le débitage discoïde et le débitage levallois récurrent centripède

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Eric Boëda Le débitage discoïde et le débitage Levallois récurrent centripède In: Bulletin de la Société préhistorique française. 1993, tome 90, N. 6. pp. 392-404. Abstract inevitably all the variability factors inherent to the débitage method used and resulting from human and not mechanical action. Résumé RÉSUMÉ Le débitage discoïde défini par F. Bordes a fait l'objet de nombreuses interprétations souvent divergentes. Parent pauvre de l'industrie lithique du Paléolithique par rapport au débitage Levallois, oublié dans les décomptes typologiques, tout au long de ces années le débitage discoïde avait perdu toute valeur de marqueur technique, se confondant avec d'autres modes de débitage. Or, l'analyse technologique a montré que le débitage discoïde correspondait à une réalité technique particulière, régi, comme tous les autres modes de débitage, par des règles techniques précises. Aussi se différencie-t-il du débitage Levallois et de la méthode Levallois récurrente centripète. Les confusions entre ces deux grands modes d'expression technique sont dues à l'absence d'une réelle lecture technique qui ne peut être que dynamique, prenant donc obligatoirement en compte l'ensemble des facteurs de variabilité inhérents au mode de débitage utilisé et résultant d'une action humaine et non pas mécanique. Citer ce document / Cite this document : Boëda Eric. Le débitage discoïde et le débitage Levallois récurrent centripède. In: Bulletin de la Société préhistorique française. 1993, tome 90, N. 6. pp. 392-404. doi : 10.3406/bspf.1993.9669 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1993_num_90_6_9669

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Page 1: Le débitage discoïde et le débitage Levallois récurrent centripède

Eric Boëda

Le débitage discoïde et le débitage Levallois récurrentcentripèdeIn: Bulletin de la Société préhistorique française. 1993, tome 90, N. 6. pp. 392-404.

Abstractinevitably all the variability factors inherent to the débitage method used and resulting from human and not mechanical action.

RésuméRÉSUMÉ Le débitage discoïde défini par F. Bordes a fait l'objet de nombreuses interprétations souvent divergentes. Parentpauvre de l'industrie lithique du Paléolithique par rapport au débitage Levallois, oublié dans les décomptes typologiques, tout aulong de ces années le débitage discoïde avait perdu toute valeur de marqueur technique, se confondant avec d'autres modes dedébitage. Or, l'analyse technologique a montré que le débitage discoïde correspondait à une réalité technique particulière, régi,comme tous les autres modes de débitage, par des règles techniques précises. Aussi se différencie-t-il du débitage Levallois etde la méthode Levallois récurrente centripète. Les confusions entre ces deux grands modes d'expression technique sont dues àl'absence d'une réelle lecture technique qui ne peut être que dynamique, prenant donc obligatoirement en compte l'ensemble desfacteurs de variabilité inhérents au mode de débitage utilisé et résultant d'une action humaine et non pas mécanique.

Citer ce document / Cite this document :

Boëda Eric. Le débitage discoïde et le débitage Levallois récurrent centripède. In: Bulletin de la Société préhistorique française.1993, tome 90, N. 6. pp. 392-404.

doi : 10.3406/bspf.1993.9669

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1993_num_90_6_9669

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392 Bulletin de la SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE 1993 / TOME 90, n° 6

LE DEBITAGE DISCOÏDE ET LE DEBITAGE LEVALLOIS RÉCURRENT CENTRIPÈTE

Eric BOËDA

RÉSUMÉ Le débitage discoïde défini par

F. Bordes a fait l'objet de nombreuses interprétations souvent divergentes. Parent pauvre de l'industrie lithique du Paléolithique par rapport au débitage Levallois, oublié dans les décomptes typologiques, tout au long de ces années le débitage discoïde avait perdu toute valeur de marqueur technique, se confondant avec d'autres modes de débitage. Or, l'analyse technologique a montré que le débitage discoïde correspondait à une réalité technique particulière, régi, comme tous les autres modes de débitage, par des règles techniques précises. Aussi se différencie-t-il du débitage Levallois et de la méthode Levallois récurrente centripète. Les confusions entre ces deux grands modes d'expression technique sont dues à l'absence d'une réelle lecture technique qui ne peut être que dynamique, prenant donc obligatoirement en compte l'ensemble des facteurs de variabilité inhérents au mode de débitage utilisé et résultant d'une action humaine et non pas mécanique.

ABSTRACT

The discoïde débitage defined by F. Bordes has been the subject of numerous and often conflicting interpretations. Poor relation of the lithic industry of the Paleolithic in comparaison with the Levallois débitage, forgotten in typological accounts, through the years discoïde débitage has lost all value as a technical marker, being confused with other methods of débitage. Howewer, technological analysis has shown that discoïde débitage corresponds to a particular technical realty, ruled, as are all other methods of débitage, by precise technical rules. Also it is different from Levallois débitage and the recurrent centripetal Levallois method. The confusion between these two great modes of technical expression are due to the absence of a real technical reading which could only be dynamic, taking into account

inevitably all the variability factors inherent to the débitage method used and resulting from human and not mechanical action.

Parmi les différents modes de production lithique décrits par F. Bordes pour le Paléolithique

ancien et moyen figure le débitage Moustérien (Bordes, 1950, 1961). Ce débitage, aussi appelé Discoïde en référence au nucleus, a fait l'objet d'une définition très courte à la différence de celle proposée pour le débitage Levallois, ce dernier servant alors de référence.

