit. Renaldo fit remarquer au lieutenant la couleur soudainement cuivrée qu’avait prise le ciel. Il devenait évident qu’il y aurait de l’orage cette nuit, et déjà le vent se mit à hurler dans les hauteurs des rochers. Les deux compères décidèrent d’aller un peu reconnaître le boyau qu’ils auraient à franchir. Celui-ci était assez droit et son diamètre diminuait rapidement, pour avoir à peine deux mètres de hauteur. On remarqua qu’il n’était pas naturel, mais qu’il avait été creusé à mains d’hommes. Le travail avait été exécuté avec des outils manuels. Il devait donc être très ancien, au moins de plusieurs siècles.

Plus les deux hommes avançaient, plus ils sentaient la pression de l’air puissante qui allait vers la sortie de la grotte. Puis, l’air devint subitement froid et poussiéreux. C’est alors qu’ils entendirent au loin dans le tunnel un bruit sourd qui s’amplifiait comme si une monstrueuse bête arrivait à toute allure à leur rencontre. En moins d’une minute, la pression du déplacement d’air se fit si puissante qu’ils durent s’accrocher aux aspérités du mur pour ne pas être emportés. Puis ce fut une explosion irrésistible qui les projeta d’un coup vers la sortie comme s’ils s’étaient trouvés dans la bouche d’un canon qui tire. Ils furent expulsés du boyau rudement en quelques secondes pour se retrouver projetés en vol plané au-dessus de la courte terrasse devant l’entrée, et enfin en chute vertigineuse dans la mer au pied de la falaise.

Le sergent Matthiew et ses hommes, judicieusement installés dans une anfractuosité de la paroi intérieure de la grotte, furent abrités du prodigieux coup de vent. Ce dernier avait à peine aperçu les deux projectiles humains survoler la grotte et il comprit l’horreur de ce qui venait d’arriver. Il rassembla ses hommes pour aller à la rescousse des deux infortunés qui devaient être écrabouillés en bas du versant rocheux. En descendant l’escalier escarpé sommairement taillé dans le rocher, Matthiew

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Le mystère du Cracovia

aperçut tout en bas dans la mer deux formes qui s’agitaient. Péniblement, Renaldo et Stockwell, encore assommés de leur chute brutale dans l’eau, nageaient vers le ponton tout près de l’endroit où ce souffle les avait projetés. On arriva juste à temps pour sauver les deux hommes qui se débattaient dans cette mer houleuse que les fortes vagues allaient écraser sur les roches du rivage.

Ramenés sur le quai, ils reprirent leurs esprits et chacun se frictionna le corps pour évaluer s’ils n’avaient rien de brisé. Heureusement, outre quelques contusions, ils n’avaient rien de fracturé. Finalement, cette aventure leur coûtait que des luxures mineures.

Quelle chance ils avaient eue que le coup de pompe de l’air pressurisé dans le couloir par la tempête fut assez fort pour les faire planer jusqu’à la mer. Sinon la chute aurait été contre les rochers de la falaise et non un plongeon de calibre olym-pique. Renaldo estimait que, si l’air avait agi comme dans un piston, c’est que ce boyau devait communiquer dans un espace ouvert comme un entonnoir.

Après être remonté pour se restaurer et s’installer hors de portée de la bouche de la caverne, tout le monde essaya de trouver le sommeil, pour entreprendre très tôt le lendemain la découverte de ce mystérieux passage. Mais il fallait espérer que cette tempête se calme, avant de pouvoir se risquer de nouveau dans ce dangereux boyau.

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Chapitre 28

Le Ballon dans la tempête

ans la coursive de la nef, on avait installé une table pour le repas du soir des passagers. Le pilote et le mécanicien prendraient leur repas à

leur poste, car on approchait du littoral de Bamba. Dans la journée, on avait parcouru sans encombre les 300 kilomètres entre Malte et la côte de Benghazi et enfin les cent autres jusqu’à Derna. Lisa et Brutus s’occupaient du service lorsque Ortega ne put résister à échapper cette boutade;

D

— Dites, mon cher Docteur, voyez comme ces deux-là s’entendent bien. On les avait presque oubliés.

— Vous avez là des cerbères aussi discrets qu’efficaces, mais mon équipage l’est tout autant. Nous avons parcouru tous ces kilomètres sans aucun ennui pour aboutir exactement sur notre objectif.

— Certainement, docteur, mais empressons-nous d’expé-dier ce goûter afin de nous mettre à l’observation des moindres recoins pour retrouver le Cracovia avant la nuit.

— Oui, mais il ne faut pas trop compter sur une telle chance ! Reconnaître la côte serait déjà très bien et surtout trouver pour la nuit un endroit sécuritaire pour amarrer notre précieux ballon.

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Le mystère du Cracovia

On a eu tôt fait d’avaler le souper pour se mettre en batterie d’observation avec jumelles et lunettes afin de scruter la côte à l’ouest du petit port de pêcheurs de Bamba. Le temps passa sans que l’on remarque rien d’inhabituel. L’aérostat avait considérablement réduit son altitude lorsque le pilote signala cette large bande de nuages plombés venant de la terre. Le docteur Reiss fronça les sourcils devant cette perspective qu’il connaissait bien, tandis qu’Ortega à ses côtés lui demanda si c’était grave.

— On ne peut que redouter ce genre de formation qu’on ne retrouve que dans ces régions désertiques. Il s’agit d’un ouragan puissant et soudain qui se déplace rapidement. Il nous faut trouver, au plus vite, un abri dans ces échancrures de la côte.

Ce faisant, il prit une carte et alla rejoindre le pilote à l’avant pour un conciliabule d’urgence.

— Sommes-nous exactement à cet endroit ? — Oui, patron, droit devant à environ 15 minutes de

ces plages. — Ne penses-tu pas qu’il serait préférable de chercher

un refuge dans le fond de cette baie juste à côté, un peu plus à l’ouest de ce rivage ?

— Je le crois patron, le plus près des hautes falaises face à l’ouverture de la baie. Mais aurons-nous le temps de nous y rendre ?

— Il le faudra bien ! Prends immédiatement ce cap et à basse altitude…, il nous faut ramper sur la mer et rester en dessous des vents violents.

Il manœuvra avec l’aide du mécanicien afin d’amener l’aérostat le plus bas possible au ras des flots. Puis, des ordres furent donnés pour préparer l’engin à aborder le sol et pouvoir l’assujettir solidement en le câblant aux roches du rivage. On poussa les moteurs au maximum de leur puissance pour se diriger vers une éminence qui défendait l’entrée de la baie. L’intention du docteur était de contourner ce haut promontoire pour mener droit au fond de la baie et y trouver un endroit propice à l’amarrage du ballon.

On venait de terminer le rangement de tous les objets de la nacelle dans des bacs que l’on attacha aux taquets prévus pour les assujettir solidement. Brutus et Lisa se tenaient derrière

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Chapitre 28 – La Ballon dans la tempête

le pilote qui s’escrimait à maintenir sa trajectoire malgré les rafales de plus en plus violentes. Par instant, ils voyaient la crête des vagues passer à quelques mètres sous la nacelle. C’était un spectacle étourdissant qu’agrémentaient les sifflements aigus du vent dans les drisses et qui leur faisait comprendre qu’ils vivaient le danger d’un désastre imminent.

Soudain, la nacelle se mit à faire des oscillations de plus en plus prononcées, se cabrant dangereusement vers la mer. Aussitôt, le docteur en chercha la cause et découvrit qu’un câble latéral du ballon tribord s’était rompu pour s’enrouler autour du treillis central qui retenait la nef. On approchait rapidement des bords rocheux du cap qui n’étaient plus qu’à quelques centaines de mètres. On allait tout droit à la catastrophe si l’on ne dégageait pas ce cordage.

Brutus, ayant compris la situation, bondit dans l’échelle de corde que formait ce panier sustentateur. Puis lentement, il l’escalada au risque d’être projeté à la mer à chaque embardée que faisait la nacelle. Il réussit enfin à atteindre l’épissure qui étranglait le treillis. Le pilote voyait venir à toute vitesse le mur de pierre qu’il ne pourrait éviter. Les autres s’accroupirent au fond de l’habitacle en s’accrochant à ce qu’ils pouvaient, sauf Lisa qui se tenait dangereusement renversée à la base du treillis pour mieux voir ce qu’il advenait de son ami. Ce dernier avait sorti un couteau et tentait maintenant de sectionner ce gros câble de chanvre.

Ce n’est qu’à quelques mètres de l’impact fatal que Brutus réussit à couper le cordage et libérer le treillis de son étranglement. Aussitôt la nef rétablie, sa position horizontale permit de nouveau au pilote de diriger l’aérostat et d’échapper de justesse à sa collision avec la paroi de pierre. Ce fut avec des hourras étouffés par les voix puissantes du vent que les passagers reprirent leur contenance. Mais ce répit fut de courte durée.

Le ballon rasa de peu les façades de roc du cap pour poursuivre à pleine allure vers le fond de cette petite baie. C’est alors que la surprise fut tout aussi totale qu’inusitée : tant Ortega que le docteur Reiss restèrent sidérés devant l’apparition de ce nouvel obstacle qui se dressait sur leur route.

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Chapitre 29

Le Ballon percute le Neptune

ur le Neptune, le capitaine faisait les cent pas sur la coursive de tribord. L’inquiétude se lisait sur son visage buriné de vieux marin. Les

nuages gris venant de la terre avaient viré au rouge sombre. Il avait ancré son navire sur le retour du cap, à l’entrée de la baie, pour s’abriter de la longue houle qui montait du grand large. La nuit promettait d’être agitée. Au bout de la passerelle, deux officiers scrutaient le même ciel lorsqu’ils poussèrent des cris en pointant l’extrémité du cap.

S

Le capitaine regarda dans cette direction avant de lâcher un « my God » ahuri. Prestement, il rejoignit à l’avant ses officiers en leur criant : mais qu’est-ce que c’est que cette machine ?

Un aérostat à doubles ballons fonçait à toute allure directement sur le bateau. On devinait qu’il était hors de con-trôle et qu’il essayait de monter pour éviter la collision qui semblait inévitable. Au dernier moment, il réussit à prendre un peu d’altitude, passant au-dessus du poste de pilotage. Malheu-reusement, il ne put éviter le haut tripode de tir du bateau dans lequel les supports en treillis de cordes s’accrochèrent. Sous le choc, le cuirassé, tout entier, s’inclina dangereusement sur bâbord tirant sur ses ancres qui dérapèrent. Ainsi le navire, dans cette position problématique, se mit à dériver lentement vers la berge

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Le mystère du Cracovia

rocailleuse pour un échouage désastreux. Heureusement, les câbles, un à un, se rompirent, laissant le ballon s’affaler le long de la structure du mât, permettant le rétablissement de l’assiette normale du navire et son ancrage.

Le capitaine Ridgeway, qui avait failli passer par-dessus bord, détaillait maintenant avec incrédulité cette baudruche qui pendouillait à la tour du poste de tir de son vénérable Neptune, fierté de la Home Fleet de l’Empire britannique. Des ordres fusèrent de partout, et des marins escaladèrent le tripode pour accéder à la nacelle qui était miraculeusement demeurée en une seule pièce. Après une bonne heure de travail sous des vents de plus en plus violents et le tangage marqué du bateau, on réussit à en extraire les cinq passagers. Ils furent transportés à l’infir-merie où les premiers soins leur furent prodigués.

Lisa fut celle qui reprit connaissance la première. Elle demanda tout de suite des nouvelles sur l’état de santé de Luciano. Elle ne le voyait nulle part. On lui répondit qu’il n’y avait que cinq personnes à bord, et aucune autre n’avait été retrouvée. Elle leur expliqua rapidement ce qui s’était passé, l’accident et la dérive qui suivit l’intervention de Luciano qui resta accroché jusqu’au heurt du ballon avec le navire. Le capi-taine ordonna que l’on entreprenne des recherches en mer malgré son furieux état, et l’obscurité du soir qui s’ajoutait à la tempête.

Deux autres passagers se remettaient de leur aventure avec des contusions mineures. Le pilote et le mécanicien n’appri-rent que peu de choses à l’officier qui les interrogeait. Mais voilà qu’un grand monsieur, mi-cinquantaine, qui avait retrouvé tous ses esprits demanda à parler au capitaine.

— Que fait un tel vaisseau de la Marine de Sa Majesté caché dans cette baie perdue commandant ?

— C’est plutôt à moi de vous demander, gentleman, ce que fait un tel équipage sur ces côtes isolées de la Libye ? rétorqua le capitaine.

— Eh bien ! C’est une longue histoire qui peut se résumer par la recherche d’un voilier disparu du nom de Cracovia, mon commandant.

Reprenant son flegme britannique et la contenance de son uniforme :

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Chapitre 29 – Le Ballon percute le Neptune

— Mais, permettez-moi de me présenter, capitaine Rid-geway, commandant du cuirassé Neptune qui, depuis plusieurs jours, poursuit, semble-t-il, le même but que vous, monsieur….

Adouci, son interlocuteur lui répondit : — Antonio Ortega, directeur et propriétaire du journal

l’Observatore de Rome. Sachez que c’est à la suite de la dispa-rition du propriétaire du Cracovia, le comte Straszy, que nous recherchons ce navire. Pour le retrouver, j’ai lancé mon meilleur reporter, Renaldo Mansini, sur ses traces et c’est sur cette côte qu’il a abouti afin d’essayer d’élucider cette affaire mystérieuse qui cache certainement une diablerie internationale. Mais depuis, je n’ai plus aucune nouvelle de lui et voilà pourquoi je suis venu moi-même voir ce qui s’y passe.

— Tiens donc, Renaldo Mansini, dites-vous ? Eh bien ! je vous rassure. Il est avec nous depuis quelques jours. De plus, nous avons trouvé le Cracovia ici même dans cette baie, mais aucun de ses occupants.

Puis, les deux hommes, s’étant installés dans la salle à manger des officiers autour d’une bouteille de scotch, se racon-tèrent en détail les événements qui les avaient conduits dans cette baie perdue.

Pendant que durait cette longue conversation, on avait récupéré le valeureux Brutus qui, ayant lâché ses cordages juste avant l’impact, s’était retrouvé à la mer. Il avait dû nager péni-blement dans cette eau houleuse pour rejoindre le navire. Il était transi et étourdi, mais sans trop de blessures physiques. Maintenant, la nuit était tout à fait tombée et la tempête faisait rage. On remit à demain les décisions pour la suite des choses, optant entre-temps pour une bonne nuit de repos si cela était possible par un temps semblable.

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Chapitre 30

Arrivée près de la vallée

Au réveil, le ciel était d’un bleu azur, sans aucun nuage comme s’il n’y avait eu la veille que le songe d’une terrible tempête. Cependant, il fallut

forcer la porte du relais pour pouvoir sortir et constater l’ensa-blement des murs du refuge et des véhicules. Pendant que certains préparaient le déjeuner, d’autres délivraient les camions et essayaient de relancer leur moteur. C’est tard dans l’avant-midi que la caravane se remit en marche. La route avait complètement disparu par endroits et l’on tentait de la retrouver çà et là où l’on repérait des bornes de pierre à demi enfouies. Après de multiples enlisements, on réussit à atteindre les collines et à trouver une piste plus carrossable et incidemment plus facile à suivre. Alors, le paysage changea au fur et à mesure que l’on pénétrait dans des cols aux configurations tourmentées que des siècles avaient sculptés. De petites vallées fraîches tapissées d’arbrisseaux au feuillage verdoyant se découpaient sur les tons de rouge et rose des murailles qui les enchâssaient. John admirait cette nature à la fois sauvage et précieuse tandis que la vieille archéo-logue s’émerveillait en silence devant ces paysages nymphées d’une lumière veloutée.

