le castel de la buissière

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Le Castel de la Buissière

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DU MEME AUTEUR

La Médecine Comique. I Série (1961). I I I Série (1958).

Faits et Gestes du Dr Bonus (1961).

L'Alpinisme de la Belle Epoque (1961).

Voyage à la Capitale des Microbes (1962).

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DR BUSSI-TAILLEFER

LE CASTEL DE LA BUISSIÈRE

IMPRIMERIE NICOLAS NIORT (DEUX-SÈVRES)

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CHAPITRE I

L'ACHAT DU CASTEL

Quand donc eut lieu l'achat du castel ? A force de triturer ma mémoire, je crois devoir fixer cette date à l'année 1890, il y a de cela, par conséquent, 73 ans. S'il y a erreur, celle-ci ne peut être que de peu d'importance.

J'étais donc âgé de 8 ans, mon frère cadet qui fréquentait encore l'école enfantine, de 5 seulement et mes deux frères aînés, car nous étions 4 garçons, de 3 et 6 ans plus âgés que moi-même. Ils étaient déjà partis au collège, l'habitude dans la famille étant de nous y envoyer dès l'âge de 10 ans révolus.

Ce dont je me souviens aussi et. alors, dans les moindres détails, c'est que nous vivions ce jour-là au mois de novembre et le troisième mardi, jour de foire, la foire la plus importante de l'année.

A cette occasion, les frères des Ecoles chrétiennes

que nous appelions avec malice les frères 4 bras à cause des manches ballantes de leur manteau jeté

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par-dessus leur soutane, ces frères ignorantins qui étaient chargés de notre instruction, nous lâchaient à 10 heures et demie au lieu de onze, de telle sorte que nous disposions d'une heure et demie pour nous rendre à la foire, nous y faufiler dans la foule, aller inspecter les baraques, voire... par- fois un manège et nous amuser un brin, puis sur- tout dépenser les deux sous qui nous étaient alloués pour la circonstance.

Or, ce jour-là, il faisait un très beau temps, un soleil dans un ciel sans nuages et ce bleu tamisé si nuancé de l'automne. En plus, m'étant rendu sur les lieux où les plaisirs nous étaient offerts à nous

autres gamins, mon attention se trouvait accaparée par un charlatan comme je n'en n'ai plus jamais revu et qui a fixé la date de l'achat infiniment mieux

et d'une façon autrement plus agréable qu'aurait pu le faire une date de calendrier, à la fois précise et sèche.

Ce charlatan était grand et gros, il parlait fort, se servant par intervalles d'un porte-voix afin de se faire entendre de plus loin... il était vêtu d'une grande robe rouge, coiffé d'un chapeau pointu, sa voiture, très importante, éclatante de dorures et, sur les bords de l'estrade, étaient alignés des dizaines et des dizaines de flacons de petite taille remplis d'un liquide analogue à de l'eau claire,... sur le toit, un orchestre de grosses caisses, de tam- bours et de cymbales.

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Avais-je jamais rien vu de pareil sur la foire ? Jamais !

Aussi demeurai-je là tout le temps qui m'était réservé c'est-à-dire jusqu'à midi et encore un peu plus, ainsi qu'on l'apprendra, ayant risqué ainsi une bonne correction.

Tant pis ! Que disait cet homme et comment s'y prenait-il ? Il parlait de la cause de la carie dentaire. D'après

lui, personne ne la connaissait, cette cause et, les médecins encore moins que les autres, qui se con- tentaient d'arracher les molaires et de vider le

porte-monnaie pour chaque arrachage d'une bonne pièce de 5 F en argent !

... Allez-y la musique ! Or mon père, continuait notre citoyen, qui avait

étudié à l'étranger et parcouru les plus importantes cours de l'Europe, avait réussi à pénétrer cet im- portant secret.

De quoi s'agissait-il donc ? Tout bonnement d'un vers rongeur, vous donnant ainsi, en rongeant, ces symptômes si lancinants que vous connaissez tous si bien.

