le livre des morts ”gyptien - editions dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir...

24
Pascal Bancourt Le Livre des morts égyptien Livre de vie Ouvrage publié sous la direction de Jean-Pierre Bayard Éditions Dangles 18, rue Lavoisier 45800 SAINT-JEAN-DE-BRAYE

Upload: hoangdiep

Post on 13-Sep-2018

215 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

Pascal Bancourt

Le Livre des mortségyptien

Livre de vie

Ouvrage publié sous la direction de Jean-Pierre Bayard

Éditions Dangles18, rue Lavoisier

45800 SAINT-JEAN-DE-BRAYE

Page 2: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

ISSN : 1160-3380ISBN : 2-7033-0515-X

© Éditions Dangles – Saint-Jean-de-Braye (France) – 2001

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptationréservés pour tous pays.

Page 3: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

Introduction

LE patrimoine spirituel de l’humanité comprend un certain nombrede textes sacrés, la plupart assez renommés pour que les espritscurieux de spiritualité ne puissent les ignorer. Si l’on reconnaît

au Livre des morts égyptien une valeur spirituelle de cet ordre, la ques-tion se pose de savoir si l’esprit d’une civilisation éteinte depuis si long-temps peut quand même nous être accessible. Or, à l’époque actuelle, unecuriosité notable liée à une nouvelle demande de spiritualité se manifesteen faveur de l’Égypte ancienne. Cette civilisation, dont les traces laisséessur son sol continuent d’impressionner les visiteurs, a montré dans sesécrits des signes d’une maturité et d’un savoir authentiques. Elle suscitetoujours, en même temps qu’un sentiment de mystère non résolu, lerespect pour un passé qui fut brillant. Des témoignages très respectueuxde ses contemporains attestent de ce qu’était à son époque son rayonne-ment international. Et plusieurs siècles après l’extinction de ses lumières,elle continue d’exercer une fascination sur ceux qui l’ont approchée nefût-ce que d’une manière superficielle. On pressent donc l’intérêt quepourrait offrir la compréhension de ses textes, et notamment celle dumystérieux Livre des morts.

Le titre de « Livre des morts » a été donné à l’ensemble des textestrouvés auprès des momies, auxquels l’explication officielle attribuepour objectif d’accompagner le défunt dans son voyage dans l’au-delà.Mais il faut reconnaître à cet ensemble de textes une tout autre signifi-cation que celle d’un rituel de magie funéraire. Les Égyptiens appelaientce recueil « Sortie à la lumière du jour », et on relève qu’il contient plu-sieurs allusions indiquant assez clairement qu’il s’adressait bien à desvivants. Et lorsque l’on déchiffre ses formules en leur restituant leur sensallégorique et ésotérique, sa lecture en devient fascinante. Il est cepen-

Page 4: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

dant préférable d’être préalablement averti : le premier regard portésur le Livre des morts égyptien risque de laisser un goût de déception,tant l’ensemble paraît obscur et incohérent. L’impression d’avoir affaireà un mélange confus et désordonné a fréquemment eu pour effet dedésorienter et de décourager le lecteur. Il ne peut pas en être autrement,tant que l’on ne possède pas la clef de lecture et que l’on ignore ladémarche appropriée.

On peut donner un avant-goût de l’intérêt de cet ouvrage en considé-rant ce qui suit. Parmi les livres saints les plus connus au monde, certainsextraits ont pris une importance remarquable par la qualité exceptionnellede leur inspiration et par la puissance de leur enseignement. Il ne seraitpas exagéré de compter parmi ces morceaux de bravoure le passage duLivre des morts égyptien connu sous le nom de «Confession négative».Ce fragment est de tout l’ouvrage celui que l’on cite le plus facilement,parce que c’est le seul qui paraisse compréhensible. Il est à lire poursa valeur, parce qu’il mériterait de prendre place dans une anthologiequi pourrait regrouper, entre autres joyaux, le Décalogue de Moïse, lesBéatitudes du Christ, l’Épître aux Corinthiens de Paul ou le Sermondes quatre vérités du Bouddha.

La «Confession négative» se dit de la proclamation d’innocence querécite le défunt devant le tribunal d’Osiris, pour justifier l’irréprocha-bilité de sa conduite durant sa vie. Cet énoncé des fautes qu’il se défendd’avoir commis contient la description la plus parfaite d’une âme ver-tueuse qui mérite le salut. On y trouve des paroles aussi touchantes que :« Je n’ai pas fait punir un serviteur par son maître… Je n’ai fait pleurerpersonne… Je n’ai causé de peur à personne… Je n’ai pas mis mon nomen avant pour les honneurs… Je n’ai pas rendu ma voix hautaine… Jene me suis pas rendu sourd à des paroles justes et vraies…» D’après cediscours, l’homme ne sera justifié et ne gagnera la félicité éternelle ques’il peut affirmer, avec véracité, ne s’être jamais permis la moindreindélicatesse envers qui que ce soit et n’avoir jamais commis aucun écartenvers la vérité et la justice. Ce passage du Livre des morts égyptien noustransmet la plus ancienne conception du bien de l’histoire humaine quinous soit parvenue ; elle apparaît déjà avec une pureté irréprochable.Simone Weil (1) citait ce texte en témoignage d’une civilisation non souilléed’impérialisme, comme on n’en imagine même plus la possibilité.

8 LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN

1. Écrits historiques et politiques (p. 51-52).

Page 5: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

Mais cette même «Confession négative» a laissé perplexe plus d’unlecteur, car d’après ce texte, le salut éternel requiert une irréprochabilitéabsolue qu’il ne semble pas réaliste d’exiger d’un être humain. Et commele mensonge paraît exclu devant Osiris, le « Seigneur de Vérité », lescommentateurs sceptiques ont recouru à la facilité consistant à prêter auxanciens Égyptiens une mentalité superstitieuse, puisqu’ils devaient croirequ’il suffirait de dire rituellement les choses pour qu’elles deviennenttelles. Selon cette interprétation, le défunt n’avait qu’à réciter les for-mules et répéter : « Je suis pur », pour se blanchir devant un Osiris naïfou magnanime. Par ailleurs, la « Confession négative » qui contient desformules admirables en comporte d’autres qui ont prêté à sourire. On acru voir de grotesques tabous religieux en lisant que le défunt se défen-dait de n’avoir ni «volé la nourriture des dieux», ni «écouté aux portes»,ni «pêché des poissons avec des cadavres de poissons», ni «obstrué leseaux qui doivent couler », ni « coupé les barrages sur les eaux », ni«éteint un feu», ni «empêché un dieu de se manifester»… Si l’on prendà la lettre ces formules – dont la véritable signification sera donnée dansla suite de cet ouvrage –, l’image des anciens Égyptiens retombe dansle schéma d’un peuple crédule, naïf et superstitieux.

