le lÉgendaire de france

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LE LÉGENDAIRE

DE FRANCE

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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CETTE PREMIÈRE

ÉDITION DU LÉGENDAIRE DE FRANCE

125 EXEMPLAIRES SUR VÉLIN D'ARCHES, DONT 100 NUMÉROTÉS DE 1 A 100

ET 25 NON MIS DANS LE COMMERCE.

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LE

LÉGENDAIRE DE FRANCE A TRAVERS NOTRE FOLKLORE ORAL :

CONTES, LÉGENDES, FÊTES, TRADITIONS POPULAIRES

DES PROVINCES ET TERROIRS

par Roger D évigne

Avec des bois de l'imagerie populaire des dessins nouveaux

A PARIS, AUX HORIZONS DE FRANCE 39, rue du Général-Foy

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Tous droits de reproduction et de traduction réservés Copyright by "Horizons de France" MCMXLII

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NOTE DE L'ÉDITEUR

L L'IMAGERIE populaire, avec toutes ses naïves et plaisantes évocations, nous offre tout un musée de documents dont la reproduction était

impliquée par la nature et l'importance d'un ouvrage tel que le présent Légendaire. Nous avons pu rassembler des xylographies, souvent fort rares, qu'évoquaient les contes de ce volume. Nous tenons à remercier particulièrement M. René Saulnier, qui a bien voulu nous ouvrir ses précieuses collections d'images. Enfin, nous avons cru devoir, là où aucune figure n'existait pour accompagner le conte ou la légende, demander à quelques jeunes artistes d'évoquer, dans un esprit traditionnel, les récits de nos conteurs de terroir et de faire ainsi, selon le vœu même de l'auteur, du folklore vivant, en marquant une continuité française

entre le passé et le présent.

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I N T R O D U C T I O N

Pour guider les Français d'aujourd'hui à travers leur Folklore oral

Nos vieilles légendes font partie du décor spirituel de nos provinces, comme nos paysages raisonnables et délicats font partie de leur décor matériel.

I. — Le Folklore oral de nos provinces. — Un « Légendaire de France » doit être un livre — voire une suite de livres — où les Français de toutes nos provinces retrouvent, assemblés en un monument expressif, les vieux récits et les traditions populaires de leur pays.

Pendant des siècles, l'Histoire n'a guère entrevu Jacques Bonhomme qu'en tendant comme un grillage, devant sa vie, ses travaux et ses rêves, les tableaux quadrillés des généalogies, des traités et des batailles. L'Histoire, avec ses graphiques et ses synchronisme s, passait à côté de notre peuple sans le connaître, comme une marquise dans son carrosse. Un écrivain régionaliste du siècle dernier, Génac-Moncaut, pouvait écrire, en 1868, dans sa Littérature populaire de la Gascogne : « Depuis bien des siècles, il y a un registre inédit, auquel travaille chaque génération de moralistes en sabots... Ce peuple, si négligé depuis l'origine des sociétés, a laissé bien peu de témoignages de ses souffrances et de ses joies. Cependant, le paysan gravait le résultat de son expérience bien profondément dans sa mémoire, et c'est là, que nous retrouvons, sous l'enveloppe gracieuse des contes, les traces de ses préoccupations et de ses croyances, de ses craintes et de ses jugements. »

C'est surtout depuis le milieu du XIX siècle que la recherche et l'étude de nos traditions populaires ont fait l'objet d'une véritable science. Sans doute, avec de l'érudition et de la méthode, pourrait-on démontrer qu'au cours des âges notre folklore n'a pas été sans pénétrer dans notre littérature. Et l'on pourrait recenser des passages attestant l'influence de nos récits, dictons et coutumes des terroirs dans Rabelais,

