le droit d’appel de la victime en matière...
TRANSCRIPT
N°7
Édité par l’Institut pour la Justice Association loi 1901
Contacts : 01 70 38 24 07 [email protected]
L’Institut pour la Justice est une association de citoyens préoccupés par les dérives de la justice pénale, qui répercute et canalise les inquiétudes de chacun et propose des réformes pragmatiques. L’association s’appuie sur un réseau d’experts du champ pénal pour promouvoir une Justice plus lisible pour le
citoyen, plus efficace contre la criminalité et plus équitable vis-à-vis des victimes.
Le droit d’appel de la victime en matière pénale
Conclusions du groupe de réflexion institué par l’Institut pour la Justice (IPJ)
Rapporteur : Xavier Bébin, criminologue, délégué général de l’IPJ
Résumé En l’état actuel du droit, la victime n’a pas la possibilité de faire appel – au pénal – d’une décision de justice. Seuls le mis en cause et le ministère public disposent de ce droit. Pour explorer l’ensemble des implications théoriques et pratiques de la question, l’Institut pour la Justice a décidé de créer un groupe de réflexion pluridisciplinaire, composé d’un magistrat (Béatrice de Saint Maur), d’un avocat (Stéphane Maitre), d’un professeur de droit (Jean-Yves Chevallier), d’un criminologue (Xavier Bébin), d’un président d’association de victimes (Jean-Pierre Escarfail) et d’un haut-fonctionnaire, magistrat administratif (Christophe Eoche-Duval).
Si la majorité des membres du groupe ont admis qu’il serait légitime et cohérent de donner à la victime le droit de faire appel des décisions pénales – y compris lorsque la peine prononcée lui paraît inadéquate – ils n’en ont pas moins reconnu qu’une telle évolution constituerait un bouleversement de la conception « classique » du procès pénal.
A l’unanimité, en revanche, le groupe de réflexion a jugé indispensable de donner la possibilité à la victime de faire appel d’une décision de relaxe ou d’acquittement. Conforme à notre tradition juridique, un tel droit permettrait de remédier à un véritable dysfonctionnement pour la victime.
N°10 © Ju in 2010
Études & Analyses
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS 3 PREMIERE PARTIE : LE DROIT D’APPEL « INTÉGRAL » DE LA VICTIME (SUR LA CULPABILITÉ ET SUR LA PEINE) : UN DROIT QUI NE MANQUE PAS DE COHÉRENCE NI DE LÉGITIMITÉ 4
1. La sanction pénale doit-elle prendre en compte les intérêts de la victime ? 4
2. La place de la victime dans le procès pénal : justice publique versus justice privée ? 6
3. L’égalité des droits entre toutes les parties : une atteinte à la présomption d’innocence ? 7
4. Peut-on ne pas placer la victime sur un pied d’égalité avec le mis en cause ? 8
DEUXIEME PARTIE : LE DROIT D’APPEL « INTÉGRAL » DE LA VICTIME CONSTITUERAIT TOUTEFOIS UN BOULEVERSEMENT AUQUEL LE MONDE JUDICAIRE NE SEMBLE PAS PRÊT 10
1. Quel impact procédural ? 10
2. Quel impact quantitatif ? 10
TROISIEME PARTIE : LE DROIT D’APPEL DE LA VICTIME EN CAS DE RELAXE OU D’ACQUITTEMENT EST EN REVANCHE INDISPENSABLE ET CONFORME À NOTRE SYSTÈME JURIDIQUE 12
1. Une mise en cohérence de notre droit 12
2. Une réponse à un véritable dysfonctionnement pour la victime 14
3. Quelles modalités ? 15
4. Quelles incidences quantitatives ? 17
ANNEXE : LE TÉMOIGNAGE DE MICHÈLE BIDART 19
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 3
Études & Analyses
AVANT-PROPOS
En l’état actuel du droit, une victime qui jugerait inadéquate la décision pénale rendue par le tribunal correctionnel ou la cour d’assises ne peut pas faire appel de celle-ci pour demander que l’affaire soit rejugée au pénal. Ce droit d’appel est limité au mis en cause d’une part et au ministère public de l’autre, que ce soit en matière correctionnelle ou, depuis 2000, en matière criminelle (le droit d’appel du parquet devant les cours d’assises n’ayant toutefois été ouvert qu’en 2002).
La victime peut uniquement, si elle s’est constituée partie civile, faire appel de la décision portant sur les dommages et intérêts, c'est-à-dire « sur ses intérêts civils seulement » (art 497 CPP en matière correctionnelle, art 380-2 en matière criminelle).
Lors de son audition devant le Comité Léger le 22 janvier 2009, l’Institut pour la Justice avait plaidé pour l’extension du droit d’appel de la victime aux dispositions pénales du procès. Cette position s’est toutefois heurtée à une vive résistance de la chancellerie comme de bon nombre de magistrats et d’avocats.
Pour explorer l’ensemble des implications théoriques et pratiques de la question, et dans l’objectif de parvenir à une proposition de réforme acceptable par le plus grand nombre, l’Institut pour la Justice a décidé de créer un groupe de réflexion pluridisciplinaire.
Le groupe de réflexion s’est posé la question suivante : faut-il donner la possibilité à la victime d’interjeter appel des dispositions pénales du procès ? Si oui, faut-il restreindre ce droit d’appel aux décisions de relaxe ou d’acquittement, ou faut-il donner à la victime la possibilité de faire également appel d’une peine prononcée qui lui semblerait inadaptée ?
En l’état actuel du
droit, une victime qui
jugerait inadéquate
la décision pénale
rendue par le
tribunal
correctionnel ou la
cour d’assises ne
peut pas faire appel
de celle-ci.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 4
Études & Analyses
PREMIERE PARTIE : LE DROIT D’APPEL « INTEGRAL » DE LA VICTIME (SUR LA CULPABILITE ET SUR LA PEINE) : UN DROIT QUI NE MANQUE PAS DE COHERENCE NI DE LEGITIMITE
Après débat, une majorité du groupe de réflexion a reconnu qu’une telle extension des droits de la victime ne manquerait ni de cohérence, ni de légitimité, même si elle remet en cause la conception « classique » du procès pénal.
1. La sanction pénale doit-elle prendre en compte les intérêts de la victime ?
La première objection de ceux qui s’opposent au droit d’appel de la victime est la suivante : la victime n’a pas à se prononcer sur la nature ou sur le quantum de la peine prononcée, parce que la peine a pour fonction de restaurer l’ordre social, au-delà des intérêts particuliers.