DISCOÏDE

Hiérarchisât A/B hiérarchisées

:lc préparation (les plans de frappe Con

Plan de (I

LEVALLOIS

'intersection

on des surfaces

plan

Fig. 1 - Comparaison entre quatre propriétés techniques participant à la construction volumétrique des nucleus Levallois et Discoïde : 1) dans les deux cas, les volumes sont conçus en deux surfaces sécantes délimitant un plan d'intersection ; 2) dans le cas du nucleus Levallois, les surfaces sont hiérarchisées, chacune ayant un rôle défini : l'une est la surface de débitage, l'autre celle de préparation des plans de frappe, dans le cas du nucleus Discoïde, chaque surface peut changer de fonction lors d'une même séquence de débitage ; 3) dans les deux cas, les convexités sont présentes, mais adaptées à la morphologie de chaque nucleus ; 4) dans le cas du débitage Levallois, le plan de détachement des enlèvements prédéterminés est toujours parallèle au plan d'intersection des surfaces, alors que dans celui d'un débitage Discoïde, il est toujours sécant à ce plan.

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Le débitage Discoïde se différencie du débitage Levallois par la production d'une série continue d'enlèvements de direction centripète, aux dépens d'une ou des deux surfaces du nucleus. Le nucleus est alors appelé nucleus Discoïde, et l'un des types d'enlèvements le plus caractéristique de ce mode de débitage en est la pointe pseudo-Levallois.

Ce mode de débitage était conçu comme pouvant être l'objet d'un schéma opératoire spécifique, c'est- à-dire résultant d'un stade d'initialisation et d'un stade d'exploitation du nucleus qui lui était propre ; mais il était aussi perçu comme pouvant résulter de la réutilisation d'un nucleus Levallois. Dans ce cas, le stade d'initialisation du nucleus se faisait à partir d'une forme particulière qui était celle d'un nucleus Levallois achevé, à recycler. La définition du débitage Levallois donnée par F. Bordes (1961) ne permettait pas d'envisager le débitage d'une série d'enlèvements prédéterminés aux dépens d'une même surface. Selon lui, si plus d'un enlèvement non laminaire était débité à partir d'une surface préparée il ne pouvait s'agir que d'une autre conception du débitage : Discoïde ou Moustérien dans le cas présent.

De récents travaux à propos du débitage Levallois (Boëda, 1986, 1988, 1990) ont montré que la définition classique admise jusqu'à maintenant n'était que le reflet d'une méthode parmi d'autres. Le cadre méthodologique nouvellement créé permet d'établir une première subdivision entre, d'une part des méthodes Levallois à éclat préférentiel (1 seul éclat prédéterminé par surface préparée), d'autre part, des méthodes Levallois récurrentes, capables de fournir, aux dépens d'une même surface aménagée au préalable de façon spécifique, une série de 3 ou 4 enlèvements aux caractères morphologiques, techniques et métriques prédéterminés. Parmi l'une de ces méthodes récurrentes figure ce que nous avons dénommé la méthode Levallois récurrente centripète (Boëda, 1986). Les nucleus résiduels résultant de ce mode de débitage Levallois décrits par F. Bordes comme étant des nucleus Discoïdes réalisés aux dépens d'anciens nucleus Levallois à éclat préférentiel (unique), d'où l'attribution à un mode de débitage Discoïde de ce qui relevait tout simplement d'une autre conception du débitage — Levai- lois — et de l'un de ces modes d'expression — méthode récurrente centripète. La confusion entre un

nucleus Levallois récurrent centripète et un nucleus Discoïde est impossible, car un nucleus est le résultat de l'application d'un schéma opératoire spécifique, il ne peut donc en aucun cas être le reflet d'un autre schéma opératoire. Tout débitage est régi par un ensemble structuré de critères techniques spécifiques, aux conséquences connues et recherchées. Le nucleus porteur de l'ensemble de cette structure constitue le meilleur élément pour reconnaître le système de production lithique adopté.

Défini selon des critères techniques précis, le débitage Discoïde recouvre, au même titre que le débitage Levallois ainsi que d'autres débi- tages, une réalité bien plus complexe que celle perçue jusqu'à présent.

■ LA CONCEPTION DISCOÏDE DU DÉBITAGE

La définition que nous proposons résulte de l'interaction de six critères techniques indissociables créant ce que nous nommons la conception Discoïde du débitage (fig. 1).

1 - Le volume du nucleus est conçu en deux surfaces convexes asymétriques, sécantes, délimitant un plan d'intersection (fig. 1-1).

débitage Discoïde : méthode type Kulna

1 a 2a 3a 4a 5a

débitage Levallois : méthode récurrente centripète

1b 2b 3b 4b 5b

Fig. 2 - Comparaison entre une propriété technique participant à la construction volumétrique des nucleus Levallois (récurrent centripète) et Discoïde. — Dans le cas du débitage Discoïde (1a) l'option « plan sécant >• (2a) permet d'obtenir une séquence continue d'enlèvements prédéterminés sans aménagement des surfaces de débitages (3a. 4a. 5a. etc.). Une série de plus de 10 enlèvements prédéterminés peut être obtenue. Cette continuité (6a 10a) est due à un auto-entretien des critères techniques de prédétermination. Ces enlèvements se font selon la méthode utilisée sur une ou deux surfaces successivement ou alternativement. La morphologie de chaque nucleus sera alors caractéristique : conique ou biconique. Les caractères morphotechniques des enlèvements seront spécifiques de cette conception volumétrique. — Dans le cas du débitage Levallois récurrent centripète (1b) l'option ■• plan parallèle >■ (2b) permet d'obtenir une série de quelques enlèvements prédéterminés (3b. 4b. 5b). Une fois cette série obtenue il est alors nécessaire de remettre en forme les critères techniques de prédétermination, a la différence du débitage Discoïde ou ces critères sont auto- entretenus. La morphologie des nucleus sera touiours la même et très caractéristique : disque plan-convexe. Les caractères morphotechniques des enlèvements seront spécifiques de cette conception volumétrique.

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1 ère série récurrente t

2 ème série récurrente

I I H и о и

3 ème série récurrente

Fig. 3 - Chaque surface est aménagée pour produire une série récurrente d'enlèvements. Plusieurs séries peuvent se succéder sans interruption.

La construction spécifique des nucleus Discoïdes, et le maintien de cette structure quel que soit le moment de la séquence opératoire, témoignent d'une conception volu- métrique de base stable. Cette rigidité, de même nature que celle observée pour le nucleus Levallois ou d'autres nucleus du Paléolithique Moyen et Supérieur, rend compte d'une conception non aléatoire du débitage : la production d'enlèvements est connue et gérée tant qualitativement que quantitativement.