En considérant l’impression bien plus délirante que laisse la lecturedes autres chapitres du Livre des morts, on se trouve en présence d’unevéritable contradiction : la naïveté et l’incohérence apparentes de cesécrits est-elle conciliable avec l’idée d’une civilisation égyptienne mûre,sage, et à certains égards supérieure à la nôtre ? Est-il possible que despréceptes d’une indiscutable élévation puissent cohabiter avec de pué-riles superstitions? La réponse à cette question dépend de l’attitude quel’on adopte. On peut traiter de haut l’ancienne Égypte en se gaussantde la supériorité de l’intellectualité moderne ou, à l’inverse, chercher àcomprendre le message que cette civilisation aurait pu nous léguer. Lapuissance évocatoire que déploie le texte, susceptible d’appeler un lec-teur réceptif à son propre dépassement, vient à l’appui de cette secondeoption.

L’impression de l’indéniable qualité morale qu’inspirent les versetsde la «Confession négative», au lieu d’être cassée par l’incompréhensionde ses formules, se confirme lorsqu’on les entend à un autre niveau.Ainsi, l’expression «voler la nourriture des dieux» ne signifie pas cha-parder les offrandes rituelles dans les temples, mais dégrader à des finségoïstes l’énergie spirituelle que l’on devrait consacrer chaque jour à sa

INTRODUCTION 9

Page 6: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

propre élévation. La «pollution des eaux» désigne la responsabilité quel’on encourt pour chaque émission de pensées ou de sentiments négatifs.«Pêcher des poissons avec des cadavres de poissons» indique la corrup-tion des idées de nature supérieure lorsqu’un mental non purifié tentede se les approprier. «Écouter aux portes» – sous-entendu, du temple –ou « chercher à savoir ce qu’il n’y a pas lieu de savoir » veut dire pré-tendre forcer dangereusement l’accès à un degré de savoir initiatique quen’autorise pas – ou pas encore – la qualification du prétendant. L’eau quicoule et le feu qui brûle font allusion à la régénération par le baptêmede l’eau et de l’esprit. Enfin, la manifestation du dieu évoque la phased’initiation durant laquelle l’être entre en contact avec la partie divinequi est en lui ; « empêcher un dieu de sortir en procession », c’est failliraux conditions de pureté requises pour passer cette étape dite de l’« illu-mination ».

Pour reconnaître quelque crédibilité au génie des anciens Égyptiens,il faut admettre qu’ils n’étaient ni plus crédules ni plus stupides que noscontemporains. Les représentations de leurs dieux relèvent d’un sym-bolisme qui ne traduit aucunement la naïveté qu’on leur a supposée. Etc’est attribuer à ce peuple et à ses guides une mentalité bien puérileque de leur prêter la croyance selon laquelle il suffirait de nier rituelle-ment ses péchés pour les effacer. Les conditions exigées pour le salut del’âme n’étaient pas moindres en Égypte que dans les religions actuelles,et pas plus qu’ailleurs on ne se tirait d’affaire par un mensonge consacré.En fait, le texte de la «Confession négative» ne commence à se clarifierque lorsqu’on admet pour explication que le défunt reconnu justifiépour sa pureté sans tache n’est pas un homme ordinaire, mais un initiéaux mystères des anciens temples dont le Livre des morts décrit le par-cours. La clef de ces écrits en apparence obscurs tient donc dans lanotion essentielle d’initiation. Lorsqu’on approfondit dans cette optiquele sens ésotérique des écrits, le Livre des morts s’avère riche en ensei-gnements, car il renferme un fonds hermétique inépuisable.

Une caractéristique commune à plusieurs écrits de l’Antiquité, à tra-vers différentes civilisations, tient à l’usage essentiel du mythe et dessymboles, auxquels il faut restituer leur signification. Depuis que les tra-vaux de certains auteurs comme René Guénon et Mircea Eliade ontéclairci l’hermétisme d’une grande partie du symbolisme universel,l’horizon de notre compréhension s’est trouvé considérablement élargi.La réponse cohérente à la contradiction que l’on ressent entre le senti-

10 LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN

Page 7: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

ment de maturité qu’inspire la civilisation égyptienne et l’apparentepuérilité de ses écrits consiste à comprendre l’importance du symbole etdu mythe, en tant que langages susceptibles de communiquer une intui-tion inexprimable de façon littérale. Le décryptage des textes ouvre alorsl’accès à une dimension intellectuelle bien plus vaste que ne le laissaitsupposer l’apparence naïve de leur expression.

La présente étude du Livre des morts, comparée avec les rares infor-mations que l’on possède sur l’initiation dans l’Égypte ancienne, cher-chera à retrouver la valeur cachée de ce document. Elle se fondera surcette hypothèse : le Livre des morts était à l’origine un guide et un sup-port pour l’initiation, relatant un processus suivi par un soi-disant défunt,mais que des initiés ont expérimenté en Égypte de leur vivant. L’initia-tion en question est une notion délicate à expliquer parce qu’elle neconnaît plus d’équivalent dans le monde moderne ; un chapitre entiersera nécessaire pour exposer ce en quoi elle consistait. Pour résumer sonobjectif, on peut dire qu’il s’agit d’un mûrissement accéléré de l’être pro-duit au moyen d’une « technique spirituelle». Mais cette technique, quine fonctionne pas pour tout le monde, ne dispense pas le candidat defournir un énorme effort et n’opère pas sans risque ni danger. Menée enplusieurs étapes, l’initiation réussie devait aboutir à une véritable muta-tion de l’être, dont l’expression a été transmise dans le langage théo-logique par les termes de « salut », de « délivrance », de « libération » etd’« immortalité ».