Dans l’esprit de ceux qui défendent cette thèse, la sanction pénale aurait donc uniquement pour fonction de :
- Maintenir la cohésion de la société, en prévenant les troubles à l’ordre public et les actes de vengeance individuels
- Prévenir les actes criminels et délictuels dans le futur, par la dissuasion de toute personne susceptible de commettre la même infraction, la neutralisation du condamné et sa réinsertion éventuelle dans la société.
Toutefois, le groupe de réflexion a jugé à l’unanimité que ces deux fonctions, pour fondamentales qu’elles soient, ne sont pas exclusives d’une troisième fonction :
- Favoriser la reconstruction de la victime en répondant à son besoin de justice
Le besoin de justice de la victime ne doit pas être confondu avec une simple volonté de se venger. Fortement ancré dans la psyché humaine, il correspond au sentiment qu’un crime ne doit pas rester impuni et que le coupable doit être condamné à une peine proportionnée à la gravité de son acte. Ce sentiment est bien sûr particulièrement présent chez les victimes, qui peuvent difficilement espérer surmonter le drame qu’elles ont vécu si elles n’ont pas le sentiment que « justice a été faite ». C’est pourquoi la « réparation » de la victime ne peut pas se limiter à une indemnisation matérielle de son préjudice.
Prendre en compte cette fonction de la peine, ce n’est en aucun cas ignorer les deux premières. Il va de soi que l’intérêt de la victime ne doit pas prendre le pas sur l’intérêt de la société dans son
Le besoin de justice
de la victime ne doit
pas être confondu
avec une simple
volonté de se
venger.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 5
Études & Analyses
ensemble, comme le montre l’exemple suivant, donné par Beccaria :
« Quelquefois on dispense de la peine l’auteur d’un petit délit quand la victime lui pardonne : acte conforme à la bonté et à l’humanité mais contraire au bien public car un particulier ne peut pas supprimer par son pardon la nécessité de l’exemple de la même manière qu’il peut renoncer à la réparation du dommage qu’on lui a causé. Le droit de punir n’appartient pas à un seul mais à tous les citoyens ou au souverain. Un citoyen peut renoncer à sa portion de droit mais non pas annuler celle des autres »1 .
Utile à la société dans son ensemble, la peine ne saurait se fonder uniquement sur l’appréciation de la victime. Mais à l’inverse, cette appréciation ne saurait être tenue pour quantité négligeable. La victime a subi un dommage, parfois dramatique, et le système judiciaire serait aveugle et déséquilibré si, attentif aux seuls intérêts de la société dans son ensemble, il s’interdisait de s’intéresser de manière privilégiée à ceux qui ont été le plus touchés par le drame.
Comme l’indique Beccaria à juste titre, un pardon éventuel de la victime ne doit pas épuiser les autres fonctions de la peine (paix sociale et protection de la société). Mais comment ne pas tenir compte également du sentiment de la victime ? Un exemple d’actualité récent montre bien que l’intérêt de la victime ne peut pas être exclu dans l’appréciation de la peine la plus adaptée :
Jean-Claude Godrie a tiré sur sa femme, la rendant aveugle. Jugé pour tentative d’assassinat, il n’a été condamné qu’à 5 ans de prison avec sursis, parce que sa femme a supplié à l’audience « qu’on lui laisse son mari »2 .
Dans cet exemple, il eut été impensable de ne pas condamner l’homme, malgré la demande d’acquittement de la partie civile. Mais la peine de prison avec sursis montre qu’au-delà de la défense de l’ordre social, les jurés ont tenu compte de l’intérêt de la victime pour ne pas la victimiser une deuxième fois : l’intérêt de la société dans cette affaire ne requerrait pas qu’elle perde, en plus de la vue, le mari qu’elle aime et qui pourra l’aider à surmonter son handicap.
De même, une victime qui demande justice doit être entendue par ceux qui décideront de la peine adaptée. Ces derniers doivent avoir à l’esprit que, s’ils décident, pour des raisons tenant à l’intérêt de la société, d’infliger une sanction très en deçà de ce que la victime juge proportionné, la personne qui a souffert le plus de l’infraction considérée souffrira de surcroît d’un sentiment d’injustice.
Ce sentiment-là peut être pris en compte sans pour autant
prendre le pas sur l’intérêt de la société. Dans l’exemple de la femme rendue aveugle par son mari, l’emprisonnement ferme
1 Beccaria, Cesare, Des délits et des peines, Genève, Droz, 1965.
2 Le Parisien, « Libre, il quitte le tribunal avec sa femme infirme » Geoffroy Tomasovitch, 01.12.2004.
Utile à la société
dans son ensemble,
la peine ne saurait
se fonder
uniquement sur
l’appréciation de la
victime. Mais à
l’inverse, cette
appréciation ne
saurait être tenue
pour quantité
négligeable.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 6
Études & Analyses
aurait été indispensable si la remise en liberté de l’homme avait fait courir un risque à la société.
Pour les raisons exposées ci-dessus, la rédaction de l’article
132-24 du Code pénal paraît particulièrement adaptée :
« La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions »3.
Si l’intérêt de la victime doit être pris en compte dans le prononcé de la peine, il paraît difficile de l’exclure du procès pénal, et en particulier du droit d’appel sur la peine au motif que celle-ci « ne la concerne pas ».
2. La place de la victime dans le procès pénal : justice publique versus justice privée ?
La deuxième grande objection au droit d’appel des victimes – et plus largement à leur présence au sein du procès pénal – est généralement formulée de la sorte : la victime représenterait le vestige d’une « justice privée » qui n’a plus lieu d’être dans notre système de « justice publique » qui confère à l’Etat, via le ministère public, la mission de poursuivre les suspects et de requérir une peine.
Cette objection est indépendante de la précédente. On peut – en théorie – admettre que le système pénal doit prendre en compte le besoin de justice des victimes, tout en prétendant que cette fonction sera aussi bien – voire mieux – satisfaite si elle ne dispose pas de droit particulier dans la procédure pénale. Le ministère public serait censé prendre en compte, dans ses réquisitions comme dans sa décision d’interjeter ou non appel, l’intérêt de la société dans son ensemble, mais aussi l’intérêt de la victime.
Les partisans de cette thèse paraissent toutefois négliger deux contre-arguments : qui, mieux que la victime peut énoncer et défendre son propre intérêt ? Et qu’est-ce qui garantit que son intérêt sera bien pris en compte par une autorité dont le rôle structurel est de défendre l’intérêt du corps social dans son ensemble ?