2 - Les deux surfaces ne sont pas hiérarchisées : l'une est conçue comme surface de débitage, l'autre est conçue comme surface de plans de frappe, mais leurs rôles peuvent être intervertis durant une même séquence opératoire (fig. 1-2).

Ce changement de rôle n'est pas obligatoire, mais a priori et suivant l'état d'initialisation du nucleus, l'exploitation successive ou alternante de l'une de ces deux surfaces comme surface de débitage est à tout moment possible. Cette variabilité potentielle d'exploitation des surfaces du nucleus est tout à fait spécifique du débitage Discoïde, permettant ainsi l'expression de méthodes différentes faisant varier quantitativement et qualitativement l'assemblage des éclats prédéterminés.

3 - La surface de débitage est aménagée de telle façon que certains produits obtenus à ses dépens soient prédéterminés. Le critère technique de prédétermination consiste à aménager une convexité périphérique plus ou

moins prononcée. Cette convexité d'ensemble a pour rôle de contrôler le détachement latéral et distal de chaque enlèvement prédéterminé (fig. 1-3).

L'aménagement de cette convexité périphérique correspond à l'un des moments du stade d'initialisation du nucleus. Cette convexité sera d'intensité plus ou moins importante selon les objectifs recherchés et devra être entretenue suivant ces mêmes objectifs.

4 - La surface de préparation des plans de frappe est aménagée de telle façon que les enlèvements prédéterminants et prédéterminés puissent répondre aux objectifs fixés. Ces aménagements sont spécifiques des méthodes optées pour le détachement des enlèvements prédéterminés, mais ils possèdent tous un point commun : la surface de plans de frappe destinée à recevoir la percussion des enlèvements prédéterminés doit toujours être orientée par rapport à la surface de débitage de telle façon que le fil créé par l'intersection de ces deux surfaces soit perpendiculaire à l'axe de débitage des enlèvements prédéterminés. Le fil créé par l'intersection est appelé charnière (fig. 1-3).

L'aménagement de cette surface correspond aussi à l'un des moments du stade d'initialisation du nucleus. Mais, suivant les méthodes utilisées, cette surface devra aussi présenter une convexité périphérique capable de devenir a posteriori une surface de débitage sans aménagement particulier.

5 - Les plans de fracture des enlèvements prédéterminants et prédéterminés sont sécants au plan d'intersection des deux surfaces (fig. 1-4).

L'utilisation d'un plan de détachement systématiquement sécant pour l'ensemble des enlèvements prédéterminants et prédéterminés est un des critères majeurs du débitage Discoïde. Un tel angle de détachement à des conséquences sur les modalités d'aménagement et d'entretien de la convexité périphérique, ainsi que sur certains caractères morphotechniques et métriques des enlèvements prédéterminés. Sur le plan morphologique, la silhouette du nucleus est très caractéristique. En effet, selon le

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nombre de surfaces traitées, une coupe sagittale du nucleus présentera une silhouette conique ou bico- nique. En aucun cas une surface de débitage Discoïde ne peut être plane, c'est antinomique avec un angle de détachement sécant !

6 - La technique de débitage est exclusive tout au long du schéma opératoire Discoïde. Il s'agit de la percussion directe au percuteur dur. La percussion a lieu sur la surface de plans de frappe à quelques millimètres du fil créé par l'intersection des deux surfaces et non sur le fil lui-même (charnière). En conséquence, l'axe de percussion des enlèvements prédéterminés est impérativement perpendiculaire à la surface recevant l'impact. Un axe non perpendiculaire ne permet pas le contrôle de ce mode de percussion, dans ce cas, il y a glissement du point d'impact.

Les six critères résultent chacun d'une option parmi un ensemble de possibles. Il existe d'autres conceptions volumétriques du nucleus (ex. : Levallois, Hummalienne — laminaires paléolithique moyen, du Proche-Orient — Trifaciale) (Boëda, 1991). La notion de hiérarchisation entre chaque surface du nucleus peut être négociée différemment (ex. : Levallois et laminaire de type Paléolithique supérieur ; chaque surface est hiérarchisée, leur rôle ne peut être interchangé, durant une même séquence de débitage). La façon de mettre en place les critères techniques de prédétermination peut varier selon la méthode choisie. L'angle de détachement peut être totalement différent (parallèle ou oblique). La technique de débitage peut aussi fortement varier (percussion tangentielle sur le fil créé par l'intersection des deux surfaces, utilisation de percuteur tendre, etc.

L'originalité de la conception Discoïde du débitage résulte donc de la combinaison d'un minimum de six critères techniques, chacun d'eux correspondant à un possible parmi d'autres. Tel un système technique possédant sa propre structure, par l'application de différentes méthodes le débitage Discoïde permet de répondre à la production d'objectifs prédéterminés multiples et variés.

cm

i:

Jo

Fig. 4 - Nucleus Discoïde de Kùlna, niveaux micoquiens (République Tchèque) ; chaque surface garde la même fonction tout le long de la séquence opératoire ; une surface de débitage, une surface de plan de frappe.

LES METHODES DISCOÏDES

Une telle conception du débitage autorise l'adoption de méthodes différentes permettant de faire varier l'aspect quantitatif et/ou qualitatif des futurs outils ou support d'outils.