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Le mystère du Cracovia

— Lorsque nous sommes venus la première fois, mon mari et moi, la beauté de ces lieux nous a envoûtés. Il faut comprendre que la mer, toute proche, arrose de ses brumes cette vallée que tapissent ces herbes et fleurs comme si c’était l’endroit où Dieu avait installé sa création, l’Eden.

— Je comprends maintenant pourquoi le pharaon en fit le choix pour sa retraite personnelle. Ces lieux idylliques et retirés étaient propices à ses pensées et à ses travaux de recher-ches, rétorqua John.

— Et surtout discrets et bien protégés des intrus. Il ne voulait se consacrer qu’à la compréhension de la lumière de l’esprit loin du monde et des responsabilités.

— Dites-moi, chère dame, pourquoi êtes-vous si certaine que le comte et la princesse se sont retirés dans la vallée perdue ?

— Les dernières années où j’ai travaillé dans la vallée perdue, Lobilia était à mes côtés. Vous devez savoir qu’il s’agit, en fait, d’un palais creusé dans la montagne et non d’une simple tombe. Il est essentiellement constitué d’une immense salle rectangulaire aux plafonds d’une grande hauteur. À son pourtour, il y a une galerie reliant aux quatre coins des pièces secondaires l’une pour disposer le trésor, une autre pour les objets et meubles familiers, puis une immense bibliothèque bien rangée où se trouvent des tablettes et manuscrits de toutes les époques antérieures, et, enfin, la dernière pièce qui servait à Lobilia de bureau de travail. La tombe, qui renferme ses cercueils, trône en plein milieu de la grande salle.

Elle ajouta : — Ce sarcophage est aussi imposant qu’une petite

maison. Le pharaon Osinis a passé les dernières années de sa vie à écrire ses préceptes de vie, à décrire le résultat de ses recherches et à compulser l’histoire de l’Égypte, des royaumes de Mésopotamie, et particulièrement celle de son époque.

— Il s’agit là de la demeure d’un grand penseur beau-coup plus que celle d’un roi. Sa tombe elle-même n’est pas celle d’une personne morte, mais d’une personne vivante en état de veille.

— Vous en parlez comme s’il était encore de ce monde, là, à nous attendre comme un vieil ami ! … s’exclama John.

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Chapitre 30 – Arrivée près de la vallée

— Absolument ! Et dans ce sens, spécifiquement, on peut, parler bien plus d’une rencontre avec un grand philosophe de l’antiquité que de fouilles archéologiques. Osinis était très en marge de son époque tant par ses idées que par ses décou-vertes scientifiques.

John demanda : — Dans quelle direction portaient ses travaux ? Que

recherchait-il ? — Jeune, n’étant pas destiné à régner, il épousa la

quête des grands prêtres, soit celle voulant définir la vie et la mort. Son percepteur était un pragmatique, ancien guerrier, administrateur et surtout aventurier. Il avait vécu dans divers pays et acquis leurs connaissances. C’est ainsi qu’il transmit la passion du savoir à son pupille. Ce dernier, nanti de ses moyens de prince, fonda des écoles regroupant les meilleurs esprits de son temps dans le but d’acquérir des connaissances dans tous les domaines et particulièrement dans les sciences exactes : mathématiques, chimie et physique.

— Mais pourquoi s’être caché si loin pour terminer sa vie ?

— J’imagine qu’il ne voulait pas déranger les pouvoirs en place. Pour diriger une société, il est impératif de la main-tenir dans l’ignorance ou mieux, comme maintenant, dans la connaissance de l’insignifiance.

— Mais lui personnellement, quel but poursuivait-il s’il n’avait pas d’intentions de gloire ou de pouvoir ? Pourquoi voulait-il savoir et savoir quoi ?

— Comme je vous l’ai sommairement expliqué, son objectif ultime, au mieux que je peux comprendre, était d’acquérir l’immortalité, du moins l’allongement de la vie, ou encore de trouver un sens à son existence. Et c’est ce qui passionnait Lobilia. Elle me racontait tout ce qu’elle arrivait à traduire concernant les révélations d’Osinis sur les moyens de vivre plus longtemps, de s’éterniser et surtout de trouver à quoi servait une existence terrestre, et dans quel plan cosmique l’existence individuelle d’une personne, était-elle utile ?

— Si vous croyez qu’elle est retournée avec le comte dans la vallée perdue, c’est pour y faire quoi ?

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Le mystère du Cracovia

— Ça, si je le savais, tout serait plus simple, mon cher John. Mais il m’apparaît que leurs dessins concernent les récentes recherches d’Europia dans le développement de médi-caments rajeunissants, je ne sais quoi, d’énergisants. À partir de l’ajout de ce filou de Straszy dans l’équation, il ne peut s’agir que de mauvaises intentions, et c’est pourquoi il faut être très méfiants.

— Vous avez raison, on va arriver sans y être invités. On risque de ne pas être les bienvenus. Et la lettre que m’a écrite Lobilia ressemble plus à un appel au secours qu’à un rendez-vous intime.

Après de longues heures à rouler sur ce qui n’était qu’une piste caillouteuse et à traverser plusieurs oueds à sec, la plaine devenait de plus en plus étroite. C’est alors que Messy donna l’ordre de stopper. Là, devant une cuvette qui fermait cette dernière vallée et qui semblait sans issues, tous les véhicules s’arrêtèrent.

On sortit silencieusement en observant les alentours et madame Verbelder tint un conciliabule avec Hamed. Au retour, elle informa John.

— Nous voilà presque arrivés, le temple est dans la vallée derrière. Mais avant, il serait prudent de l’inspecter.

Ironiquement, John demanda : — Cependant, chère dame, je ne vois nulle part de

passage ? Nous sommes, il me semble, dans un cul-de-sac ? — C’est que vous ne regardez pas dans la bonne direction.

Derrière vous, d’où nous venons, il y a une arche de grès qui cache un étroit défilé. Celui-ci mène droit à la vallée perdue, là où se trouve le tombeau d’Osinis.

John, en se déplaçant, monta sur un monticule de quelques mètres en fixant la direction indiquée.

— Incroyable ! Le décor masque totalement cette anfrac-tuosité ! Qu’allons-nous faire maintenant ?

— Hamed, et trois de ses hommes vont aller à pied de l’autre côté voir ce qui s’y passe. Je suis persuadée que Lobilia s’y trouve avec le comte. Leur destination secrète ne peut être qu’ici, reste à savoir pourquoi.

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Chapitre 30 – Arrivée près de la vallée

Les véhicules furent dissimulés près de l’entrée du couloir. Un repas expéditif fut avalé en attendant le retour d’Hamed qui réapparut une heure plus tard. Comme Messy le supputait, il y avait du monde près de l’entrée de la tombe d’Osinis. Un camp composé de quatre grandes tentes et deux camions tout terrain y stationnaient. Des hommes montaient la garde. Après de courtes palabres avec Hamed, il aurait convenu d’une approche prudente où il fallait s’attendre au pire. Un plan dans ce sens a été adopté et préparé au mieux pour une entrée en scène se voulant le fait du hasard.

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Chapitre 31

Face à face avec Darius

enaldo avait eu beaucoup de mal à trouver le sommeil, son dos l’avait fait beaucoup souffrir. Puis il était un peu angoissé, pensant sans cesse

à ce qui l’attendait au bout de ce passage. Il tentait d’imaginer et de comprendre les motifs qui avaient amené Straszy à cette croisière aux limites de la Méditerranée et dans cet endroit étrange. Il n’avait plus de nouvelles de son patron et de toute cette affaire, mais il était décidé à aller jusqu’au bout sentant qu’il tenait là une histoire extraordinaire qu’un journaliste am-bitieux ne pouvait qu’espérer. Et puis si les services britanniques d’investigations avaient lancé le Neptune sur les traces du comte, c’est qu’il devait y avoir une affaire grave.

R

Vers le petit matin, Rico, Stockwell et lui se mirent en route, suivis par la troupe de Matthiew avec ses trois hommes bien armés. Ils progressèrent en silence pendant près d’une heure avant d’arriver à un élargissement s’ouvrant dans un grand espace à ciel ouvert. C’est là que se produisit un face-à-face surréaliste avec une autre troupe d’hommes armés. Ils s’apprêtaient à pénétrer dans le même couloir que la troupe de Renaldo qui était sur le point de le quitter. Ils étaient un peu plus nombreux et vêtus de l’uniforme des troupes armées égyptiennes. Après un temps de surprise et d’incertitude dans les deux camps, un

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Le mystère du Cracovia

homme se détacha de la bande de méharis et s’avança vers Renaldo.

— Il me semble vous connaître, lui dit-il. Qui êtes-vous et d’où venez-vous ?

— Incroyable ! articula Renaldo lorsqu’il reconnut enfin Darius. Mais, c’est à moi de vous poser la question. Vous ne me reconnaissez pas ? Pourtant, vous devriez.

— Mais je n’ai aucune idée de qui vous êtes. Comment voulez-vous que je le sache, monsieur ?

— Vous ne vous souvenez pas de moi ? La conférence de presse que vous avez donnée à Rome dans les bureaux d’Europia après la disparition de votre père ? Renaldo du journal l’Observatore…, celui qui pose des questions embêtantes…, aucun souvenir, monsieur Darius ?

Soudainement, après un temps de réflexion, l’illumination se fit.

— Vous êtes donc le journaliste-enquêteur pour ce cher Ortega et je vous retrouve ici bien loin de vos pénates ordinaires. Dois-je comprendre que cette affaire vous a tellement bouleversé que vous avez décidé de vous lancer seul à la recherche de mon père ?

— Vous avez parfaitement raison. Ma bonne nature fait que je ne peux résister à chercher les animaux perdus. Et il faut admettre que j’ai quelques talents dans cette chasse puisque j’ai trouvé le Cracovia, ici, sur cette côte perdue. Alors, monsieur Darius, que fait le bateau de votre père dans cette baie perdue ? Qu’est-ce qui vous amène ici dans ces massifs isolés de la Libye ?

Un rictus peu rassurant anima le visage de son interlo-cuteur.

— Je vois, monsieur, que vous avez plus de questions que de réponses ! Eh bien, ne comptez pas sur moi pour vous les fournir. D’abord, j’ai le droit d’être où je veux bien être et, surtout, je n’ai à vous rendre aucun compte de mes déplace-ments. Aussi, je n’ai aucun doute que le fouinard que vous êtes trouvera ici, tout près dans cette vallée, l’objet de ma visite en ces lieux. Cependant, vous m’excuserez de ne pas vous accom-pagner dans cette excursion des plus intéressantes, mais je suis attendu ailleurs. Comme vous l’avez constaté, mon voilier m’attend

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Chapitre 31 – Face à face avec Darius

et il me tarde de réapparaître afin de rassurer le monde et mettre fin à cette histoire. Et il est inutile et surtout dangereux de m’accompagner, alors, poursuivez votre enquête sans moi.

Puis Darius lâcha un ordre tranchant à sa troupe en prenant prestement le couloir vers la mer. Interdit, Renaldo le regarda disparaître dans le boyau. Il se demandait que faire. Effectivement, il n’avait aucun droit pour l’arrêter ou le con-traindre, sinon de façon illégale et par la force. Vouloir le suivre aboutirait à un affrontement armé entre les deux troupes. La seule alternative raisonnable était de poursuivre son explo-ration comme lui avait conseillé Darius et tenter de comprendre ce qui s’y déroulait.

Cependant, il demanda à Stockwell d’envoyer un de ses hommes pour établir une antenne au sommet de la montagne afin d’essayer de faire parvenir un rapport au Neptune les avertissant des intentions de Darius qui étaient probablement de fuir avec le Cracovia. Rapidement, il écrivit un court message au commandant. Ce dernier décidera si les prérogatives de ses ordres lui permettaient d’intercepter et d’arraisonner le Cracovia dans les eaux libyennes. Un homme lourdement chargé d’un matériel de communication entreprit l’ascension pénible et risquée de la montagne.

On se remit donc en marche, suivant le sentier qu’avait emprunté la bande de Darius. Aménagé en surplomb de la falaise, il était très étroit et escarpé. De là, on voyait le fond d’une vallée formant un espace enclos par les pentes abruptes des montagnes rouges tranchant sur le vert profond de la maigre végétation ombragée qui s’accrochait à leurs pieds.

Pendant une halte, l’examen de ce décor à la lunette révéla l’installation d’un camp adossé au pied d’une muraille particulièrement raide. Mais on ne vit aucun signe de vie outre les deux véhicules immobilisés près des tentes.

Cette longue marche périlleuse conduisit la troupe à un cul-de-sac. C’était un espace circulaire de quelques mètres qui, en son centre, était percé par un puits vertical qui s’enfonçait profondément dans la montagne. Une échelle de corde arrimée à une structure de poutres de bois y pendait. Il y avait aussi des cordes enfilées dans des poulies ainsi que divers paniers d’osier

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Le mystère du Cracovia

qui traînaient autour de cette installation rudimentaire. Renaldo s’adressa à sa troupe :

— Eh bien, mes amis ! Il semble que la suite se fera dans ce trou du diable. Il n’y a nulle part ailleurs d’issues, c’est donc par là que Darius est venu.

On examina minutieusement l’installation qui leur sembla très solide. C’est Renaldo qui descendit le premier. Il assujettit un harnais de ceintures au gros câble qui pendait du tréteau et se laissa glisser le long du filin pour disparaître lentement dans les profondeurs du puits. Il avait attaché à sa ceinture une lampe dont le faisceau pointait vers le bas. Mais son faisceau n’illuminait que l’obscurité montrant que le fond devait être encore loin. Après une descente fatigante d’environ quarante mètres, il put enfin trouver le plancher du puits. Il balaya de sa lampe les contours d’un espace circulaire d’une dizaine de mètres. Son examen lui révéla l’entrée d’un corridor taillé dans la pierre ocre de la montagne. Cet ouvrage lui sembla de la même facture et même dimension que celle du corridor qui menait à la mer.

Il avertit les autres qu’il était bien arrivé au fond et qu’ils pouvaient en faire autant. Toute la troupe suivit Renaldo un par un dans cette pénible descente du puits.

Stockwell examina le travail de percement de ce nouveau tunnel et en conclut qu’il avait été sculpté bien avant l’autre. Il émit l’hypothèse qu’il était d’une époque fort ancienne. Le travail de la finition des murs avait été soigneusement arasé manuellement à la pierre brute. De plus, son profilé était rectan-gulaire, contrairement à l’autre qui était voûté. Il avait été taillé avec des angles parfaitement droits pour former le plafond.

On se remit en route avec la consigne du silence le plus absolu, Renaldo le premier suivi de Stockwell et des autres. On sentait une légère brise qui s’exhalait de son origine. À plusieurs reprises, le tunnel tournait sensiblement ou descendait doucement et l’on avançait lentement dans le noir uniquement avec l’éclairage d’une faible lampe dirigée vers le sol.