Mesdames et Messieurs, et cela va de soi, le sa-

vant dont je vous parle ne s'est pas contenté de trouver la cause, il en a décrit le remède et c'est

celui-ci que vous apercevez, si bien aligné devant vous dans ces petits flacons.

Seulement, attention ! mon père était un apôtre

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de la fraternité... Au lieu de vendre très cher son

élixir, il nous a commandé d'en réduire le prix dans la mesure du possible.

... En avant la musique !

J'ai gardé un souvenir ému de ce grand citoyen. Un homme de cette valeur doit être écouté et obéi...

Aussi, Mesdames et Messieurs, ce n'est pas une pièce de 5 F en argent que je vous demanderai,... je laisse aux autres une pareille exploitation... Ce ne sera même pas 4 F, même pas 3 F, même pas 2 F. Mesdames et Messieurs, pour vous et les jolies demoiselles, ce sera, en tout et pour tout, 50 centimes... 10 malheureux sous !

Qui en veut ? A qui le tour ? Ne parlez pas tous à la fois !... Ne craignez rien,... Prenez-en pour votre épouse afin d'éviter les crises d'humeur,... prenez-en pour votre belle-mère et pour elle, croyez-le moi, 2 flacons ne seront pas de trop ! Mettez-en de côté pour les vôtres ou vos amis !

Allons ! Mesdames et Messieurs... merci, Mon- sieur, merci, Madame, merci charmante demoiselle.

Et en avant la musique ! Ordre bien superflu, en réalité, car durant toute la distribution, l'orchestre se livrait à un tapage d'enfer.

J'écoute le boniment et je le trouve drôle... Je ris et tout le monde rit autour de moi... Croyait-on en cet élixir ? ce n'est pas sûr... On riait encore en le prenant, comme pour s'excuser... mais le spectacle

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en valait la peine et on s'était amusé... pour les dix sous.... Puis, qui sait ? Sait-on jamais ?

Je serais donc resté une grande partie de mon temps auprès de la voiture. Je n'aurais cependant pas dépassé l'heure, craignant comme le diable les volées de claques de mon père !

Seulement, qu'on veuille bien m'écouter, la séance ne se terminait pas par une simple vente de flacons. Notre homme était, avant tout, un arra-

cheur de dents et il accueillait auprès de lui tous les amateurs de la question.

L'orchestre, dans ces moments-là, ne fut-ce que pour couvrir les cris ,faisait donner tous les ins- truments à la fois.

Puis, surtout, avant l'arrachage, avait lieu l'essai du fameux élixir d'où résultait l'extraction du vers,

celui-ci passant sur les paumes des spectateurs des premiers rangs afin d'y être examiné, bieu vu et bien reluqué.

Sans l'insecte et sans le désir inconsidéré de le recevoir à mon tour dans la main et de savoir au

juste ce dont il s'agissait, je serais resté dans la légalité et parti au premier coup de midi peut-être même, légèrement avant, afin de me sentir plus sûr...

A cause du vers, je me vis, pour ainsi dire, cloué sur place sans avoir jamais la force de me sortir de là avant que ma curiosité ne soit satisfaite...

Or la foule était très dense et tous ces gens

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étaient tourmentés de la même idée que la mienne : voir et voir le plus vite possible !

J'essayai de me faufiler, gagnai ainsi quelques places.

Le boniment revenait après chacune des tour- nées, toujours drôle et varié.

Combien en ai-je entendu ? Je ne saurais le dire

mais sans doute 4 ou 5 au moins. Le premier coup de midi a sonné puis les aiguilles ont tourné encore.

Enfin le destin a eu pitié de moi et je me suis trouvé cette fois-ci, au premier rang... où le vers circulait : le 10 à ma gauche, puis le 5e, puis le 3e,... enfin, je tendais la main et je recevais un animal tout plein de vie qui se tortillait. Cette arrivée a produit sur mon épiderme un chatouillement désa- gréable que j'imagine sans peine encore aujour- d'hui.

