le magazine...du jazz. le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour...

12
p.8 p.7 p.10 Focus Le début d’une carrière : un défi permanent ! Quatre jeunes musiciens déjà lauréats de grands prix internationaux racontent le défi passionnant que représentent la quête d’opportunités de monter sur scène et la multiplication des expériences. Retour sur Création en milieu carcéral : la violence dans les cordes Avec Douze cordes , une création mêlant texte, danse, boxe et musique réalisée avec des personnes détenues considérées comme des artistes, la violence devient source d’inspiration artistique. En travaux Une complicité féconde Écoumène, concerto qui sera créé le 11 octobre à l’Opéra de Limoges et repris à Paris le 23 avril prochain, est né d’une belle rencontre musicale et humaine : celle du compositeur Aurélien Dumont et du pianiste François-Frédéric Guy, qui dirigera l’orchestre de son instrument. Grand angle Les temps modernes du ciné-concert p.2 Au cours du week-end consacré à Chaplin à la Philharmonie, l’Orchestre de chambre de Paris donne les mythiques Temps modernes et le rarissime A Woman of Paris . L’occasion d’approfondir le ciné-concert, aujourd’hui devenu un genre à part entière. de l’Orchestre de chambre de Paris Le Magazine SEPTEMBRE 2019 | n° 12 Charlie Chaplin

Upload: others

Post on 23-Sep-2020

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Le Magazine...du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant

p. 8p. 7 p. 10

Focus

Le début d’une carrière : un défi permanent ! Quatre jeunes musiciens déjà lauréats de grands prix internationaux racontent le défi passionnant que représentent la quête d’opportunités de monter sur scène et la multiplication des expériences.

Retour sur

Création en milieu carcéral : la violence dans les cordesAvec Douze cordes, une création mêlant texte, danse, boxe et musique réalisée avec des personnes détenues considérées comme des artistes, la violence devient source d’inspiration artistique.

En travaux

Une complicité fécondeÉcoumène, concerto qui sera créé le 11 octobre à l’Opéra de Limoges et repris à Paris le 23 avril prochain, est né d’une belle rencontre musicale et humaine : celle du compositeur Aurélien Dumont et du pianiste François-Frédéric Guy, qui dirigera l’orchestre de son instrument.

Grand angle

Les temps modernes du ciné-concert

p. 2

Au cours du week-end consacré à Chaplin à la Philharmonie, l’Orchestre de chambre de Paris donne les mythiques Temps modernes et le rarissime A Woman of Paris. L’occasion d’approfondir le ciné-concert, aujourd’hui devenu un genre à part entière.

de l’Orchestre de chambre de ParisLe Magazine

SEPTEMBRE 2019 | n°12

Charlie Chaplin

Page 2: Le Magazine...du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant

ÉDITO Grand angle

Les temps modernes du ciné-concert

Le ciné-concert, qui associe un orchestre jouant en direct et la projection d’une œuvre cinématographique, est aujourd’hui devenu un genre à part entière. Ressuscitant les traditions de l’âge d’or du muet. Revisitant les blockbusters contemporains. Inspirant les compositeurs d’aujourd’hui. Et attirant à l’orchestre un nouveau public, jusqu’aux geeks mordus de jeux vidéo ! À l’occasion du week-end consacré à Charlie Chaplin à la Philharmonie, l’Orchestre de chambre de Paris ajoute sa petite pierre à cette fabuleuse renaissance.

Le ciné-concert est aussi vieux que le cinéma : le 28 décembre 1895, un clavier accompagnait déjà la

première projection publique organisée à Paris par les frères Lumière. Nulle salle digne de ce nom ne se serait ensuite résignée à projeter un film dans le silence absolu. La restauration moderne des classiques du muet, trop souvent faite à l’économie, a laissé croire, avec ses enregistrements de piano au kilomètre, que ce dernier était l’instrument roi des

séances de l’époque. En réalité, il faisait plutôt figure d’expédient pour les théâtres moins nantis. On lui préférait l’orgue, au sonorités plus variées, et surtout, dès que possible, un petit ensemble de cordes, vents, cuivres et percussions. Tandis que les temples de ce spectacle nouveau, qui devait faire rêver les foules par son faste, disposaient de véritables fosses d’orchestre

– celle du rutilant Roxy Theatre à New York pouvait accueillir plus de quarante musiciens ! Le ciné-concert symphonique

P. 2

Ce numéro de rentrée du Magazine de l’Orchestre de chambre de Paris met un accent particulier sur l’évolution des formes et le renouvellement permanent suscités par la musique vivante.

Son Grand angle, consacré au ciné-concert, genre apparu à la toute fin du xixème siècle, démontre comment la diffusion de la musique s’est renouvelée. Avec l’avènement de cette nouvelle forme de représentation, la musique touche de nouveaux publics.

Nouvelles formes encore ou plutôt nouveaux itinéraires d’artistes, c’est l’éclairage proposé par le Focus « Le début d’une carrière : un engagement total ! » qui revient sur les nouvelles pratiques et les parcours des jeunes talents de la scène internationale du piano, entre grands prix prestigieux, master classes et, surtout, concerts et confrontation au public.

Renouvellement aussi dans la création avec un « Retour sur » consacré à Douze cordes, spectacle d’un nouveau genre qui associe des personnes détenues et des artistes et qui vient d’être proposé par l’Orchestre de chambre de Paris, les compagnies Mood / RV6K et Les Acharnés – Mohamed Rouabhi sur la scène de la MC93 de Bobigny.

Innovation enfin dans la création musicale, c’est ce que nous révèle la rubrique « En travaux ». Elle revient sur le processus original mené par l’artiste François-Frédéric Guy qui a passé commande au jeune compositeur Aurélien Dumont d’une œuvre pour piano et orchestre en joué-dirigé. Reliant passé et présent, cette pièce contemporaine, qui propose une relecture de l’œuvre de Beethoven, est financée par un moyen tout à fait actuel : le crowdfunding.

Tout celà nous rappelle finalement combien la musique dite classique est en perpétuelle évolution, ce qui la rend aujourd’hui plus que jamais vivante !

Je vous invite à partager ces perspectives à la lecture de ce magazine et, bien entendu, à nous retrouver au concert dans les semaines à venir. Je vous souhaite à toutes et à tous un excellent début de saison 2019/2020.