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Montaigne, Molière, Racine ou La Fontaine. Il faut pourtant aller jusqu'à des romantiques comme George Sand ou Gérard de Nerval pour trouver de véritables pages documentaires incluses ça et là dans leurs œuvres. Aujourd'hui, nul ne conteste plus l'intérêt de telles études. Or, en fait, quand cet humble trésor traditionnel et national n'est pas ramené à la dimension du monde enfantin (contes, chansons, - comptines, formulettes), ou quand il ne sert pas de jeu costumé et public à des « régionalistes » en liesse, il s'enfouit dans les recherches et dans les études des spécialistes, dans des ouvrages précieux, mais souvent rares et dont la bibliographie que nous présentons à la fin de ce livre pourra, déjà, donner une idée. Mais s'il existe, chez des éditeurs spécialisés, Maisonneuve, Leroux, Champion, Nourry, etc., toute une savante et patiente bibliothèque folklorique à laquelle ont contribué les Gaidoz, les Sébillot, les Rolland, les Luzel, les Doncieux, les Saint-Yves, les Van Gennep et leurs émules, nous avons jugé le moment opportun pour présenter au public un bien qui est le sien, qui doit lui faire retour, et dans un texte où le souci de la forme ne s'est jamais séparé du contrôle de l'érudition et des méthodes qu'il implique.

L'étude de la tradition ne doit pas être une science morte. A côté de la tradition vivante, la tradition oubliée, si on la replace dans son cadre, c'est-à-dire dans la vie de notre peuple, si on la fait revivre, rend sensible cette continuité entre le passé et le présent, qui est la vie même d'une patrie.

Bien entendu, il ne s'agit pas de demander aux gens du XX siècle d'aborder des légendes ou des chansons avec l'âme des gens du XIII, voire du XVIII siècle; mais de saisir, grâce à elles, comment le présent peut comprendre encore la manière imagée et touchante dont le passé exprimait ses vœux et ses rêves.

« Légendaire de France »... Oui. Ne cherchons pas trop vers l'Orient et vers l'Asie, comme ce fut un moment la mode dans une école folklorique, les origines de nos légendes populaires. Filles de notre sol, de nos terroirs, elles y ont des racines peut-être insoupçonnées. Rien n'empêche de présumer qu'au temps où nos ancêtres préhistoriques menaient leurs troupeaux de chevaux dans les vallées de l'Ouest et du Midi, ils avaient déjà leurs légendes, perdues pour nous, certes, mais peut-être pas perdues aussi totalement qu'on pourrait le penser. Car il semble bien que toutes ces grottes et cavernes hantées, toutes ces fontaines magiques, et peut-être tous ces dragons et tarasques qui peuplent notre folklore, plongent dans l'obscure préhistoire... Et cet univers fantastique des premiers hommes, ces fantômes incertains ensevelis sous les stratifications géologiques, n'ont-ils pas laissé, parfois, comme un suprême vestige, maints de ces petits saints rustiques et guérisseurs, que l'Eglise, bénignement, accueillit avec un indulgent sourire, quand ils vinrent vers elle, couronnés de fleurs des champs, d'aubépine, de thym, de sauge ou de verveine ?...

II. — Le Folklore, c'est la civilisation populaire. — Le folklore, dont le folklore oral n'est naturellement qu'un chapitre (mais capital, puisque tout se transmettait oralement jadis) est l'ensemble des traditions, usages, coutuines, fêtes, chants, costumes, instruments, meubles et décors familiers de notre vie populaire. Il n'est pas uniquement « paysan », bien entendu, mais ce sont les campagnes qui, jusqu'à nos jours, en ont le plus fidèlement conservé les vestiges.

Notre folklore est, par définition, et à travers la diversité des provinces et des dialectes, national, il appartient en propre à notre race, alors que la « Civilisation » tout court est, pour une grande part, internationale, issue d'apports étrangers. Il ne doit pas être aujourd'hui traité comme une sorte de musée rétrospectif, mais comme un bien de famille qui garde, de génération en génération, tout son intérêt et tout son prix. Nos vieilles légendes font partie du décor spirituel de nos provinces comme nos pay- sages raisonnables et délicats font partie de leur décor matériel.

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Les Paysages, dira-t-on, sont toujours là, alors que les légendes et les traditions populaires ont souvent disparu. Pas tant que cela... Elles ont encore leur conservatoire dans la mémoire des bonnes gens.

A côté de la transmission orale, un certain nombre de ces textes ont été fixés par ces naïfs petits livres dits « de colportage », ont été illustrés par cette imagerie populaire d'Epinal, de Metz) de Rennes, de Paris, par tout ce qui constitua, pendant des générations, toute la bibliothèque et tout le musée de Jacques Bonhomme, qui n'avait encore ni le journal, ni l'international cinéma, ni la radio.