L’initiation nécessite une organisation habilitée à la délivrer. Lessociétés anciennes où une telle organisation a existé ont reçu la marque deson influence, car elle formait un noyau d’hommes d’une qualité hors ducommun. Le monde moderne ne connaît plus aucune institution propreà dispenser l’initiation authentique. Il ne manque pas de mouvementspseudo-ésotériques dont les porte-parole se réclament d’une manière aussiassurée qu’invérifiable d’une filiation qui remonterait jusqu’à l’Égypteancienne. Mais à l’heure actuelle, il faut recevoir avec d’extrêmes réservesla prétention qu’afficherait toute organisation à délivrer un messageinitiatique. Bien qu’il subsiste incontestablement dans certaines organi-sations, comme la franc-maçonnerie ou le compagnonnage, des restesd’un rituel et d’un symbolisme relevant d’une ancienne pratique ini-tiatrice, il est douteux qu’aucun groupement actuel puisse se prétendrehabilité à dispenser l’initiation traditionnelle. On peut regretter la perte

INTRODUCTION 11

Page 8: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

de cette ancienne institution sans pour autant se nourrir d’illusion : l’ima-gination de certains ne remplacera pas l’enseignement perdu.

La civilisation égyptienne est morte depuis de nombreux siècles.Nous ne savons à l’heure actuelle que peu de chose sur le processusd’initiation ayant eu cours dans l’ancienne Égypte, et il s’avère très dif-ficile de définir exactement le contenu des anciennes doctrines égyp-tiennes. Notre effort de compréhension se heurte à la difficulté inhérenteà la découverte d’une spiritualité éteinte depuis plusieurs millénaires etce, malgré les différents rameaux issus de son héritage. Les rares sourcesdont on dispose émanent tout d’abord des écrits de l’Antiquité, maisleurs auteurs sont restés pour l’essentiel discrets et mesurés dans leursexplications. Leurs allusions volontairement voilées et incomplètes nepermettent pas de reconstituer d’une façon précise et certaine les moda-lités de l’initiation égyptienne.

Si l’on persiste néanmoins à vouloir éclaircir les textes religieux dupassé, la méthode la plus sûre consiste à approcher leurs fonds ésotériquesen les comparant avec les différentes sources d’information actuellementdisponibles. La démarche suivie dans cet ouvrage procède pour l’essen-tiel par rapprochement avec les traditions spirituelles encore vivantes,comme les traditions orientales, ainsi qu’avec les traditions éteintesdepuis une époque moins reculée que la fin de l’ancienne Égypte. Surce dernier point, le symbolisme de l’alchimie s’annonce d’une aided’autant plus fructueuse que la filiation de cette doctrine avec l’ancienneÉgypte peut être tenue pour assurée. L’hypothèse de travail sur laquellese fonde la méthode comparative adoptée ici repose sur le postulat del’universalité du fonds ésotérique commun à toutes les traditions spiri-tuelles du monde, même entre celles qu’aucune filiation n’aurait appa-remment pu relier.

La doctrine hermétique de l’alchimie nous fournira dans cettedémarche de précieux éléments. L’alchimie en question ne doit pas êtreentendue dans son acceptation commune, autrement dit comme un tâton-nement empirique tenté par des expérimentateurs naïfs, ignorants etintéressés. La production de l’or à partir du plomb doit se comprendreau sens symbolique de la perfection spirituelle de l’homme, opérée aumoyen d’une technique qui, cependant, comporte des difficultés et desrisques. L’initiation traditionnelle n’avait pas d’autre but, et c’est pour-quoi, tout en prenant la précaution de ne pas étendre abusivement lasignification des mots, on peut sous certaines restrictions qualifier

12 LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN

Page 9: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

d’alchimique la tradition initiatique de l’Égypte ancienne. Le parallèletenté entre les doctrines alchimiques de diverses sources et les réfé-rences rencontrées dans le Livre des morts révèle d’admirables coïnci-dences. À cet effet, la compréhension du symbolisme de l’alchimie estde nos jours grandement facilitée depuis que de remarquables travauxd’éclaircissement ont été menés par des auteurs comme Julius Evola (2),Titus Burckhardt (3) et Mircea Eliade (4).

Une autre source d’information, plus récente, nous est livrée par lestravaux de décryptage des textes réalisés par ceux des égyptologues quiont mené leurs recherches en dehors d’un académisme conventionnel.On a assisté à des tentatives très méritoires de la part de certains d’entreeux pour reconstituer cette tradition spirituelle par l’interprétation dessymboles. Les mieux avertis ont notamment compris que la mort dontil est question dans ces textes se réfère à la mort initiatique plus qu’à lamort physique, ce qui avait généré auparavant beaucoup de confusions.Car même s’il s’agit de la mort corporelle, cet événement ne concernepas l’expérience commune, telle que devrait la «vivre» un homme ordi-naire, mais les circonstances que ne peut connaître qu’un individu pré-paré à cette transformation.

L’obscurité rébarbative du Livre des morts finira par s’éclaircir pourcelui qui le désire réellement. La récompense arrive tôt ou tard si l’onsurmonte la première impression de confusion. Après plusieurs cha-pitres, on repère assez vite quelques-uns des symboles les plus fréquents.En poursuivant son effort, on constate qu’une cohérence générale sedégage petit à petit de l’ensemble. Les textes à première vue obscurs pro-duisent, à mesure qu’on leur prête attention, un effet analogue à la plu-part des textes sacrés : ils s’animent d’une vie miraculeuse et finissentpar parler à celui qui les a suffisamment mûris. En livrant peu à peu lesecret de leur signification profonde, ils se parent d’une lumière nou-velle. Conformément à la parabole évangélique selon laquelle celui quidemande du pain ne recevra pas une pierre, les symboles s’éclaircironten profondeur pour l’œil qui cherche à voir.

Les égyptologues ont scientifiquement restitué le niveau philologiquedes textes, aussi leur doit-on cette reconnaissance pour ce patient travail

INTRODUCTION 13

2. La Tradition hermétique.3. Alchimie : sa signification et son image du monde.4. Le Mythe de l’alchimie et Forgerons et alchimistes.

Page 10: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

de déchiffrement et d’interprétation. Cependant, un grand nombre d’entreeux se sont arrêtés aux formes sans songer à éclaircir le sens symboliquedes expressions. Des scrupules liés à leur engagement pour une cer-taine rigueur scientifique les retiennent d’avancer des synthèses trophâtives, mais une rigueur trop austère engendre aussi une forme de rigi-dité. De nombreux savants ont cru rester fidèles à cette exigence scien-tifique en réduisant la spiritualité égyptienne à une mentalité primitiveau sens péjoratif du terme. Des auteurs réputés se sont adjugé le droitde traiter les textes religieux égyptiens de puérils et grotesques en lesdéclarant comme le produit d’une insuffisance cérébrale. Faute de com-prendre une démarche qui ne ressort pas d’une logique purement ratio-naliste, ils ont trouvé plus commode de rire des croyances des Égyptiensen les qualifiant de superstitieuses.

