le chapitre roumano-moldave

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L e s É t u d e s d u C E R I N° 116 - septembre 2005 Comment conjuguer l'élargissement de l'Union européenne et la sécurité de ses frontières ? Le chapitre roumano-moldave Odette Tomescu-Hatto Centre d'études et de recherches internationales Sciences Po

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L e s É t u d e s d u C E R I

N° 116 - septembre 2005

Comment conjuguer l'élargissement de l'Union européenne

et la sécurité de ses frontières ? Le chapitre roumano-moldave

Odette Tomescu-Hatto

Centre d'études et de recherches internationales

Sciences Po

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Les Etudes du CERI - n° 116 - septembre 2005

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Odette Tomescu-Hatto

Comment conjuguer l'élargissement de l'Union européenne et la sécurité de ses frontières ?

Le chapitre roumano-moldave Résumé L’élargissement de l’Union européenne en direction des pays de l’Europe centrale et orientale suscite des interrogations en ce qui concerne les nouvelles lignes de frontière tracées par Bruxelles entre les Etats membres et leurs futurs voisins. Quelles seront les conséquences de l’élargissement pour les relations roumano-moldaves et les implications de ces dernières sur la sécurité de la nouvelle frontière européenne et la stabilité de la région ? L’analyse, d’une part, de l’impact de l’application de l’acquis communautaire à la frontière roumano-moldave sur la république de Moldavie et sur les relations roumano-moldaves et, d’autre part, des limites de la nouvelle Politique européenne de voisinage par rapport à la Moldavie permet de décrire les difficultés que rencontre l’UE à conjuguer à la fois sécurité et intégration.

Odette Tomescu-Hatto

Reconciling Enlargement and Security on the EU New Borders. The Romanian- Moldavan Chapter

Abstract The enlargement of the EU to the Central and Eastern European countries raises interrogations concerning the new borders traced by Brussels between the Member States and their future neighbors. What is the impact of the EU enlargement on the Romanian-Moldovan relations and how might the cooperation between the two countries affect the security of the Eastern border of the EU? The analysis on the one hand of the impact of Romania’s preparations for EU membership on its relations with Moldova and the evaluation on the other hand of the limits and success of the European Neighborhood Policy towards Moldova, show that one of the main challenges for the EU will be to reconcile at the same time security and integration.

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Commentconjuguerl'élargissementdel'Unioneuropéenne

etlasécuritédesesfrontières?Lechapitreroumano-moldave

OdetteTomescu-HattoL’Europeadepuis toujoursétéconfrontéeauproblèmedeladéfinitiondesesfrontières.Lesdifférentsempiresquis’ysontsuccédé,delaRomeantiqueàl’Unionsoviétique(URSS),ontmontréquelesfrontièresdececontinentn’ontjamaispuêtreclairementfixées.Celaestsurtoutvraidesfrontièresorientales.Siàl’ouest,ausudetaunordlagéographieapermisd’établirdeslimitesphysiques,ilenestalléautrementàl’est.Etsil’Europeoccidentaleavuledéveloppementgradueld’Etats-nationscommelaFranceetlaGrande-Bretagne,l’Europecentrale et orientale est longtemps restée dominée par les empires Habsbourg, russe ouottoman.C’estlaPremièreGuerremondialequiamisfinàcesempiresavecladéfaitedesAustro-Hongrois et des Ottomans et le renversement du tsar en Russie. A partir de cemoment, la question des frontières orientales de l’Europe s’est posée avec plus d’acuité.Néanmoins, la fin de la Deuxième Guerre mondiale et l’irruption de l’URSS en Europecentrale ont, pendant quarante-cinq ans, imposé une frontière artificielle au cœur ducontinent européen et mis en suspens la question de ses limites orientales. La chute del’Empiresoviétiqueen1991aremisàl’ordredujourleproblèmedesfrontièresorientalesde l’Europe.Laquestionactuelleestdesavoir jusqu’oùpeuts’élargir l’Unioneuropéenne(UE) sansperdre sacohésioncommeensemblepolitique.Cette cohésion reposant suruncertaindegréd’homogénéitéculturelle,idéologiqueetéconomique,ilestdevenuimpératifpourlesmembresdel’UEdes’assurerdelaconformitédesnouveauxmembresauxnormesfondant cette homogénéité. Cette problématique s’impose avec force à l’un des payscandidatsàl’adhésionàl’UE:laRoumanie.

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Les relations entre la Roumanie et la Moldavie présentent certaines spécificités qui lesdifférencient des autres relations entre voisins de la région. Une majorité importante deMoldavespartageaveclesRoumainsunelangue,unecultureetunehistoire,maislesdeuxcommunautésviventdansdeuxEtatsséparés.Deplus, lesMoldavesroumanophonessontperçus en Roumanie comme une composante de la même nation. Une situation uniqueparmi les relationsdevoisinageetdecoopération transfrontalièresauxconfinsde l’UE,etdont lesambiguïtésontencoreétéaccentuéespar l’adhésionde laRoumanieà l’UEavecl’application de l’acquis communautaire à la frontière roumano-moldave. Liées par unehistoire commune, la Roumanie et la république de Moldavie se trouvent aujourd’huidevant un nouveau type de relation. La première sera bientôt partie intégrante desinstitutionseuropéennes,ladeuxièmeneseraqu’undesvoisinsdel’UEélargie.Entre2001et2004,laquestiondel’identitémoldave,toujoursnonrésolue,etlavenueaupouvoir des communistes ont provoqué plusieurs crises diplomatiques dans les relationsroumano-moldaves. Une tension qui a encore été accentuée par les nouvelles frontièrestracéesparBruxelles,quisemblentpousserlaMoldaviedanslecampdes«exclus».Celaaeudesrépercussionsnonseulementsurlesbonnesrelationsdevoisinage,maiségalementsur la sécurisation de la frontière orientale de l’UE. En effet, aux difficultés techniques etmatérielles sont venus s’ajouter des problèmes de communication au niveau des deuxgouvernements.Lapremièrepartiedenotreétude s’emploiera,d’unepart, àexpliquer l’évolutionde lapolitiqueétrangèremoldaveparrapportàlaRoumanieetàlaRussiedepuis1991et,d’autrepart,àanalyserl’évolutiondelapolitiqueétrangèreroumaineparrapportàlaMoldavieetàl’Unioneuropéenne,ainsiquel’impactdelapolitiquerussedanslarégion.Notreattentionse portera également sur le poids des organisations internationales sur le processusd’européanisation de la Roumanie et de la Moldavie. La seconde partie examinera etévaluera les nouveaux problèmes de sécurité auxquels l’UE sera confrontée après sonélargissementverslaRoumanie,etpasseraenrevuelesdiversmécanismesdesécurisationdes frontières mis en place par les Etats candidats. Elle étudiera également l’impact del’introductiondel’acquiscommunautaireàlafrontièreroumano-moldavesurlarépubliquedeMoldavieetsurlesrelationsentrelesdeuxpays,pourconclureparuneévaluationdeslimites et des succès de la nouvelle Politique européenne de voisinage (PEV) pour larépubliquedeMoldavie.Cetteétudeestlefruitd’untravaildeterrainetderecherchemenédepuisdeuxanssurlesrelations roumano-moldaves et sur les conséquences de l’élargissement de l’UE sur cesdernières.ElleestaussilerésultatdedeuxmissionsdeterrainconduitesenRoumanieetenMoldavie(étéethiver2004),aucoursdesquellesdessourcesprimaires(entretiensavecdesresponsables politiques et administratifs, articles de presse, documents officiels) etsecondaires(revues,ouvragesscientifiques)ontétéconsultées.Laprésenteétudeaenfinétéenrichieparunséjourà l’Institutd’étudesdesécuritéde l’Unioneuropéenneen tantquevisiting fellow en janvier-mars 2004, et par la participation, en tant qu’expert, au projeteuropéen«Moldova&Europe:BridgingtheGap»dirigéparl’Associationallemandepourl’EuropeduSud-Est.

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LESRELATIONSROUMANO-MOLDAVES:QUESTIONSIDENTITAIRESETPOLITIQUEETRANGERELecontextegéographiqueethistoriqueEnserréeentrelaRoumanieausud-ouestetl’Ukraineaunord-est,longéeàl’ouestparlePrutettraverséeparleDniestr,laMoldavietémoigned’uneexpériencehistoriquecomplexemarquée par une diversité ethnique importante: 76,1% de Moldaves, 5,8% de Russes,8,4%d’Ukrainiens,4,4%deGagaouzeset1,9%deBulgares1.Issuede laprincipautédeMoldavie (fondéeau IVesiècle),envahiepar l’EmpireottomanauXVesiècle, lapartieorientaledecetteprincipauté, renommée «Bessarabie», estpasséesousdominationrusseen1812avantd’êtreréintégréeà laRoumanieen1918.Objetdesdiscordes roumano-soviétiques pendant la période de l’entre-deux-guerres, la Moldaviepassera sous tutelle soviétique à la suite du pacte Ribbentrop-Molotov du 23août 1939entrel’URSSetl’Allemagnenazie.Le 2août 1940, l’URSS procède à une modification de frontières: la RépubliquesoviétiquesocialistedeMoldavieestcréée.Lesdépartementsdunord(HotinetleterritoiredeHerta)etdusud(IsmailetCetateaAlba)delaBessarabiesontrattachésàl’Ukrainealorsqu’une partie de la République autonome soviétique socialiste moldave (l’actuelleTransnistrie) est rajoutée à la nouvelle République. Leur engagement fidèle auprès desAllemandspermettraauxRoumainsdereprendrelaBessarabieetlaBucovineàl’URSSdèsjuin1941. Le mois d’août 1944 a toutefois marqué pour la Roumanie la rupture del’allianceavecl’Allemagneetl’engagementauxcôtésdesSoviétiques.L’armisticesignéparlaRoumanie le23août1944 lui a faitperdreànouveau laBessarabieet laBucovineduNord,renduesàl’URSS2.UneréannexionconfirméeparletraitédeParisdejanvier1947.Ainsi, née de l’effondrement successif des Empires ottoman et russe et des partagesterritoriauxentrelaRoumanieetl’URSS,larépubliquedeMoldavieatoujoursétéunpaysenquêted’identitécherchantàconjugueràlafoissonappartenanceàl’Europeetàl’ancienespacesoviétique3.Lemanqued’unitéde laMoldavieaune foisdeplusétémisen lumière en juin1990lorsqueleSovietsuprêmedeMoldavieaadoptéladéclarationsurlasouveraineté,suivie,le2septembredelamêmeannée,parlaproclamationdelaRépubliqueautonomemoldavedeTransnistrieparlesTransnistriens.SileSovietsuprêmedeMoldavien’apasreconnucetacte, il n’a rien pu faire pour rétablir sa souveraineté sur cette région. Sur la route versl’indépendance,laMoldavieaperdulecontrôlesurlaTransnistrie.

1Lorsdurecensementd’octobre2004,surunepopulationde3388000habitants,76,1%sesontdéclarésMoldaves.Anoterqueparmiles76%depersonness’étantidentifiéesentantqueMoldaves,seuls12%seraientrussophones.Recensementdisponiblesurlesitewww.moldova.net

2CatherineDurandin,HistoiredesRoumains,Paris,Fayard,1995,pp.358-359.

3YannBréault,PierreJolicœuretJacquesLévesque,LaRussieetsonex-empire.Reconfigurationgéopolitiquedel’ancienespacesoviétique,Paris,PressesdeSciencesPo,2003,p.137.

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LeséparatismedelaTransnistrieetlanaissanced’unEtatmoldavefaibleDès1991,laMoldavieaaffichédeplusenplusclairementsonintentiondeseséparerdel’URSS.Ainsi,ellearefusédeparticiperauréférendumsurl’avenirdelafédérationorganiséenmarsparGorbatchev,etretirélesmots«socialiste»et«soviétique»desonnomofficiel.C’est le 27août 1991 que le Parlement a prononcé la déclaration d’indépendance.Cettedéclaration, qui condamne, entre autres, le pacteMolotov-Ribbentrop, sera perçue par lapartie transnistrienne, majoritairement russophone, comme les premiers pas vers uneréunificationavec laRoumanie.Cetteperceptionnégativede lasouverainetémoldaveparlesTransnistriensafavorisélamontéeenpuissanced’unethnonationalismedanslarégionetconduitlepaysverslaguerrecivile.Les premières tensions entre les roumanophones et les russophones sont apparues endécembre 1991 à Dubasari (Transnistrie), alors qu’un référendum local reconduisait IgorSmirnov,unanciendirecteurd’usineprocheduKremlin,commeprésident.Enmars1992,leshostilitésreprenaientdeplusbelleàDubasariets’étendaientàd’autreslocalités.Danslanuit du 20 au 21juin 1992, la 14earmée russe, sous la direction du général AlexandreLebed, est intervenue directement dans le conflit pour reprendre la ville russophone deBendery.ContraintdeseplierauxordresdeMoscou,leprésidentmoldaveMirceaSnegursignait le 21juillet 1992 un accord avec Eltsine. L’entente russo-moldave prévoyait ledéploiementdeforcesdemaintiendelapaixcomposéesdebataillonsrusses,moldavesettransnistriens et octroyait à la Transnistrie un statut spécial en lui reconnaissant le droit àl’autodétermination dans le cas d’une réunification de la Moldavie avec la Roumanie.L’accord Snegur-Eltsine consacrait la victoire militaire de Tiraspol, puisque la Transnistriegagnait la protection nécessaire au renforcement de ses structures étatiques tout encontinuantàfonctionnerentantqu’Etatdefacto.IlestànoterquelaTransnistrien’ajamaisété reconnue officiellement par les autres Etats ni par la communauté internationale etqu’ellen’aaucunstatutjuridiqueauniveaumondial4.Le sécessionnisme de la Transnistrie a affaibli économiquement et politiquement laMoldavieenrendantdifficilelaconstructiond’unEtatviable.Alafindel’année1990,95%des entreprisesmoldaves étaientencorecontrôlées directementparMoscou etunepartieimportante d’entre elles se trouvaient en Transnistrie. Alors que la région séparatiste nereprésentaitqu’unsixièmeduterritoiremoldaveet17%desapopulationtotale,33%desbiens industriels, 56% des biens de consommation et 87,5% de l’électricité de larépubliqueyétaientproduits5.LaséparationdelaTransnistrieprivaitdonclaMoldaviedesoncœuréconomique.Lasituationpolitiques’estencorecompliquéeaprèsleconflit.EnperdantlecontrôlesurunepartiedesonterritoireàlasuitedelasécessiondelaTransnistrie,laMoldaviesemblaitafficher au début de l’année 1992 le profil d’un Etat faible: opposition entre les forcesunionistesetlesforcesséparatistes;faiblepouvoirinstitutionnel,difficultéàdistribueràla

4Pourunedéfinitiondes«defactoStates»,voirDovLynch,EngagingEurasia’sSeparatistStates,UnresolvedConflictsandDeFactoStates,Washington,UnitedStatesInstituteofPeacePress,2004,pp.15-16.

5YanBréault,PierreJolicœuretJacquesLévesque,LaRussieetsonex-empire…,op.cit.,p.143.