C'est dans l'esprit d'autrefois que nous nous sommes efforcé de rendre, après les avoir recueillis aux bonnes sources, les récits qui enchantaient l'imagination de nos pères. Si nous n'avons pas cru devoir étaler un apparat critique trop pesant, et qui n'attirerait que des spécialistes, ces derniers, s'ils parcourent le « Légendaire de France », retrouveront au moins, partout présente, une documentation conforme aux saines méthodes de la recherche folklorique.

III. — Petit guide de folklore pratique. — Dans nos provinces et pays de France, les amateurs et les prospecteurs bénévoles du folklore sont nombreux et on n'aura jamais assez de concours et de « tests », si l'on veut espérer pouvoir vraiment dresser un jour ce monument que doit être « L'Encyclopédie nationale populaire des traditions, coutumes, dialectes, patois, travaux et jeux des provinces de France ». Or, nombreux sont ceux qui, spontanément, de la ville au village, ne demandent qu'à collaborer à une vaste et systématique campagne de recherches qui réclame, de tous ses volontaires, moins des diplômes magistraux que des qualités de discipline, d'exactitude, de méthode, et qui ignorent tout de ces méthodes.

Elles sont pourtant simples, faciles à comprendre et à appliquer. Pour prospecter, recueillir, réveiller nos traditions folkloriques, les spécialistes ont une technique qui a fait ses preuves. Le folkloriste amateur, faute d'un guide élémentaire et commode, opère souvent au petit bonheur et c'est ainsi que trop souvent, de nos jours, on a vu tout un folklore fantaisiste et bénévole se surajouter et même se substituer à notre folklore authentique. Au point que certains risqueraient de confondre le pur folklore régional et national avec ces innocentes mi-carêmes régionalistes qui se parent arbitrairement de la garde-robe et des airs du passé.

La méthode, répétons-le, est simple : chercher sur place des tests — ou documents — authen- tiques, après s'être informé; les recueillir ou prendre des notes descriptives. S'il s'agit de photographies, les compléter toujours, après enquête sur place, d'une notice explicative. Et s'enquérir des lieux, villages, terroirs, où la tradition ainsi reproduite s'est conservée encore.

Pour le folklore oral (contes, récits, chansons, formules, dictons), il est toujours préférable aujour- d'hui, et il est indispensable quand il s'agit de patois, de pratiquer l'enregistrement phonographique, grâce aux appareils portatifs électriques comme ceux qu'emploie le Musée de la Parole de l'Université de Paris. Concédons que ce n'est pas toujours possible. Mais, en tout état de cause, le prospecteur de folklore oral, qu'il prenne des notes par écrit ou qu'il enregistre des disques, doit constituer une fiche pour chaque texte inscrit, un « état civil » du texte traditionnel ainsi fixé.

Il y note : le nom, l'adresse, la date et le lieu de naissance de l'informateur, et, si possible, de qui et d'où il tient le récit, le chant ou le texte qu'il interprète.

Pour les chants, voici le plan sommaire que l'on peut suivre, et qui peut varier, selon les lieux : Chants domestiques : berceuses, rondes d'enfants, comptines, formulettes, chants de fileuses, etc. Chants de travail : chants de labourage, de moissons, de vendanges, de marins, de petits artisans,

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de pêcheurs; cris, appels et timbres des métiers de la rue et des marchandes de fruits, de poissons, de légumes; appels des rémouleurs, des rétameurs, des vanniers, des laitiers, etc.; proclamations des tambours ou trompettes de ville, etc.

Chants traditionnels : de fiançailles, de noces, de funérailles; formules, prières et incantations de magie populaire.

Chants saisonniers : Noëls, Carnaval, Pâques, Saint- Jean, rondes de mai, etc., selon les régions. Chants-danses : locaux et chants de réjouissances publiques.