L’époque actuelle voit cependant naître une curiosité nouvelle ; lesécrits anciens interpellent de plus en plus, en suggérant dans quelqueendroit profond de la conscience qu’une nouvelle compréhension s’avèrenécessaire. Certains signes témoignent d’une évolution : on ne traite plusd’arriérées les civilisations extra-européennes traditionnelles; on se défiedes jugements de valeurs dont on les gratifiait autrefois à la légère pours’interroger plus respectueusement sur elles. Dans le domaine religieux,des Églises comme l’Église catholique n’enseignent plus à prendre à lalettre les textes symboliques comme la Genèse, ce qui générait autrefoistant de perplexité dans les esprits. Mais si l’Occident contemporains’est presque débarrassé des a priori qui lui faisaient traiter avec hauteurles civilisations extra-européennes, il lui reste à se défaire d’autres pré-jugés au sujet des civilisations anciennes. On ne peut plus conservercertains lieux communs, comme ceux qui assimilent la religion égyp-tienne à une grotesque idolâtrie générée par une terreur paralysante del’au-delà. Des égyptologues comme Max Guilmot ou Christian Jacq ontpris le tournant en évoquant les lumières que la civilisation égyptienneapporterait au monde moderne, et l’hypothèse d’un message transmispar son élite intellectuelle se répand de plus en plus.

Les explications données dans cette étude ne prétendent pas êtrecomplètes ; une exégèse entière du Livre des morts égyptien, si elle étaitpossible, dépasserait les limites d’un seul ouvrage. L’objet de cet examenest de pénétrer la vision égyptienne, intuitive et synthétique, d’unemanière qui convienne à la compréhension du texte, de façon à rendresa lecture abordable et de faire en sorte que le lecteur soit capable d’en

14 LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN

Page 11: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

tirer par lui-même un maximum d’enseignements. Le travail préalableconsistera à dissiper les obscurités et à rectifier les malentendus etincompréhensions les plus graves. L’essentiel de la tâche s’emploieraensuite à livrer la clef des principaux symboles, regroupés par thèmes.Il s’agira d’expliquer notamment comment il faut comprendre les allé-gories du Livre des morts telles que la descente aux Enfers, l’envol dansla barque solaire, les métamorphoses, la lutte contre les démons, lacommunion à la nourriture des dieux, la régénération par l’eau et par lefeu, ou le corps de lumière. Les explications apportées à ces différentsthèmes posséderont un aspect « technique » inévitable, avec toutes lesdifficultés d’approche que cela implique lorsqu’on aborde pour la pre-mière fois ces sujets. C’est pourquoi il est préférable d’être averti quecet effort d’acquisition s’annonce incontournable pour une véritablecompréhension de fond.

Le présent ouvrage se fonde sur la version du Livre des morts desanciens Égyptiens réalisée par Grégoire Kolpaktchy, qui est sans douteactuellement la traduction qui permet le mieux de percer le véritablemystère de ce recueil. Les citations empruntées à cette version ne serontpas exhaustives afin de ne pas alourdir l’exposé. Le lecteur rencontreradans le Livre des morts d’autres morceaux analogues dont il pourra parrapprochement saisir la signification, de sorte que le texte puisse lui déli-vrer son message tout en montrant sa puissance. Il ne dépendra que del’effort consenti par le lecteur pour que les mots s’animent ou restentlettre morte, une source extérieure ne pouvant lui apporter que les clefset les indications qui lui permettront, selon ses dispositions personnelles,de comprendre et de donner vie à cette substance.

De nos jours, beaucoup d’hommes fuient la solitude et le silence.L’habitude de vivre dans la dispersion et l’agitation les laisse angoissésdès qu’ils se retrouvent seuls avec eux-mêmes. L’épuisement de leursforces vitales et spirituelles sous l’effet du surmenage et de l’énervementse traduit par des sensations de lassitude ou de dépression. La course augain et au bien-être matériel ne comble pas le malaise existentiel dumonde contemporain. Les réponses que les religions actuelles donnentà cette angoisse laissent beaucoup de gens sur leur faim. Ce n’est pasque le message de ces religions soit indigent, ce sont les clefs d’accèsà leur dimension supérieure qui font défaut à des mentalités devenuesplus exigeantes en ces derniers temps où une interrogation revient enprofondeur. Les résultats produits par un certain esprit technocratique

INTRODUCTION 15

Page 12: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

éveillent le doute. L’angoisse de fond qu’une euphorie économique par-venait à peine à masquer dans certains pays se fait toujours sentir d’unemanière sourde et persistante. Les incertitudes devant l’avenir contri-buent à mettre cette angoisse à nu.

Les représentations qui nous parviennent de l’ancienne Égypte don-nent au contraire une impression de sérénité, en surface comme en pro-fondeur. Un contact approfondi avec ce qui reste perceptible de cettecivilisation apporterait déjà une inspiration reconstituante. Les textesdu Livre des morts, attentivement lus, transmettent cette sensation à lafois impressionnante par sa gravité, entraînante par sa vivacité et apai-sante par sa sérénité. Les essais de style et la recherche de l’effet, assezcommuns dans la littérature moderne, peuvent bien divertir ou attirerl’attention un moment, mais leur répétition aura vite fait de lasser. L’ima-gination d’un auteur, aussi habile soit-il, ne dégagera pas une forcecomparable à celle des textes sacrés, dont la puissance vient d’unesource située à un autre niveau et dans une tout autre dimension.

La fascination qu’inspire l’ancienne Égypte survit aux différentesmodes, car une interrogation durable prédispose son message à unaccueil positif. Il n’a sans doute jamais existé nulle part de société par-faite, ni de peuple composé uniquement de sages. Et l’esprit de la civi-lisation égyptienne ne peut pas plus revivre qu’elle-même ne peut res-susciter. Mais sa redécouverte peut apporter une inspiration susceptibled’enrichir la vie intellectuelle et de ressourcer les croyances actuelles.L’approche de la vie spirituelle de l’Égypte ancienne aura son utilité pourautant qu’elle contribuera à éclaircir la nature de l’homme et la questionde son devenir, à lui ouvrir de nouvelles perspectives mentales et àéclairer son cheminement intérieur ; elle aiderait la spiritualité modernenon pas en restaurant une construction morte, mais en rappelant à laconnaissance des principes immuables connus des Anciens.