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population des biens publics élémentaires et impossibilité d’assurer le respect de sasouverainetésurlatotalitédesonterritoire6.LarépubliquemoldavedeTransnistriepèsesurlaviabilitédelaMoldavieentantqu’Etatet freinesadémocratisation.Ainsi,tandisquelaMoldavie essayait tant bien que mal d’avancer sur la route de la démocratisation, laTransnistrie devenait peu à peu, sous la poigne autoritaire du président Smirnov, un des«microcosmesderéseauxmafieux»répandusdansl’ex-URSS.EntreBucarestetMoscou:lapolitiqueétrangèremoldaveàl’épreuvedelaconstructionnationaleLafragilitéinternedelaMoldavie,leseffortsdeconstructiond’unEtat-nationviableetlavolonté de trouver une solution au conflit en Transnistrie constituent les principauxparamètresquiontinfluésurlaformulationdelapolitiqueétrangèremoldaveàl’égarddelaRussie,delaRoumanieetdumondeoccidentalengénéral.Aprèsavoirgagnésonindépendance,laMoldavies’estretrouvéediviséeentroisclivagesidentitaires/politiques:lesnationalistes(leFrontpopulaire),quidéfendaientlaréunificationaveclaRoumanie,lagauche(lesanciensnostalgiquesdel’URSS),quidésiraitserapprocherde la Russie et le centre, qui souhaitait préserver l’indépendance de laMoldavie en tantqu’Etatunitairedistinct.Cependant,l’existencededeuxrépubliquessécessionnistesdanslesudet à l’estde laMoldavie (laTransnistrieet laGagaouzie) et l’incertaineconfigurationterritorialedel’Etatmoldaveontobligélesdirigeantspolitiquesàclarifierleurdéfinitiondel’identiténationale.Aprèsavoiroscilléentrel’adoptiond’uneidentitéroumaineenrelationavec laRoumanieetd’une identitémoldaveenrelationavec laRussie, ilsont finalementoptépourlaconstructiond’uneidentitémoldavedistincte7.AprèslasortiedelaMoldaviedublocsoviétique,laréunificationaveclaRoumanieétaitloin de faire l’unanimité, et ce autant au sein des élites politiques moldaves que de lasociété. Avant même que la Moldavie ne se détache de l’URSS, l’influence du Frontpopulaire avait commencé à diminuer. Une partie des intellectuels moldaves qui avaientsoutenu la réunificationpendant lesannées1980ontchangéd’idéeaprès l’indépendancemoldave.L’indépendanceacoïncidéaveclanaissanced’unenouvelleélitemoldavequinedésirait pas nécessairement voir ses intérêts remis en cause par une réunification avec laRoumanie. D’ailleurs, en février 1991, lors de sa visite officielle à Bucarest, le présidentmoldaveMirceaSnegur,quiavaitlui-mêmehésitéentrepan-roumanismeetmoldovénisme,soutint devant les deux chambres du Parlement roumain le principe d’«un peuple, deuxEtats»,quisignifiait,implicitement,lacréationd’unEtatmoldaveindépendantetsouverain.

6 Pour une définition des Etats faibles, voir Joel Migdal, Strong Societies and Weak States: State-SocietyRelations andStateCapabilities in theThirdWorldStates, Princeton,NJ,PrincetonUniversityPress, 1988, etRobertI.Rotberg,«ThenewnatureofNation-Statefailure»,WashingtonQuaterly,25(3),2002.

7CristianUrse,«MoldovabetweenRussiaandRomania:recentevolutionandperspectives»,communicationà la 8e convention annuelle de l’Association for the Study of Nationalities, Harriman Institute, ColumbiaUniversity,NewYork,avril2003.

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Enoutre, laRoumanie,quiavait trèspeuàoffrir,étaitperçuecommeincapabled’intégreréconomiquement la république de Moldavie. Les inquiétudes des minorités russophonesavaient également pesé, car une éventuelle réunification aurait certainement aggravé lestensions ethniques en Moldavie8. Enfin, la réunification semblait davantage une questiond’élites roumanophones et urbaines: d’après un sondage effectué en 1992, 87% despopulations rurales se reconnaissaient dans une identité «moldave» plutôt que«roumaine»9.La question de la construction d’un Etat indépendant semblait donc autant celle de laclassepolitiquequed’unegrandemajoritédelapopulation.Lapolitiqueétrangèremoldaveà l’égard de la Roumanie a donc été façonnée de manière à écarter toute possibilité deréunification.Ainsi,en1992,lorsquelaRoumanieaavancéunprojetdetraitébilatéralavecla Moldavie –le «Traité de fraternité et d’intégration» –, le Premier ministre moldaveMircea Druc a suggéré plutôt la ratification d’un simple «Traité de fraternité et decoopération»,soucieuxd’éviterlepluspossiblelemot«intégration».A partir de 1992, le projet politique et la stratégie identitaire de Mircea Snegur ontconsistéàconvaincre lapopulationdesavantagesde laconstructiond’unenationetd’unEtatmoldavesindépendants.Al’approchedesélectionsparlementairesdu27février1994,Snegur a ainsi orchestré, avec l’aide de l’Alliance civique moldave (une organisationfortement opposée aux forces unionistes), une conférence intitulée «Notre maison: larépubliquedeMoldavie».Acetteoccasion,leprésidentmoldaveaplaidépourl’existencededifférencesclairesentrel’identitéroumaineetl’identitémoldaveetpourl’instaurationde«relations spéciales» avec Bucarest, en spécifiant clairement que la Roumanie et laMoldavieétaientdeuxEtatsindépendantsetquelaquestiondelaréunificationn’étaitpasàl’ordre du jour. Toutefois, afin de ne pas trop contrarier les pan-roumanistes, le«moldovénisme»deSnegurn’apasniélefaitqueleslanguesmoldaveetroumaineétaientidentiques; celui-ci a fait référence à une «moldavité» entendue dans le sens civiqued’inclusion de toutes les populations habitant le territoire de la Moldavie, y compris lapopulation russophone qui, selon cette définition, ne devait pas se sentir exclue10. Laconstructiond’uneidentitécitoyenne«moldave»permettaitàSnegurd’espérertrouverunesolution au démembrement territorial de la Moldavie tout en augmentant son capitalpolitiqueenseprésentantcommeledéfenseurdel’intégritéetdelasouverainetédel’Etatmoldave.Ensoutenantle«moldovénisme»commelignedirectricedel’identiténationale,Sneguraaidé le Parti démocrate agrarien –formation politique en faveur de l’indépendanceculturelle de laMoldavie – à gagner les élections parlementaires de 1994.Une semaineaprèslescrutin,lesdécisionsenmatièredepolitiqueidentitairedunouveaugouvernement

8 Pal Kolsto, Andrei Edemsky et Natalya Kalashnikova, «The Dniestr conflict : between irredentism andseparatism»,Europe-AsiaStudies,45(6),1993.

9WilliamCrowther,«ThepoliticsofethnicconfrontationsinMoldova»,communicationprésentéeaucentredeconférenceWoodrowWilsonsurlethème«Highconflict/lowconflict:sixcasestudies»,Washington,DC,28-30juin1993.Sondageconduitaudébutdel’année1992.

10WimVanMeurs, «LaMoldavie anteportas: les agendas européensdegestiondes conflits et l’initiative“Europeélargie”»,LaRevueinternationaleetstratégique,n°54,été2004.

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furent «légitimées» par une enquête sociologique (La sfat cu poporul) faisant ressortir unfort désir d’indépendance de la part des Moldaves: 90% des personnes interrogées s’yétaientprononcéesenfaveurd’unEtatmoldaveindépendant.L’année1994amarquélepremierchangement importantenmatièred’orientationde lapolitiqueétrangèremoldaveà l’égardde laRoumanie. LanouvelleConstitutionmoldave,adoptéele29juillet1994,stipulaitque«larépubliquedeMoldavieestunEtatsouverain,indépendant, unitaire et indivisible» (article1.1) et que «la langue traditionnelle de larépublique est la langue moldave et [que] son écriture est basée sur l’alphabet latin»(article1.3).LaConstitutionmoldavefaisaitdoncréférenceàlalanguemoldaveetnonàlalangue roumaine. A la suite de manifestations d’étudiants et d’intellectuels, le présidentSnegura finiparaccepter le faitque le«nomscientifique»de la languemoldaveétait leroumainetquelaConstitutiondevaitêtrechangéeenconséquence.Pendant que les autorités de Chisinau œuvraient à la création d’une identité moldavedistinctede l’identité roumaine, les réformeséconomiquesetpolitiquesétaient laisséesdecôté. La coexistence defacto avec un Etat «voyou» (la Transnistrie), en rendantextrêmement difficile la mise en œuvre de stratégies de transition pour la Moldavie11, apoussélesleaderspolitiquesmoldavesàsetournerverslaRussie.LeurespoirétaitquecettedernièreproposeraitunesolutionauconflitenTransnistrieetaideraitleurpaysàsurmontersesdifficultéséconomiques.Sicettedépendancefaceaumondepost-soviétiqueconvenaitàMoscou,quitrouvaitainsiun terrain libre pour pratiquer la doctrine de l’«étranger proche» en Moldavie, elledéplaisaitàBucarest,quivoyaitsoninfluenceculturellesurlaMoldavieremiseencauseparla permanence du «facteur russe». En 1993, Eltsine avait, à plusieurs reprises, tenté deconvaincre laMoldaviede ratifier le traitéd’Alma-Ataen soulignantque lanon-adhésionaux programmes de la Communauté des Etats indépendants (CEI) pourrait entraîner desrestrictionscommercialessévères.BienquemembredelaCEIdepuisle21décembre1991,leParlementmoldave,dominéparleFrontpopulaire,n’apasacceptéletextedeTachkentsur la sécurité militaire au sein de la CEI (mai1992), ni celui sur l’intégration monétaro-économique (janvier 1993). Malgré l’avis favorable de Snegur, les pan-roumanistes ontbloqué la ratificationdu traitéd’Alma-Atapar leParlementen1993. Il faudraattendre finavril1994,etunenouvellechambreàmajoritéPartidémocrateagraire/Partisocialiste,pourque le traité soit enfin ratifié12. Etant donné le rapprochement de la Roumanie avec lesinstitutions occidentales du fait de son statut de membre du Conseil de l’Europe, laratification de l’adhésion à la CEI a été vue par de nombreux parlementaires unionistescomme représentant un choix entre l’Est et l’Ouest, et surtout comme la légitimation despouvoirsexpansionnistesdelaRussiedanslarégion13.A la finde l’année1994, larépubliquedeMoldaviesemblaitdeplusenplusdécidéeàréintégrerlasphèred’influencerusseaudétrimentdesesrelationsaveclaRoumanie.Mêmesi, en 1995, «l’importance de la coopération multilatérale avec la Roumanie» étaitsoulignée au niveau officiel à Chisinau et qu’un document officiel, le Concept de la

11Ibid.

12AlainRuzé,LaMoldovaentrelaRoumanieetlaRussie,Paris,l’Harmattan,1997,p.162.

13CharlesKing,«Moldovanidentityandthepoliticsofpan-romanianism»,SlavicReview,53(2),1994.

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politique étrangère du gouvernement moldave, stipulait «qu’une attention spéciale étaitaccordée à la coopération avec la Roumanie afin de contrecarrer la dépendanceéconomiqueunilatéralede laMoldavievis-à-visde laRussieetde laCEIetde s’intégrerdanslaCommunautéeuropéenne»,ledialoguepolitiqueentrelesdeuxpaysétaitenréalitépeustructuréetpeucohérent14.Petru Lucinschi, successeur de Snegur et ancien secrétaire du comité central du PCUSsous Mikhail Gorbatchev, a, quant à lui, orienté davantage et de manière très subtile lapolitiqueétrangèredelaMoldavieendirectiondelaRussieenaffirmantque«lesrelationsaveclafédérationrusseconstituaientuneprioritépourlaMoldavieetqu’ellesdevraientsedévelopper considérablement».Cependant, afin demaintenir des relations cordiales avecBucarest,Lucinschiaréservésapremièrevisiteprésidentielleàl’étrangeràlaRoumanie.Derrière la politique étrangère multidimensionnelle de Lucinschi se cachaientd’importants intérêts économiques et politiques. Arrivé au pouvoir avec un ambitieuxprogrammede réformes économiques, Lucinschi s’est rapidement trouvé confronté à unecrise sévère: en1998, la dette de laMoldavie envers le fournisseur russe de gaz naturelGazprom s’élevait à 90millions de dollars. Pour faire face à la crise énergétique, leprésidentLucinschis’esttournéverslaRoumanie–paysauquellaMoldaviedevaitàlafindel’année2000quelque27millionsdollars15.Pendantlapremièremoitiédel’année1998,plusde80%desproduitsmoldavesexportésl’ontétéverslaRussie(62%),l’UkraineetlaRoumanie.Ladépendancede laMoldavieà l’égardde laRussie l’aplacéeaucœurde latourmente lors de la crise économique qui a touché cette dernière. Les exportationsmoldavesendirectiondelaRussieetdelaCEIontchuté,cequiaforcéChisinauàménagersesliensaveclaRoumanie.A la fin de l’année 1999, même si l’idée de la réunification avait été abandonnée enraisondesonimpopularité,lesrelationsaveclaRoumanieontcontinuéàêtretraitéesavecprécaution,de façonànepaséveiller lesespritsunionistes, etaucuntraitéouaccordquiaurait pu laisser entendre que la Roumanie entretenait des relations privilégiées avec laMoldavien’aétésigné16.En1997,l’ancienprésidentMirceaSneguravaitavancél’idéed’untraitéquifavoriseraitl’intégrationculturelleetéconomiqueàlaRoumanie,maisLucinschiarefusé d’adopter une position pro-roumaine, et cette proposition de traité a été suivie en1999 par une tentative de compromis: la Moldavie devait accepter l’idée de «culture,civilisation et langue communes» et la Roumanie les références à l’inviolabilité de lafrontièrecommune.Lapartieroumaine,représentéeparleministredesAffairesétrangères,ainsisté pour que le traité soit signé en avril 2000, mais celui-ci n’a finalement jamais étératifié.

14LilianaVitu,ForeignAffairsof theRepublicofMoldova:DoesMoldova’sEasternOrientation Inhibit itsEuropeanIntegration?,Chisinau,Institutdespolitiquespubliques,avril2004,disponiblesurlesitewww.ipp.md

15PaulQuinlan,«MoldovaunderLucinschi»,Demokratizatsiya,Washington,DC,10(1),2002.

16LeFrontpopulairechrétien-démocrateetsonleader(IurieRosca)soutenaientsporadiquementlanécessitéd’uneréintégrationàlaRoumanie.