NICOLAS DROINDirecteur général

Ciné-concert à la Philharmonie de Paris

Page 3: Le Magazine...du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant

n’est donc pas une invention récente seulement destinée à raviver l’intérêt pour les origines du septième art et attirer à l’orchestre des spectateurs moins familiers de ses programmes habituels. Il renoue d’abord avec un répertoire, des pratiques et un savoir-faire qui permettent aux musicologues et interprètes d’exercer leur talent avec la même exigence que pour les œuvres baroques il y a quelques années.

La magie d’une époque

Retrouver la musique qui était jouée, et la manière dont elle l’était, constitue donc la première

mission des chercheurs et artistes de ce qu’on pourrait désigner comme le ciné-concert – canal historique. Fascinés par cet art naissant, nombreux furent en France les compositeurs de renom à écrire pour lui des musiques originales destinés à être jouées durant les projections : Saint-Saëns dès 1908 (L’Assassinat du duc de Guise de Calmettes et Le Bargy), Milhaud (L’Inhumaine de Marcel L’Herbier en 1923), Satie (Entracte de René Clair en 1924), Honegger (Napoléon d’Abel Gance en 1927)… En Allemagne, un

Gottfried Huppertz, un Hans Erdmann sont les premiers à devoir l’essentiel de leur notoriété à leur musique pour le grand écran, collaborant aux chefs-d’œuvre de Fritz Lang (Les Nibelungen en 1924 et Metropolis en 1927 pour le premier) et de Murnau (Nosferatu en 1922 pour le second), grands standards du ciné-concert aujourd’hui. Les films muets américains offrent également quelques exemples de partitions entièrement originales, en particulier celles commandées par D. W. Griffith à Joseph Carl Breil pour Naissance d’une nation en 1915 et Intolérance en 1916, puis à Louis Gottschalk pour Le Lys brisé en 1919 et Les Deux Orphelines en 1921. Mais son génial perfectionnisme ruina Griffith à plusieurs reprises… L’industrie hollywoodienne du divertissement qui se structure dans l’entre-deux-guerres eut majoritairement recours à des compilations réutilisables d’un film à l’autre, composées d’arrangements d’airs célèbres, de chansons à la mode et de pièces originales de genre illustrant des situations stéréotypées – frénésie burlesque, étreinte passionnée, crime sauvage, éléments déchaînés, châtiment

infernal, extase mystique, et tout ce qu’on pourra imaginer. Ces partitions étaient éditées et vendues aux salles sous forme de photoplay music, c’est-à-dire des séries de feuillets numérotés. Les bobines de films arrivaient accompagnées de leur cue sheet, une fiche reprenant le synopsis et indiquant à quel moment, combien de temps, à quel tempo et selon quelles nuances les divers numéros devaient être joués.Mais à quoi ressemblaient et comment sonnaient ces représentations dont nous tentons de retrouver l’esprit ? Le compositeur et chef d’orchestre Timothy Brock, artisan des ciné-concerts consacrés à Charlie Chaplin qu’interprétera l’Orchestre de chambre de Paris, lève un coin du voile sur un univers interprétatif fort éloigné du nôtre. « À la fin des années vingt, juste avant que le parlant fasse disparaître la profession en quelques saisons, instrumentiste de cinéma était souvent un métier à temps plein, avec trois projections par jour. Les musiciens étaient formidablement entraînés, réactifs et polyvalents. Ils avaient généralement une formation classique, tout en jouant beaucoup de musique populaire et parfois

suite p. 4 >>

P. 3Les Temps modernes

Page 4: Le Magazine...du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant

du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant du photoplay album. Ils devaient alors à la seconde trouver le bon feuillet et enchaîner, dans un parfait ensemble et en respectant les indications de caractère propres à chaque film ! Sachant qu’au cinéma, un morceau dure rarement de longues minutes, et que bien des œuvres multiplient les contrastes et les changements de rythmes en quelques plans. D’autre part, le même interprète jouait facilement quatre ou cinq instruments différents et devait aussi passer de l’un à l’autre en un éclair. Un seul musicien pouvait empoigner la flûte, la clarinette, le hautbois et le saxophone, un trompettiste avait autour de lui plusieurs modèles afin d’élargir au maximum la palette des couleurs. En tant que chef d’orchestre, si je proposais une chose pareille aux musiciens du New York Philharmonic pour un ciné-concert, mon temps de survie face aux syndicats serait bref ! Il faut accepter la perte de cette forme de dextérité, ainsi qu’une inertie propre aux grandes machines symphoniques, et travailler sur leurs atouts qu’on ne trouvait probablement pas dans les fosses de cinéma : la perfection technique et sonore, la culture d’œuvres orchestrales d’une immense complexité harmonique, la puissance des masses associée au raffinement solistique. »

L’orchestre comme bande-son augmentée

Au tournant des années trente, l’avènement du cinéma parlant avec ses bandes sonores enregistrées

aurait dû en toute logique faire disparaître le répertoire du ciné-concert. Tel n’est pourtant pas le cas. La raison essentielle tient au prodigieux essor de la musique de film pour orchestre. Si les partitions originales étaient auparavant davantage l’exception que la règle, des compositeurs d’immense talent se spécialisent désormais dans cet art fort bien rémunéré, laissant à la postérité une trace parfois plus durable que les pièces de concert – malgré le mépris des conservatoires et des cadences d’écriture infernales n’encourageant pas toujours la créativité. Hollywood bénéficie en outre de l’exil des artistes chassés par le nazisme en Allemagne puis dans toute l’Europe centrale. Chacun pourra lister ses favoris. Saluons ici, sans volonté d’exhaustivité, le génie de Korngold (avec notamment les partitions des plus grands films d’Errol Flynn comme Robin des Bois ou L’Aigle des mers), de Max Steiner (les thèmes immortels de King Kong, Autant en emporte le vent, Casablanca) et bien sûr Bernard Herrmann (alter ego indispensable d’Hitchcock pour L’Homme qui en savait trop, Vertigo, La Mort aux trousses, Psychose, Les Oiseaux, Marnie… mais également signataire de Citizen Kane et La Splendeur des Amberson pour Welles, La mariée était en noir pour Truffaut et

jusqu’à Taxi Driver pour Scorcese !). Ne voulant pas être en reste, les réalisateurs soviét iques sol l ic itent Prokofiev (notamment Eisenstein pour Alexandre Nevski et Ivan le Terrible) et Chostakovitch. En Europe occidentale, le néoréalisme italien puis la nouvelle vague française feront moins volontiers appel aux grands effectifs symphoniques, mais la tradition se poursuit jusqu’à nos jours outre-Atlantique. Si un Philip Glass, pour lequel le cinéma est plutôt une activité annexe, y privilégie l’intimisme, John Williams, qui doit à Hollywood sa notoriété universelle, a aussi beaucoup contribué, avec son goût pour les orchestres immenses, à celle de quelques-uns des plus grands succès de l’histoire récente, de la série des Star Wars produite par George Lucas à celle des Harry Potter, en passant par les Indiana Jones de Steven Spielberg, pour lequel il signe également une pléiade de musiques inoubliables (E.T., Jurassic Park, La Liste de Schindler…).Malgré le son THX des films récents, la tentation est donc irrésistible de s’emparer en ciné-concert de ces partitions opulentes et de faire vivre aux spectateurs l’expérience jouissive de la projection transcendée par les instruments dans la salle. Facile : il suffit de découpler la bande voix de la bande musique ! Pour les œuvres plus anciennes, le gain en qualité sonore est bien entendu plus considérable encore, car les techniques de l’enregistrement de l’époque ne rendaient pas toujours justice au talent des