• Aspect quantitatif

Les méthodes Discoïdes sont essentiellement récurrentes : chaque surface est aménagée pour produire une série d'enlèvements (fig. 2). L'option d'un angle sécant par rapport au plan d'intersection, pour le détachement de l'ensemble des enlèvements prédéterminés et prédéterminants, constitue l'un des critères techniques capable de rendre

cette récurrence optimale par rapport au volume disponible du nucleus. En effet, quel que soit l'état de la surface de débitage, un angle sécant permet son recoupement par n'importe quel enlèvement. Le contrôle distal de tout enlèvement est donc assuré sans aménagement particulier, mais surtout, il est prévisible au vu des caractéristiques techniques de la surface de débitage. La convexité périphérique permet également un contrôle sur le détachement latéral des enlèvements. Ainsi, il n'est plus nécessaire de réaménager des critères techniques de prédétermination au cours du débitage. Une sorte d'auto-entretien de ces critères va permettre à chacune des surfaces de débitage successives de se maintenir dans des conditions optimales, capables de répondre à toute demande d'éclats prédéterminés. Le nucleus

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est conçu comme un volume capable de fournir une suite ininterrompue d'enlèvements aux caractères morpho-techniques variés et connus d'avance. L'exploitation d'un nucleus discoïde est équivalente à l'exploitation d'un volume.

La variabilité des méthodes pourra porter sur le nombre d'enlèvements effectués sur chaque surface traitée (un ou plus) ainsi que sur le nombre des surfaces exploitées. Dans ce dernier cas, trois solutions sont envisageables :

— chaque surface, A et B, garde la même fonction tout le long de la séquence opératoire ; A surface de débitage, В surface de plan de frappe (fig. 4) ;

— chaque surface, A et B, est interchangeable à tout moment de la séquence opératoire ; le débitage commence sur A, se poursuit sur В pour revenir sur A, etc. (fig. 5) ;

— chaque surface, A et B, change successivement de fonction après une séquence d'exploitation ; A deviendra В, В deviendra A, et ainsi de suite.

• Aspect qualitatif

La diversité des caractères morphologiques, techniques et métriques des enlèvements recherchés est directement fonction de la méthode récurrente utilisée. Ces méthodes diffèrent selon l'ordre de débitage des enlèvements et leur direction de débitage respective.

Deux directions sont possibles : cordale et centripète. Par enlèvements de direction cordale, nous entendons des enlèvements d'axe déjeté par rapport au centre du nucleus à la différence des enlèvements de direction centripète dont l'axe passe par le centre du nucleus. La combinaison de ces directions est consécutive de l'option sécante. En effet, le nucleus présente une convexité générale qui aura tendance à augmenter au fur et à mesure du débitage. Seule la combinaison de ces deux directions permet d'entretenir l'angle adéquat pour le détachement des éclats. Les enlèvements de direction cordale maintiennent et contrôlent la convexité périphérique ; les enlèvements de direction centripète, par le recouvre-

cm 5 4 3 2 1 0

Fig. 5 - Nucleus Discoïde de Kulna, niveaux micoquiens (République Tchèque) ; chaque surface est interchangeable à tout moment de la séquence opératoire ; le débitage commence sur une surface, se poursuit sur la seconde pour revenir sur la première, etc.

ment partiel de la surface du nucleus, évitent de créer une convexité trop importante. Il s'agit là d'une combinaison paradoxale, car d'une certaine manière l'une détruit ce que l'autre crée.

Du choix de ces directions, de l'option d'un axe sécant et selon les combinaisons adoptées, nous sommes en mesure de dégager quatre types d'enlèvements prédéterminés.

De direction cordale, deux types d'enlèvements prédéterminés peuvent être obtenus :

— une pointe pseudo-Levallois ; — un éclat débordant.

L'axe de débitage de ces enlèvements n'est pas systématiquement identique à l'axe morphologique. Cette non-identité de l'axe est due à la position du plan de frappe qui sera modifiée selon les séquences.

De direction centripète, deux types d'enlèvements prédéterminés peuvent être obtenus de façon prévisible :

— un éclat plus large que long ; — un éclat quadrangulaire dont

les proportions longueur/largeur sont sensiblement égales à 1 .

Le premier s'obtient lorsque le cône du nucleus est déjà bien constitué. Son détachement réduit

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Bulletin de la SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE 1993 / TOME 90. rř 6 397

ce cône, son extension selon l'axe de débitage est automatiquement limitée par la convexité à laquelle il s'affronte très tôt, l'extension se fait donc perpendiculairement à l'axe de débitage, donnant ainsi cet aspect plus large que long. Par ailleurs, le recouvrement partiel de la surface du nucleus lié au franchissement de cette convexité donne à l'enlèvement une silhouette sagittale très caractéristique. En effet, la face supérieure des enlèvements présente une rupture de pente au tiers distal. Cette partie distale de l'éclat présente obligatoirement des négatifs d'enlèvements de direction opposée à celui de l'éclat support.

Sur le second, les négatifs d'enlèvements sont peu nombreux et présentent des directions d'enlèvements identiques à celles de l'éclat. La face supérieure de ces enlèvements ressemble, dans de nombreux cas, à celle des pointes pseudo-Levallois, la différence réside uniquement dans le rapport entre les axes morphologique et de débitage.

Le nucleus garde la même silhouette tout au long de la séquence de débitage : une surface de débitage globalement conique et une surface de préparation de plans de frappe convexe.

Le débitage Discoïde, comme l'ensemble des débitages structurés, correspond à la meilleure adéquation entre une conception volumé- trique, des méthodes et une technique unique. Tel un système technique, le débitage Discoïde est conçu pour répondre à la production d'enlèvements dont les caractéristiques morphologiques, métriques et techniques sont prédéterminées. Mais cela n'implique en aucun cas que chacun des quatre types d'enlèvements que nous avons définis soit les résultats exclusifs du débitage Discoïde. Ces enlèvements peuvent être obtenus individuellement aux dépens d'autres conceptions du débitage, telles que les conceptions Levallois ou pyramidale. De la même façon, aux dépens d'une surface discoïde, nous pourrions obtenir d'autres types de produits que ceux que nous avons décrits précédemment, comme par exemple une pointe ou un éclat dits Levallois. Mais ces enlèvements ne peuvent s'obtenir qu'à un certain moment du débitage et dans certaines conditions. En effet, placer un enlèvement qui nécessite un certain allongement

