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L’« affaire Heidegger (/idees/article/2014/09/25/heidegger-une-querelle-

philosophique_4493763_3232.html?xtmc=c_est_la_nouvelle_affaire_heidegger&xtcr=1) » lancée l’annéedernière avec la découverte de passages antisémites dans les Cahiers noirs, lejournal de pensée destiné à la publication du philosophe, est en train de

Martin Heidegger (1889-1976), l'un des fondateurs de l'existentialisme en Allemagne.AFP ARCHIVES

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connaître de nouveaux développements. Aurait-on pu apporter plus tôt lapreuve de l’antisémitisme massif du philosophe Martin Heidegger ?

Telle est la question que se pose à son tour la maison qui a publié l’éditionintégrale controversée, Vittorio Klostermann – et qui réclame à présent descomptes aux directeurs de publication. Il semble maintenant que la réception decette philosophie, si importante notamment pour la vie intellectuelle françaised’après-guerre qui en a fait la base de sa critique de la modernité, se soit faitesur la base d’un texte tronqué, minimisant entre autres l’engagement nazi,entièrement à reconstituer par des chercheurs indépendants.

Lire aussi : Affaire Heidegger : nouveau scandale en vue (/idees/article

/2015/03/03/affaire-heidegger-nouveau-scandale-en-vue_4586710_3232.html)

L’an passé, les Cahiers noirs de Martin Heidegger (1889-1976), le philosopheallemand le plus influent du XX siècle, ont semé la consternation dans lemonde entier, non seulement parce que l’on a découvert que ces notes trouvéesdans ses archives contiennent des passages grossièrement antisémites, maisaussi parce qu’elles apportent une justification philosophique à l’antisémitisme.

Dès lors, même avec la meilleure volonté, on ne pouvait plus maintenirl’argumentation selon laquelle si Heidegger avait certes été, pour une brèvepériode, partisan des nazis, son œuvre était en revanche restée relativement àl’abri des conceptions nationales-socialistes. On était bien forcé de se poser laquestion : pourquoi, dans les plus de quatre-vingts volumes de l’éditionintégrale, dans tous les écrits qui avaient paru jusqu’ici, n’avait-on donc trouvéaucun passage massivement antisémite du même type ? Les Cahiers noirsétaient-ils donc le seul lieu où Heidegger fût démasqué ?

Scandale

Depuis des mois, couve le scandale – peut-on utiliser une autre expression ?Les indices semblent se multiplier : les connotations nationales-socialistespourraient avoir été supprimées dans l’édition intégrale publiée par le VittorioKlostermann Verlag, maison d’édition francfortoise petite, mais renommée.

Au mois de novembre dernier, dans Die Zeit le journaliste Eggert Blum relataiten détail les anomalies de l’édition, par exemple le fait que la phrase d’unmanuscrit où Heidegger pérorait sur la « prédestination de la juiverie à lacriminalité planétaire » n’avait pas été imprimée, à la demande du directeur depublication, Friedrich-Wilhelm von Herrmann, et du fils de Martin Heidegger,Hermann.

Lire aussi : Les heideggériens broient du noir (/livres/article/2015/01/29/les-

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heideggeriens-broient-du-noir_4565999_3260.html)

On a aussi constaté que Martin Heidegger avait apporté, après-coup, desmodifications à sa conférence sur « L’Epoque des “conceptions du monde” »(Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard, 1962). Depuis, le doute estinstallé : a-t-on, dans l’édition d’Heidegger qui constitue la base d’innombrablesarticles et livres publiés par la recherche internationale, tenté de présenter unphilosophe expurgé de la doctrine nationale-socialiste ? Les erreurs que l’onvient de mettre au jour dans l’édition « définitive » publiée depuis 1975 nesont-elles que la fameuse partie émergée de l’iceberg ?

Ce ne sont pas des questions érudites réservées aux experts de l’édition. Aprèsla publication si tardive des Cahiers noirs et les interrogations suscitées parl’édition intégrale, il est légitime de réclamer que les rapports avec le fondssoient enfin clarifiés c’est-à-dire, avant tout, que la recherche puisse y avoir unaccès illimité.

Pour une édition vraiment critique des œuvres

C’est ce qu’a entre autres exigé avec verve, il y a peu, le philosophe RainerMarten, l’un des derniers élèves d’Heidegger. Jusqu’ici, aux Archives littérairesde Marbach, on ne peut consulter que les manuscrits des volumes déjà parus,issus du fonds de la famille. Il faut savoir que l’intégrale de Heidegger n’est pasune édition historico-critique. Les différentes versions des textes, lestransformations ultérieures des œuvres par le philosophe lui-même ou cellesqui, par exemple, ont découlé des copies effectuées par son frère, Fritz, ne sontpas documentées.

Depuis des décennies, on établit au contraire en petit comité une édition danslaquelle l’œuvre est comme coulée dans un seul moule. Arnulf Heidegger,petit-fils et actuel curateur de la succession de Martin Heidegger, a une nouvellefois défendu les restrictions d’accès au fonds, protégé par le droit d’auteur.