P. 4

Étroit Mousquetaire

Page 5: Le Magazine...du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant

P. 5

compositeurs – comme le montre l’exemple des Temps modernes de Chaplin détaillé plus loin. Jeune cor solo de l’Orchestre de chambre de Paris, Nicolas Ramez est devenu un spécialiste de ces performances… et de John Williams. « Peut-être suis-je un peu partial car elles sollicitent énormément mon instrument, mais j’insiste d’abord sur la qualité musicale de ces œuvres, souligne-t-il. Pour la fabuleuse séquence de la chevauchée aérienne des bicyclettes à la fin de E.T., Spielberg a compris qu’il ne devait pas demander à Williams de caler l’enregistrement sur un montage déjà réalisé, mais adapter ce dernier à l’interprétation afin de n’en pas brider le lyrisme. J’ai joué l’œuvre en concert au Grand Rex, ainsi que Jurassic Park – dont l’inspiration mélodique est d’un niveau tout aussi extraordinaire, ce que l’accessibilité du film pourrait occulter. Et comme supplémentaire du London Symphony Orchestra, j’ai connu l’initiation quasi wagnérienne de Star Wars. Aujourd’hui, on fait souvent appel à moi pour constituer les pupitres de cor. Généralement, nous avons une lecture sans le film avec le chef d’orchestre, puis une répétition en situation. Il faut être particulièrement concentré, car tout décalage avec l’image est immédiatement perçu par le public. Mais le travail, pour ce répertoire hollywoodien récent, n’est pas si différent d’un concert symphonique habituel, du moins pour les instrumentistes – c’est autre chose pour le chef ! » Timothy Brock le confirme : « Dans un programme symphonique, on est très libre des choix de tempo et du rubato. À l’opéra aussi, à condition d’être bien raccord avec les chanteurs ! Diriger un ciné-concert se rapproche davantage du ballet, où les pas des danseurs dictent le mouvement. En plus contraignant encore, tant c’est le projecteur qui commande ! »

Retour vers le futur

Mais le ciné-concert ne se limite pas à rendre leur musique aux films muets, ni à donner une

dimension supplémentaire à celle des classiques anciens ou récents. Il est aussi un champ de création pour les compositeurs issus de toutes les esthétiques. Soit en écrivant des partitions nouvelles pour des œuvres antérieures à l’apparition du parlant. Soit dans le cadre d’une conception globale, avec un film spécialement réalisé en lien avec la musique. À partir des années soixante-dix, le groupe de rock progressif Art Zoyd, devenu depuis un

centre de création musicale très tourné vers l’expérimentation électroacoustique, a monté de nombreux projets dans cette veine, notamment avec les compositeurs Gérard Hourbette puis Kasper Toeplitz. Des musiciens aux univers aussi différents que Richard Einhorn, Jean-François Zygel ou John Zorn affirment un goût particulier pour cet exercice. Du côté des interprètes, leur créativité recèle des défis redoutables. Car dans des musiques généralement plus complexes que les bandes originales du cinéma traditionnel, le chef d’orchestre ne suffit plus, et il est bien souvent nécessaire d’équiper chaque instrumentiste d’un « clic » individuel qui permet depuis la console électronique de donner des départs différenciés au dixième de seconde.Ouvert aux musiques de demain, le ciné-concert l’est aussi à ses publics. Il suffit de voir la moyenne d’âge des projections de films de Spielberg au Grand Rex, dont les spectateurs entendent souvent un orchestre en concert pour la première fois. Franchiront-ils ensuite la porte d’un auditorium pour y assister à un programme symphonique ? On aimerait le croire, mais il faut être lucide : sans travail de médiation, les deux univers communiquent probablement très peu. En revanche, les séances organisées par la Philharmonie, souvent assorties d’ateliers et fréquentées par des groupes préparés, notamment de scolaires, permettent plus facilement de telles passerelles. Le ciné-concert se prête d’ailleurs idéalement aux projets éducatifs, y compris ceux qui suscitent la participation des enfants. En avril dernier, quatre instrumentistes de

l’Orchestre de chambre de Paris, encadrés par Mark Withers, musicien anglais qui met aujourd’hui en œuvre les productions participatives et inclusives les plus innovantes en Europe, ont travaillé avec les enfants de plusieurs écoles primaires du 12e arrondissement, dont certains vivant avec leur famille dans un centre d’hébergement d’urgence, autour du court-métrage de Buster Keaton, La Maison démontable. Compositeurs et interprètes en herbe, ils étaient associés comme chanteurs et bruiteurs aux musiciens de l’orchestre à l’occasion de la projection.Mais voilà que le ciné-concert, déjà riche d’une telle histoire et de tant de perspectives encore, se voit concurrencé par plus tendance que lui  : le game-concert, où les passionnés de jeux vidéo viennent entendre l’orchestre accompagner les aventures de leurs héros favoris sur grand écran. Nicolas Ramez, aussi érudit dans ce domaine qu’en matière de superproductions hollywoodiennes, figure également parmi les musiciens parisiens à la pointe de ce genre nouveau. Bien entendu, les principes sont encore ceux du ciné-concert, les interprètes jouant une partition fixée à l’avance et suivant un film prémonté. Verra-t-on un jour des concerts aléatoires, où l’inspiration de vrais joueurs obligera les musiciens à s’adapter avec plus de virtuosité encore que leurs prédécesseurs sur les photoplay albums du muet ? Tous les délires sont permis !Vincent Agrech

À suivre, l’interview de Timothy Brock >>

Charlie Chaplin

Page 6: Le Magazine...du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant

P. 6

Le compositeur et chef d’orchestre Timothy Brock consacre une part importante de ses activités à écrire et diriger des partitions de ciné-concert. Depuis plus de vingt ans, il est aussi celui qui a ramené sous les feux de la rampe la dimension la plus méconnue du génie universel de Charlie Chaplin : le musicien. En amont des spectacles où il dirigera l’Orchestre de chambre de Paris à la Philharmonie les 12 et 13 octobre, dans les mythiques Temps modernes (1936) et le rarissime L’Opinion publique (A Woman of Paris dans la version originale, 1923), il nous raconte cette fabuleuse aventure parfois digne d’un film policier hollywoodien !