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LapolitiqueétrangèredeVladimirVoronin:dela«russification»àl’européanisationL’année2001amarquéunnouveautournantdanslapolitiqueétrangèredelaMoldavieàl’égardde laRussieetde laRoumanie.LeParticommunistemoldaveaétééluen février2001surunprogrammeélectoralquiprévoyaitl’entréedelaMoldaviedansl’EtatunifiédeRussie-Biélorussie(URB).Cettestructurequi,commelesouligneJacquesLévesque,exerçaitunpouvoirspirituelsurlesnostalgiquesdel’URSS,permettaitd’espéreruneaméliorationdelasituationéconomiquemoldaveparlamultiplicationdeséchangescommerciauxaveclespaysde laCEI17, le rapprochementavec laRussiese faisantégalementpar laconstructiond’un Etat et d’une nationmoldaves distincts qui comporteraientmoins de références à laculture roumaine. En réalité, tout comme ses prédécesseurs, Voronin espérait qu’unrenforcement des relations russo-moldaves débouche sur une solution au conflit enTransnistrie. Mais l’environnement international a aussi beaucoup compté dans laformulationdelapolitiqueétrangèremoldave.Acetteépoque,laMoldaviesetrouvaitdansun grand isolement international: elle ne constituait pas une priorité pour l’UE, encoremoinspour l’Otan,et l’Organisationpour la coopérationet la sécurité enEurope (OSCE)avait échoué plusieurs fois dans ses tentatives pour trouver une solution au conflit enTransnistrie.LaseuleoptionpossiblepourVoroninétaitdeconvaincrelaRussiederetirersestroupesetsonarsenalmilitairedeMoldavieetd’aideraurèglementduconflit.Ainsi,pendantque laRoumaniemaintenait sondiscours sur les «relationsprivilégiées»avec son voisin moldave, le président Voronin se déclarait, encore plus que Lucinschi,ouvertementenfaveurd’uneétroitecoopérationaveclaRussieetlaCEI,affirmantqu’«onne doit pas chercher notre bonheur ailleurs si l'on peut résoudre nos problèmes dans lecadre de la CEI». Le 18novembre 2001, il négociait et signait un traité d’amitié et decoopérationaveclaRussiegarantissantunstatutspécialàlalanguerusse;début2002,àlasuite d’un changementmajeur dans les programmes scolaires, les matières «Histoire desRoumains» et «Langue et littérature roumaines» étaient remplacées par «Histoire desMoldaves»et «Langueet littératuremoldaves».Parallèlement, lesdirigeantscommunistesavaientengagéunepolitiqueagressiveàl’égarddelaRoumanie,l’accusantd’impérialismecultureletd’interférencedanslesaffairesinternesdelaMoldavie.MoscouavaitaccueilliavecsympathielesmesureslinguistiquesentreprisesparVoronin.Cederniera toutefoisdû les reconsidérer,voire lesannulerà lasuitedesprotestationsdel’opposition(représentéesurtoutparlePartipopulairechrétien-démocrate,lePPCD)etdesrecommandations du Conseil de l’Europe. Les politiques culturelles et linguistiquesengagées par le gouvernement de Chisinau en 2001 ont marqué le début du conflitdiplomatique roumano-moldave, et elles expliquent la régression de la coopérationéconomiqueentrelesdeuxEtats.Pour le gouvernement de Chisinau, coopérer dans le domaine économique avec laRoumaniesignifiaitaffaiblirsasouveraineté.Eneffet,leschiffresdeséchangesaveclespaysdelaCEIattestentunedépendanceetunepréférencefortesde larépubliquedeMoldavieenvers les marchés post-soviétiques. En 2001, 61%des exportations ont été réalisées en

17YanBréault,PierreJolicœuretJacquesLévesque,LaRussieetsonex-empire…,op.cit.

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direction des pays de laCEI, contre 59% en 2000 et 55% en 1999.Ces chiffres sont àcompareravecladiminutionduvolumedeséchangescommerciauxentrelaRoumanieetlaMoldavie,quireprésentaient101millionsdollarsen2000,59,47millionsen2002et53,1millionsen200318.Enoutre,l’aidefinancièreaccordéeparlaRoumanieparl’entremiseduFonds spécial pour la république de Moldavie était également perçue par les Moldavescomme une forme d’expansionnisme. D’après le Premier ministre Tarlev, «les autoritésroumainesn’avaientpasconsultélesleadersdeChisinauàproposdel’utilisationduFondsspécial»19.Entre2001et2003,Chisinauavaitengagéàl’égarddeBucarestunepolitiqueétrangèreconflictuellecenséefairecomprendreauxRoumainslanouvelleidentitédel’Etatmoldave.CetteidentitésignifiaitunrapprochementaveclaRussieetunéloignementdelaRoumanie.A la finde l’année2003, lasignatureduTraitépolitiquedebaseétaitdevenue l’apanagedesdirigeantspolitiquesmoldaves,quicherchaientpartouslesmoyensàtrouveruncadrelégalpermettantdedifférencier la républiquedeMoldaviede laRoumanie,«un traitéparlequel serait reconnue l’identité nationale des Moldaves et qui assurerait l’égalité de cessujetsdedroitinternational:laRoumanieetlarépubliquedeMoldavie»20.Le31décembre2003,VoroninparlaitdelaRoumaniecommedu«seulempireenEuropeconstituéparlaMoldavie,laDobroudjaetlaTransylvanie»,enajoutantqu’ilferaitappelàlacommunautéinternationales’ilnepouvaitpaséchapperaux«frèresd’au-delàduPrut».Cependant,entre2002et2004,certainsdéterminantsextérieursetintérieursontentraînéunchangementd’orientationdelapolitiqueétrangèremoldaveàl’égarddelaRussieetdelaRoumanie.Premièrement,malgrél’évidentpenchantprorussemanifestéparlapolitiqueétrangère moldave, l’émergence de l’UE comme priorité de cette dernière en 2002 adémontrélecaractèreimprévisibledel’administrationVoronin.Apartirdenovembre2002,uneCommissionnationalepourl’intégrationeuropéenneaétécréée,suivieparlamisesurpied,enaoût2003,auseinduministèremoldavedesAffairesétrangères,d’undépartementpourl’intégrationeuropéenne,puisparl’élaboration,enoctobredelamêmeannée,d’unepolitiquequidévoilait la«Conceptionpour l’intégrationeuropéennede laMoldavie».Cerapprochement avec l’UE coïncidait avec le désir de la société moldave d’affirmer son«européanité»:en2004,66%desMoldavessoutenaientl’adhésionde leurpaysàl’UE21et lescommunistesnepouvaientpasprendre le risquedenepas introduire l’Europedansleurdiscoursdepolitiqueétrangère.Deuxièmement, le refusdeVladimirVoroninde fédéraliser la républiquedeMoldavie,commelaRussiel’avaitproposéavecleMemorandumKozak,le17novembre2003,pourtrouver une solution au conflit en Transnistrie, a envenimé les relations avec Moscou et 18MinistèreroumaindesAffairesétrangères,LaDynamiquedeséchangescommerciauxroumano-moldaves,février2005,àconsultersurlesitewww.mae.ro

19 Iulian Chifu, Republica Moldova, Alunecarea anti-democratica a guvernarii galagioase, Centre pour lapréventiondesconflits,Iasi,2004(CD-ROM).

20EntretienaccordéparlereprésentantdelarépubliquedeMoldavieauConseildel’Europe,AlexeiTulbure,aujournalMoldovaSuverna,le19novembre2003.

21InstitutdespolitiquespubliquesdeChisinau,Baromètredel’opinionpublique,novembre2004,àconsultersurlesitewww.ipp.md

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poussé laMoldavie à regarder vers l’Ouest (y compris vers la Roumanie) pour régler sesproblèmespolitiquesetéconomiques.A la recherched’unnouveaupositionnemententre l’Est et l’Ouest, lorsduSommetdespaysde l’Europecentraleetorientaledes27et28mai2004àMamaia, enRoumanie, legouvernement du président Voronin plaidera en faveur d’un réchauffement des relationsroumano-moldaves, remerciant son homologue roumain Ion Iliescu d’avoir accepté derééchelonnerladettedelarépubliquedeMoldavieenverslaRoumaniesurunepériodedehuitans,etsoutenulaMoldavieenvuedel’obtentiondustatutd’observateurdanslecadreduPCESE (Processusdecoopérationde l’EuropeduSud-Est).Pourconfirmer l’apaisementdu conflit diplomatique entre les deux gouvernements, le ministre moldave des AffairesétrangèresAndreiStratanserendraàBucarestle22novembre2004pouraborderdessujetssensibles,telsquelasignatured’untraitépolitique,etdiscuterdesprocéduresd’impositiond’unvisapourlarépubliquedeMoldavie22.Lapolitiqueétrangèreroumaineàl’égarddelarépubliquedeMoldavie:entretentationunionisteetcontraintesinternationalesLapertedelaBessarabieconsacréeparlepactegermano-soviétiquede1939avaitsignifiépourlesRoumainslamutilationdeleurterritoire,unecicatricedel’histoirejamaisvraimentcicatrisée.Toutefois,aprèslarévolutiondedécembre1989,laRoumanien’apasprocédéàune réunification rapide avec la Moldavie. Il faut préciser que le contexte intérieur etextérieurnefavorisaitpasvraimentuntelprocessus.Aprèsquarante-cinqansdedictature,laRoumanieaplutôtcherchéàdéfinirsaplaceetsesobjectifsdanslesystèmeinternationalenaffichant sa confiance face à l’Occident et saméfiance à l’égard de l’URSS,même si lesdirigeantsroumainsonttenucomptedecettedernièredanslaformulationdeleurpolitiqueétrangère au début des années 1990. Le nouveau gouvernement roumain, dominé par leFront du salut national (FSN) et son leader Ion Iliescu, ancien apparatchik et compagnond’étudesdeGorbatchev,asouhaitéménageretmaintenirdesliensfortsavecl’URSS.Cequiexplique que le sujet d’une éventuelle réintégration de la Bessarabie à la Roumanie n’aitjamais été abordé dans les discussions roumano-soviétiques de l’époque. Pourtant, lerapprochementroumano-moldaveestsurvenugrâceàl’URSS,àlasuitedesdiscussionsquisesonttenuesàBucarestquelquesjoursaprèslachutedeCeausescu,enjanvier1990,entreleministresoviétiquedesAffairesétrangèresEdouardShevarnadzeetIonIliescuausujetdela réaffirmationdes frontièresentre l’URSS et laRoumanieetde l’ouverturedenouveauxpointsdepassagesurlePrut.Lapossibilitédemieuxcommuniquerd’uncôtéetdel’autredelafrontièreetledéveloppementrapidedesrelationséconomiquesetpolitiquesontainsipermisauxRoumainsetauxMoldavesdeseredécouvrirmutuellement.Le6mai1990,unemanifestationimportante–«LePontdesFleurs»(PoduldeFlori)–aeulieulelongduPrut.Acetteoccasion,lesMoldavesetlesRoumainsontfranchilarivièrepourvoirdesmembresde leurs familles longtempsséparéspar la frontière internationale.

22MinistèreroumaindesAffairesétrangères,dossierdepressedu22novembre2005,àconsultersurlesitewww.mae.ro

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DesONGroumainesouroumano-moldavesdestinéesàpromouvoir les relationsentre lesdeuxpays,commele«Comiténationald’actionBucarest-Chisinau»,«PourlaBessarabieetlaBucovine»ou«Sans-frontières»,ontfaitleurapparitiondèsledébutde1990.UnFondsspécialpourlarépubliquedeMoldavieaégalementétécrééparlegouvernementroumainau début des années 1990. Ce fonds était destiné à soutenir des activités culturelles etéconomiques et aider au développement de certaines ONG moldaves engagées dans ladéfensedelalangueetdelacultureroumaines23.C’est dans cette ambiance survoltée de la fin de la guerre froide que les décideursroumainsontcommencéàdévelopperunfortsentimentunioniste,sentimentquirépondaiten quelque sorte au discours ultranationaliste et populiste tenu par les élites politico-intellectuelles au début des années 1990 et qui mettait en avant l’unité nationale de laRoumanie24.Lorsdescélébrationsde la fêtenationaledu1erdécembre1990, leprésidentIliescu dénonçait «le pacte Ribbentrop-Molotov et les injustices commises contre laRoumanie par l’histoire». Quelques mois plus tard, le ministre roumain des Affairesétrangères Adrian Nastase parlait d’une éventuelle «confédération économique» avec laMoldavie,ainsiqued’uneéventuelleréunificationbaséesurlemodèleallemand25.La Roumanie fut le premier Etat à reconnaître l’indépendance de la république deMoldavie le 27août 1991. Dans l’euphorie des retrouvailles roumano-moldaves, legouvernementroumaindécidaitd’accorderlacitoyennetéroumaineàtouslesMoldavesquipourraient prouver que leurs parents étaient nés dans une ville ou un village ayantappartenuà laRoumanie jusqu’au28juin1940.Sicettepolitiquede lacitoyennetéapuêtreinterprétéecommeune«réunificationparlebas»,ledésirdelaRoumanied’intégrerlarépubliquedeMoldavien’ajamaisétéclairementexprimé.Le rapprochement entre Bucarest et Chisinau s’est encore renforcé au printemps 1992,lorsque la Roumanie a accordé son soutien au gouvernement moldave et dénoncé lesinterventionsdela14earméerussedanslesvillagesmoldaves.BucarestaacceptédefournirdesarmesconventionnellesetuneassistancemilitaireàlaMoldaviepourquecettedernièrepuisse moderniser son armée, sans toutefois interférer dans le conflit en Transnistrie –Moscouavait fixéà l’avance ses limites enprévenant «qu’enquelquesheures legénéralLebedpourraitêtreàBucarest»silaRoumaniedécidaitd’intervenir.L’éclatementduconflitenTransnistrieadonccontribuéàmodérerl’espritnationalistedesRoumainsetàretirerlaquestiondelaréunificationdel’agendapolitique.Lescrises incessantesfrappantlarégiondeTransnistrieetlaprésencedetroupesrussessurlesolmoldaveontamenélaRoumanieàconsidérer la Russie comme une menace potentielle. Cela explique également pourquoiBucarestarenoncéàproposertoutprojetderéunificationaveclarépubliquedeMoldavie26. 23 La contribution du Fonds, initialement modeste, s’élevait à 135milliards de lei en 2003 (soit environ300000euros).

24 Antonela Capelle-Pogacean, «Roumanie : l’utopie unitaire en question», Critique internationale, n°6,2000,p.102.

25CharlesKing,TheMoldovans.Romania,Russia, and the PoliticsofCulture, Stanford,Hoover InstitutionPress,2000,p.150.

26 Stuart J.Kaufman et Stephan R.Bowers, «Transnational dimensions of the Transnistrian conflict»,NationalitiesPapers,26(1),1998.