16 LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN

Page 13: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

CHAPITRECHAPITRE II

Lumières de l’ancienne Égypte

1. La fascination de l’Égypte

Il ne subsiste de la plupart des civilisations antérieures à plus de1000 ans av. J.-C. que quelques pierres et de rares écrits. Seule l’Égypte,dont l’origine remonte au moins à 4 000 ans av. J.-C., a laissé autant demonuments dont l’architecture et la valeur artistique continuent d’émou-voir. La civilisation égyptienne fascine et interpelle nos contemporainspar son empreinte persistante, par l’éclat de sa noblesse et par la gravitésereine de ses représentations. Les voyageurs un peu attentifs en convien-nent : il semble que l’atmosphère de l’ancienne Égypte plane encore surle pays. Les édifices religieux et funéraires, les temples, les pyramides,malgré l’état de ruine avancée de certains, laissent encore une viveimpression et témoignent d’un passé qui fut puissant. Quelques-uns desvoyageurs qui ont parcouru le pays et approché ses monuments anciensont décrit cette sensation profonde et durable à laquelle ils ne peuventéchapper : celle du mystère, du silence et de l’éternité (1).

Avant Champollion, l’Égypte était connue de l’Europe par les écritsd’Hérodote et de Plutarque. Bossuet rendait hommage à son art de for-mer les hommes (2). On pressentait l’intérêt de cette civilisation et l’ons’interrogeait sur son mystère. Le déchiffrement des hiéroglyphes,brillamment réalisé par Jean-François Champollion, ouvrit l’accès tantattendu à ce domaine. Mais l’enthousiasme communiqué par ce grand

1. Cf. Champdor, Albert : Le Livre des morts (p. 30-32).2. Bossuet, Jacques Bénigne : Discours sur l’histoire universelle (III, part. § 3).

Page 14: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

savant pour l’Égypte ancienne retomba pour laisser place aux sarcasmesdédaigneux ou à l’ennui. Le fait est que le formidable travail opéré parChampollion pour décrypter les hiéroglyphes, qui représente déjà à cepremier stade une tâche énorme, ne livrait pas encore le sens ésotériquedes textes. Par la suite, l’égyptologie officielle en vint à se moquer avechauteur du mystère égyptien.

2. L’égyptologie

Les égyptologues se partagent encore entre ceux qui considèrent lacivilisation égyptienne comme un tâtonnement infantile, qui n’aurait étédépassé qu’à partir des Grecs, et un assez grand nombre de spécialistes– et non des moindres – qui, eux, ont tourné cette page. Les historienset anthropologues actuels portent un regard beaucoup plus humble surla civilisation moderne, dont le dogme de la supériorité ne s’imposeplus. Des préjugés contemporains taxent encore d’idolâtrie d’anciennescivilisations, au nom d’une prétendue supériorité attestée par le niveautechnique actuel, alors que le danger des idoles modernes, comme celledu progrès matériel entre autres idéologies, n’est pas soupçonné. Maiscette mentalité qui domine encore dans le milieu des technocrates et deséconomistes ne fait heureusement plus la loi dans celui des scienceshumaines.

Des spécialistes réputés ont bien traité les Égyptiens de fous nageantdans l’illogisme et l’incohérence ! À la fin du XIXe siècle, Adolf Ermanparlait de « folie, absurdité et déraison », qualifiant les croyances égyp-tiennes de sottises et de barbarie (3). Alan Gardiner, grammairien reconnude la langue égyptienne, considérait les Égyptiens comme incapablesd’élaborer une philosophie. Certains égyptologues parlaient du Livre desmorts comme d’un fatras d’absurdités et de niaiseries, et considéraientla religion égyptienne avec dédain, tant la supériorité de l’intellectualismemoderne leur paraissait évidente. Selon une autre thèse qui fut longtempsdominante, cette religion n’aurait été qu’une tromperie destinée à confor-ter le pouvoir en place, en premier lieu celui des prêtres et ensuite celuides princes, eux-mêmes assujettis par cet instrument à la suprématie duclergé. Et les Grecs, sous l’effet d’une crédulité infantile, se seraient lais-sés impressionner par le pseudo-mystère des prêtres égyptiens.

18 LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN

3. La Religion des Égyptiens (p. 17).

Page 15: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

L’égyptologie nous a offert un accès à la plus ancienne forme de pen-sée élaborée que nous connaissions, puisque l’essentiel des institutionssociales et des créations culturelles de l’Égypte remonte aux cinq pre-mières dynasties. Mais l’orgueil de l’esprit moderne a longtemps impré-gné cette discipline de ses préjugés, à son grand détriment. Car au lieude se réduire à une simple curiosité, l’égyptologie pourrait apporter seslumières à un monde en dérive.

L’Égypte laisse l’impression générale d’une civilisation orientée versl’éternité et l’absolu, attachée à ce qui était solide, immuable et qui bra-vait la durée. Son architecture imposante voit grand et défie le temps ;elle utilisait la pierre en énorme quantité et sous de gros volumes, maisaussi avec un soin, une technique et une précision qui étonnent. Il seraitcontradictoire que de telles preuves de constance et de maîtrise techniqueet artistique aient pu coexister avec des écrits inspirés par une penséedésarticulée, fantasque ou archaïque.

3. La science en Égypte ancienne

La civilisation moderne s’enorgueillit de son avancée technique,mais il s’agit là d’une supériorité relative que les anciens n’auraient passongé à lui disputer. Les Égyptiens n’ont ni atteint ni cherché à atteindreun niveau technologique comparable au nôtre, car leurs efforts portaientvers d’autres directions, en s’appliquant notamment à harmoniser leurcomportement social et individuel avec les forces universelles. Loind’être des ignorants, ils n’avaient rien à nous envier dans le domaine dela connaissance. Ils possédaient en tout cas l’avantage dans ce qui relèvede la spiritualité et du développement de la vie intérieure.