Comment ont débuté ces deux décennies dans l’intimité musicale de Chaplin ?

Timothy Brock : En 1998, la fondation familiale qui gère ses droits et son legs m’a contacté. Ses représentants avaient entendu ma musique originale écrite pour le retour à l’affiche de Pandora’s Box de Pabst (1929). Ils savaient également que j’étais premier chef invité du Los Angeles Chamber Orchestra, avec lequel je donnais de nombreux ciné-concerts. Leur projet était de restaurer la partition des Temps modernes. D’abord, parce que l’enregistrement d’époque était en mauvais état, et que les micros d’alors masquaient de nombreux détails de timbres et de couleurs orchestrales, de dynamiques, et jusqu’à la construction polyphonique. Ensuite, dans l’idée de réaliser ce qui n’avait jamais été fait : projeter ce film légendaire accompagné d’un orchestre jouant en direct. Quelques semaines plus tard, j’étais à Paris, dans les archives de la Fondation, devant cinq énormes boîtes. À l’intérieur, façon puzzle, tous les états de la partition, des ébauches manuscrites aux parties séparées imprimées, des heures de bandes enregistrées, mais en séquences de deux minutes, et des documents aussi inattendus que des notes de pressing et des menus de restaurant, annotés d’une foule de personnes, à commencer par les musiciens !

Vous vous retrouviez propulsé au cœur même de la production des Temps modernes. Qu’avez-vous découvert sur l’autodidacte et le perfectionniste qu’était Chaplin compositeur ?

T. B. : On sait qu’il ne lisait ni n’écrivait la musique, mais jouait du piano et du violon, sur lesquels il faisait écouter ses idées à

des assistants qui les transcrivaient et les orchestraient – certains aussi talentueux qu’Irving Berlin ! Chaplin choisissait souvent des tonalités peu orthodoxes, des carrures de phrases déséquilibrées. L’assistant avait la responsabilité de construire une harmonie jouable et de poser des barres de mesure cohérentes, sans stér i l i ser cet te s ingu la r ité d’inspiration, d’autant que le cinéaste était d’une redoutable exigence. Reconstituer l’historique de chaque section permet de le mesurer. Non seulement devant le nombre de premiers essais rejetés, mais aussi devant celui des prises enregistrées pour un même passage, avec d’infimes variantes de phrasé, d’harmonie, d’instrumentation. Chaplin avait besoin d’entendre comment sonnait le résultat avant de le valider, ou de choisir une alternative. J’ai ainsi relevé bien des différences significatives entre la bande originale de 1935 et ses versions imprimées, car il n’avait pas toujours retenu la dernière proposition qui lui était soumise. Il me semblait notamment, dans une scène du film, entendre deux hautbois, alors que la partition n’en indiquait qu’un seul. C’est grâce au livre de paye des séances d’enregistrement que j’ai eu la confirmation que ce jour précis, un second hautboïste avait bien été convoqué !

Une véritable enquête de détective, mais le compositeur n’est-il pas inévitablement tenté d’ajouter sa patte et de réinventer des éléments manquants ?

T.B.  : Assez peu, curieusement. Sans doute parce que de tels manques sont peu nombreux. J’ai bien composé de rares liaisons de quelques secondes, mais l’enjeu principal consiste à arbitrer entre les diverses possibilités découlant du trop-plein d’informations. Surtout dans un film comme Les Temps modernes, dont le spectateur réalise en le revoyant qu’il connaît chaque minute, et s’offusquerait de ne pas retrouver ses souvenirs musicaux en le faisant découvrir à ses enfants ! La question se pose en d’autres termes pour une œuvre aussi peu connue et mystérieuse que L’Opinion publique.

Œuvre maudite, même, puisque Chaplin, qui n’y incarne pas le légendaire vagabond mais se contente d’une brève apparition comme figurant, la retira de l’affiche au bout de quelques semaines devant l’insuccès, et la séquestra littéralement dans ses coffres jusqu’à la fin de sa vie. Avait-il

composé pour elle une musique dès sa sortie ?

T. B. : Non, comme d’ailleurs pour aucun de ses films avant l’apparition du parlant, pour lesquels il se contentait encore de superviser les cue sheets adressées aux salles pour leurs orchestres et pianistes. Chaplin compositeur naît avec Les Lumières de la ville, en 1931, habité par la foi en un cinéma sonore, et pas bavard comme il le qualifiait. D’où sa décision, dans les dernières années de sa vie, alors que toute son œuvre connaissait une sorte de renaissance, d’écrire des musiques pour ses grands chefs-d’œuvre muets, comme il l’avait déjà fait pendant la guerre à l’occasion d’une reprise de La Ruée vers l’or. En appliquant sa bonne vieille méthode : jouer ses idées pour un assistant auquel revenait la tâche redoutable de mettre en forme les idées du maître. Cependant, Chaplin ne ressortit des cartons L’Opinion publique qu’en 1976, l’année précédant sa mort. Et le doute subsiste, alors que ses capacités déclinaient, quant à sa part réelle dans ce travail, et celle des mains secourables autour de lui. J’ai donc fait un choix qui pourra sembler radical, mais me paraissait mieux lui rendre justice. Celui de marier des morceaux de L’Opinion publique qui me semblent indéniablement procéder de son inspiration aux musiques qu’il avait composées, mais pas utilisées pour son seul autre drame, Les Feux de la rampe, en 1952. Une mine : j’ai retrouvé treize heures d’enregistrements de Chaplin au piano, improvisant sur des intuitions magnifiques, livrées ainsi au public pour la première fois ! J’espère avoir organisé une partition plus authentiquement « chaplinesque » que celle des années soixante-dix, pour ce film à part que Lubitsch considérait comme le plus beau qu’il ait jamais vu…