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Mais l’échec de la réunification roumano-moldave a aussi d’autres raisons, parmilesquelles la présence de 500000russophones en Bessarabie et en Bucovine du Nord27,l’incapacitédelaRoumanieàintégreréconomiquementlaMoldavieetlerefuscatégoriquedelarégionséparatistedeTransnistried’intégrerlaRoumanie.Deplus,ledésirdeSnegurde promouvoir l’affirmation d’une identité moldave distincte de l’identité roumaine aconvaincu les leaders politiques roumains que la république de Moldavie souhaitaits’affirmercommeunEtatindépendant.LorsdesavisiteofficielleenMoldavie,enmai1992, leprésident roumain Ion Iliescuaadopté une position prudente en exprimant son attachement aux principes d’Helsinki, àl’inviolabilitédesfrontièresetauprincipededéveloppementdesrelationsd’EtatàEtat.Laquestiondelaréunificationn’apasétémentionnée.Cependant,laRoumanies’estmontréeincapable de formuler une politique étrangère cohérente vis-à-vis de la république deMoldavieet,depuislemilieudesannées1990,leséchangesentrelesélitesdesdeuxEtatssontdevenuesdeplusenplusdifficiles.Tandis que les politiciens moldaves se sont efforcés de défendre une positionindépendantiste,lesRoumainsontrefusédereconnaîtrel’idéed’unenationetd’unpeuplemoldaves différents du peuple et de la nation roumaines. Il faut admettre que si laConstitutionroumainede1991,toutenfaisantreposerl’Etatsurl’unitédupeupleroumain,avait voulu donner une définition civique de la nation, ce sont plutôt les caractéristiquesethniquesquil’ontimporté28.SilaRoumanieareconnulaMoldavieen tantqu’Etatsouverainetindépendant,ellen’apas renoncé à soutenir l’idée que les Moldaves appartenaient à la même nation (définiesurtout en termes ethniques). A cet égard, les décideurs roumains n’ont jamais hésité àexprimerleurmécontentementfaceàtouteactiondugouvernementdeChisinaudestinéeàdifférencierentermesculturelsetlinguistiqueslarépubliquedeMoldaviedelaRoumanie.Le14avril1994,laChambredesdéputésduParlementroumainvotaitunedéclarationdeprotestation en réponse à la décision d’adhésion de la Moldavie à la CEI et, le 1eraoûtsuivant,legouvernementroumaincritiquaitlavolontédugouvernementmoldaved’appelerlalangueofficielle«moldave»etnon«roumaine».LadénonciationpermanenteparlaRoumaniedes«conséquences»dupacteRibbentrop-Molotovacommencéàêtreperçueparlesorganisationsinternationalescommeundangerréeldemodificationdesfrontièresparlaforce,d’autantplusquelesMoldavesnedonnaientaucunsigned’intérêtpouruneréunificationaveclaRoumanie.LarésolutionA3-0128/93duParlement européen concernant les relations entre la Communauté européenne et laRoumanie(rapportBalfe)conditionnaitl’intégrationdelaRoumanieàl’UEàlacapacitédesRoumains à fournir des garanties relatives au respect des traités internationaux et àl’assurancequ’ilsnechercheraientpasà«contesterlesactuellesfrontièresparlaforce».La

27 LaRoumanie avait déjà, à cette époque,denombreuxproblèmes à résoudre concernant le statut et lesdroits de la minorité hongroise de Transylvanie. D’après le dernier recensement de 1992, les Magyarsreprésentaient7,2%delapopulationtotaledupays.

28L’article7delaConstitutionroumainestipuled’ailleursque«l’EtatsoutientlerenforcementdesliensaveclesRoumainshorsfrontièresetagitenfaveurdumaintien,dudéveloppementetdel’expressiondeleuridentitéethnique,culturelle,linguistiqueetreligieuse,enrespectantlalégislationdel’Etatdontilssontmembres».VoirAntonelaCapelle-Pogacean,«Roumanie:l’utopieunitaireenquestion»,art.cit.,p.105.

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méfiancedesinstitutionseuro-atlantiquesquantàlacapacitédelaRoumanieàramenerlastabilitéetlasécuritéàsesfrontièresacontraintBucarestàrévisersapolitiqueétrangèreàl’égarddelarépubliquedeMoldavie.Dès1995,l’intégrationàl’UEetàl’Otanestdevenuela priorité majeure du gouvernement roumain et la Roumanie s’est efforcée de ne pasprojeteruneimageirrédentisteàl’extérieurdeses frontières;deseffortsconsidérablesontétéentreprispouraméliorerlesrelationsavecsesvoisins.Lejuin1997,untraitéétaitsignéavec l’Ukraine pour délimiter les frontières étatiques, signifiant en quelque sorte queBucarestavaitrenoncéàavoirdesvisionsirrédentistessurlesterritoiresdeBessarabieetdeBucovine.Apartirde1996,lamajoritédesRoumainsnesemblaientplusintéressésparlaquestiondelaréunificationaveclarépubliquedeMoldavie,etnombred’entreeuxcraignaientquelaréintégrationd’unEtatfaibledansleursterritoiresnediminueleschancesdeleurpaysdeserapprocherdel’Otanetdel’UE.Maisl’idéederéunificationcontinuaitàêtreutilisée,voireinstrumentaliséeentantquecapitalpolitiqueparlesformationspolitiquesnationalistes29.L’influencedesorganisationsinternationalessurlesrelationsroumano-moldavesLavenueaupouvoirduParticommunisteenMoldavielorsdesélectionsparlementairesde2001arendulapolitiqueétrangèreroumaineà l’égarddelaMoldavieaussicomplexequ’audébutdesannées1990.Les changements dans l’orientation de la politique culturelle moldave introduits parVladimir Voronin au début de l’année 2002 ont été perçus par la Roumanie comme unretour à la russificationet à lapolitique soviétique.Dansunentretienaccordéà l’agenceMediafax,leprésidentroumainIliescuacritiquélesactionsdugouvernementdeChisinauqui,d’aprèslui,«constituaientdestentativesdestinéesàaffaiblirlaconscienceroumaine».De son côté, le Premier ministre Adrian Nastase déclarait: «La politique linguistique deChisinau poussera la Moldavie à regarder le monde exclusivement par la fenêtre russecommeavant1989,et réduiraseschancesdeserapprocherde l’Europe».Dans l’optiqueroumaine, lamentalitédesélitesdeChisinauétait jugéedigneduXIXesiècle, carellesnepouvaient accepter «qu’un peuple –le peuple roumain – puisse vivre dans deux Etatsdistincts, la Roumanie et la république de Moldavie, sans avoir inventé par une voieartificielleunpseudo-peuplequihabiteraitdans le deuxièmeEtat». Les acteurspolitiquesroumainsdéfendaientunefoisdeplusunevisionethnicistedelanationainsiqu’unmodèledel’Etatfondésurlamajorité:dansleursdiscourssurlaMoldavie,lesréférencesauxautresminorités du territoire moldave étaient souvent occultées. Pour Bucarest, l’affirmation du«caractère spécial» des relations entre les deux pays n’allait pas à l’encontre de laconsolidationd’unEtatmoldavesouverainetindépendant.Lesinterprétationscontradictoiresdel’identiténationaleontpousséentre2001et2004àuneescaladedudifférentdiplomatiqueentrelaMoldavieetlaRoumanie,cequin’apasétésans conséquence sur l’image de cette dernière vis-à-vis de l’Otan et de l’UE. Lorsque

29Ils’agissaitdesorganisationsetdespartisVatraRomaneasca,lePartidelaGrandeRoumanie(PRM)etlePartidel’uniténationaleroumaine(PUNR).

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Chisinauadénoncél’interférencedelaRoumaniedanssesaffairesinternes,ilabiencalculélaportéedesonaccusation.Eneffet,soupçonnéedenepasentretenirdebonnesrelationsavecsesvoisins, laRoumaniepouvait-elleencoreprétendre intégrer l’UE?Dans lemêmeordred’idées,laRussie,peuattiréeparlesperspectivesd’adhésiondelaRoumanieàl’Otanetàl’UE,n’apastardéàexprimersespréoccupationsdevantles«tendancesirrédentistesdeBucarest»30.Envuedesonadhésionàl’UE,laRoumanieaorientésapolitiqueétrangèreàl’égarddela Moldavie de manière pragmatique, afin d’avancer ses propres intérêts européens etrégionauxetdes’assurerunezonedestabilitéetdesécuritésurlafrontièreestdel’Unioneuropéenneetdel’Otan.Lapolitiqueétrangèreroumaineprésentedoncdeuxvolets:1)lepremiers’articuleautourdel’affirmationdu«caractèrespécial»delarelationentrelesdeuxpayspar la langue, l’histoireet les traditionscommunes;2) ledeuxièmemetenavant la«dimension européenne» de la coopération bilatérale en tenant compte de l’objectifcommun des deux Etats à intégrer l’Union européenne31. Avec l’introduction d’une«dimension européenne» dans la politique étrangère et dans le Traité politique de base,Bucarestespéraitquelegouvernementmoldaveaccepteraitlaratificationdutraitéaucoursde l’année 2004. Les autorités moldaves se sont pourtant encore une fois montrées plusintéressées à signer un texte qui «éloignait» culturellement la Moldavie de la Roumaniequ’undocumentqui ramèneraitaupremierplan les liensculturelsethistoriquesentre lesdeuxpays.Si les Moldaves n’abandonnaient pas l’idée de «deux Etats pour deux nations», laRoumanie n’abandonnait pas non plus l’idée de «deux Etats roumains». L’intérêt de laRoumaniepourlapopulationd’origineroumainevivantenMoldavietraduitladifficultédesRoumains à accepter le découpage territorial de 1940. L’ambiguïté et la vulnérabilité quidominent les relations moldavo-roumaines ont également été alimentées pendant l’année2004parledésirdelapartieroumained’imposersavisionsurlenom(«Roumains»etnonpas«Moldaves»)quedoitporterlamajoritéethniqueenrépubliquedeMoldavie,etcelaendépitde savolontéd’afficheruneeuropéanisation de sapolitiqueétrangère. La rencontreVoronin-Iliescu de mai 2004, à Mamaia, rend compte de ce fait. Si Voronin comptaitsoutireràIliescuunedéclarationparlaquelleilreconnaîtraitlalanguemoldavecommeunelanguedistincteduroumain,cedernieratoutdémentienaffirmant:«J’aiditqu’ilsétaientlibres d’appeler la langue qu’ils parlent comme ils le veulent. Les habitants du Banatn’appellentpasleurlanguele“banatien”maisleroumain»32.Leschangements intervenusdans lespolitiques internesetdans lesprioritésexternesdeces pays ont toutefois conduit à une normalisation des relations bilatérales à la fin del’année2004.Lesdernièresélectionsroumainesdenovembre-décembre2004ontportéaupouvoirungouvernementdecentre-droit avecpourprésident l’ancienmairedeBucarest,Traian Basescu. Ce dernier, tout comme le nouveau ministre roumain des Affairesétrangères, Mihai Razvan Ungureanu, a annoncé un changement radical de la politique

30AngelaDemian,«LaRépubliquedeMoldovaàlacroiséedeschemins»,synthèsedelaFondationRobert-Schuman,n°33,2002.

31Entretiens,Bucarest,mars2004.

32MoldovaAzi,1erjuin2004,àconsultersurlesitewww.azi.md

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étrangèreroumaineàl’égarddelarépubliquedeMoldavie.LorsdesavisiteàChisinaule21janvier 2005, le président roumain a déclaré que la relation avec le voisin moldaveconstituerait une priorité de son mandat33. Basescu a également affirmé que l’avenireuropéendelarépubliquedeMoldavie«devaitêtreassuméentantqu’obligationmoraledelasociétéroumaine»etque«laRoumanieappuieraittouteimplicationdel’UEetdesEtats-UnisdanslarésolutionduconflitenTransnistrie»34.LesprésidentsBasescuetVoroninontconclu leur rencontre en adoptant une déclaration commune qui soulignait le désir desdeuxpartiesdeseconformerauxstandardsetauxnormes internationaleseteuropéennes,afindeconsolider lasécuritéeuropéenneet régionaleetdedévelopper les relationsentrelesdeuxEtatsdanslesdomainespolitique,économique,socialetculturel35.LaRoumanieaégalementaffirmésonsoutienàlaMoldaviedanslarésolutionduconflitenTransnistrie.Ceréchauffementdesrelationsdiplomatiquesroumano-moldavestémoignedupoidsdesacteursexternes(Otan,OSCEetUE),quipoussentlespaysd’Europecentraleetorientaleàcoopérerenleurfournissantuncadredenégociationmultilatéraleetneleslaissentpasseulsface-à-faceavecleurproblèmederéconciliationhistorique.Lapermanencedel’influencerusse«Nous n’avons jamais compté pour personne sauf pour la Russie»36. Telle est nonseulementlaperceptiondesMoldavesmaisaussiunepartdelaréalitédesrelationsentrelarépubliquedeMoldavieetlemondeoccidental.L’influencedelaRussiedanslarégionesttrèsimportanteetdoitêtreconsidéréesousplusieursaspects,parmi lesquelslaqualitédesrelationsentreMoscouetlarépubliquedeMoldavie,ledéveloppementdesrelationsavecl'UEetledialogueaveclaRoumanie.Intervenue en 1992 dans le conflit en Transnistrie, la Russie a laissé derrière elle unimpressionnantarsenalmilitaire.MalgrésespromesseslorsduSommetdel’OSCEàIstanbulen1999,ellerefusetoujoursderetirerlesquelque1600soldatsencoreprésentssurlesolde la Transnistrie. Un refus perçu par les Roumains (et par une grande partie desobservateursinternationaux)commeunetactiquedeMoscoupourconserversoninfluencedanslarégion.MêmesileprésidentPoutinesoutientdepuisjuillet2004quelaRussien’aplus les moyens de maintenir la doctrine de l’«étranger proche» et d'orienter ledéveloppement des républiques ex-soviétiques, rien ne laisse croire qu’il renoncera àexercersoninfluencedanslarégion37. 33ReporterMD,«TraianBasescuvaefectuaovizitaoficialaînRepublicaMoldova»,MoldovaAzi,20janvier2005,articledisponiblesurlesitewww.azi.md

34Ibid.

35 Communiqué de presse de la présidence roumaine, 21janvier 2005, disponible sur le sitewww.presidency.ro

36EntretienavecleleaderduPPCDIurieRosca,avril2004.

37AndreiZagorski,«Russiaandthesharedneighbourhood»,ChaillotPaper,n°74,Paris,Institutd’étudesde

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Deplus,ennovembre2003,etcontrairementauxengagementsprisen1999,leministredelaDéfenserusseSergeïIvanovenvisageaitdeprorogerlaprésenceenTransnistried’uncontingent russe,qualifiéde forcedemaintiende lapaix, jusqu’en202038.Cette attitudesembles’inscriredansuneluttedepouvoiretd’influencedansl’ancienespacesoviétique.PourMoscou,lebutestdemaintenirsoninfluenceetd’atténuercelledel’UEoudesEtats-Unis, surtout après ledernierélargissementde l’Otan.Unexempledece jeud’influenceconcernelesdifférencesd’attitudeàl’égarddecertainsleadersséparatistesdeTransnistrie.Si,enfévrier2003,lesEtats-Unisetl’UEsesontentenduspourémettredesinterdictionsdevoyageràleurencontre,Moscouarefusédesuivrecesconsignes.Enfait, lesoutiendelaRussieàcesderniersse traduitparlafournituredepasseportsrussesauxressortissantsdeszonesséparatistesoud’unappuiauxéchangescommerciauxentrecelles-cietlesrégionsdeRussie39.Acejeud’influencedanslarégions’ajoutentlesintérêtséconomiquesdecertainsleaderspolitiquesrussesimpliquésdansdesaffairesdecorruptionetqui,afindeprofiterdelavariétédesproduitsdecontrebandefabriquésenTransnistrieetdublanchimentd’argent,fréquentdanslarégion,essaientd’ymaintenirlestatuquo.La domination économique et politique de la Russie sur la Moldavie contribue àcompliquerdavantagelesrelationsaveclaRoumanie.Lapropositionrussede«fédéraliser»la république de Moldavie pour apporter une solution au conflit en Transnistrie a étésévèrementcritiquéeàBucarest,etced’autantplusqueVladimirPoutineavait l’intentiond’agir sans l’assentiment des organisations internationales comme l’OSCE et l’UE. LeMemorandumKozak,rendupublicparleprésidentVoroninle17novembre2003,n’auraitrien faitd’autrequede légaliser etdeconsolider le régimedeTiraspol à l’intérieurde la«fédération» moldave, tout en garantissant à la Russie une influence permanente sur lenouvelÉtatet,implicitement,surlarégiontoutentière40.Depuissantsfacteurspolitiques,économiquesetmilitairesretiennentlaMoldaviedanslasphère d’influence russe. Qui plus est, le gouvernement communiste de Chisinau alongtempsétéperçuàBucarestcommel’émanationdesintérêtsdeMoscouenMoldavie.Ason tour, malgré ses faibles moyens économiques, la Roumanie a toujours tenté des’interposerentrelaMoldavieetlaRussie.LorsdesavisiteàChisinauenjanvier2005, leprésident roumain Traian Basescu déclarait à la presse que «la Roumanie ne permettraitplus que la république de Moldavie soit soumise au chantage concernantl’approvisionnementénergétique».Le dernier événement ayant semé le doute quant aux intentions de la Russie dans larégion est un entretien accordé à la chaîne nationale de télévision de Russie, le 31mai2004, par le directeur de l’Institut de stratégie nationale de la fédération russe, StanislavBelkovski.Cedernieryavaitlancél’idéed’unepossibleréunificationdelaBessarabieàlaRoumanie à condition que la Transnistrie devienne un État indépendant. La voix nonsécuritédel’Unioneuropéenne,2005,p.69,note9.