La pensée égyptienne n’était pas, comme la philosophie grecque, for-mulée en termes rationnels, car elle cherchait à exprimer le langagedivin. Mais si les peuples anciens prenaient en compte des réalitésd’un autre ordre que la matière visible, ils n’ont pas renoncé pour autantà penser de manière logique. Le raisonnement appartient à l’espècehumaine au même titre que d’autres facultés, et le fait que les philo-logues comprennent mal les textes anciens n’autorise pas à réduirel’intellectualité de leurs auteurs à un niveau primaire et infantile. Lesanciens savants ont même envisagé la science d’une manière pluscomplète qu’on ne le fait actuellement. Leur démarche, fondée sur uneconnaissance atteinte de l’intérieur, cherchait à déceler le principe créa-

LUMIÈRES DE L’ANCIENNE ÉGYPTE 19

Page 16: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

teur et causal de toutes choses, considérées comme des incarnations duflux d’énergie qui imprègne le monde. Les livres sacrés qui subsistentdes temps anciens témoignent, quand on sait les lire, des connaissancesque l’on possédait dans l’Antiquité. Les textes hiéroglyphiques, puérilssi on prend leur transcription à la lettre, révèlent à qui sait interpréter leursens ésotérique une profondeur et une hauteur de vue étourdissantes.

Il reste d’autant moins de traces de la science égyptienne que lefanatisme politico-religieux livra aux flammes les plus riches collectionsde manuscrits anciens. C’est ainsi que la célèbre bibliothèque d’Alexan-drie flamba. Les césars de Rome, jaloux du fait que l’antique autoritédes corps savants égyptiens puisse leur porter ombrage, s’acharnaientsur ses traces écrites. Dioclétien fera assassiner les prêtres et brûler leslivres sacerdotaux, dans l’intention qu’aucune autorité intellectuelle nepuisse se redresser un jour pour s’opposer à son despotisme incontrôléet en dénoncer les crimes.

Mais surtout, les sciences étaient volontairement occultées, à causedu danger qu’il y aurait à les livrer à tout homme qui ne se soit pasaffranchi de tout mobile passionnel. Leur enseignement ne se donnaitqu’à bon escient, à un cœur pur, désintéressé jusqu’à être prêt au sacri-fice de sa vie. Plutarque parle à propos de l’Égypte de cette science« qui est le plus souvent dissimulée par des mythes et par des discoursexprimant obscurément la vérité au moyen d’images et d’allusions (4) ».Dans toutes les grandes civilisations du passé, les grands secrets de lascience sont demeurés cachés, en Égypte comme dans l’Empire chinois,sous le gouvernement des sages empereurs comme sous celui tout dif-férent de dangereux autocrates, sous les républiques grecques commesous les empires plus ou moins calamiteux des Assyriens, des Babylo-niens, des Perses ou des Romains. Il n’y a qu’à l’époque moderne où l’ona vu l’inconscience des savants laisser à la libre disposition de n’importequel fou dangereux les outils créés par la science.

Les anciens sacerdoces n’étaient pas scientifiquement moins bieninformés qu’aujourd’hui. Le bon sens devrait enseigner que, si à peinesept siècles ont permis à l’Occident d’accumuler une somme considé-rable de connaissances scientifiques, la longue suite de siècles que dural’Antiquité égyptienne, avant et après Ménès, a laissé le temps à des

20 LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN

4. Plutarque : Traité d’Isis et d’Osiris (IX).

Page 17: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

esprits curieux et évolués d’édifier un corps de connaissances non moinsrespectable(5). Des auteurs anciens (Tite-Live, Agathias, Sozomène, Pline,Ovide, Denys d’Halicarnasse) ont témoigné du fait que certaines forcesphysiques étaient manipulées avec assez de précision par les corps sacer-dotaux de l’Antiquité gréco-italienne et égyptienne, lesquels maîtrisaientparfaitement l’électricité (6). Pour les raisons déjà exposées, ces auteursne révélaient pas les formules qu’appliquaient ces anciens prêtres, maisqui ne passaient pas les portes closes des temples.

Dès le début de leur histoire, les Égyptiens savaient endiguer les cruesdu Nil sur des milliers de kilomètres, assécher les marécages, irriguerles déserts et coordonner le travail de la terre sur des milliers d’hectaresgrâce à une technique et à une organisation efficaces. La régulation desinondations périodiques du Nil mettait en jeu des connaissances en astro-nomie, en trigonométrie et en hydraulique. Dès la VIe dynastie (2350-2180 av. J.-C.), on reliait la mer Rouge à la Méditerranée par un canalconstruit entre le Nil et la mer Rouge (7).

Les œuvres architecturales de l’Égypte ne peuvent aucunement résul-ter d’une simple besogne. Elles attestent au contraire de l’activité de plu-sieurs corps de métiers, ainsi que de l’application d’arts et de sciencespossédés par une civilisation élaborée. Ni le granit ni le basalte ne pou-vaient se tailler sans un excellent outillage en métal inoxydable. L’exploi-tation des carrières et des mines, la réduction des oxydes, la fabricationde la céramique, la production de verre et de matériaux décoratifs ou lateinture des étoffes supposent des connaissances indispensables en miné-ralogie, en géologie, en métallurgie et en chimie minérale et organique.

Claudien a rapporté, parmi les divertissements des anciens Égyptiens,les feux d’artifices et les soleils tournoyants. Pline (8) a décrit la teinturesur étoffe pratiquée en Égypte ; il parle de substances gommeuses donton enduisait la toile. Le passage à la chaudière rendait les teintes indes-tructibles, et ni le temps ni les lavages ne parvenaient à les altérer. Lescouleurs des fresques ont été elles aussi rendues inaltérables. Ces exem-ples supposent la résolution de problèmes chimiques complexes. Démo-crite, qui résida longtemps en Égypte, en rapporta parmi de nombreux

LUMIÈRES DE L’ANCIENNE ÉGYPTE 21

5. Saint-Yves d’Alveydre, Joseph Alexandre : Mission des Juifs (p. 73).6. Ibid. (chap. IV, «La science dans l’Antiquité»).7. Carpiceci, A. C. : Merveilleuse Égypte des pharaons (p. 50).8. Histoire naturelle : (livre XXX, chap. XVI).

Page 18: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

autres secrets celui de la composition des pierres précieuses artificiellesau moyen du four à réverbère (9).

L’optique et l’acoustique étaient appliquées avec une précision dontpeuvent encore témoigner les temples et les théâtres de la Grèce. On aretrouvé en Égypte des rails vraisemblablement employés, en mêmetemps que la mise en œuvre de techniques hydrauliques, pour le transportde matériaux aussi lourds que certains blocs pesant cinquante ou centtonnes. Les astronomes égyptiens scrutaient les étoiles et observaient lesastres à l’aide de leurs instruments de visée; leurs bibliothèques accumu-laient les observations. L’astronomie et l’architecture témoignent desconnaissances en mathématiques et en mécanique des Égyptiens, quifurent les instructeurs des savants grecs. Par exemple, la grande pyra-mide est orientée vers le nord vrai (géographique) avec une erreur dedeux secondes seulement, alors qu’au XVIe siècle, l’astronome TicoBraye, qui a calculé le nord vrai au moyen d’instruments modernes, acommis une erreur de dix-neuf minutes.