Pour certains membres du groupe de réflexion, il serait même plus cohérent de cantonner le ministère public à la défense des intérêts de la société, et de donner la possibilité à la victime de défendre les siens. Si le jugement doit réaliser la synthèse des différentes fonctions de la peine, la justice sera mieux rendue si elle
3 Cet article fait d’ailleurs écho à l’article 304 du Code de procédure pénale : « Le président
adresse aux jurés, debout et découverts, le discours suivant : "Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ».
Si l’intérêt de la
victime doit être pris
en compte dans le
prononcé de la
peine, il paraît
difficile de l’exclure
du procès pénal, et
en particulier du
droit d’appel sur la
peine au motif que
celle-ci « ne la
concerne pas ».
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 7
Études & Analyses
est informée des intérêts de la victime par la victime elle-même, et de ceux de la société par la partie qui la représente le mieux.
Dès lors, il peut paraître plus cohérent de distinguer trois parties au procès, dont les droits seraient égaux, et qui auront vocation à faire valoir, devant un juge indépendant, les intérêts suivants :
- Le mis en cause défend son intérêt – qui est de ne pas être condamné ou de recevoir la condamnation la plus faible possible,
- Le ministère public défend l’intérêt de la société en cherchant à faire condamner les coupables de manière appropriée, dans le double but d’assurer la cohésion et la protection de la société,
- La victime défend son intérêt – qui est de voir la justice rendue.
Dans cette optique, il est difficile de contester le droit de la victime de faire appel d’une sanction qu’elle juge inadéquate au motif que son jugement serait « faussé » par la douleur et l’émotion. Car il n’est pas question de lui demander de requérir ou de proposer une peine conforme à « l’intérêt général » ; il s’agit simplement de lui ouvrir la possibilité de faire contrôler, par un autre juge, la proportionnalité de la peine prononcée en première instance. Ce droit paraît d’autant plus légitime que la partie civile a, directement ou indirectement, subi l’atteinte sanctionnée par le tribunal et qu’il lui sera difficile de se reconstruire si elle a le sentiment que la peine prononcée est manifestement inadaptée à la gravité des faits.
Le parallèle avec la position du mis en cause est à cet égard éclairant. Il ne lui est pas demandé de requérir ni de se prononcer sur une peine conforme à l’intérêt général. Cela ne l’empêche pas, pour défendre ses intérêts, de pouvoir demander en appel que soit réexaminée la proportionnalité de la peine prononcée en première instance. Pourquoi en irait-il différemment pour la victime ? Pourquoi ne pourrait-elle pas faire valoir un droit pourtant reconnu à celui qui est accusé de l’avoir agressé ?
La différence tient-elle à ce que le mis en cause risque de
subir une peine, alors que la victime ne risquerait rien ? Mais un acquittement injustifié ou une peine qui lui paraît dérisoire constitue bien une peine pour la victime, une double peine si l’on tient compte du préjudice qu’elle a déjà subi en tant que victime.
3. L’égalité des droits entre toutes les parties : une atteinte à la présomption d’innocence ?
En réalité, le principal argument de ceux qui récusent l’idée d’une égalité supposée entre la situation du mis en cause et celle de la victime est fondé sur le principe de la présomption d’innocence. La présomption d’innocence repose sur la conviction – partagée par la totalité des membres du groupe de réflexion – qu’il est préférable de laisser s’échapper un coupable plutôt que de punir un innocent.
Car il n’est pas
question de lui
demander de
requérir ou de
proposer une peine
conforme à « l’intérêt
général » ; il s’agit
simplement de lui
ouvrir la possibilité
de faire contrôler,
par un autre juge, la
proportionnalité de
la peine prononcée
en première
instance.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 8
Études & Analyses
Il convient toutefois d’examiner quels éléments de notre système judiciaire sont nécessaires et suffisants pour en assurer le respect. Ils semblent être au nombre de deux : la procédure, d’une part, qui doit protéger les droits de la défense, et les principes juridiques d’autre part, selon lesquels les magistrats et les jurés doivent acquitter / relaxer le mis en cause en cas de doute sur sa culpabilité.
Il est ainsi difficile de voir ce qui, dans l’intervention de la partie civile au stade de l’enquête et du jugement, pourrait remettre en cause les droits de la défense. Les parties civiles se contentent d’apporter leur concours à la manifestation de la vérité.
Pour certains, toutefois, les droits reconnus aux victimes, comme troisième « partie » au procès, pourraient contrevenir au principe de l’égalité des armes entre l’accusation et la défense. En réalité, il ne semble pas pouvoir exister de déséquilibre au détriment du mis en cause pour une raison simple : le mis en cause a vocation à assurer sa défense, coûte que coûte, y compris s’il est coupable, tandis que le ministère public et la victime sont d’abord intéressés par la manifestation de la vérité. Pour assurer sa défense, un mis en cause qui se sait coupable pourra tout mettre en œuvre pour « démontrer » son innocence, tandis que l’inverse n’est pas vrai, car le ministère public comme la partie civile n’ont aucun intérêt à voir condamner un innocent.
N’oublions pas que le principe de l’égalité des armes entre les parties n’interdit pas de reconnaître au mis en cause des droits spécifiques (se faire désigner d’office un avocat, prendre la parole en dernier, etc.). L’égalité des armes implique a minima que toutes les parties aient accès au dossier, qu’elles puissent défendre leur point de vue et jouissent des mêmes droits d’accès et de recours.
Pour toutes ces raisons, ni la présomption d’innocence, ni les
droits de la défense ne semblent s’opposer à ce que la partie civile puisse être reconnue comme une partie à part entière, avec les mêmes droits que le mis en cause et que le ministère public.
4. Peut-on ne pas placer la victime sur un pied d’égalité avec le mis en cause ?
Non seulement l’égalité totale des droits entre toutes les parties ne contrevient pas aux principes cardinaux de notre droit, mais il apparaît qu’elle présente un avantage considérable pour la victime comme pour la Justice.
Le droit de s’exprimer et d’intervenir dans la procédure participe de la reconstruction de la victime, comme l’explique le juriste et victimologue Robert Cario : « Le droit offert à la victime de pouvoir prendre la parole au cours de l’instruction, de demander des actes, d’exposer les répercussions du crime et ses
Ni la présomption
d’innocence, ni les
droits de la défense
ne semblent
s’opposer à ce que
la partie civile puisse
être reconnue
comme une partie à
part entière .
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 9
Études & Analyses
conséquences sur sa vie personnelle, familiale, professionnelle et/ou sociale est fortement réparateur »4.