> RECHERCHE CHARLIE, DÉSESPÉRÉMENT Rencontre avec Timothy Brock

Timothy Brock

Page 7: Le Magazine...du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant

Retour sur…

Création en milieu carcéral : la violence dans les cordes

Paradoxalement, alors que la violence est une composante du milieu carcéral, elle est rarement

traitée lors des créations artistiques qui y sont impulsées. Le sujet a été abordé frontalement dans Douze cordes, la dernière création de l’Orchestre de chambre de Paris au sein du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, présentée en mai dernier à la MC93 de Bobigny. Neuf personnes détenues (six finalement sur scène), incarcérées pour des faits de violences graves, ont répondu à cette initiative articulée par Irène Muscari. Coordinatrice culturelle du SPIP 77 (service pénitentiaire d’insertion et de probation), elle explique : « Les coups surgissent quand les mots manquent. L’idée était donc de canaliser la violence dans les règles de la boxe, puis petit à petit de remplacer les coups par les mots écrits, parlés, chantés et pourquoi pas dansés. »

La création a été confiée au danseur et chorégraphe Hervé Sika – épaulé par les ateliers d’écriture

animés par Mohamed Rouabhi – qui détaille sa démarche : « La boxe a permis de poser tout de suite la question du corps, de la violence, de ce qui l’a construite et vers qui elle est dirigée. Les personnes détenues sont chargées d’énormément de difficultés, remontant parfois à l’enfance, et je ne sais pas créer sans remuer quelque chose chez mes interprètes. Il a fallu que je leur dise : “Suivez-moi, faites-moi confiance.” » Une soprano, un percussionniste et un DJ ont collaboré avec l’Orchestre de chambre de Paris pour la partie musicale.

Cinq musiciens de l’orchestre, Franck Della Valle (violon et arrangements), Hélène Lequeux

(violon), Claire Parruitte (alto), Sarah Veilhan (violoncelle) et Kevin

Galy (clarinette), ont participé à ce projet amorcé dès l’automne au centre pénitentiaire. Franck Della Valle, dont des compositions ont été intégrées à la création, témoigne de cette nouvelle expérience auprès des personnes détenues : « Nous nous sommes heurtés à une forme de méfiance mais les chorégraphies nous ont rapprochés, physiquement. Les corps ont brisé la glace. Alors que certains sont extrêmement pudiques et ne décrochent pas trois mots, une connivence a fini par s’installer. À l’arrivée, toutes les parties ont participé au même niveau. » Un égalitarisme d’autant plus réel que les personnes détenues étaient, pour la première fois, rémunérées pour leur contribution. « On n’en fera pas tous des artistes mais, pour des longues peines qui ont perdu l’habitude de travailler et d’être payés pour cela, c’est un pas de plus vers la réinsertion professionnelle », estime Irène Muscari.

La création de Douze cordes à la MC93 (une seconde représentation a été donnée en prison) a été

ovationnée par 600 spectateurs avant que chacun réintègre sa condition – la liberté pour les uns, la détention pour les autres. « Ils sont remontés dans le véhicule affrété par la prison et c’était aussi émouvant que violent. On quitte une telle aventure avec une meilleure connaissance de l’humain et ses fêlures », conclut Hervé Sika qui

décrit une expérience « éprouvante ». Entre l’Orchestre de chambre de Paris et le SPIP 77, il est déjà prévu de prolonger des collaborations qui, d’année en année, se fixent des ambitions toujours plus élevées, dans le but principal de présenter des spectacles de qualité – et tant mieux s’ils profitent à leurs interprètes les plus ostracisés.

Éric Delhaye

Le chorégraphe Hervé Sika, l’auteur Mohamed Rouabhi et cinq musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris ont créé Douze cordes en compagnie de personnes détenues considérées comme des artistes à part entière.

> SOUTIENS

Coproduction Orchestre de chambre de Paris, SPIP de Meaux, Cie MOOD/RV6K, Cie Les Acharnés - Mohamed Rouabhi, en partenariat avec la MC93.

Ce projet a bénéficié du soutien de la Ville de Paris, du ministère de la Culture (Drac Île-de-France), du ministère de la Justice, du SPIP 77, de la Fondation Meyer pour le développement culturel et artistique, de la Fondation M6, de la Fondation de France, de la Fondation Thierry Velut, de la Fondation d’entreprise La Poste et de la Fondation Humanités Digital Numérique.

S O U S L ’ É G I D E D E L A F O N D A T I O N D E F R A N C E

P. 7

Page 8: Le Magazine...du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant

FocusLe début d’une carrière :

un défi permanent !

Jouer ! Jouer ! La quête d’opportunités de monter sur scène et la multiplication des expériences musicales représentent un défi passionnant. Un pari relevé par quatre jeunes prodiges que nous avons rencontrés à l’occasion de la Paris Play-Direct Academy. Paroles croisées.

Ils ont moins de trente ans et entament une belle carrière de soliste. Comment vivent-ils leur profession  ? Et

d’ailleurs, s’agit-il vraiment d’un métier ? Assurément… « Mais non ! », répondent-ils en chœur. « Je suis payée pour vivre ma vie  », assure Dinara Klinton, un brin provocatrice. En vérité, organiser une carrière n’a rien à voir avec ce que leurs illustres aînés ont connu. L’ère du numérique, la nécessité de communiquer de plus en plus rapidement, tout est passé dans une autre dimension. Ont-ils été formés pour relever de tels défis ? Les musiciens en doutent, mais ils s’adaptent car ils éprouvent aussi la puissance de la concurrence. Le pianiste François-Frédéric Guy en fait le constat : « Certes, les salles sont plus nombreuses, plus magnifiques et les pianistes se taillent la part du lion. Mais il est bien difficile de les départager tant leur niveau technique est élevé. La sélection se fait entre les broyeurs d’ivoire et les musiciens qui ont réellement quelque chose à dire. »

Se spécialiser… ou pas

Face à la concurrence, les pianistes préparent d’ambitieux répertoires. Mais doivent-ils apprendre des

dizaines de concertos pour espérer

remplacer au pied levé un artiste défaillant ? Doivent-ils, au contraire, se spécialiser dans une esthétique, une époque et parfois même quelques compositeurs seulement ? Les uns refusent toute restriction musicale, à l’instar de Claire Huangci : « Je visite de nombreux musées qui présentent des peintures de toutes les époques. Pourquoi, en tant que pianiste, devrais-je me cantonner à tel ou tel répertoire ? » À l’inverse Théo Fouchenneret entend se plonger dans une grande œuvre : « J’aime m’approprier une esthétique, un style, un compositeur. » Dinara Klinton élude elle la question : « L’important est que la personnalité de l’artiste soit en phase avec la partition. Le reste…»