Cette liste énumérative, mais nullement inflexible, permet au « chasseur de chansons » de sérier ce qu'il cherche et de classer ce qu'il recueille. Qui veut recueillir les contes, légendes, proverbes dictons, doit, en plus de la connaissance du dialecte ou patois dans lesquels ils peuvent être dits et après avoir choisi son « témoin », prendre le texte sous sa dictée, rédiger « l'état civil » du test ainsi recueilli.

Et, bien entendu, à côté du folklore oral comme à côté des fêtes et cortèges traditionnels, il y a tout un vaste domaine d' « objets » folkloriques, de l'outil à l'ustensile, au meuble, au vêtement, à l'image, etc., toutes choses que recueillent et conservent, à Paris, le Musée des Arts et Traditions Populaires, dans nos provinces les Musées régionaux et les Musées du terroir dont le nombre va croissant. Mais si tout Musée est précieux et indispensable, n'oublions jamais qu'en matière de folklore tout dérive du Musée vivant que constitue le petit groupe humain où les traditions ont su se perpétuer.

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PREMIÈRE PARTIE

HISTOIRE DES FÉES, LUTINS, DIABLERIES, BÊTES FANTASTIQUES, HERBES MERVEILLEUSES

I. — Les Fées de France. — Le monde actuel n'a plus, si on peut dire, de double-fond. Seule, l'âme humaine, dès que l'on peut descendre en ses profondeurs, garde encore des recoins mysté- rieux, où l'inflexible science ne parvient pas à pourchasser les dernières illusions. Elle donne — par la physique, la chimie, la mécanique — des noms précis aux forces, aux rythmes et aux lois de la nature. Nos aïeux préféraient souvent voir des fées, des lutins ou des enchanteurs derrière ces forces et ces lois que l'on bouleversait ainsi à plaisir et que l'on personnifiait féeriquement.

Seuls, peut-être, les poètes, aujourd'hui, savent encore animer le monde. Mais nos pères n'étaient-ils pas poètes à leur façon quand ils voyaient des fées dans les molles vapeurs nocturnes, des sirènes dans les jeux des vagues, des lutins dans les danses du soleil et des feuilles ? A créer ces êtres chimériques, à en peupler leurs paysages familiers, à les faire se silhouetter dans l'ombre angoissante des forêts et dans le bruissant mystère des nuits, ils finissaient par croire que la chose la plus douce ici-bas : aimer, pouvait, parfois, servir de lien entre les êtres du monde fantasmagorique et les pauvres humains.

Aussi on ne saurait évoquer les légendes et traditions populaires de la vieille France sans donner, d'abord, aux fées la place qui leur revient de droit dans le folklore de nos campagnes. Certes, trop de littérature féerique, depuis le XVII et le XVIII siècles, a fait perdre de vue, à ceux qui ne sont pas spécialistes des études sur l'art populaire, la vraie nature et le vrai visage des fées de France. Trop de gens de chez nous ne connaissent aujourd'hui nos fées que pour les avoir entrevues, enfants, affublées du beau costume de cour, dont Perrault et surtout ses intarissables imitateurs les avaient revêtues.

Songez que le fameux Cabinet des Fées, publié de 1785 à 1789, comptait quarante-et-un gros volumes ! Sans doute, les véritables fées n'y étaient guère présentes ; mais bien plutôt des dames du bel air, jabotant et paradant, et s'amusant à des tours de magie blanche, aux prises avec des aventures purement abstraites, qui les éloignaient de toute tradition pour en faire simplement les agents d'une sorte de chronique mondaine et moralisatrice, quand elle n'était pas simplement galante. Et le critique Paul de Saint-Victor s'éloigne beaucoup de tout folklore, quand il affirme : «La couleur du XVII siècle, empreinte sur ces légendes immémoriales, n'est plus, aujourd'hui, un anachronisme, mais une harmonie. N'est-il pas déjà un temps de féerie, le siècle royal, où tout un peuple de courtisans vivait enchanté dans le cercle de l'étiquette,