Surtout, il semble indispensable de placer la victime sur un pied d’égalité avec le mis en cause. Selon Antoine Garapon, secrétaire général de l'Institut des Hautes Etudes sur la Justice, « Si un crime est toujours in fine, le signe d’un mépris de la victime, ce qui est attendu de la justice est la négation de cette humiliation, c'est-à-dire la manifestation d’une reconnaissance »5.
Le procès, selon Garapon, permet d’inverser le rapport de domination entre le mis en cause et la victime : celui qui a été méprisé est en mesure d’accuser, celui qui a abusé doit se justifier.
Or, le fait de conférer au mis en cause des droits que la
victime ne possède pas – comme celui de faire appel – va précisément à l’encontre de cet impératif psychologique d’égalité. La victime peut se sentir victimisée une seconde fois si, accueillie comme partie au processus judiciaire, elle ne se voit pas accorder les mêmes droits qu’à son agresseur.
De manière générale, les droits de la partie civile sont un facteur d’apaisement et de sérénité pour la Justice. Comme l’indique Robert Cario, la « vindicte » des victimes s’exprime surtout lorsqu’elles ont le sentiment que leurs droits ne sont pas respectés :
« A prendre le temps d’y regarder de plus près, l’immense majorité des victimes d’infractions pénales peine à voir reconnaître ses droits, tant aux plans judiciaire, que psychologique et social. C’est sans doute par là que se construit la victimisation secondaire, authentique maltraitance judiciaire et sociale des victimes et/ou de leurs proches, cause principale des velléités vindicatives les plus débordantes »6.
Facteur d’apaisement, l’admission de la victime comme partie au procès est également un vecteur de qualité de la Justice rendue. En effet, par son argumentation contradictoire et sa réactivité, la partie civile peut jouer un rôle de garde-fou utile contre des risques de dysfonctionnement, à tous les stades de la procédure, devant le juge des libertés et de la détention comme devant le juge d’application des peines.
Ces éléments plaident pour une égalité des droits entre les parties à partir du moment où la victime a été admise à se constituer partie civile.
4 Extraits de R. CARIO, Victimologie. De l’effraction du lien intersubjectif à la restauration sociale,
Ed. L’Harmattan, Coll. Traité de sciences criminelles, Vol. 2-1, 3è éd. 2006, p. 42
5 Voir GARAPON, Antoine, « La justice reconstructive », in A. Garapon, F. Gros et T. Pech, Et ce sera
justice : punir en démocratie, Paris : Odile Jacob, 2001, p. 283.
6 Extraits de R. CARIO, Victimologie. De l’effraction du lien intersubjectif à la restauration sociale, Ed. L’Harmattan, Coll. Traité de sciences criminelles, Vol. 2-1, 3è éd. 2006, p. 35.
La victime peut se
sentir victimisée une
seconde fois si,
accueillie comme
partie au processus
judiciaire, elle ne se
voit pas accorder les
mêmes droits qu’à
son agresseur.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 10
Études & Analyses
DEUXIEME PARTIE : LE DROIT D’APPEL « INTEGRAL » DE LA VICTIME CONSTITUERAIT TOUTEFOIS UN BOULEVERSEMENT AUQUEL LE MONDE JUDICAIRE NE SEMBLE PAS PRET
Même si certains membres du groupe de travail estiment que le droit d’appel de la victime ne serait que la mise en cohérence d’un système qui doit mettre toutes les parties sur un pied d’égalité, il n’en reste pas moins qu’une telle évolution est jugée avec hostilité par une majorité des acteurs du monde judiciaire.
Si cette hostilité manifeste en partie l’adhésion à un modèle philosophique et procédural dépassé (dans lequel la victime n’a pas la moindre place dans le procès pénal), elle se nourrit également des difficultés pratiques qui pourraient découler de l’évolution proposée.
1. Quel impact procédural ?
Si la procédure pénale octroie à la partie civile le droit de faire appel des dispositions pénales du procès, l’équilibre du procès pénal en sera légèrement modifié, puisque la victime aura la faculté de se prononcer sur la peine qu’elle juge adaptée à l’infraction.
En outre, en cas d’appel de la partie civile, il serait également
nécessaire de définir les mécanismes juridiques adaptés : quel rôle tiendrait le Parquet dans un second procès qu’il n’a pas sollicité ?
2. Quel impact quantitatif ?
L’impact quantitatif, souvent avancé par la Chancellerie contre le droit d’appel des victimes, est surestimé. Selon les adversaires d’une telle évolution, la plupart des victimes seraient amenées à exercer ce droit, ce qui conduirait à une multiplication du nombre de procès en appel et à un engorgement des juridictions.
Cette appréciation paraît toutefois fondée sur une vision
caricaturale de la victime : celle-ci ferait presque toujours appel parce qu’elle souhaiterait toujours des peines plus lourdes. Mais contrairement à ce qui est parfois avancé, il arrive fréquemment que la victime ne souhaite pas que la peine prononcée soit modifiée. D’après une étude du ministère de la Justice7, une victime sur deux en moyenne estime que justice a été rendue. Et même dans le cas des victimes ayant subi une atteinte corporelle volontaire qu’elles considèrent comme « très grave », la proportion de victimes satisfaites du jugement atteint 38 %. 7 Zakia Belmokhtar, « Les victimes face à la justice : le sentiment de satisfaction sur la réponse
judiciaire », InfoStat Justice, 98, Décembre 2007
Cette appréciation
paraît toutefois
fondée sur une vision
caricaturale de la
victime : celle-ci
ferait presque
toujours appel parce
qu’elle souhaiterait
toujours des peines
plus lourdes.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 11
Études & Analyses
En outre, lorsqu’elle jugera la sanction inadéquate, la victime ne fera certainement pas appel de façon systématique, pour les mêmes raisons que celles qui dissuadent les condamnés de faire appel de façon abusive. Car il existe une part d’aléatoire dans les jugements, et le condamné sait que la Cour d’Appel peut décider d’alourdir la peine qu’il devra purger. De la même manière, les victimes, conseillées par leur avocat, prendront garde à ne pas faire appel de façon inconsidérée, de peur que l’auteur du crime n’en bénéficie.
Si l’on exclut les cas où le parquet fait déjà appel, ceux où la
victime est satisfaite du jugement et ceux où la victime n’a pas intérêt à faire appel, on s’aperçoit que le nombre d’affaires supplémentaires jugées en cour d’appel ne serait pas aussi considérable qu’on le présente parfois. Toutefois, certains estiment que, en l’état actuel des moyens dont dispose la Justice, une augmentation modérée du nombre d’affaires jugées en appel serait déjà inopportune.