Concourir… ou pas

Les concours seraient la voie royale pour acquérir très rapidement une grande notoriété. Ce sont de

véritables marathons, tous plus sélectifs les uns que les autres. Sont-ils pour autant incontournables ? « Le concours nous aide à apprendre rapidement de nouvelles pièces et, avec un peu de chance, on joue avec orchestre », reconnaît Claire Huangci. Concourir fut indispensable pour Dinara Klinton : « Je suis d’origine ukrainienne et viens d’une famille très modeste. Réussir

P. 8

Dinara Klinton

Rachel Cheung

Page 9: Le Magazine...du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant

un concours était mon seul moyen pour me faire connaître. » Sans visibilité médiatique, un artiste « n’existe » pas. Tous lauréats de concours prestigieux, ces jeunes musiciens retiennent une belle expérience artistique suivie de premiers engagements. Steinway & Sons est partenaire de la Paris Play-Direct Academy (PPDA). Gerrit Glaner dirige le département Concerts et Artistes de la célèbre firme : « Le soutien à la jeune génération d’artistes est, à nos yeux, d’une importance essentielle. Avec le Steinway Prizewinner Concerts Network, nous établissons des liens entre les concours de piano, les promoteurs de concerts et les médias du monde entier. Nous avons uni nos forces à celles de la PPDA. En 2017, la pianiste Rachel Cheung, lauréate de l’édition, a obtenu plusieurs concerts Steinway Prizewinner en Allemagne ainsi qu’un enregistrement radio et un début avec l’Elbphilharmonie à Hambourg. Nous avons hâte de participer à la session de septembre. »

Gérer… ou ne pas gérer sa carrière

Trouver un agent n’est pas chose aisée pour un jeune musicien. Et lorsque c’est le cas, « il vaut mieux

ne pas accepter toutes les propositions ! », confie Claire Huangci. Chacun d’eux est conscient de l’extraordinaire évolution des carrières actuelles. La « Business Industry » est une réalité dont il est impossible de ne pas tenir compte : faire mieux et plus rapidement !

« Cela nécessite d’être très organisé, entre le travail personnel et la gestion des plannings, la communication sur les réseaux sociaux, même si mon bureau reste… mon piano ! », remarque Mario Häring. Voilà qui est contradictoire avec la patiente maturation des œuvres interprétées. « Construire une carrière sur la durée est un défi d’ordre schizophrénique car on demande aux musiciens des qualités d’anticipation dans un monde où tout semble immédiat »,

P. 9

renchérit Théo Fouchenneret. Il leur faut aussi multiplier les expériences et c’est bien le sens de la PPDA proposée par l’Orchestre de chambre de Paris. Aucun d’eux n’a pourtant de pratique en matière de direction d’orchestre. Mais nos quatre chambristes sont curieux de tout et veulent connaître intimement les timbres de l’orchestre. « C’est une nouvelle manière de penser la musique », affirme Dinara Klinton.

Imaginer l’avenir… ou pas

Pour François-Frédéric Guy, « un début de carrière représente une course d’obstacles, un jeu

d’équilibriste dans lequel il est interdit de se galvauder ». Nos quatre pianistes s’offusquent presque qu’on leur parle d’un public vieillissant car ils estiment que leur mission est précisément d’inventer de nouveaux formats de concerts, d’aller plus encore vers les jeunes. « Les gens vont au concert comme ils vont au cinéma. La musique vécue en direct, c’est toujours ce qui procure les plus grandes émotions », s’enthousiasme Dinara Klinton. Ils regrettent aussi que les producteurs soient encore trop timorés, les artistes nationaux trop peu enclins à aller se produire à l’étranger. Quoi qu’il arrive, ils ont foi en leur avenir, en la musique dite « classique ».

Laissons le mot de la fin à François-Frédéric Guy, qui interpelle la jeune génération

d’artistes : « Votre niveau technique est de plus en plus élevé. Mais qu’est-ce qui décidera un producteur de concerts à vous engager ? Si vous pouvez répondre à cette question, tout ira bien pour vous…»

Stéphane Friédérich

Mario HäringPrix de l’orchestre PPDA 2019

Théo Fouchenneret

Claire Huangci Prix du jury PPDA 2019

Page 10: Le Magazine...du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant

En travauxUne création musicale ouverte sur le monde

É coumène, le concerto d’Aurélien Dumont qui sera créé le 11 octobre à l’Opéra de Limoges puis repris

le 23 avril 2020 à Paris, puise ses origines, comme souvent, dans une rencontre, celle du compositeur avec le pianiste François-Frédéric Guy  : «  En 2014 ou 2015, Aurélien m’a contacté parce que Beethoven occupait une place très importante dans mon répertoire et qu’il voulait créer une œuvre pour piano dont les mouvements viendraient s’intercaler avec ceux des Bagatelles op. 126 de Beethoven. Other Pages a rencontré un grand succès lors de sa création en 2016 au Théâtre de Cornouailles à Quimper. » Le compositeur confirme cette réussite autant musicale qu’humaine : « Ce qui me touche énormément dans le jeu de François-Frédéric est, sans compter son toucher délicat et sa technique prodigieuse, la mise en lumière permanente de l’instant ; il a une approche à la fois analytique et instinctive de la musique, c’est un équilibre que je tente également d’atteindre lorsque je compose. »

Un concerto né d’un double désir : celui d’un compositeur

et celui d’un interprète commanditaire.

Ce respect mutuel et les procédés d’écriture ayant fait leurs preuves à Quimper présagent une création mémorable sur laquelle Aurélien Dumont lève brièvement le voile : « Le Concerto n° 12 de Mozart apparaît dès la première intervention du piano par l’utilisation de ce que j’appelle un OEM (Objet esthétiquement modifié) issu du second mouvement. Dans cette première apparition, la modification

esthétique est extrêmement légère ; la suite des occurrences de ces OEM façonne un étalonnage formel où une distorsion croissante éloigne progressivement le matériau de sa source. Le thème du second mouvement de ce concerto est lui-même une citation de Johann Christian Bach par Mozart ; j’aime cette idée de mise en abyme qui est fort à propos ici. »

Aurélien Dumont cite Mozart qui cite Johann Christian Bach

et unit ainsi le passé et le présent.