38 Agnès Bon, «Moldavie 2003, A reculons vers le fédéralisme. La Russie et les autres pays de la CEI en2003»,LeCourrierdespaysdel’Est,n°1041,Paris,LaDocumentationfrançaise,janvier-février2004.

39DovLynch,«MisperceptionsandDivergences»,ChaillotPaper,n°74,op.cit.,p.14.

40 Vladimir Socor, «The EU secure its own neighborhood», The Wall Street Journal Europe, 25-26juillet2003.

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officielleduKremlinaargumentéque«larépubliquedeMoldavien’existaitpasentantquenation unitaire et qu’elle ne pourrait jamais exister car elle avait été créée de façonartificielle par Staline»41. Belkovski s’est ainsi prononcé publiquement pour unereconnaissance internationalede l’indépendancede laTransnistrieetpour la réintégrationdelaBessarabieàlaRoumanie.Les déclarations de Belkovski ont été perçues par Bucarest comme une nouvellemachinationdelaRussiepourconserversoninfluencedanslarégionparl’entremisedelaTransnistrie, qui, après une éventuelle réunification de la Bessarabie avec la Roumanie,aurait pu retourner dans le giron de la Russie. Aux yeux des Roumains, le scénario deBelkovskiconstituaitlapreuvedel’intérêtqueleKremlinaccordaitàceplanainsiquedudésirdePoutinedegardersoninfluencesurlarégion.Deplus,laRoumanie,aujourd’huipartieintégrantedel’Otanetfuturmembredel’UE,nepeut envisager une éventuelle réunification avec la république de Moldavie sans évaluerl’impact que celle-ci pourrait avoir sur la sécurité de la région. L’UE, de plus en plusconcernée par la sécurité de ses membres, n’encouragera jamais l’idée d’une éventuelleréunification de la Moldavie avec la Roumanie. Le facteur russe reste très présent enMoldavie, et seule l’implication d’autres acteurs régionaux et internationaux dans la vieintérieure de ce pays (y compris dans la résolution du conflit en Transnistrie) pourrait luipermettredes’éloignerdelasphèred’influencerusse.LAFRONTIEREROUMANO-MOLDAVEENTANTQUEFRONTIEREEUROPEENNELaperspectivedurapprochementdelaRoumanieavecl’UEenjanvier2007donnelieuàdesinquiétudesquantàlacapacitédecettedernièreàsécurisersafrontièreorientaleaveclarépubliquedeMoldavie.Cette frontièreestperçuecommeunvéritabledéfi,autantparsaposition géographique (proximité de la Transnistrie) qu’à cause de la faiblesse de l’Etatmoldave. Pour sécuriser sa frontière orientale, la Roumanie doit s’appuyer sur son voisinmoldave.Or, lesaléasdesrelationsentre lesdeuxEtatsontmisensuspens touteréformeconjointedesécurisationdesfrontières.Deplus,sienappliquantl’acquiscommunautaireàlafrontièreroumano-moldavelaRoumaniesortgagnante(adhésionàl’UE),laMoldavieseperçoitquantàelleencoreplusisolée,voireabandonnéeparceuxaveclesquelsunepartiedesMoldavespensaient«partagerplusqu’unefrontière».L’applicationdesmécanismesdesécurité à la frontière engendre une dynamique particulière dans les relations roumano-moldave et fait ressortir un des grands dilemmes de l’élargissement de l’UE: commentconjuguersécuritéetintégration?

41«RusiaforteazaindependentaTransnistriei»,Ziua,7juin2004,articledisponiblesurlesitewww.ziua.ro

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L’élargissementdel’UEàlaRoumanieetlesnouveauxproblèmesdesécuritéMêmesielleestmoinsexposéeauxtraficsillégauxquelafrontièremoldo-ukrainienne,lafrontière roumano-moldave inquiète la communauté internationale. Car s’il n’y a pas desécuritésurleDniestr(quiséparelaTransnistriedelaMoldavie),iln’yapasdesécuritésurle Prut (qui court entre la Moldavie et la Roumanie)42. Le conflit en Transnistrie et lesconditions économiques et sociales ont en effet favorisé le développement au niveaurégionald’unmilieuinstableettrèspropiceauxactivitéscriminelles.Les traficsdedroguesetd’armescomptentparmi les activités lespluspréoccupantes sedéroulant à la frontière entre la Moldavie et la Roumanie. Des migrants illégaux enprovenance d’Ukraine, de Russie, des Républiques transcaucasiennes (Arménie,Azerdbaidjan, Géorgie), mais également de la république de Moldavie, y acheminentsouventdesmarchandisesinterdites,etplusspécialementdesdrogues (souventenpassantpar la Roumanie), jusqu’aux consommateurs occidentaux.D’après l’Institut des politiquespubliques de Roumanie, en 2001, parmi les personnes ayant passé la frontière de façonillégale, les citoyens de la république de Moldavie représentaient 45,7%, suivis par lesUkrainiens(9,8%),lesBulgares(4%)etlesTurcs(2,9%).Lamêmeannée,8656486kilosdenarcotiquesontétésaisisauxfrontièresroumaines(estetouest),contre21340kilosen2000. Les citoyens impliqués dans ce type de trafic à la frontière est provenaient de larépubliquedeMoldavieetdel’Ukraine43.Selon l’InternationalCrisisGroup, cinq ou six usines produiraient à l'heure actuelle enTransnitrie différents types de pistolets, d’armes automatiques, de mortiers et de lance-roquettes.Unepartiedecesarmesiraitàl’arméetransnistrienne,uneautreseraitexportée,souventsansnumérosdesérie44.Selonlesmêmessources,devastesréseauxd’individusetdes compagnies privées impliquées dans la fabrication et la vente d’armes ont intérêt àentretenirlestatuquodanscettepartiedelaMoldavie.Lafrontièreroumano-moldaveestégalementtraverséepardesgroupesselivrantautraficd’êtreshumains,trèssouventdejeunesfemmesalimentantlemarchédelaprostitutionenEurope de l’Ouest. Le phénomène s’est grandement développé ces dernières années, etplusieursrapportsincriminentlespoliciersdesfrontièresroumainsetmoldaves,soupçonnésd’avoir fermé les yeuxdevantde telles activités. Selon le centre régionalSECI,deuxaxesprincipauxseraientdédiésautraficd’êtreshumains:1)l’axeUkraine-Moldavie-Roumanie-SerbieetMonténegroet2)l’axeUkraine-Moldavie-Roumanie-Bulgarie-Turquie-Grèce.Un autre problème est l’immigration illégale. Après la chute de l’URSS, les flux decitoyensmoldavesetdecitoyensenprovenancedel’AsieduSuddésireuxd’allertravaillerenEuropedel’Ouestontaugmenté.D’aprèsleservicedepresseduServiced’informationet

42DanielVernet,«PasdeKaliningradsurlamerNoire»,LeMonde,28février2004.

43GabrielaChiorean,LaSécurisationdesfrontièresetlastabilitérégionale,InstitutdespolitiquespubliquesdeBucarest(IPP),étudedisponiblesurlesitewww.ipp.ro

44La14earméerusse,quiestintervenuedansleconflitenTransnistrie,alaisséderrièreelleunimpressionnantarsenal militaire qui a ultérieurement été «privatisé» par le clan Smirnov. Voir International Crisis Group,«Moldova:regionaltensionsoverTransnistria»,EuropeReport,n°157,Chisinau/Bruxelles,juin2004.

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sécurité (SIS) de Moldavie, entre 1992 et 2001, près de 15000immigrants illégaux enprovenanced’IndeetduPakistanauraientétédépistésetexpulsésdupays45.Descitoyensmoldavesenpossessiondefauxpasseportsoudevisastouristiquesversl’Europedel’Ouesttransitent également par la Roumanie. En2001, celle-ci a refusé l’entrée dans le pays à62133citoyensétrangers,dont28400étaientdescitoyensmoldaves46.Enjuillet2004,lapolicedesfrontièresroumaineastoppéauxpointsdepassagefrontaliersl’entréeetlasortieillégalesde4304citoyensétrangers,parmilesquels1310enprovenancedelarépubliquedeMoldavie47.L’intégrationde laRoumanieà l’UErendra la frontièreroumano-moldaveplusattractiveencorepour les trafiquants:une fois la frontièreroumainepassée, iln’yauraplusaucunebarrière formelle avec l’Union. A cet égard, un des sujets qui inquiètent les autoritéseuropéennes est la possibilité, pour les Moldaves, d’obtenir un passeport roumain; ellescraignenteneffetquecepasseportn’aboutisseentre lesmainsd’individus impliquésdansdiverstypesdetrafics.S’ilestdifficiled’apprécierlenombreexactdeMoldavesquisontenpossession d’un passeport roumain, le chiffre d’un demi-million est avancé. Depuis laconfirmation de l’adhésion de la Roumanie à l’UE en 2007, un nombre de plus en plusélevé de Moldaves se sont montrés intéressés à obtenir la citoyenneté roumaine. Celapourraitavoirpoureffetl’augmentationpotentielledelacriminalitéversl’UE,ainsiquedufluxdemain-d’œuvrenonqualifiéeenprovenancedelaMoldavieversl’espaceSchengen.Lacorruption:unphénomèneendémiquedesdeuxcôtésdelafrontièreUneétuderéaliséeen2003par leCentreroumainde journalismed’investigationrévèleque lescitoyensmoldaves franchissent facilement la frontièreroumano-moldavepourpeuqu’ils soientenmesurede «payer lesdouaniers roumainsavecaumoins100dollarsparpersonne»48. Selon ces mêmes sources, le trafic illégal de biens ou d’êtres humains à lafrontière roumano-moldave serait le résultat d’une étroite coopération entre les douaniersmoldavesetroumains.Leurseffectifsd’uncôtéetdel’autredelafrontièresontréduits,etlessalairestrèspeuélevés.Ainsi,undouaniermoldavereçoitenmoyenne80dollarsparmois,ungarde-frontièreroumaintouche200dollarsetunofficierdouanier300.Lacorruptionestdonctrèsélevéechezlesgardes-frontières,etlescontactsontétéétablisdepuislongtempsdepartetd’autredelafrontière.Lesdifficultéséconomiquesdesemployésdépendantdubudgetdel’Etatontentraînéune 45VoirS.Ceciui,FrontiereleMoldoveipehartaEuropei,Chisinau,Moldoconsult,2001.

46Progress Report on theMeasures Taken by the RomanianAuthorities to Combat Trafficking inHumanBeings,25février2002.

47 Ministère roumain de l’Administration et des Affaires intérieures, 23 août 2004, à consulter sur le sitewww.mai.gov.ro

48VoirTransdnister-theKolkhozofSmugglers,étuderéaliséeen2003parleCentreroumaindejournalismed’investigation(CRJI),àconsultersurlesitewww.crji.org

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fortecorruptiondanslesrangsdespoliciers.Lefaibleniveaudesalaireesteneffetsouventavancé pour expliquer la «corruption ordinaire» des douaniers et des gardes-frontièresroumainsetmoldaves:ils’agitdetrouverdes«revenuscomplémentaires»enencourageantle commercependulaireet en resserrant les liensavec les acteurséconomiquesdesdeuxcôtés de la frontière49. Le commerce pendulaire devient de cette façon une entrepriseprofitable autant pour les gardes-frontières moldaves et roumains que pour les nouveaux«entrepreneurséconomiques»quiviventauquotidiendutrafictransfrontalier,etquin’ontdecefaitpasintérêtàcequeleschoseschangent.L’européanisation des politiques publiques dans le domaine de la sécurisation desfrontièresenRoumanieetenMoldavieAfin d’assurer la sécurité d’une Union européenne élargie, les pays candidats, telle laRoumanie, ont été appelés à mettre en œuvre une stratégie concrète de préadhésionévaluéeaufuretàmesureparl’UEàtraversdesrapportsannuelssurchaquepayscandidat.Cettestratégiepermetauxpayscandidatsd’avoirunéchanged’expériencespermanentaveclesEtatsmembres.Ils’agitd’unprocessusdediffusionetd’institutionnalisationderègles,deprocédures, de styles de «savoir-faire», de croyances et de normes qui sont, dans unpremiertemps,définisauniveaueuropéenpourensuiteêtreincorporésdanslalogiquedesdiscours,des identités,des structurespolitiqueset despolitiquespubliquesauniveaudesgouvernements nationaux des pays candidats à l’UE. Ce processus complexe d’échanged’expériencesetd’apprentissageestconnuaujourd’huisouslenomd’«européanisation»50.L’européanisation des politiques publiques dans le domaine de la sécurisation desfrontières est le fruit de plusieurs mécanismes qui interagissent simultanément: lemécanismecoercitifde l’européanisation51,ou laconditionnalité,qui s’exprimeen termesd’obligations légales (prérequis) d’adoption des normes européennes –l’acquiscommunautaire–sans lesquelles l’adhésionà l’UEneseraitpaspossible52; lemécanismed’apprentissage (lessons-drawing),quis’est traduitpar l’importationdecertainespolitiques

49AnneleHuérou,«Entrehéritageetinnovation:l’hybridationdespratiquesdesécuritélocaleenRussie»,inGilles Favarel-Garrigues(dir.), Criminalité, police et gouvernement: trajectoires post-communistes, Paris,L’Harmattan,2003.

50 Pour une définition de l’européanisation et de son impact sur l’intégration européenne, voir ClaudioRadaelli, «Européanisation: les paramètres du concept», in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et PaulineRavinet(dir.), Dictionnaires des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2004; Simon Blumer etChristianLequesne,«NewperspectivesonEU-memberstaterelationship,Questionsderecherche:researchinquestion,n°4,janvier2002.

51 Jeffrey T.Checkel, Compliance and Conditionality, Arena, working papers WP00/18, 2000, p.18,disponiblesurlesitewww.arena.uio.no/publications/wp00_18.htm

52VoirMichael EmersonetGerganaNoutcheva,«Europeanisationasa gravitymodelofdemocratisation»,CEPSWorkingDocument,n°214,Bruxelles,CenterforEuropeanPolicyStudies,novembre2004.