Il s'agissait d'une bête bien vivante ; est-il utile de le répéter, et qui ressemblait à s'y méprendre à un vers de farine ou à un asticot.

Je m'empressai de le passer à mon voisin de droite puis filai.

J 'ouvre sans bruit la porte cochère, monte les marches, me faisant aussi léger que possible, ouvre la porte du premier étage et entre dans la salle à manger.

O Bonheur ! ma mère s'y trouve seule et le maî- tre n'est encore pas venu.

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— Tu arrives bien tard, fait ma mère, tu n'as

pas été en retenue au moins ? Et alors, je lui raconte par le menu l'histoire du

du charlatan. Cette bonne mère m'écoute en sou-

riant, paraissant y prêter la plus vive attention... Seule, l'histoire du vers, jugée par moi si impor- tante, lui semble dénuée d'intérêt.

A la fin, après un moment de silence : — Ecoute, mon petit, fait-elle en toute simpli-

cité ne mange donc pas tant de pain avant le repas, tu n'auras plus faim pour le reste.

Sur quoi, on a entendu la porte de l'étude s'ou- vrir avec bruit, des pas lourds s'élever sans ména- gement, sur les marches de bois, paraître enfin le notaire.

Il est tout rayonnant ce maître si terrible. Sa physionomie semble joyeuse.

Il se dirige aussitôt du côté de l'épouse et dépose, à plusieurs reprises, des baisers sonores sur les joues.

— Eh ! Bien ! fait-il, Madame la Châtelaine, comment cela va-t-il ?

— Que dis-tu ? riposte ma mère un peu inter- loquée.

— Allons ! déjeunons, reprend notre maître, il est plus que l'heure... je vais t'expliquer.

On se met à table, la bonne dont la cuisine oc-

cupe la pièce voisine séparée de la nôtre par une simple porte, présente la soupe et notre maître, qui

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continue à être rempli de joie, nous conte les péri- péties de l'acte de vente du Castel.

Celui-ci appartenait au sieur X... un vieil avare qui, par dessus le marché, a trafiqué dans les grains.

Ne disait-on pas aussi, qu'il s'était servi de faux témoins et avait fait condamner pour délit de chasse, notre voisin le père R..., cet innocent chas- seur, qui aurrait passé, sans autorisation, sur les terres du vieux.

Tout cela est raconté sous forme de confidences

et à voix basse, de façon que la bonne n'entende pas et en désignant la cuisine, à plusieurs reprises, avec une mimique suffisamment explicite.

Nous écoutions tous les deux, le cadet et moi,... nous n'avions pas le droit de parler à table mais nous jouissions de celui d'entendre et je puis cer- tifier qu'il ne s'est rien perdu de la conversation ce jour-là.

Devant les affirmations de mon père sur le vieil avare, je sentais mon indignation monter du plus profond.

Trafiquer sur les grains, je n'y comprenais rien, mais à l'accent que notre maître y mettait il s'agis- sait à n'en pas douter, d'une action horrible. Puis user de faux témoins, du moins d'après ce que racontaient les gens, n'était-ce pas également abo- minable ?

Aussi, quand le notaire ajoute que notre vieux

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gr igou s 'est c o m p l è t e m e n t r u iné d a n s la spécula-

t ion, q u a n d il d i t qu ' i l a été acculé et a dû vendre tou t ce qu ' i l possédai t , je ne ressens a u c u n e pitié

p o u r lui. — Le Castel, a j o u t e m o n père, je l 'a i eu p re sque

p o u r r ien. Et, à ce momen t , l ' h o m m e d 'affaires ne

pa rv ien t pas à se re teni r . Il se lève de table et se

d i r igean t vers m a mère, il l ' embrasse encore s u r les deux joues, lui d i s a n t :

— Vous êtes Madame la Châtelaine. . . oui, Mada- me la Châte la ine !