Au final, il apparaît que les obstacles pratiques ne sont pas
insurmontables. Les conséquences de la suppression du juge d’instruction, pour prendre l’exemple d’un véritable bouleversement procédural, seraient beaucoup plus importantes.
Il n’en reste pas moins qu’une réforme de cette ampleur ne
peut pas être menée sans faire l’objet d’un minimum d’adhésion par les acteurs du système judiciaire. Le droit d’appel sur la peine ne sera donc possible que lorsque les esprits auront évolué sur le sujet.
On s’aperçoit que le
nombre d’affaires
supplémentaires
jugées en cour
d’appel ne serait pas
aussi considérable
qu’on le présente
parfois.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 12
Études & Analyses
TROISIEME PARTIE : LE DROIT D’APPEL DE LA VICTIME EN CAS DE RELAXE OU D’ACQUITTEMENT EST EN REVANCHE INDISPENSABLE ET CONFORME A NOTRE SYSTEME JURIDIQUE
Le groupe de réflexion, à l’unanimité, a jugé nécessaire de
donner à la victime la possibilité de faire appel d’une décision d’acquittement ou de relaxe. 1. Une mise en cohérence de notre droit
Contrairement à une idée reçue, la légitimité de la victime à agir devant la juridiction répressive ne se limite pas à la demande d’une réparation du préjudice subi. Comme l’explique Mme Frédérique Agostini, conseiller référendaire à la Cour de cassation, l’objet de l’action de la partie civile est également de « corroborer l’action publique » et « d’obtenir l’établissement de la culpabilité du prévenu » :
« La Cour de cassation admet depuis très longtemps que demander la réparation de son préjudice n'est pour la partie civile qu'une simple faculté dont elle est libre de ne pas user. Sa constitution peut n'être motivée que par le seul souci de corroborer l'action publique et d'obtenir l'établissement de la culpabilité du prévenu, indépendamment de toute réparation du dommage (Crim. 19 oct. 1982, Bull. n° 222 ; 10 févr. 1987, Bull. n° 64).
Le législateur a d'ailleurs, dans certains cas, limité le droit de la partie lésée de se constituer partie civile au seul but d'établir la culpabilité de l'auteur d'un crime ou d'un délit dont elle serait victime. Il en est ainsi en application de l'article L. 622-9 du Code de commerce (Crim. 21 mars 2000, Bull. n° 123)8. »
C’est la raison pour laquelle notre système pénal donne à la
victime la possibilité de mettre en mouvement l’action publique. Le dépôt de plainte avec constitution de partie civile permet ainsi à la victime de surmonter un éventuel refus du Parquet de poursuivre.
8 Frédérique Agostini, « Les droits de la partie civile dans le procès pénal », in Rapport de la Cour
de Cassation 2000, La protection de la personne, La documentation française : 2001. Elément complémentaire du rapport : « Le droit de la partie civile de porter son action devant les juridictions répressives est reconnu alors même que la réparation de son dommage échappe à la compétence de celles-ci pour ressortir, par exemple, à celles des juridictions sociales en cas
d'accidents du travail (Crim. 10 mars 1993, Bull. n° 105), ou à celles des juridictions administratives en cas d'infraction commise par un fonctionnaire dont la faute n'est pas détachable du service (Crim. 15 févr. 2000, Bull. n° 70). »
Contrairement à une
idée reçue, la
légitimité de la
victime à agir
devant la juridiction
répressive ne se
limite pas à la
demande d’une
réparation du
préjudice subi.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 13
Études & Analyses
Une fois constituée partie civile, la victime a également la possibilité de faire appel d’une ordonnance de non-lieu qui mettrait fin à l’action publique :
« La partie civile peut interjeter appel des ordonnances de non-informer, de non-lieu et des ordonnances faisant grief à ses intérêts civils » (art. 186 CPP).
Le droit pour la partie civile de faire appel d’une décision de
relaxe ou d’acquittement ne serait donc que la continuité logique des droits qui lui sont octroyés dans la phase pré-sententielle.
Non seulement le droit actuel la prive en pratique de son droit
à réparation en cas d’acquittement ou de relaxe, mais il est manifestement contradictoire avec le principe qui lui est reconnu de participer à « l’établissement de la culpabilité du prévenu ».
Sur le strict plan de la réparation, on objectera peut-être que
la partie civile peut, en théorie, faire valoir ses droits même si le juge acquitte ou relaxe le mis en cause en première instance. Comme l’a indiqué la Cour de Cassation dans une décision rendue en 1999 :
« Si les juges du second degré, saisis sur le seul appel de la partie civile, ne peuvent prononcer aucune peine contre le prévenu définitivement relaxé (...), ils n'en sont pas moins tenus, au regard de l'action civile, de rechercher si les faits qui leur sont déférés constituent une infraction pénale et de prononcer en conséquence sur la demande de réparation de la partie civile »9.
Toutefois, ce droit est à la fois inopérant en pratique et peu
cohérent en théorie. Il est inopérant, en premier lieu, parce qu’il est peu pratiqué
par les intervenants du monde judiciaire. A titre d’anecdote, on peut rappeler que la décision du président de la République de ne pas faire appel de la décision de relaxe de Dominique de Villepin a suscité l’ironie de journalistes mais aussi d’avocats persuadés qu’il n’en avait de toute façon pas le droit10.
Et même dans le cas où la partie civile serait informée de sa
possibilité de faire appel, on peut imaginer qu’elle sera sceptique quant à l’intérêt d’un tel recours, vidé de son enjeu premier, l’enjeu pénal. De plus, quelles chances de succès peut avoir un recours civil à l’encontre d’une personne acquittée ou relaxée en première instance ? Cette hypocrisie a bien été mise en évidence par la Cour
9 Crim. 27 mai 1999, Bull. n° 109. Voir aussi, en matière criminelle, l’article 372 du Code de
procédure pénale, introduit à une époque (en 1983) où il était impossible d’interjeter appel d’une décision d’assises et qui permet à la Cour d’assises statuant en première instance de prononcer des dommages et intérêts en faveur de la partie civile alors même qu’elle a décidé d’acquitter le mis en cause.
10 Voir l’article de Libération : « Clearstream: la nouvelle gaffe de Sarkozy », 28/01/2010. L’avocat Gilles Devers, sur son blog, a écrit un billet intitulé « Sarkozy renonce à un appel… qui était irrecevable et impossible ».