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etdispositionsadministrativesdansledomainedelasécurisationdesfrontièresdespaysdel’UEetleuradaptationetapplicationenRoumanie53.Cesmécanismesd’européanisationsesont concrétisésparune sériedemesures légales, administratives et techniquesélaboréesparlesdécideursroumainsdepuis1990etdestinéesàaccélérerlesréformesdesécurisationdesfrontières.Dansunpremiertemps, lamiseenplacedecesréformesaétéassezlente,puisqu’ellessesontintégréesauregistrepluslargedesréformespolitiques,économiquesetadministrativesengagéesparlaRoumaniedepuis1989.Atitred’exemple,l’organisationetlefonctionnementdelapolicedes frontièresontétépassésenrevueunepremière foisenjuin2001,puisuneautrefoisenmai2004.Ilenvademêmepourlecadrejuridiquerelatifau fonctionnement de la frontière d’Etat, qui a été complété et revu en février 2003.Ceretard au niveau des réformes a toujours été justifié par les autorités roumaines commedécoulantdeproblèmes financiersetd’unmanquede temps.SelonBucarest, «accomplirplusieurs réformesà la foisdansdessecteursdifférentsdemandede l’argentetsurtoutdutemps»54.L’accélérationdesréformesconcernantlasécurisationdesfrontièresacommencéunefoisquelaRoumanieaeulacertitudequel’applicationefficacedel’acquiscommunautaireseconcrétiserait par son adhésion à l’UE (la conditionnalité comportant une récompenseconcrète). La présence de l’UE en Roumanie et la multiplication des interactions entrecelles-ci (délégation de l’UE en Roumanie et de la Roumanie auprès de l’UE, différentsprogrammesd’aidefinancière)ontpermislasocialisationdesélitesetdelapopulationauxnormesetauxvaleurseuropéennesetfacilitélaformulationdepolitiquescorrespondantauxstandardseuropéens.Ces réformes ont débouché, en septembre 2001, sur la création du Groupeinterministériel roumain pour le management intégré de la frontière d’Etat (Girmifs),composépar21ministères, agences et institutions ayantdesattributionsà la frontière. Lerôle du Girmifs est de rendre plus efficaces la coopération et la communication entre leministère de l’Administration et des Affaires intérieures et les autres autorités publiques,centralesetlocalesconcernéesetdedirigerleursactionsconjointes55.Troisannéesaprèssacréation, le 1eravril 2004, le Girmifs s’est réuni pour adopter la Stratégie nationale dumanagementintégrédelafrontière,approuvéepardécisiongouvernementaleenavril2004.Enjuilletdelamêmeannée,uneétudedefaisabilitéenvuedel’instaurationd’unsystèmeintégrépourlasécuritéauxfrontièresaétéélaborée,etunedécisiongouvernementalevotéeafind’obtenirunempruntextérieurde650millionsd’eurospour samise enœuvre56. Si, 53FrankSchimmelfenningetUlrichSedelmeier,«ConceptualizingtheeuropeanizationofCentralandEasternEurope»,TheEuropeanizationofCentralandEasternEurope,IthacaetLondres,CornellUniversityPress,2005.

54Entretiens,Bucarest,2004.

55LeGirmifs,directementsubordonnéàl’autoritéduPremierministre,estcomposédeschefsdesautoritésdel’administrationpubliquecentraleetdesinstitutionsmilitaires(lesquinzeministères),auxquelss’ajoutentlechefde l’Inspectorat généralde lapolicedes frontières, le chef de l’Inspectorat généralde lapolice, le chefde laDirectiongénéralepourl’enregistrementdespersonnes,lechefdel’Officenationalpourlesréfugiés,ledirecteurgénéral de la Direction des douanes, le directeur du Service de renseignement, le directeur du Service destélécommunicationsspécialesetlecoordinateurnationalduprogrammePharepourlagestiondelafrontière.

56 Commission des communautés européennes, Rapport régulier 2004 sur les progrès réalisés par laRoumaniesurlavoiedel’adhésion,COM(2004)657final,Bruxelles,6octobre2004.

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pourlaRoumanie,cesystèmereprésenteunprojetambitieux,ilresteàtesterlacapacitédecesstructures–quisontpartieintégranteduGirmifs–àcoopéreretàcommuniquerentreelles, étant donné qu’elles se trouvent également dans un processus de réformes et deréajustementadministratif.Parallèlementàl’adoptiondelaStratégienationaledumanagementintégrédelafrontière,la police des frontières a vu ses équipements renforcés et ses effectifs passer de 4000 à5800.D’aprèsunrapportdelaCommissioneuropéenne,4500postesresteraientpourtantà pourvoir57. Dans le domaine de la migration, une stratégie nationale a également étéelaboréeparlaRoumanieenavril2004,etl’autoritéenchargedesétrangersillégauxaétéconstituée dès mars 2004. Des ententes sur la réadmission des étrangers ont été signéesavecplusieurspaysdel’EuropeduSud-Est,ycomprisaveclarépubliquedeMoldavie.En ce qui concerne cette dernière, l’européanisation des politiques publiques dans ledomainede lasécurisationdes frontièresn’est encorequ’engestation.Eneffet,du faitdesonisolementinternational,laMoldavien’aeujusqu’enmars2003quetrèspeudecontactsavec l’UE. Son européanisation est censée s’opérer grâce à la Politique européenne devoisinage(PEV),quiestsupposée,parl’entremisedesonInstrumentdevoisinageetparlesplans d’action, rapprocher la Moldavie de l’UE et fournir, entre autres, une assistancefinancièreettechniqueaurenforcementducontrôleàsesfrontières58.Cependant, certains avancements ont été réalisés par le gouvernementmoldave depuis1997. Ainsi, les programmes Tacis-CBS et Tacis-Traceca ont permis l’entraînement desgardes-frontièresetdesofficiersdouaniersainsiquelamodernisationdeplusieurspointsdepassage de la frontière comme Ungheni, Leuseni et Giurgiulesti. En mars 2004,l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), l’UE, les Etats-Unis et legouvernementmoldaveannonçaient le lancementd’unprojetd’unevaleurde1,1milliondedollarsvisantàaméliorerlesinfrastructuresetl’équipementauxpointsdepassage.Lacoopérationroumano-moldavedansledomainedelasécurisationdesfrontières:unbilanmitigéLe contrôle des frontières d’Etat de la Roumanie et de la Moldavie est organiséconformément aux traités et aux accords bilatéraux avec les Etats voisins, à la législationinternedechaqueEtatetaucadredecoopérationinternationaleetrégional.Mêmesielleestconsidéréeparlapartieroumainecommerelativementefficaceauniveaudespointsdepassagede la frontière59, lacoopérationroumano-moldavedans ledomainede la sécurisation des frontières demeure assez peu institutionnalisée. Ainsi, une étuderéaliséeen2002par l’InstitutdespolitiquespubliquesdeBucarest60montreque lesdeux 57Ibid.

58NicuPopescu,«Europeanizationandconflictresolution:aviewfromMoldova»,JournalofEthnopoliticsandMinorityIssueinEurope,n°1,2004.

59Entretiens,Bucarest,marsetjuillet2004.

60Voirl’étuderéaliséeparl’InstitutdespolitiquespubliquesdeBucarest,LaNouvelleFrontièreSchengenetl’impact sur les relations entre la Roumanie et la république de Moldavie, chap.2, «Déficiences dans lesrelations entre les deux pays concernant le cadre législatif et institutionnel et la sécurisation des frontières»,octobre2002,pp.65-70,disponiblesurlesitewww.ipp.ro

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pays,alorsenpleineréformeadministrativeetjudiciaire,n'ontpaseulesmoyensdepasseren revue le cadre légal régissant la sécurisation de la frontière.De même, les deux Etatsn’ont pu réviser le contenu ni les implications des traités bilatéraux signés dans le passéentre la Roumanie et l’URSS, et dont a hérité la république de Moldavie. Ces traitésdevraient donc être amendés en fonction des intérêts des deux pays et des réalitésquotidiennes.En outre, cette série de documents et de décisions n’a pas acquis la force juridiquedécoulant d’un traité bilatéral. Les deux pays ne possèdent pas encore de traité sur lafrontière.D’ailleurs,les«loisnonécrites»sontunecoutumedesadministrationsroumainesetmoldaves,notammentauniveau local61.Entre1999et2002,seulsquelquesaccordsettraités ayant un impact direct sur la sécurité de la frontière ont été signés, tels l’accordconcernant la coopération douanière pour l’investigation et la lutte contre les infractionsdouanières, l’accord sur les voyages réciproques et l’accord régissant la réadmission desétrangers. Quant au cadre juridique de coopération destiné à combattre la criminalitétransfrontalière entre la Roumanie et la république de Moldavie, il est basé sur l’accordsignéàKievle6juillet1999entrelegouvernementdelaRoumanie,legouvernementdelarépubliquedeMoldavieetlecabinetdesministresdel’Ukraine,etratifiéparlaRoumanieen200162.Les troisEtatsontainsiétabli les formesde leurcollaboration,quiseraassuréeparunéchanged’informationsetd’expériencesentrelesstructurescompétentesdechaqueEtat.Aucun accord n’a été signé concernant l’échange d’informations et le contrôle desfrontières entre deux institutions ayant des attributions sur place: le Département destroupes des gardes-frontières de la république de Moldavie et la police des frontièresroumaine63. Il existe donc des différencesmajeures entre les attributions de la police desfrontièresroumaineauniveaudupointdecontrôledelaRoumanieetdupointdecontrôledelarépubliquedeMoldavie.Uneaméliorationducadre juridiquebilatéral relatifà lasécurisationdes frontièresaététentée le 7mars 2003 à Chisinau, lors d’une séance de consultation des experts desministères desAffaires étrangères de Roumanie et de la république deMoldavie.A cetteoccasion, le traitésur la frontièreaconstituéunepriorité; lesdeuxpartiesontacceptédereprendreletracéétabliparletraitéroumano-soviétiquede1961etparleprotocolesurlafrontière élaboré dans le cadre du complexe hydrotechnique Stânca-Costesti (1976), ainsique les documents de démarcation correspondant à ce protocole. La partie roumaine aproposé plusieurs accords complémentaires, surtout en ce qui concerne le contrôlecommun du passage de la frontière d’Etat et l’échange d’informations entre l’Inspectoratgénéral de la police des frontières du ministère de l’Intérieur de la Roumanie et leDépartementdestroupesdegardes-frontièresdelarépubliquedeMoldavie.Néanmoins,du

61Entretiens,Bucarest,juillet2004.

62GabrielaChiorean,LaSécurisationdesfrontièresetlastabilitérégionale,op.cit.

63 La police des frontières roumaine dépend du ministère de l’Administration et des Affaires intérieures.Depuisle18janvier2000,leDépartementdesgardes-frontièresdelarépubliquedeMoldavieaétédétachéduministèredelaSécuriténationaleetréorganiséenunestructureindépendante.

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faitde ladétériorationdesrelationsdiplomatiques, toutescespropositionssont restéesaupointmort.Deux facteursexpliquentque, jusqu'àprésent, lacoopérationroumano-moldavedans ledomainedelasécurisationdesfrontièressoitrestéerelativementprécaireetn’aiteuquepeuderésultatsconcrets.Premièrement,lesrelationsconflictuellesentrelesdeuxpaysontlimitélescontactsinstitutionnelsetadministratifsentre leursautorités.Dansunentretienaccordéle11novembre2003àlastationderadioDeutscheWelle,lesecrétaired’Etatauministèreroumain des Affaires étrangères, Cristian Diaconescu, soulignait qu’à la suite du conflitdiplomatique survenucesdernières années, «lesdeuxpaysavaientoubliédeprendreencompte certaines questions importantes relatives à la coopération bilatérale et à lasécurisationde la frontière et les autoritésdeChisinau se laissaientdifficilement entraînerdanslacoopérationconcernantlaluttecontreletraficillégaldepersonnesetcontred’autresactivitésillégalesquisedéroulenttoujoursd’uncôtéetdel’autredelafrontière»64.Deuxièmement,ilexisteunécartnotableentrelesprioritésdelaRoumanie,payscandidatà l’UE,et laMoldavie,quin’estpascandidateà l’adhésion.Acet égard, laprioritéde larépubliquedeMoldavierestelafrontièreavecl’Ukraine,etplusparticulièrementlesecteurde laTransnistrieoù lesMoldavesontbesoinde renforcer leur contrôlepour stopper lesactivitésdecontrebande.Pourlapartiemoldave, lafrontièreaveclaRoumanienesemblepasposerdeproblèmesparticuliers.Cettecoopération«limitée»entrelaRoumanieetlaMoldavieafaitégalementl’objetdescritiques de la Commission européenne, qui soulignait en octobre 2004 que «lacoopérationdelaRoumanieaveclesEtatsvoisinspouraméliorerlasécuritéauxfrontièresdemeurait imparfaite et qu’aucune avancée significative n’avait été réalisée avec larépublique de Moldavie65. Sans une coopération soutenue avec le voisin moldave, lesréformes élaborées par les décideurs roumains (tel le Girmifs) visant à respecter l’acquiscommunautairedansledomainedelasécurisationdesfrontièresrisquentdereprésenteruncadrevideetsanseffetsconcretsàlafrontièreroumano-moldave».LesprocéduresdesécurisationdesfrontièresetleursimplicationspourlarépubliquedeMoldavieEtant donné les problèmes de sécurité auxquels sera exposée l’UE après 2007, desgarantiesspécialesentermesdesécurisationdesfrontièressontd’oresetdéjàexigéespourlespayscandidatstelsquelaRoumanie.Ellesimpliquentunesériedemesuresetd’actionsallantdelasimpledemandedepasseportjusqu’àl’impositiondevisaentrelarépubliquedeMoldavieetl’UEélargie.LaRoumaniesetrouvedoncfaceàunnouveautypederelations

64 Entretien cité par Iulian Chifu dans Republica Moldova, Alunecarea anti-democratica a guvernariigalagioase,Centrepourlapréventiondesconflits,Iasi,2004(CD-ROM).

65 Commission des communautés européennes, Rapport régulier 2004 sur les progrès réalisés par laRoumaniesurlavoiedel’adhésion,op.cit.

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avec son voisin moldave qui, lui, n’est pas engagé dans un processus d’adhésion auxstructureseuropéennes.L’accord sur les voyages réciproquesentre laRoumanieet laMoldavie signé le29juin2001prévoitainsil’introductiond’unrégimedepasseportàlafrontièreentrelesdeuxpaysalorsque,pendantdixans,lesMoldavesontpupasserlafrontièremunisdeleurseulecarted’identité.Depuislasignaturedecetaccord,lesMoldavesressententundoubleabandon.D’uncôté,l’Unioneuropéennelesrenvoiederrièrelemurdes«exclus»quesontlaRussie,la Biélorussie et l’Ukraine. De l’autre, la Roumanie ferme ses frontières en modifiantl’orientationdeses«relationsspéciales»aveclarépubliquedeMoldavie.Surleplanpsychologique,lapopulationmoldaveatrèsdifficilementacceptél’applicationpar la Roumanie de l’acquis communautaire à leur frontière commune. En dépit desnombreuses déclarations du gouvernement roumain promettant de tenir compte ducaractèreparticulierdes relationsentre lesdeuxpays, le souci sécuritaire (soumissiondesfrontièresàuncontrôleplusrigoureux)l’aemportésurlesoucideménagerlesliensaffectifsaveclesMoldaves.LechoixdelaRoumanied’imposerdesmesuresstrictesaupassagedelafrontièreaétéperçupar lesMoldavescommeunedécisionpragmatiqueet individualiste.Ainsiquel’asoulignéunjournalistemoldave,«laRoumanienecéderapasunmillimètredeses priorités européennes au nom de ses “relations spéciales” avec la république deMoldavie»66.De plus, en ce qui concerne l’octroi de la citoyenneté roumaine aux Moldaves, lespressions des instances internationales ont récemment décidé Bucarest à procéder à unerevérificationdespapiersnécessairespourobtenir lepasseport roumain, revérificationquisera appliquée pour chaque Moldave désirant renouveler son passeport67. Les autoritésroumaines espèrent de cette façonmettre lamain sur les personnes ayant fourni de fauxpapierspermettantl’obtentiond’unpasseportroumain.Ilrestetoutefoisàdéterminersicetteprocédure est «légale» et conforme aux normes européennes. D’autant que, selon laConstitution roumaine, la citoyenneté ne peut être révoquée une fois octroyée. Pour lesMoldavesroumanophones,cetteprocédurederevérificationdescritèresd’admissibilitéàlacitoyenneté roumaine est humiliante, et le processus est perçu commepeu «civilisé» encomparaison avec les pratiques de pays comme l’Ukraine ou la Russie, qui continuent àfaciliter l’obtention du passeport pour les personnes appartenant aux mêmes groupesethniques68.Ladécisionde laRoumanied’exigerque lescitoyensmoldavesprésententunpasseportplutôt qu’une simple carte d’identité au passage de la frontière n’est pas sans poser desproblèmes aux habitants des localités transfrontalières. Plusieurs conséquences négativesayant suivi l’applicationde l’acquis communautaire sur la frontière roumano-moldaveontdéjàpuêtreidentifiées.Ainsi, l’adoption par la Roumanie, à partir de 2007, du principe du passeport pour les

66ConstantinTanase,OchiulluiEsop.Ocronicasubiectivaatranzitiei,Chisinau,JSAGroup,2000,p.16.