Direction cordalc Direction centripète

débordement

Direction cordalc -

pointe Pscudo-Lcvallois t éclat débordant

Direction centripète

éclat triangulaire éclat plus large que long Fig. 6 - L'exploitation de la surface se fait par des enlèvements de direction centripète et cordale. A chacune de ces deux directions correspond deux types d'enlèvements prédéterminés : cordiale — pointe pseudo- Levallois et éclat débordant — , centripète — éclat quadrangulaire et éclat plus large que long — .

aux dépens d'une surface de débitage de type Discoïde nécessite que cette surface ne soit pas trop convexe, sinon l'onde de fracture ne pourra pas se développer convenablement. De plus, quand l'enlèvement est détaché, la surface de débitage est devenue plane, ce qui ne convient plus pour le débitage Discoïde. Il sera nécessaire de remettre en place tous les critères techniques de convexités. Sur un plan strictement technique, dans la mesure où l'on respecte les contraintes techniques inhérentes à la matière, tout est presque possible. Mais à ces contraintes s'ajoutent celles des traditions culturelles techniques. Nous les percevons grâce à la mise en évidence de la structure même du système utilisé. Chaque production d'un ensemble lithique résulte de l'utilisation d'une conception volumétrique à laquelle s'attachent des méthodes. Chaque méthode correspond pour

teur au meilleur moyen de parvenir aux objectifs, telle une règle immuable.

Ces règles sont d'autant plus importantes lorsque les objectifs recherchés sont précis et multiples. Et c'est peut-être parce que les objectifs recherchés sont très diversifiés mais systématisés qu'il est nécessaire de créer un véritable système technique capable d'exploiter géométriquement un volume et de le gérer dans le temps. La gestion impose la notion de durée. L'expérimentation permet de mettre en évidence, cette nécessité de structuration. En effet, un type particulier d'éclat peut être obtenu d'un grand nombre de façons sans qu'il soit nécessaire de recourir à des systèmes aux combinaisons complexes. Cet état de fait montre clairement que l'objet pris isolément ne permet pas d'identifier son mode d'obtention. En revanche, si on s'attache à

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reproduire à volonté une quantité déterminé d'enlèvements prédéterminés aux dépens d'un bloc, il devient nécessaire d'avoir un projet bien établi et construit capable de hiérarchiser les différents actes techniques. Le débitage Discoïde requiert une structure de ce type. Ce mode de débitage est d'autant plus intéressant que les produits obtenus pris individuellement sont certainement les plus communs. On les obtient aisément quel que soit le mode de débitage utilisé. Mais, si on s'impose une production continue et exclusive de ces produits on crée tout naturellement (techniquement) une structure de débitage, avec ces propres contraintes et donc ces propres règles. D'où la multiplicité comme un élément technique structurant, et c'est peut-être là une des particularités des débitages du Paléolithique moyen ancien. Une complexité technique différente et nouvelle s'impose. Le projet du tailleur est investi dans la totalité du bloc nécessitant une construction volumétrique précise et invariante.

La reconnaissance de l'utilisation de telles ou telles conceptions de débitage ne peut se faire que par la prise en compte de l'ensemble des produits résultant des stades d'initialisation (mise en forme du nucleus) et de production : les nucleus, les éclats prédéterminés et prédéterminants. Ce sera la cohérence technologique entre ces différents produits qui permettra dans ce cas, et uniquement dans ce cas, de préconiser de l'utilisation de tel ou tel concept de débitage puis, dans un deuxième temps, de la ou des méthodes utilisée^) inhérente(s) à cette conception de débitage.

C'est parce que la Technique relève de choix culturels que la diversité des conceptions de débitage et la variabilité inhérente à cette conception existent et sont recon- naissable.

Dans l'état actuel des recherches, la représentativité archéologique des gisements utilisant une conception Discoïde du débitage est très difficile à établir du fait de la confusion créée par l'utilisation des définitions anciennes. Rarement reconnu comme un débitage à part entière ou amalgamé à une autre conception, il n'existe que très peu de références. Par contre, les études actuelles, menées selon une approche technologique, montrent clairement que ce

AXE DE PERCUSSION

MODE ET GESTE DE PERCUSSION

Fig. 7 - a) La surface de plan de frappe doit être aménagée de telle façon que l'axe de percussion puisse être perpendiculaire à cette surface ; b) les caractères techniques recherchés avec l'utilisation du percuteur dur nécessitent l'aménagement d'un point d'impact situé à l'intérieur de la surface de plan de frappe à quelques millimètres de la charnière.

mode de débitage, tel que nous l'avons redéfini, a représenté une option parmi d'autres conceptions de taille.

Trois situations archéologiques sont actuellement reconnues. La première est représentée par des industries lithiques dont la production d'outils repose sur des supports obtenus à partir d'une conception unique de débitage et d'une seule matière première : une conception discoïde, et du silex. Cette option de production est bien réelle et n'est pas liée à un quelconque déficit en bonne matière première, tel est le cas dans les niveaux micoquien de Kulna (Valoch, 1988 ; Boëda, 1991, sous presse). La seconde situation se retrouve dans les industries provenant des couches S1 et R3 du site De La Roca Dels Bous en Catalogne (Martinez Moreno, 1991 ; Terrades X. eř al., 1991) du nord. Le matériel atteste de l'exploitation de silex, de

quartzite et d'autres roches selon une conception discoïde du débitage. La troisième situation est représenté à La Borde (Jaubert J., 1990) où une utilisation différentielle est faite selon la matière première utilisée. Le silex sert de support à un débitage Levallois, alors que le quartz sert de support au débitage discoïde.

I AUTRE CONCEPT : AUTRE MÉTHODE : LE DÉBITAGE LEVALLOIS RÉCURRENT CENTRIPÈTE

Comme nous l'avons dit précédemment le débitage Discoïde est souvent confondu avec le débitage Levallois centripète. Dans de nombreux articles, en effet, alors que le débitage est considéré comme Levallois, les nucleus sont réperto-

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ries comme Discoïdes et non comme Levallois. Cette dichotomie n'est rendue possible que par la confusion de ces deux grands modes de production lithique.