Certaines recherches témoignent de l’étendue des découvertes dans ledomaine médical. L’embaumement des cadavres révèle déjà une connais-sance approfondie du corps humain. Les Égyptiens savaient aussi désin-fecter et cautériser les plaies, réduire les fractures et pratiquer des opé-rations chirurgicales délicates. Comme pour les autres sciences, la visionégyptienne de la médecine était une vision du sacré, dans laquelle le trai-tement physiologique conservait une dimension spirituelle. L’organismehumain était considéré comme un réseau de fonctions vitales dont lasanté dépendait de la bonne distribution et de la circulation des énergies.Le prêtre médecin égyptien traitait l’organisme malade en lui réinsufflantles éléments porteurs de dynamisme. Les plantes médicinales étaient trèsutilisées à cet effet. Naturellement, la science appliquée au rétablissementde l’harmonie du corps nécessitait une excellente connaissance des pro-priétés de la plante, ainsi qu’une appréciation exacte du déséquilibreconstaté et de la dose à prescrire (10).

La science égyptienne dépassait la nôtre au moins dans la connais-sance de l’esprit humain. La volonté humaine a de nos jours remporté despectaculaires succès dans différents domaines techniques, mais cette

22 LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN

9. Saint-Yves d’Alveydre, Joseph Alexandre : Mission des Juifs (p. 72-73).10. Jacq, Christian : Pouvoir et sagesse selon l’Égypte ancienne (p. 105-106).

Page 19: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

expansion matérielle laisse l’homme insatisfait parce qu’elle maintientinemployée une partie fondamentale de lui-même. Les conceptions méta-physiques modernes réduisent souvent la vision de l’homme à un dua-lisme entre le corps et une entité appelée âme, dont on ne possède qu’unevague notion. Comparée à la science des anciens Égyptiens, cette repré-sentation paraît d’une effrayante indigence. L’Occident moderne, àl’exception des exercices spirituels pratiqués dans les ordres religieux,ne connaît pratiquement rien des procédés susceptibles de réaliserl’accomplissement de l’être, alors que l’exploration intérieure occupal’essentiel du génie égyptien, dont les représentants élaborèrent unevéritable technique de transmutation de la conscience dans ces labora-toires que furent les pyramides, les temples et leurs cryptes.

4. L’esprit de la civilisation égyptienne

Il est notable que l’architecture et l’urbanisme en Égypte n’ont pasaccordé la prééminence aux palais royaux ou aux places militaires, maisaux temples et aux bâtiments religieux. L’envergure des édifices, bienloin d’écraser l’individu sous la lourdeur, inspire un sentiment d’élé-vation. La beauté et la dignité des temples comme ceux de Karnak, deDendérah, d’Abydos ou d’Assouan forcent le respect. L’art égyptienreprésente des personnages dignes, sereins, comme préoccupés par uneidée transcendante. Porphyre écrivait à propos des prêtres égyptiens (11) :« Par la contemplation, ils arrivent au respect, à la sécurité de l’âme, età la piété ; par la réflexion, à la science ; et par les deux, à la pratique demœurs ésotériques et dignes du temps jadis. Car l’être toujours encontact avec la science et l’inspiration divines exclut l’avarice, réprimeles passions et stimule la vitalité de l’intelligence. »

La civilisation égyptienne était dominée par le mystère de l’autre vie,par l’unité du cosmos, et aussi par la transformation de la consciencevers son perfectionnement. Dans son enseignement, la mort, au lieud’être vécue comme une fatalité, pouvait être maîtrisée pour donnerplace à une nouvelle naissance. Il est vraisemblable que le peuple n’a pascompris l’idéal spirituel de la même façon que l’élite intellectuelle ; ilest même possible que sa vision du mystère n’ait pas dépassé le seuild’un vulgaire rituel magique. Les versions rendues publiques du Livre

LUMIÈRES DE L’ANCIENNE ÉGYPTE 23

11. De abst. IV, 6-7.

Page 20: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

Table des matières

Introduction ....................................................................................... 7

Chap. I : Lumières de l’ancienne Égypte ....................................... 171. La fascination de l’Égypte ...................................................... 172. L’égyptologie ........................................................................... 183. La science en Égypte ancienne ............................................... 194. L’esprit de la civilisation égyptienne ....................................... 235. L’influence de l’Égypte ........................................................... 246. L’héritage de l’Égypte ............................................................. 277. La vie politique ....................................................................... 298. Le lien social ........................................................................... 319. Le déclin de l’Égypte .............................................................. 32

Chap. II : Pour comprendre le Livre des morts .............................. 351. La première approche des textes ............................................. 352. Le thème du Livre des morts : l’initiation ............................... 363. Le texte dans son esprit ........................................................... 394. Les particularités du style ........................................................ 425. Un regard différent sur le monde ............................................ 446. Les différents sens d’une expression symbolique ................... 457. L’évolution des versions .......................................................... 488. Le problème de la traduction ................................................... 509. La rédaction des textes ............................................................ 51

Chap. III : Outre-tombe et outre-monde ........................................ 531. L’outre-tombe dans les enseignements traditionnels ............... 532. Les effets immédiats de la mort corporelle ............................. 553. La victoire sur la seconde mort ............................................... 584. La comparaison avec le Livre des morts tibétain .................... 615. La voie de la libération ............................................................ 626. La vulgarisation des croyances ................................................ 64

Page 21: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

Chap. IV : Mythes et symboles ....................................................... 711. Le rôle du symbole .................................................................. 712. Le mythe .................................................................................. 743. Le polythéisme ........................................................................ 764. Osiris, dieu des morts .............................................................. 785. Les antagonistes Horus et Seth ............................................... 826. Thot l’initiateur ....................................................................... 857. Le dieu solaire Râ .................................................................... 878. Maât, la vérité-justice .............................................................. 88

Chap. V : Qu’est-ce que l’initiation ................................................ 911. La signification du terme ........................................................ 912. Les procédés employés par l’initiation .................................... 933. Les mystères et les restrictions ................................................ 954. La mort rituelle ........................................................................ 975. Les épreuves ............................................................................ 986. L’initiation lunaire et l’initiation solaire .................................. 1007. Le signe de la Lune ................................................................. 1048. L’œuvre solaire ........................................................................ 108