Le droit pour la
partie civile de faire
appel d’une
décision de relaxe
ou d’acquittement
ne serait donc que
la continuité logique
des droits qui lui sont
octroyés dans la
phase pré-
sententielle.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 14
Études & Analyses
européenne des Droits de l’Homme à propos d’une affaire comparable :
« La Cour rappelle que la procédure s'étant terminée par un non-lieu, une action fondée sur la responsabilité des policiers était vouée à l'échec et n'était qu'un recours illusoire dans la mesure où le requérant, qui n'avait pu démontrer le bien-fondé de ses allégations devant les juridictions pénales, n'avait aucune chance de le faire devant les juridictions civiles »11
Et même dans le cas où le juge du second degré
déterminerait que le mis en cause est bien l’auteur de l’infraction – et qu’il doit à ce titre réparation à la victime –, comment comprendre qu’il reste juridiquement innocent aux yeux de la société ? Est-il vraiment désirable de pouvoir considérer l’auteur d’une infraction pénale comme responsable mais non coupable ?
Par conséquent, la possibilité pour la partie civile de faire
appel au pénal d’une décision d’acquittement ou de relaxe est conforme à nos principes juridiques, tant pour garantir à la victime un droit effectif à réparation que par souci de cohérence vis-à-vis de l’un des objets de l’action de la partie civile (« obtenir l’établissement de la culpabilité du prévenu »).
2. Une réponse à un véritable dysfonctionnement pour la victime
Au-delà d’une nécessaire mise en cohérence des droits de la partie civile, il convient de prendre en compte l’impact psychologique du système actuel sur la victime.
Il apparaît en effet que le refus qui lui est fait d’interjeter appel
d’une décision de relaxe ou d’acquittement représente souvent un véritable traumatisme pour la victime. Tout au long de la procédure pénale, la victime s’est vu accorder un certain nombre de droits, et notamment celui de mettre en mouvement l’action publique. Mais lorsque le même ministère public qui a requis une peine à l’audience refuse de faire appel de la décision d’acquittement, la victime ne peut que se sentir profondément abandonnée, et confrontée à une incohérence, voire un dysfonctionnement du système judiciaire. Comment comprendre qu’un avocat général, convaincu de la culpabilité d’un accusé et de la gravité des faits au point de requérir une peine de 15 ans de réclusion criminelle à l’issue des débats, ne fasse pas appel de la décision d’acquittement (voir le cas décrit en annexe) ?
Pour la victime, une décision d’acquittement représente
beaucoup plus qu’une absence de réparation de son préjudice. L’acquittement ou la relaxe signifie qu’elle n’est pas reconnue comme victime par la Justice – qu’elle pourrait même être une menteuse. Comme l’a bien exprimé le magistrat Philippe Bilger,
11 Arrêt Maini c. France du 26 octobre 1999 rendu à l'unanimité, § 30.
Au-delà d’une
nécessaire mise en
cohérence des
droits de la partie
civile, il convient de
prendre en compte
l’impact
psychologique du
système actuel sur la
victime.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 15
Études & Analyses
cette situation est particulièrement dramatique dans le cas des crimes sexuels :
« Il est une criminalité pour laquelle la justice n'est pas une thérapie mais en fait partie : la criminalité sexuelle, les viols. Cette étrange transgression où la victime se sent, se croit coupable jusqu'à ce que son agresseur soit condamné. (…) Pour la criminalité sexuelle, le procès pénal représente un élément capital, une étape décisive dans la restauration de l'image de la victime à ses propres yeux. Quand elle quittera l'audience, elle aura enfin compris, dans sa sensibilité, que c'est l’autre qui a failli et qu'elle est innocente »12.
On peut parfaitement admettre que le ministère public
apprécie l’opportunité de faire appel au regard de critères subjectifs (estimation d’une faible probabilité de condamnation en appel) ou de critères quantitatifs (souci de ne pas engorger les cours d’appel). Mais il est difficile d’accepter que la victime ne puisse pas surmonter cette forme « d’inertie » en ayant le droit de demander la tenue d’un nouveau procès pénal.
Le traumatisme que peut représenter un acquittement ou une
relaxe pour la victime convaincue de la culpabilité est tel que la décision d’appel ne peut être laissée à la seule appréciation du ministère public. Les droits dont a bénéficié la partie civile tout au long de la procédure n’ont plus aucun sens pour elle si le droit d’appel lui est refusé, au moment le plus critique.
3. Quelles modalités ?
Acquis au principe d’un droit d’appel en cas de relaxe ou d’acquittement, le groupe de réflexion a commencé à en étudier les modalités pratiques.
Il a tout d’abord été envisagé de contraindre le ministère
public à motiver une décision de ne pas faire appel, et de permettre à la victime de le contraindre à le faire si elle n’est pas convaincue par ses arguments. Malgré les vertus pédagogiques d’un tel système, il présenterait l’inconvénient de rendre plus difficile le rôle de l’accusation lors de l’audience d’appel.
Il a ensuite été envisagé de donner à la victime la possibilité
de faire appel, appel qui entraînerait automatiquement l’appel du parquet, de la même façon que l’appel principal du prévenu ou de l’accusé déclenche automatiquement en pratique un appel incident du parquet. Ce mécanisme aurait pu trouver sa justification dans l’idée d’un devoir de cohérence du parquet, que la partie civile choisirait ou non de faire valoir ; par le raisonnement suivant : le parquet avait requis une culpabilité et une peine, il n’a pas été suivi, l’accusé ayant été acquitté ; il aurait donc été cohérent que
12 Voir l’entretien accordé par Philippe Bilger à l’Institut pour la Justice, disponible sur le site
www.publications-justice.fr
Les droits dont a
bénéficié la partie
civile tout au long de
la procédure n’ont
plus aucun sens pour
elle si le droit
d’appel lui est
refusé, au moment le
plus critique.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 16
Études & Analyses
le parquet fasse appel ; l’autonomie du parquet l’autorise à ne pas prendre une telle initiative ; si la partie civile se satisfait de cette situation, rien ne justifie qu’on l’y contraigne. A l’inverse, si la victime pâtit de cette incohérence, il est légitime qu’on lui ouvre la faculté d’y mettre fin, en déclenchant par son propre appel, un appel du parquet. Lors de l’audience d’appel, le ministère public aurait bien entendu une liberté totale à l’audience.
Sensible aux critiques adressées à un dispositif qui pourrait
porter atteinte à l’autonomie de Parquet, qui se verrait en quelque sorte dicter sa conduite par la partie civile, le groupe de travail a finalement retenu une modalité beaucoup plus simple : il s’agirait de transposer, au stade de l’appel des décisions de jugement, le dispositif existant actuellement au stade de l’appel des décisions des juridictions d’instruction.