67ExtraitdudiscoursdeTraianHristea,directeurdanslecadredeladivision«LaRépubliquedeMoldavieetl’Europeélargie»,ministèreroumaindesAffairesétrangères,lorsdelaconférenceinternationale«MoldovaandEurope:bridgingthegap»,Chisinau,26-27avril2005.

68Entretienavecl’ancienPremierministremoldaveMirceaDrucpubliéparlarevueRost,mars-avril2005.

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ressortissantsdelarépubliquedeMoldavieneserapassanseffetssurlesrelationsfamiliales,lemilieudesaffairesetlesautreséchangesentregroupes.Laplupartdespersonnesrésidantdans les localités situées à la frontière roumano-moldave appartiennent à une catégorieayant peu demoyens. Etant donné la durée et le coût élevé du passeport, seule un petitnombre de Moldaves pourra continuer à franchir la frontière69. Comme mesurecompensatoire,legouvernementroumainaallouéen2001unfondsde1milliondedollarsdestiné à couvrir les frais de passeport de la population pauvre de Moldavie. L’argent,administréparlegouvernementmoldave,apermisauxcatégoriesdéfavoriséesdesemunird’unpasseport.Ensuite, le changement de statut de la frontière roumano-moldave, conséquence del’applicationdel’acquiscommunautaireparlaRoumanie,adéjàeucertainseffetsnégatifssurtoutel’économietransfrontalière.Ceseffetsontcommencéàsefairesentirdèslafindel’année 2001. Depuis des années, bon nombre de paysans moldaves ont traverséquotidiennementlafrontièrepourvendreleursproduitsenRoumanie,oùlepouvoird’achatestquatrefoisplusélevé.Mais,à32eurosleprixdupasseportmoldave,dansunpaysoùlesalairemensuelmoyen tourneautourde40euros,nuldoutequecepetit commerce seratouché:«Noussommesinquiets.Sil’UEdemandeunjouràlaRoumaniedenousimposerdesvisas,ceseralafinducommercetransfrontalier,quifaitvivrebeaucoupdemondecheznous»70.Acetégard,legouvernementroumainapromisàplusieursrepriseslagratuitédesvisaspourlescitoyensmoldaves,ainsiqu’unsystèmesimplifiéd’obtentiondevisad’icilafindel’année2006.Quelsavantagespourles«exclus»?L’opiniongénéralementvéhiculéeestquel’introductiondurégimedevisan’apporteradesavantages qu’à la partie roumaine et pas du tout à la république de Moldavie. Pourtant,plusieurs indices laissent à penser que l’adhésion de la Roumanie à l’UE, ainsi quel’application de l’acquis Schengen à la frontière roumano-moldave, comporte certainsavantagesaussipourlapartiemoldave.Premièrement,l’applicationdel’acquisSchengenamèneraplusdedisciplineauseindesdeux pays, et notamment à la frontière roumano-moldave, où le grand trafic illégaldiminuera. Deuxièmement, l’adhésion de la Roumanie aux structures euro-atlantiquesdevrait changer les mentalités des citoyens en accélérant l’assimilation des valeurseuropéennes.LacoopérationdelaMoldavieavecunpaysengagédanslaconsolidationdesadémocratienepourradoncqu’êtrebénéfique.Troisièmement,leséchangeséconomiquespourront sedéroulerdansuncadreplus institutionnalisé, selondes règlesetdesmodèles

69VoirValeriuGheorghiu, Ion JigauetNataliaVladicescu,«LocalperceptionofSchengenconsequencesattheRomanian-Moldovanborder: resultsofempirical research», inPiotrKazmierkiewicz(dir.),NeighbourhoodAcrossaDivide?BorderlandCommunitiesandEUEnlargement,Varsovie,FoundationoftheInstituteofPublicAffairs,2004,p.156.

70Guy-PierreChomette,«LaMoldavierepousséeversl’Est»,LeMondediplomatique,janvier2002,p.7.

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européens. A cet égard, la plupart des départements impliqués dans la coopérationtransfrontalièreàl’intérieurdestroiseuro-régions(DunareadeJos,PrutuldeSus,Siret-Prut-Nistru)71perçoiventl’introductiondel’acquiscommunautaired’unefaçonpositive.Undesprofits escomptés sera le développement d’une infrastructure de transport local. Pour lesdépartements transfrontalierset lesgrandscentresurbains impliquésdans lacoopérationàl’intérieurdeseuro-régions, l’acquisSchengenreprésenteeneffetuneopportunitéd’entrerencompétitionéconomiqueavecdegrandesvillesquisetrouventdanslarégionroumano-moldave(Iasi,Ungheni,Cahul).Le nouveau programme de voisinage Roumanie-république de Moldavie 2004-2006constitueégalementuneopportunitésupplémentairepourlacoopérationtransfrontalière,etun moyen d’atténuer les conséquences «négatives» de l’élargissement de l’UE vers laRoumanie pour la république de Moldavie. Lancé officiellement en février 2004, ceprogrammeestdestinéaufinancementdesprojetscommunstransfrontalierssurlabasedesprix(grants)pourlesautoritéslocalesetrégionalesetpourlesONGquiagissentdansunezonefrontalièreéligible.LebudgetduprogrammedevoisinageRoumanie-Moldaviepourlapériode 2004-2006 est le suivant: 1) pour la Roumanie, la valeur totale des fonds nonremboursables s’élève à 22millions d’euros, dont 5millions d’euros pour l’année 2004,7millionsd’eurospourl’année2005et10millionsd’eurospourl’année2006;2)pourlarépublique de Moldavie, la valeur totale des fonds non remboursables est de 5millionsd’euros,soitapproximativement1,6milliond’euroschaqueannée.Lebutdesprogrammesdecoopérationtransfrontalière,àtraverslesdifférentsprogrammesnationauxeteuropéens,estégalementd’atténuerlaperceptionnégative,lesentimentd’isolementquelesMoldavesontdéveloppésunefoisquel’acquiscommunautaireacommencéàêtreappliqué.

L’UEàlarecherched’unestratégiepoursesnouveauxvoisins

LarépubliquedeMoldavien’ajamaisvraimentintéressél’UE72.Jusqu’àrécemment,seulleproblèmeposéparlarégionsécessionnistedeTransnistrieabénéficiédel’attentiondelaCommunautéeuropéenne. Le faitque l’UEn’aitpasenvisagéd’établirune représentationdiplomatiqueàChisinauavantle16mars2005témoignebiendupeud’intérêtdeBruxellespourChisinau.

L’adhésionde la républiquedeMoldavieauPactede stabilitépour l’EuropeduSud-Est(PSESE)le28juin2001étaitcenséescellerl’appartenancedelaMoldavieàl’espacesud-est

71 Les relations de coopération entre les régions transfrontalières de la république de Moldavie, de laRoumanieetde l’Ukraineont été établiesdès la secondemoitiédes années1980,mais ellesn’avaientqu’uncaractèreformel.Après1989,cesrelationssesontintensifiéespouraboutirensuiteàdesactionsplusconcrètes.

72 La Moldavie est aujourd’hui le pays le plus pauvre d’Europe. D’après le dernier rapport du PNUD, laMoldavie se classe 113e (sur 177pays) en termes d’IDH (Indice de développement humain). Voir L’Etat dumonde,Paris,LaDécouverte,2005,p.592.

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européen et confirmer un engagement plus soutenu de la part de l’UE en faveur duprocessus de stabilisation et de démocratisation du pays. Force est de reconnaître que laportéesymboliquedupacteàététrèsimportante,etcemalgrélefaitquelarépubliquedeMoldavie n’ait eu droit qu’à un statut particulier marginal. Chisinau ne pouvait, en effet,bénéficier des Accords de stabilisation et d’association (ASA) qui envisageaient, à terme,l’intégrationdansl’UEdespaysnonassociés.

D’unpointdevue juridique, la républiquedeMoldaviebénéficieégalementdeclausescommerciales limitéesdans le cadredu systèmegénéraldepréférencede laCommissioneuropéenne,ainsiquedecréditsetd’assistancedanslecadreduprojetTacis.UnAccorddepartenariatetdecoopération(APC)aétésignéennovembre1994(ilestenvigueurdepuisle 1erjuillet 1998). Il s’agit d’un accord ouvert, sans message politique, n’excluant nin’assurantlapossibilitépourlarépubliquedeMoldaviederejoindrel’Unioneuropéenne.

De son côté, la Moldavie a fait preuve d’une politique étrangère ambiguë et peucohérenteà l’égardde l’Unioneuropéenne.Lesprogrammesdespremiersgouvernementsde Chisinau comportaient peu de références à l’intégration européenne. Ce n’est qu’en1998, avec le cabinet du jeune réformiste Ion Sturza, que l’intégration européenne estdevenue un objectif stratégique de la politique étrangère moldave73. Pendant la période2001-2003, legouvernementmoldavea tenuundoublediscours.D’uncôté, leprésidentVoroninaexprimé sondésirde resserrer les liens avec laRussieet laCEI tandisque,del’autre,lesautoritésmoldavessesontemployéesàconsoliderleursrelationsavecl’Occident(UEetOtan).L’ambiguïtéEst/Ouest,l’absencedecertitudesparrapportàl’avenirdel’Etatmoldaveetl’impossibilitéderéglerentempsutile leconflitenTransnistrieontrenduplusopaqueencorelapolitiqueétrangèremoldaveàl’égarddel’UE,etcontribuéàmaintenirlaMoldavieàl’écartdelacommunautéeuropéenne74.

L’Union européenne a commencé à s’intéresser à la république de Moldavie en mars2003, lorsqu’elle a décidé de se rapprocher de ses nouveaux voisins pour sécuriser safrontière orientale. Afin de répondre aux défis de sécurité, elle a engagé une politiquerégionale de voisinage en direction des pays non retenus pour l’adhésion. Avecl’élargissement vers la Roumanie en 2007, la frontière roumano-moldave deviendra lanouvellefrontièreorientaledel’UEélargie.C’estcettesituationquipoussedésormaisl’UEàs’intéresser à la république de Moldavie, puisque celle-ci fera bientôt partie de ses«nouveaux»voisins75.

La communication de la Commission sur «L’Europe élargie –Voisinage: un nouveaucadrepourlesrelationsavecnosvoisinsdel’EstetduSud»,tenuele11mars2003,seveutun instrumentdepromotionde lastabilitéetde lasécuritédes frontièreseuropéennes; ils’agitd’intégrerlesfutursvoisinsdel’UEdansunecoopérationéconomiqueplusétroitetout

73LilianaVitu,ForeignAffairsof theRepublicofMoldova:DoesMoldova’sEasternOrientation Inhibit itsEuropeanAspirations?,Chisinau,Institutdespolitiquespubliques,étudedisponiblesurlesitewww.ipp.md

74AngelaDemian,«LaMoldavie,l’oubliéedel’Europe»,Conférence/SciencesPoParis,3mars2003.

75«L’Europeélargie–Voisinage:unnouveaucadrepourles relationsavecnosvoisinsdel’EstetduSud»,communicationdelaCommissionauConseiletauParlementeuropéen,COM(2003)104final,2004.

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en les encourageant à adopter les normes et les valeurs européennes en matière dedémocratie.

La communication de suivi de la Commission du 1erjuillet 200376 a proposé, dans lecadre de la PEV, une aide technico-économique basée sur l’expérience des programmesdéjàimplantés,Interreg,PhareetTacis.Ils’agitd’uneapprocheendeuxétapes:unephaseinitiale (2004-2006) visant à améliorer la coopération entre, d’une part, les diversinstrumentsdefinancementconcernéset,d’autrepart,entrelescadreslégislatifetfinancier;unedeuxièmephase(après2006)pendantlaquellelaCommissional’intentiondeproposerun nouvel instrument légal qui prendra en compte les principaux défis identifiés dans sacommunication sur l’Europe élargie, un des objectifs analysés par la Commissioneuropéenneétantlasécurisationetlepartagedelafrontièredel’UEdemanièreàlégitimerlepassageetlecommerce.LesprincipalesquestionsabordéesparleNouvelinstrumentdevoisinage (NIV)concernentdirectementlaRoumanieetlaMoldaviedansleurcoopérationpourlasécurisationdelanouvellefrontièredel’UE:

–la coopération rapprochée entre l’UE et ses voisins devrait accélérer ledéveloppement économique et social et réduire la pauvreté dans les régionsfrontalièresenaugmentantlacoopérationtransfrontalière77;

–étant donné la proximité des marchés européens, les opportunités pour lesmarchésvoisinsaugmenterontégalement.UnefoislaRoumanieintégréeàl’UE,larépubliquedeMoldavieserapprocheradavantagedumarchéeuropéen;

–leNIVproposed’assurerunmanagementdesfrontièresefficace,essentielpourlasécuritéetlaprospérité.Ils’agitdefaciliteràlafoislecommerceetlepassagedescitoyens et de protéger les frontières de l’UE contre le trafic, le crime organisé etl’immigrationillégale;

–le NIV tiendra compte également des contacts «people-to-people», afin que lanouvellefrontièrenesoitpasvuecommeunebarrièreauxéchangesexistantdéjàauseindelapopulation.

Le programme de voisinage proposé par la Commission couvre huit objectifs:l’amélioration de l’infrastructure dans les secteurs du transport, de l’environnement, del’énergie;lepassagedesfrontières;lescommunicationsélectroniques;lesinvestissementsdans la cohésion économique et sociale; les actions «people-to-people» et l’aide à lareconstruction des institutions. La méthode proposée par la Politique européenne devoisinage consiste à définir avec les pays partenaires un nombre de priorités dont laréalisationlesrapprocheradel’Unioneuropéenne78.LaPEVseramiseenplaceàl’aidedeplansd’actionchargésdeprendreencomptelesprioritéset lesspécificitésdechacundesfutursvoisinsdel’UEencouvrantuncertainnombrededomaines-clefsquinécessitentuneaction particulière. Ces plans d’action s’appuient sur un ensemble commun de principes 76 «Jeter les bases d’un nouvel instrument de voisinage», communication de la Commission européenne,COM(2003)393final,Bruxelles,1erjuillet2003.

