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Le blog-note littéraire et philosophique de Nicolas Baygert « Transfiguration de la Roumanie » de Emil Cioran Paru en 1936, ce plaidoyer pour l’héroïsme en politique révèle un Cioran, à 25 ans, trop humilié d’appartenir à une culture mineure et dont le besoin d’exister se mue en désir de consumation. Notons que ce texte est présenté comme un péché de jeunesse ; en témoigne l’amas de préambules avant l’entame véritable du brulot incriminé. On ne rentre ainsi dans le vif du sujet qu’une fois passés les tièdes avant-propos et autres avertissements teintés d’anxiosité… Bréviaire de transvaluation national, la solution envisagée par Cioran pour son pays est une transfiguration intégrale. La Roumanie ne sera sauvée « que si elle se nie » (p. 21). Pour cela plusieurs cheminements axiologiques sont envisagés, la Roumanie se trouvant aux confins de plusieurs destinées: hitlérisme, bolchévisme, nationalisme messianiste ou réactionnaire. Dans un comparatif élogieux de la France et de l’Allemagne, il passe en revue les éléments conjoncturels susceptibles d’incurver la marche délirante d’une nation. Dénonçant le Christianisme comme usine à pauvres et épinglant les juifs comme « seul peuple à ne pas se sentir attaché au paysage » (p. 225), Cioran dresse également le portrait sans fard de la démocratie parlementaire où « l’homme politique ne peut rien faire. » (p. 296) Machiavel demeure le seul théoricien invité dans cette théodicée frénétique : « au fond, tout ce qui relève du domaine de l’action est machiavélique. » (p. 287). 75 ans plus tard des rapprochements, certes anachroniques, paraissent séduisants. Les lecteurs belges discerneront ainsi quelques parallèles sur leur propre ethos national, sur le « surréalisme » : nihilisme joyeux ou absurdité transcendée : « Le Roumain tourne en dérision sa condition, il se disperse dans une auto-ironie futile et stérile. » (p. 129).

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Paru en 1936, ce plaidoyer pour l’héroïsme en politique révèle un Cioran, à 25 ans,

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Page 1: Le Blog-note Littéraire Et Philosophique de Nicolas Baygert

Le blog-note littéraire et philosophique de Nicolas Baygert

« Transfiguration de la Roumanie » de Emil Cioran

Paru en  1936, ce plaidoyer pour l’héroïsme en politique révèle un Cioran, à 25 ans, trop humilié d’appartenir à une culture mineure et dont le besoin d’exister se mue en désir de consumation.

Notons que ce texte est présenté comme un péché de jeunesse ; en témoigne l’amas de préambules avant l’entame véritable du brulot incriminé. On ne rentre ainsi dans le vif du sujet qu’une fois passés les tièdes avant-propos et autres avertissements teintés d’anxiosité…

Bréviaire de transvaluation national, la solution envisagée par Cioran pour son pays est une transfiguration intégrale. La Roumanie ne sera sauvée «  que si elle se nie » (p. 21). Pour cela plusieurs cheminements axiologiques sont envisagés, la Roumanie se trouvant aux confins de plusieurs destinées: hitlérisme, bolchévisme, nationalisme messianiste ou réactionnaire.

Dans un comparatif élogieux de la France et de l’Allemagne, il passe en revue les éléments conjoncturels susceptibles d’incurver la marche délirante d’une nation. Dénonçant le Christianisme comme usine à pauvres et épinglant les juifs comme « seul peuple à ne pas se sentir attaché au paysage » (p. 225), Cioran dresse également le portrait sans fard de la démocratie parlementaire où « l’homme politique ne peut rien faire. » (p. 296) Machiavel demeure le seul théoricien invité dans cette théodicée frénétique : « au fond, tout ce qui relève du domaine de l’action est machiavélique. » (p. 287).

75 ans plus tard des rapprochements, certes anachroniques, paraissent séduisants. Les lecteurs belges discerneront ainsi quelques parallèles sur leur propre ethos national, sur le « surréalisme » : nihilisme joyeux ou absurdité transcendée : « Le Roumain tourne en dérision sa condition, il se disperse dans une auto-ironie futile et stérile. » (p. 129).

Ne pouvant aimer qu’une Roumanie en délire (p. 177) on comprendra mieux l’exil parisien définitif de Cioran survenant l’année suivante, durant lequel il croira bon d’« oublier sa qualité de contemporain. » (p. 77).