Après une demi-heure de marche dans un silence pesant, on arriva enfin devant une porte massive en bois charpentée d’un métal jaune orangé, probablement de l’airain. Elle était entrouverte et extrêmement lourde, Renaldo réussit avec efforts

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Chapitre 31 – Face à face avec Darius

à l’ouvrir un peu plus. Ainsi, il put poursuivre dans un autre couloir aux dimensions plus grandes. Ici, les murs étaient ornés de textes hiéroglyphiques et de dessins picturaux colorés très bien conservés. Toutes ces fresques s’inséraient dans des cadres lignés de noir comme une bande dessinée.

— Ici, déclara Renaldo, tout nous indique que nous pénétrons dans un tombeau égyptien. C’est incroyable, car pour le peu que je sais de l’histoire de cette civilisation, on n’a jamais trouvé dans cette région leurs monuments.

Promenant sa lampe torche sur ces magnifiques tableaux, Stockwell s’interrogeait sur cette trouvaille.

— Est-ce que la famille Straszy fait maintenant dans le commerce illicite de trésors de l’antiquité ? S’interrogea-t-il

Renaldo lui répondit : — Non, je ne crois pas, mais Lobilia, la princesse

égyptienne, doit être celle qui nous expliquera pourquoi ils sont venus dans cette cachette si bien dissimulée. Chose certaine, la raison doit être importante, car ils ont traversé toute la Médi-terranée après avoir simulé un naufrage. Ils avaient affaire ici, mais quelles affaires ? Par contre, je ne comprends rien à la présence ici de Darius. Il disait chercher son père. C’est donc ici qu’il l’a trouvé, mais comment a-t-il fait ? Il devait certainement connaître l’existence de ce temple. De plus, s’il n’était pas sur le Cracovia au départ de Gibraltar, comment est-il venu ? C’est à n’y rien comprendre.

— Bon, trancha Stockwell, la seule chose que je com-prends, c’est que Straszy se cache au bout de cette coursive décorée de dessins illisibles, alors on y va sur le bout des pieds et la mitraille toute prête pour alpaguer ces pirates. Allez les gars ! Ce n’est pas un exercice !

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Chapitre 32

À la porte du tombeau

ostés en face du soleil levant, les trois gardes armés, encore un peu endormis, faisaient leur ronde du matin. Soudain, l’un d’eux aperçut au

loin un camion qui filait à vive allure. Il venait d’émerger du défilé d’accès à la vallée et se dirigeait en plein milieu vers l’autre extrémité, comme pour en sortir. Le garde lâcha un appel aux autres leur montrant l’intrus qui, manifestement, ignorait l’existence de leur camp. Ils se rassemblèrent, plus étonnés qu’alertés, car ils n’avaient pas épaulé leurs fusils. Ils essayaient d’observer les manœuvres du véhicule, mais ils avaient le soleil qui éblouissait leur vision.

P

Le véhicule soulevait quantité de poussières et ressemblait à un yacht de course sur une mer de sable. Imperceptiblement, il obliquait de plus en plus vers les vigiles qui comprirent tardivement qu’il se dirigeait directement sur eux. Alors la fusillade explosa. Les gardes tiraient au mieux dans une mauvaise visibilité de l’objectif, tandis que la jeep se mit à faire un fort slalom en soulevant des vagues de sable pour faire écran. Dans les instants suivants, les cerbères du camp furent foudroyés un à un et couchés au sol. Tous absorbés par leur cible qui fonçait sur eux, ils n’avaient pas remarqué les deux autres camions qui arrivaient latéralement sur leurs flans. En tête Hamed, et deux

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Le mystère du Cracovia

de ses tireurs d’élite avaient amené leur camion à portée de tir. Cette algarade n’avait duré que quelques minutes.

La troupe d’Hamed se rassembla à l’entrée du camp près des gardes fauchés. Madame Velberder et John descendirent du troisième véhicule pour les rejoindre et constater qu’il n’y avait plus personne dans les alentours.

— Alors Hamed, pas trop de dégâts ? demanda Messy. — Non, seul un de mes hommes a été touché dans la

jeep qui a servi de leurre, mais pas gravement. — Puis avez-vous trouvé d’autres occupants dans le

camp ? — Non, madame, nous avons fouillé les tentes et toutes

leurs affaires y sont encore, donc les autres doivent être dans les parages.

— Parfait ! répondit-elle, ils doivent être dans la tombe. Voilà qui simplifie notre opération. Tout se passe pour le mieux.

John était un peu secoué. Mais ce qui l’étonnait le plus, c’était cette dame d’un certain âge, archéologue certes, mais qui se révélait être une aventurière d’une vigueur incroyable. On aurait dit qu’elle avait fait ça toute sa vie. Quelle maîtresse femme, commander, risquer, foncer, comme si elle avait été chef d’un bataillon d’élite de l’armée. Il eut une tendre pensée pour Albert.

Messy et John jetèrent un coup d’œil dans les tentes. Les deux tentes plus petites, un peu en retrait des autres, apparte-naient vraisemblablement au comte et à Lobilia. Dehors, John qui observait les lieux attira l’attention de Messy vers le haut des falaises, au-dessus de leur position, où l’on pouvait observer deux longues cheminées pointues qui dominaient ces hauteurs.

— Oui, ces formations sont étranges n’est-ce pas ? Ce sont les cornes d’Hathor, cette déesse incarnant une vache que vénéraient les Égyptiens et dont je vous ai parlé. Ce sont ces cornes que je vous mentionnais et qui avaient permis à Albert de trouver l’endroit précis de la tombe d’Osinis. Non seulement sont-elles très hautes, mais remarquez leur couleur jaune or presque rouge ? En fait, on a découvert que la pierre dont elles sont constituées contient une forte densité d’un amalgame de métalloïdes dont du ruthénium et du césium. Mais c’est Lobilia qui pourrait le mieux vous expliquer. Elle s’y est grandement

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Chapitre 32 – À la porte du tombeau

intéressée, prélevant des échantillons pour les analyser afin de déterminer leurs caractéristiques. C’était, selon elle, la chose la plus mystérieuse et fascinante de ce tombeau. Je crois qu’elle était plus physicienne qu’archéologue.

Puis, madame Verbelder conduisit John et Hamed derrière un monticule rocheux où poussent des arbustes, des variétés de ficus arborescents. À cet endroit, on fait face à une muraille de granit d’une hauteur vertigineuse. C’est ici l’accès au tombeau.

— Lorsqu’on a trouvé cette entrée, mon mari et moi, elle était entièrement obstruée de pierres et de terre qu’un ébou-lement avait totalement dissimulée. Il nous a fallu des mois pour dégager cet effondrement qui avait été provoqué par les gardiens d’Osinis. Ils avaient eu pour mission de sceller et dissimuler l’entrée de son tombeau pour l’éternité. Une fois l’entrée dégagée, on découvrit deux grandes portes en pièces de bois qu’on eut bien du mal à ouvrir. Elles donnaient accès au passage vers l’intérieur du tombeau. Maintenant, on les a remplacées, car elles étaient très abîmées. Pour bloquer l’entrée, nous avons fabriqué une porte dont le panneau en acier est recouvert d’une mosaïque de pierres imitant les parois adjacentes. Elle s’ouvre grâce à un mécanisme électrique à contrepoids.

Étonné, John demanda : — Mais, c’est incroyable ! Je peux à peine distinguer

cette porte tellement elle est bien camouflée. Mais comment allez-vous faire pour l’ouvrir ?

Hamed avait préalablement relié une simple batterie d’automobile à une connexion cachée dans un boîtier discret. Fouillant dans l’une de ses poches, Messy sortit un petit calepin dans lequel elle trouva une combinaison de chiffres qu’elle com-posa en déplaçant les molettes du boîtier électrique.

— J’espère seulement que l’on n’a pas changé les com-binaisons. Seules Lobilia et moi les avions la dernière fois que nous sommes venues ici. Voyons cela…

Messy composa divers codes, attendant entre chacun une confirmation d’un déclic sonore. Enfin, c’est après une courte sonnerie qu’un grand panneau en pierre se révéla en basculant en rotation vers l’avant sur un axe situé en son centre. Une merveille d’exécution s’harmonisant si bien à la façade, et bien malin celui qui aurait pu découvrir le manège.

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Le mystère du Cracovia

— Et voilà le sésame d’ouverture ! Il ne nous reste plus qu’à investir la place, mais avec grande prudence.

Hamed proposa un plan bien simple. Les gardes morts avaient été cachés dans une des tentes tandis que leur camarade blessé était installé dans une autre.

— On lui a donné des sédatifs. Il pourra se reposer pendant qu’on ira explorer cette caverne à la recherche de vos amis les bandits. Je passerai en avant en compagnie d’un de mes hommes, vous au centre et les deux autres hommes fermeront la marche. Reste à décider si l’on ferme la porte derrière nous.

— Je crois qu’il est préférable de la fermer, répondit Messy. Personne ne devrait en sortir sans nous. Et là, je vois que l’on a laissé les lampes électriques allumées. On a installé un éclairage minimum dans toute la tombe. Et s’il est en fonction, cela signifie que des personnes s’y trouvent actuellement.

— Alors, raison de plus pour être discrets. On avance en silence et l’on parle le moins possible. Dites-moi, madame, y a-t-il d’autres issues ?

— Aucune que je sache. Au bout de ce couloir, nous arriverons dans un grand hall rectangulaire qui devait servir initialement de chambre pour la tombe. Mais pour une raison obscure, on a décidé de creuser un second passage vers ce qui est la chambre funéraire actuelle, là où repose le pharaon Osinis. Voilà en gros, le plan de cette construction vieille de plus de 3 500 ans.

Hamed se mit en route dans un couloir rectangulaire dont les surfaces de pierre jaune-ocre avaient été patiemment aplanies au ciseau. Les fines rayures que laisse cet outil primitif sont caractéristiques. Çà et là pendaient des lampes accrochées le long d’un mur. Ce système d’éclairage, quoique de faibles inten-sités procurait suffisamment de visibilité pour se déplacer. Au début, on sentait que l’on montait. Ce conduit faisait tout de même plus de trois mètres de largeur sur autant en hauteur. Cela devait permettre le passage de tous les matériaux de cons-truction, poutres, colonnes et panneaux de revêtement, mais surtout le passage des objets les plus volumineux comme les statues et le mobilier.

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Chapitre 32 – À la porte du tombeau

Après une centaine de mètres, il obliqua à droite et les dimensions augmentèrent. Là, les murs étaient chaulés en blanc et peints d’admirables motifs lignés encadrant des scènes de la vie courante que des textes hiéroglyphiques devaient décrire.

John ralentissait pour admirer ce travail splendide. Mais Hamed, indifférent à la décoration, lui intima de suivre le rythme. On parcourut ainsi un autre cent mètres avant de s’arrêter devant une large ouverture encadrée par deux portes dont les vantaux avaient été rabattus sur les côtés des murs. Ils devaient défendre l’accès à une gigantesque pièce baignant dans la pénombre d’un éclairage parcimonieux. On venait de déboucher au centre du grand hall dont avait parlé madame Verbelder. Au pourtour, une enceinte formée de magistrales colonnes aux chapiteaux de feuilles de lotus bordait un profond bassin qui occupait presque tout cet espace. Maintenant à sec, celui-ci devait recueillir les eaux des sources souterraines datant de la construction.

Messy chuchotait à John les particularités concernant l’aménagement, dont les magnifiques statues de granit noir intercalées entre les piliers et qui représentaient des serviteurs portant des offrandes aux dieux. Hamed qui, pendant ce temps, avait bien observé les lieux demanda tout bas à Messy par où il fallait continuer. Elle indiqua qu’il devait longer la galerie à droite pour atteindre le second corridor situé dans le coin opposé du hall. Effectivement, un second passage dont les dimensions étaient identiques au premier s’enfonçait dans le cœur de la montagne. Mais après une cinquantaine de mètres à peine, on se retrouva entre deux autres tunnels un peu décalés et qui aboutissaient perpendiculairement à celui dans lequel ils évoluaient.

De nouveau, Messy expliqua qu’ils menaient de part et d’autre à des chambres funéraires qui logeaient les sarcophages de parents ou amis du pharaon, des prêtres, des généraux ou d’autres grands commis de la dynastie. Il fallait continuer tout droit pour atteindre la pièce centrale du bâtiment où se trouvait la tombe d’Osinis. On progressa très lentement, sans le moindre bruit, conscient que si l’on rencontrait l’ennemi dans ce corridor, ce serait un face-à-face des plus mortels.

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Le mystère du Cracovia

Après ce qui parut une éternité, la troupe fit son entrée dans un espace monumental. Ils se trouvaient dans une galerie colla-térale qui courait tout autour d’une pièce centrale faisant au moins 20 mètres de hauteur et qui occupait une surface rectangulaire de 100 mètres par 60. Le sol de la galerie dominait de quelques mètres le plancher de cet espace, de sorte qu’un large escalier y donnait accès. Au centre, la tombe monumentale d’Osinis reposait sur un socle élevé d’une hauteur d’homme formant un autel dont la base était constituée d’un grand escalier de pierres rouges. D’immenses statues encerclaient le tombeau rendant hommage au pharaon. Des vasques en porphyre reposant sur des supports en or délimitaient le cadre de la galerie et devaient servir à éclairer l’ensemble. Quant au sarcophage construit de grands panneaux de granit gris-bleu, il était surmonté aux quatre coins de cobras en or décorés de lapis-lazuli et de pierres précieuses dont le corps était dressé en position de défense. Au centre, le faucon royal, sculpté dans du porphyre noir incrusté de fils d’argent, dominait massivement l’ensemble de l’œuvre. Enfin, sur une plaque de pierre, à l’avant, un texte gravé, probablement religieux, incitait au recueillement. Et de fait, une femme age-nouillée dans les marches se tenait là, immobile, vêtue d’un grand sari noir.

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Chapitre 33

Renaldo découvre la tombe

tockwell avait fait placer ses hommes pour qu’ils avancent en rampant le long des murs dans le silence absolu et sans aucune lumière. Il fallait

donc marcher très lentement en se traînant les bottes. Sa récente rencontre inopportune lui avait dicté la plus grande prudence. Il avançait comme un chasseur de rats dans un égout.

SA contrario, Renaldo, conscient de l’immense valeur

culturelle de ce passage millénaire, avait protesté et insisté pour que l’on n’abîme pas les stucs magnifiquement peints des murs. Le couloir cheminait avec beaucoup d’arrondis et légèrement en descente. Là où c’était raide, il y avait des marches taillées dans la même pierre que celle du sol. Puis, on arriva enfin au bout, devant un mur de blocs de calcaire soigneusement découpés et ajustés les uns aux autres sans mortier. Cet endroit élargi baignait dans la pénombre, mais une fine raie de lumière marquait l’emplacement d’une ouverture.