Nous avons défini le débitage Levallois comme résultant de l'application à une conception volumé- trique particulière de six critères techniques indissociables. Chacun de ces critères correspondant à un ensemble de possibles. Par leur combinaison, ces différents critères imposent des règles connues et exploitées, permettant aux hommes qui les utilisent de produire les objets lithiques qui leur sont essentiels (fig- 1):

1 - le volume du nucleus est conçu en deux surfaces convexes asymétriques sécantes, délimitant un plan d'intersection (fig. 1-1) ;

2 - les deux surfaces sont hiérarchisées : l'une est productrice d'enlèvements définis et variés (prédéterminés), l'autre est conçue comme une surface de plans de

frappe des enlèvements définis ; au cours d'une même séquence de production d'enlèvements prédéterminés, leur rôle ne peut pas être interverti (fig. 1-2) ;

3 - la surface de débitage est aménagée de telle façon que les produits obtenus à ses dépens soient prédéterminés ; les caractères techniques de prédétermination consistent à aménager des convexités latérale et distale qui ont pour rôle de guider l'onde de choc de chaque enlèvement ainsi prédéterminé (fig. 1-3) ;

4 - la surface de préparation des plans de frappe est aménagée de telle façon que les enlèvements prédéterminants et prédéterminés puissent répondre aux objectifs fixés. Ces aménagements sont spécifiques des méthodes optées pour le détachement des enlèvements prédéterminés, mais ils possèdent tous un point commun : la surface de plans de frappe destinée à recevoir la percussion des enlèvements prédéterminés doit

toujours être orientée par rapport à la surface de débitage de telle façon que le fil créé à l'intersection de ces deux surfaces soit perpendiculaire à l'axe de débitage des enlèvements prédéterminés. Le fil créé par l'intersection est appelé charnière (fig. 7 a) ;

5 - les plans de fracture des enlèvements prédéterminés sont parallèles ou sub-parallèles au plan d'intersection des deux surfaces (fig. 1-4) ;

6 - la technique de débitage est exclusive tout au long de schéma opératoire Levallois : il s'agit de la percussion directe au percuteur de pierre. La percussion a lieu à quelques millimètres de la charnière sur la surface de plan de frappe et non sur la charnière. Cette particularité a pour conséquence que l'axe de percussion des enlèvements prédéterminés doit impérativement être perpendiculaire. Un axe non perpendiculaire ne permet pas le contrôle de la percussion (fig. 7 b).

Fig. 8 - Méthode Levallois récurrente centripète. Selon les critères techniques de prédétermination mises en place sur la surface de débitage il sera possible de débiter un ou plusieurs enlèvements prédéterminés (schema A, 1 et 2). Suite à cette première série d'enlèvements et un réarrangement partiel des critères de convexités, il sera possible de débiter une deuxième et troisième séries (schéma B. 3 ; schéma C. 4. 5. 6 : schéma D. 7 et 8).

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L'originalité du débitage Levatlois, comme celle du débitage Discoïdes, provient de la combinaison de plusieurs critères techniques correspondant à un possible parmi d'autres. Si un de ces critères vient à manquer, ou est substitué par un autre, la panoplie d'enlèvements obtenus sera modifiée. Cette différence pourra aussi bien porter sur l'aspect qualitatif que quantitatif.

Dans le cas du respect des règles (contraintes culturelles) techniques Levallois, les méthodes adaptées aux objectifs seront nombreuses et variées. L'une d'entre elles dénommée méthode Levallois récurrente centripète (Boëda, 1986) consiste à débiter des enlèvements de direction centripète ou cordale (fig. 2). Lorsque la surface de débitage est aménagée par des convexités latérales et distale, le débitage d'une série récurrente d'enlèvements prédéterminés peut avoir lieu. L'ensemble des enlèvements prédéterminés se fait suivant des plans de fracturation parallèles au plan sécant, permettant ainsi l'allongement maximum de ces enlèvements Une fois les critères techniques de prédétermination (convexités latérales et distale) totalement épuisés, si on désire poursuivre le débitage, il est alors nécessaire de renouveler les critères de prédétermination sur la surface de débitage. Ce n'est qu'après cette nouvelle restructuration, partielle ou totale, du nucleus qu'il sera possible de dégager une nouvelle série récurrente. Le volume exploitable, dans le cas de nucleus Levallois gérés de façon récurrente centripète ou autre, se réduit à l'exploitation d'une surface ou de surfaces successives devant être réaménagées après chaque phase d'exploitation (fig. 8).

A la fin de chacune des séquences de débitage, le nucleus se présente comme un disque avec une surface de débitage plane ou peu convexe (fig. 9). Lorsque les nucleus récurrents centripètes sont exploités jusqu'à l'extrême des possibilités techniques, nous nous retrouvons devant 4 cas.

1 - La dernière phase d'exploitation du nucleus se fait sans réaménagement des convexités. La conséquence immédiate est la réflexion de la plupart des derniers enlèvements. Lorsque le tailleur insiste, il crée ce que nous dénom-

Fig. 9 - Nucleus Levallois récurrent centripète provenant du site de « la Bouloie » à Crenay (Haute-Marne) (Amiot C. et Etienne J.-C, 1977). Les surfaces de débitage sont planes, les surfaces de plans de frappes sont périphériques créant une convexité régulière périphérique.

mons des « step fractur » (fig. 10). Ces accidents sont dus au respect de l'un des critères techniques régissant le débitage Levallois : le parallélisme des plans de fracturation des enlèvements prédéterminés. Techniquement, il est intéressant de noter, qu'à partir de tels nucleus il eut été possible de produire des enlèvements non réfléchis en ne respectant pas le parallélisme des plans de fracturation, mais pour cela, il faut, d'une certaine manière, enfreindre les règles techniques, mais aussi accepter des enlèvements différents de ceux recherchés au préalable : on crée autre chose.