Tous, nous nous sen tons h e u r e u x d a n s la pièce...

u n h o m m e qui a t ra f iqué dans les grains , fais- je en

moi-même. . . un ind iv idu qui a u r a i t payé des faux

témoins. . . Il est ru iné , t a n t pis pou r lui !

Vient ensui te la descr ip t ion du Castel qui est dis- t a n t de deux l ieues et demie de chez nous, à l 'en-

t rée d ' u n pe t i t village, placé au -dessus d ' u n e

colline... il y a un f e rmie r et de g randes terres . — De cette façon, fai t m a mère à son mar i , tu

p o u r r a s p r e n d r e du repos et m o n t e r l à -hau t tous les l endemains de m a r c h é ou de foire... Ce n 'es t

pas t rop tôt.

Nous nous sentons tous les qua t re , pleins de joie. — Nous a r ro se rons cela un de ces jours , fai t

no t re maître . . . Après -demain , nous i rons voir avec les en fan t s .

— T u penses ? rép l ique m a mère.. . Aussi loin

d' ici !... tu ne c ra ins pas la fa t igue pour eux ?

Page 15: Le castel de la Buissière

— Non, non, d u tout.. . Les en fan t s m a r c h e n t

auss i bien que nous.. . il suffit de les la isser al ler

d e v a n t et de s ' a d a p t e r à l eur pas... Nous emmène-

rons Gaston, et a ins i é ta i t désigné u n épagneul que

n o u s a p p r e n d r o n s p lus t a r d à connaî t re .

... L a sa i son s 'avance, a joute- t - i l encore, il fa i t

beau. . . Il s ' ag i t de prof i ter des de rn i e r s j ou r s favo-

rables. . . J e m e r é jou i s m o i - m ê m e de m e r endre là- hau t .

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C H A P I T R E II

LA P R E M I E R E V I S I T E AU CASTEL

A 8 heures du mat in , en cet te j o u r n é e de la se-

conde qu inza ine de novembre , nous pa r tons : mon

père qui s 'est habil lé c o m m e pour la chasse avec des culot tes cour tes et des bas de laine, nous deux,

avec nos habi t s de tous les jours , puis le d é n o m m é Gaston.

Le t racé généra l de la rou te est facile à esquis- ser dans son ensemble . Il s 'agit, en effet, de t ra-

verser la p r e m i è r e cha îne du J u r a et, une fois s u r

la crête, à u n col désigné sous le n o m de col de Poisan, de descendre d a n s la vallée d 'Arpy, couvr i r

ensui te u n replat , de façon à abou t i r à une seconde

cha îne ana logue à la p remiè re ma i s p lus ra ide

encore puis, abou t i r s u r un p la t eau d ' a l t i tude c o m m e il en existe t a n t d a n s le J u r a et à un pet i t

village composé de que lques ma i sons don t la pre- mière, le castel .

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On compte deux lieues et demie, par la route et par les trois traverses qu'on ne manque pas de prendre quand on marche à pied, l'une pour la première chaîne, la seconde pour la descente et le replat, la troisième pour la seconde chaîne, une réduction de bornes kilométriques d'un tiers envi- ron, en spécifiant que ce que l'on gagne en trajet, on le perd en fatigue, au moins en partie, à cause de la plus grande raideur des pentes.

Durant le village jusqu'au pied de la côte, nous marchons en groupe, mon père saluant ses clients ou connaissances et, dès les premiers pas sur la première traverse, notre Maître s'efface devant nous.

— Marchez les premiers, les enfants et, à votre pas, sans forcer,... sages paroles, il faut le recon- naître car les enfants marchent aussi bien que les grandes personnes, à la condition qu'on tienne compte de la longueur de leurs compas.

Nous nous sentions tout réjouis, avec la perspec- tive de la course à pied la plus longue que nous ayons jamais faite et, en outre, dans un pays in- connu, au moins, à partir de la première crête.