Lorsqu’un juge d’instruction rend une ordonnance de non lieu,
que le parquet ne fait pas appel, et que seule la partie civile décide de faire appel, son appel n’est en rien limité aux seuls intérêts civil (art 186 du CPP). Il entraine un nouvel examen de l’affaire par la chambre de l’instruction, sans disparition de l’enjeu pénal. Devant la chambre de l’instruction, le représentant du Ministère public, qui par hypothèse n’a pas cru devoir faire appel du non lieu, n’en conserve pas moins toute sa place et toute son autonomie devant la chambre de l’instruction. Il peut soit requérir le renvoi devant une juridiction de jugement bien que n’ayant pas fait appel du non lieu, autrement dire soutenir l’appel de la partie civile. Il peut au contraire se désolidariser de la partie civile en justifiant le non lieu. Il peut aussi s’en rapporter purement et simplement.
En toute hypothèse, quelle que soit la position du Ministère
public par rapport à celle de la partie civile, la juridiction d’appel conserve la possibilité de rendre une décision de nature pénale, soit en confirmant le non lieu, soit en renvoyant devant une juridiction pénale de jugement.
On peut concevoir exactement le même mécanisme devant
la juridiction de jugement : si le tribunal correctionnel relaxe le prévenu, si la cour d’assises acquitte l’accusé, la partie civile pourra faire appel, et cet appel entraînera automatiquement la saisine de la juridiction pénale du second degré qui conservera la plénitude de sa compétence, quelle que soit la position du Ministère public. Si celui-ci n’a pas fait appel, il devra conserver toute sa place et son autonomie devant la juridiction d’appel. Il pourra soit requérir une condamnation, bien que n’ayant pas fait appel de la relaxe ou de l’acquittement, autrement dit soutenir l’appel de la partie civile. Il pourra au contraire se désolidariser de la partie civile en justifiant la relaxe ou l’acquittement. Il pourra aussi s’en rapporter purement et simplement.
En toute hypothèse, quelle que soit la position du Ministère
public par rapport à celle de la partie civile, la juridiction du second degré conservera au stade du jugement en appel la possibilité de rendre une décision de nature pénale, soit en confirmant la relaxe ou l’acquittement, soit en prononçant une condamnation.
Il s’agirait de
transposer, au stade
de l’appel des
décisions de
jugement, le
dispositif existant
actuellement au
stade de l’appel des
décisions des
juridictions
d’instruction.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 17
Études & Analyses
Cette possibilité pour une juridiction de jugement de prononcer une condamnation pénale alors même que le représentant du Parquet n’en requiert finalement aucune à l’audience, est une hypothèse certes assez rare mais qui existe aujourd’hui (en particulier dans les affaires dites « entre parties ») et n’est donc pas nouvelle. Le prononcé d’une condamnation pénale par une juridiction pénale n’est pas juridiquement subordonné à des réquisitions en ce sens du Ministère public à l’audience. Il suffit que la juridiction de jugement soit valablement saisie, soit à l’initiative du Ministère public, soit à l’initiative de la partie civile (comme c’est le cas par exemple en matière de citation directe), pour qu’elle puisse prononcer (ou pas) une condamnation. Dans cette hypothèse, la partie civile reste à sa place. Elle n’en devient pas « partie requérante » à la place du Parquet. Elle demande simplement à la juridiction pénale de statuer.
C’est cette logique là qu’il convient d’admettre et de
transposer au stade de l’appel : il s’agit en fait, ni plus ni moins, de permettre à la partie civile de saisir, par son appel, la juridiction pénale du second degré avec plénitude de sa compétence, civile et pénale, quelle que soit la position du Parquet.
4. Quelles incidences quantitatives ?
D’après l’annuaire statistique de la Justice, 2 516 arrêts d’assises, impliquant 3 743 personnes, ont été prononcés en 2006. 250 personnes ont été acquittées (moins de 7 %).
Une étude du Ministère de la Justice indique que les cours
d’assises statuant en appel n’ont eu à juger que 76 acquittements en 3 ans (entre 2003 et 2005)13. Par extrapolation, on peut estimer que le taux d’appel du parquet en cas d’acquittement est situé entre 15 et 20 %14.
Si l’on applique cette proportion aux 250 acquittements
annuels, cela signifie qu’environ 200 acquittements ne sont pas frappés d’appel chaque année. Combien d’appels supplémentaires seraient provoqués par la victime si elle en avait le droit ?
A minima, on peut estimer que, dans un tiers de ces
acquittements, la victime ne fera pas appel, même si elle en a le droit, soit parce que le procès a mis en évidence l’innocence du mis en cause, soit parce qu’un second procès lui semblera voué à l’échec.
13 Laure Chaussebourg, Sonia Lumbroso, « L’appel des décisions des cours d’assises :
conséquence sur la déclaration de culpabilité », InfoStat Justice, 100, Mars 2008.
14 Ces 76 acquittements sur trois ans, rapprochés d’une moyenne de 250 acquittements par an en première instance, représenteraient un taux d’appel d’environ 10 %. Toutefois, le nombre d’acquittements entre 2000 et 2003 était de 150 environ, alors qu’il est passé à 250 en moyenne
entre 2004 et 2006. En outre, la faculté qui a été donnée au parquet de faire appel en cas d’acquittement n’existe que depuis 2002. C’est pourquoi le taux d’appel est probablement plus proche de 20 % que de 10 %.
Dans cette
hypothèse, la partie
civile reste à sa
place. Elle n’en
devient pas « partie
requérante » à la
place du Parquet.
Elle demande
simplement à la
juridiction pénale de
statuer.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 18
Études & Analyses
On peut donc évaluer à 140 au maximum le nombre
d’acquittements qui pourraient être frappés d’appel par la victime dans l’hypothèse où la loi lui en donnerait la faculté. Ce qui représente une centaine de procès – un par département environ – si l’on reprend la proportion moyenne entre arrêts prononcés et personnes impliquées. Cela représente une hausse de la charge des cours d’assises d’appel de 15 % environ (100 arrêts rapportés aux 600 frappés d’appel en 2006) – et une hausse globale de seulement 2 % du nombre total de procès d’assises.
Si l’on applique aux affaires correctionnelles ce ratio de 15 %
d’affaires supplémentaires en appel, on obtient environ 7 000 nouveaux procès, ce qui représente un peu moins de 2 % du total des affaires jugées en correctionnelle.
On peut donc
évaluer à 140 au
maximum le nombre
d’acquittements qui
pourraient être
frappés d’appel par
la victime dans
l’hypothèse où la loi
lui en donnerait la
faculté.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 19
Études & Analyses
ANNEXE : LE TEMOIGNAGE DE MICHELE BIDART
En décembre 2008 la Cour d’assises de la Marne a acquitté un homme poursuivi pour viol aggravé d’un jeune homme handicapé, sans que le Parquet ne fasse appel de cette décision alors que le Procureur avait requis 15 ans.