Il y avait là une porte de pierre. Un panneau entier taillé dans du granit était légèrement entrebâillé vers l’intérieur. Après avoir longuement écouté le silence, on décida que la voie devait être libre. Il fallut les efforts de deux hommes pour ouvrir suffisamment la porte pour pouvoir passer. On se retrouva dans une grande pièce très haute de plafond. Elle était éclairée par

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Le mystère du Cracovia

des vasques sur trépieds dans lesquelles brûlait une huile qui dégageait un parfum d’encens. Des rayons de colonnes sveltes et brillamment colorées couronnaient cet espace rectangulaire occupé en son centre par une magistrale table de marbre soutenue par des socles de bois ouvragés et ceinturée d’or. Au pourtour, tout l’espace intérieur était occupé par des étagères en bois sculptés où s’empilaient des tablettes d’argile, des rouleaux de papyrus ou encore de grands ouvrages en parchemins. Il s’agissait vraisemblablement d’une bibliothèque datant de l’ère des pharaons.

— Mais par tous les diables, Renaldo, dites-moi où nous sommes tombés.

— Il ne fait aucun doute qu’on se trouve dans la demeure d’un grand personnage de l’Égypte antique. Ce palais m’est parfaitement inconnu. Mais malgré le peu que je sais de l’Égypte ancienne, il me semble que la découverte d’un tel endroit aurait été aussi importante que celle de la tombe de Toutankhamon. Mais comme je n’en ai jamais entendu parler, ce doit être un monument encore inconnu.

Stockwell qui s’entêtait dans son idée, réitéra : — Ça expliquerait un peu ce que venait faire ici ce

Straszy… du pillage. Le bonhomme s’intéresse à l’archéologie et il a dû trouver cet endroit qu’il garde secret pour le piller discrètement.

Renaldo lui répondit : — Peut-être…, mais je suis sûr qu’il y a autre chose.

Le comte et l’archéologie, ça ne colle pas. Et pourquoi ferait-il un tel trafic, lui qui est déjà immensément riche ?

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Chapitre 34

John retrouve Lobilia

ohn se détacha du groupe et descendit l’escalier pour s’approcher lentement de celle que son instinct désignait comme étant Lobilia. La femme se redressa

et lui fit face. Son visage ne montrait aucune surprise.

J— Je t’attendais, mon ami… ho ! … combien. … Tu as

tardé, mais tu es venu. — Pour revoir ton visage, j’aurais fait le tour du monde…

pour si peu, que tu m’as dit, j’ai traversé la Méditerranée pour te retrouver.

Après un court silence, elle répondit : — Hélas, mon pauvre ami ! Je me suis perdue… désor-

mais, je suis damnée et il aurait été mieux que jamais tu ne me retrouves. Ce disant, Lobilia tourna son regard par-dessus l’épaule de John et son visage perdit son éclat.

À son tour, il tourna la tête pour apercevoir ses amis avancer vers eux les bras en l’air. Derrière, plusieurs hommes braquaient le canon de leurs armes dans leurs dos. Un cheikh à la longue barbe taillée en ciseau apparut comme une ombre enva-hissante. Son regard cruel se posa sur John. Après un silence pesant, il articula :

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Le mystère du Cracovia

— Profanateurs !… vous avez souillé la demeure d’Amon, celle de sa révélation. Vous êtes venus voler ses trésors pour votre bien personnel ou pour les exhiber dans vos musées. Tout cela au nom de la sagesse de l’histoire et, surtout, de la gran-deur des archéologues. Mais maintenant, ici dans la maison du grand pharaon vous êtes venus voler les secrets de son âme.

— Nous n’avons rien fait de tel ! C’était la voix forte de madame Verbelder qui réverbéra

dans tout le mausolée. — Cette tombe est demeurée secrète et ignorée du monde

entier et nous l’avons gardée secrète depuis que nous l’avons trouvée, il y a bien longtemps. De plus, nous n’avons violé aucun cercueil et nous n’en avons pas l’intention.

— C’est vrai en ce qui vous concerne, vous et votre mari. Je vous reconnais et je sais que vous avez des intentions louables et respectueuses. Mais pas celle-là et ses acolytes ! Il désignait Lobilia qui, la tête enfouie dans un fichu, fixait le sol.

Messy poursuivit : — Expliquez-vous, cheikh Moufdhi, la princesse Lobilia

est de sang égyptien et jamais elle n’a eu l’intention de profaner ni le corps ni l’âme d’Osinis.

— Alors vous êtes bien naïve et je ne crois pas un mot de ce que vous dites… suivez-moi, vous verrez.

Les hommes avaient été désarmés et leurs poignets ligotés. Seuls Messy et John n’étaient pas entravés. Néanmoins, à la pointe des armes, ils furent tous amenés derrière l’imposante sépulture du pharaon. Adossée au mur, une majestueuse statue d’Osinis le montrait debout paré des insignes et ornements du pouvoir des rois; le sceptre et le fouet sur la poitrine et les coiffes superposées de la haute et basse Égypte.

Cette statue masquait une alcôve profonde au fond de laquelle une porte à deux panneaux était grande ouverte. Elle était de confection récente, installée dans une ouverture qu’on avait pratiquée dans le mur en décelant les grosses pierres taillées. Elle donnait accès à une vaste pièce au plafond bas. Tout autour, il y avait des tables, des cuviers, des tablettes, et tout un fouillis d’objets bien rangés : paniers, urnes, outils divers, nattes et linges, bref, tout le fatras nécessaire à l’embaumement des corps.

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Chapitre 34 – John retrouve Lobilia

On reconnut aisément que l’on pénétrait dans la pièce où les embaumeurs préparaient les momies. Cette pièce était, malgré le temps, encore envahie par les odeurs des herbes aro-matiques, des gommes arabiques et des blocs de natron, ce sel si particulier qui aseptisait et asséchait la chair des corps. La pièce était particulièrement sombre, car elle n’était éclairée que par les vases d’huile enflammés de l’époque ancienne. Partout, les murs étaient recouverts de dessins et textes lignés et coloriés, incantations et instructions pour assurer la conservation de l’enveloppe charnelle et de son contenu, l’âme.

— Ici sont les secrets des grands prêtres du pharaon Osinis. Pendant des décennies, il travailla à parfaire les méthodes et les façons d’exécuter l’embaumement, mais aussi de guérir le corps… expliqua le cheikh Moufdhi.

— Il étudia avec ses disciples toutes les fonctions des organes et des muscles, disséqua pour comprendre comment le cœur et le sang fournissent la vie. Mais sa plus grande décou-verte a été de réussir à la préserver, la faire durer et même à inverser son cours, aboutissement que lui-même expérimenta en se rajeunissant plusieurs fois, mais sans pouvoir ultimement se préserver de la mort. C’est ce secret maudit que la princesse est venue chercher et exploiter avec ses amis.

C’est à ce moment que Lobilia parla : — Le cheikh Moufdhi a raison et là est mon crime.

Étourdie par les lectures que le pharaon a laissées dans sa bibliothèque, j’ai mis au jour cette pièce et j’ai compris qu’il était possible de préserver la jeunesse du corps. Je me suis alors lancée pendant des années à comprendre ce qu’il avait découvert, mais avec les connaissances et les moyens d’aujourd’hui. J’étais certaine d’obtenir tout ce dont tous nous rêvions, l’éternelle jeunesse, un rêve insensé qu’Osinis lui-même, dans sa grande sagesse, avait abandonné, car il allait contre la volonté du créateur.

— Mais ceux que tu appelles mes amis, particulièrement le comte Straszy, sachant l’objet de mon travail, m’ont obligée à le poursuivre. J’en étais à comprendre le fonctionnement pro-digieux des cornes d’Hator qui fournissent l’essence fondamentale modifiant la codification des gènes du vieillissement.

À ce stade des explications de Lobilia, le grand prêtre écarquilla les yeux d’incompréhension.

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Le mystère du Cracovia

— Tu veux parler du trône d’Osinis qui est sculpté à sa base ?

— Absolument, le trône de la vie éternelle, lui répondit Lobilia.

Un grand silence suivit cette déclaration stupéfiante qui commençait à expliquer des choses. Pendant ce temps dans la bibliothèque, la troupe de Renaldo qui progressait, tout en devisant sur le problème du pillage du comte, se déplaça vers une grande arche qui donnait accès à la galerie du grand hall. Ils furent abasourdis devant le spectacle étonnant de la salle sépulcrale. Ce qui n’était tantôt que des hypothèses se révélait des certitudes. Ils étaient dans un palais pharaonique, vieux de plusieurs millénaires. Ils poursuivirent le long de la galerie, admirant ce spectacle inattendu en s’approchant du monument mortuaire. Là, ils durent reprendre leur sens, car des voix étouffées s’échappaient d’un endroit situé derrière l’une des impressionnantes statues venant d’un couloir attenant. Stockwell, dans un langage de gestes codés compréhensibles de ses marins, leur fit comprendre que l’on allait s’y engouffrer pour une action surprise.

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Chapitre 35

Lobilia sur le trône

lors que le commando se préparait à faire son entrée dans la salle des embaumements, Lobilia reprit :

— Suivez-moi, je vais vous montrer comment cela fonctionne. Dans une pièce annexe au fond de la morgue, il y avait un gros rocher cylindrique d’un rouge sang parcouru de fines nervures de métal d’or. C’est dans ce bloc que l’on avait sculpté un siège d’allure grossière.

A

Lobilia s’y installa pour continuer son récit. — Cette colonne, qui se termine par des cornes bien

visibles en haut de la montagne, est une veine géologique unique au monde. Elle a été formée par une résurgence de lave magma-tique venant des profondeurs du manteau terrestre. Elle est composée principalement de phosphate de ruthénium dans lequel des milliers de fils d’or et de cuivre servent de conducteurs.

Avec des mots simples, elle expliqua que cette barre légèrement radioactive s’activait avec les nombreux orages que connaît cette région, comme ceux qu’elle a connus dernièrement. Passer une heure ou deux dans ce fauteuil a pour résultat de réparer l’effilochement des terminaisons des gènes qui pro-gramment la régénérescence des cellules responsables de l’horloge biologique et régulent la durée de leur vie. Dans des conditions

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Le mystère du Cracovia

particulières, on peut espérer reculer cette horloge et retrouver une seconde jeunesse. Le comte Straszy m’a obligée à lui prodiguer cette cure. Ainsi, depuis près de deux semaines, il a pris place quotidiennement dans ce siège où, contre toute attente, il a réussi à retourner dans la quarantaine. Ce processus lui a donné non seulement l’âge actuel de son fils, mais aussi son apparence puisque ce fils lui ressemble beaucoup.

— Vous semblez prétendre que c’est contre votre gré ? demanda John. Pourquoi et comment a-t-il réussi à vous y contraindre ?

— Lorsqu’il a pris connaissance des résultats de mes recherches auxquels lui seul avait accès, il me demanda d’en faire l’essai. J’ai drastiquement refusé parce que je jugeais im-morale une telle pratique, mais aussi parce que j’avais décidé d’abandonner mes recherches et de détruire tous les résultats de mes études. Mais cet homme est diabolique et il ne cessait de me harceler, de plus en plus insistant. Subtilement, il me menaçait de dévoiler l’existence du tombeau d’Osinis. J’étais piégée et je ne savais plus que faire. C’est alors qu’il m’obligea à embar-quer sur le Cracovia pour ce qui devait être une simple croisière d’affaires, mais j’ai compris qu’il devait y avoir autre chose. C’est pourquoi, John, je vous ai secrètement donné rendez-vous à Malaga où l’on devait faire escale. Hélas ! Je ne sais pas comment, mais il a su mes intentions et il a décidé brusquement de modifier son projet et de débarquer ses invités à Gibraltar au lieu de Malaga, prétextant qu’il était gravement malade.

— Et c’était pour vous amener ici de force et pour vous obliger à lui faire cette cure, termina John. Mais pourquoi en simulant un naufrage et la disparition du Cracovia ?

Lobilia poursuivit : — Il pouvait ainsi faire légalement disparaître le comte

Straszy. Ce faisant, Darius, qu’il avait choisi pour le remplacer en tant que légataire universel, recevait sa fortune et devenait actionnaire majoritaire d’Europia. Puis, une fois rajeuni, le comte n’avait plus qu’à faire disparaître ce fils qu’il haïssait profondément pour prendre son identité, sa vie et ses biens. C’est ainsi qu’il pouvait récupérer sa fortune et ses droits sur le holding.

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Chapitre 35 – Lobilia sur le trône

Après un court silence, le cheikh Moufdhi conclut en des termes plus prosaïques :

— Toutes ces histoires malhonnêtes et profanes ne me concernent pas. Elles ne font que prouver combien vous êtes toutes des personnes corrompues par les richesses et le pouvoir du capitalisme. Et surtout, combien devenez-vous dangereux lorsque vous accédez à des connaissances qui dépassent vos capacités de sagesse élémentaire ?

Il donna l’ordre de revenir dans la salle des préparations mortuaires. Les prisonniers furent sanglés sur des bancs d’apparat. Seule Lobilia resta libre de ses gestes. En tant que fille du grand vizir, elle demeurait intouchable pour le grand prêtre qui lui demanda de quitter le tombeau sous la surveillance d’un des gardes. Il s’affaira ensuite devant un comptoir de marbre dans la préparation d’une mixture qu’il versa dans une grande coupe cérémoniale. Se retournant devant ses hôtes obligés, il les invita à boire cet élixir, promesse d’une mort douce.

Soudain, un coup de feu sec se répercuta dans la pièce et la coupe que tenait le cheikh Moufdhi éclata dans sa main. En même temps, les marins dissimulés derrière les meubles et recoins mirent en joue les sbires arabes qu’ils désarmèrent prestement. Renaldo s’adressa à John, l’intimant de faire les présentations. Ce dernier, pendant que l’on délivrait ses amis de leurs entraves, présenta toutes les personnes en expliquant succinctement leur rôle dans cette affaire. Ce fut des échanges croisés sur le parcours des uns et des autres qui les réunissaient en ces lieux.

John n’avait plus maintenant que le désir de s’élancer à la poursuite de Lobilia, alors que Renaldo voulait poursuivre, non pas Darius, mais bien Straszy. Car il venait de comprendre que le Darius qu’il avait pensé affronter dans le tunnel n’était autre que le comte, rajeuni, qui ressemblait beaucoup à son fils. Il avait compris que ce dernier voulait s’échapper avec son voilier. On décida donc que chacun irait de son côté pour rattraper les principaux acteurs du mystère du Cracovia. Un rendez-vous fut fixé au camp de la vallée perdue, sinon au siège de l’amirauté britannique au Caire.

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Chapitre 36

Straszy dans le Cracovia

traszy était conscient qu’il avait échappé à un péril certain en rencontrant celui qu’il avait eu le réflexe de reconnaître comme Renaldo, le

journaliste de l’Observatore. Mais ce qu’il faisait là avec des marins lui était totalement incompréhensible. Il devinait qu’Ortega l’avait envoyé sur ses traces, mais comment avait-il pu le retrouver ? Cela demeurait une énigme. Et ces marins portant l’effigie du Neptune de la Marine britannique devaient venir de ce bateau de guerre entrevu en pleine nuit au large de la Libye. Le Neptune aurait-il réussi à suivre le Cracovia jusqu’à Bamba, et même dans cette baie introuvable ?

S

Il progressait avec ses hommes vers la sortie en se demandant ce qu’il allait y trouver. L’arrivée de ces marins mettait en danger la réussite de ses plans. Mais il était inutile d’en changer l’exécution, il était sans alternative, alors il faudrait improviser.