Nous sommes cependant un peu décus. Nous avions espéré que notre père prendrait son fusil et que nous aurions la satisfaction de voir le dé- nommé Gaston en chasse... Notre maître s'était

simplement muni de sa canne. Il avait tapé, il est vrai, sur les dalles du couloir, comme avant toute

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promenade et le dénommé était arrivé en courant, se trémoussant, sautant après nous, passant de l'un à l'autre, émettant des grognements de joie...

Dommage tout de même !

Les pentes des chaînes du Jura, au moins de notre côté, sont toutes très raides et si, à ce point de vue, la seconde chaîne l'emporte, la première elle aussi demande de rudes efforts.

La traverse va droit devant elle, tracée sur un

sol rocheux entre des buissons et des murgers. On s'élève donc très vite et, tout de suite, le village étant déjà à une centaine de mètres au-dessus de la station, se déroule devant les yeux l'étendue immense de la Bresse : 45 kilomètres de largeur, le double, au moins, en longueur et, comme toile de fond, des montagnes de six cents à mille mètres formées par le Mâconnais.

On a ainsi devant soi une surface qui est en réalité un plateau, avec des accidents de terrain nullement négligeables mais qui, de haut et plus on s'élève, paraît plate comme la main.

Et ce plateau est fait de champs et de bois, pi- queté d'une multitude de fermes, réunies parfois en maigres villages mais surtout, isolées, orientées toutes levant-couchant, présentant leurs façades

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toutes resplendissantes de lumière au lever du soleil.

Etions-nous insensibles à ce genre de spectacle ? Hé ! non ! Et pas plus le cadet que moi... Combien de fois déjà, nous avions admiré cette plaine qui ressemble à la mer, plus étendue encore, à ce qu'il paraît, aussi changeante de teintes et de couleurs.

Le jour auquel il est fait allusion était-il pro- pice ?... Un matin triste, en réalité, où la nature se meurt et qui tire cependant son charme de ces de- mi teintes grises et de ce ciel brumeux. L'atmos- phère était calme, sans le moindre souffle de vent

et la température douce pour la saison, même un peu fade !

Oui, nous étions heureux,... tout joyeux d'entre- prendre une aussi belle course, impatients de voir le castel.

Suivant la convention, notre père marche der- rière nous, sans rien dire, d 'humeur joyeuse, c'est clair !

Gaston reste dans le chemin, pris en quelque sorte, dans ce ravin, entre ces buissons et ces mur- gers. En compensation, il se lance à toute allure devant lui et quand il a couvert une distance suffisante, il revient vers nous plus vite encore, faisant mine de sauter contre nous, nous donnant de la peine à nous en défendre.

Parvenus sur la crête, tout le groupe s'arrête et

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no t re maî t re , p r e n a n t lu i -même la t ê t e se dir ige vers le col p o u r y fa i re halte.

De là, la vue a p p a r a î t t rès différente de ce qu 'e l le offre du côté oues t d 'où nous venons.. . Au lieu de

la plaine, s'offre ici une success ion de cha înes pa-

rallèles, a l l an t en s ' é levant de p lus en p lus j u s q u ' à

la de rn iè re et au-de là de celle-ci qui est la cha îne

sommi ta l e du J u r a , s ' aperço i t à 150 k i lomèt res , les

j o u r s clairs, le Mont-Blanc accompagné d ' u n cer- ta in n o m b r e de ses satel l i tes rocheux .

Qu ' en v a u t la vue et quel le impres s ion p rodu i t

elle ? Il f au t t o m b e r s u r une j o u r n é e de réelle

clar té , les veilles de pluie, p a r exemple, pou r qu 'e l le

p résen te une réelle valeur . Malgré la d i s t ance dé jà

considérable , les glaciers de la m o n t a g n e y appa-

r a i s sen t n e t t e m e n t à l 'œil n u et, parfois , les

zébrures sombres que dess inen t les crevasses.