2 - Le dernier enlèvement est plus envahissant que les autres. Dans ce cas, l'impression d'être en

présence d'un nucleus Levallois à éclat préférentiel est purement conjoncturelle. Il suffit de regarder l'ensemble des caractères techniques des négatifs, antérieurs à l'éclat envahissant, pour savoir s'il s'agissait d'enlèvements prédéterminants ou prédéterminés. L'un de ces caractères est l'angle de détachement. En effet, dans le cas d'enlèvements prédéterminants, cet angle est sécant afin de créer les convexités ; dans le cas des éclats prédéterminés, cet angle est parallèle afin d'obtenir l'allongement de l'éclat.

3 - Les derniers enlèvements ont un contre-bulbe très marqué, donnant l'impression que le plan de détachement de l'enlèvement est sécant au plan d'intersection des

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deux surfaces. Lorsqu'on se trouve dans cette situation, il est nécessaire de rechercher l'extrémité distale du ou des négatifs. En effet, on ne peut juger du parallélisme du plan d'éclatement qu'en fonction de certaine partie du négatif.

4 - Le tailleur est peu expérimenté ou a raté son enlèvement. Ces dernières possibilités sont peut-être les plus fréquentes. En effet, on peut toujours observer un désinvestisse- ment technique dans les phases finales de débitage. Un talon trop épais, un point d'impact mal défini, une mauvaise orientation du nucleus, plusieurs impacts pour détacher un seul enlèvement, voilà quelques-uns des problèmes que l'on peut rencontrer. Le nucleus présente un aspect que nous qualifierons alors de « laborieux ».

Les différentes possibilités que nous venons d'évoquer révèlent une hétérogénéité comportementale normale et attendue. En effet, il est impensable de retrouver telle ou telle pièce reproduite de manière strictement identique puisqu'il s'agit d'un processus dynamique, utilisé et pratiqué par différentes personnalités. Le matériel que nous étudions est une production humaine, expression de compétences et d'investissements variés. En conséquence, l'identification d'un schéma de taille ne peut résulter que de la prise en compte du plus grand nombre de pièces d'un même type, et surtout, de l'ensemble des produits prédéterminants et prédéterminés — sans distinction qualitative — ainsi que des nucleus.

• Aspect qualitatif

Les caractères morphotechniques des éclats prédéterminés résultant de l'utilisation d'une méthode Levallois récurrente varieront selon l'ordre et la direction des enlèvements les uns par rapport aux autres. Les éclats Levallois premiers seront de morphologie variée et les caractères techniques de leur face supérieure dépendront de la modalité adoptée pour créer cette surface, c'est-à-dire du mode d'initialisation du nucleus : enlèvement de préparation de direction centripète, cordale, unidirectionnelle ou encore opposée. Nous retrouverons de façon systématique des enlèvements Levallois seconds. Ces enlè-

Fig. 10 - Nucleus Levallois récurrent centripète provenant du site de Corbehem (Tuffreau A., 1979).

vements très caractéristiques présentent sur leur face supérieure un dernier négatif d'enlèvement plus envahissant que les autres, et correspondant au négatif de l'enlèvement Levallois premier (fig. 11), ces enlèvement Levallois pouvant être de direction identique (fig. 11 a), orthogonale (fig. 11 b), opposée (fig. 11 с), ou oblique (fig. 1 1 d) à l'éclat Levallois second. Les négatifs d'enlèvements antérieurs au négatif d'enlèvement Levallois correspondent aux enlèvements prédéterminants de préparation. Les enlèvements Levallois prédéterminés débités en troisième ou quatrième position peuvent posséder des caractères morphotechniques beaucoup plus variés, allant de l'enlèvement allongé avec une ou deux nervures parallèles à des enlèvements toujours allongés mais de morphologie asymétrique avec des négatifs de direction uni- ou pluridirection- nelle sur la face supérieure.

L'entretien des convexités entre chaque phase de série récurrente nécessite l'utilisation d'enlèvements dont l'axe de détachement est

sécant au plan d'intersection, à la différence des enlèvements prédéterminés. Ces enlèvements prédéterminants ont aussi pour rôle de régulariser la surface de débitage. Cette régularisation consiste à éliminer les nervures créées par l'intersection de deux enlèvements prédéterminés. Ces nervures, souvent proéminentes, constituent un pôle d'attraction, trop important pour l'onde fracture lors du détachement des enlèvements suivants. L'axe de débitage doit par ailleurs être systématiquement déjeté, il a pour fonction essentielle d'éviter que l'onde de fracture s'étende sur la surface en ne recréant pas de convexités, ou au contraire pour éviter un réfléchissement de l'enlèvement, les contre- bulbes latéraux à la nervure étant très proéminents. Un axe déjeté associé à un plan sécant est une des meilleures réponses à la mise en forme de convexités. L'enlèvement résultant de cette opération est le plus souvent une pointe pseudo- Levallois typique. Un débitage récurrent centripète peut fournir plus d'une dizaine de pointes pseudo- Levallois par nucleus. Ces pointes

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peuvent être de simples déchets de taille ou être volontairement recherchées. Il est alors très difficile de faire la différence. Mais il existe d'autres façons de remettre en forme des convexités, sans pour cela obtenir des pointes pseudo-Levallois. Selon la méthode utilisée, la panoplie d'enlèvements prédéterminés et prédéterminants variera. Variabilité interne.

Le débitage Levallois récurrent centripète possède une caractéristique supplémentaire qui lui est propre tant vis-à-vis des autres méthodes récurrentes Levallois que du débitage Discoïde. Cette caractéristique est souvent source de confusion alors qu'elle est au contraire l'un des principaux signes de reconnaissance de son utilisation. Un débitage récurrent a pour objectif d'obtenir une gamme de produits, chaque objet provenant d'une même série possède des caractéristiques morphotechniques distinctes. Le tailleur suivant les objectifs fonctionnels recherchés utilisera l'enlèvement prédéterminé ou prédéterminant qui lui conviendra le mieux. Ce libre choix peut se traduire par un arrêt prématuré de la séquence de débitage, une fois le produit obtenu. La surface de débitage du nucleus ne présentera pas alors les mêmes stigmates techniques que si elle avait été utilisée jusqu'au bout de ses capacités techniques. Dans le cas du débitage récurrent Levallois centripète cette constatation a des conséquences particulières. En effet, selon le stade d'arrêt du tailleur, la surface de débitage peut se présenter sous différents aspects et laisser croire que nous sommes en présence de plusieurs méthodes de débitage (fig. 12). Cette variabilité est due en grande partie au choix de l'emplacement de l'enlèvement Levallois second. Cet emplacement dépend essentiellement des capacités techniques que présente la surface de débitage, une fois le premier enlèvement obtenu.