Enfin arrivé sur la corniche, il découvrit au pied des escaliers un canot identifié à l’effigie du HMS Neptune. Pour-tant, il ne voyait aucun autre navire dans la cuvette où flottait le sloop. Quant à son canot personnel, il était toujours amarré près du quai. Le chef de sa troupe, qui l’accompagnait, lui demanda s’il fallait toujours mettre en route l’opération prévue.

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Le mystère du Cracovia

— Bien sûr, répondit-il. Car il nous faut revenir au camp le plus vite possible pour éliminer ces étrangers que nous venons de rencontrer. Que vos hommes partent sur-le-champ afin de relier votre poste de commande aux charges de dynamites que l’on a déjà installées autour de la baie. Entre-temps, suivez-moi au sloop pour que j’y récupère mes dernières affaires.

Le plan était simple, il s’agissait de faire disparaître le Cracovia sous des tonnes de roc en faisant sauter en divers endroits des pans entiers des falaises surplombant le voilier. Ainsi, la disparition du Cracovia et de son propriétaire demeurerait un mystère pour toujours. Abordant le bateau, Straszy remarqua avec satisfaction que rien n’avait été touché. À l’intérieur, il se dirigea droit vers sa cabine où se trouvait son coffre de sûreté. Il lui restait à récupérer des documents dont il avait encore besoin et, surtout, l’argent pour payer ses hommes. Il s’enferma dans la pièce, et alla au coffre composer le code et commença à vider le contenu dans une poche de marin.

Une fois sa besogne terminée, il voulut remonter sur le pont, mais la porte de la cabine refusa de s’ouvrir. Il la secoua, mais elle demeurait coincée. Il appela son compagnon, sans réponse. Il réessaya de l’ouvrir, puis de défoncer ses planches… Peine perdue, elle était construite de pièces d’acajou fort épaisses. Désespéré, il se rua sur le hublot dont il fit coulisser l’un des deux panneaux. C’est alors qu’il comprit qu’il était condamné, car, un peu au large du bateau, il vit un homme en train de nager avec vigueur pour rejoindre le quai. Il recula de la fenêtre, incrédule, et le visage tordu de terreur.

Quelques secondes plus tard, dans un bruit de tonnerre, toute la falaise explosa, détachant d’immenses blocs de roc qui s’abîmèrent sur le sloop l’entraînant au fond de l’eau en mille morceaux. C’est ainsi que le plan du comte Straszy échoua lamen-tablement et que celui de la Princesse Lobilia réussit parfaitement.

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Chapitre 37

Le Neptune entend une explosion

e Neptune se balançait paresseusement sur ses ancres, encaissant les dernières vagues laissées par la dure tempête de la nuit. Sauf pour le docteur

Reiss qui était encore alité souffrant de contusions multiples, et pour les éclopés de la montgolfière qui se remettaient de leur mésaventure.

LLe capitaine s’apprêtait à prendre son déjeuner avec

Ortega dans la petite cambuse attenante à la salle des cartes; un thé anglais pour un café italien, des toasts pour une petite croûte toute raide, en soi deux mondes qui furent alternativement amis et ennemis. Pour l’instant, il y avait concorde en la maison, car les deux cherchaient à contrer le nouveau visage du mal, la globalisation des affaires ou plus simplement la piraterie sans nom et sans patrie sinon dans des paradis fiscaux, l’Eden des Europia de ce monde.

Subitement, une enseigne se présenta en saluant : — Capitaine, on vient de recevoir ce câble fragmenté

que l’on a réussi à capter venant des montagnes derrière. Il se lisait comme suit : Dans… tunnel… rencontré… cloportes… armés et dangereux…. vers voilier… dirigent… autres… continuent d’avancer. Signé Teddy.

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Le mystère du Cracovia

— Sacrebleu ! Qu’est-ce que c’est que ce charabia ? Vous y comprenez quelque chose vous ? … tendant le bout de papier à Ortega.

— Non, c’est comme vous le dites totalement incom-préhensible. Et ça sent mauvais. Ça doit être Stockwell qui essaie de nous avertir de je ne sais quoi. Les communications sont difficiles dans ces montagnes. Et Teddy… c’est qui ?

— Probablement un des membres du commando affecté à cette tâche de transmission, répondit le capitaine. Une chose est certaine, le voilier est concerné…

Alors que le capitaine portait sa tasse à ses lèvres, un puissant bruit sourd ébranla toute la baie et lui fit renverser une partie de son thé sur son bel uniforme blanc. Choqué, il s’exclama :

— Et voilà l’énigme du message résolu, on voulait nous avertir que ça allait péter, mon cher ami. Reste à savoir, quoi et où ?

Ce fut le branle-bas de combat au travers de tout le navire. Plusieurs officiers rassemblés sur la passerelle cherchaient de tous les côtés d’où provenait l’attaque. Le poste de radio de la salle de tir repéra un grand nuage gris qui montait de l’anse cachée au fond de la baie, là où se trouve le Cracovia qu’on ne pouvait pas apercevoir.

Ortega venait de rejoindre le capitaine sur la baignoire bâbord. Il s’écria :

— Dites donc, Capitaine ! Il serait opportun d’envoyer immédiatement vos marins voir ce qui se passe dans cette baie. Je crains que l’on vous ait joué un sale tour.

— Rassurez-vous, lui rétorqua Ridgeway. — L’ordre est déjà donné, un escadron s’apprête à aller

voir. Je crains que notre commando ait rencontré des difficultés imprévues et ça ne peut venir que de Straszy.

Ortega bondit : — Alors permettez que je me joigne à eux. Il faut que

j’aille voir ce qui s’y passe. — Pas question, je ne peux prendre une telle responsa-

bilité. Ce n’est pas une ballade pour un journaliste et, si ça tourne mal, c’est votre presse que j’aurai à affronter.

— D’accord, je veux bien, mais, acceptez Brutus, il vaut bien vos marins, sans compter que sa connaissance de cette affaire pourrait servir. Et puis vous n’avez pas le droit d’empêcher

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Chapitre 37 – Le Neptune entend une explosion

la presse, comme vous le dites, de constater des événements internationaux et de faire son devoir, capitaine.

— Bien vu, j’accepte votre Brutus, alors, qu’il se dépêche à les rejoindre à la coupée de bâbord. Mais pas question de jouer les matamores, vous avez déjà assez fait l’amateur, mon-sieur l’écrivailleur.

Une troupe de marins armée jusqu’aux dents s’était engouffrée dans un canot moteur pour aller voir ce qui se passait et, surtout, pour servir de renfort au groupe de Stockwell. Défi-nitivement, la Marine anglaise avait déclaré la guerre totale à Europia.

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Chapitre 38

Retour au Caire

ohn était sorti du palais aussi rapidement que possible, pour constater qu’il ne restait plus aucun des véhicules appartenant à la troupe de Lobilia.

Ils avaient fui sans apporter leur matériel. Plusieurs heures plus tard, Messy sortit à son tour du tombeau avec Hamed et ses hommes.

J— Enfin vous voilà, je commençais à m’inquiéter… et

où est le cheikh Moufdhi ? — Il m’a fallu longuement parlementer avec lui pour

en venir à un accord. Il va s’occuper de fermer toutes les issues et, surtout, de faire disparaître celles de la baie par où est arrivée la troupe. Il est en quelque sorte le gardien immédiat de ces lieux. Comme il réside à Dernah, il pourra veiller sur la quiétude secrète de la maison d’Osinis. Et vous, où est Lobilia ?

— Elle et ses hommes sont partis pour je ne sais où. Notre homme blessé qui somnolait dans la tente me l’a confirmé. Il semble qu’un groupe distinct venu de la montagne est arrivé juste avant que la princesse sorte du tombeau accompagnée d’un autre homme. Puis la troupe a immédiatement déguerpi.

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Le mystère du Cracovia

— Alors, on va en faire autant dès que j’aurai fermé la porte avec son code. Les autres sortiront par l’issue de la baie et reviendront par un sentier qu’ils connaissent pour faire disparaître ce qui reste du camp.

Après de courts préparatifs, les camions se mirent en route avec l’intention d’atteindre la halte qu’ils avaient utilisée en venant pour y passer la nuit. Si madame Verbelder semblait satisfaite, ce n’était pas le cas de John. Perdu dans ses réflexions, il essayait de faire le point après tous ces événements. Surtout, il était déçu de n’avoir pu échanger avec Lobilia pour mieux comprendre ses sentiments et partager sa déconvenue. Il s’inter-rogeait maintenant sur ses intentions et ne pouvait accepter de ne plus la revoir.

Pendant ce temps sur le Neptune, le capitaine fut averti que l’embarcation partie voir ce qui se passait dans le creux de la baie était de retour. De plus, elle s’était trouvé une jumelle, celle de Stockwell. L’officier rejoint par Ortega se précipita sur la plage arrière à l’escalier de coupée pour accueillir tout son monde.

Rapidement, Stockwell l’informa que le Cracovia avait disparu sous des tonnes de pierres et que seuls quelques débris surnageaient dans la crique. On monta dans la cabine du com-mandant Ridgeway pour un rapport complet. Le lieutenant et le journaliste relatèrent en détail le déroulement de leur mission puis expliquèrent que Lobilia avait pris la fuite probablement pour Le Caire. Quant à madame Verbelder et John, ils s’assure-raient avec l’aide du cheikh Moufdhi et de ses hommes de sceller toutes les issues du tombeau avant de prendre la route de la capitale où l’on avait convenu d’une rencontre à l’amirauté.

— Bien des aspects restent mystérieux dans cette affaire, en commençant par la destruction du sloop et le sort du comte Straszy, conclut Ortega.

— En ajoutant la retraite de Lobilia et la suite des choses, rétorqua le capitaine.

— Vous voulez dire le rôle exact de ce John Gardner et sa relation avec la princesse ? Et surtout, ses intentions en ce qui concerne ses secrets et ce que peut en faire sa famille dans la politique intérieure du gouvernement égyptien ? questionna Renaldo.

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Chapitre 38 – Retour au Caire

— Eh bien ! mes amis ! Nous lèverons l’ancre tôt demain pour Alexandrie. Je ferai d’abord mon rapport aux autorités de la Marine. Suivra probablement une convocation de tous les acteurs de cette affaire pour une bonne confrontation. Particu-lièrement avec ce monsieur Gardner et cette curieuse madame Verbelder. Après, peut-être, y verrons-nous plus clair ?

Pendant que le capitaine s’affairait à manœuvrer son navire pour quitter cette baie qui fut le lieu de tant d’aventures, Ortega et Renaldo rendirent une petite visite au docteur Reiss qui récupérait lentement dans sa cabine. Ils espéraient qu’il pourrait apporter de nouveaux éclairages sur les zones sombres de cette mystérieuse affaire. Encore très faible, l’homme montra une grande tristesse au récit qu’on lui fit. Il ne put rien dire d’autre que, de cette tombe, on ne revient jamais.

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Chapitre 39

John rencontre Mustapha

ohn, après s’être installé à son hôtel au Caire, entreprit des démarches pour rencontrer le père de Lobilia. Bien que madame Verbelder lui ait décon-

seillé cette rencontre, elle l’aida tout de même à obtenir cette audience. Elle comprenait très bien ce qui tenaillait cet homme. Elle avait ressenti toute l’affection qu’il y avait entre ces deux êtres, et, que John résistait à la répulsion des actes de Lobilia. Cependant, elle s’interrogeait pour savoir si la contrition de cette femme trouvait sa source véritable dans cet amour inavoué pour John. Le pardon n’est-il pas le ciment de l’amour ?

J

La résidence de Mustapha, située près du centre de la ville, était un ancien palais de l’ère copte très bien préservé malgré les nombreuses restaurations. Le taxi le déposa devant d’immenses grilles de fer ouvrées de dorures rutilantes. Un gardien le fit entrer par une porte cochère attenante, tandis qu’un serviteur arabe le conduisit dans la grande cour intérieure. L’agora, autour duquel le palais s’organisait en divers pavillons d’époques différentes, était un vaste espace parcouru de sentiers, d’allées et de fontaines ornées de céramiques vernissées et pénétrées par les rayons du soleil. C’était un magnifique jardin planté de grands arbres, dont des palmiers royaux, et agrémenté de parterres fleuris.

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Le mystère du Cracovia

C’est dans l’un de ces bâtiments qu’il fut introduit et mené dans une vaste pièce richement meublée dont les murs et plafonds étaient revêtus de carrelages polychromes et dont les tesselles compliquées étaient étourdissantes. Il fut accueilli par un homme au visage vieillissant, mais énergique dont les yeux scrutateurs d’un brun vert se cachaient sous d’épais sourcils en broussailles. Après une courte révérence de son hôte qu’il rendit avec autant d’amplitude, John fut invité à prendre place d’un côté d’un long sofa et Mustapha s’assit, de l’autre côté, en vis-à-vis comme l’exige la coutume.

— Vous avez demandé à me parler, sahib Gardner, alors je vous écoute.

— Je suis un ami très fervent de votre fille à laquelle je ne veux que du bien. Vous n’ignorez certainement pas les évé-nements qui se sont déroulés dernièrement dans la vallée de Dernah. Malheureusement, ceux-ci ont pris fin avant que je puisse revoir Lobilia pour les comprendre. Sachez qu’elle avait fait appel à moi pour l’aider et que j’ai traversé la Méditerranée pour lui porter secours. Mais, voilà qu’elle a disparu sans que les incertitudes sur son sort soient levées. Je désire seulement avoir un entretien avec elle pour pouvoir me rassurer sur ce qu’elle est devenue.

— Je comprends bien votre sollicitude et, effectivement, je sais de sa bouche les tristes affaires auxquelles elle a participé et dont elle réalise maintenant toute l’horreur. Elle a pensé bien faire sans entrevoir le mal qui en découlait. Elle a beaucoup manqué de sagesse, mais elle a surtout souillé l’héritage de ses ancêtres. Pleinement consciente, elle est décidée à s’en repentir en quittant définitivement ce monde que sa naïveté lui refuse. Considérez, monsieur, qu’elle n’existe plus. Aujourd’hui, elle est plus morte que morte, et elle n’est plus visible pour personne. Croyez que les sentiments qu’elle avait pour vous ont été les seuls sentiments purs et véritables et ils demeureront sa seule consolation. Cependant, sa honte, si grande, lui interdit de vous revoir, incapable qu’elle est de vous montrer son visage. Il ne me reste qu’à vous remercier de la bienveillance infinie que vous avez démontrée envers ma fille, et je vous en serai l’éternel débiteur. Comprenez que je ne suis pas maître du destin des âmes, particulièrement en ce qui concerne les secrets des

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Chapitre 39 – John rencontre Mustapha

pharaons. Il vous faudra donc oublier toute cette affaire et agir dans ce sens.

Mustapha s’était levé en prononçant cette dernière phrase qui indiquait qu’il n’y avait plus rien à ajouter et que l’entretien était terminé. C’est donc perdu dans ses pensées que John quitta la maison de Mustapha. Après avoir déambulé au hasard dans les ruelles entourant le palais, il s’assoit à une table d’un café pour se distraire avec un thé arabe très sucré, comme on le boit au Caire.

