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Kalliopi Ploumistaki 2004
Le fantastique comme forme littraire
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Sminaire dHistoire Littraire : La naissance du fantastique en Europe Histoire et Thorie
Kalliopi Ploumistaki Universit Aristote de Thssalonique
Kalliopi Ploumistaki 2004
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Sommaire
1. Quest-ce que le genre littraire ?
2. Le genre en contestation
3. La comprhension interne
4. Quest-ce que le fantastique ?
5. Bibliographie
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Un livre nappartient plus un genre, tout livre relve de la seule littrature, comme si celle-ci
dtenait par avance, dans leur gnralit, les secrets et les formules qui permettent seuls de
donner ce qui scrit ralit de livre. M. Blanchot, Le Livre venir, Paris, Gallimard, 1959.
1. Quest-ce que le genre littraire ?
Les thoriciens recourent aux genres littraires pour faire familiariser le lecteur
lacte dcriture. Ds La Potique dAristote aux thories du genre les plus rcentes, un
aspect multiforme commun se distingue, mme partant de ltymologie du mot genre
(lat.: genus - generis ; gr.: ) : lappartenance, lorigine et la taxinomie. Autrement
dit, une uvre littraire doit appartenir une catgorie selon son style, son sujet ou son
public ; do par exemple la distinction des genres en vers (le lyrisme, lpope, le
drame, la posie, la didactique) et en prose (la philosophie, lhistoire, la critique, la
correspondance, le roman, lessai, la nouvelle). Cette tche semble tre assez commode,
mais lorsquun ensemble duvres, en particulier les contemporaines, dclinent de la
norme traditionnelle en mettant en relief leur diffrenciation, alors on parle de cas
particuliers, dcrivains autonomes ou rebelles. Explicitement, cest lcroulement de
limpuissance des thories lesquelles subsistent incapables dinclure toute particularit.
Voici un pome en prose chappant des thories, et exigeant une reformulation
ou une reconsidration des rgles fixes :
Celui qu regarde du dehors travers une fentre ouverte, ne voit jamais autant de choses
que celui qui regarde une fentre ferme. Il nest pas dobjet plus profond, plus
mystrieux, plus fcond, plus tnbreux, plus blouissant quune fentre claire dune
chandelle. Ce quon peut voir au soleil est toujours moins intressant que ce qui se passe
derrire une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rve la vie, souffre la vie1.
Et ailleurs : Au clair de la lune, prs de la mer, dans les endroits isols de la campagne, lon voit,
plong dans damres rflexions, toutes les choses revtir des formes jeunes, indcises,
fantastiques. Lombre des arbres, tantt vite, tantt lentement, court, vient, revient, par
1 BAUDELAIRE, Ch., Les Fentres, in Petits Pomes en prose. uvres compltes, Paris, Seuil, 1968, p. 174.
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diverses formes, en saplatissant, en se collant contre la terre. Dans le temps, lorsque
jtais emport sur les ailes de la jeunesse, cela me faisait rver, me paraissait trange ;
maintenant, jy suis habitu2.
Pourquoi sagit-il des pomes ? Ou mieux pourquoi cette question ? La rponse
la deuxime question pourrait tre tout simple. Cest cause des thories dapproche
qui aboutissaient des classifications plutt formelles que contextuelles, plutt
structurales que notionnelles, plutt langagires que philosophiques. Certes, la question
des genres nest pas proprement contemporaine. Il fut de dbats ds lre de La
Potique dAristote ; ce qui est remarquable, durant le passage du temps, est que
certains genres, les plus anciens, comme la comdie et la tragdie, furent et sont plus
populaires que certains autres, comme le lai et le dithyrambe, lpope et la chanson
populaire. Toute poque disposait de ses formes et de ses styles qui se transformaient,
voluaient ou mouraient selon le perfectionnement des techniques matrielles, les
ncessits du public, et lappel intrieur du pote.
Ainsi, chaque nouveaut littraire en combinaison avec lvolution du monde
des ides et des sciences, les thories des genres changeaient ou taient reconsidres ;
non uniquement pour reconnatre la faiblesse des donnes thoriques du pass, et, par
consquent, de les radapter selon les nouveaux faits littraires, mais pour suivre et
explorer les transformations du discours littraire. Chaque thoricien apporte une
innovation la lecture de luvre littraire : Aristote sappuie sur des critres formel,
thmatique et nonciatif ; Platon distingue trois modes dart : celui dimitation, celui du
rcit, et celui de lart mixte. Dailleurs, Diomde (IVe) enrichit la thorie platonicienne
et aboutit la sparation de trois genres (genera) avec huit espces (species) ; dautres
vont continuer au mme modle historique, comme Proclus (Ve sicle), Jean de
Garlande (XIe XIe), Castelvertro (XVIe). Cette classification en arbre sera
renouvele par dautres impasses thoriques dveloppes par Quintilien, Boileau, le
pre Rapin (XVIIe), et un peu plus tard Brunetire, Hegel adopteront la mme
nonciation littraire3.