Chap. VI : L’œuvre alchimique ....................................................... 1111. L’intérêt de l’alchimie .............................................................. 1112. L’objectif de l’œuvre ............................................................... 1123. Les origines et les équivalences de l’alchimie ........................ 1134. Le symbolisme minéral ........................................................... 1155. Le cycle dissolution-coagulation ............................................. 1176. Le mercure et le soufre ............................................................ 1197. Les subdivisions du processus ................................................. 1218. L’« œuvre au noir », ou le régime de Saturne ........................... 1229. L’« œuvre au blanc », ou le régime de la Lune ......................... 123

10. L’« œuvre au rouge », ou le régime du Soleil ........................... 12511. Les niveaux de profondeur ...................................................... 126

Chap. VII : Le voyage ....................................................................... 1291. La symbolique du voyage ........................................................ 1292. Les légendes et les récits ......................................................... 1323. Les différentes phases ............................................................. 1354. Le passage des portes .............................................................. 1375. Les différents états de l’être .................................................... 1416. Les repères astronomiques ...................................................... 144

Chap. VIII : La barque de Râ ......................................................... 1491. L’identification avec le dieu solaire ......................................... 1492. Le trajet circulaire ................................................................... 150

396 LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN

Page 22: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

3. Le symbolisme de la barque .................................................... 1514. Le renforcement de l’initié ...................................................... 1555. L’itinéraire ............................................................................... 1576. Les phases ascension-descente ................................................ 1587. La signification de l’envol ...................................................... 160

Chap. IX : La descente aux Enfers ................................................. 1651. La signification du monde inférieur ........................................ 1652. Les légendes et les récits ......................................................... 1683. Le lieu des mystères ................................................................ 1694. Les contraintes et la liberté de mouvements ........................... 1705. Les dangers du monde inférieur .............................................. 1736. La géographie des régions traversées ...................................... 1747. Le désert, les ténèbres et la solitude ........................................ 1758. L’initié porteur de lumières ..................................................... 1769. L’Amenti .................................................................................. 177

10. L’arrivée devant Osiris ............................................................. 178

Chap. X : « J’ai été purifié » ............................................................ 1811. La nécessité de la purification ................................................. 1812. Les moyens employés .............................................................. 1843. L’éthique et la morale .............................................................. 1854. Les règles de vie ...................................................................... 1885. Les épreuves ............................................................................ 191

Chap. XI : Les quatre éléments ....................................................... 1951. Les modalités de l’existence ................................................... 1952. La manifestation des quatre éléments ..................................... 1963. Les étapes du voyage ............................................................... 1974. Les propriétés respectives des quatre éléments ....................... 1995. Le degré Seth ........................................................................... 2006. L’élément air ............................................................................ 204

Chap. XII : L’eau et le feu ................................................................ 2091. L’importance de l’eau et du feu ............................................... 2092. Les eaux supérieures et les eaux inférieures ........................... 2113. Le fleuve céleste ...................................................................... 2134. La purification par l’eau .......................................................... 2145. L’effet régénérateur de l’eau .................................................... 2156. La puissance destructrice de l’eau ........................................... 2177. L’intervention du feu ............................................................... 2218. Les différents degrés du feu .................................................... 2229. La purification par le feu ......................................................... 223

10. Le danger du feu ...................................................................... 225

TABLE DES MATIÈRES 397

Page 23: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

Chap. XIII : La lutte contre les démons ......................................... 2271. La nature des démons .............................................................. 2272. Les démons liés aux éléments ................................................. 2293. La nourriture des démons ........................................................ 2334. Les combats contre les démons ............................................... 2345. L’imperturbabilité de l’initié .................................................... 2376. Les armes contre les démons ................................................... 2387. La parole comme arme ............................................................ 240

Chap. XIV : Les métamorphoses .................................................... 2431. La finalité des métamorphoses ............................................... 2432. L’identité avec la métempsycose ............................................. 2443. L’actualisation des potentialités ............................................... 2474. L’unité de la Création .............................................................. 249

Chap. XV : La nourriture des dieux ............................................... 2531. La signification de l’offrande .................................................. 2532. L’énergie vitale ........................................................................ 2543. Les composantes de la nourriture ............................................ 2564. Les ordures .............................................................................. 2595. La nécessité d’une demande .................................................... 2616. Les dispensateurs .................................................................... 2627. L’échange ciel-terre ................................................................. 2638. Le sens du sacrifice ................................................................. 2649. Le don de l’homme ................................................................. 267

Chap. XVI : Le jugement d’Osiris .................................................. 2691. Une figuration spécifique à l’Égypte ...................................... 2692. La signification du jugement .................................................. 2713. Le déroulement de la scène ..................................................... 2744. La double Maât ........................................................................ 2775. Le nombre des juges ................................................................ 2786. La pesée du cœur ..................................................................... 2797. Le monstre dévorateur ............................................................. 2828. Les paroles du candidat ........................................................... 2859. Le justifié triomphant .............................................................. 287

Chap. XVII : La proclamation d’innocence ................................... 289

Chap. XVIII : Les demeures célestes .............................................. 3251. L’envol dans les cieux .............................................................. 3252. Le dépassement de la dualité ................................................... 3273. L’admission parmi les dieux .................................................... 3284. Le retour dans l’œil d’Horus ................................................... 332

398 LE LIVRE DES MORTS ÉGYPTIEN

Page 24: Le Livre des morts ”gyptien - Editions Dangles · qui est en lui; «empêcher un dieu de sortir en procession», c’est faillir aux conditions de pureté requises pour passer cette

5. Les champs et leur symbolique végétale ................................. 3346. Les îles .................................................................................... 3407. La cité et son symbolisme minéral .......................................... 342

Chap. XIX : Le corps glorieux ........................................................ 3451. L’accomplissement de l’œuvre ................................................ 3452. L’importance du corps physique .............................................. 3463. L’« œuvre au blanc » et l’« œuvre au rouge » ........................... 3484. La glorification ........................................................................ 3495. Une nouvelle perception du corps ........................................... 3506. L’éveil de la conscience corporelle .......................................... 3527. Les correspondances symboliques du corps ........................... 3538. La fusion de l’esprit et du corps .............................................. 354

Conclusion ........................................................................................ 357Index ................................................................................................. 363Bibliographie ..................................................................................... 391Table des matières ............................................................................. 395

TABLE DES MATIÈRES 399