Le serveur qui revint avec sa consommation n’était pas le même que celui qui avait pris sa commande, mais il n’y fit pas attention. Il paya le garçon et commença à siroter le liquide chaud qui le réconforta quelque peu. Est-ce que le père avait parlé pour la fille ou pour le père ? Chose certaine, ce dernier lui avait manifestement signifié son mécontentement pour qu’il n’essaie plus de revoir Lobilia. Cela avait été dit poliment, mais clairement. Mais que voulait réellement Lobilia ? Ou plutôt, une fois le drame passé, que désirerait-elle réellement ? Et lui, que voulait-il vraiment ? Il ne pouvait biffer les senti-ments profonds qu’il éprouvait pour celle avec qui il avait partagé un amour sincère et profond. Et depuis il n’avait cessé d’essayer de retrouver cet amour. Elle l’avait quitté pour se réaliser, atteindre des buts autres et ailleurs, pour elle seule. Son cœur lui rappelait le fait qu’il n’en faisait pas partie et donc qu’elle n’avait eu pour lui qu’une passion limitée. L’amour n’a pas de frontières, pas de limites, il repose sur une confiance totale, ce qui le distingue du flirt, du « je l’aime bien », sentiment passager en attendant mieux qu’une affectivité restreinte et éphémère.

Trop y penser lui chavirait l’esprit et exacerbait sa mélancolie, donc, il décida de rentrer. C’est alors qu’il remarqua un billet attaché à la note que lui avait remise le serveur. Était griffonné en grec le message suivant : « J’ai décidé de m’élever vers le ciel dans la Trinité pour y trouver la paix ».

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Chapitre 40

Réunion à l’amirauté

e fier cuirassé entra dans la rade d’Alexandrie portant toutes ses couleurs aux mats comme une fiancée montant l’allée centrale de l’église le

jour de ses noces. Sur les quais, les badauds s’agglutinaient pour admirer cette impressionnante construction qui, contre toute logique, s’appliquait à flotter. L’Égypte faisait partie de l’empire de la Reine Victoria et sa force ostentatoire était sa Marine. L’orgueilleux navire s’ancra bien en vue devant la tour de la capitainerie de l’antique Cité fondée par Alexandre. Plus tard dans la journée, son commandant fut reçu par l’amiral Porter, un vieux bourlingueur ayant fait ses marques à la bataille du Jutland en 1916. Après une solide poignée de main, les deux hommes prirent place dans de confortables fauteuils de cuir pour siroter un bon scotch de malt afin d’aborder cette curieuse affaire du Cracovia sous les meilleurs auspices possible.

L

— J’ai lu votre rapport, capitaine, et il me semble qu’il y a encore bien des points nébuleux. Mais pour la Marine de Sa Majesté, la seule chose essentielle est que vous me confirmiez le naufrage corps et âme du Cracovia sur la côte de Bamba. Et il faut surtout que vous soyez certain que ses occupants, le comte et la princesse demeurent prisonniers de la mer à tout jamais. Il ne

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Le mystère du Cracovia

faudrait pas que l’un ou l’autre réapparaisse après que nous ayons confirmé leur mort, vous me comprenez William ?

— Je vous entends très bien, Amiral, et c’est dans ce but que cet après-midi j’ai une dernière rencontre avec tous les acteurs de cette curieuse histoire. Le Cracovia est bien au fond de la mer, reste à m’assurer que ses occupants le sont également comme je le pense.

C’est dans cette expectative que le capitaine rencontra tous ceux qui participèrent à cette aventure dans l’une des salles de l’amirauté. Réuni autour d’une lourde table de bois sombre, installé dans des sièges tout aussi massifs, personne ne manquait y compris Tipio qui était venu de Malte. Il avait, tout comme son ami, le docteur Reiss, récupéré sa santé bien que ce soit encore un peu fragile. C’est d’ailleurs lui qui ouvra l’assem-blée et il le fit comme un président de compagnie, ce qu’il était en réalité.

— Mes amis, je suis heureux de vous retrouver tous sains et saufs et j’espère que nous pourrons ensemble faire la lumière sur toute cette affaire. La première question concerne le comte Straszy. Est-il vraiment mort ? Et comment ?

Madame Velberder répondit avec tout l’apparat de sa noble personne…

— J’ai questionné le cheikh Moufdhi à ce sujet pour apprendre que les hommes attachés à la personne de la prin-cesse avaient reçu pour mission d’aller détruire le Cracovia de la façon que vous savez. Le comte Straszy qui les accompagnait voulait récupérer ses dernières affaires dans le voilier, puis revenir au camp avec les hommes par le sentier de la montagne et, subséquemment, reprendre la route pour Le Caire avec Lobilia. Les hommes sont revenus, mais sans Straszy. Ils ont expliqué que ce dernier avait accidentellement partagé le destin du bateau qu’il affectionnait tant.

— Bref, chère Madame, vous nous certifiez que le comte est bel et bien mort… Dieu a son âme.

— Je vous précise, ajouta Renaldo, qu’en fait c’est le sosie de Darius, ex-Straszy qui, de toute façon, suivant le plan initial du comte lui-même, devait disparaître dans ce naufrage préparé depuis le début. Mais ce plan a été modifié selon les événements que vous connaissez aujourd’hui.

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Chapitre 40 – Réunion à l'amirauté

— Mais alors, qu’en est-il de Darius lui-même ? demanda Ortega.

— Eh bien, à ce moment-là, Darius avait déjà été éliminé par les soins de Straszy, reprit Tipio. La police a retrouvé un corps calciné dans une luxueuse voiture suite à un accident de route sur une corniche des Dolomites au nord de Bergame. Mais aucune identification n’ayant été demandée, le corps ne sera jamais officiellement reconnu comme étant celui de Darius. De cette façon, le comte espérait se substituer à son fils pour pouvoir récupérer ses biens qu’il lui avait légués par sa mort simulée par le naufrage du Cracovia.

— Reste la princesse Lobilia ? interrogea le capitaine Ridgeway.

Une fois de plus, Messy reprit la parole, mais avec beaucoup de retenue. Comme une confidence, elle déclara que Mustapha, le père, venait tout juste d’enterrer sa fille Lobilia dans le caveau familial, celle-ci étant décédée d’un cancer il y a quelques jours.

Toute l’assemblée en resta stupéfaite, surtout John qui se redressa brutalement sur son siège… pour articuler avec peine… c’était donc ça le message !

— À quel message faites-vous allusion, monsieur Gardner ? rétorqua madame Verbelder.

Mais il garda le silence comme quelqu’un de vaincu, complètement atterré d’apprendre que tout était fini et qu’il ne reverrait plus jamais celle que son cœur aimait.

Le président Tipio résuma les faits pour conclure que la mort officielle des principaux instigateurs constituait la fin de cette histoire. Il demanda à tous d’oublier celle-ci et déclara la réunion terminée en remerciant tout le monde d’y avoir assisté. Bien sûr, il rédigerait une version officielle commune avec la Marine anglaise et la Justice italienne. Ainsi, son ami Ortega pourrait, en s’en tenant à cette ligne de conduite, raconter toutes les péripéties à sa façon et surtout au goût de ses lecteurs.

De fait, tout le monde était satisfait. La nuit enterrait les morts et le jour donnait la présidence à Tipio, la une payante à L’Observatore d’Ortega et la fin glorieuse de la mission du Neptune et de son commandant. Seul John restait dans les limbes. Comment Lobilia pouvait-elle mourir en si peu de temps d’un

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Le mystère du Cracovia

cancer ? Peut-être était-elle déjà malade quand il l’a revue il y a quelques jours, mais certainement pas à l’article de la mort. Non, ce n’était pas possible. Il y avait là une terrible mystification.

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Chapitre 41

Rien ne va plus

près la rencontre à l’amirauté, John avait regagné son hôtel passablement déprimé. Il avait senti à maintes reprises des malaises chez tous les parti-

cipants, sauf peut-être, pour le capitaine Ridgeway et le président Tipio. Ces derniers avaient géré cette réunion en bons exécutants. Ils avaient expédié les discussions concernant son seul problème, le sort du Cracovia. Mais madame Verbelder lui était apparue particulièrement suspecte. Cette dame si encline à s’exprimer était demeurée peu expansive. Tout comme Renaldo qui, à quelques reprises, avait demandé des explications, initiatives de silences gênants. Mais pour John, la réponse de madame Verbelder concernant le décès de Lobilia semblait peu crédible.

A

Il se coucha tôt et eut une nuit agitée de songes angois-sants. Au matin, John était encore perdu dans ses pensées quand le téléphone sonna; c’était la réception qui lui annonçait la venue d’un visiteur qu’il accepta de recevoir dans le salon de l’hôtel. Il fut surpris d’y trouver le journaliste Renaldo alors qu’il espérait plutôt madame Verbelder. Après avoir pris place dans un coin discret avec un grand café au lait, Renaldo expliqua à John ses sentiments ambigus concernant les conclusions de la réunion à l’amirauté. Bien des aspects de cette affaire avaient été sciemment laissés dans l’ombre.

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Le mystère du Cracovia

— Ce que je ne m’explique pas, mon cher John, c’est la découverte de la seconde entrée du tombeau. Comment se fait-il que l’on se donne beaucoup de mal pour interdire l’entrée principale alors qu’il n’y a rien pour défendre cet accès que devaient connaître Lobilia et sûrement madame Verbelder ?

— L’archéologue ne m’a jamais mentionné cette seconde entrée. Elle ne devait pas la connaître, et seule Lobilia savait. Elle est venue en bateau avec le comte prévoyant pénétrer par la montagne, mais elle avait fait venir du Caire une troupe d’hommes de main pour installer un camp à l’entrée de la vallée. Ces hommes sont ceux de Mustapha, donc, ce dernier était au courant des activités de sa fille et il les soutenait.

— Alors vous pensez que Verbelder ne savait rien des projets de Lobilia ?

— Effectivement, celle-ci n’avait aucun rôle dans les projets de Lobilia et de son père qui visaient exploiter cette découverte. Mustapha escomptait faire fortune dans les activités pharmaceutiques de Straszy. Il aurait ainsi eu les moyens de soutenir ses ambitions politiques visant l’indépendance de l’Égypte. Mais je soupçonne que Verbelder était informée de ce qui se tramait. C’est ici que se situe le rôle trouble du docteur Reiss. Je n’arrive pas à comprendre ses intérêts dans cette affaire.

— Il y a surtout pour moi le mystère de la mort de la princesse. J’imagine que vous n’êtes pas du tout convaincu de cette fin saugrenue qu’on espère nous faire avaler ?

— Je suis certain que Lobilia est toujours vivante. Mais on la veut morte pour qu’on ne pose plus de questions, mon cher Renaldo.

— Il y a donc encore à enquêter. Il faut avoir les réponses à ces mystifications qui cachent, j’en suis persuadé, des enjeux importants.

— Si vous êtes d’accord pour poursuivre l’enquête, je vous invite à m’accompagner chez le professeur Paul Dubuisson avec qui j’ai rendez-vous ce matin même.

Les deux compères convinrent de marcher jusqu’à l’Institut d’archéologie de France qui n’était éloigné que de quelques kilomètres de l’hôtel de John. Au Caire, la circulation piétonne est plus rapide et sécuritaire que celle motorisée. Pendant qu’ils déambulaient en discutant, ils ne remarquèrent point qu’ils étaient

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Chapitre 41 – Rien ne va plus

discrètement suivis par un indigène. La foule bigarrée se pressait de toute part et les pickpockets étaient surtout à surveiller. Mais c’est aux carrefours que les dangers sont décuplés. Aucune règle ne départage les priorités et chacun risque sa vie en imposant sa présence. C’est ainsi qu’au grand boulevard de Shubra, Renaldo faillit être happé par une grosse berline qui, à toute allure, se jeta dans l’intersection au moment où ce dernier tentait de franchir le passage. C’est un malheureux cycliste qui, débordant subitement le journaliste, en fut la victime. Heureusement, le conducteur braqua à la dernière minute et l’homme s’en tira avec quelques égratignures. Mais le chauffard ne prit pas la peine de s’arrêter et continua sa route sans même ralentir.

Dans le petit hall de l’Institut, l’accueil de monsieur Dubuisson fut certes chaleureux, mais le professeur semblait inhabituellement nerveux. Pendant qu’il amenait ses invités vers son bureau situé à l’étage, quelque chose le rendait très loquace sur les vétilles du quotidien, ce qui n’était manifestement pas la nature de cet homme cérébral peu intéressé aux choses triviales. Puis en ouvrant le vantail de la porte, il avertit John qu’il y avait déjà une personne qui les attendait dans son bureau.

Soudain, d’un des sièges du cabinet se leva l’invité mystère, c’était madame Verbelder. Elle rejoignit prestement les nouveaux arrivants et avec un grand sourire narquois, elle leur lança un bonjour sonore,

— Mon cher John, vous semblez surpris ? Et avec un regard circonspect pour Renaldo elle ajouta : — Et moi, surprise de vous voir ici, monsieur le jour-

naliste ! Tout le monde prit siège dans le petit salon attenant

dont les murs affichaient de façon ostentatoire les dessins tirés des fouilles faites à l’époque de la campagne de Napoléon. La France montrait clairement ses droits inaliénables sur la fondation de l’archéologie, et particulièrement de l’égyptologie. Le pro-fesseur Dubuisson rappela les faits que John lui avait exposés lors de la réunion à l’amirauté. Il termina en rappelant à John sa demande qu’il lui avait faite afin de l’aider à éclaircir le décor dans lequel les divers acteurs avaient joué leurs rôles respectifs.

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Le mystère du Cracovia

— C’est cette bonne amie, madame Verbelder, qui est plus en mesure de répondre à vos questions et inquiétudes… alors, chère collègue, je vous demanderais de bien vouloir nous expliquer.

La dame se donna quelques instants pour ordonner ses idées, puis prit la parole.

— Il faut d’abord comprendre l’enjeu principal qui résulte de cette découverte initialement archéologique. Il s’agit de la possibilité d’allonger la vie humaine en utilisant le siège d’Osinis. Aux lectures que j’ai faites des parchemins du pharaon, j’ai compris que c’est en construisant sa dernière demeure qu’il trouva cette veine rocheuse très particulière. Il a expérimenté le flux d’énergie que libéraient les cornes d’Hathor et découvert les bienfaits que procurait cette énergie. À plusieurs reprises, il a utilisé ce processus de rajeunissement, ce qui lui a permis de vivre bien au-delà de l’âge habituel des hommes de son époque. Mais dans sa grande sagesse, il décida de ne plus avoir recours au siège de jouvence et d’accepter ce cadeau des dieux qu’est la mort. Et, pour s’assurer que personne d’autre ne l’utilise, il prit grand soin de sceller sa tombe pour l’éternité.

— Hélas… en mettant au jour son tombeau, nous avons, mon mari et moi, offert aux hommes cette possibilité de vie allongée. Lobilia attisa la cupidité de Straszy et aussi de son père, l’un pour la richesse, l’autre pour le pouvoir politique. Mais voilà que les plans de ce pouvoir sont d’enlever l’emprise anglaise sur l’Égypte et surtout sur le Canal de Suez, suprématie de leur empire. Le docteur Reiss, agent de renseignements anglais de la région, comprit l’urgence d’empêcher l’exploitation de cette découverte que voulait en faire Mustapha par l’entremise de sa fille et de Straszy. Il était à l’époque le commanditaire financier d’Albert, son mari. Il me demanda des renseignements concernant l’existence et le sérieux du pouvoir des cornes d’Hathor. C’est ainsi que j’ai eu la faiblesse de collaborer avec lui pour empêcher Lobilia de concrétiser son projet de mettre au point un traitement efficace de rajeunissement.