C o m m e le f a i t d i re un h u m o r i s t e à un paysan

qui y a c o n d u i t des gens en vacances : pou r qu 'on

le « voye », il f a u t que l ' a tmosphè re y « saï » fine,

tou t à fa i t fine ! Force est d ' a j o u t e r que, ce jour -

là, cet te a t m o s p h è r e n ' é t a i t pas fine du tou t et

et m ê m e pas m a l b rou i l l a sseuse . Au reste, étai t-ce avec l ' idée de nous m o n t r e r

le paysage que no t re m a î t r e nous condu i sa i t jus-

qu ' à un gros chêne u n peu au -dessus d u col ? Sa mine tou te ré jou ie fa isa i t songer à u n a u t r e plan.

Une fois sous le chêne, no t re m a î t r e s ' adresse à nous :

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A présent , fa i t il, r egardez dro i t devan t vous, la col l ine à t rois k i lomèt res d' ici environ.. . Vous

voyez u n village n 'es t -ce pas ? — Oui n o u s le voyons.

E t celui-ci appa ra i s sa i t , en effet, t rès c l a i r emen t

c a r c ' é t a i t la seule agg loméra t ion bât ie ainsi, au h a u t d ' u n e colline.

— Oui, oui, n o u s l ' apercevons . — Eh bien ! c 'es t là-bas où nous allons... C'est

la Buissière .

... Main tenan t , examinez avec plus d 'a t tent ion. . . Regardez la p r e m i è r e m a i s o n s u r le bord d u vil-

lage, la p r e m i è r e qu i s'offre à vous... Apercevez- vous les tourel les d u castel ?

Pas de réponse .

— Aiguisez vos yeux... Mettez-y le temps, ne c ra ignez r ien.

A u c u n e réponse .

— C o m m e n t ? r e p a r t no t r e maî t re , un semblan t d ' a g a c e m e n t d a n s la voix... C o m m e n t ? vous ne

voyez r ien ?

P r i s de peur , c r a i g n a n t les sau tes d ' h u m e u r aux-

quel les n o u s é t ions si hab i tués et don t nous avions

eu à souffr i r à p lus i eu r s repr ises .

— Oui, oui, que je fais, je les vois.

— Combien y en a-t-il ?

— Il y en a deux. — A la bonne heure , toi, au moins, Henri , tu

n ' es pas la moit ié d ' u n e bête ! A présent , nous

Page 22: Le castel de la Buissière

pouvons cont inuer . . . Mes t roupes son t f ra îches et m a r c h e n t t rès bien.

Là dessus, nous dévalons la pente pou r le second

raccourci , nous nous engageons en bas s u r la t ra-

verse hor izonta le puis pa rvenons a u pied du piton.

Dès la sort ie du village de Broucia commence le raccourc i de la seconde chaîne . Il r e s semble

beaucoup à celui de la p r e m i è r e avec de nom-

breuses différences, cependan t .

Il ne s 'agi t p lus d ' u n sent ier comme à la Rési-

dence ma i s d ' u n large chemin qui servai t de che- min de c h a r a v a n t la nouvel le route.

La pente en est p lus ra ide encore et on se

d e m a n d e commen t , autrefois , les bêtes pouva ien t

t i re r les cha rges là-dessus. A la descente les gens

p laça ien t sans dou te des fagots à l ' a r r iè re pou r

f r e ine r et si nous avions vécu dans ce t emps là,

nous au r ions mon té s u r ces fagots e t nous nous ser ions bien amusés .

Le pays est t rès joli, les a rb res encore avec leur te inte d ' au tomne , les bouleaux t rès nombreux ,

t ou t dorés se r e c o n n a i s s a n t a isément , m ê m e dans

les bois, à cause de ce détail .

Sur les bords d u chemin de gros bu i ssons de

buis et p a r t o u t encore s u r les c o m m u n a u x . De

tous côtés po in t en t des rochers , beaucoup plus qu ' à la Résidence.

En face de nous, t rès belle, la m o n t a g n e de Nivi-