2 LAUTREAMONT, Chant premier, strophe 8, Les Chants de Maldoror. Posies-Lettres, uvres compltes, Paris-Montral, Bordas, 1970, p. 28. 3 Ce reprage historique fut emprunt par le livre Quest-ce quun genre littraire de J.-M. Schaeffer, Paris, Seuil, 1989, pp. 9-48.
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Les perspectives thoriques sur le genre sont en plein essor au XXe sicles avec
G. Genette, H.-R. Jauss, F. Schlegel, T. Todorov, M. Bakhtine et les Formalistes, R.
Jakobson, R. Scholes, J.-M. Schaeffer, W. D. Stempel, K. Vitor, A. Fozler, D. Combe.
Chacun, influenc par les doctrines des sciences humaines, fournit un aspect pertinent
au genre et aux sous-genres.
De cette manire, le genre en vers pour rpondre la question initiale :
pourquoi sagit-il des pomes ? ne pourrait pas exclure ces crations potiques
rdiges en prose. En effet, ce quil en est dduit, cest le passage un clatement du
genre, la transfiguration des genres selon J. Semujanga4 puisque cest la littrature qui
lexige, et, ensuite, une redfinition ou une abolition de thories troitement
dogmatiques et striles afin de rserver la libert du discours littraire. Il nest pas
ncessaire de se rfrer exclusivement des paires antithtiques comme : vers prose,
rle de lauteur et du lecteur, je tu, style motif style rfrentiel, pass futur, style
lev style bas/moyen, personnages nobles personnages paysans. Car les
distinctions, titre indicatif, historiques (Aristote), nonciatives (Platon, Diomde,
Staiger, Goethe, Jakobson), linguistiques (Virgile) ou sociologiques (Bakhtine)
naccordent que quelques aspects de luvre littraire. En somme, chaque thorie
correspond son poque ; des thories restreintes ont rsist dans la diachronie. Chaque
cration littraire, surtout celles du XXe sicle, dicte une lecture innovante base sur les
approches du jadis et demandant un rajout interdisciplinaire actuel. Ainsi, Suzanne
Bernard5 lisant les pomes en prose de Baudelaire, se met notamment en qute de la
dcouverte du prsent ternel, des rptitions et des formes intemporelles que des
lments purement potiques comme la versification et le rythme. Pour dfinir, alors, la
poticit de ces pomes baudelairiens, elle cherche ces indices qui dmontrent la
consistance particulire du pome, qui lui permettent laccs au champ potique.
Si les uvres de Rimbaud et de Racine, de Woolf et de Poe, de Kafka et de
Dostoevski, de Proust et de Valry, de Cavafy et de Sefris, de Lorca, de Dante et ainsi
de suite, constiturent les phares dans lhistoire littraire, cest grce leur libert 4 SEMUJANGA, J., Dynamique des genres dans le roman africain. Elments de potique transculturelle, Paris, LHarmattan, 1999. Il invente le terme de potique transculturelle laquelle tudie comment les textes littraires, qui renferment en eux des rfrences aux catgories gnrales de la littrature (genres, thmes ou motifs), mais aussi des catgories historiques (symboliques culturelles spcifiques), se diffrencient les uns des autres partir des catgories en partie conventionnelles , p. 28. 5 BERNARD, S., Pome en prose de Baudelaire nos jours, 1959. Tzvetan Todorov dveloppe-t-il aussi ses ides dans La posie sans le vers , in La notion de la littrature et autres essais, Paris, Seuil, 1987.
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authentique 6, leur dni de reproduire le dj dit, et dappartenir strictement un
genre littraire. Lcrivain qui ncrit que pour appartenir un genre, lment dorigine
paralittraire, ne pourrait gure offrir une uvre-phare.
Au moment o toute poque dirige la thorie des genres, quelle est la fonction
de ces thories de nos jours ? Le genre peut-il dfinir absolument un ensemble duvres
littraires ? Y a-t-il des ensembles duvres prsentant les mmes points communs ? Ou
des uvres-genre ? M. Blanchot y rpondra : Un livre nappartient plus un genre .
Etudiant fond les thories gnriques, une ide se met en vidence : le genre
littraire nest pas quelque chose de stable, de rigide. En revanche, cest mallable.
Quand toute poque apporte lvolution des conceptions idologiques, politiques,
sociales et historiques, de mme lexpression artistique sharmonise tout changement.
Les ides se renouvelle