Vous l’aurez deviné, le concerto de Mozart fait partie du programme de la soirée, pour des raisons qui concernent personnellement le pianiste-chef : « Il est l’un de mes préférés, le premier concerto que j’ai joué, il y a 35 ans. Je suis très heureux de le programmer cette saison avec l’Orchestre de chambre de Paris. Dans Écoumène, il y aura néanmoins de nombreuses autres références cachées. Mais il s’agit de matériaux d’inspiration, non pas d’hommages à tel ou tel compositeur. Cette approche dans l’écriture d’Aurélien me plaît particulièrement, car elle unit des références, parfois presque imperceptibles, au passé avec toutes les techniques modernes de composition. Je citerai par exemple le recours à des instruments très exotiques dans les percussions – il ne faut pas oublier qu’il passe six mois par an au Japon. Cela ne veut pas dire bien sûr qu’une musique japonaise va soudainement surgir au sein de la partition ! Il s’agit plutôt d’une ouverture sur le monde et sur des sons inusités à l’orchestre qui vont se combiner avec ceux du piano. »

Ces audaces n’occultent pas l’un des principes fondamentaux du projet, le jouer-diriger dont l’Orchestre de chambre de Paris se fait le champion depuis plusieurs saisons et que le compositeur a abordé avec minutie : « Malgré un certain niveau de difficulté de la pièce pour les interprètes, j’ai tenté de parvenir à une conscientisation accrue des liens entre le pianiste et l’ensemble orchestral en termes de dialogue et de réalisation pratique. » Pour François-Frédéric Guy, l’entreprise sera grisante, malgré les embûches : « Je n’ai jamais dirigé de musique contemporaine, ni du piano ni à la baguette. J’en ai en revanche énormément interprété comme pianiste et cela va bien sûr beaucoup m’aider.

« Je suis très fier de ce projet car, d’une certaine manière, il

s’agit de “mon” concerto. »

J’ai effectué la démarche de commande et lancé une campagne de crowdfunding*, ce qui est très inhabituel, car ce sont en général les institutions qui passent commande. Créer à Paris ce concerto avec un orchestre auquel je suis lié par des rapports si privilégiés me rend particulièrement heureux. »

Yutha Tep

Le 23 avril prochain, la création à Paris d’Écoumène permettra aux mélomanes d’apprécier l’écriture raffinée d’Aurélien Dumont et la virtuosité subtile de François-Frédéric Guy, tout en apportant une contribution décisive au jouer-diriger cher à l’Orchestre de chambre de Paris, le pianiste dirigeant cette partition de son clavier. Défi redoutable mais infiniment gratifiant.

P. 10François-Frédéric Guy*Le financement sous forme de crowdfunding a bénéficié de l’aide de Proarti, du soutien de la Sacem et des dons de dizaines de particuliers.

Aurélien Dumont

Page 11: Le Magazine...du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant

P. 11

ActualitésParis Play-Direct Academy 2019 : Claire Huangci, grand prix du jury et Mario Häring, prix de l’orchestre.

Lors de cette 5ème édition de Paris Play-Direct Academy, l’Orchestre de chambre de Paris, en partenariat avec Steinway & Sons, a offert l’opportunité à quatre jeunes solistes de niveau international, tous lauréats de concours renommés, de se former à la direction depuis le piano sous l’égide de grands professionnels. Pour cela, ils ont pu répéter et jouer avec l’orchestre. Du 2 au 6 septembre, ces quatre jeunes académiciens - Théo Fouchenneret, Mario Häring, Claire Huangci et Dinara Klinton - ont ainsi bénéficié des conseils éclairés du pianiste et chef d’orchestre Lars Vogt, directeur artistique de cette édition, et du chef d’orchestre Mark Stringer. Pour clôturer cette semaine riche en expérience, ils ont pu faire leurs preuves en public lors d’un concert au Studio de la Philharmonie de Paris retransmis en live sur Facebook. À l’issue de cette soirée, le prix du jury (composé de sept professionnels internationalement reconnus et présidé par Gerrit Glaner, directeur du département artistes et concerts de Steinway & Sons) a été décerné à l’Américaine d’origine chinoise Claire Huangci et le prix de l’orchestre à l’Allemand Mario Häring.

Captation du concert et reportages sur PPDA disponibles sur la chaîne YouTube de l’Orchestre de chambre de Paris.

Une création d’Aurélien Dumont

Franço is-Frédér ic Guy interprète pour la première fois en octobre 2019, à l’Opéra de Limoges, Écoumène, composé par Aurélien Dumont. Cette œuvre est construite sur un jeu de miroir avec le

Concerto n° 12 de Mozart. Le compositeur puise également son inspiration dans la problématique de l’urgence écologique actuelle. Il symbolise la main de l’homme contrôlant l’écosystème par celle du chef dirigeant l’orchestre. Fruit d’une commande groupée avec l’Orchestre de chambre de Paris, ce concerto sera également joué au Théâtre des Champs-Élysées le jeudi 23 avril 2020. Sa composition a été financée par une opération de crowdfunding lancée en automne 2018 auprès des publics de l’orchestre et de l’Opéra de Limoges.

Vendredi 11 octobre - Opéra de Limoges Jeudi 23 avril - Théâtre des Champs-Élysées

Déjeuners-concerts au Châtelet

La rentrée 2019 est placée sous le signe de la musique d’aujourd’hui avec une série de déjeuners-concerts organisée en partenariat avec le Théâtre du Châtelet. Compositeurs et chef(fe)s d’orchestre défendent un programme original d’une heure, mettant en miroir pièces contemporaines et œuvres emblématiques du répertoire classique. Avec, cerise sur le gâteau, une médiation servie sur un plateau qui permet de mieux appréhender les pièces contemporaines, proposées deux fois à l’écoute !Chaque déjeuner-concert est précédé d’une séance scolaire le matin même, à destination des élèves du CM1 à la 6e.

Écoute, écoute : séance destinée aux scolaires à 10 h, puis déjeuner-concert grand public à 12 h 30 retransmis sur un Facebook live. Vendredi 18 octobre : Smetana / Tanguy Vendredi 8 novembre : Benjamin / Mozart Vendredi 22 novembre : Mozart / Say

Contenus pédagogiques et numériques sur orchestredechambredeparis.com

Les jeunes de Démos en concert

Lancé en 2010, le dispositif Démos permet à des enfants et adolescents éloignés de la musique classique d’apprendre à jouer d’un instrument et de pratiquer la musique collectivement. Pour la première fois, une soixantaine de jeunes partagent la scène avec les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris, sous la direction de Douglas Boyd. Rejoints par un chœur d’enfants et par de jeunes solistes, ils interprètent des extraits du Don Giovanni de Mozart, mais aussi des arrangements d’airs traditionnels écossais, que le public est invité à chanter depuis la salle.