Ceux qui plaident pour une édition qui satisfasse à des normes scientifiquesadéquates n’ont hélas rencontré aucun écho à ce jour. Mais aujourd’hui, lamaison d’édition Vittorio Klostermann elle-même craint manifestement que cetteintégrale ne finisse par lui poser de très gros problèmes. Il y a quelques jours,l’éditeur a écrit à tous les directeurs de publication chargés des recueils detextes de Heidegger remontant aux années 1930 et 1940 une lettre exprimantune singulière inquiétude.

La maison d’édition, y lit-on, a reçu « après la publication des Cahiers noirs (…)plusieurs demandes visant à savoir pourquoi l’antisémitisme de MartinHeidegger n’est pas apparu plus tôt dans les volumes de l’édition intégrale ».Klostermann ne se réfère pas seulement aux découvertes récentes, mais aussi

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à un singulier lapsus : « Dans le volume 39 (Les Hymnes de Hölderlin : “LaGermanie” et “Le Rhin”) », on a « interprété à tort comme “Naturwissenschaft”[sciences de la nature] une abréviation “N. soz” [national-socialiste]. Cette erreurde lecture s’est maintenue jusque dans l’édition actuelle, la troisième. »

Or, fait remarquer Vittorio E. Klostermann, les manuscrits des volumes parusdans le cadre de l’édition intégrale sont désormais accessibles à la recherchedans les locaux des Archives littéraires de Marbach.

« Erreurs de lecture »

Une situation que l’on juge menaçante : « Les découvertes de ces dernierstemps font craindre que l’on ne cherche d’autres anomalies dans l’éditionintégrale. Toute divergence importante qui pourrait être relevée et exploitée pardes tiers mettrait la maison d’édition et le directeur de publication sur ladéfensive et pourrait entamer globalement la réputation de cette édition. » Pourl’éviter, la maison d’édition aimerait visiblement se donner des armes.

Tous les directeurs de publication ayant participé à l’édition des textes del’époque nazie doivent désormais faire savoir « s’ils ont eu connaissance, le caséchéant, de divergences problématiques entre les manuscrits et les copiesautorisées, s’il y a eu des coupes faites après-coup ou, éventuellement, deserreurs de lecture découvertes par la suite ». Certains des directeurs depublication considèrent cette lettre comme un véritable affront : s’il y avait des« divergences problématiques », des « coupes faites après-coup » et des« erreurs de lecture », les directeurs de publication en porteraient forcément aumoins une part de responsabilité, peut-être même les auraient-ils commisespersonnellement.

C’est un épisode sans doute sans précédent dans l’histoire de l’éditionallemande : les directeurs de publication sont priés d’avouer de leur plein grés’ils ont pratiqué l’omission ou la manipulation – et pourraient donc désormaiscraindre qu’on leur fasse porter l’essentiel de la faute si l’on devait, à l’avenir,dénicher d’autres « erreurs de lecture ». Alors qu’en réalité, l’édition est le fruitde décennies d’interaction entre la maison qui édite l’intégrale, les directeurs depublication et la famille Heidegger.

Le procédé indigne surtout les chercheurs qui ont mené leur travail d’édition endéployant autant de science que de conscience et auxquels on demande àprésent de se justifier. Les directeurs de publication sont aussi explicitementpriés d’entrer en contact avec la maison d’édition s’ils devaient ne pas avoircommis d’« erreurs de lecture ». (« Veuillez aussi m’informer si vous n’avezaucun élément de ce type à transmettre. »)

Etablir des normes

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La maison considère donc sa propre édition avec méfiance et réclame desexplications – uniquement en interne, cependant – à ses directeurs depublication. C’est tout à fait compréhensible. Mais n’est-ce pas la faute de lamaison d’édition elle-même si l’on a négligé d’établir des normes transparenteset contraignantes pour ces volumes ? Même une des directrices de publicationsde l’édition intégrale, la philosophe Marion Heinz, regrettait récemment que leschercheurs avancent dans le noir : « Personne ne sait où des passages ont étécoupés, où l’on a intégré des éléments des textes d’accompagnement ou destextes ultérieurs. Nous n’avons aucune base fiable (…) pour explorer et juger laphilosophie de Heidegger. »

Le reproche n’est pas mince après quarante ans de travail éditorial, si l’onsonge que des pans importants de la philosophie récente, notamment laphilosophie existentialiste et poststructuraliste en France, reposent surl’exégèse de l’œuvre de Heidegger. On le sait, Heidegger n’avait que méprispour l’opinion publique moderne. Le « On », le « bavardage », la manie de« l’occupation » menaçaient selon lui une vie authentique et orientée vers lavérité.

La critique abyssale de la modernité qui fonde jusqu’à ce jour, et à juste titre, lagloire de Heidegger, ne peut certainement pas faire office de ligne directricepour une édition intégrale de ses œuvres. La meilleure chose à faire serait demettre en place une commission de personnes extérieures et, pour le moins,d’établir des normes permettant d’entreprendre une vérification des volumes.Car il ne s’agit justement pas de maniaques des techniques de l’édition traitantun problème de détail, mais de chercheurs du monde entier qui ont tout demême de bonnes raisons de vouloir savoir avec quelle fréquence le « national-socialisme » est devenu chez Heidegger la « science de la nature » (traduit del’allemand par Olivier Mannoni. Copyright : Die Zeit).

Adam Soboczynski (Ecrivain et essayiste)

Adam Soboczynski est l’auteur de Survivre dans un monde sans pitié.De l’art de la dissimulation (en français chez Belfond, 2011).

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