77Ibid.

78 «Politique européenne de voisinage. Rapport sur la Moldavie», communication des services de laCommissioneuropéenne,documentd’orientation,COM(2004)373final,Bruxelles,12mai2004.

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maisrestentdifférenciés,reflétantencelal’étatdesrelationsavecchaquepays,sesbesoinsetsescapacitésainsiquedesintérêtscommuns79.

Lesplansd’actionpour la républiquedeMoldavieontvu le jouraumoisdedécembre2004etontétésignésconjointementàBruxellesparlarépubliquedeMoldavieetl’Unioneuropéennele22février2005. Ilsreprésententunmessageplusengagédelapartdel’UEendirectionde laMoldavie.Demanièreplusconcrète, lesplansd’actioncomportentunchapitre sur la coopération nécessaire au règlement du conflit en Transnistrie, auquels’ajoutentdespromessespourinciterlaRussieàrespectersesobligationsderetraitmilitaire,ainsiquel’identificationdegrandseffortspourrenforcerlasurveillancedesfrontières80.Ilestégalementquestiond’uneaide techniqueetmatérielledestinéeàpermettreunemeilleurestratégiedesécurisationdesfrontières.

Defaçongénérale,etnotammentparl’entremisedesplansd’action,laPEVimpliqueuneaide supplémentaire de l’UE à la Moldavie afin que celle-ci puisse développer unecoopérationrégionaleàsesfrontières.Acetégard,undesvoletsdel’instrumenteuropéende voisinage appuiera la coopération transfrontalière. Les programmes de coopérationtransfrontalièreserontprincipalementbilatéraux,«établispourdesfrontièresuniquesoudesgroupes de frontières et seront élaborés par les partenaires concernés dans les paysbénéficiairesdesdeuxcôtésdelafrontière»81.Cetteinitiativeeuropéennepeutdébouchersur l’établissement de liens forts par-delà les frontières entre les autorités régionales etlocalesdeMoldavieetdeRoumanieenaugmentantledegrédeconfianceréciproque.

LeslimitesdelaPEVparrapportàlarépubliquedeMoldavie

A première vue, les relations UE-Moldavie ainsi que les relations Moldavie-Roumanie,baséessurlavisiond’unnouveauvoisinage,semblentprogresserconsidérablement,laPEVproposant une étroite collaboration avec l’UE et rassurant par ses programmes decoopération transfrontalière et de développement économique. Néanmoins, lacommunication comme les plans d’action ne résolvent pas certaines questionsfondamentales pour laMoldavie. L’offre de proximité et de rapprochement de l’UE et laparticipationàcertainsprogrammesdecoopérationnerèglentpasnotammentleproblèmede l’«exclusion».Aucontraire, l’UE s’efforcedenepas faire croireà laMoldaviequ’ellepourrafairepartieunjourdesesinstitutions82.LaPEVlaisseentendrequelaMoldavie,tout

79Ibid.

80DovLynch, «Voisinage communounouvelle lignede front? Le carrefourde laMoldavie»,RussieCEI.Visions n°2, Institut français des relations internationales, avril 2005, p.9. Article disponible sur le sitewww.ifri.org

81«Politiqueeuropéennedevoisinage…»,op.cit.,p.30.

82VoirValeriuGheorghiu,Moldova–vecinanedoritaaUniuniiEuropene,Chisinau, Institutdespolitiques

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comme l’Ukraine et la Biélorussie, bénéficiera d’un partenariat européen de voisinagesoutenu et spécifiquement adapté à ses besoins,mais sans toutefois lui laisser l’espoir derejoindrel’UE83.

Lavisionmanichéenned’un «Nous-les inclus/Eux-lesexclus» resteencorevalide.Dansson dernier rapport sur la Moldavie, la Commission stipule clairement que «la politiqueeuropéennedevoisinagequidevraitêtredissociéedelaquestiond’uneéventuelleadhésionà l’UE, réglementée par l’article49 du traité sur l’Union européenne, offre le cadre departenariatleplusadéquat»84.LaMoldaviepourraparticiperauxpolitiqueseuropéennesenvertudesonnouveaustatutdepartenaire,maiselleneferapaspartiedesesinstitutions.Sil’incitationdecoopérationéconomiqueestgrande,lemessagepolitiqueendirectiondelaMoldavie resteencore faible.Ceque lesMoldavesdésirent, c’estuneperspective (mêmetrèslointaine)d’adhésionàl’UE,quimanquedanslaPolitiqueeuropéennedevoisinage.

Or,cetteabsenced’uneperspectiveclaired’adhésionestdifficilementacceptablepourlaMoldavie, condamnéeàunediscussion interminable sur le faitde savoir si laperspectiveeuropéenneestunepréconditionpourlesréformesoul’inverse.SilesdirigeantseuropéensinsistentpourquelaMoldaviefassesespreuvesens’employantàavancerdanssesréformesdémocratiques, cette dernière ne cesse d’exprimer ses inquiétudes quant à son statut devoisin permanent et à la volonté de l’UE de lui accorder plus d’attention. D’ailleurs, lacommunication sur l’Europe élargieprésentéepar laCommission enmars2003a suscitédes critiques à Chisinau, où elle s’est vu reprocher le manque de différenciation et deperspectivesqu’elleoffrait à la républiquedeMoldavie. L’argumentdeChisinauaétédedirequ’endépitdesareconnaissanceentantqu’Etatappartenantausud-estdel’Europe,larépubliquedeMoldavienebénéficierapasdececontextegéopolitique,etBruxellesneluiaccordera pas autant d’avantages qu’aux Etats des Balkans de l’Ouest. La future frontièreSchengensépareradonclaMoldaviedel’espacesud-esteuropéenauquelelleappartientdupointdevuegéographique.

Mêmesi,d’aprèsledernierdocumentd’orientationdelaCommissionprésentéle12mai2004, la PEV et ses plans d’action introduisent une différenciation pays par pays, ilsn’ouvrent aucune perspective claire en ce qui concerne la candidature européenne de laMoldavieoumêmeunrenforcementsoutenududialoguepolitiqueentrecelle-cietl’UE.Sila politique de la conditionnalité promue par l’Union européenne à travers la PEV offrecertainesconcessions (rapprochementde l’UE) en échangede l’avancementdes réformesdémocratiques,ellecantonnelarépubliquedeMoldavieàunstatutpermanentdevoisin–uneambiguïtéconstructivepromueparBruxelles85.Or,plusieursexpertss’accordentàdireque dans un pays pauvre où l’Etat est faible, il est difficile de convaincre la société

publiques,avril2003,étudedisponiblesurlesitewww.ipp.md

83DovLynch,«Lanouvelledimensionorientalede l’Unionélargie», in «Partenairesetvoisins:unePESCpouruneEuropeélargie»,CahiersdeChaillot,n°64,septembre2003,Institutd’étudesdesécuritédel’Unioneuropéenne,pp.54-55.

84«Politiqueeuropéennedevoisinage…»,op.cit.,p.6.

85NicuPopescu,«Europeanizationandconflictresolution:aviewfromMoldova»,art.cit.

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d’effectuerdesréformes(parfoiscontraignantes)sansunbutfinalbienétabli86.

Pourcequiestdurôledel’UEdanslerèglementduconflitenTransnistrie,etmalgrélespromessesdelaPEV,rienn’estgagné,carilresteàtesterlescapacitésdel’UEàtrouveruncompromis avec la Russie pour que cette dernière accepte de retirer ses troupes deTransnistrie, etunaccordavec l’Ukrainepour la stabilisationpost-conflit. Le succèsde laPEVdanscedomaineparaîtdoncconditionnéparlesrelationsentrelaRussieetl’UE.

Les relations Moldavie-UE ne sont qu’à la croisée des chemins et pourtant, commecertains spécialistes le soulignent, «seul un horizon européen permettra à la Moldavied’échapperaudéterminismed’unesituationgéopolitiquequilacondamneàresterenproieaux jeux d’influence de ses grands voisins, constamment tentés de jouer sur sa délicatecompositionethnico-politique»87.

CONCLUSION

Leprochainélargissementdel’UEendirectiondelaRoumaniesoulèvedesinterrogationsquant à l’avenir de la future frontière orientale de l’Europe élargie. Les années à venirs’annoncentainsitrèsdifficilesautantpourl’UEquepourlaMoldavieetlaRoumanie,troisacteursqui,ensemble,doiventassurerlasécuritéd’unegrandepartiedecettefrontière.

Pourl’UE,ledéfiestgrand.Premièrement,elledoitréussiràmaîtriserlesambiguïtésetlesincohérencesdesapolitiqueétrangèreenverssesnouveauxvoisins,etconjuguerà la foisintégration et sécurité. L’application de l’acquis communautaire à la frontière roumano-moldave rend compte de ce double langage d’intégration/exclusion. Comme le présenttravaill’adémontré,dans lecasdelaMoldavie,cesontplutôtlesmessagesderejetdelapartde l’UEqui se sont fait entendre. Si l’UEa remportéuncertain succèsen incitant laRoumanie et la Moldavie à régler leurs divergences identitaires, il n’en reste pas moinsqu’ellelesaégalementséparéesenrepoussantlaMoldaviederrièreuneespècede«cordonsanitaire»sécuritaire.

Malgré la «souplesse» dont veulent témoigner les nouvelles politiques européennes devoisinage, la politique de sécurité de l’UE repose à l’heure actuelle sur des postulatsterritoriaux et sur des pratiques visant à protéger les Etatsmembres de l’UE desmenaces«externes».Cetteconceptionexclusiveetréalistedelasécurités’opposeàuneconceptionplus fonctionnaliste et coopérative qui, paradoxalement, a présidé à la construction de lapaixenEuropeaprèslafinde laDeuxièmeGuerremondiale.Eneffet,siunecoopération

86ValeriuGheorghiu,Cerolar trebuisa joaceUEpentruaameliorareasituatieieconomicesi politicedinRepublicaMoldova?,Chisinau,Institutdespolitiquespubliques,juillet2004,disponiblesurlesitewww.ipp.md

87 Catherine Guicherd, «Ukraine, Biélorussie et Moldavie: entre l’Union élargie et la Russie», Politiqueétrangère,n°3,2002,pp.683-696.

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renforcéeentrelaMoldavieetl’UEestentraindesedévelopperàtraverslesplansd’action,laperspectivede«candidatàlacandidature»nefaitquemaintenirunrideaudeferentreles Moldaves et le reste de l’Europe. L’assouplissement de cette politique de sécuritéterritoriale,quiapoureffetderepousserlesMoldavesdel’autrecôtéd’unelignedefront,neseraitdoncqu’undesdéfisauxquelsl’UEdevrafairefaceaprès2007.Ilresteàsavoirsil’UE pourra surmonter sa crainte d’envenimer ses relations avec la Russie. Ce n’est qu’àcette condition qu’elle pourra s’impliquer davantage aux côtés des autres organisationsinternationales (OSCE et Otan) dans la résolution du conflit en Transnistrie88. Certainesquestions seposentquant à la capacitéqu’a la républiquedeMoldaviede répondreà laconditionnalitédel’UEetdes’adapterauxrègleseuropéennes.Aussilesprochainesannéesseront-elles cruciales pour le destin européen de cet Etat post-soviétique faible. Touteassociationde la républiquedeMoldavieà l’UE tiendradu succèsdecettedernièredansl’application de ses plans d’action. La Moldavie doit donc affirmer sa volonté politiqueintérieure,prouversavocationeuropéenneet implémenteravecsuccès lesprévisionsdesplansd’action.

QuantàlaRoumanie,ellesetrouveaujourd’huidanslapositiondegardiendesécuritédupérimètre européen, une position délicate face aux Moldaves, devant lesquels elle doitdresser une frontière de plus en plus imperméable. Ce nouveau cadre de voisinage, endéstabilisant les relations entre les deux Etats, risque d’avoir des conséquences négativespour la sécurisation de la future frontière orientale de l’UE. La question de la frontièreroumano-moldaveentantquefrontièreeuropéennenefaitdoncqueperpétuerledébatsurla coexistence simultanéedesprincipesd'intégrationetde sécurité, et forceà s’interrogersurlesmécanismesdecoopérationetlesinteractionsentre lesdifférentsacteursimpliquésdanslasécurisationdelafuturefrontièreorientaledel’UEélargie.

88Le8août2005,laMoldavieaconstituéunecommissiondevantpermettredesuperviserlamiseenplaceduPlandepartenariatMoldavie-Otandès2006.CeplandevraitfourniruneassistanceàlaMoldavieencequiconcerne le règlement du conflit en Transnistrie et le rétablissement de son intégrité territoriale. Voir Infotag,MoldovaAzi,8août2005.Aconsultersurlesitewww.azi.md

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Annexes

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Le cadre juridique roumano-moldave dans le domaine de sécurisation des frontières • Décision du gouvernement moldave sur l’approbation des régulations du Comité interministériel responsable pour les relations avec la Roumanie et le Bureau pour la gestion des relations entre la Roumanie et la république de Moldavie n° 1 500 du 28 décembre 2001, Gazette officielle de la République de Moldavie n° 11-12 du 17 janvier 2002.

• Accord entre les gouvernements roumain et moldave sur les voyages réciproques signé à Chisinau le 29 juin 2001.

• Protocole pour le voyage des citoyens signé par l’Inspectorat général de la police des frontières de Roumanie et le Département des gardes-frontières de la république de Moldavie à Albita le 27 septembre 2001.

• Accord entre le gouvernement de la Roumanie et le gouvernement de la république de Moldavie sur la réadmission des étrangers, signé à Bucarest le 27 juillet 2001.

• Accord entre le gouvernement de la Roumanie et le gouvernement de la république de Moldavie sur la coopération douanière et l’assistance mutuelle pour la prévention, l’investigation et la lutte contre les fraudes douanières, signé à Bucarest le 24 avril 2000.

• Accord entre le gouvernement de la Roumanie, le gouvernement de la république de Moldavie et le cabinet des ministres de l’Ukraine concernant la coopération dans le domaine de la lutte contre la criminalité, signé à Kiev le 6 juillet en 1999 et ratifié par la Roumanie en 200189. Cet accord fonctionne sur la base du Memorandum signé le 22 octobre 1998 par les présidents de la Roumanie, de la Moldavie et de l’Ukraine et concernant la collaboration dans la lutte contre la criminalité.

• Accord de coopération entre le gouvernement de la Roumanie et le gouvernement de la république de Moldavie pour la prévention et la lutte contre la criminalité transfrontalière, signé à Bucarest le 26 mai 1999.

• Accord entre le gouvernement de la Roumanie et le gouvernement de la république de Moldavie sur la réadmission des étrangers, signé à Bucarest le 27 juillet 200190.

89GabrielaChiorean,LaSécurisationdesfrontièresetlastabilitérégionale,op.cit.

90Institut roumain des politiques publiques, TheNew Schengen Border and its Impact on the Romanian-MoldovanRelations,octobre2002,étudedisponiblesurlesitewww.ipp.ro

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LaMoldavie

Carterégionale

Source :CollectiondecartesdePerryCastaneda.CettecarteaétéproduiteparUSCentralIntelligenceAgency(CIA).

Elleestdisponibleàl’adresseInternet:http://www.lib.utexas.edu/maps/cia04/moldova_sm04.gif