Mon intention était de préserver cette merveille archéo-logique en la retournant dans l’oubli comme l’avait voulu Osinis, et, à cette époque, Reiss partageait mon objectif. Nous ne voulions que mettre un terme aux plans de Staszy et, incidemment,

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Chapitre 41 – Rien ne va plus

de Mustapha. Mais voilà que les choses sont allées trop loin. La disparition du Cracovia, en devenant publique, mit en lumière les intérêts des divers protagonistes. Maintenant, les autorités anglaises ont décidé de ne plus risquer que cette découverte soit exploitée. Leur plan est de faire disparaître cette concrétion rocheuse en la détruisant avec de puissants explosifs. J’ai appris, il y a peu de temps qu’une expédition, montée par le docteur Reiss, parte bientôt pour exécuter cette abomination qui risque de détruire une grande partie du palais d’Osinis.

Là s’arrêta la narration des derniers événements qui se jouaient dans cette affaire et qui n’avaient plus rien d’archéo-logique.

John demanda à la dame comment elle avait été instruite de ce que Reiss préparait. Il apprit que Mustapha avait fait appel à la dame en lui promettant de ne plus tenter d’utiliser les pouvoirs que Lobilia avait trouvés par ses recherches. Mustapha reconnaissait la sagesse de la décision de sa fille et il était décidé à contrer cette mission en demandant à Verbelder d’agir pour sauver le tombeau.

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Chapitre 42

La foudre d’Hator

endant que ces discussions avaient lieu au Caire, loin de là, le docteur Reiss avançait silencieusement dans le boyau qui menait au puits d’entrée du

tombeau par l’accès de la mer. Il était accompagné de deux hommes dont l’un était lourdement chargé. La troupe avait débarqué tôt le matin dans la petite baie devenue le cénotaphe du Cracovia. Reiss, qui avait pris le train pour Benghazi, était discrètement descendu à mi-chemin dans la ville portuaire de Tobrouk. Au port, il avait loué les services d’un marin pêcheur avec son sambouk pour l’amener là où son ballon l’avait rude-ment déposé la dernière fois. À son arrivée dans la baie, le ciel de la nuit sans étoiles cédait sa place au ciel du jour sans soleil. Le patron du petit voilier était nerveux. Il demanda au docteur de faire vite, car le temps était très changeant en cette saison et pourrait empirer.

P

Reiss savait que le cheikh Moufdhi devait monter la garde devant le tombeau. Alors son plan était simple, entrer par la porte arrière pour avoir accès par la montagne aux cornes de pierre afin de les détruire à la dynamite. Il était bien décidé à faire disparaître cette machine infernale qui permettrait la vie éternelle. Pour sa foi hébraïque, il s’agissait là d’un sacrilège, car seul Dieu décidait de la durée et de la fin de notre apostolat

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Le mystère du Cracovia

sur cette terre. Pour lui, c’était un acte d’incommensurable orgueil que de vouloir décider d’allonger ou de raccourcir la vie que le créateur avait donnée à chacun de nous. La défendre, la protéger certes, mais ne pas en changer le terme.

Le trio venait de déboucher à l’extérieur, là où un sentier étroit serpentait aux abords de la montagne. Reiss ne connaissait pas bien ce passage secret qui devait l’amener vers le tombeau. Son intention n’était pas d’y entrer, mais seulement de trouver ces colonnes rouges qu’on lui avait dit se révéler facilement aux visiteurs de la vallée perdue.

Ils entreprirent la marche dangereuse de cette piste rocailleuse en observant minutieusement le haut de la falaise, essayant d’apercevoir ce qu’ils cherchaient. Mais des volutes de vapeur des nuages de plus en plus bas masquaient en partie la crête de la montagne. Soudain, des coups de feu claquèrent en contrebas. Les balles ricochèrent autour des importuns. Reiss, qui était en tête, déguerpit vers la fin du sentier pour se mettre à couvert, là où se trouvait la porte d’accès au tombeau, comme on lui avait raconté. Mais les tirs se précisèrent et l’un des deux larbins du docteur fut touché. Il s’effondra face contre terre tandis que les deux autres forçaient l’allure. À 60 ans, le docteur, qui n’avait plus l’âge des sprints, obstrua la fuite du second larbin. C’est alors que ce dernier essaya de doubler le docteur en le projetant de côté. C’est à ce moment qu’il reçut une balle qui lui fut mortelle. Il vacilla, puis il tomba, sans même un cri en bas de l’escarpement.

Reiss, à bout de souffle, était affalé sur la paroi du pro-montoire lorsqu’il entrevit, tout près, l’aboutissement du chemin où il était certain de trouver l’accès caché. Dans un effort ultime, il se redressa et se rua vers cet espace dégagé cherchant des yeux la porte de son salut. Mais il ne savait pas qu’elle avait été bien dissimulée sous ses pieds par les soins du cheikh Moufdhi. Dans un craquement sonore, les vieilles planches obstruant l’orifice du puits cédèrent et le docteur fut entraîné dans une chute funeste.

Au Caire, John en arriva à la question la plus difficile pour lui, celle dont il retarda l’énoncé craignant la réponse… et Lobilia ?

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Chapitre 42 – La foudre d'Hator

Ce n’est qu’au sortir de la réunion, une fois seul dans le parc de l’Institut avec Messy, il fit une pose et demanda la vérité à celle qui devait connaître la réponse.

— J’ai été au vieux cimetière, là où repose la famille de Mustapha, et je n’y ai vu aucune sépulture, aucune gravure n’attestant le repos éternel de Lobilia. Faut-il que je cherche ailleurs ?

Madame Verbelder afficha soudainement un visage qui rappela celui de la Pieta de Michelangelo. Elle reprit lentement en silence leur déambulation. Puis après quelques pas, sans regarder John, elle dit, comme pour elle-même :

— Allez, cherchez, John, dans un autre cimetière une terre qui se trouve entre ciel et terre, et qui n’accueille ni les morts ni les vivants… dans les limbes de la Trinité.

John sursauta… — La Trinité ? Mais quelle Trinité ? Où dois-je la

trouver ? — Je ne peux, je ne dois en dire plus, j’ai promis. Mais

pour un bon historien et archéologue comme vous, cela ne doit pas être si difficile de penser au pays de ceux qui mirent un terme à l’ère des pharaons.

Ils étaient arrivés devant la voiture de Messy dont le chauffeur tenait la portière ouverte. Elle s’y engouffra sans en dire plus.

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Chapitre 43

Quand l’âge vient vite

e docteur Reiss reprit peu à peu ses esprits. Étendu dans les ténèbres depuis déjà plusieurs heures, ses souvenirs revinrent, la fusillade puis

la chute dans cette fosse. Il fouilla dans la poche de son gilet et y trouva sa lampe de poche qui s’alluma à la pression du bouton. Son épaule droite lui sembla démise. En effet, elle avait absorbé le choc tout comme sa nuque, mais son crâne était intact. Il se redressa puis tenta de se relever. Debout, il comprit que sa jambe du même côté peinait à le soutenir. Il avisa une pièce de bois qui lui tint lieu de béquille. Après avoir examiné la cheminée et appelé, il conclut qu’il ne devait espérer aucun secours de ce côté. Tout ce qu’il entendait dans le puits était les gouttes d’eau qui tombaient. Là-haut il devait pleuvoir abondamment. Il se résolut donc à chercher sa survie au bout du couloir qui s’offrait devant lui.

L

Après bien des efforts, il réussit à atteindre la biblio-thèque puis à entrer dans l’immense enceinte du mausolée. De sa faible lampe, il découvrit le magnifique sépulcre d’Osinis. Il demeura un long moment assis sur les degrés de l’estrade de l’imposant monument. Émerveillé de tant de majesté, il en arriva à entendre les reproches du pharaon pour avoir osé violer sa tombe et, surtout, désirer détruire ce corps royal que son

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Le mystère du Cracovia

âme habitait toujours. Dieu n’est-il pas l’artisan de chaque humain, de chaque esprit, peu importe l’enveloppe. Soudain, il réalisa que le halo de lumière qui cerclait la sépulture n’émanait pas de sa lampe… celle-ci s’était éteinte depuis longtemps.

Péniblement, il se releva, puis se dirigea vers l’arrière du monument d’où les rayons rougeâtres sortaient par l’embrasure d’un rectangle pour inonder faiblement la vaste pièce. Il emprunta ce passage pour aboutir dans la salle d’embaumement décrite dans la narration de ses amis. Mais l’intensité de la lumière provenait d’une autre pièce tout au fond. Là, il découvrit un espace sphérique dont les murs translucides émettaient cette curieuse illumination. Enfin au centre, taillé dans un pilier central en pierre, le trône d’Osinis. C’était plus une niche épousant la forme complète d’un corps qu’un simple fauteuil. Comme par magie, ses contours chatoyants dégageaient une douce chaleur. Hypnotisé, le docteur abandonna son corps meurtri, dans ce le lit bienfaisant où il sommeilla, il ne sut combien de temps. Brusquement, comme dans un songe, il sentit que son sang se glaçait, son souffle court, et il perdit la raison.

Là, tout en haut de la montagne, l’orage durait depuis plusieurs heures. Tout à côté, dans la vallée, le cheikh Moufdhi et ses hommes s’étaient abrités dans une échancrure de la falaise. Ils purent admirer d’intenses éclairs frapper les cornes du dieu Hathor. Celles-ci passèrent du rouge à l’orange fulgurant pour s’éteindre dans une couleur indéfinissable comme un fer chauffé dans les forges du diable.

Plusieurs jours plus tard, au Caire, Renaldo rencontra madame Verbelder à sa résidence du quartier de l’Île près du Musée d’archéologie. Elle l’avait appelé à son hôtel où le jour-naliste rongeait son frein depuis leur dernière rencontre. Effec-tivement, il avait été convenu qu’elle allait organiser une mission visant à protéger la tombe d’Osinis. Mais auparavant, elle désirait connaître les plans du docteur Reiss. Par ailleurs, Messy avait pris la précaution d’avertir le cheikh Moufdhi des intentions de ce dernier de s’attaquer au monument. Elle lui avait intimé l’ordre de faire surveiller le site jour et nuit et de lui faire connaître tout ce qui pouvait survenir.

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Chapitre 43 – Quand l'âge vient vite

Renaldo pénétra dans la magnifique propriété dont les jardins jouxtaient le Nil. L’immeuble cossu de trois étages qui devait dater de la fin du siècle passé était d’une architecture sobre. Mais l’intérieur était un véritable musée égyptien. Debout dans un grand salon aux hautes fenêtres donnant sur le Nil, la maîtresse des lieux l’accueillit. Renaldo fut surpris de ne pas y trouver John. Madame Verbelder lui expliqua :

— Notre cher ami m’a demandé son congé. Il avait une affaire pressante qui l’attendait ailleurs. Et comme la nôtre piétinait, je n’ai pu le retenir.

Elle enchaîna sur les dernières nouvelles qu’elle avait obtenues du cheikh Moufdhi.

— Je crois que la partie est terminée en ce qui concerne Reiss et son projet de destruction. Il a bien essayé de détruire les colonnes d’Hathor avec l’aide de deux de ses sbires, mais ceux-ci ont été éliminés par les défenseurs arabes du grand prêtre alors qu’ils tentaient d’escalader la falaise en venant de la mer.

— Alors que devient le docteur Reiss maintenant ? demanda Renaldo.

— Le cheikh Moufdhi l’a trouvé dans la salle d’embaume-ment un peu après la fusillade. Il errait comme un fou bredouillant des discours incohérents. J’arrive tout juste de l’Hôpital de la Piété où il a été admis pour soigner quelques blessures, consé-quences d’une malheureuse chute survenue à son hôtel a-t-on prétexté. Je l’ai à peine reconnu tant il a vieilli. On peut croire qu’il a plus de 80 ans. Un vieillard sénile, c’est tout ce qui reste de l’homme alerte que nous avons vu il y a quelques jours. On m’a expliqué qu’au matin de l’assaut entrepris par Reiss, un orage violent a frappé la région ce qui a dû activer les pouvoirs du trône d’Osinis puisque celui-ci était encore incandescent lorsqu’on a retrouvé le docteur. J’en déduis que l’homme s’est assis sur le siège pendant un long moment. Mais comme il n’avait pas fait les préparations préliminaires, au lieu de rajeunir il a plutôt vieilli au point de devenir sénile et de n’avoir plus de mémoire factuelle. Il ne se souvient donc plus de cette affaire de naufrage et pas davantage du tombeau d’Osinis. Il a même de la difficulté à me reconnaître.

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Le mystère du Cracovia

Comme madame Verbelder, Renaldo conclut que cela mettait un terme à toutes ces aventures ou du moins qu’il fallait l’espérer. Et il ajouta comme pour lui-même :

— L’homme n’est peut-être qu’un animal qui a mal évolué. Il s’est doté d’un cerveau capable de découvrir le feu de la conscience. Cette mutation est en train de le consumer non pas par le savoir, mais par l’avidité.

— Effectivement, mon cher, je pense qu’avidité et orgueil ne peuvent paver le chemin du bonheur, lui répondit la savante femme.

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Chapitre 44

Les Météores

lusieurs semaines étaient passées depuis les évé-nements de la disparition du comte Staszy et de Lobilia. Ceux-ci avaient rapidement sombré dans

l’oubli, tout comme le Cracovia dans les ondes turquoise de la Méditerranée. Sous le ciel bleu cirrus qui s’étalait à tout l’horizon de cette fin de journée en Thessalie, des gens s’activaient au pied d’un météore. Seul John se débattait pour prendre place dans ce cabas d’osier. Après quelques contorsions, il réussit à s’asseoir à même le plancher en nattes tressées. Un jeune garçon retint le fuseau de câbles reliés à des anneaux qui sont attachés à un câble principal torsadé aussi gros qu’une liane et qui s’élance vers le firmament. Une fois installé, le passager donna l’ordre d’entreprendre son élévation. Lentement et par coups, le cabas monta le long d’une paroi de pierre rugueuse. La roche de grès incrustée de silicate brillait comme dans la caverne d’Ali Baba.

P

Le passager trompa son inquiétude dans son voyage vers le haut de cette falaise en admirant le splendide paysage qui se découvrait à lui. Cette plaine de Thessalie, bordée de cette chaîne de montagnes aux dents effritées comme celles d’un vieillard, ressemblait à la palette d’un peintre tant les couleurs de toutes les teintes la bariolaient. Çà et là, les siècles avaient déposé sur

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Le mystère du Cracovia

cette plaine d’immenses cônes de roc, des îles élevées vers la voûte du ciel. Ces pitons rocheux, pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres, les Grecs les avaient baptisés les Météores, signifiant suspendus au ciel. Sur ces hauteurs au XIV siècle, des moines orthodoxes y avaient érigé des monastères

e

pour se retirer du monde païen.

Dans cette vertigineuse montée, l’ascenseur de John l’amena tout là-haut vers le monastère de La Sainte Trinité, juché à plusieurs centaines de mètres. Les plaintes du treuil se faisaient entendre, indiquant que sa lourde charge arrivait à destination. Le panier atterrit enfin sur une haute corniche grâce aux soins de ses servantes, nones résidentes à perpétuité du monastère. À leurs rires étouffés, John devina que sa visite était une de leurs rares distractions.