Le fils de M. et Mme Bidart, autiste majeur, n’a plus aucun recours possible contre son agresseur, la loi ne prévoyant pas de droit d’appel pénal pour les victimes.
Mme Bidart a rejoint le Collectif de victimes de l’Institut pour la Justice et apporte son témoignage.
IPJ : Le Procureur a réclamé une peine de 15 ans contre le violeur de votre fils, quels ont été les éléments retenus à charge?
Mme Bidart : Les agressions dont mon fils a été victime et les séquelles physiques et psychologiques ont été prises en compte. L’expertise médicale a révélé deux fissures annales.
Les experts qui ont étudié le comportement de mon fils et son psychothérapeute qui a témoigné sont unanimes. Mon fils n’a aucune possibilité d’imaginer ce type d’agression, son niveau d’information en matière sexuelle est comparable à celui d’un enfant de 6 ans. Il a une mémoire étonnante, surtout des détails… La probabilité d’une affabulation est exclue. Il lui faudra vivre avec cette douloureuse humiliation toute sa vie !
Les experts ont confirmé la crédibilité de ses accusations et de celles d’un autre garçon mineur, présent à l’audience. Ces deux victimes n’ont hélas pas été les seules. Il y en a eu d’autres avant ! La première connue a été le petit frère de l’accusé, âgé de 5 ans au moment des faits. Un autre jeune homme handicapé mental léger et deux autres garçons ont également été cités. Ce violeur est un récidiviste.
Le procureur a également tenu compte de l’avis des experts qui concluent à un pervers dangereux accessible à une sanction pénale.
IPJ : Comment l’acquittement a-t-il pu être prononcé ?
Ce procès était inégal. Nous avons eu affaire à un individu redoutable. L’accusé s’est présenté comme une victime. Il a nié les faits. Chaque fois qu’il a pris la parole il s’est exprimé avec éloquence comme s’il jouait un rôle. Il était convaincant. Le Président et la cour étaient sous le charme…oubliant les faits.
Il est évident que mon fils n’a pas les mêmes facilités pour s’exprimer et pour comprendre les questions. Il a été malmené par la partie
Les experts ont
confirmé la
crédibilité de ses
accusations et de
celles d’un autre
garçon mineur.
Le droit d’appel de la victime Juin 2010 – page 20
Études & Analyses
adverse qui a abusé de son handicap. La confrontation avec son agresseur l’a beaucoup fragilisé.
IPJ : Le Parquet n’a pas fait appel de cette décision, alors que le procureur avait requis une lourde peine, comment l’expliquez-vous ?
Je suis dans une totale incompréhension comme les autres victimes, témoins à ce procès. Le procureur reconnaît la culpabilité de l’accusé et cela se termine par un acquittement !
La victime ne peut pas compter sur le Parquet. Il ne nous a laissé aucune possibilité de nous défendre. Nous sommes totalement démunis, nous n’avons plus aucun recours pénal. Le procès est clos et l’accusé est libre de recommencer.
C’est un scandale ! Je suis indignée qu’une victime soit privée de ce droit d’appel et que mon fils soit réduit au silence !
IPJ : Que ressentez-vous après cette épreuve judiciaire ?
Nous sommes abandonnés et c’est une grande souffrance. Ce procès ne nous a pas permis de tourner la page. Mon fils ne comprend toujours pas pourquoi son agresseur n’a pas été puni. Je ne parviens pas à lui expliquer cette injustice. Il ne va pas bien... Il suivait une psychothérapie et ce procès faisait partie de sa reconstruction. Il en avait besoin pour aller mieux.
Je ne suis pas résignée. Je continue à me battre pour mon fils handicapé et pour les autres qui sont la proie de ces prédateurs. Il faut que la Justice protège les victimes en leur donnant les moyens de se défendre.
Je suis indignée
qu’une victime soit
privée de ce droit
d’appel et que mon
fils soit réduit au
silence.
Édité par l’Institut pour la Justice - Association loi 1901 - 140 bis, rue de Rennes - 75006 PARIS - www.institutpourlajustice.com
Études & Analyses
DERNIÈRES PARUTIONS
N°1 Réformer la procédure pénale : Audition devant la Commission Léger par Stéphane Maitre, avocat au barreau de Paris
N°2 Le projet de loi pénitentiaire : Une dangereuse révolution par Xavier Bebin, criminologue, délégué général de l’Institut pour la Justice et
Stéphane Maitre, avocat au barreau de Paris
N°3 Récidive et dangerosité : La rétention de sûreté, et après ? par Xavier Bebin, criminologue, délégué général de l’Institut pour la Justice,
Stéphane Maitre, avocat au barreau de Paris et Jean-Pierre Bouchard, psychologue et criminologue
N°4 Humanisme, dignité de la personne et droits des détenus par Stamatios Tzitzis, philosophe, directeur adjoint de l’Institut de Criminologie de Paris
N°5 Le crime incestueux : Une spécificité à identifier et à reconnaître par Xavier Bebin, criminologue, délégué général de l’Institut pour la Justice
N°6 Proposition de réforme de l’expertise psychiatrique et de l’expertise psychologique judiciaires
par Jean-Pierre Bouchard, psychologue et criminologue
N°7 L’inexécution des peines de prison : Pourquoi tant de peines inexécutées ? Quelles solutions ?
par Xavier Bebin, criminologue, délégué général de l’Institut pour la Justice
N°8 Le coût du crime et de la délinquance par Jacques Bichot, économiste, professeur émérite de l’Université Lyon III Jean Moulin
N°9 Dissuasion, justice et communication pénale par Maurice Cusson, criminologue, Professeur à l'Ecole de criminologie de l'université de Montréal
N°10 Le droit d’appel de la victime en matière pénale Rapport du groupe de réflexion institué par l’Institut pour la Justice
À PARAÎTRE
N°11 La peine et son application : une justice aux deux visages ? Actes du colloque du 8 octobre 2009 à l’Assemblée nationale
Les études et analyses de l’Institut pour la Justice, réalisées par des experts du champ pénal, ont vocation à éclairer le débat public sur les enjeux relatifs à la Justice pénale.
Les opinions exprimées dans ces études sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de l’association.
Contacts :
+ 33 (0)1 70 38 24 07 Email : [email protected]
Retrouvez l’ensemble des publications de l’Institut
pour la Justice sur le site www.publications-justice.fr