Si la surface de débitage présente les meilleurs critères techniques pour le détachement d'un enlèvement Levallois second dans la même direction que le premier enlèvement, et si le débitage n'est pas poursuivi à la suite de cet enlèvement, la surface de débitage présentera alors les stigmates d'un débitage Levallois de méthode unipolaire (fig. 12-1). De la même façon, si l'enlèvement second

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Fig. 11 - Éclat Levallois second provenant du gisement de Corbehem. A, le dernier négatif d'enlèvement (latéral droit) correspond au premier enlèvement Levallois et est de même direction. B, le dernier négatif d'enlèvement (distal) correspond au premier enlèvement Levallois et est de direction orthogonale. C, le négatif d'enlèvement latéral gauche correspond au premier enlèvement Levallois, sa direction opposée a nécessité un réarrangement de la nouvelle convexité distale du nucleus ; ce réarrangement était nécessaire pour contrôler le détachement de l'éclat et atteste donc d'une prédétermination de cet enlèvement. D, le dernier négatif d'enlèvement (latéral droit) correspond au premier enlèvement Levallois, sa direction est oblique.

est débité à partir d'un plan de frappe opposé et si le débitage en reste là, la surface de débitage donnera l'illusion de l'utilisation d'un débitage Levallois de méthode bipolaire (fig. 12-2). L'illusion d'un débitage orthogonal peut tout aussi bien être produite par le détachement d'un enlèvement débité

lairement au premier (fig. 12-3, 12-4), de même que celui d'un débitage à éclat préférentiel, si cet enlèvement second est plus envahissant que prévu.

En revanche, si le débitage se poursuit au-delà du deuxième enlèvement, voire du troisième, nous

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Fig. 12 - Nucleus Levallois récurrent centripète de Frettes (Haute-Saône) (Huguenin G., 1988). Pris individuellement chaque nucleus est représentatif d'une méthode spécifique, mais lorsque nous les restituons dans un processus opératoire « récurrent centripète », chacun de ces nucleus représente un stade d'évolution possible inhérent à la conception Levallois récurrente centripète. Si cette variabilité n'était pas présente il ne s'agirait plus alors d'une méthode récurrente centripète.

retrouverons alors une surface de débitage avec des négatifs d'enlèvements envahissants de directions multiples (fig. 12-5).

Le débitage Levallois récurrent centripète présente donc une hétérogénéité de « méthodes » qui ne sont en réalité l'expression que d'une seule méthode. C'est parce qu'on utilise une méthode Levallois récurrente centripète que les nucleus, en fonction des opportunités techniques et du moment où l'on arrête le débitage, présenteront des caractères distincts. Ce qui n'est pas le cas des autres modes de débitage Levallois et du débitage Discoïde où, quels que soient les moments où l'on

s'arrête, la surface de débitage ne présente pas d'ambiguïté sur la méthode utilisée.

■ CONCLUSION

Les différences que nous avons observées entre les deux systèmes techniques : Discoïde et Levallois, révèlent donc de deux conceptions différentes du débitage suivant des règles techniques précises, chacune de ces conceptions permet de produire une panoplie spécifique de produits prédéterminés. La reconnaissance de l'utilisation de tel ou tel système technique de production lithique doit nécessairement passer par la détermination de ces règles.

Seule une lecture technologique, donc dynamique, permet de mettre en évidence l'élaboration théorique qui crée la cohérence du système. C'est l'existence même de cette cohérence qui rend impossible la confusion entre un système d'exploitation Discoïde et un système d'exploitation Levallois. La détermination d'un système technique ne peut plus être fondée sur l'approche typologique, dans la mesure où cette méthode prend en compte l'objet à un seul moment de la séquence opératoire le rendant sans relation avec ce qui le précède ou lui succède. Il s'agit alors d'un objet figé, hors contexte.

Nous avons cité, précédemment, l'exemple de nucleus, des pointes, pseudo-pointes, éclats et lames Levallois, qui, étudiés de façon isolée ne peuvent pas rendre compte de l'utilisation de telle ou telle conception du débitage. En revanche, la prise en compte de l'ensemble des éléments lithiques d'une industrie met clairement en évidence que ces différents produits sont le fruit de constructions techniques cohérentes, avec leurs règles et leurs objectifs. Les règles que nous avons définies reposent sur la mise en évidence de six critères techniques de base qui s'attachent à déterminer la conception volumé- trique aux dépens de laquelle s'adapteront des options de gestion différentes selon des objectifs spécifiques et multiples.

Le débitage Discoïde, loin d'être un ersatz du débitage Levallois, constitue une option de taille parmi d'autres. L'une des difficultés de la reconnaissance, à part entière, de ce mode de taille était en partie due à l'absence de critères capables de définir sa structure technique. De plus, il fut éclipsé par le débitage Levallois devenu omniprésent. Ce dernier devint la référence à un point tel que la détermination des modes de tailles était d'ordre binaire « Levallois or not Levallois » (Cope- land, 1981). Or, la détermination technique des industries lithiques du paléolithique moyen montre une richesse jusqu'ici insoupçonnée. Cette richesse porte tout aussi bien sur la variété de conception du débitage : Levallois, Discoïde, Trifacial, Hummalien (Boëda, 1991), que sur la variabilité des méthodes régies par chacune de ces conceptions. La technologie au Paléolithique moyen est une réalité, sachons la découvrir et mettre en avant sa diversité.

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Éric BOËDA Maître de Conférences,

Nanterre Paris X CNRS, ERA 28