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au milieu des statues et des jets d'eau d'un jardin magique? La trompe des chasses de Marly et de Rambouillet sonne d'aussi loin à nos oreilles que le cor d'Artus, dans la forêt de Brocé- liande... Les rondes des fées et les menuets des duchesses se dessinent dans le même lointain brumeux et bleuâtre. Ainsi les histoires de la chevalerie étaient déjà bien vieilles lorsque les tisseurs de la Flandre les déroulaient sur leurs tapisseries de haute lice. Aujourd'hui, l'étoffe séculaire semble contemporaine du roman brodé sur sa trame : sa vieillesse mêlée à son anti- quité ne fait plus qu'un avec elle. »

Les fées de France, les vraies, celles que le folkloriste va rechercher encore aujourd'hui dans leurs retraites, ne vivent pas, d'ordinaire, en si noble compagnie. C'est pourquoi nous n'évoquerons pas non plus les belles fées amoureuses que l'on trouve dans les romans de chevalerie, mêlées aux exploits des paladins aventureux. Encore qu'un fil léger les relie peut- être à ces très vieilles fées de notre sol, que l'érudition des clercs ou la fantaisie des jongleurs a cru devoir parer de traits romanesques, empruntés à la tradition des Circé homériques. En éliminant au passage ce que les vraies fées de France ne sont pas, nous nous rapprochons de ce qu'elles furent pour le bon peuple de nos campagnes.

Les fées, les « fadas » provençales ou les « hades » béarnaises, sont le plus souvent et presque toujours la menue monnaie de la Providence, d'une Providence amicale et discrète, mais qui n'hésite pas à se mêler familièrement aux humains pour les tirer d'embarras et réparer les injustices. Faudrait-il remonter jusqu'aux temps préhistoriques pour voir s'esquisser et se profiler, sur la caverne de nos lointains ancêtres, l'ombre mystérieuse de la première fée? Certains savants seraient enclins à le croire. Contentons-nous de supposer que les fées ont pu naître de ce besoin commun à tous les primitifs de peupler le monde réel d'êtres imaginaires, qui ne sont que leurs sentiments, leurs craintes, leurs désirs, leurs rêves objectivés. Entre le monde mental qu'il porte en lui-même et ce monde extérieur qui ne lui obéit pas, mais qu'il sent vivre puissamment hors de lui, l'homme simple aime à croire que des liens invisibles comme les pensées, immatériels comme elles, relient son cerveau, qui pense, au monde, qui vit, et qui se déroberait sans cesse, si des êtres mystérieux ne parvenaient parfois à l'assujettir aux désirs et aux vœux de l'homme.

Les fées aident les hommes à corriger cette indiscipline des choses et des événements. En rassemblant et en comparant avec patience les véritables contes populaires, les traditions vivaces de tous nos terroirs, nous constatons d'abord que nos fées n'étaient pas ces dames de la Cour, artificiellement créées par les gens de lettres et les beaux esprits, mais des femmes de la campagne, et dont la simple magie gardait encore comme un parfum de fleurs rustiques.

Nos paysans d'autrefois les connaissaient bien, et vivaient en familier commerce avec elles. Il y aurait une curieuse carte de France à tracer, un bien suggestif cadastre des « lieux- dits » à évoquer, en recherchant et en marquant, à travers toutes nos provinces, toutes les « Fontaines-aux-Fées », « Grotte-des-Fées », « Val-des-Fées », « Bois-des-Fées », qui jalonnent encore notre territoire.

Les plus douces âmes de jadis et les saintes les plus pures n'avaient pas peur des « Bonnes Dames ». Et l'on sait, par le procès de Jeanne d'Arc, que la bergère de Domrémy ne dédaignait pas d'aller s'asseoir et filer près de la « Fontaine-aux-Fées ».

Partout, vous entreverriez cette image mystérieuse des fées se dessiner en filigrane sur les feuillets de notre histoire. Partout encore, mais avec des difficultés grandissantes, les cher- cheurs de documents folkloriques ont pu recueillir des histoires de fées dans les villages de France, par la bouche d'humbles gens : laboureurs, bergers, lavandières, filles de ferme, femmes de peine.

Et c'est toujours la même naïve chronique des redresseuses de torts : les fées aident les pauvres gens qui sont dans la peine; elles ont comme baguette magique la compassion et la

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LES FÉES. Dessin de J. Ovens.

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Imprimé en France TYP. FIRMIN-DIDOT ET C

MESNIL 1042 3037

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