Mais la Mère supérieure qui reçut ce colis pour le moins dérangeant montrait beaucoup de sévérité dans l’accueil de l’intrus dans son Abbaye. Effectivement, John avait dû lon-guement négocier auprès des autorités ecclésiastiques pour pouvoir effectuer cette visite. Il avait invoqué ses recherches historiques en tant qu’archéologue sur cette période peu connue des ermites qui se sont retirés dans les Météores à l’abri des influences mortelles de leur temps.

Il visita l’ensemble des bâtiments dont l’architecture évoquait plus une bergerie qu’un couvent. Pour l’essentiel, le plan était celui d’une abbaye du Moyen-âge avec son cloître et sa chapelle attenante d’un côté et les communes de l’autre, dont le réfectoire. Seule l’église en arches romanes s’élevait en hauteur et avait été décorée principalement avec de magnifiques icônes toutes en dorures végétales. Mais c’est le préau qui lui plut infiniment. Au centre, un jardin planté d’arbres centenaires, principalement des oliviers et des orangers en forme de parasol, au tronc tordu soutenant des branches horizontales si longues que certaines touchaient celles de l’arbre voisin. Dans les espaces ensoleillés poussaient des arbustes fleuris aux senteurs subtiles. Les murs du déambulatoire qui encadraient ce jardin étaient un simple assemblage de voûtes plates soutenant le toit de tuiles d’argile dont la promenade à la vue aérienne s’assimilait à celle de l’oiseau en vol.

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Chapitre 44 – Les météores

John comprit que ces êtres mystiques voulaient, avec cette élévation au-dessus de la vie terrestre, favoriser celle de l’esprit ignorant les choses triviales de la subsistance du corps. Ainsi, la Trinité se révélait : le ciel était le créateur, la terre sa création, et le moine la sagesse de l’Esprit saint, lien nécessaire aux hommes pour appréhender leur Père.

Derrière le réfectoire se trouvaient l’hôtellerie et les dépendances. L’ensemble occupait pratiquement toute la surface du promontoire. Mais tout au bout, un long sentier très escarpé servait d’accès au cimetière juché encore plus haut que l’abbaye. John demanda à la Mère supérieure qui l’accompagnait s’il pouvait s’y rendre.

— Le chemin est assez périlleux, mais, si vous y tenez, je vais vous laisser aller seul et je vous attendrai au réfectoire.

Très rocailleux, le sentier, qui cheminait sur une arrête minérale, était balayé par des vents forts. Après une montée particulièrement raide, on accéda à un espace restreint logeant les humbles demeures des âmes passées marquées par des pierres blanches gravées du nom des locataires. John circula entre les stèles et finit par trouver ce qu’il cherchait, une pierre récente au nom de Lobilia Mustapha. Son cœur s’étreignit en s’age-nouillant devant l’apparition de ce qu’il redoutait. Il resta un temps prostré les yeux fermés, perdu dans la mémoire de celle qu’il avait aimée. Les parfums des ronces en fleurs lui rappelèrent sa présence de façon si vivante que la bise lui apporta sa voix.

— Tu es venu me chercher, et je t’attendais… certaine que seul l’amour véritable peut mouvoir contre le désespoir.

Il crut rêver. Doucement, très doucement, il comprit qu’il ne s’était pas trompé. Son beau visage lui apparut découpé par le voile de la none qui se tenait debout devant lui.

— C’est bien moi, ou du moins celle qui est ressuscitée de la vanité de la vie. J’ai pris le nom de Sophia, celui de ma sœur récemment décédée dans ce couvent. Je suis venue prendre sa place comme il avait été prévu dans le plan diabolique ourdi par Straszy, car elle se mourait d’un cancer impitoyable. J’aurais pris l’identité de ma sœur pour vivre dans les noirs dessins de la réussite, de l’argent ou du pouvoir… des œuvres éphémères et mortelles… et j’aurais souillé son nom. Dans ce pays, les sages de l’antiquité avaient compris que la mort est le plus grand cadeau

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Le mystère du Cracovia

que les dieux ont donné aux hommes. C’est dans cette philosophie qu’Ulysse a refusé l’immortalité offerte par les sirènes qui vou-laient le retenir dans leur royaume.

— Maintenant, je suis Sophia, pénitente dans l’espoir de la lumière de sentiments plus nobles, ceux qui transcendent l’animal que nous sommes, c’est-à-dire le but ultime de la créa-tion, l’être humain.

— Mais alors ? demanda John. Puis-je croire que mon espérance n’a pas été vaine ?

— Si tu peux encore être patient, le temps de ma con-trition, je serai à toi pour toujours. J’ai lourdement péché pour avoir voulu prolonger la vie au-delà de la règle du créateur… ce que la nature fait… seule, elle doit le défaire. J’ai aussi com-pris que vivre vieux ce n’est pas ce qui est important… le bonheur, ce n’est pas être jeune…

Car être jeune sans connaître la passion de l’amour durable, c’est être condamné à une très longue vieillesse.

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Epilogue

e rajeunissement du comte Straszy est strictement biologique tout comme le vieillissement qu’a subi le docteur Reiss. Effectivement, si l’on peut

allonger rapidement l’âge de façon artificielle, on peut aussi la réduire.

LEn fait, l’âge temporel, compté à partir de notre naissance,

en employant l’échelle des jours terrestres, n’est que la façon usuelle d’évaluer notre durée. On peut ainsi évaluer par cet âge chronologique qu’une personne est assez vieille pour qu’elle puisse seule assumer sa vie. Ou encore qu’elle se presse d’écrire ses dernières volontés sa vie s’achevant. Mais cette façon de compter l’âge est aussi une approximation de nos caractères biomorphologiques. On dit « il n’est pas vieux, il n’a que vingt ans » pour expliquer un manque de jugement. Mais on ne dit pas « il est trop jeune, alors qu’il a quatre-vingts ans pour excuser le même comportement déficient ».

En fait, le temps n’existe pas dans l’état cosmique. C’est une notion de mesure pour l’observation des changements apparents de la matière. Et si la matière était parfaitement inerte, l’Univers serait intemporel. Mais notre condition humaine s’accommode très mal de la notion d’infini. Tout doit avoir un début et une fin. C’est la base de toutes les religions, que d’offrir le ciel, un état de béatitude éternelle à notre vie mortelle.

Notre conception mentale nous oblige à refuser la mort comme un changement final. Il nous faut croire qu’il y a prolon-gement de notre vie après la mort, et surtout une vie humaine,

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Le mystère du Cracovia

et même terrestre. En fait, c’est la seule forme de vie que nous connaissons, comment pourrions-nous penser autrement ? Pourtant, si l’on a eu un début par la naissance, c’est que l’on n’existait pas avant. Et si l’infini est impossible, il nous faudra bien un jour ne plus exister.

On peut, dans un premier temps, définir la vie comme étant essentiellement la somme de tous les changements physiques et biologiques d’une unité de matière. La vie d’un humain ou la vie d’une étoile se résume à l’histoire de ses évolutions entre sa naissance et sa mort. La vie, c’est la durée entre les deux. L’écoulement des changements de l’un et de l’autre est identique. Tout ce qui est différent, c’est la quantité de matière à transformer entre sa formation et sa désintégration.

Maintenant, imaginons que les insectes qui ne vivent généralement que quelques jours arriveraient à vivre quelques années. Ce serait la dévastation totale de toute la vie végétale sur terre. De même, si les humains allongeaient leur vie de plusieurs décennies, ce serait l’épuisement total de toutes les ressources qu’offre la planète. Il est, dès lors, rassurant de savoir que le soleil a assez de matière pour vivre encore quatre milliards d’années.

Reste à convenir, comment détermine-t-on ces limites : naissance ou mort d’une unité biologique que l’on appelle une personne. On est encore incapable de préciser quand commence la vie autant que quand elle se termine. Pensons aux débats concernant le statut que l’on accorde à l’embryon ou encore à la détermination de la mort cérébrale et au débranchement du corps.

Le comte Straszy ne désire que garder sa vie biologique en l’allongeant, pour continuer d’être ce qu’il est, et continuer à faire ce qu’il fait. Mais Lobilia opte pour une vie différente. Elle veut changer sa vie morale qui est distincte de la vie physique. On discute alors de conscience humaine et d’individualité, celle des sentiments qui émanent des sens et qui sont traités et interprétés par le cerveau. C’est ainsi que l’on peut définir la vie autrement. C’est la vie d’un individu, celle d’une unité bio-logique, mais unique, irremplaçable.

Dans les faits, et de façon plus qualitative, la vie est la somme de nos émotions ressenties, bonnes ou mauvaises, liées à nos actes ou aux actes des autres. À cette étape, on parle de

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Épilogue

vie intellectuelle et de bonheur, le processus de base étant les caractères qui nous sont propres : notre éducation sociale qui détermine notre estime et notre culture fournie par le savoir. C’est la recherche du bonheur par les émotions.

Enrichir la vie par le savoir et la culture, c’est l’élargir au lieu de l’allonger. Par exemple, vivre l’histoire c’est agrandir notre propre vie par celle des autres. Ressentir la beauté que nous procurent les arts, c’est aussi mieux ressentir, jouir davantage de la capacité de nos sens. Alors, où se trouve donc la vie ? Dans le biologique animal certes, mais surtout dans les émotions conscientes en affinant notre perception de la grandeur et de la beauté du monde qui est notre origine. C’est ce qu’a compris Lobilia et qu’elle offre à John.

Daniel Senécal, auteur

Achevé à Torrox, Espagne, le 27 mars 2018

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Au sujet de l'auteur

Daniel Senécal, architecte de profession et gestionnaire retraité du service des immeubles de la Ville de Montréal, est féru d’histoire, de géographie et de sciences. Il se démarque par son talent comme peintre et en écriture. Plus précisément, il se passionne pour les récentes découvertes scientifiques sur le fonc-tionnement du cerveau. Il tente d’associer de façon pragmatique la recherche neurologique de la conscience humaine et la longévité de la vie. Entre la recherche de la vie éternelle des Égyptiens et celle d’aujourd’hui, n’y a-t-il pas qu’un seul rêve ? C’est le prétexte pour l’auteur d’écrire avant tout un roman d’aventures à la façon des auteurs comme Jules Verne ou Edgar Allan Poe qu’il affectionne particulièrement.

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Communiquer avec l'auteur

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Remerciements

Je remercie mon épouse Colette Bérubé pour son soutien et ses encouragements tout au cours de l’écriture de ce roman. Ses grandes connaissances en littérature et en orthographe ont grandement contribué à l’aboutissement de cette œuvre.

Également, je remercie Louise Filiatrault pour son aide précieuse dans la mise en forme et l’impression des documents. Merci à France Nadeau pour sa collaboration aux corrections.

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Table des matières

Chapitre 1 – Gibraltar ............................................................. 11

Chapitre 2 – Malaga — Andalousie ....................................... 15

Chapitre 3 – Rome — Conférence de presse.......................... 19

Chapitre 4 – John quitte l’Espagne ......................................... 23

Chapitre 5 – Rencontre en pleine mer .................................... 27

Chapitre 6 – Renaldo voyage en train..................................... 31

Chapitre 7 – Tipio rencontre Darius ....................................... 37

Chapitre 8 – Sur le Phénix ...................................................... 39

Chapitre 9 – Renaldo s’embarque pour la Libye .................... 41

Chapitre 10 – Tipio à l’Observatore ....................................... 43

Chapitre 11 – Lisa et Brutus ................................................... 47

Chapitre 12 – Le Phénix à La Valette..................................... 49

Chapitre 13 – Le Neptune à La Valette .................................. 53

Chapitre 14 – Brutus et Lisa — 2e rencontre.......................... 55

Chapitre 15 – Proposition de Tipio à Ortega .......................... 57

Chapitre 16 – Renaldo sur l’Amarines ................................... 59

Chapitre 17 – Lisa et Brutus à l’église.................................... 63

Chapitre 18 – L’envol vers Le Caire ...................................... 65

Chapitre 19 – John arrive au Caire ......................................... 69

Chapitre 20 – Le Neptune recueille Renaldo.......................... 73

Chapitre 21 – L’écrasement.................................................... 77

Chapitre 22 – Le docteur Reiss intervient .............................. 81

Chapitre 23 – Au Museum du Caire ....................................... 85

Chapitre 24 – On découvre le Cracovia.................................. 89

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Le mystère du Cracovia

Chapitre 25 – Voyage en Ballon............................................. 93

Chapitre 26 – La nuit de John au Relais ................................. 97

Chapitre 27 – Renaldo à l’entrée du tunnel .......................... 103

Chapitre 28 – Le Ballon dans la tempête.............................. 107

Chapitre 29 – Le Ballon percute le Neptune......................... 111

Chapitre 30 – Arrivée près de la vallée................................. 115

Chapitre 31 – Face à face avec Darius.................................. 121

Chapitre 32 – À la porte du tombeau.................................... 127

Chapitre 33 – Renaldo découvre la tombe............................ 133

Chapitre 34 – John retrouve Lobilia ..................................... 135

Chapitre 35 – Lobilia sur le trône ......................................... 139

Chapitre 36 – Straszy dans le Cracovia ................................ 143

Chapitre 37 – Le Neptune entend une explosion.................. 145

Chapitre 38 – Retour au Caire .............................................. 149

Chapitre 39 – John rencontre Mustapha ............................... 153

Chapitre 40 – Réunion à l’amirauté...................................... 157

Chapitre 41 – Rien ne va plus............................................... 161

Chapitre 42 – La foudre d’Hator........................................... 167

Chapitre 43 – Quand l’âge vient vite .................................... 171

Chapitre 44 – Les Météores .................................................. 175

Epilogue ................................................................................ 179

* * *

Au sujet de l'auteur ............................................................... 183

Communiquer avec l'auteur .................................................. 185

* * *

Remerciements...................................................................... 187

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Édition, composition et distribution

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Imprimé à la demande au Québec à compter de

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u début des années 1930, le luxueux voilier de plaisance, le Cracovia, disparaît mystérieusement en mer Méditerranée. La catastrophe survient en pleine

nuit sans aucun appel à l’aide ni confirmation de sa position. L’affaire fait grand bruit, car son propriétaire, le comte Straszy, actionnaire principale et maître du puissant holding Europia, était à bord. Les recherches de la marine espagnole ne trouvent aucune épave ni certitude de son naufrage. Alors une course s’engage entre les différents acteurs concernés par ce drame inexplicable. Le Ministère des Affaires extérieures de l’Angleterre mandate sa Marine pour retrouver le Cracovia alors que le grand journal El Roma en fait autant en envoyant son meilleur journaliste pour enquêter. John Gardner, égyptologue connu, poursuit le même but, mais pour des raisons personnelles. La princesse Lobilia, son amante, était l'invitée du comte dans cette croisière.

A

L’intrigue mêlant argent, pouvoir, amour et secrets scienti-fiques fera vivre des aventures stupéfiantes aux différents acteurs de cette course autour de la Méditerranée pour retrouver les passa-gers du Cracovia.

    

Le premier éditeur libraire québécois sans but lucratif en ligne sur Internet

manuscritdepot.com

ISBN 978-2-89612-580-7