Mercredi 26 février Salle des concerts – Cité de la musique

Watch : Le temps, la veille, le regard.

« L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire. »

Pour la troisième année consécutive, l’Orchestre de chambre de Paris propose aux personnes détenues à la prison de Meaux de partager la scène avec ses musiciens. C’est au metteur en scène Olivier Fredj qu’est confiée cette saison la création d’un spectacle théâtral et musical, qui pose la question de la temporalité et du regard. Les textes émanent de personnes dont la condition spécifique nous offre une appréhension particulière du temps et du regard de l’autre : nous avons choisi d’écrire ce spectacle avec des détenus, mais aussi avec des patients en longue maladie et des personnes sans domicile. Quant à la musique, elle mêle rythmes électroniques, sons réels et pièces du répertoire classique, avec la complicité de la pianiste Shani Diluca.

Avec le soutien de la Fondation Meyer pour le développement culturel et artistique.

En partenariat avec l’Unité Mobile d’Accompagnement et de Soins Palliatifs de La Pitié Salpêtrière, le Samu social et la Maison de la Poésie.

Création le jeudi 30 avril - MC93 (Bobigny)

L’Orchestre de chambre de Paris partenaire du Pass Culture

L’Orchestre de chambre de Paris poursuit son partenariat avec le Pass Culture, un projet en cours d’expérimentation porté par le Ministère de la Culture et construit avec les acteurs culturels. Sa vocation est de rapprocher la culture de tous les citoyens, en particulier de ceux qui en sont exclus, en leur donnant accès à l’information sur les événements artistiques et culturels, en suscitant l’envie des jeunes d’y participer, et en proposant des actions et services sur tout le territoire.

pass.culture.fr

Page 12: Le Magazine...du jazz. Le chef d’orchestre, ou celui d’entre eux qui suivait la cue sheet pour les configurations chambristes, leur donnait au fil de la séance le numéro correspondant

Agenda À voir et à revoir

Orchestre de chambre de Paris221 avenue Jean Jaurès - 75019 Paris

L’Orchestre de chambre de Paris, labellisé Orchestre national en région, remercie de leur soutien la Ville de Paris, le ministère de la Culture (Drac Île-de-France), les entreprises partenaires, accompagnato, cercle des donateurs de l’Orchestre de chambre de Paris, et la Sacem qui contribue aux résidences de compositeurs.Licence d’entrepreneur de spectacles : 2-1070176Dépôt légal : ISSN : 1769-0498Programmes et informations donnés sous réserve d’erreurs typographiques ou de modifications.Ne pas jeter sur la voie publique.Réalisation et coordination Service communication :Émilie Tachdjian, Gilles PilletConception graphique : Agence MixteRelecture : Christophe ParantCrédits photo CouvertureGrand angle : Charlie Chaplin © Roy Export Co Ltd Focus © Lamia ZiadéRetour sur : Création en milieu carcéral © D. R. En travaux : Aurélien Dumont © D. R.

Grand angleCiné-concert Philharmonie © Ava du ParcLes Temps modernes © Roy Export Co LtdÉtroit Mousquetaire © G. LefauconnierCharlie Chaplin © Roy Export Co Ltd Timothy Brock © D. R.

Retour surDouze cordes © ArtKaïc - Marion Leduc

FocusDinara Klinton © Emil MatveevRachel Cheung © D. R. Théo Fouchenneret © Lyodoh Kaneko Mario Häring © Stephan Röhl Claire Huangci © Gregor Hohenberg

En travauxAurélien Dumont © D. R.François-Frédéric Guy © Miguel Barreto

ActualitésPPDA © Bernard TalgoAurélien Dumont © D. R. Déjeuners-concerts au Châtelet © Lamia ZiadéOrchestre Démos © Ava du Parc Olivier Fredj © Julien Benhamou

AgendaDouglas Boyd © Jean-Baptiste Millot Lars Vogt © Giorgia BertazziPalazzetto Bru Zane © D. R. Les Temps modernes © Roy Export Compagny LtdÉric Tanguy © VahanFazil Say © Marco Borggreve George Benjamin © Matthew LloydÉglise Saint Eustache © D. R.Fazil Say © Marco Borggreve Caroline Widmann © Lennard Rühle

À voir et à revoirLe Parc © Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Impression : Imprimerie Monsoise

Théâtre des Champs-ÉlyséesPalazzetto Bru Zane - Gala des 10 ansHervé Niquet / Chœur du Concert Spirituel

7 octobre 20 h

Grande salle Pierre Boulez – Philharmonie de ParisA Woman of Paris / Les Temps modernes Ciné-concerts ChaplinTimothy Brock

12 et 13 octobre 20 h 30 et 16 h 30

Théâtre des Champs-ÉlyséesFazil Say, le cosmopoliteDouglas Boyd / Fazil Say

24 octobre 20 h

Théâtre du ChâteletDéjeuner-concert Smetana / TanguyJulien Leroy

18 octobre 12 h 30

Expériences sacrées à Saint-EustacheÉglise Saint-EustacheDouglas Boyd / Mireille Asselin / Eva Zaïcik / James Way / David Soar / Maîtrise Notre-Dame de Paris / Henri Chalet

19 et 20 novembre 20 h 30

Théâtre du ChâteletDéjeuner-concert Benjamin / MozartSora Elisabeth Lee / Lorenzo Soulès

8 novembre 12 h 30

Théâtre des Champs-ÉlyséesBeethoven, Schumann : destins et tempêtesConstantin Trinks / Carolin Widmann

28 novembre 20 h

Théâtre du ChâteletDéjeuner-concert Mozart / SayDouglas Boyd

22 novembre 12 h 30

#OCP1920orchestredechambredeparis.com

Retrouvez tous les programmes des concerts sur orchestredechambredeparis.comRenseignements et réservations : 09 70 80 80 70 du lundi au vendredi de 11 h à 13 h et de 14 h à 18 h.

LE PARC À L’OPÉRA NATIONAL DE PARIS - PALAIS GARNIER Du 6 au 31 décembre, Le Parc sera présenté à l’Opéra Garnier, dans la chorégraphie d’Angelin Preljocaj interprétée par Les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet de l’Opéra national de Paris. La musique de Mozart sera, quant à elle, jouée par l’Orchestre de chambre de Paris.

Théâtre des Champs-ÉlyséesJeunesse et romantismeLars Vogt

26 septembre 20 h

Théâtre des Champs-ÉlyséesDon GiovanniDouglas Boyd / Deborah Cohen / Chœur de l’Opéra de Garsington

19 septembre 19 h 30